La «compensation morale» proposée par Blatter impose à la FIFA et aux Fédérati
ons Françaises de Football de faire des choix cornéliens.
Comme on pouvait s’y attendre, la«main» qu’Henry a commise durant le match du 18 novembre 2009, mettant fin au rêve de la République d’Irlande d’accéder à la Coupe du Monde 2010, a été comparée à la fameuse « Main de Dieu» qui avait per mis à Diego Maradonna de gagner les quarts de final de la coupe du Monde de 1986 contre l’Angleterre. Le lendemain, le Time a classé l’action de Thierry Henry d euxième des «Dix Plus Grandes Tricheries Sportives», sachant que Maradonna occ upe la dernière place de leur classement. J’étais au Stade de France pour assister au match, avec mes deux enfants, et 20 000 autres supporters irlandais. Lorsque l’arbitre suédois, Martin Hansson, a do nné le coup de sifflet final, un silence de mort s’est installé. La France venai t juste de se qualifier pour le Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sudet le stad e était comme envahi d’une odeur fétide à laquelle tout le monde voulait s’échap per. Lorsque nous sommes sortis du stade, nous avons été frappés par le silence de no s 60 000 homonymes français. Si l’Irlande avait gagné, nous aurions été en effer vescence. Cependant, les Français y voyait déjà une victoire à la Pyrrhus, et la nation entière se sentait gênée, avant même que le monde ne le soit. L’ambiance dans le bus qui nous a ramené à l’aéroport Charles de Gaulle était ét ouffante. C’était comme si nous avions été témoins de la mort d’un être cher. Mo n Nokia n’arrêtait pas de sonner, sous l’effet du raz-de-marée de messages que j e recevais depuis l’Irlande, le Brésil, l’Afrique du Sud, et bien évidemment de mes amis français. J’ai souri à la lecture du contenu d’un des messages que m’av ait envoyé un ami très cher, qui travaille dans le vignoble de Saint Emilion, da ns le Sud de la France. «Mon frère irlandais, j’ai honte. La France est le pays de la liberté et de la justice. Je suis un fier d’être français et je suis un patriote. Mais j’aurais a imé que la France se qualifie dans les règles de l’art. Je présente mes excuses au peuple irlandais pour ce qui s’est passé ce soir. C’est vous qui méritez d’al ler en Afrique du Sud. Pas la France.» Curieusement, la façon dont l’Irlande a été éliminée a été atténuée par l’ampleu r du soutien que nous avons reçu du monde entier, y compris de notre vieille enn emie, l’Angleterre, mais aussi par la réaction des Français. Les anciens joueurs internationaux de football, Bixente Lizarazu et Emmanuel Petit ont donné le ton : «Ce n’est pas quelque chose dont on peut être fier. Je n’irai pas fêter l’év énement» s’est exclamé Lizarazu, tandis que Petit commentait: « Le sentiment du public français… était mêlé de honte: nous ne voulions pas nous qualifier da ns des circonstances douteuses mais plutôt vaincre l’Irlande en jouant selon le s règles… La «main» d’Henry ne permet pas de faire passer un bon message…» L’ancien entraîneur français de Thierry Henry à Arsenal, Arsène Wenger s’est ex primé: «Ce n’est pas de cette façon dont nous jouons au football en France, et le football doit tirer un enseignement de tout cela. Cette situation est assez gênante du point de vue de la justice. Je pense quemême la France se sent gêné e… nous avons gagné le match et obtenu la qualification avec un but qui n’en es t pas un». Wenger a analysé, dans le même élan, que Thierry Henry n’a pas avert i l’arbitre du fait de «la pression et de l’enjeu». Bien évidemment, la fierté d’un pays de se qualifier dans les phases finales du plus grand événement sportif de la planète n’est pas le seul enjeu. Le véritable enjeu se retrouve dans l’énorme marché que représentent les échanges lucratifs (voire extrêmement lucratifs) entre les sponsors et les joueurs, mais aussi dans le désir de la FIFA de conserver ses principaux bienfaiteurs. La transformation de la nature même du football m’a frappé pour la première foi s il y a bien des années, lorsque j’ai été témoin d’une crise de nerf d’un des e mployés d’un club anglais fraîchement promu en première division. Il venait just e de sortir d’une discussion animée avec le manager de l’équipe quand il a explo sé: «Je vais te dire ce que j’espère. J’espère que le club va perdre ses dix p remiers matchs; comme ça, il va prendre la porte et nous aurons un vrai manager . Il ne comprend pas que c’est une industrie de quatre milliards de livres. Parc e que c’est ce que c’est: une industrie. C’est une entreprise. Il veut diriger le club à l’ancienne, et c’est juste impossible». Je suis heureux de pouvoir dire que ce club n’a pas perdu ses dix premiers matc hs, qu’il est encore en compétition dans la première division anglaise, et que l e manager fait toujours un excellent travail. En revanche, la tirade dont j’ai é té gratifié démontre de façon évidente les transformations profondes qui altèren t la nature du sport professionnel en général. La nation irlandaise s’est sentie tellement outragée que cela a provoqué de vive s réactions de la part de notre Premier Ministre, et de notre Ministre des Affai res Etrangères. Ils ont tous deux appelés à ce que le match soit rejoué, provoq uant la gêne du gouvernement français. Henry, comme il l’a été cyniquement souligné, a soutenu l’Irlande dans sa demand e de rejouer lematch une fois seulement qu’il ait été clair que la FIFA et la FFF ne le sanctionneraient pas. On peut aussi voir un calcul de sa part lorsqu’i l s’est assis, dans un élan de solidarité, auprès d’un Richard Dunne inconsolabl e après le match. «Si j’avais été irlandais» a commenté l’ancien joueur intern ational Eric Cantona à propos du comportement d’Henry «il ne serait pas resté a uprès de moi plus de trois secondes». Nombreux sont ceux qui, en Irlande, se so nt sentis profondément déçus par l’attitude hypocrite d’Henry, et ce d’autant pl us qu’il était une star adulée et respectée. Le manager de l’équipe de la République d’Irlande, Giovanni Trapattoni, a remis en question le règlement de la FIFA, lors de la conférence de presse qui s’est t enue à Dublin le lendemain du match. Bien qu’il ait reconnu qu’il était peu prob able que le match soit rejoué, il a souligné le besoin de la mise en place d’une technologie d’assistance vidéo. Il a en outre critiqué l’attitude de l’arbitre, M. Hansson, qui aurait du, selon lui, aller voir Henry pour lui demander si il avait bien touché le ballon de la main. Cette situation aurait certainement créé un dilemme moral chez le joueur, en le confrontant à la notion de «fair play» telle qu’elle est défendue par la FIFA. Henry aurait alors du arbitrer entre sa volonté de gagner à tout prix, et son désir de garder l’image d’un garçon bien sous tous rapports, et rasé de près. Cela aurait alors exigé de lui le même type de réaction «instinctive» que celle qui a conduit au but décisif si controver sé. Trappatoni a estimé, lors de la même conférence, que le règlement était inju ste pour les équipes jouant à l’extérieur lors des matchs «retours». Selon lui , en lieu et place des prolongations, les tirs au but devraient directement clôt urer le match, dans l’hypothèse où, après les 180 minutes des matchs «aller» e t «retour», les équipes sont toujours à égalité. Comme la Football Association of Ireland (FAI) n’est qu’une petite fédération de la FIFA, elle doit faire face à des déboires financiers colossaux même après av oir démontré qu’elle peut développer un jeu soigné et stylisé. Ses performances nous ont d’ailleurs fait espérer une qualification à l’issue des matchs de barra ge, et même une place de second dans le groupe 8, juste derrière les Champions d u Monde en titre, l’Italie. Avant même le début des qualifications, la FIFA avai t décidé que les huit équipes européennes concernées par les barrages seraient t irées au sort depuis la même urne. Cependant, tandis que se dessinait l’issue de s qualifications au fil des matchs, et qu’il était devenu clair que des grandes équipes comme la France (classée 9ème équipe mondiale par la FIFA), le Portugal (10ème selon le même classement), la Russie (12ème) et la Grèce (16ème) luttaien t laborieusement pour leurs qualifications, les buts ont été élargis. La FIFA, l ors de son annonce du classement, a assuré que ces quatre grandes équipes seraie nt mises de côté, ce qui leur a permis de tomber respectivement contre la Républ ique d’Irlande (34ème), la Bosnie-Herzégovine (49ème), la Slovénie (49ème) et l ’Ukraine (22ème). C’était encore un autre calcul, motivé uniquement par les intérêts collectifs de s sponsors, des publicitaires, et autres intérêts de marché que le football mode rne permet de nourrir. Dans un ultime effort pour essayer de sauver quelque chose de son dur combat pou r la qualification, la FAI a formulé une requête officielle à la fois devant la FIFA, et la FFF. Son directeur exécutif, John Delaney, a demandé à ce que le mat ch soit rejoué, citant l’exemple d’un des matchs de qualification d’une précéden te Coupe du Monde, entre l’Ouzbékistan et le Barhain. Ce match a du être rejoué, sur décision de la FIFA, du fait «d’une erreur technique commise par l’arbitre en poste». Delaney a expliqué: «La décision appartient maintenant à ceux qui élaborent les règles; si ils croient vraiment aux principes du fair play, alor s ils sauteront le pas…. Si nous nous étions qualifiés de cette manière, je ne p ourrais pas m’en réjouir.» Le 20 novembre dernier, la FIFA a rejeté la requête de l’Irlande, en avançant l’idée que «ce genre de décision est prise par l’arbi tre et est irrévocable». Cependant, lors du match qui avait opposé l’Ouzbékistan au Barhain, l’arbitre av ait pris une décision «irrévocable», que la FIFA avait pourtant révoquée. D’au cuns diraient que si les rôles avaient été inversés, les états d’âmes de Delaney n’auraient pas importés. Malheureusement, le cynisme, une fois de plus, pourrai t mener certains à la conclusion suivante: si Robbie Keane s’était rendu coupab le de la même faute qu’Henry et fait une passe décisive à Damien Duff, la FIFA a urait, sous la pression de la FFF, demandé à ce que le match soit rejoué. Et, je le crois sincèrement, la FAI et le public irlandais auraient été du même avis. Le 27 novembre dernier, une délégation de la FAI est allée à la rencontre de Sep p Blatter, à Zurich, pour une réunion de 90 minutes placée sous le sceau du secr et. Les irlandais avait apporté une liste de doléances, parmi lesquelles: la di sparition du classement des équipes à l’issue des qualifications, l’introduction de la technologie vidéo, l’apparition des Assistants Arbitres Supplémentaires ( AAS) durant les matchs internationaux, des sanctions exemplaires pour tous les j oueurs qui outrepassent le Règlement lors d’actions décisives, et une déclaratio n de la part de la FIFA selon laquelle «elle ne tolère pas les tricheries». La dernières des doléances citées ici est en fait un reproche fait à Butter, qui a admis avoir téléphoné à Henry pour exprimer son soutien dans la controverse aut our de sa faute, lors d’une interview donné au journal «l’Equipe». «J’ai appe lé Henry» s’était exprimé Blatter. «Il a été honnête en avouant qu il avait fai t une main, mais ce n était pas à lui d aller trouver l arbitre pour la lui sign aler.». Parmi les sujets abordés, la délégation irlandaise a formulé une requête, cette fois orale, auprès de la FIFA, lui demandant de permettre à l’Irlande d’être la 33ème équipe à concourir en Afrique du Sud. Lors d’une conférence de la Soccerex, trois jours plus tard à Johannesburg, Blat ter a préféré ignorer la nature confidentielle de cette réunion, et a divulgué l e dernier point. Son intervention a été reprise aux quatre coins du monde, ce qu i a eu pour effet d’exposer l’Irlande à toutes sortes de moqueries. Cela revenai t à répandre du sel sur les blessures du pays. Comme si cela n’était pas suffisa nt, dans un effort maladroit pour rattraper son «faux-pas» quelques jours plus tard, Blatter a suggéré que l’Irlande avait droit à une «compensation morale» , et a révélé qu’il aimerait attribuer à la FAI un prix spécial. L’Irlande pouvait rire à son tour. L’assistant manager, Liam Brady, a suggéré qu e Blatter était devenu un «poids mort» et «une gêne» pour la FIFA, tandis qu e le directeur exécutif, John Delaney, révélait que l’Irlande avait décliné une invitation de la FIFA à participer à la cérémonie durant laquelle Blatter devait présenter son «prix de la compensation morale», à Zurich. Delaney s’est excla mé, non sans ironie: «Si j’étais allé recevoir ce prix, je me serais fait lapi dé par le public irlandais, à juste raison!» Même si la FIFA a accepté de donner à l’Irlande une compensation financière à ha uteur de 6 millions d’euros, soit le montant que celle-ci aurait touché si elle avait participé aux phases finales de la Coupe du Monde en Afrique du Sud, les r esponsables de la FIFA ont la responsabilité de se pencher plus avant sur cette idée de «compensation morale» pour l’Irlande. Quelle forme pourrait-elle prendre? La compensation devrait en premier lieu reprendre l’ensemble des résolutions de la liste irlandaise présentée à Blatter le 27 novembre 2009, ainsi que les comme ntaires de Giovanni Trappatoni qu’il a pu faire à l’issue du match au Stade de F rance. Elle devrait peut être même inclure une recommandation pour la puissante Fédération Française de Football: partager avec la FAI l’ensemble des bénéfices que la faute de Thierry Henry va pouvoir engendrer. Par ailleurs, il ne serait que justice que l’Irlande puisse évoluer dans son groupe, lors de la prochaine compétition, à chances égales avec les autres participants. En plus des sommes é normes attribuées par les sponsors, la Fédération Française de Football devrait bénéficier de 6 millions d’euros, du fait de sa seule qualification. Cette somme sera doublée si la France atteint les quarts de finale. Les participants aux qu arts de finale toucheront 12 millions d’euros, les demi-finalistes 14 millions d ’euros, les vice-champions du monde se verront octroyer 17 millions d’euros, tan dis que les champions du monde décrocheront 21 millions d’euros. Une infime par t de ces sommes ferait des miracles dans les poches de la FAI, puisqu’elle perme ttrait de financer son travail autour du développement du football parmi les jeu nes générations, et plus généralement aux niveaux régionaux et national. En effe t, malheureusement, ceux qui pâtissent en dernier lieu de la tricherie d’Henry s ont les enfants d’Irlande, et ce à de nombreux niveaux. Enfin, qu’en est-il de cette suggestion de la FAI, consistant à proposer l’Irlan de comme 33ème équipe à concourir pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud? Est -ce une prétention si ridicule? Faisons le calcul: si l’Irlande participe, il y aurait 7 groupes de 4 équipes e t un groupe de 5 équipes. Dans chaque groupe, seuls les deux premiers sont amené s à participer aux huitièmes de finale. Cela devrait certainement poser un prob lème pour le groupe composé de 5 équipes, puisque chaque équipe de ce groupe aur ait alors à jouer un match supplémentaire. Cependant, il serait peut être temps pour la FIFA de voir plus grand, et de perm ettre à 40 équipes, plutôt que 32, de concourir au Brésil en 2014, ou pour la Co upe du Monde 2018. Cela impliquerait d’avoir 8 groupes de 5 équipes dans lesquel s seules les deux premières équipes seraient autorisées à atteindre l’étape suiv ante. Une fois encore, cela impliquerait pour chaque équipe de jouer un match su pplémentaire, mais cela signifie aussi que huit nouvelles équipes auront la chan ce de participer au plus grand festival sportif de la planète. Pour l’Irlande, l’idée de contribuer à la participation future de petits pays à cet événement pourrait constituer la plus belle des «compensations morales» im aginables. En tout cas, ce serait certainement plus significatif que la plaque du «Fair Play», dont M. Blatter espérait qu’elle allait satisfaire une petite, mais fière nation. Une nation qui peut s’enorgueillir d’avoir les supporters de football parmi les plus tempérés de la grande famille de la FIFA. Ils l’ont d’a illeurs prouvé à Paris, la nuit de la «main» d’Henry.