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Grande Biblithaque Payot Ferdinand de Saussure Cours de linguistique générale Publié par Charles Bailly et Albert Séchehaye ‘vec la collaboration de Albert Riedlinger Edition critique préparée par Tullio de Mauro Postface de Louis-Jean Calvet Les notes et commenties de Tullio de Muro (pages Xvi e319 3495) ‘ont traduits de Iiaien par Louis-Jean Cavet © 1967, pour sates comments de Tullio de Mar, Later (@ 1916 1972, 1985, 1998. Edna Peyor & Rivage INTRODUCTION Depuis les premidres années du xvin stele, de génération en géné- ration, se succédent dans la ville faalle genevoise des Saussure des aturalises, des physciens, des géographes. Mener plus loin les ‘connaissances dans le domaine des sciences naturelles et des sciences fcxactes est une hérédit¢ familial, accept6e avec un orguellconsclent. Seule Albertine-Adrienne de Saussure, aux débuls du xix* sitele, eoigne de cette habitude pour se tourner vers Festhétique des lettres romantiques et des philosophes iéalistes allemands, alnsl que vers a pédagogle. Deux générations plus tard Ferdinand de Saussure {ait un cholx tout aus! inbabituel dans la famille et un ami de 'aeule patemelle, Adolphe Pictet, initlateur des études de paKontologe lin- Gulstiques et patrlarche de Ia culture genevolse au millen du xix* } acertainement une part notable). A dixneut ans, apris avolr 4enaié: durant deux semestres 1a chimle, la physique et ls sciences ‘aturlles &universté de Genéve le Jeune Saussure reprend décidé- ‘ment les études littéraires ot en particulier les études linguistiques, (Godel St 221 et compromettalt la posit de comparaison di donque (Luc, eet inelt ete tn De Mauto 1066, 190-181). A lear ute, Fauter de ces lignes st perms de die que cette concep tion portat en ele entre autres conatquence, cele de Timposte ils de communique. Et die vr, les deux savants et ell qu les 4 joints avant raison dans Ia mesure 08 ls ne voyalent pas que Sataureavalteabor ave son in tintin entre sens et sgt, ste phonation et sgniant,'est-i-dire entre exdetion ou pate ef ‘stim ou langue, Cate distinction, sar laquelle ous avon Inet ats le dabut de ete introduction e sur laquelle Saunareimtme 4 plusieurs fos arte ses exon, sat Incroyable qu cla Pe arate apres ‘coup, n'a pes été aanle dans toute st porte Juoq’h un brett importa are de A Burger qe benny fens ou sgifato, signi estar gu en ‘deste appaest ‘vee ce que Code aval drt danw Sah en rele paraienent ® BeTRODUCTION x Yonison ave te reste des Interpratons que Godel avait dabor ai ote eigen pete stance arson vérable 38. avo ses pessectine tongues de pls wand portance Erkce Se tstinton ene seston et sgl, phnation Seatac sansure est en mesure daorer ane nolon de syste WrpUithyteonte qu se trouve Aedes consequences abardes SaiSietpeent sts cts ditinetion (a rapent sux Yeux Tirta rcupret pas sete dstineson dane toute se pot) ale ‘ete dtncun tout une baw a Fetade daehroniqe. Taelnom de quale lente conontonsnous comme, nel aquemert appre des unites Tngusiqesappavterant 2 des Pate inmastiqc dttents? Non ps sr aban de leur Iden Ti phonatatre (ett ul nous ne pourions pas explguer pourqul ted conroton, comme tener dane secesion continu, lelatin itdumet ie rasa [o,f gue préetene aucune reste Stance pols epourquoaTinverse nourneconlaronspescomme pisces ar she ato gne continue de devloppment dewx phrases Meme i ats T VITELLI DE HOMANT SONO BELL, «vo. O elite a son de gue du dln romain » et a phrseHalleane Mimogrte:}en ar te Dave Tew tacoute de seme Ceol eats dns conier ain sada comme un avloppemest Sr finda now pourtons pen conser Vitalin eto, ‘tolsnant comme devappement Gain capi, «pest 9); ‘Marit dase en snare sntemporin de sensedeponle Eorcr cap tos devs coe nme gece oe, fees (as nous aos en gardons bin) Fallemand Feuer feu» ‘Scrat nglbodnecant et tees ad mecant» , [Svsicurclicmtne st pusoon plonebaosufsane: deux eres, hae lo enero hs appertennent de sytbmes dfs, ont une Sticuriremedablemet dient (Lc ava parfultement rae {ric scien Chomsty et Hale ont done abn de pared «he SIL peng penomenon of language change» ¢ Te changement Tngustique ex en ee un phésmbne encore tnigmalqu poate Tngusteerangers a pense saturene-Enipmtiqu aa pln ae rus ne parvenooe melo pas Justi a base sur lage 008 ‘Sartore on changement is probleme et pour Seussre a terme de ses médtatins, rele tivementsnpl: La frmile pa age Te out et In ua thc vertedUguaionsdnynchroaiguesenresgaltaton diverentes oni lvergete, sas gu cependant, dane chaque Gla agus ot eles eseienty sont des varante Gu mtn ig ot ‘hn sigan un fat de fangue Teste, pnts ee 4. La phe tallenne homegrapbe, Jel del romant sano bell, signe th DEERME Set bee oc du eoouctan- xa INTRODUCTION ane sétte dlachronique (calidum et chaud) ou d'une série compa: tative (latin nalur et viel-indien ftds) C'est en se fondant sur ‘équations que le lingulste comparatste pouvait et peut étonner le fant, par exemple, que Vallemand Tar est «Ia allen fuori, zeha est « In meme chose » que ‘On volt done que la conception sausturienne de Ia langue comme aystime idiosynchronique, avec la distinction entre exéeution et systime, non seulement ne nient pas mals corroborent ai contraire 4e is fagon Ia plus rgoureuse Vétude diachronique. 11 vaut la peine ‘ajouter que cette meme conception clarfe, comme nous aurons ea partie Poceasion de le voir, d'autres probleme, tel que celal de Ia communication entre deux individus ow cell (qui est tune variante plus compliquée du précédent) de la traduction dune langue vere autre. Mais Saussure ne s'est pas arrtté sur ces deux problémes qul ont retenu attention & une époque plus réente: ila pourtant fourn, W notre avis, la cet pour les résoudre de Ia melleure ds fagons. De Varbitraire découlent deux autres caractres antithétiques de 4a langue. Avant tout, sa mutabilité au cours du temps. Les sige fants, les signs et leur organisation en systéme étant libres de ena rigides qui les relient & In réalitélogique ou naturelle ete, Ia langue est sujet aux changements les plus profonds, ls plu impré ‘isbles, les moins «logiques» et les moins « naturels» I arrive sins ‘que delointaines traditions linguistiques pussent se mettre & conver- ‘er, on blen quinne méme tradition lingulstique pulsse se scinder en {lomes profondément ivergents. Les langues wont devant elles autres limites que celles, uniquement et vraiment universlles (unk ‘ernelles, bien sar, pour espéce humaine), de la structure de apparel! perceptif et consclent de homme et de son apparel phonatolre et scoustique :& Vintérieur de celles, les possibilités de regrouper en signifiants et en signités Pinfnie série des différentes phonies et des ijetréceptif tout oe qui est passif (i —> 6). Tl faut ajouter une faculté d’association et de coordina- tion, qui se manifeste dés qu'il ne s'agit plus de signes isolés ; c'est cette faculté qui joue le plus grand réle dans organisation de la langue en tant que systéme (voir p. 170 sv {62} Mais pour bien comprendre ce rile, il faut sortir de I'acte individuel, qui n'est que Vembryon du langage, et aborder Ie fait social. Entre tous les individus ainsi reliés par le langage, il s'éta- blira une sorte de moyenne : tous reproduiront, — non exac- ‘tement sans doute, mais approximativement — les mémes signes unis aux mémes concepts. Quelle est Torigine de cette cristalisation sociale ? Laguelle des parties du circuit peut étre ici en cause ? Car 30 iwrmopucrion ilest bien probable que toutes n'y participent pas également, La partie physique peut étre écartée d'emblée. Quand nous entendons parler une langue que nous ignorons, nous perce- vons bien les sons, mais, par notre incompréheasion, nous restons en dehors du fait socal La partie psychique n'est pas non plus tout entitre en jeu : le cbté exécutif reste hors de cause, car Yexécution n'est jamais faite par la masse; elle est toujours individuelle, ft Tindividu en est toujours le mattre ; nous Tappellerons {63} la parote* Cest par le fonctionnement des facutés receptive et vordinative que se forment chez les sujets parlants des empreintes qui arrivent a étre sensiblement les mémes chez tous. Comment faut se représenter ce produit social pour que la langue apparaisse pafaitement dégagte du reste? Si nous pouvions embrasser la somme des images verbales ‘emmagssinées chez tous les individus, nous toucherions le lien social qui consttue la langue. C'est un trésor déposé par la pratique de la parole dans les sujets appartenent une méme communauté, un systme grammatical existant Virtuellement dans chaque cerveat, ou plus exactement dans les cerveaux d'un ensemble d'individus ; car Ia langue est complite dans aucun, elle n'exste parfaitement que (64) dans la masse.” En séparant la langue de la parole, on sépare du méme coup : 16 ce qui est social de oe qui est individuel ; 2° ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins (851 accidental." La langue n'est pas une fonction du sujet parlant, elle ‘st le produit que V'individa enregistre passivement ; elle ne suppose jamais de préméditation, et la réflexion n'y inter- vient que pour Yactvité de classement dont il sera question p. 170 sv. La parole est au contraire un acte individuel de volonté et @inteligence, dans lequel il convient de distinguer PLACE DE LA LANGUE DANS LE LANGAGE 31 20 les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le codetde Ia langue en vue d'exprimer sa pensée personnelle; [66] 2° le mécanisme psycho-physique qui lui permet d'extéririser es combinaisons." 167) est & remarquer que nous avons défini des choses et non ‘des mots ; les distinctions établies n‘ont done rien & redou- ter de certains termes ambigus qui ne se recouvrent pas d'une langue a Vautze. Ainsi en allemand Sprache veut dire « lan- gue »et « langage » ; Rede correspond & peu pres & «parole » aais y ajoute le sens spécial de « discours ». En latin sermo signifie plutst « langage » et « parole», tandis que lingua dési- gue la langue, et ainsi de suite, Aucun mot ne correspond ‘exactement A Vune des notions précisées plus haut ; c'est ‘pourquoi toute définition faite & propos d'un mot est vaine ; est tune mauvaise méthode que de partir des mots pour définir les choses.* (65) ‘Récapitulons les caractires de la langue = Ie Elle est un objet bien défini dans l'ensemble hétéro- lite des faits de langage. On peut la localiser dans la por> tion déterminée du circuit ou une image aucitve vient s'asso- cier & un concept. Elle est Ia partie sociale du langage, exté- rieure & individu, quia lui seul ne peut nila eréer nila modi- fier; elle n'existe qu'en vertu d'une se-te de contrat passé entre les membres de la communauté, D'autre part, Tindi= ‘vidu a besoin ’un apprentissage pour en connaftre le jew 5 Venfant ne se l'assimile que peu a pea."Elle est-si bien une [69] chose distincte qu’un homme privé de Tusage de 1a parole conserve la langue, pourva qu'il comprenne les signes vocauxx quilentend. 2° La langue, distincte de la parole, est un objet qu'on peut étudier séparément. Nous ne parions plus les langues ‘mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur orga- rnisme linguistique. Non seulement la science de la langue ‘peut se passer des autres éléments du langage, mais elle n'est ‘possible que si ces autres éléments n'y sont pas melés. 2 intRopucrion 3° Tandis que le langage est hétérogine, la Tangue ainsi délimitée est de nature homogéne : c'est un systme de signes ot il n'y a d'essentiel que I'union du sens et de V'image acoustique, et ot les deux parties du signe sont également ‘psychiques. 4° La langue n'est pas moins que la parole un objet de nature concréte, et c'est un grand avantage pour l'étude. Les signes linguistiques, pour etre essentiellement psychi- ‘ques, ne sont pas des abstractions ; les associations ratifies par le consentement collect, et dont l'ensemble constitue la langue, sont des réalités qui ont leur sidge dans le cerveau. En outre, les signes de la langue sont pour ainsi dire tangi- bles ; Véeriture peut les fixer dans des images convention- nelles, tandis quill serait impossible de photographier dans tous leurs détails les actes de la parole ; la phonation d'un ‘mot, si petit soit-l, représente une infinite de mouvements musculaires extrémement difficiles & connattre et & figurer. Dans la langue, au contraire, il n'y a plus que l'image acous- tique, et celle-i peut se traduire en une image visuelle cons- ‘ante. Car si ‘on fait abstraction de cette multitude de mou- vements nécessaires pour la réaliser dans la parole, chaque mage acoustique n'est, comme nous le verrons, que Ia somme d'un nombre limite d'éléments ou phontmes, susceptibles 4 lear tour d'étre évoqués par un nombre correspondant de signes dans l'écriture. C'est cette possbilité de fixer les choses relatives & la langue qui fait qu’un dictionnaire et une gram- ‘maire peuvent en étre une représentation fiddle, la langue tant le dépot des images acoustiques, et I'éeriture la forme § 3. PLACE DE LA LANGUE DANS LES FAITS HUMAINS. mi La stmtovoare.* Ces caractéres nous en font découvrir un autre plus impor- tant, La langue, ainsi délimitée dans ensemble des faits de La séro10cie 33 langage, est classable parmi les faits humains, tandis que le langage ne T'est pas. ‘Nous venons de voir que la langue est une institution sociale ; mais elle se distingue par plusieurs traits des autres institutions politiques, juridiques, ete. Pour comprendre sa nature spéciale il faut faire intervenir un nouvel ordre de fits. La langue est un systime de signes exprimant des idées, ‘et par la, comparable & I'écriture, & alphabet des sourds- rmuets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaire, ete., etc. Elle est seulement le plus impor- tant de ces systimes.* ir) On peut done concevoir une science qui éludie la vie des signes au sein de la vie sociale ; elle formerait une partie de Ia psychologic sociale, et par conséquent de la psychologie générale ; nous la nommerons sémiologie! (du gree sémeion, « signe »)*Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, {73} quelles lois les régissent. Puisqu’elle n'existe pas encore, on ne peut dire ce qu'elle sera ; mais elle a droit & l'existence, sa place est déterminge d’avance. La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale, les lois que découvrira la stmiologie seront applicables & la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachée a un domaine bien défini dans ensemble des faits humains. Crest au psychologue & déterminer la place exacte de la sémiologie! ; la tiche du linguiste est de définir ce qui fait de la langue un systéme spécial dans l'ensemble des faits ‘stmiologiques. La question sera reprise plus bas ; nous ne retenons ici qu'une chose: si pour la premitre fois nous avons pu assiguer & la linguistique une place parmi les 1, Ouse gander de contntre a sémilogt ave a manta, gu dt tse changements de signet, et dot F. dene pas alt exposé ‘nithdiques mals on eo unuvers i rasp fondamentl foul in 09. PE Cae Navman, Cafeton dese, 2" 104 u axrropucriox sciences, fest parce que nous avons rattachée & Ia stmiologie. Pourquoi celleci n'estlle pas encore reconnue comme science autonome, ayant comme toute autre son objet pro- pre ? Crest qu'on tourne dans un cercle : d'une part, rienn'est plus propre que la langue & faire comprendre Ia nature du probléme sémiologique ; mais, pour le poser eonvenablement, fi faudrait étudier la langue en elle-méme ; or, jusqu'ci, on Ya presque toujours abordée en fonction d'autre chose, & ‘autres points de vue. Il y a d’abord la conception superficielle du grand Public: il ne voit dans Ia langue qu'une nomenclature (voir p. 97), ce qui supprime toute recherche sur sa nature (74) véritable.* Pus il y a Te point de vue du psychologue, qui étudie Te rmécanisme du signe chez T'individu ; c'est In méthode Ia plus facile, mais elle ne conduit pas au deld de lexéeution individuelle et n'atteint pas le signe, qui est social par nature. Ou bien encore, quand on s'apergot que Ie signe doit étre ‘tudié socialement, on ne retient que les traits de Ia langue qui la rattachent aux autres institutions, celles qui dépen- dent plus ou moins de notre volonté ; et de la sorte on passe { cbte du but, en négligeant les caracttres qui n’appartien- nent qu'aux systtmes stmiologiques en général et & la langue en particulier. Car le signe échappe toujours en une certaine ‘mesure & la volonté individuelle ou sociale, c'est IA son carac- tire essentiel - mais c'est celui qui apparaft le moins & pre- mitre vue. Ainsi ce caractére n'apparaft bien que dans Ja langue, ‘mais il se manifeste dans les choses qu’on étudie le moins, et par contre-coup on ne voit pas bien Ia nécessité ou T'uti- lité particuligre d'une science sémiologique. Pour nous, a contraire, le probléme linguistique est avant tout sémiolo- Sique, et tous nos développements empruntent leur sigaifi- ta sémroxocie, 35 cation & ce fait important, Si Von veut découvrir la veritable nature de la langue, il faut la prendre d'abord dans ce qu'elle fa de commun avec tous Ies autres syst#mes du méme ordre ; et des facteurs linguistiques qui apparaissent comme tris importants au premier abord (par exemple Ie jeu de Vappa- reil vocal), ne doivent étre considérés qu’en seconde ligne, siils ne servent qu’a distinguer Ia langue des autres systémes. Par Ia, non seulement on éclairera le probléme linguistique, mais nous pensons qu'en considérant les rites, les coutumes, te... comme des signes, ces faits apparattront sous un autre jour, et on sentira le besoin de les grouper dans la sémiotogic ot de les expliquer par les iois de cette science. (73) 761 CHAPITRE IV LINGUISTIQUE DE LA LANGUE ET LINGUISTIQUE DE LA PAROLE* En accordant & la science de Ia langue sa vraie place dans ensemble de l'étude du langage, nous avons du méme coup situé la linguistique tout entitre. Tous les autres éléments du langage, qui constituent ta parole, viennent d’eux-mémes se subordonner a cette premitre science, et c'est grace & cette subordination que toutes les parties de la linguistique trou- vent leur place naturelle. Considérons, par exemple, la production des sons néces- saires & la parole : les organes vocaux sont aussi extérieurs 4 Ia langue que les appareils ectriques qui servent & trans- rire Valphabet Morse sont étrangers & cet alphabet ; et la Phonation, c'est-A-dire Iexécution des images acoustiques, N'affecte en rien le systime Iui-méme. Sous ce rapport, on peut comparer la langue & une symphonie, dont la réalite est indépendante de la manitre dont on I'exécute ; les fautes que euvent commettre les musiciens qui a jouent ne compromet- tent nullement cette réalité.* A cette s¢paration de la phonation et de la langue on oppo sera peut-ttre les transformations phonétiques, les altéra- tiohs de sons qui se produisent dans la parole et qui exercent lune influence si profonde sur les destinées de la langue elle- méme. Sommes-nous vraiment en droit de prétendre que celle-ci existe indépendamment de ces phénoménes ? Oui, LINGUISTIOUE DE LA LANGUE ET DE LA PAROLE 37 car ils n'atteiguent que la substance matérielle des mots. Sis attaquent la langue en tant que systéme de signes, ce n'est quiindirectement, par le changement d'interprétation aqui en résulte ; or ce phénomtne n'a rien de phonétique (voir . 121). Il peut étre intéressant de rechercher les causes de ‘es changements, et I’étude des sons nous y aidera mais cela n'est pas essentiel : pour la science de la langue, il sulfa tou- jours de constater les transformations de sons et de calculer leurs effets Et ce que nous disons de Ia phonation sera vrai de toutes les autres parties de la parole. L’activité du sujet parlant doit étre étudiée dans un ensemble de disciplines qui n’ont de place dans la linguistique que par leur relation avec la langue. ; Lietude du langage comporte done deux parties : Tune, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indépendante de V'individu ; cette étude est uni- quement psychique ; l'autre, secondaire, a pour objet la par- individuelle du langage, c'est-A-dire la parole y compris, Ja phonation : elle est psycho-physique.* m Sans doute, ces deux objets sont étroitement liés et se supposent I'un T'autre : Ia langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets ; mais ‘eclle-ci est nécessaire pour que la langue s‘établisse ; histo- riquement, le fait de parole précéde toujours. Comment Saviserait-on d'associer une idée & une image verbale, si Yon ne surprenait pas d'abord cette association dans un acte de parole ? D'autre part, c'est en entendant les autres {que nous apprenons notre langue maternelle ; elle n'arrive se déposer dans notre cerveau qu‘a la suite d‘innombra- bles expériences. Enfin, c'est la parole qui fait évoluer la Tangue : ce sont les impressions recues en entendant les ‘autres qui modifient nos habitudes linguistiques. ly @ done interdépendance de la langue et de Ia parole ; celle-it est & la fois Vinstrument ot le produit de celle. Mais tout 38 inmopucrion cela ne les empéche pas d'étre deux choses absolument dis- 173} tinctes.* La langue existe dans la collectivité sous la forme d'une somme d'empreintes déposées dans chaque cerveau, & peu res comme un dictionnaire dont tous les exemplaires, iden- tiques, seraient répartis entre les individus (voir p. 30). Crest done quelque chose qui est dans chacun deux, tout en étant ‘commun & tous et placé en dehors de la volonté des déposi ‘aires. Ce mode d’existence de la langue peut étre représenté par la formule : (79) DHLHEL4 L.. = I (modateteotl De quelle manitre la parole est-elle présente dans cette ‘meme collectivité ? Elle est la somme de ce que les gens disent, ct elle comprend : a) des combinaisons individuelles, dépen- dant de la volonté de ceux qui parlent, 6) des actes de pho- nation également volontaires, nécessaires pour l'exécution de ‘es combinaisons* n'y a done rien de collectif dans 1a parole ; les mani- festations en sont individuelles et momentanées. Ici il n'y a rien de plus que la somme des cas particuliers selon la for- ‘mule 180) Gere ery Pour toutes ces raisons, il serait chimérique de réunir sous ‘un méme point de vue la langue et Ia parole. Le tout global du langage est inconnaissable, parce qu'il n'est pas homo- gine, tandis que la distinction et Ia subordination proposées éclairent tout. elle est la premitre bifurcation qu’on rencontre dés qu'on ‘cherche faire la théorie du langage. Il faut choisir entre deux routes quill est impossible de prendre en méme temps ; elles doivent étre suivies s¢parément, On peut & la rigueur conserver le nom de linguistique & cchacune de ces deux disciplines et parler d'une linguistique 181) de la parole*Mais il ne faudra pas la confondre avee la lin- LINGUISTIQUE DE IA LANGUE ET DE LA PAROLE 39) guistique proprement dite, celle dont la langue est unique objet. ‘Nous nous attacherons uniquement & cette dernitre, et si, ‘au cours de nos démonstrations, nous empruntons des lumitres ‘a étude de la parole, nous nous efforcerons de ne jamais efla- cer les limites qui stparent les deux domaines. (2) 183) 841 CHAPITRE V ELEMENTS INTERNES ET ELEMENTS EXTERNES DE LA LANGUE* Notre définition de Ia langue suppose que nous en écar- tons tout ce qui est étranger & son organisme, & son systme, en un mot tout ce qu'on désigne par le terme de « linguistique externe »*Cette lingustiquea s'occupe pourtant de choses importantes, et cest surtout a elles que Ion pense quand on ‘horde Vétude du langage. Ce sont d'abord tous les points par lesquels la linguistique touche a I'ethnologi, touts les relations qui peuvent exister entre l'histoire d'une langue et celle d'une race ou d'une civic lisation .Ces deux histoires se mllent et entretiennent des rapportsréciproques. Cla rappelle un peu les correspondances constatées entre les phénoménes linguistiques proprement dits (voir p. 23 sv), Les murs d'une nation ont un eontre-coup sur sa langue, et, autre part, c'est dans une large mesure Ja langue qui fait la nation.* En second lieu, il faut mentionner les relations existant entre la langue et V'histoire politique. De grands faits histo- riques comme la conquéte romaine, ont eu une portée incal- culable pour une foule de faits 4qui n'est qu'une forme de la conquete, transporte un idiome dans des miliewx différents, ce qui entraine des changements ‘dans cet idiome. On pourrait eter & Yappui toute espace de fats: ainsi la Norvége a adopté le danois en s'unssant poli- tiquement au Danemark ; il est vrai quaujourd'hui les EF EXTERNES DE LA LANGUE 41 ELEMENTS INTER Norvégiens essaient de slaffranchir de cette influence lin~ sguistique. La politique intérieure des Etats n'est pas moins importante pour la vie des langues : certains gouvernements, ‘comme la Suisse, admettent la coexistence de plusieurs idio- ‘mes ; dautres, comme la France, aspirent & V'unite linguis- tique. Un degré de civilisation avanct favorise le développe- ment de certaines langues spéciales (langue juridique, termi- nologie scientifique, ets).* Ceci nous améne & un troisitme point : les rapports de la langue avee des institutions de toute sorte, MEglise, école, te, Celles-ci,& leur tour, sont intimement lies avee le déve- loppement litteraire d'une langue, phénoméne d'autant plus ‘général quil est luimméme inséperable de I'histoire politique. La langue littéraire dépasse de toutes parts les limites que semble Iui tracer la littérature ; qu'on pense & influence des salons, de la cour, des académies. Dautre part elle pose la sgrocse question du confit qui s'éve entre elle et les dialectes locaux (voir p. 267 sv.) ; le linguiste doit aussi examiner Tes rapports réciproques de la langue du livre et dela langue cou- rante ; car toute langue littéaire, produ de la culture, arrive {i détacher sa sphére d'existence de la sphire naturelle, celle de la langue pariée.* Enfin tout ce qui se rapporte & Vextension géographique des langues et au fractionnement dialectal reléve de la lin guistique externe. Sans doute, c'est sur ce point que Ia dis- tinction entre el et Ia linguistique interne paraft le plus paradoxale, tant le phénoméne gtographique est étroitement ‘associé & Yexistence de toute langue ; et cependant, en réalite, il ne touche pas a lorganisme intérieur de Yidiome.* On a prétendu quill est absolument impossible de sépe- rer toutes oes questions de I'étude de la langue proprement dite, Cest un point de vue qui a prévalu surtout depuis quion a tant insist sur ces « Realia ». De meme que la Plante est modi i facteurs étrangers : terrain, climat, et (85) (86) (87) 2 mrropucrion nisme grammatical ne dépend-il_pas constamment des facteurs externes du changement linguistique ? Il semble qu'on explique mal les termes techniques, les emprunts dont, Ja Langue fourmille, si on n'en considére pas la provenance. Estil possible de distinguer le développement naturel, ‘organique d'un idiome, de ses formes artificeles, telles que la langue littéraire, qui sont dues & des facteurs externes, per conséquent inorganiques 7 Ne voit-on pas constamment se développer une langue commune & edte des dialectes locaux ? Nous pensons que V'étude des phénoménes linguistiques cexternes est tr8s fructueuse ; mais il est faux de dire que sans eux on ne puisse connaftre lorganisme linguistique interme. Prenons comme exemple Yemprunt des mots étran- ‘gers ; on peut constater d'abord que ce n'est nullement un lément constant dans la vie d'une langue. Il y a dans oer taines vallées retires des patois qui n'ont pour ainsi dire jamais admis un seul terme artificel venu du dehors. Dira- ton que ces idiomes sont hors des conditions régulitres du langage, incapables d'en donner une idée, que ce sont, eux qui demandent une étude « tératologique » comme Wayant pas subi de mélange ? Mais surtout le mot em- pprunté ne compte plus comme tel, dés qu’il ext étudié au sein du systme ; il existe que par sa relation et son ‘opposition aver les mots qui lui sont associés, au méme titre que nimporte quel signe autochtone. D'une fagon intrale, il nest jamais indispensable de connate les cir, {88} constances au miliew desquelles une langue s'est développée”* Pour certains idiomes, tels que le zend et le paléo-slave, on ne sait méme pas exactement quels peuples les ont parlés ‘mais cette ignorance ne nous géne mullement pour les étudier intereurement et pour nous rendre compte des transforma- {89] tions qu’ls ont subies*En tout cas, la séparation des deux points de vue s'impose, et plus on Vobservera rigoureusement, ‘mieux cela vaudra. {ELEMENTS INTERNES ET EXTERNES DE LA LANGUE 43 La meilleure preuve en est que chacun d’eux crée une iéthode distncte, La lingustique extere peut accumuler detail sur détail sans se sentir serée dans [tau d'un sys- tame, Par exemple, chaque auteur groupera comme il Yex- tend les faits relatifs & Texpansion d'une langue en dehors de son tersitoire ; sion cherhe les facteurs qui ont er une langue litéraire en face des dalctes, on pourra toujours user dela simple enumeration; ion ordonne efit une fagon plus ou moins systimatique, ce sera uniquement pour les Desoins dela art Pou la inguistiqu interne, i en va tout autrement : elle wadmet pas une disposition queleongue ; Ia langue est un systime qui ne comnalt que son ordre propre. Une compa- alton avec le jeu d'écheese fera mieux sentir. Lh i est rela (90 tivement facile de dstinguer ce qui ext exter de ce qui est interne : le fit quila pass de Perse en Europe est d'ordre extere ; interne, au contaire, tout ce qui conoere le syt- time et les rigs. Si je remplae des pies de bois par des pitees d'ivoire, le changement est indent pour le syste : Intis je diminue ou augmente le nombre des pites, ce chan- ements atteint profondément la « grammaire » da jeu. It Ten est pas moins vrai qu'une certaine attention ext nézes Sai pou fire des distinctions de ce genre. Ains dans chaque cas on posera la question de la nature du phénomne, et pour la resudre on observer cette rile: es interne tout ce qui ‘change le systéme A un degré quelconque.* 91) to2] 93) CHAPITRE Vi REPRESENTATION DE LA LANGUE PAR L'ECRITURE § 1. Nécessrré v'éruprer ce suser.* Liobjet concret de notre étude est done le produit social depose dans le cerveau de chacun, 'esticdire la langue. Mais ‘ce produit difére suivant les groupes linguistiques : ce qui nous est donné, ee sont les langues. Le linguiste est oblige den connattre le plas grand nombre possible, pour tier de leur observation et de leur comparaison ce qu'il y 9 d'uni- versel en elles. Or nous ne les connaissons généralement que par T'é ture. Pour notre langue maternelle elle-méme, le document intervient & tout instant. Quand il s‘agit d'un idiome parlé A quelque distance, il est encore plus nécessaire de reeourir ‘an témoignage écrit ; & plu forte raison pour ceux qui n'exis- tent plus. Pour disposer dans tous es cas de doc -mentsdirets, il faudrait qu'on eit fait de tout temps ce qui se fat actulle- rent & Vienne et & Paris: une collection d'échantillons pho- nographiques de toutes ls languesEncore faudrait-il recourit a Vecriture pour faire connattre aux autres les textes consi- agnés de cette maniére Ainsi, bien que Iécriture soit en elle-méme étrangtre au systeme interne, il est impossible de faire abstraction d'un proctdé par Iequel la langue est sans cesse figurée; il est nécesssire den connaftre utlit, es défauts et les dangers. PRESTIGE DE L'ECRITURE 5 § 2 Prestige DE L'EcRITURE ; CAUSES DE SON ASCENDANT SUR LA FORME PARLEE* (94) Langue et éeriture sont deux systimes de signes dis- tinets ; unique raison d’étre du second est de représenter le premier; objet linguistique n'est pas défini par la combinaison du mot écrit et du mot parié; ce demier constitue & lui seul eet objet. Mais le mot écrit se méle si intimement au mot parlé dont il est "image, quil finit par rusurper le réle principal ; on en vient 4 donner autant et plus d'importance & la représentation du signe vocal qu’a ee signe lui-méme. Crest comme si on croyait que, pour connaftre quelqu'un, il vaut micux regarder sa photogra- phie que son visage. Cette illusion a existé de tout temps tle opinions cou- rantes qu'on colporte sur Ia langue en sont entachées. Ainsi Yon eroit communément qu’un idiome s'eltire plus rapide- ment quand l'écriture n’existe pas : rien de plus faux. L'éeri- ‘ure peut bien, dans certaines conditions, ralentir les chan- sgements de la langue, mais inversement, sa conservation n'est nollement compromise par absence décriture. Le litua- nien, qui se parle encore aujourd'hui dans la Prusse otien- tale et une partie de Ia Russie, n'est connu par des docu- rents éerits que depuis 1540 ; mais & cette époque tardive, il offre, dans Vensemble, une image aussi fdtle de Vindo- européen que le latin du mt® sitele avant Jésus-Christ. Cela seul suit pour montrer combien la langue est indépendante de Vécriture. Certains faits linguistiques trés ténus se sont conservés sans le secours d'aucune notation. Dans toute 1a période du viewx haut allemand on a écrit (ten, fuolen et stézen, tandis qu’a la fin du xu sitcle apparaisent les graphies falen, flelen, contre slzen qui subsite. D’ot provient cette 4iftérence 7 Partout ou elle s'est produite, il y avait un y 46 INTRODUCTION dans la syllabe suivante ; le protogermanique offrait *dau- yan, *[dlyan, mais *slautan. Au seuil de la période litté- raire, vers 800, ce y s'affaiblit & tel point que V'écriture n’en conserve aucun souvenir pendant trois siteles ; pourtant il avait laissé une trace Iégtre dans la prononciation ; et voici que vers 1180, comme on I'a vu plus haut, il reparait mira- culeusement sous forme d’ « umlaut » | Ainsi sans Ie secours de Vécriture, cette nuance de prononciation s'était exacte- ment transmise, La langue a done une tradition orale indépendante de Vécriture, et bien autrement fixe ; mais Ie prestige de Is forme écrite nous empéche de le voir. Les premiers linguistes s'y sont trompés, comme avant eux les humanistes. Bopp Juiméme ne fait pas de distinction nette entre la lettre et le son ; & le lire, on croirait qu'une langue est inséparable de son alphabet. Ses successeurs immeédiats sont tombés dans le méme pitge ; 1a graphic th de la fricative f a fait eroire & Grimm, non seulement que ce son est double, mais encore que c'est une occlusive aspirée ; de 18 la place qu'il Iui assigne dans sa loi de mutation consonantique ou « Lautverschiebung » (voir p. 199). Aujourd'hui encore des hommes éclairés con- fondent ta langue avec son orthographe ; Gaston Deschamps ne disait-il pas de Berthelot « qu'il avait préservé le frangais de Ia ruine » parce quil s'tait opposé & la réforme orthogra- * e-ce prestige de V'eriture ? 19 D'ahord image graphique des mots nous freppe comme tun objet permanent et solide, plus propre que le son & cons- tituer Vunite de le langue & travers le temps. Ce lien a beau ttre superficie et eréer une unité purement factge:ilest beal- coup plus facile & sais que le lien naturel, le weul veritable, celui du son. 2° Chez la plupart des individus les impressions visuelles font plus nettes et plus durables que les impressions acoustiques ; aussi s'attachentuils de préférence aux pre- Les sysriues p'cnrTuRE a mires. Limage graphique finit par s'i du son. 3° La langue littéraire aceroit encore Vimportance im= méritée de Técriture. Elle a ses dictionnaires, ses gram- maires ; c'est d'aprés le livre et par le livre qu'on enseigne a Véeole ; 1a langue apparatt réglée par un code ; or ce code fest Tui-méme une régle écrite, soumise & un usage rigou- eux : Vorthographe, et voilt ce qui confére & I'éeriture une importance primordiale. On finit par oublier qu’on apprend a parler avart d'apprendre a écrire, et le rapport naturel est renversé. 4° Enfin, quand il y a désaccord entre Ia langue et l'ortho- ‘raphe, le débat est toujours difficile & trancher pour tout autre que le linguiste ; mais comme celui-ci n'a pas voix ay chapitre, la forme écrite a presque fatalement le dessus, parce que toute solution qui se réclame d’elle est plus aisée ;l'éeri= ture s‘arroge de ce chef une importance & laquelle elle 1's pas droit. poser aux dépens §3, Les svsrEwes p'gcrrrune™ i) Iin'y a que deux systemes d’éeriture 10 Le systéme idéographique, dans lequel le mot est repré- senté par un signe unique et étranger aux sons dont il se com= pose. Ce signe se rapporte a l'ensemble du mot, et par Ia, indi= rectement, 2 T'idée qu'il exprime. L'exemple classique de ce systéme est l'écriture chinoise. 2 Le systéme dit communément « phonétique », qui vise 8 reproduire la suite des sons se succédant dans le mot. Les écritures phonétiques sont tantot syllabiques, tant6t alpha- Détiques, c'estrindire bastes sur les éléments irréductibles de Ja parole. Diailleurs les écritures idéographiques deviennent volon- tiers mixtes : certains idéogrammes, détournes de leur valeur Premitre, finissent par représenter des sons isolés* ior 48 axTRODUGTION [Nous avons dit que le mot écrit tend a se substituer dans notre esprit au mot parlé : cela est vrai pour les deux sys- times d'écriture, mais cette tendance est plus forte dans le premier. Pour le Chinois, Vidéogramme et le mot parlé sont au méme titre des signes de T'idée ; pour lui V'écriture est une seconde langue, et dans la conversation, quand deux ‘mots parlés ont le méme son, il lui arrive de recourir au ‘mot éerit pour expliquer sa pensée. Mais cette substitution, par le fait qu'elle peut étre absolue, n'a pas les memes ‘conséquences fAcheuses que dans notre écriture ; les mots chinois des différents dialectes qui correspondent & une meme idee s‘incorporent également bien au méme signe gra- phigue. ‘Nous bornerons notre étude au systéme phonetique, et tout spécialement & celui qui est en usage aujourd'hui et dont le prototype est l'alphabet gree. ‘Au moment oli un alphabet de ce genre s'établit, il refléte Ja langue d'une fagon assez rationnelle, moins qu'il ne s'agisse un alphabet emprunté et déja entaché d'ineonséquences. ‘Au regard de la logique, Valphabet grec est particulitrement remarquable, comme nous le verrons p. 64. Mais cette har- ‘monic entre Ia graphie et Ia prononciation ne dure pas. Pour- quoi ? Crest ce quil faut examiner. § 4. Causes DU DEsACcORD ENTRE LA GRAPHIE {981 EF LA PRONONCIATION. Ces causes sont nombreuses ; nous ne retiendrons que les plus importantes. D'abord la langue évolue sans cesse, tandis que I'écriture tend & rester immobile. Il s’ensuit que la graphie finit par ne plus correspondre & ce quelle doit représenter. Une notation, conséquente & un moment donné, sera absurde un jecle plus tard. Pendant un temps, on modife le signe gra- phique pour le conformer eux chengements de prononcia- DESACCORD ENTRE LA GRAPHIE ET LES sons 49 tion, ensuite on y renonce. Cest ce qui est arrivé en francais pour of. (On pronongai au xi° sitele, 1 au xi sitele, « 2 wi, li ‘au xrv® sidele. - 3B. rod, toe au xix? sitele.. . . 4. roa, toa ‘Ainsi, jusqu’a 1a deuxitme époque on a tenu compte des changements survenus dans la prononciation ; & une étape de Vhistoire de la langue correspond une étape dans celle de Ia graphic. Mais & partir du x1v* sidcle l'écriture est restée stationnaire, tandis que la langue poursuivait son Evolution, et ds ce moment il y a eu un désaccord toujours plus grave entre elle et Vorthographe. Enfin, comme on con~ tinuait& joindre des termes discordants, ce fait a eu sa réper~ cussion sur le systéme méme de \'éeriture : V'expression gra~ phique of a pris une valeur étrangére aux éléments dont elle ‘est formée, On pourrait multiplier indéfiniment les exemples. Ainsi Pourquoi écrt-on mais et fait ce que nous pronongons me at /2? Pourquot c actil souvent en francais la valeur de s ? Crest que nous avons conserve des graphiques qui n’ont plus de raison d'étre, Cette cause agit dans tous les temps: actuellement notre I mouiliée se change en jod: nous disons éveyer, mouyer, ‘comme essuyer,netioyer ; mais nous continuons at écrire éeiler, mouilter. ‘Autre cause du désaccord entre la graphie et la pronon~ ciation : quand un peuple emprunte & un autre son alphabet, i arrive souvent que les ressources de ce systéme graphique sont mal appropriées & sa nouvelle fonction ; on est obligé dde recourir & des expédients ; par exemple, on se servira de deux lettres pour désigaer un seul son. C'est le cas pour le icative dentale sourde) des langues germaniques : V'alpha- on 100) 50 nemnopucrion bet latin n’offrant aucun signe pour le représenter, on le rendit par th. Le roi mérovingien Chilpérie essaya d'ajouter aux lettres latines un signe spécial pour ce son ; mais il n'y reussit pas, et I'usage @ consacré th. L'anglais du moyen ge avait ‘un ¢ fermé (par exemple dans sed « semence ») et un ¢ ouvert (par exemple dans led « conduire ») ; alphabet n‘offrant pas de signes distincts pour ees deux sons, on imagina d’écrire seed et lead. En francais, pour représenter la chuintante § fon recourut au signe double ch, ete., ete. Tly a encore Ia préoceupation étymologique ; elle a été pré- pondérante & certaines époques, par exemple & Ia Renais- sance. Souvent meme cst une feusse 6tymologie qui impose tune graphie ; ainsi, on a introduit un d dans notre mot potds, comme s'il venait du Iatin pondus, alors qu'en réalité il vient de pensum. Mais il importe peu que application du principe soit eorrecte ou non : cest le principe méme de I'écriture éty- mologique qui est erroné. -Ailleurs, la eause échappe ; certaines chinoiseries n'ont pas mime excuse de 'étymologie, Pourquoi a-t-on éerit en alle- ‘mand fhun au lieu de tun ? On a dit que le h représente Vaspi- re qui suit la consonne ; mais alors i! fallait 'introduire par- tout oit Ia méme aspiration se présente, et une foule de mots re Vont jamais regu (Tugend, Tisch, ete). § 5. Evers pe cr pésaccono.* serait trop long de classer Jes inconséquences de V'éeri- ture, Une des plus matheureuses est la multiplicité des signes ppour le méme son. Ainsi pour #nous avons en francais j. 9. ge (oli, geer, geai) ; pour # : = et $; pour s, e,'¢ et t (nation) 8 (hasser), se (aequieser), sg (acquiesgai), 2 (dia) ; pour K qu, , ch, e&, eqn (acquérir). Inversement plusieurs valeurs sont figurées par le méme signe : ainsi f représente { o¥ 5, g reprisente g ou #, ete.* DESACCORD ENTRE LA GRAPIIE ET LES soNS I Sigalons encore les « graphies indirectes ». En allemand, bien quil n'y ait point de consonnes doubles dans Zell, Taller, etc, on deri ty Wa seule fin dindiquer que Ia wvoyelle précédente est breve et ouverte. Cest par une aberration du méme genre que anglais ajoute un ¢ muet final pour allonger le voyelle qui préside ; comparez made (prononcez. méd) et mad (prononcer mid). Cet ¢ qui inté- resse en réaité unique syllabe, en erée une seconde pour Yoel. Ces graphies irrationnelies correspondent encore & quel- aque chose dans la langue ; mais d'autres ne riment & rien. Le frangais actuel n'a pas de consonnes doubles, sauf dans les futurs anciens mourrai, coureai : néanmoins, notre ortho- raphe fourmille de consonnes doubles iégitimes (bourr, salts, soufir, ete.) Tl arrive aussi que, n'étant pas ‘fixée et cherchant sa rigle, Veeriture hésite ; de Ia ces orthographes fuctuantes| aqui reprisentent les sais faits & diverses époques pour figurer les sons. Ainsi dans ertha, erdha, erda, ow bien tivi, divi, dri, du vieux haut allemand, th, dh, d figurent Dien Te méme élément phonique ; mais lequel ? Impossible de le savoir par Vecriture. len résulte eette complication ‘que, en face de deux graphies pour une raéme forme, on ne peut pas toujours décider sil s'agit réellement de deux prononciations. Les documents de dialectes voisins notent Je mtme mot les uns asca, les autres ascha ; si ce sont les rémes sons, c'est un eas dorthographe fuctuante ; sinon, 1a difference est phonologique et dialectale, comme dans les formes greeques patzé, paizdd, patddd. Ou bien encore i s'agit de deux époques successves ; on rencontre en anglais d'abord ‘oat, heel, ete, puis wat, whed, ete, sommes-nous en pré= sence d'un changement de graphie ou d'un changement pho- nétique ? Le résultat évident de tout cela, cest que I'écriture voile 4a vue dela langue : elle est pas un vétement, mais un trae 52 intropucrion vestissement, On le voit bien par l'orthographe du mot fran- ais oiseau, o& pas un des sons du mot parlé (wazo) n’est représenté par son signe propre ; il ne reste rien de l'image de la langue. Un autre résultat, c'est que moins l'écriture représente ce qu’elle doit représenter, plus se renforce 1a tendance & la prendre pour hase ; les grammairiens s'acharnent & atti- rer Vattention sur la forme écrite. Psychologiquement, la chose stexplique tres bien, mais elle a des conséquences facheuses. L'emploi qu'on fait des mots « prononeer » et « prononeiation » est une consécration de cet abus et ren- verse le rapport légitime et réel existant entre I'éeriture et la Tangue. Quand on dit qu'il faut prononcer une lettre de telle ou telle fagon, on prend image pour le modele. Pour que of puisse se prononcer wa, il faudrait qui existit pour lIui-méme, En réalite, c'est wa qui s'écrit oi. Pour expliquer cette bizarrerie, on ajoute que dans ce cas il s'agit «’une pro- nonciation exceptionnelle de o et de i ; encore une expres sion fausse, puisqu’elle implique une dépendance de la langue a Végard de la forme éerite. On dirait qu’on se permet quel~ que chose contre l'éeriture, comme si le signe graphique était 1a norme. Ces fictions se manifestent jusque dans les régles gram maticales, par exemple celle de 1'h en francais. Nous avons des mots @ initiale voralique sans aspiration, mais qui ont regu h par souvenir de leur forme latine ; ainsi homme (ancien- rnement ome), a cause de homo. Mais nous en avons d'autres, venus du germanique, dont 'h a été réellement prononcé hhache, hareng, honle, etc. Tant que laspiration subsista, ces ‘mots se pligrent aux lois relatives aux consonnes initiales ; fon disait : dew haches, le hareng, tandis que, selon la loi des mots commengant par une voyelle, on disait deu-z-hommes, Vomme. A cette époque, la régle = « devant Ht aspiré la liaison et lélision ne se font pas » était correcte, Mais actuellement cette formule est vide de sens ; I'h aspire n’existe plus, & DESACCORD ENTRE LA GRAPHIE ET LES sons 53 moins qu'on n’appelle de ce nom cette chose qui n’est p tun son, mais devant laquelle on ne fait ni liaison ni élision. Crest done un cercle vicieux, et 1'A n’est qu'un ete fictif issu de Vécriture. Ce qui fixe la prononciation d'un mot, ce n'est pas son corthographe, cest son histoire. Sa forme, a un moment donné, représente un moment de lévolution qu'il est forcé de suivre et qui est réglee par des lois précises. Chaque étape peut étre fixée par celle qui préctde. La seule chose & consi- dérer, celle qu'on oublie le plus. c'est l'ascendance du mot, son étymologie. Le nom de la ville d'Auch est of en transcription phone tique. C'est le seul cas oti le ch de notre orthographe repré- sente § la fin du mot. Ce n'est pas une explication que de dire: ch final ne se prononce § que dans ¢e mot. La seule ques tion est de savoir comment le latin Ausci’ a pu en se trans- formant devenir of ; Vorthographe n'importe pas. Doit-on prononcer gageure avec 6 ou avec? Les uns répondent : gatir, puisque heure se prononce Gr. D'autres disent : non, mais gata, car ge équivaut a 2. dans geile par exemple. Vain débat | La vraie question est étymologique : gageure a été formé sur gager comme fournure sur fourner 5 ils appartiennent au méme type de derivation : gai est seul justifié ; gatir est une prononciation due uniquement a T'équi- voque de Mécriture. ‘Mais la tyrannie de la lettre va plus loin encore : & foree de slimposer & la masse, elle influe sur la langue et la modi- fie. Cela n’arrive que dans les idiomes trés littraires, ot Je document écrit joue un réle considérable. Alors Vimage Visuelle arrive a eréer des prononciations vicieuses ; c'est 18 roprement un fait pathologique. Cela se voit souvent en francais. Ainsi pour le nom de famille Leféore (du latin faber), ily avait deux graphies, une populaire et simple, Leféore, autre savante et étymologique, Lefébure. Gre & 1a confu- sion de v et u dans Vancienne éeriture, Lefébore a eté lu Lefé= tot) 4 neTRODUCTION dure, avec un b qui n'a jamais exist réllement dans le mot, of un u provenant d'une équivoque. Or maintenant cette forme est rtellement prononcte. Test probable que ces déformations deviendront toujours plus fréquentes, et que l'on prononcera de plus en plus les lettres inuils. A Paris, on dit 46a: sept femmes en faisant sonner le { ; Darmesteter prévoit le jour ob 'on prononcera rméme les deux lettres finales de vingt, veritable monstruosité orthographique.* Ces déformations phoniques appartiennent bien & la lan~ ‘gue, seulement elles ne résultent pas de son jeu nature ; elles sont dues & un facteur qui lui est étranger. Le lingustique doit es mettre en observation dans un compartiment spécial : ce sont des cas teratologiques. CHAPITAE VII LA PHONOLOGIE § 1. Déenuion. Quand on supprime M'écriture par la penste, celui qu'on prive de cette image sensible risque de ne plus apercevoir ‘qu'une masse informe dont il ne sat que faire. Cest comme sion retiait & Vapprenti nageur sa eeinture de litge 1 faudrait substituer tout de suite le naturel a Tartifciel ; mais cela est impossible tant qu'on n'a pas étudié les sous de Ia langue ; car détachés de leurs signes graphiques, ils ne représentent plus que des notions vagues, et Yon prefere encore Vappui, méme trompeur, de V'ériture. Aussi les pre= riers lingustes, qui ignoraient tout de la physiologie des sons articulés, sontils tombés & tout instant dans ces pibges ; cher la lettre, était pour eux perdre pied ; pour nous, cest ‘un premier pas vers la verte ; ear c'est l'étude des sons eux mémes qui nous fournt le secours que nous cherchons. Les linguists de lépoque moderne Y'ont enfin compris ; repre nant pour lear compte des recherches inaugurées par d'autres (Physiologists, théoriciens du chant, etc), ils ont doté la lingustique d'une science auxiliaie qui Y'a affranchie du mot écrit. La physiologie des sons (all. Laul- ou Sprachphysion logic) est souvent appelée « phonétique » (all. Phonelik, ‘angl. phonetics). Ce terme nous semble impropre ; nous le remplagons par celui de phonologie. Car phondique a d'abord 1102) 1103) (104) 1105) 56 mermopuerion désigné et doit continuer & désigner l'étude des évolutions des sons ; 'on ne saurait confondre sous un méme nom deux études absolument distinctes. La phonétique est une science historique ; elle analyse des événements, des transformations et se meut dans le temps. La phonologie est en dehors du temps, puisque le mécanisme de V'articulation reste toujours semblable & lui-méme* ‘Mais non seulement ces deux études ne se confondent pas, elles ne peuvent méme pas s‘opposer. La premiére est une des parties essentielles de la science de la langue ; Ia phono- loge, elle, — il faut le repéter, — n'en est qu'une discipline ‘ausiliaie et ne reléve que de la parole (voir p. 36). Sans doute ‘on ne voit pas bien & quoi serviraient les mouvements pho- natoires si la langue n'existait pas ; mais ils ne la constituent pas, et quand on a expliqué tous les mouvements de I'appa- rei vocal nécessaires pour produire chaque impression acous- tique, on na éclairé en rien le probleme de la langue. Celle-ci est un systime bast sur l'oppesition psychique de ces impres- ns acoustiques, de méme qu'une tapisserie est une ceuvre d'art produite par opposition visuelle entre des fils de cou- leurs diverses ; or, ee qui importe pour I'analyse, c'est le jeu de ces oppositions, non les procédés par lesquels les couleurs ont été obtenues, Pour l'esquisse d'un systime de phonologie nous renvoyons a 'Appendice, p. 63 ; ici, nous rechercherons seulement quel secours la linguistique peut attendre de cette science pour ‘échapper aux illusions de I'écriture. § 2. L'tcnrrune enonorocigue. Le linguste demande avant tout qu'on lui fournisse un moyen de représenter les sons articulés qui supprime toute équivoque. De fait, d'innombrables systémes graphiques ont ete proposts.* DEFINITION DE LA PHONOLOGIE, 87 Quels sont tes principes d'une véritable éeriture pho- rnologique ? Elle doit viser & représenter par un signe cha- ‘que élément de la chatne pariée. On ne tient pas toujours compte de cette exigence : ainsi les phonologistes anglais, préoecupés de classification plutét que d’analyse, ont pour certains sons des signes de deux et méme trois lettres."En outre 1a distinction entre sons explosifs et sons implosifs (voir p. 7 sv.) devrait, comme nous le dirons,étre faite rigou- reusement. YY atil liew de substituer un alphabet phonologique & Yorthographe usuelle ? Cette question intéressante ne peut tre quieMeurée ici; selon nous Mécriture phonologique doit rester au service des seuls linguistes. D'abord, com- ‘ment faire adopter un systime uniforme aux Anglais, aux Allemands, eux Frangeis, ete. ! En outre un alphabet appli- ‘able & toutes les langues risquerait d’@tre encombré de signes diacritiques ; et sans parler de laspect désolant que présenterait une page d'un texte pari, il est évident qu’a force de préciser, cette écriture obscurcirait ce qu’elle veut ‘claircir, et embrouillerait le lecteur. Ces inconvénients me seraient pas compensés par des avantages suffisants. En dchors de la science, Vexactitude phonologique n'est. pas tris désirable* Ly a aussi la question de la lecture. Nous isons de deux ‘manitres : le mot nouveau ou inconn est épelé lettre aprés lettre ; mais le mot usuel et familier s’embrasse d'un seul ‘coup d'ail, indépendamment des lettres qui le eomposent ; image de ce mot acquiert pour nous une valeur idéogra- phique. Ici Vorthographe traditionnelle peut revendiquer ses Aroits: i est utile de distinguer fant et temps, — et, est et ail, — du et dd, — il deoait et ils deoaient, ete. Souhaitons seule- ‘ment de voir I'eriture usuelle débarrassée de ses plus grosses ‘absurdités ; si dans Venseignement des langues un alphabet Phonologique peut rendre des services, on ne saurait en géné- Taliser emplai. 106) 1107) 108) 58 ixrnopuction § 3. Crrmque pu TémoleNAGE DE L'écrrTUnE.* Crest done une erreur de eroire qu'aprés avoir recon le caractire trompeur de I'écriture, la premitre chose & faire soit de réformer Vorthographe. Le véritable service que nous rend la phonologie est de nous permettre de prendre certaines précautions vis-i-vis de cette forme écrite, par laquelle nous ddevons passer pour arriver a la langue. Le témoignage de Yécriture n'a de valeur qu’ la condition d'étre interprété, Devant chaque cas il faut dresser le systéme phonologique de Vidiome étudis, c'est-d-dire le tableau des sons qu'il met eit euvre ; chaque langue, en effet, optre sur un nombre déter- rminé de phontmes bien diflerenciés. Ce systéme est Ia seule réalite qui intéresse le linguiste. Les signes graphiques n'en sont qu'une image dont l'exactitude est & déterminer. La dificulté de cette détermination varie selon les idiomes et les cireonstances. ‘Quand il s‘agit d'une langue appertenant au passé, nous en sommes réduits & des données indirectes ; quelles sont alors les ressources & utiliser pour tabi le systdme phono- logique 18 D'abord des indices exermes, et avant tout le témoi- gnage des contemporains qui ont décrt les sons et 1a. pro- noneiation de leur époque. Ainsi les grammairiens fran- sais des xvie et xvn* sitcles, surtout ceux qui voulaient rrenseigner les étrangers, nous ont Isissé beaucoup de remar- ‘ques intéressantes. Mais cette source d'information est trés [peu sfire, parce que ces auteurs n'ont aucune méthode pho- nologique. Leurs descriptions sont faites avec des termes de fortune, sans rigueur scientifique. Leur témoignage doit done étre & son tour interpréte, Ainsi les noms dounés aux ‘sons fournissent des indices trop souvent ambigus : les gram- ‘mairiens grees désignaient les sonores (comme by d, 9) par le terme de consonnes « moyennes » (mésai), et les sourdes cRITIQUE DU TEMOIGNAGE DE LécniunE 59 (comme p, tA) par esl de psa que les Latins tradusaient par lent, ‘2° On peut trouver des renseignements plus sOrs en com- binant os premitres données aves les indices interns, que nous classerons sous deux rubriques. a) Indices tins de la regulate des évolutions phoné- tiques, (Quand il Sagit de determiner la valeur d'une lettre, i et tris important de savoir ce qu'a Cte & une époque ante Fieure Te_son quelle représente. Sa valeur actuelle ext le Fesultat dune evolution qui permet d'écarter demblee oer- faines bypothises. Ainsi nots ne savons pas exactement quelle était in valeur du gsanserit, mais comme i continue Te K plata indo-uropten, cette donnée limite netement ie champ des soppositions. Si, outre le point de depart, on connalt encore évoltion parlile de sons analogues de la méme langue a la méme fpoque, on peut Toisooner par analog et ‘irer une pro- portion. Le probldme est naturellement plus facile sil sagt de determiner une prononiation intermédair, dont on. con- raft la fois le point de départ et le point 'amivée*Le au frangais (par exemple dans sauer) ait néoesairement tne diphtongue au moyen Age, pulsguil se trove place entre un plus ancien af et le o du frangais modeme ; et si Yon apprend par une autre vole qu’ un moment donnt la fiphtongue ou existait encore, l est bien certain qu'elle fstait aussi dans In période précedente. Nous ne savons pas exactement ce que figure le 2 d'un mot comme le viewx faut allemand wazer ; mais les points de repre sont, une par, le plas ancien water, et de Taute, Ia forme moderne feasser. Ces doit done étre un son intermediate entre ¢ et # ous pouvons rejeter toute hypothise qui ne serait conc Table quavee le tou avec le sil est par exemple impos- sible de erie quill ait représenté une palatale, car entre [109 6 merropucrion deux articulations dentales on ne peut supposer qu'une dentale. +) Indices contemporains. lls sont de plusieurs especes. Ainsi la diversité des graphies : on trouve éerit, & une cer taine époque du vieux haut allemand : water, zehan, ezan, ‘mais jamais wacer, cehan, etc. Si d’autre part on trouve aussi san et essan, waser et wasser, etc, on en conclura que ce 2 avait un son tres voisin de s, mais assez diflérent de ce qui ‘est représenté par ¢ A la méme époque. Quand plus tard on rencontrera des formes comme wacer, ete., ela prouvera que ‘ees deux phontmes, jadis nettement distinets, se sont plus ‘ou moins confondus. Les textes pottiques sont des documents précieux pour Ja connaissance de la prononeiation : selon que le systeme de versification est fondé sur le nombre des syllabes, sur Ja quantité ou sur la conformité des sons (alitération, asso- ‘hance, rime), ces monuments nous fourniront des rensei- gnements sur ces divers points. Si le grec distingue cer taines longues par la graphie (par exemple 0, noté @), pour ‘autres il néglige cette précision ; c'est aux podtes qu'il faut demander des renseignements sur la quantité de a, i et u. En vieux frangais Ia rime permet de connaitre, par exemple, jusqu’a quelle époque les consonnes finales de gras et faz (latin, facid « je fais ») ont été différentes, & partir de quel moment elles se sont rapprochées et confon- dues. La rime et I'assonance nous apprennent encore qu’en vieux francais les e provenant d'un a latin (par exemple pére de patrem, tel de talem, mer de mare) avaient un son tout different des autres ¢. Jamais ces mots ne riment ou n'as- sonent avec elle (de illa), vert (de viridem), belle (de bella, ete, ete. ‘Mentionnons pour terminer Ia graphie des mots emprun- ts & une langue étrangtre, les jeux de mots, les cog-i-'ane, ete. Ainsi en gotique, kawisjo renseigne sur la prononciation de cautio en bas latin. La prononciation rw? pour roi est attes- cRITiQuE DU TéMOIGNAGE DE LécniTUNE GL ‘ée pour la fin du xvin¢ sitele par V'anectode suivante, citée par Nyrop, Grammaire historique de la langue francaise, 1, p- 178 : au tribunal revolutionnaire on demande & une femme siclle n'a pas dit devant témoins qu'il fallait un roi; elle répond « qu'elle n'a point parlé d'un roi tel qu’était Capet ou tout autre, mais d'un rovet matire, instrument a filer. »* (110) Tous ces procédés d'information nous aident & connaitre dans une certaine mesure le syste phonologique d'une époyue et & rectifier le témoignage de V'écriture tout en le rmettant profit. ‘Quand il s‘agit d'une langue vivante, la seule méthode rationnelle consiste : a) & établir le systme des sons tel qu'il est reconnu par l'observation directe ; 6) & mettre en regard le systime des signes qui servent & représenter — imparfai- ‘tement — les sons. Beaucoup de grammairiens s’en tiennent encore 4 Y'ancienne méthode, critiquée plus haut, qui con- siste & dire comment chaque lettre se prononce dans la langue {quills veulent décrire. Par ce moyen il est impossible de pré= senter clairement le systtme phonologique d'un idiome, Cependant, il est certain qu'on a déja fait de grands pro- agrés dans ee domaine, et que les phonologistes ont beaucoup contribué a réformer nos idées sur I'écriture et Vorthographe. APPENDICE, PRINCIPES DE PHONOLOGIE CHAPITRE PREMIER LES ESPECES PHONOLOGIQUES § 1. Dérwarion pu PHoNtue* [Pour cette partie nous avons pu utiliser la reproduction sténographique de trois conférences faites par F. de S. en 1897 sur la Théorie de la syllade, ou il touche aussi aux principes généraux du premier chapitre ; en outre une bonne partie de ses notes personnelles ont trait & la phonologie ; sur bien des points elles éclairent et complétent les données four- nies par les cours I et III. (Ed)]* Beaucoup de phonologistes s'attachent presque exclusive- ‘ment & I'acte de phonation, c'est-d-dire a la production des sons par les organes (larynx, bouche, etc), et négligent le cote ‘acoustique. Cette méthode n'est pas correcte : non seulement Vimpression produite sur l'oreille nous est donnée aussi diree- tement que l'image motrice des organes, mais encore c'est elle qui est la base naturelle de toute théorie.* La donnée acoustique existe déja ineonsciemment lors- qu'on aborde les unités phonologiques ; c'est par V'oreille que i114) ot PRINCIPES DE PHONOLOGIE nous savons ce que c'est qu'un b, un f, ete. Si Yon pouvait eproduire au moyen d'un cinématographe tous les mouve- ‘ments de la bouche et du larynx exécutant une chafne de sons, il serait impossible de découvrir des subdivisions dans cette suite de mouvements articulatoires ; on ne sait fo un son commence, ot autre finit. Comment affirmer, sans l'impression acoustique, que dans fal, par exemple, il ¥ a trois unités, et non deux ou quatre ? C'est dans la chaine de Ia parole entendue que I'on peut percevoir immédiate- ‘ment si un son reste ou non semblable a Iui-méme ; tant quien a T'impression de quelque chose d'homogine, ce son est unique. Ce qui importe, ce n’est pas non plus sa durée en croches ou doubles croches (cf. fal et fA, mais la qualité de Timpression. La chatne acoustique ne se divise pas en temps égaux, mais en temps homogtnes, caractérisés par unite d'impression, et c'est 1A le point de départ naturel pour l'étude phonologique.* ‘A cet égard lalphabet grec primitif mérite notre admi- ration. Chaque son simple y est représenté par un seul signe ‘graphique, et réciproquement chaque signe correspond & un son simple, toujours le méme. C'est une découverte de nie, dont les Latins ont hérité. Dans la notation du mot bérbaros « barbare », BAPBAPOE, chaque lettre corres- pond 4 un temps homogine ; dans Ia figure ci-dessus Ia ligne horizontale représente la chatne phonique, les petites Darres verticales les passages d'un son A un autre. Dans Valphabet gree primitif, on ne trouve pas de graphies com> plexes comme notre « ch » pour &, ni de représentations dou- bles d'un son unique comme ee» et «s pour s, pas non plus de signe simple pour un son double, comme «2 » pour ks. Ce principe, nécessaire et suffisant pour une bonne écrture phonelogiqu, les Grecs Font realise presque intégralement?, 4. Mest wrt quis ont drt X,@, @ pour kA, th ph; @EPQ reprlente DEFINITION DU PHONEME 6 Les autres peuples n'ont pas apergu ce principe, et leurs alphabets n’analysent pas la chaine parlée en ses phases acous- tiques homogtnes. Les Cypriotes, par exemple, se sont arré- ‘tés A des unités plus complexes, du type pa, fi, ko, ete. ; om appelle cette notation syllabique ; désignation quelque peu inexacte, puisqu‘une syllabe peut étre formée sur d'autres ‘types encore, par exemple pak, tra, etc. Les Sémites, eux, n'ont marqué que les consonnes ; un mot comme barbaros aurait été noté par eux snes. La délimitation des sons de la chaine parlée ne peut donc reposer que sur I'impression acoustique ; mais pour leur des- cription, il en va autrement. Elle ne saurait étre faite que sur Ia base de Vacte articulatoire, car les unites acoustiques prises dans leur propre chalne sont inanalysables. Il faut recou- rir & la chalne des mouvements de phonation ; on remarque alors qu’au méme son correspond le méme acte : b (temps acoustique) = 6° (temps articulatoire). Les premitres unités qu'on obtient en découpant Ia chaine parlée seront compo- shes de b et B' ; on les appelle phonémes ; le phonéme est la somme des impressions acoustiques et des mouvements arti- cculatoires, de I'unité entendue et de I'unite parlée, Pune con- ditionnant ‘autre : ainsi c'est déja une unité complexe, qui a tun pied dans chaque chaine* Les éléments que Von obtient d'abord par Vanalyse de la chaine parlée sont comme les anneaux de cette chaine, des moments irréductibles qu'on ne peut pas considérer ‘his; mals c'est une innovation pesttieare; les insriptonsarchalques Rotent KHAPIS ef non XAPIE. Les mimes inscriptions erent deux tlgnes pour fe koppaet le opp, mats le fat est diiérnt = agisait ‘Ge noter deax nuances sre dea prononciatin, le kétant tant palae tat tantbtvélaire alles Ye opps dispar dans la sulte-Enflo, point plas ddlicet les insriptions primitives greeques et lates notert souvent tune consonne double par une let simple; ainsi le mot latin fuse a été ‘ert PUISE ; done Intacton su principe, pisgue ce double s dure deux temps qui, novs le verona ne sont pas amogtnes et donnent des impres- sons distinct; mats ereur excusable, pulse ces deux sons, sans 4¢ fonfondre, présentent un earactze commun (tp. 79.) 66 PRINCIPES DE PILONOLOGIE fen dehors du temps qu’ils occupent. Ainsi un ensemble comme fa sera toujours un moment plus un moment, un fragment d'une certaine étendue plus un autre fragment, En revanche le fragment irréductible t, pris & part, peut étre considéré in absiracio, en dehors du temps. On peut parler de t en général, comme de lespéce T (nous désignerons les espéces par des majuscules), de ¢ comme de l'espece J, en ne s'attachant qu'au caractére distinctif, sans se préoccuper de tout ce qui dépend de Ia succession dans le temps. De la méme fagon un ensemble musical, do, ré, mi ne peut étre traité que comme une série concréte dans le temps ; mais si Je prends un de ses éléments irréductibles, je puis le consi- dderer in abstracto. Apres avoir analyse un nombre suffisant de chaines par- les appartenant & diverses langues, om arrive & connaitre et & classer les éléments avee lesquels elles opérent ; on cons tate alors que, si Yon néglige des nuances acoustiquement indifférentes, le nombre des especes données n’est pas indéf On en trouvera Ia liste et 1a description détaillée dans les ouvrages spéciaux! ; ici nous voudrions montrer sur quels principes constants et trés simples toute classification de ce 116} genre est fondée* Mais disons tout d'abord quelques mots de V'appareil vocal, ddu jew possible des organes et du réle de ces mémes organes comme producteurs du sou § 2. L’ApPaReIL vocal. ET SON FONCTIONNEMENT?# 1. Pour la description de I'sppareil, nous nous bornons & lune figure schématique, ou A désigne ta cavité nasale, B la 1. CE. Slevers. Grundenge der Phnetk 58,1902; Jesperen, Lehrbuch er Phonetit 24.1913 : Roudet, Elements de phondtiguegendae, 1910. ‘2. La desription un pea sommaire de. de Sausute act complete ‘Capris Lehrbuch der Panett de Mt. Jespersen, aul nove avons aus femprunté te principe «apres lequel is fornul APPAREML VOCAL ET SON FONCTIONNEMENT 67 eavité buccale, C le larynx, contenant la glotte » entre les deux cordes vocales. ‘Dans la bouche il est essentiel de distinguer les Ievres et a, la langue 6 — y (B désignant la pointe et y tout le reste), les dents supe rieures d, le palais comprenant une partie antérieure, osseuse et inerte f-h, et une partie postérieure, molle et mobile ou voile du pa- Iais i, enfin la luette 8. Les lettres greeques, désignent les organes actifs dans articula- tion, les lettres latines les parties passives. La glotte «, formée de deux muscles paral- likes ou cordes vocales, Souvre par leur éear- ‘tement ou se ferme par leur resserrement. La fermeture compléte n'entre pour ainsi dire pas en ligne de compte ; quant & ouverture, elle est ‘tant0t large, tantdt étroite. Dans le premier cas, air pas- sant librement, les cordes vocales ne vibrent pas ; dans le second, le passage de I'air détermine des vibrations sonores. I n'y a pas autre alternative dans V’émission normale des sons. La cavité nasale est un organe tout a fait immobile ; le pas- sage de l'air peut etre arrété par le relevement de Ia Iuette 6, rien de plus ; c'est une porte ouverte ou fermée. ‘tables -desous. Mats Is'agit de questions de forme, de mise ay point, fet le lecteur se convaincra que ces eliangemiensaaterent mule prt penste de F. de8. (Ed). 68 PRINCIPES DE PHONOLOGIE Quant & la cavite buccale, elle offre un jeu possible trés vvarié : on peut augmenter la longueur du canal par les Ievres enfler ou desserrer les joues, rétrécir et méme fermer la cavité par les mouvements infiniments divers des lévres et de la langue. Le rile de ces mémes organes comme producteurs du son cst en raison directe de leur mobilité : méme uniformité dans Ja fonetion du larynx et de la cavite nasale, méme diversite dans celle de la cavité buccale. Liair chassé des poumons traverse d’abord Ia glotte, ily @ production possible d'un son laryngé par rapproche- ‘ment des cordes vocales. Mais ce n'est pas le jeu du larynx qui peut produire les variétés phonologiques permettant de distinguer et de classer les sons de la langue ; sous ce rapport Je son Iaryngé est uniforme. Pergu directement, tel qu'il est mis par la glotte, il nous apparattrait & peu prés invariable dans sa qualité Le canal nasal sert uniquement de résonateur aux vibra- tions vocales qui le traversent ; il n'a done pas non’ plus le role de producteur de son. ‘Au contraire, la eavité buccale cumule les fonctions de ‘générateur de son et de résonateur. Si la glotte est large- ent ouverte, aucune vibration laryngienne ne se produit, et le son qu’on percevra n’est parti que de Ia eavité buccale (nous laissons au physicien le soin de décider si c'est un son ou simplement un bruit). Si au contraire le rapproche- ‘ment des cordes vocales fait vibrer 1a glotte, la bouche intervient principalement comme modificateur du son laryngé. ‘Ainsi, dans la production du son, les facteurs qui peuvent entrer en jeu sont lexpiration, V'erticulation buceale, a vibra- tion du larynx et la résonance nasale. ‘Mais enumérer ces facteurs de production du son, ce n’est pas encore déterminer les éléments differentiels des pho- nnémes. Pour classer ces derniers. il importe bien moins de LIAPPARBIL VOCAL BF SON FONCTIONNEMENT 69) savoir en quoi ils consistent que ce qui les distingue les uns des autres. Or un facteur négatif peut avoir plus d'impor- tance pour la classification qu'un facteur positif. Par exemple Yexpiration, élément positif, mais qui intervient dans tout facte phonatoire, n'a pas de valeur différenciatrice ; tandis que absence de résonance nasale, facteur négatif, servira, ‘aussi bien que sa présence, & caractériser des phontmes. Lessentiel est done que deux des facteurs énumérés plus haut, sont constants, nécessaires et suffisants pour la production du son a) Vexpiration, 2) Yarticulation buccale, ‘tandis que les deux autres peuvent manquer ou se surajouter ‘aux premiers la vibration du larynx, 4) Ia résonance nasale. D'autre part, nous savons deja que a, cet d sont uniformes, tandis que b comporte des variétés infinis. En outre il faut se souvenir qu'un phontme est identifié ‘quand on a déterminé Vacte phonatoire, et que réciproque- ment on aura déterminé toutes les esptees de phonémes en identifiant tous les actes phonatoires. Or ceux-ci, comme le rmontre notre classification des facteurs en jeu dans ta pro- duction du son, ne se trouvent différenciés que par les trois derniers. Il faudra done établir pour chaque phonéme : quelle ‘est son articulation buceale, s'il comporte un son larynge (\~) ou non ({] ), s'il comporte une résonance nasale (C2) ou non ({] . Quand Lun de ces trois éléments n'est pas détermin¢, identification du son est incomplete ; mais és quils sont connus tous les trois, leurs combinaisons iverses déterminent toutes les esptces essentielles d'actes Phonatoires. 1118) 0 [PRINCIPES DE PHONOLOGIE On obtient ainsi le schéma des vari ions possibles = Expiration Art. buee, 0 oO Expiration Ant. buce Expiration | Expiration ‘Art buce. | Art, buee. 0 ~~ La eolonne I désigne les sons sourds. II les sons sonores, IL es sons sourds nasalisés, IV les sons sonores nasalisés. Mais une inconnue subsiste : la nature de articulation bue- ‘ale ; il importe done d’en déterminer les variétés possibles. § 3. CLasstricaTION DES SONS D'APRES LEUR ARTICULATION, BuCCALE.* On classe généralement les sons d’aprés le lew de leur arti- culation. Notre point de départ sera diferent. Quelle que soit 1a place de Tarticulation, elle présente toujours une certaine ‘aperture, 'est-Adire un certain degré d'ouverture entre deux limites extrémes qui sont : Tocclusion compléte et Touver- ture maximale. Sur cette base, et en allant de Vaperture tminimale & Vaperture maximale, les sons seront classés en sept categories désignées par les chiffres 0, 1, 2,3, 4, 5, 6. Crest seulement I'ntérieur de chacune delles que nous reépartirons les phonémes en divers types d'aprés Ie liew de leu articulation propre. ‘Nous nous conformerons & la terminologie courante, quelle soit imparfaite bu incorreete sur plusieurs point des termes tels que gutturales, palatales, dentate, tiqui- des, ete. sont tous plus ou moins ilogiques. It serait plus rationnel de diviser le palais en un certain nombre aires; de Ia sorte, et en tenant compte de Iarticulation linguale, on pourrait toujours dire visdtvis de quel point se trouve CLASSIFICATION DES SONS n dans chaque cas le resserrement principal. Nous nous inspi- rerons de cette idée, et, utilisant les letres dela igure p. 67, nous symboliserons chaque articulation par une formule ob le aperture se trouve plact entre la lettre greeque mar- quant Torgane actif (& gauche) et Ia lettre latine désignant, organe passif (A droite). Ainsip oe veut dire qu'avec le degré aperture correspondant & Vocclusion complete, la pointe de la Langue B s'applique contre les alvéoles des dents supé- rleures e, Enfin, dans l'intérieur de chaque articulation, les diverses| espioes de phontmes se distinguent par les concomitances — son laryngt et résonance nasale — dont absence aussi jon que ta présence sera un élément de diffrenciation. Crest d'apres ce principe que nous allons classer tes son I s'agit d'un simple schéma de classification rationnelle on ne doit done pas sattendre & y trouver des phonémes d'un caractire complexe ow spécial, quelle que soit leur importance pratique, par exemple .es aspirées (ph, dh, etc.) les affriquées (s, dé, pj, etc. les consonnes mouillées, les voyelles faibles (> ou © muet, etc), ni inversement des honémes simples qui sont dépourvus importance pra- tique et n'entrent pas en ligne de compte comme sons diffé- rencits A, — Aperture zéno : Occtusives. Cette classe renferme tous les phontmes obtenus par Ia fermeture complote, Nocelu- sion hermétique mais momentanée de la cavite buccale. Tl n'y a pas lieu d'examiner si le son est produit au moment de la fermeture ou A celui de ouverture ; en réalité il peut se produire des deux maniéres (voir p. 79 sv.). Diaprts le lieu d'articulation on distingue trois types prin- ipaux d'ocelusives : Ie type labial (p, b, m), le type dental (id, n), le type dit guttural (k, 9, #)- Le premier s'articule avec les deux levres ; dans le second Vextrémité de la langue s‘applique sur avant du palais; n PRINCIPES DE PHONOLOGIE. dans le troisiéme le dos de la langue est en contact avec Yarritre du palais. Dans beaucoup de langués, notamment en indo-européen, on distingue nettement deux articulations gutturales, rune, palatale, sur /-h, Vautre, vélaire, sur i. Mais ailleurs, en fran- ‘ais par exemple, on néglige cette différence, et loreille assi- mile un k d'arriére, comme eelui de court, & un k d'avant, comme celui de qui. Le tableau suivant montre les formules de ces divers pho- némes : Les nasales m,n, i: sont proprement des occlusives sonores nasalisées ; quand on prononce amba, la luette se reldve pour fermer les fosses nasales au moment ot Yon passe de m & 6. En théorie chaque type posséde une nasale sans vibration glottale, ou sourde ; c'est ainsi que dans les langues scandi raves m sourd existe aprés une sourde ; on en trouverait aussi des exemples en francais, mals les sujets parlants n'y voient pas un élément différentiel Les nasales figurent entre parentheses dans le tableau ; en efletsi leur articulation comporte une fermeture complete de la bouche, 'ouverture du canal nasal leur confére un earae: thre daperture supérieur (voir classe C). B. — Avenrune 1 ; PRICATIVESOU SPIRANTES, caracterstes, par une fermeture incomplbte de In eavité buccale, permet tant le passage de l'air. Le terme de spirante est tout & fait CLASSIFICATION DES SONS B sgintral; celui de fticative, sans rien dire sur le degré de fer- tmeture, rappelle l'impression de frottement produite par le passage de lair (lat. friére). Dans cette classe on ne peut plis s'en tenir & trois types, comme dans la premitre catégorie. D'abord les labiales pro- prement dites (correspondant aux occlusives p et 5) sont , 29 ><, 3° <<, # >>: 12 Grovre execosivo-rmrcoste (< >). On peut toujours, sans rompre la chaine parlée, joindre deux phonimes dont Tun est explosif et le second implosif. Ex. Hingets, (Gf. sanserit Klay, francais Rie « quitter», ndo-europ. gor, te), Sans doute, certanes combinaisons, tells que fi, ete, 1123) u PRINCIPES DE PHONOLOGIE r’ont pas un effet acoustique susceptible de réalisation pra- tique, mais il n'en est pas moins vral qu'aprés avoir articulé tun k ouvrant, es organes sont dans la position voulue pour procéder & un ressserrement sur un point queleonque. Ces deux phases phonatoires peuvent se succéder sans se géner mutuellement. 2° Gnovre mpvosivo-rxecosir (><). Dans les mémes conditions et sous les mémes réserves il n'y & aucune impos- sibilite& joindre deux phonémes dont 'un est implosif et le second explosif; ainsi inh, ki ete. (ef. gree halma, frangais cif, ete). Sans doute ces moments articulatoires successifs ne se suivent pas aussi naturellement que dans le cas préctdent. I y a entre une premitre implosion et une premiére explo- sion cette difference que Vexplosion, tendant & une attitude neutre de la bouche, n'engage pas le moment suivant, tandis ‘que l'implosion erée une postion déterminée qui ne peut pas servir de point de départ a une explosion queleonque. 1! faut done toujours quelque mouvement d'accommodation destine A obtenir la position des organes nécessaire pour Tarticula- tion du second phonéme ; ainsi, pendant qu'on exéeute le $ 4'un groupe 3p. il faut fermer les levres pour préparer le p ouvrant. Mais 'expérience montre que ce mouvement d'accom- ‘modation ne produit ren d’appréciable, si ce n'est un de ces sons furtifs dont nous n’avons pas & tenir compte, et qui ne sgénent en aucun cas la suite de la chaine, 3 Catwon exetosir (<<). Deux explosions peuvent se produire consécutivement ; mais si la seconde appartient ‘4 un phonéme d'aperture moindre ou d'aperture égale, on svaura pas la sensation acoustique d'unité qu'on trouvera dans le cas contraie et que présentaient les deux cas pré= cédents ; pk peut se prononcer (pita), mais ces sons ne forment pas chalne, parce que les espéees P et K sont a'égale aperture. C'est cette prononciation peu naturelle quion obtiendrait en s'arrétant aprés le premier a de EXPLOSIONS ET IMPLOSIONS COMBINES 5 cha-pka'. Au contraire pi donne une impression de continuité (Gl. prix); 7 ne fait pas davantage dificult (cf. rien). Pour- ‘quoi? Crest qu’a instant ot la premire explosion se produit, Jes organes ont deja pu se placer dans la position voulue pour ‘exécuter la deuxitme explosion sans que 'effet acoustique de la premitre en ait ¢té giné ; par exemple dans priz, pendant aqu’on prononce p, les organes se trouvent déja en r. Maisil est {impossible de prononeer en chatnon continu la série inverse # ; non pas qu'il soit mécaniquement impossible de prendre la position de p en méme temps qu'on articule un F ouvrant, mais parce que le mouvement de cet #, rencontrant I'aper- ture moindre de p, ne pourra pas étre pergu. Si done on veut faire entendre 7, il faudra s'y prendre & deux fois et V'émis- sion sera rompue. Un chatnon explosif continu peut comprendre plus de deux ements, pourvu qu'on passe toujours d'une ouverturemoindre a une ouverture plus grande (par exemple kita). En faisant abstraction de certains eas particuliers sur lesquels nous ne ouvons insster®, on peut dire que le nombre possible des explosions trouve sa limite naturelle dans le nombre des degrés d'aperture qu'on peut pratiquement distinguer. 4 Sans doute certains groupes dle cette eatégorte sont trs sits dans ges (px. Kit em ge ef. etna) mas bien qe tales is wottrent pas unite acoustique (Volr la note suivante). 2 Tei par une simplleation voulue on ne eonsdere dans Te phoneme que son gre aperture, sans tenie compte wd ea, ni Us carctere Dartcaller de Varteulation st eet une sourde ou une sonore, wie vibrate ‘on une lara ele). Les conclusions Unves du iicipe unique de Paper tre ne peuvent oe pat euppliquee 3 tous les ca reels sane exception. Ans as ue groupe come cra Tes (ois prese's clrments peuvent diticiement se ptononcer sans rupture de chaine “Wj ca moins que ted nese fonde ave IF en le pulatalisant): pourtant ces tos éléments try ferment un cation expos parfait (- ullurs p.9¢ 8 propos de meur- trier, ete.) a curse Io efit ps oul Gitonseneure des eal tons, conte pla et, vires bien dle de ne ye prononeer wana Inposivenet (ply. Ges vas aberrnts appurusvent surtout dans hes losin, qu est par nature ua wet istantat et ne rou ps Je retar- Aeneas 86 PRINCIPES DE PHONOLOGIE 49 Le cuatNow rrcoste (>>) est régi par Ia loi inverse ‘ant qu'un phonéme est plus ouvert que le_ suivant on a impression de continuité (par exemple i, fi), si cette con dition nest pas remplic, si le phonéme suivant est plus ouvert ‘ou de méme aperture que le précédent, la prononciation reste possible, mais impression de continute n'est plus lb: ainst HF de dita a le méme caractire que le groupe pk de cha-pka (voir plus haut, p. 84 sv.). Le phénoméne est entiérement pparaltle & celui que nous avons analysé dans le chainon explosif: dans #, le é en vertu de son degré d'aperture int rieur, dispense # de Vexplosion ; ou, si Yon prend un chafnon dont les deux phonémes ne s‘articulent pas au méme point, comme iti, Uri ne dispense pas I'F dexploser, mais, ce qui revient au méme, il en couvre complétement Iexplosion au moyen de son articulation plus fermée. Sinon, comme dans le cas inverse inf, Vexplosion furtive, mécaniquement indis- pensable, vient rompre la chaine parlée, ‘On voit que le chainon implosf, comme le chatnon explo- sif, peut comprendre plus de deux éléments, si chacun eux ‘ne ouverture supérieure & celui qui suit (cf. di). Laissant de e6té les ruptures de chatnons, plagons-nous maintenant devant la chaine continue normale, qu'on pour- rait appeler « physiologique », tellequ'elle est représentée par le mot francais particullévement, soit paclikalger ina Elle est caractérise par une succession de chainons explo- sifs et implosifs graduts, correspondant & une succession ouvertures et de fermetures des organes buccaux. La chaine normale ainsi définie donne lieu aux constata- tions suivantes, dont I'importance est capitale. § 4, Faonrigne De svitase eT Pom vocatique.* Si dans une chaine de sons on passe d'une implosion & une explosion (|<), on obtient un effet particulier qui est indice de la frontire de syllabe, par exemple dans ié FRONTIERE DE SYLLARE ET POINT VOCALJQUE 87 de particulizrement. Cette cotncidence régulitre d'une condition mécanique avee un effet acoustique déterminé assure au groupe implosivo-explosif une existence propre dans Vordre phonologique : son caractére persiste quelles ‘que soient les espéces dont il est compost ; il constitue un ‘genre contenant autant d'esptoes quill y a de combinaisons possibles. La frontitre syllabique peut étre, dans certains cas, placée en deux points différents d'une méme série de pho- names, suivant qu'on passe plus ou moins vite de Vimplo- sion & Vexplosion. Ainsi dans un groupe ardra, ta chaine est pas rompue qu‘on coupe aria ou arid, paisque cexplosif. Il en serait de méme pour dlye de particultérement. alge ou tj). En second lieu, nous remarquerons qu’a lendroit ot Yon passe d'un silence & une premiére implosion (>), par exem- ple dans rt de ariiste, ou d'une explosion & une implosion (<>). comme dans part de particuliérement, le son 06 se produit cette premitre implosion se distingue des sons voi- sins par un effet propre, qui est Weffet vocalique. Celui-ei ne «depend pas du tout du degré d’ouverture plus garnd du son a, car dans pi, r le produit aussi bien ; il est inhérent a la pre- mitre implosion, quelle que soit son espéce phonologique, Cest-a-dire son degré d'aperture ; peu importe aussi qu'elle vienne aprés un silence ou une explosion. Le son qui donne ‘cette impression par son caractire de premitre implosive peut Atre appelé point vocalique. ‘On a donne aussi cette unité le nom de sonante, en appe- lant consonanles tous les sons préctdents ou suivants de la meme syllabe. Les termes de voyelles et consonnes, désignent ‘comme nous 'avons vu p. 75, des esptces différentes; sonantes et consonantes désignent au contraire des fonctions dans la syllabe, Cette double terminologie permet d'éviter une con- fusion qui a longtemps régné. Ainsi Vesptce J est la méme 8 PRINCIPES DE PHONOLOGIE dans fidele et dans pied : c'est une voyelle; mais elle est sonante dans fiddle et consonante dans pied. L’analyse montre ‘que les sonantes sont toujours implosives et les consonantes tantot implosives (par exemple i dans anglais boi, écrit, « boy ») tantot explosives (par exemple § dans le francais pj, crit « pied»). Cela ne fait que confirmer la distinction établie entre les deux ordres. I est vrai qu’en fait, ¢ 0 a sont régu- lidrement des sonantes ; mais c'est une simple coincidence : ayant une plus grande aperture que tous les autres sons, ils sont toujours au commencement d'un chainon implosif. Inversement les occlusives, qui ont V'aperture minimale, sont toujours consonantes. Dans la pratique ce sont les phontmes aperture 2 3 et 4 (nasales, liquides, semi-voyelles) qui jouent Yun ou autre réle selon leur entourage et la nature de leur articulation. § 5. Crimque Des THEORIES DE LA svLLaBATION.” Joreille pergoit dans toute chatne parlée la division en syllabes, et dans toute syllabe une sonante. Ces deux faits sont connus, mais on peut se demander quelle est leur raison d'etre. On a proposé diverses explications : 1 Remarquant que certains phonémes sont plus sonores ‘que d'autres, on a cherché a faire reposer la syllabe sur la sonorité des phonémes. Mais alors pourquoi des phonémes sonores tels que fet une fontils pas nécessairement. syl- labes ? Et puis, ot s'arréte la sonorité, puisque des fricatives comme s peuvent faire syllabe, par exemple dans pst ? S'il ‘agit seulement de la sonorité relative de sons en contact, ‘comment expliquer des groupes tels que ib (ex. : indo-europ. “wikos « loup »), ou c'est l'élément le moins sonore qui fait syllabe ? 20M. Sievers a le premier établi qu'un son classé parmi les voyelles peut ne pas donner T'impression de voyelle (nous ‘avons vu que par exemple y et w ne sont pas autre chose CRITIQUE DES THEORIES DE LA SYLLABATION 89 que {et u); mais quand on demande en vertu de quoi se pro- uit la double fonction, ou le double effet acoustique (car le mot « fonction » ne veut pas dire autre chose), on répond tel son a telle fonction selon qu'il regoit ow non I’ accent syllabique ». ‘Cest I un cercle vicicux : ou bien je sus libre en toute circonstance de dispenser & mon gré I'accent syllabique qui ce les sonantes, alors il n'y a aucune raison de l'appeler spllabique plut6t que sonantique ; ou bien, si Taccent sya Dique & un sens, c'est apparemment qu’ se réclame des lois de la syllabe. Non seulement on ne fournit pas ces loi, mais ‘on donne cette qualité soantique le nom de «silbenbildend » ‘comme si & son tour la formation de la sylabe dépendait de xt accent, On voit comment notre méthode s'oppose aux deux pre- aitres : par Yanalyse de la sylabe, tlle qu'elle se présente dans la chatne, nous avons obtenu Vunité iréductible, le ‘on ouvrant ou Je son fermant, puis combinant ces unite, nous sommes arrivés & définir Ia limite de syllabe et le point vocalique. Nous savons dés lors dans quelles condi- tions physiologiques ces effets acoustiques doivent se pro- dire. Les théores crtiquées plus haut suivent la marche Jnverse : on prend des espbees phonologiques isoées, et de zs sons on prétend déduire Ia limite de syllabe et la place de la sonante, Or étant donnée une série queleonque de Phontmes, il peut y avoir une manitre de les articuer plus naturelle, plus commode qu'une autre ; mais la faculte de choisi entre les articulations ouvrantes et fermantes sub- fiste dans une large mesure, et c'est de ce choix, non des exper poasogises Gietement, que dtpendr le Sans dote ext thai» "épuise ni ne résout toutes les questions. Ainsi V'hiatus, d'un emploi si frequent, n’est pas Autre chose qu'un chatnon implosif rompu, avec ou sans inter vention de la volonté : Ex. i (dans i cria) ou dei (dans ébahi). 90 PRINCIPES DE PHONOLOGIE Ilse produit plus facilement avec les espéces phonologiques de grande aperture. Ty a aussi le cas des chatnons explosifs rompus, qui sans @tre gradués, entrent dans la chaine phonique au méme titre que les groupes normaux ; nous avons touché ce cas & propos du grec kieind, p. 85, note. Soit encore, par exem= ple, Ie groupe pzla : il ne peut se prononcer normalement gue pild : il doit done comprendre deux syllabes, et il les a en effet si l'on fait entendre nettement le son laryngé de 2 ; mais si le 7 s‘assourdit, comme c’est un des phontmes qui demandent Je moins d'ouverture, Vopposition entre z et a fait qu'on ne pergoit plus qu'une syllabe et qu'on entend & peu pres pia. Dans tous les cas de ce genre, la volonte et I'intention peu vent, en intervenant, donner le change et tourer dans une ‘certaine mesure les nécessités physiologiques ; il est souvent dificile de dire exactement quelle part revient & chacun des deux ordres de facteurs. Mais quoi qu'il en soit, la phonation suppose une succession d'implosions et d'explosions, et c'est 1 la condition fondamentale de 1a syllabation, § 6. Dune DE L'inipLosion eT DE L'exrLosion.* En expliquant la syllabe par le jeu des explosions et des implosions, on est conduit une observation importante qui n'est que la généralisation d'un fait de métrique. On distingue dans les mots grecs et latins deux sortes de lon- gues : celles de nature (mater) et celles de position (factus). Pourquoi fac est-il mesuré long dans factus ? On répond cause du groupe cl; mais si cela tient au groupe en soi, n‘importe quetle syllabe commengant par deux consonnes aura aussi la quantité longue ; pourtant il n'en est rien (ef. ellens, ete). La véritable raison est que lexplosion et implosion sont LES PHONEMES DE QUATAIEME APERTURE OT casenticlement différentes sous le rapport de Ia durée. La e est toujours si rapide qu'elle reste une quantite irrationnelle pour Torelle ; c'est pour eela aussi qu'elle ne donne jamais Vimpression vocalique. Seule Vimplosion peut tre apprécte ; d'olt Te sentiment qu'on reste plus longtemps, sur la voyelle par laquelle elle commence. On sait dautre part que les voyelles plactes devant un {groupe formé d'occlusive ou fricative + liquide sont trai- tes de deux facons : dans patrem I'a peut étre long ou bref cela tient au méme principe. En effet, et ft sont également prononcables ; Ia premiére maniére d'articuler permet a I'a de rester bref ; la seconde erée une syllabe longue. Le méme traitement double de 'a n'est pas possible dans un mot comme Jactus, puisque seul? est pronongable & Vexclusion de ct $7. Les puontues pe QuaTMEME APERTURE. LA DIPHTONGUE. Questions De GRaPuiE.* Enfin les phonémes de quatritme aperture donnent liew Acertaines observations. Nous avons vu p. 81 que, con- trairement & ce que Ion constate pour d'autres sons, Tusage a donsacré pour ceux une double graphie (w = i, w= i; y=i,i=).Cest que dans des groupes tels que aiya, uwa on persoit, mieux que partout ailleurs, la distinction marquée par < et >; 1 et & donnent nettement limpres- sion de voyelles, et it celle de consonnes*. Sans prétendre expliquer ee fat, nous observons que ce i consonne n'existe jamais sous Vaspect fermant. Ainsi on ne peut avoir un ai dont Vi fasse le méme effet que le y dans aiga (comparez anglais boy avee le frangais pied) ; c'est done par position que y est consonne et i voyelle, puisque ces variétés de 1. tne faut pas confonire cot cent de quatiime aperture avec Ia ive palatate doce (igen dans Talieatd dt Nord. Cele expe ‘honologque appartien abx consonnes et en tvs le arses 1126) 2 PRINCIPES DE PHONOLOGHE TFesptce J ne peuvent pas se manifester partout également. Les mémes remarques s'appliqueraient & w et w, tet i Ceci éclaire la question de la diphtongue. Elle n'est qu'un as spécial du chainon implosif ; les groupes dita et dita sont absolument paralléles; il n'y a entre eux qu'une diffé- rence d'aperture du second elément : une diphtongue est tun chalnon implosif de deux phonémes dont le second est relativement ouvert, d'ott une impression acoustique parti- calitre : on dirait que la sonante continue dans le second élément du groupe. Inversement un groupe comme ija ne se distingue en rien d'un groupe comme ifa, sinon par le degré aperture de la derniére explosive, Ceci revient & dire aque les groupes appelés par les phonologistes diphtongues ascendantes ne sont pas des diphtongues, mais des groupes explosivo-implosifs dont le premier élément est relative: ment ouvert, mais sans quil en résulte rien de particulier fu point de vue acoustique (ia). Quant aux groupes du type dio, fa, avec accent sur iz et i, tels quion les trouve dans certains dialectes allemands (ef. buob, liad), ce ne sont @galement que de fausses diphtongues qui ne donnent pas impression d'unité comme diy, di, ete. ; on ne peut pas pro- noncer dé comme implos. + implos. sans rompre la chaine, 44 moins qu'un artifice n'impose & ce groupe I'unite gu’ pas naturellement. Cette definition de ta diphtongue. qui ta ramine au prin- ipe général des chainons implosfs, montre qu'elle n'est as, comme on pourrait le croire, une chose discordante, ilassée parmi les phénoménes phonologiques. Il est inu- tile de lui faire une case & part. Son caractére propre n'a en réalité aucun intéret ni aucune importance : ce n'est pas Ja fin de la sonante qu'il importe de fixer, mais son commen- cement. aa M. Sievers et beaucoup de linguistes*dstinguent par Vécriture i wd f,nyete. et a, thn, my ete, f= © une silbisches » i f= sibisches » i), et ils éerivent. mirta, LES PHONEMES DE QUATRIEME APERTURE 93. ‘matrta, miarta, tandis que nous ecnvons mirfa, mairta, myaria. Ayant constatt que et y sont de méme espbce ‘phonologique, on a voulu avoir avant tout le méme signe sgéntrique (Cest toujours la méme idée que la chaine sonore se compose d'espices juxtaposées!). Mais cette notation, Dien que reposant sur le témoignage de Toreille, est a rebours du bon sens et efface justement la distinction qu'il amporterait de faire. Par la : 19 on confond i, u ouvrants (=u, w)et i, u fermants ; on ne peut, par exemple, faire ‘aucune distinetion entre newo et neuo ; 2° inversement, on scinde en deux i, u fermants (ef. mirla et. mairta). Voici quelques exemples des inconvénients de cette graphic. Soit Vancien grec duts et aust, et d'autre part rhévd et rhedm xs deux oppositions se produisent exactement dans les memes conditions phonologiques et se traduisent normale- lement par la méme opposition graphique : suivant que le 1 est suivi d'un phonéme plus ou moins ouvert, il devient tantot ouvrant (a), tantét fermant (u). Qu’on éerive duis, dusi, rheud, rheuma, et tout est effacd. De meme en indo- européen es deux séries miler, matrai, mileres, matrsu et sineu, sinewai, sinewes, sinusu, sout strictement paral- WWles dans leur double traitement der d'une part, de u de autre ; dans la seconde au moins opposition des implo- sions et des explosions éclate dans I'écriture, tandis qu'elle fst obscurcie par la graphie eritiquee ici (sinue, sineuai, siineues, sinusu). Non seulement, il faudrait conserver les distinctions faites par usage, entre ouvrants et fermants (ww, etc), mais on devrait les étendre & tout le systéme et écrire, par exemple: méer, maljai, matezes, mitrsu ; alors Je jeu de Ia syllabation apparaitrat avec evidence; les points, ‘Vocaliques et les limites de syllabes se déduiraent d'eux- memes. Note des édileurs. — Ces theories éclairent plusieurs roblémes, dont F. de Saussure a touché quelques-ans cy PRINCIPES DE PHONOLOGIE ans ses legons. Nous en donnerons quelques spécimens. 1, M, Sievers cite derifannn (allemand berittenen) comme ‘exemple typique du fait que le méme son peut fonctionner alternativement deux fois comme sonante et deux fois comme consonante (en réalité n ne fonctionne ici qu'une fois comme consonante, et il faut écrire berifnnn ; mais pea importe). Aucun exemple n'est plus frappant précisément pour montrer que «son» et «espice »ne sont pas syno- nymes. En efle, si Yon restat sur le méme a, c'estire sur Timplosion et articulation sistante, oa n'obtiendrait qu'une seule syllabe longue. Pour eréer une alternance de ‘sonants et consonants, il faut faire suivre implosion (premier n) de Vexplosion (second 7), puis reprendre Vim- Pplosion (troisitme n). Comme les deux implosions ne sont précédées d'aucune autre, elles ont le caractire sonantique. 2 Dans les mots francais du type meurtier, owrier ete. les finales rier, -orier ne formaient autrefois qu'une syllabe (quelle que fat «ailleurs leur prononciation, ef. p. 85 note). Pius tard on s'est mis les prononceren deux syllabes (meur- trier, avec ou sans hiatus, c'est-a-die fe ou ij). Le chan agement s'est produit, non en plagant un « accent sylabique » sur élément i, mais en transformant son articulation explo- sive et une articulation implosive. Le peuple dit ouvérier pour ouorier: phénoméne tout semblable, seulement c'est le second élément au lieu du trositme que changé articulation et est devenu sonant: uvijé > worje. Un e a pu se développer apres coup devant Vr sonant. ‘3. Citons encore le cas si connu des voyeles prothétiques, devant s suivi de consonne en frangais : latin seitum -» isedtum -» francais ese, éu. Le groupe 3k, nous Vavons vu .85, est un chatnon rompu ; si est plus natural, Mais ects Iplosi doit faire point vocalique quand il est au commen- cement de la phrase ou que le mot précident se termine par APPLICATIONS % ane consonne aperture fable. L' ou Ye prothétiques ne font qu’exagirer cette qualite sonantique ; tout caractire phonologique peu sensible tend a se grossir quand on tint Ile conserver. lest le méme phénombae qui se reproduit dans le eas de estandre et dans les prononcatios populates esque esate Cest encore Tui qu'on retrouve dans cette prononciation vulgare de la préposition de, que Von transert, par ed + un al ed tance. Par syncope, de tanche est devenu {loncke ; mais pour se fate sentir dans cette postion, le d doit tre implost : anche, et une voyelle se développe devant Tui comme dans tes cas precdents 4 lest A peine nécessare de revenir sur Ia question des sonantesindo-européennes, et de se demander par exemple pourquoi le vieuxchautallemand hagl s'est transformé en haga, tandis que balg est resté intact. Le {de ce dernier mot, second élément d'un chainon implosif (baig), joue le réle de consonante et n'avat aucune raison de changer de fonction. ‘hu contraie le 1, également implosif, de hag faisait point vocalique. Etant sonantique, il a pu développer devant Ini tne voyelle plus ouvrante (an a, sl faut en coir le témo fgnage de la graphie). D'ailleurs, elle est assombrie aver le temps, car aujourd'hui Hagel se prononce de nouveau hagi- Crest méme ce qui fait la diffrence entre Ia prononcation de ce mot et celle de francais aigle ; Vest fermant dans le mot germanique et ouvrant dans le mot franaisavee e must final (G0 PREMIERE PARTIE PRINCIPES GENERAUX CHAPITRE PREMIER NATURE DU SIGNE LINGUISTIQUE § 1. Stone, stowteré, stosetanr.* 128) Pour certaines personnes la langue, ramenée & som prin- ipe essenticl, est une nomenclature, cest-a-dire une liste de termes correspondant & autant de choses*Par exemple : 1124), Cette conception est cri- tiquable a bien des égards. Elle suppose des idées toutes faites préexistant : ARBOR aux mots (eur ce point, voir plus loin, p. 155); elle ne nous dit pas si le nom est de nature vocale ou psy- chique, car arbor peut etre + Bquos considéré sous Tun ou Vautre aspect ; enfin elle 7 ww laisse supposer que le lien qui unit un nom & une chose est une opération toute simple, ce qui est bien loin d'étre vrai. Cependant cette vue simpliste peut nous rapprocher de la vérité, en nous montrant que > 1130) 1a) 98 PRINCIFES oENERAUX Vunité tinguistique est une chose double, faite du rapproche- ment de deux termes. On a vu p. 28, & propos du circuit de la parole, que les ‘termes impliqués dans le signe linguistique sont tous deux psychiques et sont unis dans notre cerveau parle lien de V'asso~ ation. Insistons sur ce point. Le signe linguistique unit non une chose et un nom, ‘mais un concept et une image acoustique’* Cette dernitre n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais Vempreinte psychique™de ce son, la reprisentation que ous en donne le témoignage de nos sens; elle est sen- sorielle, et s'il nous arrive de Vappeler « matérelle », est seulement dans ce se.- et par opposition & autre terme de association, le concept, généralement plus abstrait. Le caractire psychique de nos images acoustiques appa ralt bien quand nous observons notre propre langage. Sans remuer les levres ni la langue, nous pouvons nous parler & nous-mémes ou nous réciter mentalement une pitee de vers. Crest parce que les mots de Ja langue sont pour nous. des images acoustiques qu'il faut éviter de parler es ‘« phonémes » dont ils sont composés. Ce terme, impli- ‘quant une idée d'action vocale, ne peut convenir qu’au mot pparlé, & la réalisation de l'image intérieure dans le diseours, En parlant des sons et des syllabes d'un mot, on évite ce ‘malentendy, pourvu qu’on se souvienne qu'il s'agit de "image acoustique. 4. Ce tere image acoustique part peut-die trop étrot, pale su cité dela représenttion des sons d'un mot i y'a sre ele de 408, Articulation, Fimage muscalaite de Tucto phonatoie. Mals pour Fe de Sausturela langue est essentielement un depot, ne chore ee du dehors (oir p90). image acoustique est par excellence la representation nate ‘elle du mot en tart que fat de langue virtuel, en dehors de toute ral ‘ation para parole, aspet matest peut done dre cour entenda ov en tout es nvoccuper qu'une pace subordonne par rapport & image aco gue, SIGNE, SIGNIFHE, SIONIEIANE 99 Le signe linguistique est done une entité psychique & deus faces, qui peut étre représentée par Ia figure : Ces deux éléments sont in ‘mement unis et s'appellent run autre. Que nous cherchions Te Tmage acoustique sens du mot latin arbor ou le mot par lequel le latin désigne Te concept « arbre, il est clair que seuls les rapprochements consaerés par Ia langue nous apparaissent conformes & 1a réa- (Core | aS ee DK Se lité, et nous écartons n’importe quel autre qu’on pourrait imaginer.* 113) Cette definition pose une importante question de termi- rologie*Nous appelons signe Ia combinaison du concept et (1 de l'image acoustique : rnais dans Tusage courant ce terme ésigne ginéralement image acoustique seule, par exem- ple un mot (arbor, ete). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n'est qu’en tant qu'il porte le concept « arbre de telle sorte que lidée de Ia partie sensorielle implique celle du total. L'ambiguité disparattrait si Yon désignait les trois notions feien présence par des noms qui s'appellent les uns es autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le ‘mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant ; ‘ees derniets termes ont l'avantage de marquer l'opposition {qui les separe soit entre eux, soit du total dont ils font partie. Quant & signe, si nous nous en contentons, c'est que Lous ne if 1134] 1135) [136 137) [138] (1391 100 PRINCIPES GENERAUX savons par quoi le remplacer, la langue usuelle n'en suggé- rant aucun autre* Le signe linguistique ainsi défini posséde deux caractéres primordiaux. En les énongant nous poserons les principes memes de toute étude de cet ordre. $2 Prewen PRINCIPE: L’ARBITRAIRE DU SiGNE* Le tien unisssant le signifiant au signiiéest arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total resultant, de Vassociation d'un signfiant un signitié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire * Ainsi Vidée de « sour » n'est lige par aucun rapport inté- rieur avec la suite de sous s—b—r qui lu sert de sigaifiant ; il pourrait étre aussi bien représenté par n'importe quelle autre : A preuve les diférences entre les langues et existence réme de langues diferentes : le signifé « boeuf » a pour signi fiant, B—O—f d'un cdte de la frontitre, et o—K—s (Ochs) de Vautre* Le principe de Varbitraire du signe n'est contesté par per~ Sonne ; mais il est souvent plus aisé de découvrir une vérite ue de lui assigner Ia place qui lui revient. Le principe énoncé plus haut domine toute la linguistique de la langue; ses con- séquences sont innombrables. Il est vrai qu'elles n'apparais- sent pas toutes du premier coup avec une égale evidence ; cest aprés bien des détours qu'on les découvre, et aves elles Vimportance primordiale du principe Une remarque en passant : quand la sémiologie sera ‘organisée, elle devra se demander si les modes d'expression qui reposent sur des signes entiérement naturels — comme Ja pantomime — lui reviennent de droit En supposant qu'elle les accuelle, son principal objet n’en sera pas moins TTensemble des systémes fondés sur V'arbitraire du signe. En effet tout moyen d'expression regu dans une société repose cn principe sur une habitude eallective ou, ee qui revient ARBITRAIRE DU SIGNE tor ‘au méme, sur la convention. Les signes de politesse, par ‘exemple, doués souvent d'une certaine expressivite natu- telle (qu'on pense au Chinois qui salue son empereur en se prosternant neuf fois jusqu’a terre), n‘en sont pas moins fixts par une régle; cest cette régle qui oblige les em- ployer, non leur valeur intrinstque. On peut done dire que Jes signes entitrement arbitraires réalisent mieux que les autres l'idéal du procédé sémiologique ; c'est pourquoi la langue, le plus complexe et le plus répandu des systtmes expression, est aussi le plus caractéristique de tous ; en ce sens Ia linguistique peut devenir le patron général de toute sémiologie, bien que la langue ne soit qu'un systéme particulier. On s'est servi du mot symbole pour désigner le signe lin- Guistique, ow plus exactement ee que nous appelons le signiflant. Il y a des inconvénients & Vadmettre, justement & cause de notre premier principe. Le symbole pour carac~ tire de n’etre jamais tout & fait arbitraire ; il n'est pas vide, ily a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifi, Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas étre remplacé par n'importe quoi, un char, par exemple* Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner Iidée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de T'individu de rien changer & un signe une fois établi dans ‘un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immo- {ivé,cestraire arbitraire par rapport au signifié, avec leque! iln'a aucune attache naturelle dans la réalité.* Signalons en terminant deux objections qui pourraient étre faites a I'établissement de ce premier principe : 1° On pourrait s'appuyer sur les onomatopées*pour dire 1142} que le choix du sigaifiant n'est pas toujours arbitraire. Mais elles ne sont jamais des éléments organiques d'un systéme linguistique. Lear nombre est «ailleurs bien moins grand 102 PRINCIPES GENERAUX qu’on ne le eroit. Des mots comme fouet ou glas peuvent frapper certaines oreilles par une sonorité suggestive ; mi our voir qu’ils n‘ont pas ce caractére dés V'origine, il sufit de remonter & leurs formes latines (Jouel dérivé de fagus shétre », glas = classicum) ; la qualité de leurs sons actuels, ou plutét celle qu’on leur attribue, est un résultat fortuit de evolution phonétique. Quant aux onomatopées authentiques (celles du type glou-glou, tie-tac, etc.), non seulement elles sont peu nom Dreuses, mais leur choix est déja en quelque mesure ark traire, puisqu’elles ne sont que limitation approximative et déja & demi conventionnelle de certains bruits (comparez Je frangais ouaoua et ‘allemand wauwau). En outre, une fois introduites dans la langue, elles sont plus ou moins entrainées dans l'évolution phonétique, morphologique, ete. que subissent les autres mots (cf. pigeon, du latin vulgaire ipid, dérivé luieméme d'une onomatopée) : preuve évi- dente qu’elles ont perdu quelque chose de leur caracttre premier pour revétir celui du signe linguistique en général, qui est immotive, 26 Les exclamations,* tres voisines des onomatopées, donnent liew A des remarques analogues et ne sont pas plus dangereuses pour notre these. On est tenté d'y voir des expressions spontanées de la réalite, dietées pour ainsi dire par la nature. Mais pour a plupart d'entre elles, on peut nier qu'il y ait un lien nécessaire entre le signifié et le signi- fiant. Il sufit de comparer deux langues & eet égard pour voir combien ces expressions varient de l'une & V'autre (par exemple au francais ale ! correspond allemand au !) On. sait diailleurs que beaucoup d'exclamations ont commence par etre des mots & sens déterminé (ef. diable I mordieu 1 ‘mort Dieu, ete.). En résumé, les onomatopées et les exclamations sont ‘importance secondaire, et leur origine symbolique en partie contestable. CARACTERE LINEAIRE DU SIONIFIANT 103 § 3. SECOND PRINCIPE ; CARACTERE LINEAINE DU SIONIFIANT® [144] Le signifant, étant de nature auditive, se déroule dans Je temps seul et a les caractires qu'il emprunte au temps : 2) il représente une élendue, et b) cele eendue est mesurable dans une seule dimension : cest une ligne* Ce principe est Evident, mais il semble qu‘on ait toujours abgligé de Vnoncer, sans doute parce qu'on I'a trouvé trop, simple ; cependant il est fondamental et les conséquences en sont incaleulables; som importance est égale & celle dela premitre Ii. Tout le mécanisme de la langue en depend (voir p. 170). Par opposition aux signifiants visuels (signaux mari- times, ete). qui peuvent offri des complications simultanées sur plusieurs dimensions, les signifiants acoustiques ne dis- posent que de la ligne du temps ; leurs éléments se présentent Tun aprés autre ; ils forment une chaine. Ce carsetdre appa- rait immédiatement dés qu'on les représente par I'éeriture et qu'on substitue la ligne spatiale des signes graphiques & Ja succession dans le temps. Dans certains cas cela n'apparat pas avec évidence. Si par exemple jfaccentue une syllabe, il semble que 'accumule sur le méme point des éléments signticatifsdiférents, Mais c'est une illusion 1a syllabe et son accent ne constituent qu'un acte phonatoire sil n'y a pas dualite &V'intérieur de eet acte, rais seulement des oppositions diverses avec ce qu est & cite (oir & ce sujet p. 180). CHAPITRE I IMMUTABILITE ET MUTABILITE DU SIGNE § 1. Isoeutasitsré.* Si par rapport a 'idée qu'il représente, le signifiant appa- raft comme libreinent choisi, en revanche, par rapport a Ia, communauté linguistique qui V'emploie, il n'est pas libre, il est impose. La masse sociale n'est point consultée, et le signi- fiant choisi par la langue, ne pourrait pas étre remplacé par tun autre, Ce fait, qui semble envelopper une contradiction, pourrait etre appelé familitrement « la carte forcte ». On dit ‘la langue: « Choisissez !» mais on ajoute :« Ce sera ce signe et non un autre. » Non seulement un individu serait ineapa- ble, s'il le voulat, de modifier en quoi que ce soit le choix qui ‘a €t6 fait, mais la masse elle-méme ne peut exercer sa souve- raineté sur un seul mot: elle est lige la langue tele qu'elle est. La langue ne peut done plus étre assimilée & un contrat pur et simple, et c'est justement de ce edté que le signe lin- Guistique est particuligrement interessant a étudier ; car si Yon veut démontrer que la loi admise dans une collectivité fest une chose que l'on subit, et non une régle librement consentie, cst bien la langue qui en offre la preuve la plus éclatante. ‘Voyons done comment le signe linguistique échappe & notre volonté, et tirons ensuite les consequences importantes qui découlent de ce phénomine. te DoMUTABILITE DU SIGNE 105 A niimporte quelle époque et si naut que nous remon- tions, la langue apparait toujours comme un heritage de Trepoque prévédente. L'acte par loquel, & un moment conn’, Jes noms seraient distribués aux choses, par lequel un con- tat serait passé entre les concepts et les images acoustiques — cet acte, nous pouvons le concevoir, mais il n'a jamais 4e constaté. L'idée que les choses auraient pu se passer ainsi nous est suggérée par notre sentiment tres vit de V'arbitraire du signe. En fait, aucune société ne connat et n'a jamais connu langue autrement que comme un produit hérité des géné rations précédentes et & prendre tel quel. C'est pourquoi la ‘question de Vorigine du langage na pas importance qu'on lui attribue généralement*Ce n'est pas méme une question A poser ; le seul objet réel de 1a linguistique, c'est ta vie normale et régulitre d'un idiome deja constitue. Un état de langue donné est toujours le produit de facteurs histori- ques, et ce sont ces facteurs qui expliquent pourquot le signe est immuable, cest-i-dire résiste & toute substitution arbitraire. Mais dire que la langue est un héritage n'explique rien si Yon ne va pas plus loin. Ne peut-on pas modifier d'un moment A autre des lois existantes et heritées ? Cette objection nous amiéne a placer la langue dans son cadre social et & poser fa question comme on la poserait pour les autres institutions sociales. Celles-ci, comment se trans- mettent-lles? Voila la question plus générale qui enveloppe celle de Vimmutabilité. 1 faut d'sbord apprécier le plus ow moins de hiberté dont jouissent les autres institutions ; on ‘verra que pour chacune d’elles il y a une balance diflérente entre la tradition imposée et Vaction libre de la société. Ensuite on recherchera pourquoi, dans une catégorie donnée, les facteurs du premier ordre sont plus ou moins pusssants ‘que ceux de Vautre. Enfin, revenant la langue, on se deman- ddera pourquoi le facteur historique de Ia transmission Ia (147) 106 PRINCIPES GENERAUX domine tout entitre et exclut tout changement linguistique général et subit. Pour répondre & cette question, on pourrait faire valoir bien des arguments, et dire, par exemple, que les modific- tions de ta langue ne sont pas lis & In suite des genérations, quis Ioin de se superposer les unes aux autres comme les tiroirs d'un meuble, se melent, s'interpénttrent et contien nent chacune des individus de tous les Ages. On rappellerait aussi la somme d'efforts qu'exige Vapprentissage dela langue ‘maternelle, pour conclure de It & Timpossibilité d'un chan- gement général. On ajouterait que la réflexion n'intervient pas dans la pratique d'un idiome ; que les sujets sont, dans tune large mesure, inconscients des lois de la langue ; et sls ne sen rendent pas compte, comment pourraient-il es modi- fier ? Fussenti méme conscients, i faudrait se rappeler que les faits linguistiques ne provoquent guére la critique, en ee sens que chaque peuple est généralement satsfit de la langue qui a regue. Ces considérations sont importantes, mais elles ne sont pas topiques ; nous préférons les suivantes, plus essentielles, plus directes, dont dépendent toutes les autre 1, — Le caradive arbitraire du signe. Plus haut, il nous faisait admettre 1a possiilité théorique du changement; en approfondissant, nous voyons qu’en fait, Varbitraire meme du signe met la langue & Yabri de toute tentative visant & la modifier. La masse, fat-lle méme plus consciente qurelle ne Vest, ne saurait la discuter. Car pour qu'une chose soit ise en question, il faut qu’elle repose sur une norme rai- sonable. On peut, par exemple, débattre sila forme mono- gam. du mariage est plus raisonnable que la forme polygame et faire valoir des raisons pour Lune et l'autre. On pourrait, aussi dscuter un systbme de symboles, parce que le symbole un rapport rationnel avec la chose signitige (voir p. 101) 5 ‘ais pour la langue, systime de signesarbitraires, cette base fait défaut, et avec elle se dérobe tout terrain solide de dis- fh BOMUTABILITE DU SIGNE 107 cussion ; il n'y a aucun motif de préférer scrur & sister, Ochs 2 boeuf, ete. 2 — La mullitude des signes nécessaires pour consttuer ’imporie quelle langue. La portée de ce fait est considerable. Un systéme d’écriture composé de vingt & quaranre lettres peut & la rigueur étre remplacé par un autre. Il en serait de méme pour ta langue si elle renfermait un nombre limite d’élements ; mais les signes linguistiques sont innom- Drables. 3. — Le caractére trop compleze du systéme. Une langue constitue un systéme. Si, comme nous le verrons, c'est le ‘ebté par lequel elle n’est pas con.,Iétement arbitraire et ot regne une raison relative, c'est aussi le point ol apparaft Vimcompétence de la masse a la transformer. Car ce systéme ‘est un mécanisme complexe ; Yon ne peut le saisir que par In réflexion ; ceux-la mémes qui en font un usage journalier Vignorent profondément. On ne pourrait concevoir un tel changement que par lintervention de spécialistes, gram- ‘mairiens, logiciens, ete. ; mais V'expérience montre que jusqu’ici les ingérences de cette nature n‘ont eu aucun ‘suce’s, 4, — La résisiance de Cinertie collective & toute innova tion tinguistique. La langue — et cette considération prime toutes les autres — est chaque moment affaire de tout le monde ; répandue dans une masse et maaiée par elle, flle cst uze chose dont tous les individus se servent toute la journée*Sur ce point, on ne peut établir aucune compa- raison entre elle et les autres institutions. Les prescriptions aun code, les rites d'une religion, les signaux maritimes, etc, n'oecupent jamais qu'un certain nombre d'individus {a fois et pendant un temps limite ; la langue, au contraire, cchacun y participe & tout instant, et c'est pourquoi elle subit ‘sans cesse l'influence de tous. Ce fait capital sufft & montrer Vimpossiblité dune révolution. La langue est de toutes les institutions sociales celle qui offre le moins de prise aux initia~ 1148) hag 1150 1151) sa} 108 PRINCIPES GENERALK tives. Elle fait corps avec la vie de la masse sociale, et celle-ci, étant naturellement inerte. apparait avant tout comme un facteur de conservation. Toutefois il ne sufit pas de dire que la langue est un pro~ uit des forees sociales pour qu'on voie clairement qu'elle n'est pas libre ; se rappelant qu'elle est toujours Uhéritage d'une epoque précédente, il faut ajouter que ces forces sociales, agissent en fonction du temps. Si la langue a un caractere de fixite, ce n'est pas seulement parce quielle est attachée au poids de la collectvite, c'est aussi qu'elle est située dans Te temps. Ces deux faits sont inséparables. A tout instant, la solidarité avec le passé met en échec la liberté de choisir. [Nous disons homme et chien parce qu‘avant nous on a dit, ‘homme et chien*Cela n'empéche pas qu'il n'y ait dans le phe rnoméne total un lien entre ees deux facteurs antinomiques la convention arbitraire en vertu de laquelle le choix est libre, cet le temps, grace augue le choix se trouve fixe. C'est parce aque le signe est arbitraire qu'il ne connait d'autre loi que cele de la tradition, et c'est parce quil se fonde sur la tradition quill peut étre arbitraire* § 2. Morapiurre* Le temps, qui assure la continuité de la iangue, a un autre ‘effet, en apparence contradictoire au premier: celui d'alterer plus ou moins rapidement les signes linguistiques et, en un certain sens, on peut parler & la fois de I'immutabilité et de Ja mutabilité du signe’.* En dernitre analyse, les deux faits sont solidaires : le 1. On auralt tort de reprocher A F. de Saussure tre Mogique ow paradoxal en attbuant la langue deux quails contradict, Par opposition de dens termes frappants te voulu seulement marque? for tement cette vei, que la langue se transform sans que les suts pulse tent transformer. On put ire cuss! quelle est intanglble,malsnoninae rable (4). MUTABILITE DU SIGNE 109 signe est dans le cas de saltérer parce quil se continue. Ce qui domine dans toute altération, c'est Ia persistance de la matidre ancienne ; l'infidélite au passt n'est que relative. Voild pourquoi le principe daltération se fonde sur le prin- cipe de continuité. Laltration dans le temps prend diverses formes, dont chacune fournirait la matitre d'un important chapitre de linguistiqueSans entrer dans le détal, voici ce quil ext important de dégager. ‘Tout d'abord, ne nous méprenons pas sur le sens attaché fei au mot alteration, Il pourait faire eroire quil sagit spé- cialement des changements phonétiques subis par le signi- fiant, ou bien des changements de sens quiatteignent le concept signifi. Cette vue serait insufisante. Quels que soient les facteurs d'altérations, qu'il agissent isolément ou combi- ns, ils aboutissent toujours & un déplacement du rapport entre de signifié ele signifiant.* Voici quelques exemples. Le latin necdre sigaifiant « tuer » cat devenu en frangais noyer, aves le sens que Yon connat. Image acoustique et concept ont changé tous les deux : mais iLest inutile de distinguer les deux parties du phénoméne ; il suflit de constater in globo que le lien de Tidée et du signe" eat reliché et qu'il y a eu un déplacement dans leur rap- port. Si au liew de comparer le necre du latin classique avee notre frangais noyer, on oppose au necare du latin vulgaire du ive ou du v* stele, sigoifiant « noyer », le cas est un pew diffrent ; mais ici encofe, bien qui n'y ait pas altération appréciable du signifiant, ily a déplacement du rapport entre Videe et le signe. Liencien allemand driteil, « le tiers », est devenu en allemand moderne Drie. Dans ce cas, quoique le concept wit resté le méme, e rapport a été changé de deux fagons : le signifant a été modifié non seulement dans son aspect ‘matériel, mais aussi dans sa forme grammatical ; in‘ Plique plus Vidée de Teil ; c'est un mot simple. D'une (193) usa) [1391 {196} 1157) 1158) 10 PRINCIPES GENERAUX rmanitre ou d'une autre, c'est toujours un déplacement de rapport. En anglo-saxon, Ia forme prélitéraire fol « le pied + est restée fol (angl. mod. foo), tandis que son pluriel */ét,« les pieds » est devenu fé. (angl. mod. jee). Quelles que soient les altérations qu'il suppose, une chose est certain : il y a feu déplacement du rapport ; il a surgi d'autres correspon- dances entre la matitre phonique et V'idée* Une langue est radicalement impuissante & se défendre ‘contre les facteurs qui déplacent instant en instant le rap- port du signifé et du signifiant. C'est une des conséquences de Varbitraire du signe. ‘Les autres institutions humaines — les coutumes, Is los, ete, — sont toutes fondées, & des degrés divers, sur les rap- ports: naturels des choses il y a en elles une convenance néeessaire entre les moyens employés et les fins poursuives. ‘Meme la mode qui fixe notre costume n'est pas entiérement arbitraire : on ne peut sécarter au-dela d'une certaine mesure des conditions dictées par le corps humain. La langue, au ‘contraire, n'est limitée en rien dans le choix de ses moyens, car on ne voit pas ce qui empécherait d'associer une idée queleonque avec une suite queleonque de sons.* Pour bien faire sentir que ls langue est une institution pure, Whitney a fort justement insisté sur le caractére arbitraire des signes’; et par 1a, ila plact la linguistique sur son axe véritable. Mais il n'est pas allé jusqu’au bout et 'a pas vu que ce caractire arbitraie sépare radicalement la Jangue de toutes les autres institutions. On le voit bien par la manitre dont elle évolue ; rien de plus complexe située {la fois dans la masse sociale et dans le temps, personne ne peut rien y changer, et, d'autre part, Varbitraire de ses signes entraine théoriquement la liberté 4'établir n'importe quel rapport entre la matitre phonique et les idées. Il en ésulte que ces deux éléments unis dans les signes gardent ¢hacun leur vie propre dans une proportion inconnue h- MUTUALITE. DU IONE mt leurs, et que Ia langue satire, ou plutt évolue, sous ‘influence de tous les agents qui peuvent atteindre soit les sons soit les sens. Cette évolution est fatale ; il n'y a pas exemple d'une langue qui y résiste. Aw bout d'un certain temps on peut toujours constater des déplacements sea- sibles. Cela est st vrai que ce principe doit se vérifier méme & propos des langues artificielles. Celui qui en erée une Ia tient en main tant qu'elle n'est pas en virculation ; mais dis Vinstant qu'elle remplit sa mission et devient Ia chose de tout le monde, le contréle échappe. L'espéranto est un ‘essai de ce genre ; sil reussit, échappera-til & Ia Joi fatale ? Passé le premier moment, la Iangue entrera tris probable- ‘ment dans sa vie stmiologique ; elle se transmettra par des Iois qui n'ont rien de commun avec celles dela ertation réfléchie et I'on ne pourra plus revenir en arritre. L’homme ‘qui prétendrait composer une langue immuable, que la postérité devrait accepter telle quelle, ressemblerait & Ia poule qui a couvé un cruf de canard : Ia langue eréée par lui serait emportée bon gré mal gré par le courant qui entraine toutes les langues.* La continuité du signe dans le temps, li¢ & V'altération dans le temps, est un principe de la sémiologie générale ; on en trouverait la confirmation dans les systimes d'écriture, Je langoge des sourds-muets, ete. ‘Mais sur quoi se fonde la nécessité du changement ? On ‘nous reprochera peut-ttre de n'avoir pas été aussi explicite ‘sur ce point que sur le principe de Vimmutabilite: cest que ‘nous n’avons pas distingué les différents facteurs daltéra- tion ; il faudrait les envisager dans leur variété pour savoir jusqu’'a quel point ils sont nécessaires. Les causes de la continuité sont a priori & la portée de Vobservateur ; il n'en est pas de méme des causes d'altéra~ tion & travers le temps. Il vaut mieux renoncer provisoire- ‘ment en rendre un compte exact et se borner & parler en 159) 160) ust) 1162} 42 PRINCIPES GENERAUX général du déplacement des rapports ; le temps altére toutes ‘choses ; il n'y a pas de raison pour que la langue échappe & cette loi universelle.* Récapitulons les tapes de notre démonstration, en nous reportant aux principes établis dans T'introduction. 1e Evitant de stériles definitions de mots, nous avons d'abord distingué, au sein du phénoméne total que repré- ssente le langage, deux facteurs : la langue et la parole. La Tangue est pour nous le langage moins 1a parole. Elle est ensemble des habitudes linguistiques qui permettent & un sujet de comprendre et de se faire comprendre. ‘2° Mais cette définition laisse encore la langue en dehors dle sa réalité sociale ; elle en fait une chose irréelle, puis- quielle ne comprend qu'un des aspects de la réalité, aspect individuel; il faut une masse parlante pour qu’il y ait une langue. A aucun moment, et contrairement & 'apparence, celle-i n'existe en dehors du fait social, parce qu'elle est un phénoméne sémiologique*Sa nature sociale est un de ses ‘caractires internes ; sa definition compléte nous place devant deux choses inséparables, comme le montre le schéma : ‘Mais dans ees conditions, la langue est viable, non vivante ; nous ‘tenu comple que de la réalité sociale, non du fait historique* 3° Comme le signe linguistique est arbitraire, il semble que 1a langue, ainsi définie, soit un systéme libre, organisable & volonté, dépendant uni Langue Masse parlante caractire social, considéré en lui- mime, ne s‘oppose pas précisément & ‘ce point de vue. Sans doute Ia psychologie collective n’opére pas sur une matitre purement logique; il faudrait tenie compte de tout ce qui fait fléchir la raison dans les relations pratiques MUTABITILE DU IONE 13 Aindivida & individu. Et pourtant, ce qui nous emptche de regarder la langue comme une simple convention, modifiable au gré des intéressts, ce n'est pas cela; cet I'action du temps, ‘qui se combine avec calle de la force sociale ; en dehors de la durée, la réalité linguistique n'est pas complite et aucune ‘conclusion n'est possible. Sion prenait la langue dans le temps, sans 1a masse parlante — supposons un individu isolé’ vivant. pendant plasiurs sitcles, — on ne constaterait peut-ttre aucune altération ; Te temps n’agirait pas sur elle. Inversement siTfon considérait Ia masse parlante sans le temps, on ne verrait pas Vefflet des forces sociales agisssant leur la langue Pour étre dans la réalité il faut done ajouter & notre premier Temps schéma un signe qui indique Ia marche du temps Dis lors Ia langue n'est pas libre, parce que le temps per- rmettra aux forcessocialess'exer- ‘ant sur elle de développer leurs effets, et on arrive au principe de continvité, qui annule la liberté. Mais la continuité imp¥ que nécessairement Valtération. le déplacement plus ou moins considérable des rapports. 163) {104} question historique sans que son unite soit troublée.* (CHAPITRE IIL LA LINGUISTIQUE STATIQUE ET LA LINGUISTIQUE EVOLUTIVE § 1, DUALiTE INTERNE DE TOUTES LES SCIENCES ‘OPERANT SUR LES VALEURS.* Bien peu de linguistes se doutent que T'intervention du facteur temps est propre A eréer & la linguistique des cultés particulitres et qu'elle place leur science devant deux routes absolument divergentes. La plupart des autres sciences ignorent cette dualité radi- cale j le temps n'y produit pas deffets particulier. L'asro- nomi, a constaté que le astrs subissent de notables chan- ements; lle n'a pas 61 obligée pour cela de se scinder en deux disciplines, La géologe rasonne presque constamment sur des successvités: mais lorsqu’elle vtent & s'occuper des tats fixes de la terre lle n'en fait pas un objet d’étude radi- calement distiet. fl y a une science descriptive du droit et une histoire du droit ; personne ne les oppose I'une & Yautre Lihistoire politique des Etats se meut entitrement dans le temps; cependant si un historin fit Ie tableau d’une époque, ‘on n'a pas Fitmpression de sortr de Thistoire. Taversement, In science des institutions politiques est essentiellement dese criptive, mais elle peut fort bien, & occasion, traiter une ‘Au contraire Ia dualité dont nous parlons s'impose déja r SCIENCES DES VALEURS ; LEUR DUALITE INTERNE 115 impéricusement aux sciences économiques. Ici, & lencontre de ce qui se passat dans les cas préctdents, économie poli- tique et Whistoire économique constituent deux disciplines nettement séparées au sein d'une méme science; les ouvrages pparus récomment sur ces matitres accentuent cette distine- tion*En procédant de Ia sorte on obéit, sans bien s'en ren- dre compte, & une nécessté intérieure : or cest une néces- sité toute semblable qui nous oblige & scinder la inguistique ‘en deux parties ayant chacune son principe propre. C'est que I, comme en économie politique, on est en face de Ia notion de valeur ; dans les deux sciences, il s'agit d'un sys- time d'équivalence entre des choses dordres différents : dans one un travail et un salaire, dans Vautre un signifié et un sigaifiant.* lest certain que toutes les. sciences auraient intérét a marquer plus scrupuleusement les axes sur lesquels sont situées Tes choses dont elles s'occupent ; il faudrait partout distinguer selon la figure suivante: 1° Taze des simulta néités (AB), concernant les rapports entre choses Cc coexistantes, d’ot toute {intervention du temps est exclue, ct 2° Paze des suc- cessivlés (CD), sur leqdel fon ne peut jamais consi- dérer quiune chose & la fois, mais ot sont situées toutes les choses du pre- mier axe aver leurs chan gements. D Pour les sciences trac ‘aillant sur des valeurs, cette distinction devient une néces- site pratique, et dans ‘certains as une nécessité absolue. Dans ce domaine on peut mettre les savants au défi d'orga- ser leurs recherches d'une fagon rigoureuse sans tenir compte bh 165) (1661 1671 16s} 116 PRINCIPES GENERAUX des deux axes, sans distinguer le systime des valeurs consi- dérées en soi, de ces mémes valeurs considérées en fonction ddu temps. Crest au linguiste que cette distinction simpose le plus impérieusement ; car la langue est un systéme de pures valeurs que rien ne détermine en dehors de I’état_momen- tané de ses termes. Tant que par un de ses cdtés une valeur a sa racine dans les choses et leurs rapports naturels (comme est le cas dans la science économique — par exemple ‘un fonds de terre vaut en proportion de ce qu'il rapporte), fon peat jusqu’a un certain point suivre cette valeur dans le temps, tout en se souvenant qu’a chaque moment elle dépend d'un systime de valeurs contemporaines. Son. lien vee les choses Ini donne malgré tout une base naturelle, cet par 1A les appréciations qu'on y rattache ne sont jamais complttement arbitraire ; leur variabilité est limitée. Mais nous venons de voir qu'en linguistique les données naturelles nront aucune place.* ‘Ajoutons que plus un systéme de valeurs est complexe et rigoureusement organisé, plus il est nécessaire, & cause de sa complexité méme, de V'étudier successivement selon Jes deux axes. Or aucun systéme ne porte ce caractire & YVégal de Ia langue : nulle part on ne constate une pareille précision des valeurs en jeu, un si grand nombre et une telle iversité de termes, dans une dépendance réciproque aussi stricte. La multiplicite des signes, deja invoquée pour expli- quer Ia continuité de la langue, nous interdit absolument a'étudier simultanément les rapports dans le temps et les rapports dans le systme. Voila pourquoi nous distinguons deux linguistiques. Com- ‘ment les désigneront-nous ? Les termes qui soffrent ne, sont ‘pas tous également propres A marquer cette distinction. Ainsi histoire et «linguistique historique » ne sont pas tutilisables, car ils appellent des idées trop vagues*; comme histoire politique comprend la description des époques aussi Fr DUALITE INTERNE EF HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE 117 bien que la narration des événements, on pourrait s"imaginer aqu'en décrivant des états de la langue succesifs on étudie Ia langue selon V'axe du temps ; pour cela, il faudrait envisager séparément les phénoménes qui font passer la langue d'un tat & un autre. Les termes d'évolution et de linguslique éoo- lutive sont plus précis, et nous les emploierons souvent ; par ‘opposition on peut parler de la science des éals de langue ou lingustique statigue.* Mais pour mieux marquer cette opposition et ee eroise- ment de deux ordres de phénoménes relatifs au méme objet, nous préférons parler de linguistique synchronique et de lin- suistique diachronique*Est synchronique tout ce qui se rap- porte a 'aspect statique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux évolutions. De méme synchronie et diachro- nie désigneront respectivement un état de langue et une phase aévolution. $2. La puatiré nsrense er L mistoine DE La uiNcuisTiQuE La premitre chose qui frappe quand on étudie les faits de langue, cest que pour le sujet parlant leur succession dans le temps est inexistante : il est devant un état. Aussi le lin- {uiste qui veut comprendre cet état doit-il faire table rase de tout ce qui I'a produit et ignorer la diachronic. Il ne peut entrer dans la conscience des sujets parlants qu’en suppri- tant le passe. Lintervention de l'histoire ne peut que fausser ‘on jugement, Il serait absurde de dessiner un panorama des Alpes en le prenant simultanément de plusieurs sommets du ‘Jura ; un panorama doit étre pris d'un seul point. De méme Pour la langue : on ne peut ni la décrre ni fixer des normes Pour usage qu’en se plagant dans un certain état. Quand Ue linguiste suit 'evolution de la langue, il resemble & obser YVateur en mouvement qui va d'une extrémité a autre du ‘Jura pour noter les déplacements de Ia perspective. ih 169} (170) ny 72) 1173) 18 PRINCIPES GENERAUX Depuis que Ia linguistique moderne existe, on peut dire quidle s'est absorbée tout entitre dans Ia diachronie. La grammaire comparée de V'indo-européen utilise les données quelle a en mains pour reconstruire hypothétiquement un type de langue antécédent ; la comparaison n'est pour elle qu'un moyen de reconstituer le passé. La méthode est la méme dans T'étude particulitre des sous-groupes (langues romanes, langues germaniques, etc.) ; les états n'intervien- nent que par fragments et dune fagon trés imparfaite. Telle ‘est Ia tendance inaugurée par Bopp ; aussi sa conception de In langue est-lle hybride et hésitante* D'autre part, comment ont procidé ceux qui ont étudié In langue avant la fondation des études linguistiques, c'est- dire les « grammairiens » inspir’s par les méthodes tra- ditionnelles 7 Tl est curieux de constater que leur point de ‘vue, sur Ia question qui nous occupe, est absolument irré- prochable. Leurs travaux nous montrent clairement qu’ils veulent décrire des états ; leur programme est strictement synchronique. Ainsi la grammaire de Port-Royal essaie de erire I'état du frangais sous Louis XIV et den déterm ner les valeurs, Elle n’a pas besoin pour cela de la langue du moyen Age ; elle suit fidelement axe horizontal (voir p- 115) sans jamais s'en écarter ; cette méthode est done juste, ce qui ne veut pas dire que son application soit par- faite. La grammaire traditionnelle ignore des parties centitres de Ja langue, telle que la formation des mots ; elle est normative et croit devoir édicter des regles au liew de cconstater des faits ; les vues d’ensemble lui font défaut ; souvent méme elle ne sait pas distinguer le mot éerit du mot parlé, ete* ‘On a reproché & la grammaire classique de n’étre pas scien tifique ; pourtant sa base est moins critiquable et son objet mieux défini que ce n'est le cas pour la linguistique inaugu- rée par Bopp. Celle-ci, en se plagant sur un terrain mal déli- rité, ne sait pas exactement vers quel but elle tend. Elle est EXEMPLES 19 {cheval sur deux domaines, parce qu'elle n'a pas su distin- iguer nettement entre les états ot les successivites. ‘Aprts avoir accordé une trop grande place & T'histoire, 1a linguistique retournera au point de vue statique de la gram- ‘aire traditionnelle, mais dans un esprit nouveau et avee d'autres procédés, et 1a méthode historique aura contribue Ace rajeunissement ; c'est elle qui, par contre-coup, fera ‘mieux comprendre les états de langue. L'ancienne gram- maire ne voyait que le fait synchronique ; la linguistique nous a révélé un nouvel ordre de pnénoménes ; mais cela ne suffit pas ; il faut faire sentir opposition des deux ordres pour en tirer toutes les conséquences qu’elle eomporte.* $3. La DUALITE INTERNE ILLUSTREE PAR DES EXEMPLES™ Lropposition entre les deux points de vue — synchronique et diachronique — est absolue et ne scullre pas de compro ‘mis *Quelques faits nous montreront cz quoi consiste cette différence et pourquoi elle est irréductibl. Le Intin erispus, « ondule, crépé », a fourni au francais tun radical erép-, d’od les verbes erepir » recouvrir de mor- tier», et déerépir, «enlever le mortier ». D'autre part & un tun certain moment, on a emprunté au latin le mot décrepi tus, euse par 'ige», dont on ignore Métymologie, et on fen a fait déerépit. Or il est certain qu’aujourd'hnui la masse des sujets parlants établit un rapport entre «un mur dé crépi » et «un homme décrépit », bien qu’historiquement ces deux mots n’aient rien & faire 'un avee autre: on parle Souvent de la fagade décrépite d'une maison. Et c'est un fait statique, puisqu'll s'agit d'un rapport entre deux termes coexistants dans la Tongue. Pour qu'il se produise, le con cours de certains phénoménes d’évolution a été névessaire , ia falla que erisp- arrvve & se prononcer erép-, et qu’a um certain moment on empronte un mot nouveau au latin : ees nT 1175) 178 120 PRINCIPES GENERAUX faits diachroniques — on le voit clairement — n'ont aueun apport avec le fait statique quills ont produit ; ils sont ordre différent. Voici un autre exemple, d'une portée tout a fait générale. En_vieux-haut-allemand le pluriel de gas! «V'h6te », fut @abord gasti, celui de hant « la main », hanti, etc. ete, Plus tard cet i- a produit un umlaut, c'est-dire a eu pour effet de changer aen ¢ dans la syllabe précédente: gasti - gesti ‘anti > henti. Puis eet ~ia perdu son timbre d’ou gest geste, fete. En conséquence on aujourd'hui Gas! : Gasle, Hand : Hinde, et toute une classe de mots présente la meme dif- flérence entre le singulier et le pluriel. Un fait & peu pres semblable s'est produit en anglo-saxon : on a eu d'abord Jat ele pied », pluriel siti; (0p, «la dent », pluriel *tcpi ; 908, « Voie », pluriel *gési, etc. ; puis par un premier chan- gement phonétique, celui de l'umlaut, */cti est devenu */éti, ct par un second, la chute de I't final, */ei a donné fet; ds lors, fal pour plurel ft; 0p, ; gis, gés(angl. mod. : foot : fee, tooth : teeth, goose : gees) Précédemment, quand on disait gast : gasti, (0+ fdti, le pluriel était marqué par la simple adjonction d'un i ; Gast : Gaste et fol : fét montrent un mécanisme nouveau pour ‘marquer le pluriel. Ce mécanisme n'est pas le méme dans Tes deux eas : en vieil anglais, il y a seulement opposition de voyelles ; en allemand, ily a en plus, I présence ow Vabsence de la finale -e ; mais cette différence n'importe pas ici ‘Le rapport entre un singulieret son pluriel, quelles qu’en soient les formes, peut s'exprimer & chaque moment par un axe horizontal, soit : 2+ Epoque A. +++ Epoque B. Les faits, quels qu'ils soient, qui ont provoqué le passage EXEMPLES rat dune forme & Vautre, seront au contraire situés sur un axe vertical, ce qui donne la figure totale: pF Er t—_——»1 Bpoque B. ‘Notre exemple-type suggére bon nombre de réflexions qui rentrent directement dans notre sujet 10 Cesfaits diachroniques n’ont nullement pour but de mar- ‘quer une valeur par un autre signe : le fait que gasti a donné gest geste (Géste) n'a rien & voir avec le pluriel des substan tifs : dans tragit - tragt, le méme umlaut intéresse la flexion verbale, et ainsi de suite. Done un fait diachronique est un evénement qui a sa raison d’étre en lui-méme ; les consé- ‘quences synchroniques particuliéres qui peuvent en découler Ij sont complétement étrangeres.* 2° Ces faits diachroniques ne tendent pas méme & changer le systéme. On n'a pas voulu passer d'un systéme de rapports ‘Aun autre ; la modification ne porte pas sur l'agencement mais sur les éléments agencés.* Nous retrouvons iei un principe déja énoncé ; jamais le systime n'est modifié directement ; en lui-méme il est immuable ; seuls certains éléments sont altérés sans égard ‘la solidarité qui les lie au tout. C'est comme si une des planétes qui gravitent autour du soleil changeait de dimen- sions et de poids : ce fait isolé entrainerait des consequences générales et déplacerait 'equilibre du systéme solaire tout entier. Pour exprimer le pluriel, il faut 'opposition de deux termes : ou fot: */étt, ou fl: /& ce sont deux procédés ég: Jement possibles, mais on a passé de 'un & V'autre pour ainsi dire sans y toucher ; ce n'est pas l'ensemble qui a été déplact ri un systéme qui en a engendré un autre, mais un élément du premier a été changé, et cela a suff pour faire naitre un autre systéme. 3° Cette observation nous fait mieux comprendre le earactére toujours fortuil d'un état. Par opposition & V'idée wr Way

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