Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le lendemain de son arrive la Cour, Mademoiselle de Chartres rencontre par hasard le prince de
Clves chez un bijoutier italien.
1
10
15
Quand elle arriva, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le
monde. Cet homme tait venu de Florence avec la reine(1), et stait tellement enrichi dans son trafic
que sa maison paraissait plutt celle dun grand seigneur que dun marchand. Comme elle y tait, le
prince de Clves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beaut quil ne put cacher sa surprise, et Mlle de
Chartres ne put sempcher de rougir en voyant ltonnement(2) quelle lui avait donn. Elle se remit
nanmoins ; sans tmoigner dautre attention aux actions de ce prince que celle que la civilit lui devait
donner pour un homme tel quil paraissait. M. de Clves la regardait avec admiration ; et il ne pouvait
comprendre qui tait cette belle personne quil ne connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout
ce qui tait sa suite, quelle devait tre dune grande qualit(3). Sa jeunesse lui faisait croire que
ctait une fille(4), mais, ne lui voyant point de mre, et lItalien qui ne la connaissait point lappelant
madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec tonnement. Il saperut que ses
regards lembarrassaient, contre lordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir leffet
de leur beaut ; il lui parut mme quil tait cause quelle avait de limpatience de sen aller, et en effet
elle sortit assez promptement. M. de Clves se consola de la perdre de vue dans lesprance de savoir
qui elle tait, mais il fut bien surpris quand il sut quon ne la connaissait point. Il demeura si touch de
sa beaut et de lair modeste quil avait remarqu dans ses actions, quon peut dire quil conut pour
elle ds ce moment une passion et une estime extraordinaires.
19
Madame de LAFAYETTE , La Princesse de Clves, 1678.
(1)
(2)
(3)
(4)