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Entre les précurseurs, les partisans ou collaborateurs et ler adversaires de l'astrologie en Grace, il n'y a aucune solution de continuité : on ne saurait distinguer dans V’histoire de la doctrine des périodes successives de formation, de lutte, de triomphe. Les théories astrologiques restdrent toujours objet de discussion, «t c'est par la discussion méme qu’elles ont été sollicitées & dlargir leurs principes, combler leurs lacunes, & remanier les raison— nements on les pratiques qui prétaient aux objections, On n'est pas étonné d’apprendre que les astronomes, ceux qui étaient A mméme d’appricier la valeur scientifique des dogmes chaldéens, 80 sont tenus sur le pied d’hostilit4 avec des concurrents qui préten- daient réduire J’astronomie au rdle de servante de Vastrologie et Ja consigner & la porte du laboratoire ot les nombres et les figures fournies par l’observation se transformaient en oracles infaillibles, en décrets du Destin. Cicéron cite Eudoxe, Anchialus, Cassandre ot Scylax. d’Halicarnasse parmi ceux qui faisnient fi des prédic- tions astrologiques*. Hipparque, au dire de Pline, croyait ferme- ment & la « parenté des astres aves l'homme, et que nos mes « sont une partie du ciel* »; mais cette foi, qui pouvait l'amener peut-btte.b prondre gon catalogue d'étoiles fixes pour une lista a8 divinisées, l'éloignait plutdt de Vastrologie considérée comme moyen de divination. Il tenait sans doute pour infranchis- sablela ligne de démarcation tracée par Aristote entre l'agitation du monde sublunaire et la paix divine des sphéres supérieures. obama Paeye orn re euien oaage ening pace prochainement, !' Astrologie greoque. L’auteur a supprimé et réserve pour ru Go ironed pace ent Hest, oa borat en fait de référonees, & Vindlspensable, N. D. Le * & Gle. Dioia. 1, 42, 3. Pin, Hist, Nat. 1, 298.” 2 A. BOUCHHLRCLERCQ. Dans les écoles philosophiques, Iastrologie avait rencontré, partout ailleurs que chez les Stoic‘ens, un accueil assez dédai~ gneux. Les Mpicuriens I’écartaiont par une fin de non-recevoir pure et simple; les Péripatéticions avaient divisé la science de Ja Nature en une série de compartiments autonomes soustraits & la tyrannie des nombres pythagoriciens, aux exigences de I'har- monie et de Ja solidarité universelles, postulats indispensables de Y'astrologie & prétentions scientifiques; la nonvelle Académie, répudiant en bloc tout le mysticisme pythagoricien dont s’amu~ sait la fantaisie de Platon, n’avait gardé de I’héritage du maitre que le gotit de ’éristiqueet criblait d’ objections toutes les doctrines, connues ou possibles, qui donnaient leurs conclusions comme cer- taines, d plus forte raison comme infaillibles. L’astrologie aurait &t6 éliminge du monde od Yon raisonne et réduite & Ja clientdle des Ames simples, d’ailleurs incapables de la comprendre, si elle n’avait rencontré dans les Stoiciens des alliés et des collaborateurs infatigables, rompus & toutes les finesses de la dialectique, qui avaient lié leur cause & 1a sienne et l’approvisionnaient au fur et & mesure d’argumenia, de réponses, de distinctions, d’échap- patoires. Cette alliance s’était conclue dés Vorigine, au moment ob Bérose importait en Gréce les dogmes chaldéens et of Zénon fondait I’école du Portique. Depuis lors, les Stoiciens, dogma- tiques par nature et attachés & leur orthodoxie particuliére, ne voulaient ni ne pouvaient renier l'astrologie systamatisée, qui était faite en grande partie de leurs doctrines. Panétius seul se sépara sur ce point de ses mattres et de ses disciples‘. D'autres, reculant devant un schisme, cherchaient des transactions. Dio- gone de Séleucie sur le Tigre, dit «le Babylonien >, disciple de Chrysippe, réduisait l'astrologie au réle de la physiognomonie, c’est-b-dire & discerner les aptitudes naturelles de chacun*. Evi- demment, Diogdne avait été intimidé et Panétius convaincu par Jes arguments du redoutable Carntade, qui n’avait pas son pareil pour démolir les systémes les mieux construits. Mais Posidonius, Thomme au savoir encyclopédique, était venu arréter le stoicisme aur li peate des concessions; il avait revisé tout l'ensemble des théories astrologiques, consolidant les parties ébranlées, comblant 4. Ole. Divin. 11, 42. 2 Civ. Divin, If, 43, Son compatrlote et contemporain, le « Chaldéen » Séleu- cus, astronome, physicien et gogtaphe, avait tout a fait rompa aves l'astro~ logie. Cf. £. Ruge, Der Chaldaer Seleukos. Dresden, 1865, L'ASTROLOGIE DANS LE MONDE BOMATN. 3 Jes lacunes, trouvant pour relier entre elles les assertions lés plus - - disparates des associations d’idées & longue portée, qu'il était dif- ficile de réfuter par l’analyse et qui ddconcertaient les adversaires aussi sirement ou mieux que des raisons en forme. C’est lui peut- &tre qui a construit ou achevé la forteresse astrologique autour de laquelle s'est usé, des sidcles durant, l’affort des sceptiques, des moralistes invoquant le libre arbitre, des théologiens luttant pour leur foi, tous inhabiles & déméler le sophisme dans les arguments captieux qu’ils connaissaient mal et suspects d'ignorance quand ils s’avisaient, de guerre lasse, d’en appeler au sens commun, telum imbelle, sine ictu', ‘ Sous la garantie d’un savant aussi réputé, qui eut, comme professeur, la clientdle de J’aristocratie romaine, les gens du monde, jusque-la déflants ou indifférents, purent s'avouer adeptes de Vastrologie. Celle-ci une fois & 1a mode, la curiosité des dilet- tantes fit surgir une foule de praticiens qui ne voulaient plus avoir rien de commun avec Jes « Chaldéens » de carrefour, des gens experts & manier les chiffres et les figures géomdtriques et qui réclamaiont derechef Ie titre de « mathématiciens », tombé en déshérence depuis la disparition des écoles pythagoriciennes. Liastrologie n’avait eu jusque-la pour aliment que les disputes philosophiques et Ia foi inintelligente du vulgaire; elle avait trouvé enfin, entre ces deux extrémes, Je terrain sur lequel elle allait s‘asseoir et prospérer, une société riche, lettrée, ayant atteint sans le ddpasser ce degrd de scepticisme ov les vieilles eroyances qui s’en vont laissent la place libre aux nouveautés qui arrivent. C'est la Gréce qui fournit les astrologues; les Romains, habitués de longue date au rile de disciples, les admirent, les consultent et les payent. 1. Ty avait longtemps déja que des charlatans, dont on ne peut plus reconnattre la nationalité sous leur nom générique de « Chal- déens », exploitaiont a Rome la erddulité populaire. On ne se trom~ perait gudre en pensant que cos Chaldéens étaient des Grecs attirés parla vogue naissante de Vhellénisme. La littérature et l'astrolo~ 1. Sur Posidonius comme source principale de la Zuérabidle de Ptolémée, voy. I'étade magistrale de Fr. Boll, Studien dder Claudius Ptolemaus (Sabrbb. f, kl, Philol. Supplbd. XXI [1804], p. 49-244), 4a A. BouCEy-LEcLERco, gie grecques étaient entrées ensemble, visant & conquérir, celle-ci la plabe, V’autre Varistocratie. Les lettrés n’curent d’abord que dédain pour les diseurs de bonne aventure, « les astrologues de - «cirque ». Caton défendait & son fermier de consulter les Chal- déens!. En 139 av. J.-C., le préteur pérégrin Cn. Cornelius Hispalus crut devoir intervenir. En vertu de sor droit de juridiction sur les étrangers, il « ordonna par édit uux Chaldéens de sortir de la « ville et de I'Italie dans les dix jours, attendu que, au nom d’une « fallacieuse interprétation des astres, ces gens jetaient par leurs « mensonges, dans les esprits légers et incapables, un aveugle- « ment lucratif? ». Nous n’avons pas 1a sans doute Je fond de la pensée du magistrat; le souci de la bourse des citoyens pouvait bien n’étre qu'un prétexte. ‘Le danger des consultations non surveiliées allait apparattre plus nettement & mesure que la foi & Vastrologie gagnerait les hautes classes. Cet envahissement, que I’on a cru pouvoir attri- buer plus haut, pour une bonne part, 2 l’influence de Posidonius, parait avoir ét8 assez rapide. Par le temps de révolutions et de péripéties soudaines qu’inaugure la poussée démagogique des Gracques, on ne croyait plus & Yéquilibre providentiel, & la logique qui lie les conséquences aux actes volontaires, mais & la Fortune, hasard pour les uns, prédestination pour Jes autres. Quand Cn. Octavius fat égorgé par les sicaires de Marius, on trouva sar Jui, dit-on, « un diagramme chaldéen », sur Ja foi duqual il était resté 4 Rome’, Cependant, les astrologues n’avaient pas encore évinod des meilleures places les haruspices toscans, qui, du reste, leur firent toujours concurrence, empruntant au desoin A l’astrologie de quoi rajeunir I’haruspicine. On cite les haruspices attitrés de C. Gracchus, de Sylla, de J. César; on ne leur connatt pas d’astrologues familiers. Mais nous savons par Cicdron que les grands arabitieux de son temps prétaient loreille aux. faiseurs d’horoscopes. « Que de chuses, dit-il, ont été, A ma « connaissance, prédites par les Chaldéens & Pompée, combien & « Crassus, combien & César lui-méme : qu’aucun d’eux ne mour- « rait, sinon on grand age, sinon en paix, sinon avec gloire! C’est « au point que je suis stupéfait qu’il se trouve encore quelqu’un 4, Ole, Divin, T, 58 Oato, De Agrioult. I, 5, 4, 2. Val, Maxim, Bptt, 1, 8, 8. 8. Plat, Marius, 42. WASTROLOGIE VANS LE ONDE ROBAIN. 3 « pour croire des gens dont on voit les prédictions démenties « chaque jour par la réalité des événements' ». I n'y a @étonnant ici — soit dit en passant —- que Tétouae- ment da Cicdron. Les hommes croient toujours ce qu’ils espérent, ot la foi échappe toujours aux démentis de l'expérience. S'il s'est rencontré des astrologues aesez avisés pour affirmer & Sylla que Ja Vénus dont il se croyait le favori, & César que la Vénus dont il ge disait le descendant, s'était la plandte aimable et favorable entre toutes et qu’elle leur garantissait longue vie et prospérité, il est probable que ces esprits forts ont cru, sans plas ample informé, & leur étoile, Cicéron lui-méme, qui, comme philosophe, bafous les astrologues, leur emprunte, comme rhéteur, des expres- sions dogmatiques. Quand il place les Ames des grands hommes dans la Voie Lactée, il ne fait qu’exploiter un viewx mythe plato- nicien; mais, quand il! appelle la plandte Jupiter « un flambeau et salutaire au genre humain » et la planéte Mars « un fen rouge et redouté sur terre », il met dans la bouche du premier Africain des aphorismes astrologiques*. Crest que les idées astrologiques commengaient A entrer dans la circulation bavale, & se glisser dans le sagage intellectuel des esprits de culture moyenne. Elles y entraient, astrononiie et ie mélées, par Ja littérature, ob les « catastérismes » miultipliés & satiété par les Alezandrins, leg descriptions du ciel & Ja mode d’Aratus paraissaient aux Romains des sujets tout neufs et stimulaient leur imagination rétive; elles y entrérent surtout, et par une plus large ouverture, lorsque Yencyclopédiste de I’époque, Varron, et son contemporain P. Nigidius Figulus, adepte fervent de toutes les sciences occultes, eurent mis & la portéedu grand public les principales rogles de art des « mathé- < maticiens ». La comate qui parut & la mort de César dut hater singuligrement la propagande. En tant que « prodige », le phé~ noméne fut interprété officiellement par les haruspices; mais les astrologues, on peut le croire, ne manquérent pas da dire leur mot, et c'est & enx surtout que profitdrent les graves débats ins- tituds A ce propos sur la destinée de Rome, la durée probable de son existence passée et future, le renouvellement possible de toutes choses par une dchdance ultime, peut-8tre celle de la « grande année » astrologique, échdance & laquelle Jes Stoiciens 1. Ole Doin, I, 47. 2. Ole. nop. VI, 17. 6 4. BOUCHE-LECLERCQ. avaient attaché leur droxardorang on < restauration » de J’uni~ vers. L’héritier de César choisit I'explication Ja plus conforme aux traditions littéraires et la plus propre & établir le systéme de Yapothéose dynastique : il « voulut que la cométe fat I'ame de « son pére! »; mais il ne lui déplaisait pas que les haruspices ou des oracles sibyllins annongassent J'avénement d’un nouvel ordre de choses. II gardait par—devers lui I'idée que cet astre était aussi son étoile & lui, Phoroscope de Ja nouvelle naissance qui Je faisait fils adoptif de César. L'astrologue qui Ini procura cette « joie « intérieure® » était probablement ce Théagane qui était déjh le confident et qui devint par la suite presque le collaborateur du maitre. C’est & l'astrologie, en effet, qu’Auguste domanda une Preuve, assurément originale, de la légitimité de son pouvoir. « Tl eut bientdt », dit Suétone, « vne telle conflance dans sa des- « tinge qu'il publia son théme de géniture et frappa la monnaie « Vargent'au signe du Capricorne, sous lequel il était nd? ». En ce qui concernait la cométe de l’an 44, I’événement donna raison 4 tout le monde, & ceux qui gloriflaient César et son fils adoptif comme & ceux qui annongaient, au nom des doctrines tos- canes, un sidcle nouveau‘, ou, au nom de Yorthodoxie astrolo~ gique, des bouleversemonts et guerres sanglantes. Si les époques de crise, en déroutant Jes prévisions rationnelles, poussent au fatelisme et & la superstition, les Romains durent faire, entre les ides de mars 44 et la bataille d’Actium, de rapides progrés dans Ja foi aux scisnces oecultes. Cette foi, l'astrologie et ’haruspicine se la disputaiont & chances & peu pros égales. L’une avait pour elle son antiquité, l'autre sa nouveauté. Les Grecs étaient bien ingénioux, mais les Toscans étaient bien habiles. Inféricurs & leurs rivaux quand il s'agissait de tracer le plan de tonte une vie, les haruspices reprenaient l’avantage dans le détail de l’exis- tence, surtout en présence de ces avis surnaturels appelés « pro- diges », pour lesquels il n'y avait point de place dans les mathé- matiques. Aussi se tronva-t-il des amateurs pour essayer de com- parer et peut-dtre de combiner les deux disciplines. C’est ce que faisait dj Nigidins Figulus, et Varron, qui savait tout, était 1, Serv. ad Virg, Hol. IX, 47. den, ‘VIII, 681. 2 Blin, Hist. Wat. 1, 8 04. 8, Buet. dug, 94, 4, Of mon Histoire de la Divination, IV, p. 91 8qq., ot Varticle Haruspices dans le Diet, des Antiguites do Dareiabourg et Sagllo, ; WASTAOLOGIB DANS LB MONDE ROMAIN, 7 homme & tout mélanger. Son ami et l’ami de Cicéron, Tarutius de Firmum, l’astrologue éminent qui fit et refit le thame de nati~ ‘vité de Romet, devait étre — son nom V'indique — un Toscan dont la curiosité avait dépassé les ressources de l"haruspicine. 11 y aeuad Rome contact, rivalité, adultération réciproque entre la divination étrusque et l’astrologie, sans qu’on puisse dire au juste dans quelle mesure elles ont réagi l'une sur l'autre. Rappelons seu- Jement qu’elles se rencontraient nécessairement sur der domaines communs, par exemple, ]’interprétation des foudres et autres phd- noménes « célestes », et la localisation des influences divines ou astrales dans Jes viscéres. Sous Je principat d’Auguste, l'astrologie est décidément & la mode. Tout le monde se pique d’en avoir quelque teinture, et Jes écrivains multiplient des allusions qu’ils savent devoir &tre comprises méme des gens du monde. Jamais les astres n'ont tenu tant de place dans Ja littérature. Le catastérisme ou translation dans les astres, suivant la formule alexandrine, devientla conclusion normale de quantitédelégendes etla forme ordinairedel'immortalité promise aux grands hommes; ‘on retouche les portrai's des devins épiques, des Mélampus, des Tirésias, des Calchas et des Hélénus? pour leur attribuer « la « cience des astres », sans laquelle ils eussent para au-dessous de leur réputation. En fait d’astronomie, l’auteur des Géorgiques est hors de pair; mais Horace lui-méme met une sorte de coquet- terie & montrer qu’il est quelque peu frotté d’astrologie. Ce n'est plus un fidéled’ Apollon, mais un disciple des Chaldéens quise classe lui-méme parmi les « hommes de Mercure », qui félicite Mécdne @avoir échappé, par la protection de Jupiter, & l'influence meur- triére de Saturne et qui, dérouté sans doute par le désordre du calendrier avant la réforme julienne, se demande s'il est né sous Ja Balance, le Scorpion, « portion dangereuse d'un horoscope », ou le Capricorne, « tyran de la mer d’Hespérie ». Mécéne et lui avaient di consulter quelques praticiens, qui avaient trouvé « incroyablement concordants » les thémes de géniture des deux amis. Properce ne sé contente plus, comme Horace, d’allusions faites en passant aux arcanes de la nouvelle science. Il met en 1, Oho, Dévén, HM, a7. 2 Of Vitg. den. TI, 980. Stat, Thed. TIT, 688, ete, Properce (¥, 1, 109) dédaigne Calchas, qui ne savait pas l’ustrologie, 8 A. ROTCHE-LECLERCQ. sodne un astrologue, fils du « Babylonien Horops », qui connait « Vétoile heureuse de Jupiter, celle du violent Mars, et l'astre de « Saturne, qui pése sur toute téte, et ca qu'apportent les Poissons, « le signe impétueux du Lion et le Capricorne baigné par l’onde 4 d'Hespérie ». Son mathématicien est de ceux qui s’entendent & « faire tourner sur la boule d’airain les signes », les « signes « redoublés de la route oblique », et qui, pour inspirer conflance, tonnent contre Ia mauvaise foi des charlatans. Ce personnage donne & Properce une consultation qu’il termine en J’avertissant de redouter « le dos sinistre du Cancer‘ ». Le podte plaisante peut-étre moins qu’il ne veut en avoir lair; il se pourrait qu'il ait emporté cette menace de quelque cabinet d’astrologue et qu'il Ja prenne au sérieux. L’auteur de I’ Ibis, étalant Je théme de géni~ tare de son ennemi, parle le langage des hommes du métier. « Ta « esné malhenrenx », s’écrietil, « et aucune étoile n'a été propice « et légdre & ta naissance. Vénus n’a pas envoyé ses rayons & « cette heure, ni Jupiter; ni le Soleil nila Lune n'ont été en lieu « convenable, et celui que la brillante Maia a engendré du grand « Jupiter n’a pas disposd ses foux de fagon utile pour toi. Sur toi « ont pesé l'astre de Mars, qui ne présage que choses bratales et « jamais rien de paisible, et celui du vieillard & la faux. Ton jour « natal, pour que tout flit & la tristesse, apparut vilain et noirci « d'une couche de nuages* ». Il n’y aurait qu’a ajouter des chiffres ce morceau pour en faire un document professionnel. La description des astres, de phénoménes célestes réels ov ima~ ginaires, de prodiges de ce genre interprétés, tend & devenir une manie littéraire. Ala cour du Palatin, qui donnait le ton & la bonne société, Ja science des astres trouvait des clients et méme des disciples. Germanicus employait ses loisirs & traduire en vers — comme avait fait avant lui Cicéron — les Phénoménes @’Avatus, ou méme & corriger son modéle; et c’était, sans nul doute, pour les plus hauts cénacles que Manilius écrivait son podme des Astronomiques, mélange singulier de foi enthousiaste et de science douteuse, qui mérite de survivre comme ozuyre lit téraire au discrédit des doctrines apprises & 1a hate par cet astro- logue de rencontre. Nous ignorons, du reste, si le podte avait pris Ta le meilleur moyen de faire sa cour & Auguste ou & I'héritier 4, Propert. V, 1, 75-108. 2. Ovid. Ibis, 207-216, WASTROLOGIE DANS LE MONDE ROWAIN. 9 présomptif d’Auguste, et sila plume ne lui fut pas arrachée des mains par la peur de tomber sous le coup des mesures déordtées contre les « Chaldéens » par Tihére. On commengait, en effet, & s’apercevoir que l'astrologie, aris- tocratique par essence, semblait faite pour éveiller et nourrir les grandes ambitions. Tibare le savait, dit-on, par sa propre expé- rience, ajoutée & celle de son pére adoptif. On racontait que, tombé en disgrace et exilé & Rhodes, il avait pris des legons du « mathématicien Thrasylle » et que, plus tard, il avait deviné dans Galba J"homme « qui gofiterait un jour & l'Empira! ». La légende s’en mélant, on finit par croire qu'il avait créé une sorte de cabinet noir, of des rabatteurs d’horoscopes spportaient les secrets des particuliers et d’ot, aprés examen des thémes de géni~ ture fait par lui-méme ou par Thrasylle, il frappait & coup sir les tétes marquées pour de hautes destinées?. De méme qu'il s‘était créé autour des oracles une foison d’anecdotes tendant & montrer leur infaillibilité et r'inanité des efforts faits par 'homme, méme prévenu, pour échapper & sa destinée, de méme I’astrolo- gie, une fois en crédit, est censée marquer d’avance aux person- nages historiques les étapes de leur existence, et c'est une joie pour les croyants de voir les prédictions se céaliser, en dépit des doutes, des précautions, ou tout autrement qu’on ne Yavait sup- posé, C’est ainsi que, au rapport de Tacite, Tibére ayant quitté Rome en I’an 26, «les connaisseurs des choses célestes assuraient « que Tibare était sorti de Rome sous des mouvements d’astres « tels que le retour lui était impossible. Ce fut la perte d'une « foule de gens qui crurent 4 sa mort prochaine et en répandirent «le bruit; ils ne prévoyaient pas, en effet, tant le cas était « incroyable, que onze ans durant il s’exilerait volontairement « de sa patrie. On vit par la suite combien l'art confine de prés « & l’erreur et comme le vrai s‘enveloppe d’obscurité. L’annonce « qu'il ne rentrerait pas dans,la ville n’était pas une parole en «Yair; le reste, les gens qui agirent ainsi l'ignoraient? ». Les consultations astrologiques envahissent Vhistoire livrée aux compilateurs de curiosités et aux psychologues qui dissertent sur des bruits d’antichambre, Tantdt c'est Caligula, & qui le 1, Tao. Ann, VI, 21. Dio Case. LVI, 11. LVII, 19. Of. Suet. Tider. 14. 2, Dio Cass. LVI, 19. 3. Tac. Ann. TV, 58. 40 4, BovcHA-LECLERCQ. mathématicien Sulla « affirme que sa mort approche trés certaine- « ment! »; tantdt c'est Néron, & qui « des mathdmaticiens avaient « prédit jadis qu'il lui arriverait un jour d’étre destitué », ou & propos duquel des Chaldéens avaient répondu & sa mére Agrippine « qu'il aurait V'empire et tuerait sa mare », Néron, qui attend, pour se proclamer empereur, « le moment favorable indiqué par les « Chaldéens » ou qui détourne les menaces d'une cométe par des exécutions ordonnées comme équivalent desacrifices humains, sur Je conseil de l'astrologue Balbillus*. Tacite sait que « le boudoir de « Poppée avait entretenu quantité de mathématiciens, datestable « ameublement d’un ménage de princes® ». C’est 1 peut dtre qu'un des familiers de Ja maison, Othon, avait rencontré l'astrologue Ptolémée, qui I'accompagna en Espagne et le poussa & se ravol- ter contre Galba. Puis viennent les Flaviens, tous trois ayant leurs astrologues 4 eux et ne voulant tolérer k Rome que ceux-Ia : Vespasien, auprés duquel nous retrouvons le conseiller de Néron, Balbillus‘; Titus, qui était assez savant pour étudier par lui-méme la géniture de deux ambitioux et assez généreux pour leur par donner, en les avertissant méme < d’un danger qui leur viendrait « plus tard et de la part d'un autre’ »; Domitien, qui, comme autrefois Tibare, < examinait les jours et heures de nativité des « premiers citoyens » et frappait & cbté, car il mettait & mort Met tius Pompusianus, qui déja; sous Vespasien, passait pour avoir «une géniture impériale », et il épargnait Nerva, parce qu’un astrologue Ini garantit que le vieillard n’avait plus que quelques jours & vivre*, Il ne savait pas que Nerva n’aurait pas besoin de vivre bien longtemps pour lui succéder. Un homme qui cherche & tuer son successeur est parfaitement ridicale, et histoire s'égaie ici aux dépens de Domitien. On, racontait encore que, ayant fait arréter « le mathématicien Asolétarion >, coupable sans doute davoir prédit la mort prochaine du tyran, il voulut & tout prix Je convaincre d’imposture et «16 ]’épreuve tourna & sa confusion. « I demanda & Asclétarion quelle serait sa fin & lui-méme; et, «< comme celui-ci assurait qu'il serait bientdt mis en pidces par L'ASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN, a « des chions, il ordonna de Je mettre A mort sans retard, mais, « pour démontrer la frivolité de son art, de l’ensevelir avec le « plus grand soin. Comme on exécutait ses instructions, il advint qu’un ouragan soudain renversa le bicher et qne des chiens « déchirdrent le cadavre & demi bralé! ». Au dire de Suétone, il savait depuis longtemps l'année, le jour et l'heure od il mourrait. « Il était tout jeune encore quand des Chaldéens lui avaiant pré- « dit tout cela, si bien qu’un jour & diner, comme il ne touchait « pas aux champignons, son pare s’était moqué de lui ouverte- « ment, disant qu'il connaissait bien mal sa destinée, s'il ne crai- « gnait pas plutot le fer? », En effet, la veille de sa mort, il fit parade de sa science astrologique, en annongant « que le lende~ «main Ja Lune se couvrirait de sang dans le Versean et qu'il « arriverait un événement dont les hommes parleraient dans tout « Yunivers ». La liste des consultations impériales n'est pas close, tant s’en faut, avec les biographies de Suétone. Comme Ini, ses continua- tours, les rédacteurs de I’ Histoire Auguste, ont soin de tempérer par des racontages de toute sorte Y’ennui qu’exhale leur prose & demi barbare, et I'astrologie n’est pas oubliée. Voici Hadrien, qui, curieux de toutes choses et encore plus occupé de Ini-méme, ne pouvait manquer d’apprendre Yastrologie pour son propre usage. « Il s'imaginait savoir l’astrologie au point qu’il mettait « par éorit aux calendes de janvier tout ce qui pouvait Ini arriver « dans toute l'année; ainsi, l'année of il mourat, il avait dcrit ce « quill feraitjusqu’’ Pheureméme of il trépassa® ». Le chroniqueur emprante ce détail A Marius Maximus, un écrivain que, sur cet échantillon, nous pouvons ranger dans|a catégorie des mystifica- tours. Si, comme il le dit, Hadrien admettait des astrologues dans lecercledesavants, delettrés, d’artiste’. au milieu duquel il vivait, ¢’était sans doute pour se donner le p! sisir de les mettre aux prises avec Favorinus, lergoteur le plus subtil de I’époque, qui exer~ gait volontiers sa verve mordante sur les dogmes astrologiques. On nous parle encore de Marc-Aurile consultant les Chaldéens sur les secrets de I’aledve de Faustine et se décidant, sur leur consell, & faire baigner Faustine dans le sang du gladiateur qui 1, Saet. Domit. 15, et — aveo quelques variantes —~ Dio Cass, LXVII, 16. 2, Suet, Domit. th. 8. Spartian, Hadrian. 16. Helius, 3. 42 4, BOUCHE-LECLERCQ. fat le pare de Commode'. C'est le moment ob T'on commence & confondre les astrologues avec les magiciens. Puis, c'est Septime- Shrdre, qui, n'étant encore que légat de la Lugdunaise, « étudiait « les génitures des filles A marier, étant Ini-méme trés expert en « astrologie. Ayant appris qu'il y en avait une en Syrie dont la < géniture portait qu'elle épouserait un roi, il Ja demanda en « mariage — c'était Julia — ot il Vobtint par Ventremise de « quelques amis? >. Comme on voit, l'astrologie, science univer- selle, perfoctionnait l'art d’arriver par les femmes. Elle facilitait aussi singulidrement J’art de surpasser ses rivanx pour un homme qui connaissait d’avance le terme assigné & leur destinge. S4vére connaissait assez bien la sienne pour savoir, en partant pour la Bretagne, qu’il n’en reviendrait pas, et cela surtout par son thame de géniture, qu'il avait fait peindre au plafond de son prétoire?. On répdte pour Caracalla les contes faits sur Tibére, les meurtres ordonnés d’apras des « diagrammes de positions sidérales‘ ». Alexandre Sévare est encore un adepte de V’as ie, pour laquelle il fonda, dit-on, des chaines rétribuées par I’Ktat avec bourses pour les étudiants®. L’histoire anecdotique fait de Ini un pédant et Ini donne un.pen Vattitude de Yastrologue qui, les yeux au ciel, tombe inopindment dans un puits. « Le mathématicien < Thrasybule, son ami intime, lui ayant dit qu'il périrait néces~ « sairement par le glaive des Barbares, il en fat d’abord enchanté, « parce qu'il s’attendait & une mort guerriére et digne d’un empe~ « reur; puis i se mit & disserter, montrant que tous Jes hommes « éminents avaient péri de mort violente, citant Alexandre, dont «il portait Je nom, Pompée, César, Démosthne, Cicéron ef « autres personages insignes qui n’avaient pas fini paisiblament, «et il sexaltait au point qu'il se jugeait comparable aux dieux « sil périssait en guerre. Mais Pévénement le trompa, car il périt « par le glaive barbare, de la main d’un bouffon barbare, et en «temps de guerre, mais non pas en combattant® ». Les deux premiers Gordiens n’eurent pas le temps de régner, mais ils con~ 1. Gapitolin. af. Anton, Pha, 19.11 stest trouvé des gens pour croire a ces odienx bavardages. WASTROLOGIE DANS LB MONDE ROMAIN. 18 naissaient, parait-il, leur destinde. « Gordien le vieux consultant < un jour un mathématicien sur la géniture de son fils, i lui fut « réponda que celui-ci serait fils et pare d’empereur et empereur « lni-méme. Et, comme Gordien le vieux riait, on dit que le « mathématicien lui montra Y'agencement des astres et cita des « passages de vieux livres, pour prouver qu’il avait dit la vérité. « Il prédit mame, au vieux et au jeune, le jour et le genre de leur «mort, et les lieux od ils périraient, et cela avec la ferme con- « fiance d’étre dans le vrai! >». Nous pourrions éliminer de Vhistoire ces fastidieuses redites, anecdotes suspectes, mots forgés aprés coup, et en garder le bénéfice, cest-h-dire juger par 1A de I’état de opinion et des dangers que pouvait offrir une méthode divinatoire réputée infail- lible au point de vue de Ia sécurité des gouvernants. L’exacti- tude matérielle des faits importe peu ici : ce qui compte comme fait & coup sir réel et de plus grande conséquence, c’est Vidée qu'on ena, celle qui précisément se fixe dans les légendes et tend & se traduire en actes par voie d’imitation. Ce ne fut pas par simple caprice de tyran que Tibére mit sa police aux trousses des Chaldéens. Déj, un demi-sidole plus tat, au temps of l'imminence du conflit prévu entre Antoine et Octave surexcitait les imagina- tions, Agrippa avait « chassé de la ville les astrologues et les « magiciens* ». A la fin de son ragne, Auguste avait interdit & toute espace de devins les consultations & huis clos ou concernant Ja mort, méme sans huis clos*. La mesure était sage, aussi utile anx familles qu’au pouvoir, mais inapplicable. C'est 2 ia suite da procés de Drusus Libo (16 ap. J.-C.) que Tibére se décida & sévir. Libo était un jeune écervelé dont les devins — les Chaldéens comme les interprdtes de songes et Jes nécromanciens — avaient exploité l’ambition. « Des sénatus-consultes furent rendus pour « chasser d'Italie les mathématiciens ot les magiciens : 'un d’eux, «L, Pituanius, fut précipité de la roche; quant & L. Marcius, «les consuls le conduisirent hors de la porte Esquiline, et 1a, < apris avoir fait sonner les trompettes, ils Ini infligdrent le sup- . Persécutés, les astrologues devinrent aussitét des gens intdres- sants, et, méme expulsés d’Italie, on pouvait les consulter par correspondance. Tacite nous parle d’un de ces exilés, Pamméne, « renommé dans l'art des Chaldéens et engagé par lh-méme dans une foule de liaisons », qui recevait des messages et envoyait les consultations & des Romains de Rome, Anteius et Ostorius Sca- pula, Jesquels furent dénoncés & Néron comme conspirant et «scrutant la destinée de César® ». Les mathématiciens mon- trérent de l'esprit — ou on leur en préta — le jour ob Vitellius, pour les punir d’avoir encouragé Othon, « rendit un édit Jeur « ordonnant de sortir de Ia ville et de I’Italie avant Jes calendes « d'octobre. Un libelle fut aussitdt affiché, faisant défense, de la « part des Chaldéens, & Vitellius Germanicus d’étre ob que oe « fit ce méme jour des calendes* ». Les rieurs purent se parta- ger, car Vitellius dépassa de trois mois I’échéance indiquée. Les expulsions recommencérent sous Vespasien, qui, ayant ses astro~ logues & lui, n’entendait pas laisser les autres exploiter le public; sous Domitien, qyi fit aux astrologues Vhonneur de les chasser de Rome en inéme temps et au méme titre que les philo-~ sophes®. _ Ti va sans dire que tout ce bruit & vide, ces tracasseries inter- mittentes et mollement poussées, loin de discréditer l’astrologie, accrurent son prestige et élargirent la place qu’elle tenait dans les préoccupations du public, Des doctrines qui effrayaient & ce 1, Tac, Ann, Il, 22. 2 Tao. Ann. XI, 22 (49 p. Ohr.), 52 (62 p. Obr.). 8. Tac. Ann. XVI, 14 (66 p. Ohr.). 4, Suet. Viters. 14. , © Dio Cass, LXVE, 9 (Vespasien); Suldas, ». v. Aoyerravic. VASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN. 45 Point les gouvernants ne pouvaient plus passer pour des jeux @imagination. C'est ainsi que les femmes les plus frivoles, les Plus incapables de comprendre méme les rudiments de J'astrolo- gic, s'éprirent du grand art suspect la police, Elles ne renoncent pas & leurs autres superstitions, dit Juvénal, « mais c'est dans « Jes Chaldéons qu’elles ont le plus de conflance. Tout ce que dira « Fastrologue passera & leurs yeux pour venir de la source d’An- «mon, puisqu’é Delpher. les oracles se taisent et que T'espace « humaine est condamnéea ignorer Yavenir. Mais celui-la prime « les autres qui a été souvent exilé, dont Vamitié et le gtimoire « grassement payé ont causé la mort du grand citoyen redouté <@Othon. On a conflance en son art si sa main droite et sa « gauche ont fait tinter les chatnes de fer, sill a séjourné long- < temps dans quelque prison militaire, Nul mathématicien n’aura « de suceds s'il n’a pas été condamné, mais bien celui qui a failli « périr, quia eu & grand’pdine la chance d’étre envoyé dans < unie Cyclade et qui est enfin revenu de la petite Sériphos. Voila . An dire de notre sévare pro- vincial, les hommes en sont juste au point od en étaient les femmes au temps de Juvénal. Uno certaine foi & l'astrologie fait partie du sens commun, et il n’y a plus que l’exods qui passe pour superstition. — - qr I ne faudrait pas croire toutefois que l’astrologie ne se soit heurtée qu’h des résistances inspirdes par I’intérét social, et que, soit comme science, soit comme religion, elle ait paisiblement envahi les intelligences cultivées, ot elle trouva son terrain d’élec~ tion, sans rencontrer d’adversaires. L’absence de contradiction suppose l’indifférence, et les doctrines qu’on nediscute pasmeurent de leur belle mort. L’astrologie grecque, faconnée et pourvue de dogmes rationnels par Ia collaboration des Stoiciens, n’avait pu &tre considérée par les philosophes des autres écoles comme une superstition négligeable. Elle avait été introduite, dés Yorigine, dans le cénacle de 1a science, & une place qu'elle eut non pas A conquérir, mais & garder. Elle eut aifaire tout d’abord aux dia- lecticiens de la nouvelle Académie, plus tard aux sceptiques, néo-pyrrhoniens et épicuriens, aux physiciens qui la repoussaient comme superfétation charlatanesque de l’astronomie, aux mora- listes qui jugeaient son fatalisme pernicienx, enfin aux théolo~ giens qui la trouvaient incompatible avec leurs dogmes. De Carnéade aux Pares de P'liglise, la lutte contre Vastrologie n’a pas cessé an instant; mais ce fat, pour ainsi dire, un pidtine- ment sur place, car les premiers assauts avaient mis en ligne presque tous les arguments qui, par la suite, se répatent, mais ne se renouvellent pas. I n'est pas question de suivre ici pas & pas, époque par époque, la stratégie des combatiants et la filia- tion des arguments, Il nous suffira de classer ceux-ci dans un ordre queleonque et d’en examiner Ia valeur logique. Peut-Stre ‘verrons-nous que, fante d’avoir su distinguer du premier coup dans une construction aussi compliquée les parties mattresses, qui étaient en méme temps les plus ruineuses, les adversaires de Vastrologie n'ont guére fait que suggérer aux astrologues des 4 Amm, Mare. XVI, 4, 24, WASTROLOGIR DANS LE MONDE ROWAIN. 33 perfectionnements de leurs méthodes, et, pour avoir continué & employer des arguments qui ne portaient plus, ont fait de plus en plus figure d’ignorants. ‘Nous laissons de cdté provisoirement, pour éviter des redites, Je souci qui domine et perpétue le débat, le besoin de dégager la liberté humaine du fatalisme astrologique. L’astrologie greoque n'est ni plus ni moins fataliste que Ja philosophie stoicienne dont elle a emprunté les théories, et, contre les moralistes, elle pouvait s‘abriter derritre des moralistes de haute réputation. Ce sont les Stoiciens qui ont mis pour ainsi dire hors d’atteinte le principe méme, la raison premiare et dernidre de la foi astro- logique. La solidarité de toutes les parties de l'univers, la res- semblance de la fraction au tout, la parenté de homme avec le monde, du feu intelligent qui l’anime avec les astres d’oi est des~ cendue pour lui 1’étineelle de vie, les affinités du corps humain avec les éléments dans lesquels il plonge et qui subissent Vin~ fluence des grands régulateurs célestes, la théorie du microcosme enfin, fournissait une réserve inépuisable de réponses & des atta- ques hésitantes'. Mais, entre le principe et les conséquences, il y avait place pour bien des objections. L’astrologie chaldéenne avait vou sur un fond d’idées naives : elle datait du temps od le Ciel n’était que Je couvercle de la terre, od tous les astres étaient rangés A petite distance sur cette voiite, et od les plandtes se pro~ menaient au milieu des étoiles comme des bergers inspectant leurs troupeaux. La science grecque ayant dilaté le monde, in- fluence des astres reculés & d’énormes distances n’était plas un postulat de sens commun. Les plandtes sont trop loin, disait Cicé- Ton, au moins les plandtes supérieures, et les fixes sont encore au dela. Les astrologues répondaient que la Lune et le Soleil sont loin aussi, et que pourtant ils soulévent les marées*. Sans doute, Jes Chalddens ne savaient pas le monde si grand; mais les pla- nates, qu’ils croyaient plus petites, étaient reconnues infiniment plus grosses, et il y avait compensation. I suffisait, pour main- tenir le dogme astrologique, d’identifier V’action sidérale & la Tumiare : 14 08 arrive la lnmidre pénétre aussi l’action. Tly avait, dans cette réponse victorieuse, un point vulnérable 1. Voy. lo ch. 1 de PAstrologle grecgue (publié dans la Revue de UHist. des Religions, XXXV [1897], p- 178-204) et le ch. 1, intitulé : tes Dogmes astroto- giques. 2, OF. Cie. Divin. I, 43. Ptolem. Zetrad. 1, 2. a A. BOUGHE-LECLERCO. que les assailants n'ont pas su découvrir. Si la lumidre d’un astre rayonne tout autour de lui, pourquoi son action astrolo~ ique ne se produit-elle que sous certains angles ou aspects? Les astrologues n’eussent pas été & court de réponses, mais il leur fallait les prendre dans ordre mystique. De méme qu'il y a sept Planates, de méme, en vertu de "harmonic générale, chaque pla- néte agit dans sept sens ou aspects et non plus. Les purslogiciens n’étaient pas convaincus, sans doute, par un argument de ce genre; mais Jes astrologues avaient pour eux les Pythagoriciens et tous les amateurs de raisons absconses. Mais est-il certain qu'il n'y ait que sept planétes, et, s'il y on a davantage, les cal- ouls des astrologues, qui n’en tiennent pas compte, ne sont-ils pas faussés par 1h-méme!? Les astrologues pouvaient ou écarter Thypothése ou répondre que T’action de ces plandtes dtait négli- geable quand elles restaient invisibles, et qu'elle était soigneuse- ment appréciée quand elles apparaissaient sous forme de cométes. Sans doute, il efit é4 préférable que l’on pfit faire entrer dans Jes calculs Jes positions de tous les astres, au lien de se borner aux plantes et aux signes du Zodiaque; mais de quelle science exige-t-on qu’elle atteigne son idéal? Les astronomes modernes ne penventpas non plus faire entrer dans leurs formules le réseau infini d’attractions que suppose la théorie de la gravitation uni- verselle, La discussion ébranlait peut-8tre, mais laissait debout V'idée | que les astres agissent sur la terre, et mame l'idée plus précise que les astrologues, s'ils ne calculaient pas toutes Jes influences célestes, visaient au moins les principales. Mais 14 surgit le point délicat, une question redoutable dont Jes adversaires de l’astrolo- gio tirérent un assez médioore parti. Comment prétendait-on déterminer la nature des influences astrales*? D’od savait-on que telles plandtes étaient bienfaisantes, telles ‘autres malfaisantes, et plus ou moins suivant les cas? Comment justifier les ridicules 1, Favorin. ap. Gell. XIV, 1, 11-18 : doute exprimé déja par Artémidore d'phése (Senec. Quaest. Nat. VI, 13), repoussé comme subvorsif de Vharmo- aie des sphéres par les platonfeiens (cf. Theo Smyrn. p. 200 Hiller). Les astro- ‘Tognes ont toujours des philosophes de leur cbté, 2 Sily a une action des astres, elle est pour nous quelque chose de dxard- dnmvov (Saxt. Empiric, Adv, Astrol. 8 95, p. 353). C'est Tobjection de fond, colle & laquelle on revient quand les autres ont oéd6. Ptolémée 1a réfute de son. mieux, par des analogies vagues et des raisons a cdté, au commencement de sa Tétrabible (ch. 1. “Ors xaradynesx) 4 8° dorpovoulac ywbou nai wkyor . L’apbtre connait aussi des créatures qui ont besoin @étre rachetées, « soit celles qui sont sur terre, soit celles qui < sont dans les cieux® », des « esprits méchants dans les licux « cdlestes® », ce qui ne peut guére s’entendre que du ciel visible. Crest bien, du reste, de ce ciel que tomba un jour Satan, visible Tui-méme « comme un éclairé ». Les nombres astrologiques s’étalent d I'aise dans Apocalypse. Le voyant s’adresse & sept Higlises, au nom de sept Esprits; il a vu sept candélabres d'or et an milieu une figure semblable au Fils de I’homme, qui tenait dans ga droite sept dtoiles. Le Livre a sept sceaux, l’Agneau sept comes et sept yeux, la B&te sept tétes; on entend retentir sept tonnerres, ot les sept trompettes des sept anges qui vont ensuite répandre sur le monde sept fioles pleines de la colére de Diea. Quant au nombre douze, c’est'le nombre méme des étoiles qui entourent la téte de la famme, « vétue de soleil et ayant la lune « sous ses pieds* », le nombre aussi des portes de la Jérusalem célesta ot des fondements des murailles, lesquels fondements sont faits de douze espaces de pierres précieuses; l’arbre de vie planté au milieu de la ville céleste porte douze fois des fruits en une année. Sans doute, tout cela n’est pas de I’astrologie; mais c'est du mysticisme pareil A celui qui alimente ailleurs la foi astro- Jogique. On sait avec quelle intempérance les Gnostiques prétendaient infuser dans la doctrine chrétienne une métaphysique grandilo- quente et incohérente, faite avec des dabris de toutes les supers- titions internationales. Nous ne nous attarderons pas & analyser Jes chiméres écloses dans les cerveaux de ces Orientaux que toutes les Eglises chrétiennes ont reniés et que nous rejetterions volon- tiers hors de la civilisation gréco-romaine. Les nombres et les associations d’idées astrologiques y sont semés & profusion. Les 365 cieux de Basilide sont dominés par Je grand Abrasax ou Abraxas, nom fait avec des chiffres dont la somme vaut 365, et 4. Lor, xr, 24, 2 Coloss, 1, 20. 8, Ephes. vi, 12. Of. x, 10. 5, Mulier amicia sole, et luna sub pedidus efus, et in capite gus corona stellarum duodecim (Apocal. xu, 1), type conservé par Viconographie catho~ lique pour la Vierge Marie, 6. Philosophum, VII, 1, p. 861 Oraice, WASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN. aq Yon y trouve en bon lieu, entre autres combinaisons, une Dodé- cade et une Hebdomade. Au dire de l’auteur des Philosophu- mena, la doctrine des Pératiques ou Ophites était tout impré- gnée de théories astrologiques et, pour cette raison, extrémement compliquée. Les Manichéens comparaient, dit-on, le Zodiaque & une rove hydraulique pourvue de douze amphores, qui puise la Tumidre égarée dans le monde d’en bas, le royaume du diable, la reverse dans la nacelle de la Lune, laquelle la déverse dans la barque du Soleil, lequel la reporte dans le monde d’en haut?. Tous ces réveurs, ivres de révélations et émancipés du sens com- run, torturaient, défiguraient, combinaient en mélanges innom- mables des traditions et des textes de toute provenance, assai- sonnés d’allégories pythagoriciennes, orphiques, platoniciennes, Dibliques, évangéliques, hermétiques. Leurs Leurs bandes mystiques menaient le carnaval de la raison humaine, faisant pleuvoir de tous cdtés sur la foule ahurie les communications célestes, oracles et évangiles apocryphes, recettes magiques et divinatoires, talis- mans et phylactéres. Tous n’étaient pas des partisans de I'astro- logie systématisée, puisqu’on a pu attribuer au plus chrétien d’entre eux, le Syrien Bardesane, une refutation du fatalisme astrologique; mais certains comptaient précieément attirer & eux Jes astrologues en faisant place dans leurs doctrines aux dogmes « mathématiques ». Les « Pératiques » susmentionnés firent des prodiges d’ingéniosité dans ce but, et notamment convertirent les catastérismes traditionnels en symboles judéo-chrétiens. Iv. Il faut attendre que tout ce tumulte soit apaisé pour distinguer Je courant de doctrine chratienne qui deviendra l’orthadoxie et avoir affaire & des docteurs qui aient marqué leur empreinte sur le dogme desting & durer. Ce dogme ne sortit pas de la crise aussi simple qu'il était eutrefois; il avait fallu trouver des réponses & toutes les ques~ 1. Op. cht. V, 2% ps 185-208 Cruice. 2, Of. J.-H. Kurta, Lehrd. d. Kirchengeschichte, 8 26, 2. Les nombres astro+ logge ot te ginks sider, protecteurs des mols, jours et heures, tlennent ‘one grande place dans toa religions orientale. Tl y & ou échange G'infvances, actions ot réactions, entre elles et Lastrologte, 48 A. BovCHE-LECLERCO. tions soulevées, et, & défaut de textes révélés, Jes empranter a a philosophic, & 1a seule qui fit encore vivante et méme rajeunie, au platonisme. Fascinés par la merveillouse épopée de l’fme que Platon leur montrait descendant des sphares célestes et y retour nant au sortir de sa prison d’argile, les docteurs chratiens recon- nurent en Platon et en Socrate des précurseurs de la Kevélation messianique. Sans doute, ils se réservaient, le droit de faire un triage dans ce legset méme de se tenir sur le pied de guerre avec les philosophes platoniciens ; mais ils étaient désarmés plus qu’A demi contre Je foisonnement des hypostases et émanations de toute sorte, contre la démonologie, la magie et théurgie qu’ac~ cueillait sans résistance l’école néo~platonicienne. Fn thése géné- yale, ils tenaient les méthodes divinatoires, et, plus que toute autre, ’astrologie, pour des inventions diaboliques, ce qui était une fagon de les reconuaftre pour efficaces et d’exalter peut-Gtre le gofit du fruit défendu!. Encore ne pouvaient-ils pousser cette thse & fond, car-le démon ne sait guére que parodier Jes actes diving, et il fallait se garder, en condamnant les fausses révéla- tions, de discréditer les véritables. Or, il était constant que Dieu, créateur des astres, dont il avait voulu faire des signes®, s'en Stait servi parfois pour révéler ses desseins, témoin le recul de _Tombre sur le cadran solaire d’Ezéchias, Yétoile des rois mages, Yobscarcissement du soleil & la mort du Christ et les signes célestes qui devaient annoncer son retour. Le cas des rois mages fat pour les exégdses et poldmistes chrs— tiens un embarras des plus graves. C’était l’astrologie, la vraie, calle des Chaldéens ou Mages, installée en belle place et dans son office propre, & la naissance du Christ, dont l’étoile annonce laroyauté. Unhoroscape, méme royal, pour JésusChrist, o’était le niveau de la fatalité commune passé sur I'Homme-Dieu; o’était aussi, puisquele signe avait 46 compris des hommes de art, un 1. Voy. Histoire de la Divination, t. I, p. 92-104. 2, O'est le texte dela Gendso : Fant luminaria in Armamento caclt... et siné 4 signa et tempora (1, t& Of. Psalm. oxxxv, 7-9), qui a motivé les concessions de Philon et d’Origine & astrologie, 8, 8. Jérdme convient franchement que oes Mages — dont on n’avalt pas encore fait des Rols — étatent des astrologues aathentiques : philosopht Chal- dacorum (Hieronym. In Daniel. 2), ot méme i doctl a dasmonibus (Hiero- nym, In Keatam, 19). Saint Justin et Tertallien les considéralent comme des magiciens arabes ; les PP, du tv‘ sidole hésitatent entre mages de Perse et mages de Ohaldde, : VASTROLOGIBE DANS LE MONDE ROMAIN. 9 cortificat de véracité délivré & Y'astrologie, et par Dieu méme, qui avait dé en observer les régles pour rendre le présage intel- ligible. Dire que Dien s’était servi d'un astre pour avertir les Mages simplement parce qu’ils étaient astrologues' n’affaiblit pas la conclusion. Ils avaient été avertis; donc ils comprenaient Jes signaux célestes, et les astrologues ne mentaient pas en disant qu’on peut les comprendre. Ty avait une transaction tout indigqués, et c'est calle dont s‘avistrent d'abord les docteurs chrétiens : c’était, puisque l'as- trologie était une pratique inventée on un secret dérobé par les démons et que Jésus-Christ était venu mettre fin au régne des démons, ¢’était, dis-je, d’admettre que Vastrologie ou magie avait été véridique jusqu’a la naissance du Christ et qu'elle était venue abdiquer, pour ainsi dire, dans la personne des Mages paiens, au berceau du Rédempteur. C'est l’explication & laquelle s'ar~ rétent saint Ignace et Tertullien®. Les gnostiques valentini. ~ avaient creusé le sujet plus avant, et ils avaient fait sortir ce. une théoric des plus séduisantes. Suivant Théodote, l’étoile de Muges avait « abrogé l’ancienne astrologie » en lui enlevant s. raison d’étre; la grace du baptéme « transportait ceux qui on « foi an Christ du régime de la prédestination sous la providence « du Christ lui-méme ». Le chrétien, surtout s'il est gnostique, échappe & la fatalité et & la compétence de ses inter grates. Soit! mais, & ce compte, l’astrologie était reconnue véridique pour le passé, et elle aurait continué & l’étre pour la clientale paienne; Jes astrologues contre qui il s’agissait de lutter n’en demandaient sans doute pas davantage. On leur concédait le fond du dabat, et ils pouvaient prendre en pitié l’orgueil de gens qui se mettaient eux~mémes hors la nature. Tl arrive parfois aux Péres de V’iglise du sidcle suivant de répéter que la prédestination et l’astrologie sont exclues du régime de la loi nouvelle‘; mais ils sentaient bien que cet argument, dorthodoxie suspecte, ne rsolvait pas la difficulté et en soule- 1, To, Ohrys. Homél. IIT te Epist, ad Titum, 2 Ignat. Kpist. ad Ephes. 19, Tertull. De tdolol. 9. 3, Clem, Alexandr. Excerpt. ex Theodoto Q 68-69. Les théurges, trouvant que leurs charmes valalent bien le beptéme, en disalent autant de leurs dieolples (lo, Lyd. Mens, 11, 9), et Arnobe (Lf, 62) raillait en blos tows ces vaniteux per- sonnages, 4. So0, dexgohorlay Dies, nad cluappévny avethe, nal Baluovas émeorépres, %, %. 1. (lo. Chrysost, Homil, VE in Math). 4 30 4, Botce~LReLERog. vait de plus grandes. Ils cherchérent d'autres raisons. Ils firent Yemarquer que l’dtoile des Mages n’était pas une étoile ordinaire, ni fixe, ni plandte, ni cométe; qu'elle avait marché autrement que tous les astres connus, puisqu’elle avait conduit les Mages & Bethléem et n’était, par conséquent, nullement assimilable & une étoile horoscope. L*horoscope astrologique sert & prédire la des- tinge des enfants qui naissent, et non pas & annoncer les nais- sances. En un mot, l’étoile des Mages avait été un flambeau miraculeux, peut-dtre un ange ou méme le Saint-Esprit, et, comme telle, elle n’appartenait pas au répertoire des données astrologiquos‘. Le raisonnement n’est pas trés serré et pouvait &tre aisément retourné. Il restait avéré que des astrologues avaient deviné juste en observant le ciel, et, si l'astre était nouveau, il en fallait admirer davantage la sfireté des méthodes qui avaient ‘suffi & un cas tout & fait impréva®. C'est sans doute parce qu’ils avaient vu lastre miraculeux s’écarter de la route ordinaire des planétes qu’ils l'avaient suivi, et cela par calcul ; car, s'ils avaient obéi & une suggestion divine — eux instruits par les démons, au dire de saint Jerome — on ne voit pas pourquoi Dieu s ‘était adressé de préférence & des savants. La prenve que le débat ne tournait pas nécessairement & la confusion des astrologues, c'est que l’auteur chrétien de l’Her- méippus se prévaut du récit évangélique concernant les Mages pour montrer que la confiance en l’astrologie est compatible avec. la foi chrétionne, & Ja seule condition de prendre l’étoile pour signe et annonce, non pour cause de la « naissance du dieu « Verbe ». Il s'interrompt, il est vrai, pour recommander de mettre le verrou aux portes, sachant que son opinion n’est pas pour plaire & certaines gens*. Nous voyons reparaitre une fois de plus ici le scrupule qui excite le zdle des docteurs et qui, une fois calmé par la distinction entre les signes et les causes, les laisse dépourvus de raisons péremptoires ou méme disposés & ‘indulgence en face des autres 1, Basil. Homil, XXV, p. 510. fo. Chrys, loc. cit. Anonym. Hermippus, 1, 9, 51, p. 12 ed. Kroll et Viereck (Lips. 1895). 2, Varron rapportait qu'finée avait été conduit Laurents par 'étoile de ‘Vénus, laquelle disparnt lorsqu’l y fut arrivé (Serv, en. Mt, 801). Oe genre de miracle n’était done pas tout & fait inconnu au temps od écrivaient les eilistes. 3. Anonym, Herméppus, I, 8, 48, p. tt ed. Kroll, LASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN. uM pXtentions de l’astrologie. Que les astrologues renoncent a dire que les astres roglent la destinde; que, comme Platon, Philon et Jes néo-platoniciens, ils leur attribuent seulement le role de signes indieateurs, d’écriture divine, et plus d'un adversaire posera les armes, persuadé qu’il n'y a plus alors de fatalisme astrologique et que la conduite du monde est remiso, comme il convient, a Dieu seul. Au fond, Origéne ne leur demande pas autre chose. I n’oublie pas de faire valoir contre les astrologues les objections connues, l'argument des jumeaux, l’argument inverse tiré des races, voire la précession des équinoxes, enfin D'impossibilité ob ils sont de satisfaire aux exigences de la théorie; mais, contre Yastrologie elle-méme, congue comme interprétation de signes divins, il n’a rien & dire, sinon qu'elle est au-dessus de V'intelli- gence humaine. Encore n’est-il pas trés ferme sur ce terrain ; car enfin Dieu ne fait rien en vain. Pour qui ces signes révélateurs, qui, n’étant pas causes, seraient inutiles comme signes s'ils n’étaient pas compris? Pour les < puissances supéricures aux « hommes, les anges? » Mais les « anges » (#yyeAcx) sont, par définition, les messagers de Dieu, et les prophéties prouvent que Dieu ne dédaigne pas de révéler parfois l'avenir aux hommes. Du reste, on n’a pas besoin de pousser Origsne aux concessions; il ne refuse aux hommes que la connaissance « exacte » du sens des signes cdlesies. Toutes réserves faites sur la pratique, il croit & Yastrologie pour les mémes raisons que les néo-platoniciens, et il Tui apporte mame, & ses risques et périls, le renfort de textes tirds de l’Keriture sainte®. : En dépit de 'infortane posthume qui, au 1v*sidele, le retrancha du nombre des docteurs orthodoxes, on sait combien fut grande, dans l'iglise grecque surtout, I'autorité d’Origine. Aussi n’est-on pas étonné d’apprendre que nombre de cbrétiens, mame des membres du clergé, croyaient pouvoir accepter les doctrines ou sadonner aux pratiques de l'astrologie. On raconte que l’évéque a'Himdee, Husdbe, était dans ca cas ot qu'il fut par la suite déposé de son sidge pour ce fait®. Saint Athanase, si rigide pourtant sur 4, Origen. ap. Euseb, Prasp. Boang. VI, 11. 2. Origine, partant des tuminaria signa de la Gondse (cl-dessus, p. 48, 2), en venait a croire les astres vivants, car Jo Psalmiste dit : laudate eum, sol et Iuna. il se demande méme e'ils n'ont pas péché, attendn que Job dit : et stellae non sunt mundae in conspects efus, ot o's ont en part & la Rédemption, opinion qui, de Vavis de 8. Pamphile (Apolog. pro Orig. 9), n’était aullement hérétique. 3, Bocrat, Hist, Kecl, U, 9. Sozomen, Hist, Keck. Ili, 6. 32 A. BOUGHE-LECEERGQ. le dogme, trouve dans le livre de Job la trace et, par conséquent, la confirmation d'une des théories les plus caractéristiques de Yastrologie, celle des etxot ou domiciles des plandtes!, Eusdhe d’Alexandrie constate et déplore que les chrétiens se servent cou- ramment d’expressions comme : « Peste soit de ton étoile! » ou: « Peste soit de mon horoscope! » ou : « Il est né sous une bonne « étoile! » Il ajonte que certains vont jusqu’a adresser des pridres aux astres et dire, par exemple, au Soleil levant : « Aie pitié de « nous », comme font les adorateurs du Soleil et les hérétiques*. Le danger était 1a, en effet. L’Eglise ne se souciait pas d’entrer en lutte contre l'astrologie d’allure scientifique; mais elle ne pou- vait laisser remonter d la surface le fonds de religion, le sabdisme, qui avait engendré l’astrologie et qui, 4 mesure que baissait le niveau de la culture générale, tendait & reprendre sa force origi- nelle. C’est ce qui explique la reprise des hostilités, d’ailleurs assez mollement menées, dont nous avons donné un apergu & propos de I’étoile des Mages. Les Pares du rv° siécle finissant ne purent que recommencer, sans y jeter un argument nouveau, la lutte contre l’astrologie, au nom de Ja morale menacde par son fatalisme®. Comme origénistes, ils n’osent plus employer contre elle les armes théologiques, et, comme dialecticiens, ils sont bien au-dessous de leurs devanciers. Ils répatent & l’envi que, si la destinée humaine était préfixde par les astres, Dieu, qui a fait les astres, serait responsable de nos actes, méme mauvais. Leur argumentation peut se sumer dans le mot de saint Hphrem : « Si Dieu est juste, il ne peut avoir établi des astres généthliaques, «en vertu desquels les hommes deviennent nécessairement « pécheurs! », C’était le langage du bon sens; mais le hon sens, fait de postulats empiriques, n'est pas plus admis dans les démons- trations en forme que le coup de poing dans l’escrime savante. Ces docteurs qui, pour laisser entidre notre responsabilité, ne veulent pas connaitre de limites & notre liberté ferment les yeux pour ne point voir les redoutables questions soulevées par la foi 1. Athatias, ap, Anal, sacra, V, 1, p. 25 Pitra [Paris.-Rom. 1838). 2. To, Carol. Thilo, Eusebit Alexandrins Oratio Tsp) doxpaviuiey € Cod. Rog. Par. primum edita [Progr. Halae, 1884], p. 19. 3. Nous avons encore le Kari eluapuéme de Grégoire de Nysso : le tralté homonyme de Pévéque Diodore do Tareo est perdu, sanf quelques fragments (op. Phot. Cod. coxxm). 4, Ephrem. Carmina Nisibena (on syrinque), wx, 16. De méme, Isidore de Séville (Orig. TIL, 70, 40). WASTROLOGIE DANS LE HORDE ROMAIN. 53 en la prescience de Dieu et les difficaltés qu’ajoute & ca probléme général, insoluble, le dogme chrétien lui-méme. Le péché origi- nel, la grace, et l’obligation d'accorder ces formes de la fatalité avec V'idée de justice, sont des arcanes auprés desquels le fata~ lisme astrologique parait souple et accommodant. En outre, ces mémes docteurs s’attaquaient imprudemment A la science elle~ méme, au nom de l’orthodoxie. S'ils n’avaient pas de textes pré~ cis & opposer & T'astrologie, ils en trouvaient, ot plus d’un, qui leur défendait d’admettre que la terre fiit une sphare et leur imposait de croire qu'il y avait en haut du firmament des réser- voirs d’eaux célestes. Ils étalaient ainsi &'nu leur naiveté, déja tournée en intolérance, et se mettaient sur les bras des querelles inutiles ou utiles seulement aux astrologues. Ceux-ci, en effet, gardaient le prestige de la science grecque, et ils auraient aussi bien trouvé leur compte au triomphe de Ja cosmographie ortho~ doxe, qui était celle des anciens Chaldéens'. La lutte, ainsi dlargie, dévoyée, dispersée, fut reprise et comme concentrée en une derniére bataille, livrée par le plus grand tac- ticien, le plus impérienx et le plus dcouté des docteurs de I'Eglise, saint Augustin. Celui-la est d’une autre trempe que les origénistes de I’iglise d’Orient. Il dédaigne les précautions de langage, les arguments de moralistes, comme le souci du libre arbitre humain, qu'il écrase dans 1a doctrine de la grace et de la prédestination ; et, s'il emploie la raison raisonnante, c'est comme arme légére, se réservant d'employer, pour briser les résistances dans les rangs des chrétiens, l'affirmation hautaine et I’autorité da dogme. I ne faut pas s’attendre & trouver chez lui une logique serrée, et il n'est méme pas aisé de distinguer du premier coup le but qu'il poursuit. Ce n'est pas pour la liberté humaine qu’il combat. Loin de faire cause commune avec ses défenseurs, il les considare comme des athées. Il trouve détestable la négation de la pres- cionce divine opposée comme fin de non-recevoir par Cicéron aux partisans de la divination®. [1 admet done, sans ombre de doute, 1. Voy. le mémoire de Letronne, Des opinions cosmographiques des Peres de TBglise, 1835 |Guores choistes, Il* série, t. 1, p. 382-414]. Lactance (Inst. Div. I, 24) trouve. absurde Ia sphéricité de la Terre; Diodore de Terse la réfate, et 8. Augustin défend qu’on y croie. 2% Augustin, Gio. Del, V, 9. TI juge avec raison qu'un Dieu qui ne connai~ trait pas Pavenir ne serait pas Dieu. Suivant lu, Dieu a tout priva do toute éternité, méme nos volitions; mais nous sommes libres dans tous les cas ob ia voulu que nous Te fussions et préva que nous le sarfons (bid. V, 10). Gest 3 A. BOUCHE-LECLERCO. Ja possibilité de la révélation de l'avenir — sans quoi il faudrait nier les prophéties — et méme il ne considére pas comme des superstitions nécessairement illusoires et mensongéres les pra- tiques divinatoires. Mais il abomine d’autant plus ces inventions des démons, qui, toujours aux aguets, épient les signes extérieurs de la penste divine et s'emparent ainsi de quelques bribes de vérité qu’ils mélent, quand il leur plait, & leurs mensonges. Saint Augustin accepte toute la démonologie cosmopolite qui minait depuis des sidcles l’assiette de Ja raison, et nul esprit ne fat jamais plus obsédé par Ja hantise et le contact du surnaturel. Manichéen ou.orthodoxe, il ne voit dans le monde, dans histoire comme dans la pratique journaliére de la vie, que la lutte entre Dieu et le diable, entre les anges de lumiére et Jes esprits de ténébres, ceux-ci imitant ceux-lh, opposant leurs oracles aux prophaties divines, disputant aux songes véridiques I’ame qui veille dans le corps endormi, Inttant & coups de sortiléges magiques avec les vrais miracles. L’astrologie bénéficia pourtant du gofit qu’il s’était senti pour elle et de l'étude qu’il en avait faite'. Ce n’était pas 18 un de ces piéges vulgaires tendus parle démon aux Ames simples, mais l’extension abusive, orgueilleuse, athée, d’une science qui était & certains égards le chef-d’cenvre de Yesprit humain. Sil’as- trologie n’était pas athée, si les « mathématiciens » consentaient & ne voir dans les astres que des signes — non plus des causes — saint Augustin hésiterait & condamner une opinion partagée par des gens trés doctes. Mais, telle qu'elle est et que la com- prennent la plupart de ses partisans, elle a la prétention de subs~ tituer la fatalité naturelle, mécanique, & la volonté de Dieu; elle est done dans la voie du mensonge, et le champion du Tout-Puis~ sant s’attaque, avec sa fougue ordinaire, & ces « divagations impies* ». Les armes théologiques étant depuis longtemps émoussées, c'est & la dialectique qu’il a recours. II reprend tous les argu- ments mis en ligne depuis Carnéade, mais il n’y ajoute gudére que sa véhémence, des sarcasmes et un peu de sophistique. La fasti- dieuse querelle dleyée & propos des jumeaux — avec variante eo libre arbitre qu'il oppose au fatalisme astrologique (De continent. 14), Tequel suppose une fatalité mécanique, inintelligente, immorale. 1. Augustin. Confess. IV, 3. 2 Jam etiam mathematicorum fallaces divinationes et impia delira- menta rejeceram (Augustin. Confess. VII, 6). L'ASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN. 38 pour les jumeaux de sexe différent — n'est pas plus tranchés par Texemple d’Esait et Jacob que par celui des Dioscures ; Y'attaque ot Ja riposte en restent au méme point. Il le sent si bien lui~méme qu'il a recours & des artifices de rhétorique et A des pidges de mots. Htant donnés, dit-il, deux jumeaux, on bien ils ont méme horoscope, et alors tout doit étre pareil chez eux, ce qui n'est pas, l'expérience le prouve; ou bien ils ont, & cause de la petite différence de temps qui sépare les deux naissances, des horoscopes différents, et alors « j'exige des parents différents, ce que des « jumeaux ne peuvent pas avoir! ». Avec de telles exigences, on ne comprendrait pas que les mémes parents puissent avoir jamais plus d’un enfant, absurdité dont J'astrologie n’est aucunement responsable. Ces mémes jumeaux sont malades « en méme temps >. Le fait est expliqué par la similitude des tempéraments, suivant Hippocrate; par celle des thames de géniture, suivant Posidonius. Saint Augustin ne se contente pas de proférer V’explication du médecin & celle de I’astrologue : il veut que l’expression < en « méme temps » indique ure coincidence mathématiquement exacte, et il s’écrie : « Pourquoi étaient-ils malades pareillement « et en méme temps, et non pas l'un d’abord, l’autre ensuite, « puisque aussi bien ils ne pouvaient étre nés simultanément? « Ou, ai le fait d’étre nds en des temps différents n’entrainait pas «< quills fussent malades en des temps différents, pourquoi sou- « tient-on que Ia différence de temps & la naissance produit des « diversités pour les autres choses*? » Les astrologues avaient ‘vingt facons d’échapper & co dilemme, sans compter Ja ressource de ne pas endosser jusque dans le détail la responsabilité des opi- nions de Posidonius. L’astrologie, avertie par des sidcles de dis- cussions, ne disait pas ou ne disait plus que les destinées des jumeaux dussent étre de tout point semblables ou de tout point différentes. Mais saint Augustin ne veut pas ainsi abandonner Ia partie. Il se cramponne & Posidonius. Celui-ci prétendait que les jumeaux malades, s‘ils n’étaient pas nés au méme moment mathé- matique, avaient 48 congus en méme temps; il expliquait ainsi Jes ressemblances dans la destinée des jumeaux par la simultaneité 1. Augustin. Civ. Dei, V, 2. 1 veut dire que si gout est pareil aveo méme horoscope, tout dolt etre différent avec horoscopes différents. Mais alors des enfants nés de mdmes parents en des temps divers ne devralent avoir rien de commun entre eux, pas méme les parents. 2% Augustin. Civ, Det, ¥, 5. 56 A, BOUCHE-LECLEREQ. de conception et les dissemblances par la non-simultandité des naissances. I] se mettait dans un mauvais cas, et saint Augustin daube & son aise sur cette conception simultanée qui produit des jumeaux de sexe opposé et de destinées contraires; mais cette volée d’arguments passe & cbté des astrologues assez avisés pour tirer un voile sur le mystdre de la conception et se contenter de spéculer sur "horoscope de Ja naissance. Il a raison aussi, mais aussi inutilement, quand il signale une certaine incompatibilits logique entre la méthode généthliaque, qui suppose tout préfixd au moment de la naissance, et celle des xatapyal, qui prétend choisir pour nos actions le moment opportun!. Ce sont des théo- ries différentes, qui cocxistaient et se combinaient parfois, sans que personne se fit soucié de les ramener & ’unité. Saint Augus- tin s'imagine toujours avoir affaire & une doctrine arrétée, immo- bilisée dans une orthodoxie qui permette de la saisir sous une forme précise et de la terrasser. Mais, hydre ou protée, Vastrolo- gie- échappe de toutes parts & son dtreinte. Il fallait latteindre dans son principe, nier résolument I’influence des astres ou sou- tenir que, s’il y en avait une, on n’en pouvait rien savoir. Cela, saint Augustin Je fait, mais sans conviction, avec des réserves et des concessions qui rendent & I’'adversaire le terrain conquis. IL déclare Yastrologie athée, celle qui enseigne « que les astres « décident de nos destinées sans Ja volonté de Dieu », inaccap- table méme pour de simples rationalistes*. Mais il ménage Yopi- nion transactionnelle, qu’il sait avoir été celle de Plotin e* oa ‘Ori~ gene, et oh s’apergoit tout & coup, non sans surprise, que, au fond, c'est la sienne. Il clét la discussion en disant que, si les astrologues « font si souvent des réponses admirablement vraies >, ce n’est pas par- l’effet de leur art chimérique, mais par V'inspira- tion des démons. 11 pense avoir ruiné V’astrologie en tant que science humaine, et voila qu'il la restaure comme révélation démoniaque, revivifiant du méme coup son dogme fondamental, car, si les démons lisent l'avenir dans les astres, c'est qu’il y est écrit. C’était la recommander aux paiens, pour qui les démons de saint Augustin étaient des diewx, sans intimider Jes chrétiens qui faisaient la part moins large aux démons ou qui, en mettant 1, Augustin. Cio, Dei, V, 7. Ptolémée avait évité cette contradiction en ne 2 Augustin, Céo. Del, V, 1. VASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN. 37 des patriarches dans le Zodiaque et des anges dans les plandtes, pensaient avoir convenablement exorcisé l’outillage astrologique jadis manié par les paiens‘, En fin de compte, la polémique chratienne contre l’astrologie n’aboutit pas plus qu’autrefois celle des sceptiques. Les chrétiens qui ne croyaient pas aux horoscopes redoutaient, comme tout le monde, les éclipses et les comédtes & cause des malheurs qu’elles annongaient, et il ne fut jamais entenda une fois pour toutes que Ton ne pouvait étre chrétien sans abhorrer l'astrologie. L’auteur chrétien du dialogue intitulé Hermippus fait valoir, au contraire, Yexcellence et a valeur morale d'une science qui éléve Yintelli- gence humaine vers les choses célestes et, bien loin de pousser au fatalisme, nous apprend que !’ame spirituelle échappe & l'influence matérielle des astres®, ‘Comme il n’y eut pas de doctrine arrétée, ni approbation, ni improbation expresse, il n'y eut pas non plus de mesure générale décrétée an nom de V’Eglise catholique en ce qui concerne les croyances ou les pratiques astrologiques. En Orient, on shabitua & considérer l’astrologie comme une dépendance plus ou moins contestable de l’astronomie, classée dans la catégorie des opinions Hibres dont I’Higlise n’avait pas & s’occaper. En Occident, l’auto- rité de saint Augustin et la Intte contre les Manichéens et Pris- cillianistes fit prévaloir Vidée, vraie au fond, que l’astrologie était une des formes de la magie, une religion idolAtrique qui adressait ses hommages aux démons implantés dans les plandtes et les ‘décans du Zodiaque, la mére de toutes les pratiques de sorcellerie appliquées & la médecine, & la chimie, ou, pour mieux dire, répandues comme une obsession diabolique sur toutes les voies ouvertes & la pensée et l’activité humaines. Mais personne ne tenait la magie et I’astrologie pour de pures chiméres, et l’astro- logie gardait, malgré qu'on en elit, le prestige de la science astro- nomique qui lui fournissait les données de ses calculs. Les doo- 1. Les Prisollllanistes coommodaient ainei astrotogie; c'est & eux surtout que songe 8. Augustin en s‘attaquant aux astrologues, 2. 11a dola de mettre lo libre arbitre & Pabrl de Pinfluence des astres. C'est Je seul point qui importe. Huet, qui s'y connaissalt, dit d’Origine que, si ce docteur croyait a la révélation de Vavenie par les astres, in vadem esset causa 38 A, BOUGHE-LECLERCQ. teurs orthodoxes du moyen Age ne veulent pas se faire soupgonner d'ignorance en proscrivant une science qui faisait 1a gloire des Byzantins et des Arabes. Is endorment leurs scrupules dans Yopinion moyenne que les astres influent sur ‘homme, mais ne forcent pas sa volonté, opinion qui implique une adhésion for- melle au principe générateur de T’astrologie. Ce qui a tué Vastrologie, ce ne sont pas les arguments de toute sorte, philosophiques et théologiques, dirigés contre elle au cours des sidcles, La philosophie, elle l’avait eue pour auxiliaire; les dogmes, elle les avait forcés & composer avec elle!. Elle renais- sait plus hardie que jamais, & l’aurore des temps modernes, lors- qu'elle regut le coup mortel, un coup qui n’était pas dirigé contre elle et qui la frappa de cdté, par une incidence imprévue. Tant que la science astronomique s’était contentée de dilater I’univers en laissant & la Terre sa position centrale, les idées naives qui avaient engendré l'astrologie et s’étaient soudées en un tout com- pact dans la théorie du microcosme conservaient la force persua- sive d'une tradition & la fois intelligible et mystéricuse, clef de Vinconnu, dépositaire des secrets de l'avenir. La géométrie astro- Jogique continuait & asseoir ses constructions sur leur base origi- nelle, amoindrie sans doute, mais demeurée au point de conver- gence de tous les influx cdlestes. Une fois la Terre réduite & l'état de plandte et lancée dans Yespace, la base se dérobant, tout Véchafaudage croule du méme coup. II n’y a d’incompatible avec Yastrologie que le systéme proposé jadis par Aristarque de Samos, repris et démontré depuis par Copernic. L’incompatibilité est telle qu'elle n’a pas besoin d’étre mise en forme Jogique. Elle se sent mieux encore qu'elle ne se comprend. Le mouvement de la Terre a rompu comme fils d’araignée tous les liens imaginaires qui la rattachaient aux astres — des astres tout occupés d’elle — et ca qui en reste, Je concept général de J’attraction, ne suffirait pas au sophiste le plus intrépide pour Jes renouer. Mais des idées qui ont fait partie du sens commun pendant des milliers d’années ne se laissent pas éliminer en un jour, La défaite de Vastrologie fat retardée par l'intervention d’une allide qui, en 4. Les traités dastrologie du xvre aldcle sont souvent dédiés a des princes de Tiiglise. Celai de Fr. Junctinus (Speculum Astrologiae, 2 vol, fol. Lugdunt 1581), outre une dédicace a V’évéque de Spire, est mani d’ano lettre tres humble ad Reverendissimes antistites ac Reverendos Inquisitores haereticas ‘pravitatis, dont Vanteur invoque Ie patronage. L'ASTROLOGIE DANS LE MONDE ROMAIN. 39 défendant l’ancienne conception de l’univers au nom de textes sacrés', faisait par surcroit les affaires de gens qu'elle avait tou- jours até tentée d’anathdmatiser. En interdisant & Galilée, par Yorgane du Saint-Office, d’enseigner le mouvement de 1a Terre, V'Eiglise obéissait & ce qu'il y a de plus infaillible en elle, & V'ins~ tinct de conservation. La foi religieuse ne se sent & V’aise que couvée, pour ainsi dire, sous l'abri d’un ciel étroitement uni 4 la terre, et, bien que la dignité du « rosean pensant » ne soit pas Jogiquement lide’ la primauté dela plandte qui le porte, il semble qu'il soit moins qualifié pour &tre le centre d’un plan divin depuis qu'il se sait logé sur un atome et emporté, avec le systéme solaire tout entier, dans le silence des espaces infinis. 4, Il fant reconnattre que les théologiens d’alors interprétalent d'une fagon irréprochable, entre autres textes, celui du Pealmisto : Qué fundasti terram in stabililatem suam, non inclinabitur in sacculum sascull (Ps. crv, 5). Do maéme antrofols, le stofcien Cléanthe avait voula faire condamner do ‘Samos pour impiété envers la vénérable Hestia ou foyer da monde (Plut. De facie im orbe tunae, 6). Crest pat respect pour Vitcriture que Tycho-Brahé Nogont-fo-Rotrou, imprimerie Daupaiuy-GouveRNnsun.

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