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UMB, Strasbourg, septembre 2005

Anaïs Sékiné

" Quand la neige fond, où va le blanc ? "


(William Shakespeare)

Où commence l’art ?
Réflexion à partir du self-portrait d’Andy Warhol

Andy Warhol, Self-Portrait


1986. Silkscreened ink on synthetic polymer paint on canvas, 269.2 x 269.2 cm. Solomon R. Guggenheim
Museum, New York, Gift, Anne and Anthony d'Offay, 92.4033. 2000 Andy Warhol Foundation for the
Visual Arts/Artists Rights Society (ARS), NY.
Introduction
Rome 2005. Nous sommes le 18 avril, à la veille de l’élection du nouveau pape.
Loin des foules et des fumées noires et blanches du pontificat de Benoît auxquelles
nous nous trouvions mêlés par pure coïncidence, nous sommes aux Scuderie del
Quirinale accueillant les Masterpieces from the Guggenheim collection : From Renoir to
Warhol.

Mon attente est grande. De quoi se compose cette concentration d’œuvres d’art
dont le mécène me paraît aussi illustre que les artistes eux-mêmes ?
Je ne suis pas une habituée de la contemplation communément requise dans un
musée. Je passe rapidement d’un tableau à un autre. Mon regard se pose sur un nom,
une date. J’essaye de resituer l’œuvre dans son contexte et d’y trouver un sens. Nous
étions sept amis à jouer les critiques d’art et à nous pavaner d’un air amusé, chacun à
notre rythme, pour un après-midi à Rome.
Je suis la première à terminer l’étage, alors que les autres s’attardent
consciencieusement sur chaque pièce, faisant des remarques, pausant longuement
devant Cézanne, Renoir, Chagall, Manet, Monet, Picasso, Kandinsky, Klee, Dali…
Une atmosphère très auratique se dégage de ce lieu où est célébré l’amour de l’art et
de ces artistes dont on se souvient si bien du nom. L’aura comme celle décrite par
Walter Benjamin dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique1, ce
« quelque chose » de mystique et d’impalpable qui entoure chaque objet d’art.
Je reviens sur mes pas et rejoins un couple d’amis. Certains artistes me sont
inconnus. L’ami s’étonne et m’explique que son père et sa sœur sont des passionnés
d’art. Je me sens un peu ridicule et regrette que ma curiosité se soit révélée si
tardivement. Nous montons ensuite au deuxième étage, plus ancré dans les années
soixante. Cette fois l’ambiance est bien différente. Une suite de nombres en néon
nous arrête un instant. 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, … Anciens lycéens de classe
scientifique, c’est à celui qui trouvera la cohérence, oh si évidente, en premier. En
face, des bandes de caoutchoucs de couleurs différentes, emmêlées et entremêlées
avec des fils de néon, sont accrochées à neufs crochets. C’est une œuvre de Serra, crée
entre 1966 et 1967. Elle me fait penser à la sellerie d’une écurie. C’est déconcertant et
absurde. Je ne comprends pas.
Mais au bout de la salle, sur le dernier mur, trône l’autoportrait foudroyant de
Warhol (1986). Une tête vert acide, sans corps, mis en exergue par un fond noir. Une
toile d’au moins 7m2. Warhol comme je ne l’avais jamais vu auparavant. Une lumière
intense et électrique se dégage de ce tableau. Démembré, le visage est figé mais
expressif, interpellant et omniprésent, presque virtuel. Il est magnifié.
C’est alors que mon ami si cultivé, en Erasmus à Rome pour sa troisième année de
Sciences Politiques, me dit : « et en plus il a fait tout ça à la main ». Cette fois, c’est à
mon tour de m’étonner. Warhol est un représentant du pop art. Il a « colorié » des
photos de Marilyn Monroe. Il n’a pas peint traditionnellement ses œuvres avec de la
peinture à l’huile et un béret sur la tête. Je lui rétorque : « Bien sûr que non ! C’est une
sérigraphie. ». Mis en doute, nous nous rapprochons du tableau et le regardons de
plus près. L’alarme s’enclenche. Les surveillants nous demandent de reculer. De
petites croix composent l’ensemble de l’image. L’ami est persuadé que Warhol a
minutieusement peint chacune de ces petites croix. Et quand je lui assure que c’est un
effet d’impression, tout d’un coup, son intérêt pour l’œuvre l’abandonne. « Ah bon !
Mais c’est nul alors ! ». Ce visage qu’il qualifiait de « puissant » se résumait tout d’un
coup à de la pacotille, dès que la technique de production lui a été révélée. C’est une

1
Walter Benjamin.“L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique” in Œuvres II, Paris, 2000. 464p.

1
photo, une reproduction, pour laquelle Warhol n’a pas consacré son énergie à aligner
des croix, à calculer mathématiquement sa morphologie faciale afin de la reproduire,
pourtant, à la perfection. L’artiste ne serait donc reconnu à ses yeux qu’à son travail
d’artisan ?
S’il ne consacre pas un minimum d’heures à la réalisation de ses œuvres, et s’il ne
les produit pas à la main, l’artiste est-il un imposteur qui trompe son monde ?

Un problème fondamental se pose : Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce qu’un artiste ?


La valeur de l’œuvre d’art se mesure-t-elle à son aura ? Dans le cas de l’autoportrait
de Warhol, la technique semble prendre toute son importance. L’art traditionnel est-il
le seul art légitime ? (1) L’artiste, alors, ne semble pas être remis en question. Y a-t-il
un décalage entre l’artiste et ce qu’il crée ? L’artiste est-il un artisan ou un créateur
(idéologue) ? (2) Et en fonction de cette question, nous pouvons nous permettre de
poser la suivante : quelle est l’intention de l’artiste ? En se détachant de ses moyens
traditionnels, l’art peut-il vraiment atteindre la « pratique politique » que préconise
W. Benjamin ? (3)

« L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »


L’aura selon Walter Benjamin

Le concept d’aura est longuement développé dans de nombreux écrits de Benjamin.


L’œuvre d’art est selon lui tout aussi importante que le contexte qui a permis de la
créer ; le contexte mettant en œuvre des pensées, des politiques, des progrès
techniques qui influencent inévitablement les réalisations de ses acteurs.
Benjamin fait une distinction nette entre l’art traditionnel ou classique, et l’art né des
nouvelles techniques de reproduction. Le premier est un art hétéronome. Il tire sa
légitimité d’une autorité cosmologique ou religieuse, extérieure aux hommes. Depuis
toujours, l’œuvre d’art existe essentiellement pour sa fonction rituelle. Les dessins
dans les grottes étaient destinés aux esprits, comme les sculptures de l’île de Pâques
érigées en l’honneur des ancêtres2. Ce sont des « instruments magiques » 3. Chacune
de ces œuvres, tout autant que les tableaux de Renoir ou de Chagall, est unique. Elles
sont authentiques. Elles ont traversé le temps et les croyances et en gardent les
cicatrices, les altérations physiques. Elles sont le témoignage encore vivant d’un
temps ancien qui n’est plus. C’est ce que Benjamin appelle le « hic et nunc » de
l’œuvre d’art, cette aura mystérieuse qui rend l’œuvre d’art si précieuse.
Les techniques modernes viennent bouleverser cette valeur rituelle de l’objet d’art. Si
les tableaux de Renoir et de Chagall sont évidents aux yeux de mon ami, quelle aura
manque-t-il à Warhol pour qu’il ne la rejette pas ? L’art reproductible n’est plus
authentique et unique. Le Self portrait de Warhol peut être présent sur le mur des
Scuderie del Quirinale, en même temps que sur celui d’un particulier, peut être dans
un autre format, peut être dans une autre couleur. Ce qui semble être perturbé ici est
l’unicité de l’œuvre d’art en tant qu’objet même, sa rareté et son accessibilité trop
étendue. Il m’apparaît néanmoins que l’aura n’a pas cessé d’entourer Warhol de son
voile et que le culte reste présent dans l’atmosphère silencieuse et professorale du
musée. Warhol n’a pas quitté un instant sa création, et pourtant, la valeur de l’œuvre
et de l’artiste est remise en question. Sa main n’a pas touché le pinceau comme en
conviendrait l’usage. Il s’est servi pour cela d’un outil automatisé. La machine est-elle

2
On les attribue à des tribus polynésiennes qui au XIIè siècle les auraient érigées pour représenter leurs ancêtres
(source : Géo n°241, p.72)
3
Walter Benjamin. op. cit., p. 284.

2
incompatible à la production artistique ? L'art est-il intimement lié à l'idée de nature
? Comme freiné par un statut immuable ancré profondément dans une tradition
sacrée de rapport au divin, l'art et l'artiste ne peuvent-ils accéder à la modernité ?

L’art sacré, pédagogique et technique

Dans l’Antiquité, l’art exprime la perfection divine. L’art imite la nature. Les
marbres grecs glorifient l’harmonie du corps, de la nature, du cosmos impénétrable
et tout puissant. L’œuvre d’art n’était pas l’expression subjective d’un artiste, mais
celle d’un ordre supérieur, objectif, « en somme, l’art dans certains cas parachève ce
que la nature n’a pas pu mettre en œuvre jusqu’au bout, dans d’autres l’imite. »
(Aristote)4. L ‘œuvre n’est que la production de « l’image qui accompagne chaque
chose ». Elle l’améliore parfois, mais elle n’est pas la chose elle-même. Pour Aristote,
l’art apporte le plaisir intellectuel : « Si on a plaisir à voir les images, c’est qu’en les
regardant on apprend et on conclut ce qu’est chaque chose » et le plaisir esthétique :
« il vient du parachèvement, ou de la couleur ou de quelque autre cause ». L’art est le
manuel pédagogique du peuple antique. Mais il dégage aussi une aura indéfinissable
qui le rend agréable et particulier. L’art technique répond néanmoins au savoir-faire
d’un ouvrier, pour ne pas dire « œuvrier ». Car art et technique sont deux choses
ontologiquement reliées. Jusqu’au XVIIIe siècle, cette définition ne semble pas avoir
suscité de débat.
L’art religieux, chrétien en particulier, a une autre approche de la représentation.
L’œuvre d’art est ritualisée. Elle se conçoit selon un certain nombre de règles
préétablies. L’artiste est un serviteur d’une croyance qui se veut universelle et
s’applique à transmettre au peuple, la vérité unique et impénétrable. Chaque œuvre
met en scène des personnages bibliques. Elles ont pour vocation d’instruire le peuple
analphabète et de lui transmettre histoire et morale. Elles sont la représentation du
saint et du divin. Leur valeur tient au fait de l’incarnation symbolique de l’autorité
unique et créatrice. Ce rapport idolâtre à l’objet existe depuis des siècles. L’humanité
se base sur cette idée de recherche de l’Unité dans le représentable. De fait,
l’inexplicable est insupportable. Au-delà du profane et du religieux, de l’espace et du
temps, au-delà même de l’histoire, l’art est toujours l’expression d’une quête de sens.

L’art industriel et reproductible

Les révolutions technologiques qui se développent au XIXe siècle, mais plus


généralement au XXe siècle, vont transformer la notion même de l’art5 et provoquer
des passions. La photographie reproduit le réel mécaniquement et se reproduit lui-
même à l’infini. Le cinéma reproduit l’être mouvant et le sublime par des
truchements techniques. Mais l’art semble ne jamais s’être émancipé de sa définition
aristotélicienne :

Les beautés en photo sont très différentes des beautés en personne. Il doit être difficile
d’être mannequin, car on doit avoir envie d’être comme sur la photo de soi, et on ne peut
jamais y ressembler. Et l’on commence donc à copier la photo. La photo apporte en général
une nouvelle demi-dimension. (Et le film une nouvelle dimension entière. Ce magnétisme
de l’écran est un mystère – si seulement on pouvait découvrir ce que c’est, et comment le
fabriquer, ce serait un bon produit à vendre.(…)6 (Andy Warhol)

4
Aristote. Physique, II, 8, 199a
5
Walter Benjamin cite Paul Valéry. op. cit., p.269
6
Andy Warhol. Ma philosophie de A à B, 1975, Paris, 1977. p.57

3
Le dadaïsme, comme le surréalisme et le pop art bien des années plus tard, ont
largement exploité les techniques de reproduction dans l’expression de leur art. Dans
une certaine mesure, ce sont l’art de masse et les outils de l’industrialisation qui ont
servi de medium à leur idéologie.
Pour l’analyste de l’art austro-britannique Ernst Gombrich, « il doit toujours y
avoir au moins un minimum de compétence technique pour que nous puissions
parler de réussite artistique. »7. C’est sûrement ce que la plupart des gens doivent
penser quand ils découvrent que les petites croix de l’autoportrait d’Andy Warhol
n’ont pas été peintes à la main. Mais est-ce que l’art doit réellement répondre à un
critère de « compétence » ? C’est la question que pose Marcel Duchamp en exposant
son ready-made, la “Fontaine” (1917) : un urinoir renversé dont il a détourné le sens.
Dans ce cas, qu’est-ce qui fait l’artiste ? Est-ce le travail de l’ouvrier qui l’a moulé ? Ou
est-ce l’idée de Duchamp qui a transformé le statut de l’urinoir ? L’artiste n’est-il là
qu’un être de compétences ? Ne serait-il pas également un penseur, un créateur
d’idées, quelle que soit sa démarche matérielle ? Ce que Duchamp vient signifier est
que l’art est partout et que l’imagination manifestée peut faire de chacun un artiste.
Ici, l’artiste n’a pas créé l’objet, il a détourné la fonction de l’objet. Il lui a attribué une
« idée ». Son art est-il illégitime, parce qu’il ne répond pas à l’exigence de
compétences techniques ? Depuis l’Antiquité, l’art s’est-il réellement émancipé de la
technique ? L’autoportrait de Warhol n’est pas un ready-made. Il s’est mis en scène.
Il a créé l’expression de son visage, la bataille de ses cheveux, la couleur spectrale de
son apparition. Le concept du pop art se situe dans le choix de l’utilisation des
instruments de l’industrie capitaliste. Est-ce que l’art disparaît quand la technique
devient le résultat d’une chaîne de production ? À l’heure où le poster de Marilyn
Monroe est peut-être l’œuvre warholienne la plus consommée au monde, certains sont
tentés de dire : « L’art n’existe pas. Seuls existent les artistes »8. L’expérience de
l’exposition de Guggenheim m’amène à suggérer cette possibilité.

L’artiste, l’artisan et l’idée


Peut-on définir l’artiste ?

Mon expérience de l’artiste est intime. Ma vie en est imprégnée depuis l’enfance.
L’atelier, les pots de peintures, leur odeur, les grandes toiles et puis les expositions,
les galeries, les performances sont un quotidien qui longtemps a représenté pour
moi, la simple activité de ma mère, comme les voyages l’étaient pour mon père.
Petite, j’ai baigné dans un milieu marginal qui me paraissait être une évidence, entre
résidents étrangers, Japonais non conventionnels, personnages sans uniformes, sans
formules apprises par cœur.
La liberté est un état que revendiquent les artistes. Ils tolèrent difficilement les
définitions toujours réductrices, excluantes. Car si on définit ce qu’est une chose, on
suggère ce qu’elle n’est pas. Or cette radicalité ontologique ne laisse pas de place à la
liberté. J’ai côtoyé les plus grands danseurs de Butoh, danse d’avant-garde japonaise
et courant révolutionnaire des années soixante. Leur vie et leur art sont l’expression
de cette difficulté :
Il est difficile de donner une définition du Butoh sans risquer de flétrir le pouvoir de
transformation inhérent à cet art. Je me souviens de l’amusement des danseurs de Butoh
lorsque les Occidentaux s’acharnaient à le définir. Je me souviens aussi de leur résistance
au discours de la rationalité qu’ils jugeaient castratrice de leur art. Le Butoh était toujours

7
Ernst Gombrich et Didier Eribon. Ce que l’image nous dit – Entretiens sur l’art et la science, Paris, 1991. p.82
8
« There really is no such thing as art. There are only artists. » The Story of Art, Oxford, Phaidon Press, 1950.

4
et forcément ailleurs, autre chose, autrement. ( …) Mais afin de se préserver du contrôle
des institutions et de la récupération inhérente à une société de consommation, le Butoh
sur sa terre d’origine reste souvent confiné dans l’expression d’un art mineur, dans
l’ombre, comme « une avant-garde qui rampe sur terre » en marge d’une société aseptisée
dont Henry Michaux disait : « Les Japonais lavent même le ciel »9 (Nourit Masson-Sékiné)

Dans une société où le pouvoir et la discipline, selon les définitions de M. Foucault,


contrôlent et étudient le moindre de nos gestes, l’artiste est-il toujours un marginal,
un outsider ? Un regard à distance, à la fois imprégné du monde ambiant et qui en
traduit une certaine réalité. Ou alors, l’artiste cultive-t-il son entre-soi, sa
personnalité, son originalité ? L’artiste se meut-il dans un monde perceptif différent
du commun ? Peut-on définir l’art, ou est-il cette « autre chose » indéfinissable
comme le Butoh, qui échappe aux frontières des mots ? Pourrait-il être cette force
rare qui échappe encore aux limites de l’entendement ? Ce que l’âme est au corps,
l’art l’est-il à la société ?

Du sens et du Spirituel dans l’art

On l’a vu, l’art s’est progressivement détaché du magique et du sacré, en faveur de


l’humain créateur, bien que génie mais mortel. Génie est un terme que Benjamin
bannissait de son langage car pour lui, il appartenait au vocabulaire d’une idéologie
fascisante, s’appuyant sur le renouveau du sacré dans l’homme. Pour Kandinsky,
l’art est une affaire d’âme. L’artiste est « au service d’un idéal particulièrement élevé,
qui lui impose des devoirs précis et sacrés, une grande tâche »10. Mais ce sacré vient
de l’être lui-même, d’une perception intuitive et non d’une supériorité imposée de
l’extérieur. « L’art (…) est le seul langage qui parle à l’âme et le seul qu’elle puisse
entendre. Elle y trouve, sous l’unique forme qui soit assimilable pour elle, le Pain
Quotidien dont elle a besoin »11. Nous voyons là que pour l’artiste, l’art est une
nourriture spirituelle et un niveau d’expression qui transcende la matière. C’est en
cela qu’il y a une rencontre entre ce qui est sacré dans l’humain et ce qu’il y a de
sacré dans l’art. Ce qui revient à dire qu’il y a une résonance entre ce qui vient de
l’humain et ce qu’il crée. Elle le porte au plus haut niveau de lui-même, parce qu’il
manifeste l’âme à l’extérieure de lui-même par la création dans le réel. L’artiste
ajoute qu’« Il n'a pas le droit de vivre sans devoirs (...) Il doit être convaincu que
chacun de ses actes, de ses sentiments, de ses pensées est la matière impondérable
dont seront faites ses oeuvres. Il doit savoir qu'il n'est pas libre, par conséquent, dans
les actes de sa vie et qu'il n'est libre que dans l'art »12. L’art est donc la raison de vivre
de l’artiste, le lieu de sa vérité, son essence, son dessein. L’art est l’expression la plus
auratique du produit humain, l’âme de l’objet. On dit que l’œuvre d’art est à son
comble quand l’artiste parvient à lui donner une âme, un souffle de vie. Ce qui est
important ici n’est pas de savoir ce que la théologie a à voir avec l’art ou ce que
l’artiste pense de sa propre mission. Les plus matérialistes accordent de l’importance
au sens donné à l’art. Le théâtre de Brecht ou le cinéma selon Benjamin ont pour but
de transcender la parole ou l’image pour éveiller le peuple à une certaine conscience
de leur condition. La recherche de ce souffle de vie, de cet effet de réel, est le moteur
d’inspiration des artistes engagés. Leur art est loin d’être dénué d’aura. Ce qui
semble primordial dans la quête d’un artiste est le sens qu’il donne à ce qu’il fait,
quelle que soit sa pratique. La quête mystique de Kandinsky ne l’éloigne pas de cette
volonté de transmission intelligible et rationnelle. Il n’esthétise pas le sens, il donne
9
Nourit Masson-Sékiné. Préface in Butoh, Dança Veredas D’alma, Säo Paulo, 1995.
10
Wassily Kandinsky. Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier – Au cœur de la création picturale, 1954,
Paris, 1969. p.173
11
Wassily Kandinsky. Ibid. p.172
12
Wassily Kandinsky. Ibid. p.174

5
du sens à l’art13 : « L'artiste doit avoir quelque chose à dire. Sa tâche ne consiste pas à
maîtriser la forme, mais à adapter cette forme au contenu »14. Benjamin peut se
rassurer.

Les « compétences » de l’artiste

De l’art abstrait ou conceptuel à l’art technique et industriel, la forme que prend


l’objet ne respecte plus la figuration de l’objet lui-même, en faveur d’autres enjeux,
esthétiques ou conceptuels. Le public s’en voit décontenancé. L’art n’est plus un
savoir-faire. L’art remplace même parfois la représentation par la présentation.
Duchamp distinguait nettement les « moyens de réalisation de l’œuvre d’art et la
portée de cette dernière, purement intellectuelle. Autrement dit, la prouesse
technique n’était jamais la finalité de l’œuvre »15. L’art est politique. L’art a un sens.
Nombreuses œuvres reconnues et signées par l’artiste ont été réalisées par des
élèves. Les professionnels de l’art scrutent les œuvres de de Latour dont ils ne
distinguent toujours pas l’œuvre de la copie. Est-ce que les peintures de Chagall ou
de Dali ont moins de valeur quand on sait qu’ils n’ont réalisé que les esquisses de
nombre de leurs tableaux ? L’artiste est ici garant du projet et de sa direction, pas
l’exécutant. Voudrait-on que l’artiste accompli soit d’abord l’artisan absolu de
l’œuvre ? Buren serait alors exclu des musées et de la place publique.
Quand on a à faire au pop art, l’œil du critique est souvent peu tolérant. Pourtant,
dans l’œuvre de Warhol, l’artiste est l’auteur d’une idée dont le travail artisanal est
passé par une technique de reproduction. L’élève est remplacé par la machine.
D’après Kandinsky : « L'artiste a non seulement le droit, mais le devoir de manier les
formes de la manière qu'il juge NÉCESSAIRE pour atteindre SES buts. Ce n'est ni
l'anatomie (pas plus qu'aucune science du genre), ni le renversement théorique de
ces sciences qui est nécessaire, mais la liberté entière et illimitée de l'artiste dans le
choix de ses moyens »16. Va-t-on condamner Mauss parce qu’il n’est jamais sorti de
son propre pays pour parler de peuples qu’il n’a jamais rencontrés ?

La publicité de l’artiste

À « L’art n’existe pas. Seuls existent les artistes »17, je serais plus tempérée en disant
que l’art n’existe plus sans les artistes. Le culte de la célébrité a brouillé les pistes de
l’innovateur.

Une compagnie se proposait récemment d’acheter mon « aura ». Ils ne voulaient pas mon
produit. Ils répétaient inlassablement : « Nous voulons votre aura. » Je n’ai jamais trouvé
ce qu’ils voulaient vraiment. Mais ils étaient prêts à payer très cher pour l’avoir. Alors je
me suis dit que si quelqu’un était prêt à payer autant pour l’avoir, je devrais bien essayer
de trouver ce que c’était.
Je crois que l’« aura » est une chose que seuls les autres peuvent voir, et seulement dans la
mesure où ils le veulent. (…) J’ai dîné l’autre soir avec tous les gens de mon bureau. Ils me
traitent comme de la merde, parce qu’ils me connaissent et qu’ils me voient chaque jour.
Mais quelqu’un avait amené un copain, et ce brave gosse pouvait à peine croire qu’il était
en train de dîner avec moi ! Tous les autres me voyaient en chair et en os, mais lui ne voyait
que mon « aura ».18 (Andy Warhol)

13
Ici, je fais référence à l’opposition cher à W. Benjamin, entre esthétisation de la politique (le fascisme) et la
politisation de l’art (le communisme)
14
Wassily Kandinsky. Ibid . p.173
15
Catherine Millet. Le critique d’art s’expose, Paris, 1993. p.156
16
Wassily Kandinsky. op. cit ., p.174
16
Wassily Kandinsky. op. cit ., pp.170-171
17
« There really is no such thing as art. There are only artists. » The Story of Art, Oxford : Phaidon Press, 1950.
18
Andy Warhol. op. cit ., p.67

6
L’aura dont parle Warhol rend la star/artiste intemporelle et cultuelle tout comme
son oeuvre. Mais l’artiste et son art prennent tout leur sens dans le contexte de leur
existence. Le travail de Warhol se situe dans l’apothéose de la consommation. La
réceptivité de son « aura » et la vente de celle-ci correspondent tout à fait à la
dérision de son art, faisant un pied de nez à ce qu’on appelle « l’art bourgeois », l’art
académique, officiel. Mais n’en fait-il pas partie étant donné la place qu’on lui réserve
dans les musées ? Malgré l’éventuelle frustration que provoque sa technique de
production, son nom est admis dans le cercle clos des artistes reconnus. Sa vie, sa
personnalité, son extravagance participent de son art. Il arrive souvent que l’on
connaisse le nom et certains aspects de la vie d’un artiste sans pour autant connaître
son oeuvre, comme l’oreille coupée de Van Gogh ou le mariage de Woody Allen avec
sa fille adoptive.
Mais tel Yves Saint Laurent quittant la haute couture19, un homme peut-il annoncer
la mort d’un art, ou plus généralement, de l’art ? Quand toutes les formes semblent
avoir été visitées, les idées ne suffisent-elles plus ? Est-ce que « la mort de l’art » ne
serait pas plutôt un appel au retour à la tradition antique, par le respect du protocole
?

Les intentions de l’artiste – Vision politique de l’art


L’art démocratique

Les progrès en technologie ont conduit (…) à la vulgarité (…) la reproduction par procédés
mécaniques et la presse rotative ont rendu possible la multiplication indéfinie des écrits et
des images. L’instruction universelle et les salaires relativement élevés ont créé un public
énorme sachant lire et pouvant s’offrir de la lecture et de la matière picturale. Une
industrie importante est née de là, afin de fournir ces données. Or le talent artistique est un
phénomène très rare ; il s’ensuit (…) qu’à toute époque et dans tous les pays la majeure
partie de l’art a été mauvais. Mais la proportion de fatras dans la production artistique
totale est plus grande maintenant qu’à aucune autre époque.20(Aldous Huxley)

L’art est aujourd’hui démocratisé même si certaines tendances esthétiques ne sont


pas à priori accessibles à tous. Le marxisme était à l’avant-garde de ce phénomène.
Pour Engels, dans L’Idéologie allemande, les artistes sont l’effet de la division du
travail. Leurs productions sont sous contrôle d’un art déterminé par les dominants.
« Dans une société communiste, il n’y a pas de peintres, mais tout au plus des
hommes qui, entre autres, font aussi de la peinture ». Comme l’indiquait Benjamin, le
cinéma russe filmait les travailleurs dans leur propre rôle. Aujourd’hui, la télévision
forme des apprentis chanteurs interprètes, les sélectionne et les produit
publiquement, comme un Big Brother mécène. Mais au contraire de Engels, les
producteurs de la Star Academy ne cherchent pas à rendre la musique au peuple. Ils
se servent plutôt du processus identificatoire, et de la confusion critique de masse
pour « aliéner » l’audimat au service de l’efficacité, de la mécanisation et de la
rentabilité capitaliste, à l’image des grands ensembles HLM21.

19
Lorsque Yves Saint Laurent s’est retiré de la création de mode en 2004, il a annoncé la mort de la Haute
Couture.
20
Aldous Huxley. Croisière d’hiver. Voyage en Amérique Centrale, 1933, Paris, Plon, 1935. pp. 273-274 (cité dans les
notes de Walter Benjamin “L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique” in Œuvres II, Paris :
Gallimard, 2000. p.297)
21
Mécanisation, efficacité et rentabilité sont les mots d’ordre à l’origine des constructions HLM.

7
Le pop art, l’art de consommation

Le pop art (art populaire) découle de la démarche dadaïste du début du siècle. À


l’instar des ready-made de Duchamp, Warhol se sert des instruments populaires
pour atteindre la masse. Marilyn Monroe, la grande boîte de soupe Campbell’s à 19
cents sont reconnaissables au regard d’un homme qui n’a pas l’habitus préalable
nécessaire pour apprécier un Rothko. « La période mécaniste du dadaïste ne soumet
pas l'esthétique au culte de la machine mais intègre celle-ci dans un code quasi-
symboliste »22. En effet, « la peinture symboliste a joué le même rôle auprès des
populations analphabètes que la peinture surréaliste, c’est-à-dire qu’elle traduit en
termes visuels aisément accessibles du premier coup d’œil une pensée qui autrement
exigeait d’être cherchée dans les livres et les revues »23.
On peut se demander, néanmoins, si en se procurant une reproduction de la
sérigraphie de Marilyn Monroe, c’est l’actrice ou bien Warhol qui est accroché au
mur. Et enfin, est-ce que la boîte de soupe ainsi représentée n’inciterait-elle pas
davantage sa consommation ? L’autoportrait de Warhol n’est-il pas l’expression de
son obsession pour la célébrité qui l’incluait lui-même ?24
Warhol et le pop art en général a fait de l’objet banal, qui remplit le quotidien des
individus, une icône. Il cultualise l’ordinaire, l’objet usuel et insignifiant. En célébrant
l’industrie alimentaire ou hollywoodienne, le pop art s’enracine plus profondément
encore dans le produit. Mais s’il est le descendant de tous ces courants avant-
gardistes engagés du début du siècle, l’engagement politique est plus larvé.
Ce que le pop art a permis néanmoins est l’accoutumance de tout œil à son
esthétique. Il a standardisé l’art. N’importe quel individu peut avoir en sa possession
un poster de Warhol, sans se soucier de son authenticité ni de sa valeur. En se
détachant de son statut traditionnel, l’art a, dans une certaine mesure, élargi son
public et a dépassé les frontières de la « division du travail ». Il a même élargi les
frontières des générations. Warhol est une icône, apprécié tout autant par des
collectionneurs richissimes comme Solomon Guggenheim, que par le jeune fils de
boulanger.

Avant-garde et art officiel – L’institutionnalisation de l’art

Mais ce qu’ont provoqué les Impressionnistes en leur temps n’a plus effet
aujourd’hui. À présent, les tableaux de Van Gogh font partie de l’art officiel. À
chaque « artiste maudit », un agent a préparé une gloire posthume. Institutionnalisé,
le pouvoir subversif de l’art meurt. La politique culturelle accorde, ou non,
l’existence publique des arts. Si l’art conceptuel revendiquait, par ses aspirations
subversives, d’être à contre-courant de l’ordre établi, sa reconnaissance par
l’Institution court-circuite sa rébellion. « Plus que jamais, l’art devient le refuge d’une
pseudo-liberté dont on oublie qu’elle est diablement surveillée. L’art ayant dilué sa
spécificité du fait de l’abandon des matériaux traditionnels, il n’est plus
reconnaissable qu’à la conscience de l’artiste dont il témoigne. Sa définition n’a
jamais été aussi idéaliste »25. Mais le carré blanc sur fond blanc de Malevitch a-t-il
perdu de sa pertinence ? De même que le ready-made de Duchamp ou le body art26

22
Catherine Millet. op. cit ., p.156
23
José Pierre. Le Symbolisme, Paris, 1976. p.6
24
The Solomon R. Guggenheim Foundation, New York & Azienda Speciale Palaexpo - Scuderie del Quirinale e
Mondomostre. Capolavori del Guggenheim – Il grande collezionismo da Renoir a Warhol, Roma, Scuderie del
Quirinale, du 3 mars au 5 juin 2005. (prospectus en anglais)
25
Catherine Millet. op. cit ., p.62
26
Le body art est un art éphémère qui disparaît après avoir été « performé ». Il marque le contexte, au risque de
faire disparaître l’œuvre d’art. C’est un courant exhibitionniste et provoquant, produisant sur le corps, la violence
de l’art.

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par exemple, ils viennent signifier une rupture entre tradition et modernisme :
l’absence de visuel, le détournement onirique d’une fonction pragmatique,
l’éphémère des oeuvres improvisées sont autant d’expression en marge d’une société
matérialiste. Mais les problématiques que posaient les grandes guerres de ce siècle
ont vu l’émergence de prises de conscience politiques qui sont nettement dépassées à
présent. “L’opéra de quat’ sous” de Brecht n’est plus aussi révolutionnaire qu’il
l’était à l’époque de sa création.
L’art « démocratique » ne serait-il pas un prétexte pour mieux se perdre à nouveau
dans le conformisme d’un art de plus en plus individualiste nécessitant de plus en
plus le mode d’emploi en bas de page ? Je citerai, en mode caricatural, les tableaux
qu’Alphonse Allais a présentés à “l’exposition des arts incohérents” à la galerie
Vivienne en 188427. À son monochrome bleu, il annote « Stupeur de jeunes recrues
apercevant pour la première fois ton azur, ô Méditerranée ! » et à son monochrome
rouge il explique : « Récolte de la tomate sur les bords de la mer Rouge par des
cardinaux apoplectiques ». 
Ce qui semble problématique dans l’art contemporain ne vient pas de ce que l’art
représenté est nouveau. Puisque comme il est démontré plus haut, le dadaïsme
notamment est déjà ancien. Mais peut-être la résistance à s’ouvrir aux tendances
nouvelles puise-t-elle dans une peur plus archaïque. Ainsi, la voiture accidentée de
Bertrand Lavier qui a fait son entrée dans le Musée d’Art Moderne et Contemporain
de Strasbourg a provoqué des remous et l’incompréhension du public qui n’avaient
pas connaissance du courant dont il se revendique. Il est passéiste pour ceux qui ont
reconnu le ready-made. « Les croyances modernes, politiques et scientifiques, qui
étaient venues combler le grand vide laissé par la religion et qui avaient quelquefois
servi de tuteurs aux spéculations artistiques, à leur tour en faillite, creusent un vide
nouveau »28.
L’art peut-il supporter la rupture ? L’avant-garde, selon les auteurs du dictionnaire
de l’avant-garde, « est au niveau de la contestation permanente et en opposition,
sinon en rupture, avec les systèmes établis »29. Mais cette contestation n’opère que
dans un temps donné. Elle tend rapidement à se compromettre en étant récupérée
par les tenants de la culture officielle. Cependant, le public, lui, reste dans le vide de
la perplexité et du sens. Comment discerner l’art alors qu’il est noyé dans les
performances technologiques ? Trop démocratisé, il s’est fondu dans l’abondance
consommatoire et la vitesse qui caractérise le XXe siècle. Tout le monde est autorisé à
parler d’art : chroniqueurs, journalistes, animateurs de télévision, représentants
culturels ou critiques d’art, le discours est aussi envahissant et confus que les
expressions artistiques elles-mêmes.

27
Luc Ferry. Le Sens du Beau - Aux origines de la culture contemporaine, Paris, 1998. p.124
28
Catherine Millet. op. cit ., p.85
29
Pierre Cabanne et Pierre Restany. L’Avant-Garde au XXe siècle, Paris, 1969.

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Conclusion
L’art et l’artiste sont des notions difficiles à définir. Comment peut-on juger de
l’authenticité de l’art et du véritable « état » d’artiste ? Longtemps, la technique était
le critère de valeur d’une œuvre d’art. Mais l’ère des techniques a mécanisé le
processus, et la machine permet pléthore de variantes esthétiques et techniques.
L’artiste n’est pas resté à l’écart de ces innovations et revendique la liberté de ses
moyens.
Certains artistes peuvent parfois être à l’avant-garde de leur époque. Leurs œuvres
s’inscrivent dans le temps qui seul témoignera de leur légitimité. Il a fallu 50 ans
pour que le dadaïsme puisse être “digéré” et ressurgir sous les formes du pop art.
La postérité retient certains artistes plutôt que d’autres, sans que l’on sache
vraiment pourquoi. Est-ce arbitraire ? Et pourtant au-delà de l’adéquation d’un
artiste et du « juste moment » socio-économique, la dimension d’universalité favorise
la pérennité de l’œuvre. Au risque de paraître trop « messianique », je dirais que
l’artiste peut être le prophète de sa génération. Il exalte la vérité de son temps,
parfois à son insu, comme un visionnaire.
Dans la société de consommation, Warhol a été le représentant de l’art industriel.
Dans la plénitude du culte du quotidien et du culte de soi, il est aussi l’incarnation de
la dérive capitaliste. L’art démocratique est devenu un art de consommation. Peut-
être est-ce là la réalité de notre époque. L’art s’engouffre dans la notion de produit.
L’art est devenu plus qu’un bien commun, il est un bien de consommation, non
seulement par sa reproductibilité, mais aussi par une vision cynique qui consisterait
à croire et à faire croire que tout se vaut et peut s’acquérir. Au XXIe siècle, le
politique dans l’art s’attablera peut-être à casser cette croyance.
Mais à la lumière de toutes ces amorces de pensée sur l’art et l’artiste, alors que
l’art s’est démocratisé et qu’il est censé s’adresser à un plus large public, il est
intéressant de remarquer que l’art contemporain n’est finalement accessible qu’à une
minorité, et que l’argument « démocratique » ne suffit pas à toucher l’ensemble du
public. De nombreux artistes tendent à exprimer la réalité de la vie quotidienne et
pourtant, le public est toujours aussi déconcerté devant des œuvres qui datent même
du début du siècle, du dadaïsme au pop art, du happening aux installations. La
voiture accidentée de Bertrand Lavier, tout droit sortie de la casse, a suscité
confusions et oppositions à l’achat de cette œuvre pour le Musée. L’autoportrait de
Warhol a provoqué le dénigrement de la valeur d’une sérigraphie. Ce pourrait-il que
ce rejet vienne d’une peur ? Car si l’œuvre se fait l’expression du réel et du monde
matériel, si l’art devient éphémère par des moyens technologiques qui n’assurent pas
sa pérennité, cela ne renvoie-t-il pas à la finitude ? L’œuvre d’art miroir de la
mortalité de l’homme. En Asie, l’éphémère est un entraînement à l’empathie, à
l’humilité. En Occident, il est l’insoutenable et provoque le désarroi.
Serions-nous encore en période d’incubation d’une révolution plus fondamentale
de l’art ?

33906 caractères
Word
Anaïs Sékiné
0618761067
anaislei@free.fr

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Bibliographie

Benjamin Walter.“L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique” in Œuvres II,


Paris : Gallimard, 2000.

Breton André. Manifestes du surréalisme, Paris : Gallimard, 1972.

Cabanne Pierre et Restan Pierre y. L’Avant-Garde au XXe siècle, Paris, André Balland, 1969.

Cassin Barbara (dir). Vocabulaire européen des philosophies, Paris : Seuil/Le Robert, 2004.

Couturier Élisabeth. L’art contemporain mode d’emploi, Paris : Filipacchi, 2004.

Ferry Luc. Le Sens du Beau - Aux origines de la culture contemporaine, Paris : Cercle d’Art,
1998.

Gombrich Ernst et Eribon Didier. Ce que l’image nous dit – Entretiens sur l’art et la science,
Paris : Adam Biro, 1991.

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Masson-Sékiné Nourit. Préface in Butoh, Dança Veredas D’alma, Säo Paulo :Palas Athena,
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Millet Catherine. Le critique d’art s’expose, Paris : CNAP/Jacqueline Chambon, 1993.

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Tackels Bruno. L’œuvre d’art à l’époque de W. Benjamin – Histoire d’aura, Paris :


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Tackels Bruno. Walter Benjamin – Une introduction, Strasbourg : PUS, 1992.

Warhol Andy. Ma philosophie de A à B, 1975, Paris : Flammarion, 1977.

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The Solomon R. Guggenheim Foundation, New York & Azienda Speciale Palaexpo -
Scuderie del Quirinale e Mondomostre. Capolavori del Guggenheim – Il grande
collezionismo da Renoir a Warhol, Roma, Scuderie del Quirinale, du 3 mars au 5 juin 2005.
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