Vous êtes sur la page 1sur 10
diversité « IN°176 a) LANGUES DES ELEVES, i LANGUEIS) | DE L'ECOLE u ENTRETIENS Use NOTION PLUS QUE PROBLEMATIOUE La notion de « maitrise de la langue est Gevenue depuis quelques décennies le comur, Vobjectif msjeur et permanent de PEducation nationale francaise a quoi tout doit concourir. fl n'est pas nécessaire de iter ici les innombrables instructions, pro- ‘gammes et auties documents offcicle qui ‘en font un usage intensif bien connu, la ‘fois comme objet et moyen d’enseignement- BTCA AL apprentissage, ainsi que comme critire par rapport auquel tout cispositif pédagogique est evalue. Ainsi, un rapport de V'inspec- tion générale de 'fducation nationale, para ricemment, sr les dispositife pédagegiques ie soel eek. anche Clete et Bp 113 tazpor nF 2013056, ccchte 2015, disponible su sr adocurrenationtancae HA Cetetesinspire pour pate deanice paratre 11s ces termes concepts seoatcenalspréistinent plus ta La « maitrise de la langue » confrontée aux pratiques sociolinguistiques Regard sociodidactique sur la face glottophobe d’une notion glottomaniaque’ perteneriaur (par exemple avec une radio associative, commele disposiuf exemptaire« Paroles d'écoles» pilot per Claude Nanchet-Richermeet Stéphanie Clerc Tou- Jon?,qui curieusementn’y est pas mentionné)s’intitule «= Léraluation dee retombéee des actions parterariales et innovantes sur lz maitrise de la langue? ». On note au passage la graphie encienne du mot maitise, symbo- lique dlun rapport conservateur i « la langue » et a nermes (dont la plus sacrée, Torthographe). On notera surtout limplicite quant & cette langue au singulier qui est imposée comme une évidence =i s'agitdu francais, ou plutét d'une certaine variété de francais scolaire & Jagualle le francais estréuit. Car cette notion ne peut fonctionner que dans Ie cadre unrapportidéologique a «la langue »: Cestune notion, restrictive et erronée, aberrante d'un point de nue socio- linguistique’seciodidactique qui la confronte aux pra tiques sociales, C’estune notion quirel've d'une eayarce glottomaniague, et done, glouophobe? : dune part, en effet, son usage sacralise une certaine vision, partisane, de «la langue » et en impose une pratique exclusive et ‘exclusnte, et, d’sutre part son usage produit, € légkime par consequent des discrimina- tions & prétexte lingnistique. Ft elle recéle Steatsceanpicge cote. Coecsaakeuse sone Be von P Perera cescrts Meroe Paanaus xoounsusmiues 8FSTvEs Loreque le francais a été largement diffuse comme langue parlée dans civerses perties diversité 17601" TRIMISTIE 2014139 de France et du monde (soit pourressentiel entree xix* et le xx" siéele, jes populations quiont adopté bon grémal gré Tent spon tanément adapté a leurs besoirs, habitudes, lurlinguismes, cultures et contexies. Hes se sont surtout appuyées sur des croise- ‘ments avec des langues qu’elles pariaient précédemment et qu’elles ont continué & parler paralllement (les études & ce sujet sont extrémement nombreuses; pour des synthices, voir Robillard, Beniamino, 1983, 3995; Collectif, 001; Bavoux et al., 2008) Le francais est ainsi devenu une langue cffectivernent « vivante », socialisée, done ‘variable et vane, alors qu'iln'était aupare- vant qu'une langue ¢’lite 4 usages princi- plement écrts,un genre de latin. Ani, les ‘pratiques sociales ne sontpas et ne peuvent pas étre celles d'un francais homogene et ‘unique supposé « comman » (notamment sous la forme d'une « norme standard ‘Comme pour toute langue. on rencontre sur- toutdes formes héxérogénes qui ont infin ment renouvelées selon différents axes (his~ torique, ghographique, soca] interactionnel, {naividuel, collec... et quivarientselon les figs, les cursus éducatifs les miliewx socio Economiques et politiques, les saxes, les ‘enjeax sociolinguistiques locaux et indivi- duels les biographies langagiéres... Au cours dese vie sociale, toutlocutear acquiert donc et developpe en permanence un ensemble de ressources linguistiques plurielles qui ‘constituent son ~ réperteie linguistique » Lacommuication linguistique des humains ‘ne fonetionne pas sur la base de la « mai tise d'une langue commune » identique ‘pour tous. La diversité et la variabuite des pratiques linguistiques ne sont pas en soi des obstacles ala communication, aux rela tions, au vivre ensemble. Elles constituent ‘au contraire une ressource d'une grande richesse et leur absence, ou absence de capacité a sen servir, constitue un obs- tacle i la communication et aux relations ‘umaines et sociales. 4047 IAMESTRE 2014 1 diversité 176 Drnon oe comrracesoseuneusrave Une compétence linguistique est done nécessaire- _ment une compétence socolmguistique (Blanchet, 2012) 8 interagir, & construire des relations avec autrui, & co-construire des significations contextualisées, en. ‘‘appuyant sur deux sous-savoir-faire clés 1a covariance (aptitude choisir daneson rSpertoire pha riel et tnterpréter des ressources linguistiques attenducs ‘parlesnermes socaleslocales en fonction ducontexte de ‘communication et, plus largement, de relation); = la covariation {aptitude a choisir dans son répertoire ‘pluie et & interpréter des ressources linguistiques ~y ‘compris inattendues et & contre normes en fonction lune strategie de communication dans un contexte précis et, plus largement, de elation). ‘Dans ce cadre, es signes nguistques ontun rélelimits plus situation est technicisée, plus les signaux ont ‘une fonction sémantique dans la construction de la, signification, moins le contexte a de fonction significa ‘tive plus la situation est technicisée, plus la langue est ‘technicisée, moins Vinterprétation est contextualisé2); plus ia situation est socilisée, moins les signaux ont une fonction sémantique dans la construction de la signification, pluele contexte a de fonction significative (plus ja situation est socialist, pluslalangueest socia- Tisée, plus 'interprétation est contextualisée}. Une compétence sociolinguictique nest donc pas réductible a une compétence éuroiternent linguistique Aiencoder et A décoder une série limitée de signes lin ‘guistiques (cons ou phonémes, mots ou morphémnes, phrases ou syatagmes, textes ou discours... selon la terminelogie usitée): laquelle ne permet aucune adap- tation & la diversité des contextes, dee interlocuteurs, des finalités de communication : elle ne fonctionne que pour des robots enfermés dans un seul et méme contexte, comme ces serveurs vocaux si agacants des plateformes téléphoniques ouces masques de saisie si rigides eur ordinateur... ou encore ces éléves uniformi- és, enferings dans des activités scolaizes Lssamaaammacue DES LANGUES STANDARDISEES Dans un cadre sociolinguistigue (Blanchet, 2012; Blanchet, Calvet, Robillard, 2007), 1étuce des pratiques stiques montre que le monde linguis-~ ‘n'est pas constitué de langues stables stant & des pratiques qui les feraient ;, mais d'un continuum de pratiques et mélangées, sans cesse inno- tes, 4 partir desquelles sont construites, ‘par abstraction et limitation, des langues. ‘Gelles-c} sont des catégorisetions avant tout “sociopolitiques (3 finalité principalement “communautaire, qu’onles appelle «nations », “setlinies » ov autres groupes sociaux) et ‘souvent, en continuation de cette premitre ‘eatégorigation, des construction¢ techno- linguistiques homogénéicantes, marginsles ‘par mpport aux usages cffectife,« inventées ‘par des grammairiens et autres linguistes », pour reprendre une formulation de Di¢ier dde Robillard (7008) et le titre frappant dun ‘ouvrage de Louis-Jean Calvet (2004). Les formes retenues lors de I’élaboration de ces ormes artficilles (ou «fictives » -Balibar, 4985) sont arbitraires en elles-mémes, elles, pe sont jamais ni meilleures ni supérieures d'autres) et socialement discriminantes ‘on retient, pour cultiver une distinction, les formes les plus rares et les pius Sloignées des ‘usages populaires!majontaires,quittea chor ‘sr des emprunts & d'autres langues réputées _Prestigieuses et, s possible, gnorées du com mun des mortels, comme Ie latin ou le grec ancien dans le cas du francais standard. Quis QUE « LA MAITAISE DE LA LANGUE » ? Diapras le Trésor de la langue francaise, 12 notion de maitrise a une sémantique de domination, de contréle, de supériorité Or, une langue ne se « maitrise » pas: elle est infinie, sans limites claires, infiniment variée et renouvelée, et aucun humain ne peut sel'approprier dans se totaité puisque ‘cette tctalité n'existe tout simplement pas. De plus, une langue n’est pes un animal 115 treet int Hore cous un aute art es enselgnant-es, sauvage qu'on dominerat pour le domestiquer (conno- tation de « maitriser », oi Yon voit percerla glotiophobie contre les pratiques spontanées, populaires, vives, créatives) La seule facon de rendre une langue * mai- trisable, est de la réduire arsifidellementa une petite pantie, crconscrite et sélective, de ses formes et de ses lasages — en Toccumrence pour le frangais, & un fran~ cafs standardlsé, scolaire, normalisé. Réduite & n'éte quiun code limité, décontextualisé, désocialisé, asep. tisé, déshumanisé, mathématiag, dissocié du reste dee resvources linguistiquee, stomisé en éléments.otriglos grammaticaux supposée constitutife de ce code, une langue devient maitrisable, comme 'est un ensemble de tables de multiplication, a'équstions et dorgani- ations géométriques. Pour reprenére une distinction de Bergson (1959; 1969), on transforme l'ordre vital (améprisé comme « désordre > intial) en un ordre géo- meétrique (survalorisé comme élaboration ratiomnelle). Cette « réduction » engendre un appauvrissement de la langue, un amoindrissement des pratiques, des res- sources et des potentiels inguistiques, une diminution, des compétences sociclinguistiques des apprenants. Pavicun CETTE REDUCTION ARTIFICIELLE? Le frangais fait Yobjet d'une idéclogie linguistique pazmnilesplus puissantes au monde quia &é largement étudiée (Calvet, 1974; Certeau et ol, 1975; Trimaille, Eley, 2013; Wionet, 2015; Bulot, Combes, 2012; Blanchet, 2012),y compris dane 20a effets profonde de diserimina, tion et d’instcurisetion eocisles (Reurdiou, 1982, 2001) ‘ct,notamment,scolaires (Blanchet, 1996; Fradentetal., 2005; Bestucci, 2013) Catte idéologie linguistique 2 répandu une croyance en une légitimité intrinséque d'une norme linguis- tique -en fait de plusieurs, car elles sont loves’, dites « francais standard, légitime, commun, soigné, cor- rect, dassique, littéraie, soutenu, scolaire, etc. » ~ qui serait en elle-méme, et dans Vabsolu, meilleure cue Tes autres formes linguistiques. On ne pergoit pas ces formes normatives comme des formes parmi d'autres, arbitrairement sélectionnées et adaptées seulement a certains contextes, résultant de choix politiques de hieraichisation, d'inegalite et de sélection sociales. Les projections identitaires sur les langues ont 6 efficacement instumentalisées lors dela création des frats-nations qui ont souvent, iversité 176 12 81MESTAE 2014 142 comme en France, érigS lalangue (une seule langue sous une seule variété normative) fen totem sacré de communion patriouque, cen « religion d’Etat » (Cerquiglini, 2003, Encrevé, 2005), en « fétiche » (Boltanski, Bourdieu, 1975); elles ont été complétées par ‘un tabou des autres pratiques linguistiques, ainsi minorées (notamment « populaires, rurales, locales,régionales, métissées,immi- ‘grées »), Signes de cette idéologie toujours actuate : la France a rendu le plus haut hommagenational, en transférantses restos ‘au Panthéon. en 1988, i Yauteur éu Rapport sur la Nécessité et les Moyens d’anéantir les Patois ct d'universaliser 'Usage de la Langue Francaise (1794), dans lequel les créoles des esclaves - dont il défendait parallélement lalliberté ~sont qualifiés é'«idiome pauvre [J quine connaft que Vinfiniif-,etdeutres langues régionales de « jargons lourds et lgrossiers ». Is'agit de 'abbe Grégoire. Cest lun fervent partisan de Ia colonisation et du « devoir de civilisation des races supé- seures sur les races inférieures » (discours du 28 juillet 1895), Jules Ferry, quia mis en place entre 1882 et 1886 une école obligatoire ct gratuite dans le meme bat Dans ce cadre, le francais est percu comme I langue de la France, voire sa propriété, symbole de son unieé, Mest pereu ct ensei gné comme une langue unifige, homo. gene, immuable dans Ie temps, Pespace, Ja societe, les usages, et done exempte de variation, de mélanges, de diversité®. Cette langue supérieure serait capable d’expeimer cortaines choses de Teoprit et de le culti- ver mieux que d'autres langues, Des lors, cre monolingue en francais écrit, selon une unique norme grammaticale, lexicale et ortho- graphique serait normal, voire sowhaitable, et est 3 Yécole que « la Nation » confie la mission c'inculquer cette norme dis le plus jeune Age, non pas en com- piément mais en remplacement des autres ressources linguistiques qu'elle est chargée ¢"éradiquer. Toute remise en question est percue comme un sacrilége, toute « déviation » par rapport & cette norme unique supposée est considérée comme une « faute » (voire tun «péché »), ce qui alimente mm discours alarmiete Permanent, quirenforceIui-méme encore acrispation eur cotte vision de le langue, Uadisésion quasi unanimea cette iéologie et Pincapa- {ite de prendre conscience de ses aspects éthiquement choguants (en tout cas pour celles et ceux — dont de. ombreuxenseignant-e-s~quiontune éthiquehuma- niste) sont explicables par le fait quielle est devenue égémonique. Li HESEMONIE DUNE DEOLOGIE LNGUISTIOUE Une hégémonie (Gramsci, 2007; Marcellesi, Bulo: Blanchet, 2003) est une domination dont sont impr gnés les fonctonnements sociaux dits « normaux > et qui n'est pas percue comme une domination car les acteurs sociaux ont été convaincus (notamment par Véeole) que « c'est pour leur bien + et/ou que «ga ne peut pas étre autrement ». fs acceptent, s'approprient et reproduisent ce qu’ils croient étre des évidences indiscatables, mime ceux qui peuvent, d'un point de vue différent, en étre considérés comme des victimes. On percoit ainsi comme « légitime ~ un « ordre des choses » présenté comme «naturel » ou « supérieur », donton masque les inégalités etles mjustices pour leur Supposer autres causes (par exemple une inézalité «naturelle » ou un » échec individuel »). Une idéolagie peut facilement devenir hégémonique puisque c'est un systime clos d'idées a priori tendant répondre & tout, qui appelle une convic- 15 ui rappeleqne cot iolagie inguctquccat cle de tera 87 talc qui tak au dépan une neualté est devenue ‘ue ewan des marques et ppartenances elie, ‘tdoncculareles wate nguissques, 11 Adee is notion core sine de rien +4 «egies + Aelargur eat Taccnsion de ramos Voge bs aes Standhrd: «Lor des changes ain, ranepsertut dosed spantané des reiszes fami apitique ou basen éacnce agparenantau tangas siandavd » Decunentsacconpagnement es proparanes du pamae de 2008 consuisbes en Hpeah 42.11 IHIMESINE 2014 1 diversité 276 toncoltective totale. Uneidéologie est donc ‘une croyance qui filtre et organise une cor- taine perception‘interprétation des vécus et des idées pour empéchor ou éearter toute contradiction, Sle veléve d'un processus de secralisation (at sens religieux du terme) ui établit une conviction de type religieux tune croyance, donc, avec ses totems et ses tabous,ses dogmes et eesinterdits, qu'on ne ‘peut que respecter Pour établr 'hégemonie de cette idéclogie (ox pour la contester), i faut des leviers de pouvoir eur les principaux réseanx de pro- Auction, de diffusion et de validation dee ‘connaissances et des discours : école, reli- gion, médias législation, lew é’expressions ‘culturelles, positions socio-économiques favorisées, fenctionereligiauses...Vécole est ‘Yun de ces leviers par leequele lesidéologies sont transmises,inculquées,légitlmées,hegé- rmonisées. école est conc éoublement un eu de reproduction de lidéologie ingustique, 2 lafoie parce que cette idéologie est hégimo- ‘nique dans Tensemble du corps social dont ecole), et parce que Técole est un instru- ‘ment de maintien des hégémonies en géné- ral, Les débats politiques autour de ses mis sions et de 202 programmes sont ailleurs récurrents, au moins sur certains points ol ‘une idéologie peut étrepartiellement contes tée, quand ellen’est pas hégémonique. Ds ‘CONCEPTS POUR ANALYSER ET COMPRENORE Le terme glottophobie, qui est préférable & discriminations linguistiques, précente Vinté- rét de réinsérer ces discriminations dans Vensemble des discriminations portant sur des personnes au lieu de les restreindre & des discriminations portant sur des lan- gues. La glottophobie entre visblement dans Ia série des altgiophobies (Jiscriminations ‘négatives de personnes en fonction de leur altérité - dite aussi « différence ), telles que Thomophobie (focalisée sur des aspects sexuela), le xinaphobie (Fecalieée eur des aspects identicalres ec culuurels et souvent comrélée& la glottophobie), la judéophobie (ou antisémitisme) et Tislamophobie (focalisées ‘eur des aepects religien]. Ce faisant. on restitue aux discriminations linguistiques ‘toute leur dimension et leur gravité sociales et politiques, ainsi que leur conerétisation ‘humaine, et plus seulement linguistiques. Je définie 1a glotophobie comme « le mépris, la haine, Vagiession et donc globalement le ejet, exclusion, de personres, discrimination négatve effectivernent ou pré- ‘tencument ondée surle fait de considéserincomectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques (perjues comme deslangues, des dialectes on des usages de langues) usitées par ces pertonnes, en général en ‘localisant sur les formes linguistiques (et sens toujours avoir pleinement conscience de I'ampleur des effets produits sur les personnes) » Blanchet, 2010, 2023) Discriminer signite « établir une différence ». Tout pro- cessusde minoration implique un processus simultant, paralléle, complémentaire, de majoration : quelque chose devient percu comme inférieur @ autre chose (et réciproquement pour la majoration).Ainsi, 1a glotto- phobie implique une glottophile ('attachement tra fort a une et parfois plusieurs vartétés linguistiques) qui conduit souvent & une véritable glotiomanie (la sur- valorisation, woite la sacralisation, d'une ou plusieurs, vvariété(e|linguictique(6), langues distinctes ou facon, de parler une langue pat rapport & dautres) Et inver~ ssement, toute glettomanie impiique une glo:tophobie 8 chaque fois qu'on survalorise, qu'on révére unelangue ‘outune facon de parler, on en dévalorise d'autres, méme implicitement. Lee discours feéquents cur lee qualitée supérieures de la langue francaise réduite & sa norme standard (sapposée re « claire »,« elegante »,« de 1a persée »,« universelle ») sent des exemples forts dune glottophilie qui dérive en glottomanie, dont l'autre face est une glottophobie contre d’autree langues ou. ‘variétés d'une langue, supposées inférieures parce que considézées comme moirs claires, moins élegantes, moins & méme d’esprimer une pensée et des discours “univereele [ce qui n'a aucun fondement). Thégémonie des idéclogies linguictiques glottophobee ests pulssammentinstallée en France queles pratiques linguistiques constituent un cas quasi unique oucerejet nest pas compris comme une altérophobie & rencontre de personnes msis comme une sorte d'évalation « pure ment» linguistique, voizecbjective et incontestable. Corormunons DES DISCRIMINATIONS LINGUISTIOUES 1a loi frangaise, qui xéprime la discrimination en tant. que grave aehit, la définit de cette facon : « Consti- tue une discrimination toute distinction opérée entre diveroité 176.12" THIMISTRE 1814 1.43 les personnes physiquer a raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de amnile,delear grossesse, deleur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs carac- téristiques génétiques, de leurs meoure, de leur orientation sexuelle, de leur age, de leurs opinions poiitiques, de leurs actwvites syndicales, de leur appartenance ou de leur nnon-appartenance. vraie ou supposée, i une othnie, une nation, une race ou une religion Aécerminge® » Laou les langues et autres variétés linguis- tiques utilisées (de fagon « wraie ou suppo- ‘S60 ») n'apparaiscent pae dane cette loi de 2002, qui 2 poustant été complétée en 2006 par de nouveaux « motifs » de discrimina- tion. Mais les discriminations linguistiques et culturelles sont prohibées par plusieurs texte: internationaur, et nosamment euro péens, que la France a ratifiés et qui ont donc force de loi en France, entre autres article 26du Pacte international relatif aux Aroits civil ec politiques adopré (ONU, 1966; ratifié par la France en 1980), les articies 2 28 de la Convention relative aux Droits del’enfant(ONU, 1989; ratifée parla France on 1936), Particle 14 de la Convention euro- péenne des Droits de Irhomme et dee iber- és fondamentales (Conseil de I'Turope, 1950; ratif¢e par la France en 1974) et les articles 21 ot 22 dela Charte européenne des Droits fondamentaux (Union européenne, 2000, davenuo contraignante en 007), que Je cite tite d'exempleparce qu'ls sont les plus sécens 2. Est interdite, toute discrimination fondée ‘notammant cur le cae, face la couleur, as originesethniques ou sociales, es caractérs- tiques génetiques, la langue, taeligon cules convictions, les opinions politiques ou toute 10 te motiene scien un aca qu empicne ote te rare dans une situation donnée en Peccurencr ex os ‘Bakoun, 199) 4407" TRIUESTRE 1014 1 diversité 276 autre epinion, Iappartenances une minorité nationale a ‘ortune, la nalssance, un handicap, age ou orientation sexuelle 22:L'Union respecte la dversitéculturlle, religicuse et linguistique. Bien évidemment, la France ne respecte pas ses textes. ly 2 pourtant la @ le fois matiére etmoyen A mettre en place une protection juridique eficace contre a glotto- hobieque met en ceuvrela glottomanie dela « maitrise de Ie langue standacd «. Li « MAITRISE DE LA LANGUE » : UNE ABERRATION De nombreux travaux ont étudié les effets négatifs de absence de prise en compte, voire du rejet explicite, des pratiques linguistiques des éléves, qu’elles soient ercues comme des variantes non standard - voire « fautives »~ dela langue de scolar ‘comme des languesou~non-langues - distinetes de la langue de scolarisation. Ils ontmontre que cette exclu- sion produit de «1'échec scolaire » (Lehire, 1993, 1998, 2008; Moro, 2002; Bautier, 2091, 2005, 2007: Bautier, Rayon, 2009;Tupin etal, 2008; Candelier eral, 2008).Ct Schec est surtout celui delle, incapable d'accomplir sa mission par aveuglement idéologicue. len résulte non seulement de lincomprénension mutuelle réelle (ou feinte, de la part des enseignant-e-s) entre appre: nantes et enceignant-e-e, mais aussi de Finoéeurité linguistique chez les éleves dont les productions lan: ‘gagleres sont stigmatisees, avec son comollaire conn humiliation (Merle, 2005), de perte d'estime de soi, de mutisme électif®, de désinvestissement, voire de sentiment dinjustice, @indignation et de révolte (dont cette fameuse « violence verbale » des élaves, ou pergue comme telleparles enseignant-e-s,quiest souvent une réponse Ala violence symbolique, culturelle et verbale, ue Tinsticution scolaire et ses représentants exercant souvent contre les éléves, notamment ceux qui sont vangers aug normes standards domainantes deVécole voir Wionet, a paraitre; Mabilon-Boniils, 2913; Auger, Romain, 2010). Ces mimes travause proposent da fagon écurrente uncintégration effective des pra ‘ques linguistiques des éleves dans les dis pposttifs didactiques et les pratiques pédago- giques.On yt en lumiére lécart énorme, tion ou bien [et discriminant, entre ce que’école des langues/par ses langues et la in dont les pratiques sociolinguistiques yanent et font sens hors de 'école. ‘langue standard apparait alors comme ‘variation parmi d'autres, un ensemble nes socialement légitimées plus ou précisément définies et usitées, et -prétendues « fautes » ou « mauvaises ss » Ou « non-langues » qui servent & Ta norme par défaut sont des formes lement stigmatisées par et pour une ainsi qu’ont été développés, évalués et dés des dispositifs dénommés pédagogie inguistique (Clerc, 2008, 2011) ou trans stique (Garcia, 2012), souvent regroupés usles approckes plurelles (Candelier, 2007), transposition (socio) didactiquede la pluralité tique (Dabéne, 1994; Dreyfus, Prieur, 2; Feussi etal, 2010; Kara, Kebbas, Daff, 3). Ces travaux s'inscrivent justement un passage de la notion de « maitrise a Tangue (standard) » & celle de « com- tence pluriliague » (Coste, Moore, Zarate, 7) et en continuation des travaux plus nciens de I'école de Rouen (Marcellesi, omian, Treignier, 1985) qui proposaient didactique plurinormaliste (de la varia- jn) plutdt que simplement plurinormative es variétés) et que, pire, mononormative 1e norme unique). Un exemple concret cce type d’approche didactique a été mis n ruvre et étudié par Claude Manchet- ticherme (2013). es analyses et les propositions en ce sens ont donc déjabien établies mais se heurtent obstacles idéologiques présentés dessus. PHILIPPE BLANCHET Lantos PEs 2, ners Rees 2 ex USOP A Fer Bea, wen i sinitn » Pratés nse cute ee eee eae RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES 1 (Collectif), 2001, Diversité culture et inguisique:queles normes pour lefancais?, Colloque, Beyrouth, Université Saint-Esprit de Kaslik. Actes enligne : wwwsdl auf org/ IMoypat/eey260901 pdr 1 AUGER N, ROMAIN C. (2010), « Malentendus inter ccultureis et pratiques et tensions didactiques dans Yen- seignement-apprentissage du francais langue premiére ct langue autre », in BLANCHET Ph., COSTE D. (dr) Regards critiques Sur la nation a’e intercultural ». Pour une didactique de a purait ingustique et culture, Paris, UHarmattan, p. 97-114 | BALIBAR R. (:985), Institution du francais. Essa sur le colinguisme des Carolingiens la République, Paris, PUT 1 BAUTIER E. (£001), « Pratiques langagiézes et scolar sation >, Revue faigaise de pédagogie, 8° 127. p, 127-161 1 BAUTIER £, (2005), « Les élaves de milieux populaires cet leurs pratiques langagiéres face aux évidences et fexigences de V'école », in BERTUCCI M.-M., HOUDART- MEROT V. (dir), Situations de banlieues. Enseignement, langues cultures yon, INRP. 1 BAUTIER E. (2007), « Langue et discours : tension, ambiguité de Vécole envers les milieux populaires», Le ‘frangais aujourd'hui, n° 156, p. 57-66 1 BAUTIER &,, 2 RAYOU (2008), Les négalités d’apprents sage. Programs, pratiques et malentendus scoaies, Paris, PUF (2"éd. revue et augmentée 2013) 1 BERGSON H. (1959 [1907], UEvolucn créatrie, Paris, PUR 1 BERGSON H,(1969 (1923-1943), La Pensée et le Mouvant, Paris, PUE 1 BERTUCCI MM, (dr), (2013),Glottopol, Revue de socio: Jinguistique en ligne, n” 21 Leux de ségregatin sociale et urbaine: tensions linguistiques et didactiques?, Dysola/ Université de Rouen, Disponible sur http://glottopol. ‘univ-rouen fr/numero_21 html 1 BERTUCCIM-M.,Corbin C (2004), Que francais aol? Les programmes de francais face ala diversitélingustique, Paris, CHarmattan, 1 BLANCHET Ph (1996), «Le métalangage des variations de langue en FEM, ou quand lécole inculque Yexclu- sion...» Les Mtalangages dans a classe de fanguis, Actes du 6 colloque international de didactique du francais Jangue maternelle, Lyon, DELM, p. 47-48 1 BLANCHET Ph. (2007), « Légtimer la pluralitélinguis- tique? Pour une didactique socialement impliquée », LAMBERT P, MILLET A, RISPAIL M., TRIMAILLE C. (dr), Variations acu et aux marge dela sociolnguistigue, Pari, UMarmattan, p. 207-214 1 BLANCHET Fh. (2010), « Fost-face en forme de coup de gueule: pour une didactique ce I'hétérogénéitélinguis {que-contrelidéologie de enseignement normatifetses iversité 1761 1° IHIMESTRE 1018 1.45 discriminations glottephobes » in FEUSSIV, EYQUEM-LEBON Mf,, MOUSSIROU-MOU. ‘YAMA A. BLANCHET Ph, (dt), Cahiers defn guittquesn’ 35/2: Heeeogéndice socoinguistique & aactgue du francais. Cenzetesfrancapkones pluriinguee, Fernelment (Belgique), Editions rmodulaires européenmes (EME). 165-183. DLANCHET Ph. (2012, 7 6d, revue et aug ‘mentée) La Lingustique d terrin. Mithode et *héorie. Une approche etheosocioinguistgue de la complecie, Hennes, Presses universiteires de Rennes, ILBLANCHET Ph. (2013), « Standardisation Linguistique, glotiophobie e: prise de pow vor» in RISPAIL M- (Gir), Cahiers de ingui ‘ique,n*29/1- Langues et Powys, Fernelmont (Gelgigue). Editions modulaires européonnas (EME), p. 95-108, HBLANCH®T Ph, CALVET LJ. ROBILLARD , DE (2007), Camets datelier de socilinaus- fique.* 1. Un sdleaprs le Cours de Saussure. ta linguistique en question, Pais, CHarmatan, | BOLTANSK! L., BOURDIEU P. (1975), « 1e ‘éschisme dela langue », Actes de a recherche ‘enstinees sociales, vel. 1, n° 4,9. 2.22 1 BOURDIEU P (2982), Ce que parler veut dine, économie des changes linguistiques, Paris, Fayard. 1 BOURDIEU, (2001), Langage et pownir syn. Inligue, Pars, Seu. A BULDT Ta, CONBES N. (dic), (2012), Dis criminations, demités, ait, langues, Paris, [Harmattan, HCALVET Ll (1974, demiére éd. 2002). Lin guibique ee obnialima. Pet: trait de glettopha- be, Pals, Payor | CALVET L+. (2004), Essais de tingudstione ‘a langue est-elle ane vention des linguistes?, Paris, lon, HCALVET Lf (2010), Histoire du frangais en -Affigue: Une langue en copropnete?. Pars, 1F/ Eeviture | CANDELIER M. (dir). (2007), Cadre de rif ‘ence pour les approcies plurilis des langues & des cultures, Strasboure/Graz, Conseil de Veurope/Ceatre eurepéen pour leo langues vivantes, Disponible gu http//cerap ecm. atl 1 CANDELIERM et alr). (2008), Conscience x planingutsme. Patiqus, rprésentations et Interventions, Rennes, Presses imiversitaires deRennes, HCERQUIGLINT. (2002), Le francais, reli gon Etat? », Le Monde, 26 novembre 2003 511" TRIMISTIE 2014 diversité 176 1 CERTEAUM, ha D, REVEL 475, dernere 6d. 2000, LUnepoitauedelahrgue La Receton rangi les pao, Pris Callimare UCLERC 5. (008), « tes Langues cultures. Pour des approckesinteringuistiques des langues des eves ‘ouellrrent arisen framce. vee, 953 Le Prndpe dhooptaté» 71476 NCLERCS. QOL), Vers ne datiqu dela pluie ubtaue Synthese 4D, Universite de Proverce A CLERC S, MANCHET-RICHERME C.(aparatte), «La recherche actin-formaten ine ctratape glotcpoll figue en terain scolaire», in COLONNA R (lr) Aces au Colle du Reseefancophone de sings de Cane (015) 1 COSTED, MOORED, ZARATE C1907) Compéince pe ing e plrcultwele, Sesbourg consel de Europe 1S CABENEL (1999, Reperes socotrgustues pour ese aerent des angus, Hachette, Paris 4 DAHOUN 2. 0995) Les Cnuews diene temutime des enfants de migrants, Faris, Calman. Lévy, | DREYFUS M. PRIEUR J-M. (ir), (2012), Hérogenié €t barction. Peapectives ailngustiques, dali ee ativopina ques, Pas. Houdiaré ete 1 ENCREYE (2079, Les doislingustquesde homme ot du ctoyen », conférence 3 TEHESS Dopenible sur ‘wonlangoes de france cxpencreve ta. 1 FTUSSTV,EYQUEMAIEDONNL, MoUSSROU.MOUYANA ‘A BLANCHET Fh (ri, 2010). Cale de ngustque 1138/2 : Hetiraeéustesocilingustique et didctigue de Jancis. Contents francophones planimgues,Fere ont (Belgique), Editions moctinies européenne (MD). 1 GARCIA 0 (0012), « Theorizing Transianguaging for Sducetors «in CELIC G, SULTZER K, Nansanguaging, ACUNYANYSIE Gude or Entre py -6 4 GRAMS! A (2007 [979, 1988), Quadern de carer. a cura dV Gerrstan, 4a Torin, nau 1 GRANDGUILLAUNE G, [953], Amiisarion et yatique lngulstique tu Maghreb Pais, Maizonneare cs Lacse UIARA AY, KEEBAS M. DAFF M(x), (013), Cahiers de ngustiade, n° 3972: Dyramiauespiartigues rs astionsrotiques et iach, Famelinont (elgg), alors medalares euopeennes (EME, 1 LABIRE 8 (1993, 262.200), calue forte etndzaltés Severs Socagie des ees Solar » Teele prima tym, PUL HLAHIRE®8 (1889, > 4.2008, Linwenton de itetriome Rhétorigue publique, ethigae et stigmates, Pars, a Decourere 1 LABIRE 8 (2008), a Raton sole Esl et patgues erture, rte saver youn, Rennes, esses aniver Sitaies de Reanes | MASON DONTILSB (C13) «La violence seoaize ax prisme des discours socir” scours de vclence et violence du discours -, in FRACCHIOLLA 8, ROMAIN CH., MOISE CL., AUGER N. (€ir) {2013}, Violoncee verbal. Analyses, enous et perspectves, Rennes, tosses universitaces de Rennes, p. 105-122 | -MANCHET-RICHERME Cl. (2013), Une approche sovelinguntique de Verel& eek pri imate le eispestif radophoriqu Furled eos, Mémoire de master de Didactique du fran: cais langue etrangere ou seconde, sous le direction de Stéphanie Clee Saint-Etienne. Université fean-Monnet. 1 MARCELLESI Ch, ROMIAN IL, TREIGNIER J. (2985), « Quelques concepts et notions ope: tatoires pour une pédagegie de [a variation Tengagiere », Reperes, nv 7 : «Tis parlent utrement” Sour tne pédagogie de la varia tion langagiere »,p. 23-31 {| MARCILLES! J-2, BULOT Tet BLANCHET Ph. (2003), Socolauisique épstemolage, lan ‘gus rxinale, pay. Textoschoss de ean Baptiste Merceles precedes dun enetien, aris, THarmactar. MERLE F. (2008), eve humilis, Lécole, un espace denorcdrit?, Pars, PUP, MORO M. R. (2002), Enfants d'ici venus allews Wate et grandiren France, Pati, La Découverte (64, Priel en 2012), 1 PRUDENT I. F, TUFIN F. WHARTON S. (diz), (2005) ‘bu plurtinguisme @ Ueco. Vers une gestion coordomnée des languasen contexts Stucaifs sensible, Bem, Peter Lang, PRISPAIL M. BLANCHET Fh, (2021), « Principes trans: versaux pou une eociodidactique dite "de terrain” » in BLANCHET Ph, CHARDENET P. (dir), Guide pour la recherche on didactique des langues des citures.Approches Contextualisees, Montréal/Pars, agence universiteixe de Is fencophenialEaisions des Archives contemporaines, 659. I ROSILLARD D DE (2008), Perspetives eltvinguitives, Paris, [Harmattan (2 vo. 1 ROBILLARD DDE, BENIAMINO M, (air, (1993, 1995, rouy &d. 20:0), Leffangaie dans espace rarcopnone, Paris, Champion @¥04), 1B ROMIAN H, (€it), (1989), Didectique du jrongais «t reckeche-action,'yon, INRP |UTRIMAILLE C. ELOY JM (ix), (2013), Camets dateter de scielingatique, n° G Ideologies Inguétiques et dicrimi- rations, Pars, UHarmattan, WAONET C, (2071), « La langue commune : questions Critiques =, in BRANCA-ROSOFF S,, FOURNIER 1-M “GRINSHPUN Y, REGENT-SUSINI A. (Gir) Langue commune et changements de normes, Pars. Champion p. 135-185. | WIONET C. @ pareitre), « Violence verbale, violence pour qui?+,Coloque = La peurdee mote: mots censurés ft autoconsanés», Brest, 29-20 avnl 2010, diveraité 276.1" ITIUES/HE 210 147

Vous aimerez peut-être aussi