PEUT-ON DEFENDRE L’ECOLE
SANS LA CRITIQUER ?
Libye 1911 - Libye 2011
100 ANS DE BOMBARDEMENTS AERIENS
Histoire d'une technique militaire et politique
revuedeslivres.fr
n° O02
LOST MY JOB,
FOUND AN
OCCUPATION,
#0CCUPYWALLST
Reerbr L/ATLANTIQUE REVOLUTIONNAIRE
Décembre
20n Entretien avec Marcus Rediker sur I’histoire vue d’en basSOMMAIRE
Peut-on défendre Pécole sans Ia critiquer ?
= A propos de Christian Laval, Francis Verene,
Pierre Clément et Guy Dreux, La Nouvelle
‘cole capitalise
p02
‘e THOMAS HIPPLER, 100 ans de bombardements
aériens. Histoire d'une technique militaire
et politique
p.10
Les figures de Foppostion ouvaiére
=a propos de Christian Corouge et Michel
Pialoux, Résster dla chain. Dialogue entre un
courrier de Peugeot et un sociologue pls.
‘nyves crrroy, Marcus Redike
histoire en actions (présentation) p22
Entretien avec Marcus Rediker
=A propos de Marcus Rediker, Pirates de tous
les pays ; The Slave Ship; L'Hhvdre
suex mille tes set Les Forgats de lamer p.25
[= ANSELM JAP, Grandeur ef limites
du romantisme révolutionnaire
Fiction
a Eire pousitre.une nouvelle de
SMELENE QUINIOU ef KATE BRIGGS,
Pour une politique de la traduction.
Entretien avec Emily Apter
= propos de Emily Apter,
The Translation Zone
pad
‘LAURENT #ovE, «Entre Matheron et Spinoza,
Ise passe quelque chos
=i propos de Alexandre Matheron,
Etudes sur Spinoza et les philosophies
de Vage classique
p53
Le point sur
ferRaNGoIs rARniG
toire de la pollution,
Démesure et politique i Pere industrielle
pss
Le portrait
Rey CI
Géographie de la critique
= Apropos de Michael Low; Rédemprion Les féminismesislamiques por
cio. eopie, Le judaismelibertare en Europe
centrale, une étude daft lective; Michael Expérimentations politiques
i ue Lowy et Robert Sayre, Révole et mélancoie. s#rEL1x nocato, Le countermapping:
wager Le romamtisme a conire-courant de la modernité;_teprésentation et subversion pa
et Esprits de feu. Figures die romanasme
ant-capitaliste p32 siowas vows, Une drole dimposture,
Histoire d'un canular en bande dessinée
(entretien)
a =8 propos de Judith Forest, has pw
Iconographie : Occupy Wall Street
‘Rayna Dayne (rainadayne.com). p.50 / Eric Drooker (GStrike org), p.8 / John Emerson (backspace
com). p. 57 / Nicolas Lampert (wwv,justsceds org), p. 77 / David Shankbone, p. 17, 40-41 et 62 / Nate
Wolte, p./ DR. p.21, 24.31, 38 et 66
emersements
Gwensele Aupeti (La Désouvers)Schasin Cobarrubiag Mark Harvey, Abdella Khali, Bernard Laponche,Citne
Editere, Stella Maghian-Belkacem, Sandro Mezrata, Raphael Monnad (Azone), Mari-Lavre
(Libertas), Khaled Outun, Christophe Pay (Seve 7,
Martins Tul les camarades de La Pose Pars Bone, Un grand meray aces rapists et
photographs cont four la mae de iconographic de ce muro
La Rd n° 3 sera en klosque le mardi 3 janvier et en librairie le mercredi 18 janvier 2012.sotanament, avec Pirte Dardot de
Lin Nowselle Raison da monde (La
Décor, so).
‘Francis VeranePere Clément et Gay
Docu sont enseignans-chercheurs,
membres de Instat de recherches
dela sv
crise Nordin et adetrice
st csavete, of membre de Teqipe
tient Pause de Bourdie/ Rance
{La poltique ere ocologle et pho
sophie (2) et La Fabre de in
Dulssance 22 teneente damnation
‘emancipation (207) Fle anime ne
ser de conkirence dete ave det
shorssur et dee mitts autour de
Inquest ene tous es mois a La
‘Mason Vert (127 rue Marat Pais
1] La procs tance aur ew le
235 novembre, avee Gregory Cha
tot. collaborateur de WV Aur éoke
Len ere de fa federauon CNT dee
troalteurs de P&tucation Pour pis
fe renseignements nerve ne pip
Dhoamicieysse
PEUT-ON DEFENDRE L’ECOLE
SANS LA CRITIQUER?
Une nouvelle école serait en train de naltre sous nos yeux, soumise tant dans son fonetionnement
que dans ses finalités & la logique de la marchandisation, Mais 8 mettre ainsi en scene la lutte
inégale entre I'école et le néolibéralisme, on s'expose & oublier 'ambigulté de I'école. Or c'est
précisément cette ambiguité quill importe d'analyser si 'on veut pouvoir combattre avec un tant,
solt peu de force les évolutions actuelles. Par CHARLOTTE NORDMANN*
re subvertie de
‘cole est-elle en passe d'
'intérieur, par son intégration progressive
aux valeurs et aux principes du néalibéralisme ?
L's autonomie » dont I'éeole aurait joui jusa
resent serait aujourd'hui attaquee, et détruite pied
ied. C'est la these défendue par La Nouvelle
‘cole capitaliste'. Examinant dans le détail toute
une série d’évolutions contribuant chacune & sa
agon a précariser et a assujettr toujours davan.
tage tant le personnel éducatif que les éloves et
les étudiants les auteurs défendent Vidée que la
«nature » de I'école serait en train d'etre radica
lement transformée.
Maleré Iintérét de la perspective adoptée par
Vouvrage, qui envisage l'institution seolaire de
iagon globale et replace ses évolutions dans le
cadre plus général du développement du néo-
Depuis au moins une dizaine d'années Sinstalle
-n France le sentiment que nous sommes en train
d'assister une entreprise de « casse » de l'école:
morceau par morceau, réforme apres réforme,
les gouvernements successits seraient en train de
démantelerV'institution scolaire, au nom d'« impé.
ralifs » budgétaires.
Lobjectif premier et le grand imérét ~de La
Nouvelle Ecole capitaliste est d'opéret un chan.
gement de focale: montrer que les changements
fen cours, qui concernent Pensemble du syst2me
<éducatif, de la maternelle & Universit, font par:
tie d'une évolution qui concerne ensemble de
Europe et qui a é16 congue au niveau d'instan:
ces européennes et internationales, en particulier
TOCDE *; quis ont &48initiés pour la plupart des
les années 1980, et quilsont done été misen ceuvre
Comme dons les autres services publics, "Etat lurmeme se met @ promouvoir
Ja logique du marché et exerce son pouvoir par ia mise en place délibérée
de situations de concurrence.
libéralisme, une question n'est jamais posée par
(Christian Laval, Francis Vergne, Pierre Clément
et Guy Dreux, c'est celle de savoir quelle pouvait
bien étre cette « nature » de I'école avant l'avan.
‘ge du néolibéralisme. Mais pour comprendre ce
{qui se joue aujourd'hui et lutter contre des trans.
formations aux eifets catastrophiques, esti vrai-
‘ment secondaire de s‘interroger sus ce qui posait
«dgja, auparavant, probléme dans le fonctionne-
meni de l'école?
I nous semble au contraize qui faut partir du
fait que Pautonomie de 'école a toujours été rela
tive, que ses valeurs et ss finalités ont toujours été
complexes et méme contradictoires Sans cela, il
rest pas sir que l'on puisse comprendre la facilité
vee laquelle une bonne partie des principes du
ngolibéralisme a pu simposer dans le tonction-
nement courant de I'école. I nest pas sir non
plus que l'on puisse lutter efficacement si 'on a
des doutes sur ce que Yon défend, si'on n'a pas
démélé ce qui, dans I'école, est potentiellement
émaneipateur, et doit tre défendu, et ce qui en
elle contribue au contraire 8 notre Soumission &
ordre existant
PEUT-ON DEFENDRE LECOLE
par des gouvernements de gauche aussi bien gue
de droite: enfin, qu'ls ne correspondent pas sim:
plement a une politique de restriction des bud
sets publics, mais 4 une transformation du mode
de gestion des services pubes en général et de
Védueation en particulier, qus en modi proton
ddément la nature. La transformation actuelle de
Véeole releve done d'une évolution plus générale
{savoir extension du « néolibéralisme »
La Nowvelle Ecole capitaliste apparatt done
comme un développement particulier et exem-
plaite de Vanalyse exposée dans La Nouvelle
Raison dt monde (2009) pat Chistian Laval et
Pierte Dardot. Comme dans les autres services
publics, Etat lui-méme se mot promouvoir la
logique du marché et exerce son pouvoir pat la
aise en place délibérée de situations de concur
renee, jusque dans des spheres qui y écappaient
sauparavant. Louvrage sefforce de tenirensem.
bbe Vexposition de ce cadre général et examen
détaillé des evolutions en cours et de leurs effets.
‘Crest un autre de ses interéts méme si 'articula-
tion des deux est parfois approximative de sorte
«que toutes les conclusions théoriques ne sont pas
RDLN¢ 2 - Nov.DEC, 200tides des analyses de dail ands que ces demi
res ne sont pas toujours aussi solidementétayges
avon pourrait le sounaiter.
‘Se metirat ainsi en place dans ls institutions
aqui relovaient auparavant des «services publics»
Par alleurs de plus en plus gognées par un mow
Nement de privatisation, une nouvelle forme de
Zeston,assocant plus grande autonome locale
ét aceroissement du controle central, par le bias
clu management par « objects » et parla ml
Tilieation des valuations et des veieations de
résultats Désormis.ce sont les instances eatiques,
et les souvernements qui organsent Pextension
de a logique du marche, supposée seule garante
chez
les « éducateurs », et en entretenaat la méfiance
que peuvent avoir envers eux ceux qui en ont
Desoin. a savoir les éloves et les parents d’sleves
C'est sans doute aussi ld Ia visée principale
du second volet de l'entreprise de soumission
de institution seolaire 4 a logique du marché,
A savoir la remise en question des contenus d'en-
seignement, En imposant Midée que l'éeole a
abord pour fonction dinculquer aux éleves des
« compétences » monnayables sur le marché du
travail, compétences indépendantes et supérieu-
ros aux disciplines particulidres il agit moins de
‘ransformer radicalement enseignement que de
se donner le moyen de contester aux enseignants
toute maitrise sur leur pratique. Contrairement &
ce que suggorent les formulations souvent exces-
sives de La NEC, dans les fats ces principes ont
assez peu modifié Yenseignement tel quil se prati:
que et, quoi quil en soit, ces « compétences » ont
une definition tellement générale qu'on peut pour
ainsi dite leus donner le contenu que V'on veut
(leurs différents promoteurs en ont ailleurs une
comprehension variable). Le véritable prableme
vient de ce qu'elles justifient la multiplication
exponentielle des évaluations qui, elle, entrave
directement le travail des enseignants C'est le eas
Irs clairement dans Nenseignement primaire, od
Yon voit mal la marge de maneeuvre qui resterait
A Teenseignant qui tenterait de mesurer serupule\
sement, bintervalles réguliers, dans le respect des
instructions officielles, le degxé d'apprentissage
de chacune des dizaines de competences devant
tre acquises par chaque éleve.
De telles réformes n'ont pas pour objectif
augmenter Fetficacité de Finstitution scolaire,
mais d'accroitre la dépossession et la soumission
des enseignants ~ ainsi que des éleves. comme le
amrontte trés bien a critique qu’a faite Nico Hirt de
usage actuel de la notion de compétence,réduite
une capacité d'exécution purement technique .
Si cette dspossession est clairement décrite dans
La NEC,il faut aller plus loin et voir que c'est
Ja finalité premitre des réformes, bien plus que la
‘« productivité » du systéme scolaire ou sa trans.
formation en fabrique de sujets employables. En
avoir conscience permet de dissiper les doutes
‘quant la stratégie de lutte A adopter: que peut-on
faire d'autre, face la multiplication des dispositifs
valuation, par exemple, que de les boycotter,
purement et simplement”?
Plusicurs tendances lourdes sont done & euvre
aujourd'hui au sein de l'istitution scolaire: une
séeréeation de plus en plus accusée, imposition
en son sein - aussi bien au niveau des éleves que
des enseignants d'un mode de gouvernement des
sujets par la multiplication des évaluations, tant
des enseignants que des éleves, et une tentative
imposer comme finalité principale institution
Ja constitution do sujets employables.
RDL N° 2 — NOV-DEC. 2011
Siles analyses de La NEC permettent de mesu-
ret Fampleur de ces tendances, elles témoignent
‘cependant leur propos d'un curieux aveuglement:
bien qu'eles soient sans aucun doute aujourd'hui
intensifiges, ees tendances ont toujours été présen-
tes dans Mécole,
Le néollbéralisme contre Pécole?
Les évolutions aetuelles mettent-lles vraiment aux
prises deux adversaires 'école d'un e8té et le néo
libéralisme de autre’? Nous pensons au contraire
qu’on ne peut pas comprendre grand-chose aux
volutions en cours sion ne reconnait pas qu'elles
se « composent » avec des traits inhérents a 'école,
4queelles s‘appuient sur des principes essentiels &
institution. Un certain nombre de traits qui défi-
nissent le néolibéralisme apparaissent méme
examen comme des transpositions de principes
propres ila logique scolaire
Lévole n'a pas attend le néolibéralisme pour tr
Je lien principal oi les petits hommes aequigrent
Jes habitudes. les disciplines qui leur permettront
de supporter sans regimber, et méme souvent d'
vestiret de désirer, les contraintes du salariat —
comme organisation du temps, la spécialsation
dans une tiche donnée, ou encore les relations
higrarchiques Si ces contrainte sont translormées
par le néolibéralisme, et requitrent un investi
‘ment psychique et done une sjétion sans doute
plus grands le fait que 'écle prenne sa part ce
processus a rien de nouveau. Or, pour es auteurs
de La NEC, cela nest manifestement pas pertinent
pour la comprehension de la situation actuelle
Dece point de vue «'éthique » des ensejgnanis
~contrairement ae que suggéte La NEC (p.261-
262) ~ n'a jamais été une chose simple, unifiée,
mais toujours un mélange de valeurs tendant &
Ja critique de ordre existant et de son injustice,
et de valeurs tendant au contraire & le eonsoider.
Dioi la circulation de tout un vocabulaire entre
Fentreprse et 'écoe, vee pour pivot Finetation
constante a « travailler davantage », mais aussi &
«linvestir »2 «se mobiliser » ou a « se ress
Sit » pour «tier profit d ses qualités » routes
exhortations qui, en désespoir de cause, se mucnt
fen un verdict 'dloignement: « 1a pas sa place
dei». Si ce vocabulaire n'a pas toujours &té
de Vinsttution scolaire lest remarquable qu'elle
Trait repris & son compte extrémement 161 - au
moins depuis les années 1980 ~ et sans quil y ait
ceubesoin pour cela d'exercer une pression sur les
enseignants— qui, faut le soubigner, ne sont pas
directement concernés (du moins les enseignants
titular) parle « management parla peur » (p-48)
qui touche ls salaris du priv
Lgcole a pas non plusatiend le néolibérabsme
pour tre ce liew ot es incividus sont constamment
évalugs et eases, higrareises les uns par rapport
sux autres, puis séparés les uns des autres sur
la base de ees évaluations Pour dire les choses &
PEUT-ON DEFENDRE L'ECOLE.
Liécole n'a pas attend fe
néolibéralisme pour étre le
Jieu principal ou les petits
hommes acquiérent les
habitudes, es alsciplines,
qui leur permettront de
supporter sans regimber, et
méme souvent dinvestir ot
de désirer, es contraintes
‘lu satariatgrands traits: il ne nous parait pas possible de lut-
ter— comme La NEC nous y enjoint a juste titre —
contre la multiplication actuelle, jusqua Pabsurde,
des Evaluations sans s'interroger sur la centralité
qu toujours eue dans institution scolaire T'évalua
tion, le classement et la hisrarchisation des éloves.
"Nous ne pensons pas quil soit possible de réfléchir
sérieusement aux effets des nouvelles modalités
1%]Apropos pe
arcu Resor The Sive Shp,
2295 §.Prates de tus es ays
Pats Lbertae, 2008, 288 5.
10 €: Lee Forats di la mar, Pe
Ubertae, 2010, 404 p. 20; ot
vee Petr Linebaugh, Lyre aur
Inife tes. Uristore caches oe
Tadantique reolstonrare, Par,
Amsterdam, 2009, 519 p, 27 €
Marcus Reser néen 195 &Onens
boro dans le Kentucky est Pofesseur
ddsingas soe Atomigus ST un
sere Plsburgh en Pemasyvanie
depuis syns apres avoir enclgne &
Putiverste de Gvorgetova 8 partir
de 198. Son demner ive, Ti Slave
Sige tama Hatery aparece 30
The Amistad Rebellion A SeStory
12 Savery and Freedom praia chet
Penguinen sor,
‘erature Langue du st sidle 8
Foniverais de Grenole yt membre
de PUMR LIRE (CNRS sor) Tha
Intoduction da bopoliuge ed la
tq de lncrosance (31), oth
trae, Streting tanaginaie de ge
‘he (2210), Lire anerpeten acai
Pourguot tes des taéaives (2007)
tins gue Avent des mane Exo
rome dea connainsonce ot calles
de imerpron? (La Decouverte,
ovo) Hest membe du collect de
diction de In tee Muli
22
MARCUS REDIKER:
L’HISTOIRE EN ACTIONS
PRESENTATION
Par YVES CITTON*
Lest aussi insatisfaisant de présenter Marcus
Recker comme un « historien » que de ne pas le
présenter comme un historien, $i est bien profes-
seur distingué d'histoire atlantique a Puniversité
de Pittsburgh en Pennsylvanie, ses engagements
{ntellectuels et politiques dans les lutes du présent
font de Iui un activiste qui ne resemble gure a
idee commune que Yon se fait d'un universitaire
penché sur Parchive du passé
Test depuis vingt ans une figure de prowe dans
les confits sociaux qui agitent localement la ville
de Pittsburgh, de méme qu'il intervient active
‘ment dans les débats politiques qui mobilisent la
gauche radicale américaine, Marcus Rediker est
un homme d'action politique. I ne s'est jamais
contenté de noircir du papier: depuis la guerre
du Vietnam ou les interventions américaines en
Amérique centrale jusqu'a la guerre en Irak ou les
lttesactuelles contre exploitation capitaliste ou
encore les desiructions environnementales, i est
constamment descendu dans la rue, conduisant les
‘manifestations organisant les meetings, exhortant
les foules avec un talent dorateur et une passion
uiemportent ceux qui Iécoutent, Cest au contact
des syndicalistes et des militants, des opprimés et
des combattants qu'il nourit sa réflexion, comme
Yillustre son fort engagement dans le mouvement
pour Fabolition de Ia peine de mort et contre la
condamnation de Mumia Abu-Jamal, quil es alle
Visiter régulitrement dans le couloir de la mort au
cours des années 1990, Contrairement & la plupart
dees coll2gues universitaires, Marcus Rediker n'a
pas profit des théories valorisant les micropolti-
ques moléculaires pour « penser le genre, la race et
Ia lasso » en termes de performativité épisodique,
\Cappels grandiloquents ou de signatures de péti
tions en ligne: c'est en passant ses soirées dans des
unions militantes et ses week-end dans des cars
cet des manifestations quil laboure obstingment le
terrain d'un travail d'organisation par le bas.
I1n'y a pourtant aucun clivage entre ses enga:
_goments politiques et le travail de recherche qui
a fait do lui 'un des historiens les plus respectés
de sa profession. Chacun de ses ouvrages s'est vu
écompensé par des traductions multiples (alle-
mand, coréen, espagnol, grec, italien, japonais,
russe, suédois, ture), des comptes rendus et des
prix prestigieux: éloges de E. P- Thompson ou de
Christopher Hill pour son premier livre, prix de
American Studies Association, de ' Organization
MARCUS REDIKER — PRESENTATION
of American Historians, de International Labor
History, de VAmerican Historical Association ow
George Washington Book Prize pour ses ouvrages
ultérieurs Si ses ives ont tant de force, c"est quis
vont chercher dans une meilleure connaissance du
passé de quoi mieux concevoiretorienter ls luttes
actuelles contre Fexploitation et injustice.
I décrit lui-méme la dynamique qui nourrit
simultanément ses recherches d’historien et son
travail Cactviste:« Le type d'histoire que étude
et que je rédige ~ qu'on Vappele «histoire popu
lair» histoire sociale» ou «histoire vue den bas»
~révele que les travailleurs et urs mouvements ont
té des forces actives et créatves dans ta fagon dont
Set fate histoire Je crois que nous avons Beau
coup a apprendre de ce type d'histoire, que nous
‘pouvons nous en inspirer, que nous powwvons nous
enservir dans nos efforts actuels pour construire un
venir plus juste et plus humain. Lhisioire vue d'en
bas nous aide d voir que les combats des peuples
= power la terre e travail, les droits et le pouvoir =
remontentddes époques lointanes qui se poursui-
vent dans le présentjusquaux luttesactultes'.»
Cest autour de !'Atlantique du xvur sigcle
ue ses différents ouvrages nous font découvrir
les racines es antiipations et parfos les mode.
les de lutte capables 'éclarer et d'inspirer notre
présent. Dans Les Forgats de la mer. Marins, mar-
hands et pirates dans te monde anglo-américain,
1700-1750 (publi en r087,traduit en francais en
2010), i explore ’économie, les rapports de force
tls tissus de socialité qui organisaient le monde
ottant du commerce transatlantique & Vaube de
Ja modernité. D8s 1700, quelque chose se trame
qui excéde et subvertit par avance le systeme
des Ftats-nations:les travailleurs de la
le sang et la sueur ont nourri la colonis
commeree intemnational, es rivalités entre gran-
des puissances constituaient une force de travail
multiethnique et pluilingue quia d0 inventer au
quotidien Ia eréolisation que nous pensons propre
notte globalisation.
Pirates de tous les pays ! (2004, trad. ft. 2008)
propose une histoire sociale et culturelle qui fait
apparaite la piraterie comme un lewd expérimen-
tation dans Viavention de nouveaux rapports& la
propriété. la classe, la nation et méme au genre
(avec un chapitre consaeré a deux femmes pirates).
Cotte socialité rebelle prend ici une complexité
sociopolitique et une richesse de dstails concrets
RDLN* 2 — Nov-DEC, 2011{qui font émerger tout son potentiel @insoumission
dle fagon bien plus réaliste et saisissante, Loin de
romantiser leur existence, "historien fait sentie Ia
radicalité de leurs revendications égalitaristes
ravers les violenees et les coniraintes mémes qui
pressurisaient leur existence.
Dans LHvdre aux mille tees. L'Histoire cachée
de 'Adlantique révolutionnaire, rédigé avec Peter
Linebaugh (2000, tad. fr. 2008), Marcus Rediker
tente de recomposer limage d'un prolétaiat r6v0-
Jutionnaite transnational antérieur au dévelopy
ment des Btats-nations et Vindustrialisation. Tout
au long des xv ot xvi silos, autour de Attn:
tique, on luttait,on revendiquait,on résistait de
partout: depuis les petites mains anonymes volant
du bois dans les foréts seigneuriales jusqu'aux
insureés essayant d'établir une commune urbaine
libre et égalitaie, le livre reconstitue méticuleu:
sement quelques moments de rébellion, discrets
(projets militants) ou spectaculaires (incendie
un centre-vlle), Louvrage décrit la fois cette
multitude de gestes collects se dressant contre
Yexpropriation et exploitation capitaliste, les
stralégies mises en place par les dominants pour
eraser dans Ievuf ces subjectivations rebelles et
Jes constantes réémergences de cette hydre prolé=
tarienne dont les tétes repoussent plus vite qu'on
ne peut les couper,
“Avec The Slave Ship:A Lluman History (2007),
Marcus Rediker reprend le dossier de la traite
esclavagiste transatlantique, mais pour peindre
«