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Cet article a été publié dans Stanford Campus Report sous le titre « It’s no time to shun
psychologists, Bandura says » (11 juin 1986).
Il est traduit par Carmen Compte, PhD, professeur en Sciences de l’information et de la
communication (laboratoire CRECI, université de Paris 7-Denis Diderot).
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Selon Bandura, une autre raison expliquerait l’accueil glacé que l’on réserve
aux psychologues dans certains cercles gouvernementaux. C’est que les
psychologues sont souvent messagers de mauvaises nouvelles. « Nous mettons
en évidence les effets négatifs des pratiques sociales et politiques préjudiciables,
et en faisant cela, nous nous retrouvons au centre même des critiques ».
« Une grande partie de l’opinion publique perçoit le psychologue comme
une menace. Cette situation s’explique. L’histoire des sciences montre combien
le public a généralement réagi de façon négative au développement d’un savoir
qui bat en brèche les croyances établies ».
« Les premiers physiciens se sont fait malmener pour avoir soutenu que la
Terre n’était pas le centre de l’univers. À ses débuts, la médecine devait se baser
sur des analyses physiologiques effectuées en cachette ».
« Beaucoup plus que les autres, les chercheurs en sciences sociales sont
confrontés à ces réticences, car nous sondons la psyché, l’essence des hommes.
Ce sont là des questions qui ne laissent pas les gens indifférents ».
« Par exemple, Jerry Falwell déclare à ses nombreux partisans que nous
sommes de dangereux humanistes laïques qui soumettons les enfants des écoles
à un lavage de cerveau. Ainsi, régulièrement, des pressions sociales sont mises
en place pour limiter l’application des outils développés par la psychologie dans
les écoles. On a déposé un projet de loi au Sénat des États-Unis visant à
interdire l’utilisation d’approches psychologiques dans les écoles, y compris les
jeux de rôle ».
« Phylls Schlafly a rédigé une liste de 48 démarches psychologiques qu’elle
veut faire exclure des systèmes scolaires ».
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Le défi majeur
« Lorsque les médias sont surchargés de scènes de violence, les gens
développent une image de la société qui leur inspire la peur et ils peuvent eux-
mêmes devenir victimes d’actes violents. D’une certaine manière, cela crée un
cercle vicieux. Un des défis majeurs à relever consiste à faire baisser non
seulement la criminalité, mais aussi la peur du crime. De nos jours, de plus en
plus de gens évitent de sortir la nuit, en restant enfermés chez eux et en
s’équipant de plus en plus d’armes létales ».
La répétition constante de scènes violentes dans les médias influe sur le
comportement social, poursuit Bandura. « La télé et les journaux véhiculent
continuellement de nouvelles stratégies d’agression. L’imitation et la
reproduction d’actes antisociaux est un comportement qu’on observe dans
presque tous les domaines : on met des capsules de poison dans les
supermarchés, des lames de rasoir dans les gâteaux Girl Scout, on place des
bombes pour tuer des innocents. Ce processus désinhibe la conduite
antisociale. Les super héros qu’on voit à l’écran, tuant sans discernement et
avec satisfaction, fournissent une sorte de caution à ceux qui les prennent pour
modèle. Notre image de la réalité en est ainsi pervertie ».
Pour Bandura, le colonel Kadhafi fait pâle figure en regard de la tendance à
la violence irrationnelle et stupide que connaît le monde aujourd’hui. Le
terrorisme est actuellement une menace pour la plupart des pays développés. Le
pouvoir des médias est tel que quelques actes isolés sont capables de
transformer la vie de sociétés entières.
« Deux ou trois poseurs de bombes dans des endroits publics peuvent
compromettre la qualité de vie de tout un pays. Quand une population est
terrifiée elle paye volontiers pour s’acheter une protection contre la menace ».
En Allemagne, à la suite de plusieurs actes terroristes, la police a été autorisée à
procéder à des fouilles dans les foyers sans aucun mandat.
« C’est un résultat recherché par les terroristes. Ils espèrent ainsi favoriser la
création d’états policiers, en suscitant un mécontentement de masse ils génèrent
une ambiance propice à la révolution ».
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L’ironie est qu’une bonne partie de la violence qui choque la société, surtout
les sociétés les plus avancées, est commise pour des raisons humanistes.
« Souvent ce sont des personnes intelligentes et pleines de bons sentiments qui
font exploser des bombes pour promouvoir ce qu’ils pensent être une cause
digne de compassion, que ce soit celle des droits des animaux, de l’avortement,
ou bien d’autres ».
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chose d’acceptable. Notre contrôle moral n’est pas engagé ou activé lorsque
nous perdons de vue les moyens qu’il faudra mettre en œuvre. Le lien entre
l’action et ses effets nuisibles devient alors obscur. Cela est parfois obtenu par
un déplacement de responsabilités, ainsi on ne fait qu’obéir aux ordres d’une
autorité.
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