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Fang — imo) i Un mot dexplication sur le titre de mon inter- oon Patrimoine urbain vente Ine el ug ptac Pets ait Pi urbain sur les autoroutes du cyberspace, chose sans et cyberspace dou eas To fgk pdr. de oe cation. Je pense que le cyberspace conceme aujour- Le développement du cyberspace {hui directement le patrimoine urbain et par consé- qui offre un site urbain iibéré de toute quent les architectes des bitiments de France. Ease ea pa HADE geters ne rotival En effet, & un premier niveau, cet instrument de la communication planétaire peut étre pris ‘comme symbole tout la fois de la mutation socié- tale dans laquelle nous sommes désormais engages cet de la mutation spatiale quien est indissociable, Autrement dit, je prends le cyberspace comme symbole des incidences de la technique et des techniques a la fois sur notre milieu batiet sur les relations que nous entretenons avec lui, sur nos comportements physiques, mentaux et sociaux dans espace. Cette mutation sociétale et spatiale, ‘on pourrait dire aussi cette révolution ou cet ave- nement d'une civilisation nouvelle, constitue aujourd'hui 'horizon obligé de toute prospective ou mieux de toute prospection des démarches patrimoniales. idée de la ville et une réflexion & une toute autre échelle. pour a preni foiavec se pc tighaign pour signers ise online sation etoige pr Wiliam Gibbon, Neurrsancet New York Ace Books, 1984 Dans le cadre de cette mutation, je souhaite ii focaliser la réflexion et les projets qu'elle pourrait fonder demain sur un fait, fondamental et méconnu : sur lantagonisme actuel entre deux ‘échelles d’aménagement, lune aux dimensions du ete, Fautre locale, et sur la fagon dont la premizre tend a supplanter la seconde etsy substtuer. De cet antagonisme et de cette hégémonie, le cyberspace est & la fois un embleme et un agent F influence du cyber space ‘Commengons par évoquer l’échelle d'aména- gement aux dimensions du territoire. Elle s'est manifestée pour la premiere fois, avec discrétion, dans la deuxiéme moitié du XIX° stele grce a a conjonetion des chemins de fer et du télégraphe. Toutefois, c'est depuis les années 1960 qu'elle impose une présence sans précédent & la faveur du développement, également sans précédent par sa nature et son accélération, des transports A grande vitesse, de 'électronique et des télécom- munications constitués en systémes de réseaux techniques territoire, voire de la pl Campus universitaire de Rennes et cyberspace de M. Witla nécessité Cette échelle n’est désormais plus pensée en termes de centralité, de limites, de géométrie, mais en termes de noeuds, d’interconnexions, de topologie et, bien sir, de “branchement”. De la logique du branchement relévent la vogue et le développement de mégabatiments autonomes et décontextualisés, tant dans les centres anciens quia la faveur de nceuds dont Euralille offre en France le prototype Quant 8 I’échelle d’aménagement traditionnelle, aque la pauvreté de notre vocabulaire m oblige d'ap- peler locale ou encore organique, cst celle en par- ticulier des villes anciennes que, pour faire court et par commodité, j'ai désignée dans mon titre ‘comme patrimoine urbain. Mais c’est aussi celle des anciens faubourgs, celle des villages, celle des pay- sages locaux : échelle multiple, caractérisée par sa référence au corps humain, par la mise en ceuvre de ses matériaux selon une logique de Paticulation et de la différence, qui conditionne le déploiement du sens. Elle concerne ou devrait concerner et elle engage, dans leur sens origine, 'architecture, mais aussi les techniques de voirie et d'implantation du mobilier urbain, Vorganisation des jardins comme celle des paysages agricole. (Or, en nous dotantde pouvoirsinsoupgonnés, en ‘nous lbérant des anciennes contraintes spatio-tem- porelles et en nous révélant la griserie des méga- structures, champ clos du vedertariat architectural, Véquipement en réseaux techniques, toujours plus performants, tend & faire, toujours davantage, négli- ger les échelles traditionnelles de l'aménagement. En témoignent suffisamment la polarisation des élus sur Péchelle du spectaculaire et des macro-objets médiatiques et V'indifférence croissante des usagers pour le cadre de proximité. Davantage, regardons le programme de recherche du tout nouveau Centre for urban technology créé par le Département de planification urbaine de l'Université de New Castle “pour étudier Pavenir de la ville dans une sociéeé fondée sur les télécommunications” : pas une ligne sur Vespace organique de la quotidienneré. Toute la recherche, une vingtaine de projets fon- dés sur une soixantaine de publications, est orien- tée vers le “développement d'espaces virtuels basés sur PInternet comme instrument de la politique et de la planification urtaine”. Méme silence com- plet dans Youvrage de référence City of bits de William Mitchell®. Le cyberspace est emblématique de cette désaf- fection des espaces organiques. Il est l'instrument privilégié des nouveaux pouvoirs que nous confe- rent la vitesse et la téléinformation : ubiquité qui périme les notions de limites et de proximité, instantanéité, nommée par antiphrase “action, en temps réel”, qui élimine la durée, la temporalité rele, substrat de Pespace proche et des relations interpersonnelles. Cependant, bien que “agora électronique soit fondamentalement et profondé- ment antispatiale ®”, ses hérauts le présentent comme un substitut, plus efficace, des anciens espaces locaux de sociabilité, comme le support d'une nouvelle urbanité “sans lieux ni bornes *. interrogation ne peut éte aujourd hui éludée les anciens modes d'organisation de Vespace local vont-ils conserver un sens ? Les pratiques de fak cation et d'appropriation d'un espace articulé, & Véchelle humaine, ne sont-elles pas condamnées par la logique du branchement au profit de la péri- phérisation et du mitage du territoire ?Y a-t-il une alternative & I'hégémonie d'un espace abstrait d’équipement ? est évident que les réseaux ont avenir devant eux et qu'il ouvrent des champs aussi riches qu'im- prévisibles la créatvité des humains. Leur fonc- tionnement a déja transformé expression archi- tecturale et organisation spatiale de Tensemble de nos institutions. Il est clair en outre ~ voici des décennies que je Vaffirme ~ que la ville sous sa forme traditionnelle est en voie de disparition ; que donner ce nom ou méme celui de métropole a des agglomérations millionnaires est un abus de lan- ‘gage et une tromperie. F Les échelles locales de 'aménagement ‘On oublie trop qu'urbanisation nest pas syno- nyme de ville. Mais faut-il pour autant perdre le corps Acorpsavec le monde et lespace coneret ?ne plus es habiter que par prothéses interposées ? Au moyen cde nos “augmented bodies”, comme disent les Amé- icains ? Faut-il, dans cette perspective, considérer notre patrimoine urbain comme le précieux vestige, Aembaumer, d'un passé a jamais révolu ? Ma réponse catégorique est Non. Elle se fonde sur lhypothése ou si 'on préfre, le postulat selon lequel Paménagement échelle locale représente 2 wy. atucet, Space, Face andthe Itun. ya bis, Cambie, MIT Pres, 195, 3 w michel op ct 4 evn Me Weber rb sans iw ni bones, Ei de Aube, 1996, rad en frangais de essai paruen 1964 sous le titre “The Urban place and the non place urban realm" in Explorations into urban structure, Piladelphie, 1966 99 PATRAMOINE ET TERRTORE 100 FTRIVOINE EF TERTORE tune valeur anthropologique fondamentale. Il en résulte deux conséquences. En premier lieu, espace organique local ne peut avoir de substitut: il nest pas remplacable par Pes- pace opératoire du terrtoie : es deux types ’amé- nagements sont complémentaires. En second lieu, espace a l’échelle humaine et la double activité de ceux qui le fabriquent et de ceux qui habitent constituent notre patrimoine le plus précieux parce aquil est le plus fondamental et aujourd'hui le plus menacé, parce qu'il n'est pas repéré comme tel, parce que ses enjeux ne sont ni visibles ni directe- ment monnayables. Il me reste & préciser qu'en invoquant I’échelle locale traditionnelle, je n'entends pas militer pour la conservation des lieux et des particularismes ancestraux, sous couvert d'une mémoire qui, dans notre univers nomade, n’existe en général plus ‘que dans les livres ou les ordinateurs. Tant mieux. ccertes, mais ca n'est plus la question, si parfois cette acception coincide avec celle de 'aménage- ment local. “Je dressais mon plan eu égard a I'in- tention des humains qui me payent, compte tenu des localités, des lumiéres, des ombres et des vents”, disait Eupalinos. Plus prosaiquement, je définirai encore cet aménagement local comme ajustement du bati a son contexte, au miliew proche, physique ou humain, par son dimension- rement aux mesures de notre corporéité et par son articulation des pleins et des vides qui condi- tionnent le déploiement de V'intersubjectivité et le fagonnement du lien social. Voila, me semble-t-il, quel devrait étre horizon, sur lequel inscrire demain Vaction des architectes des batiments de France. Mais la réhabilitation de cette échelle d'aménagement, téche urgente dont Tenjeu est le destin de notre société, ne peut bien ‘entendu étre assumée par les architectes des bati- ments de France qu’ la condition d'une prise de conscience et d'un engagement concomitant des pouvoirs publics. TF une présentation dynamique Une premire étape pourrait avoir été franchie en ce sens lors du récent passage de architecture sous la compétence du ministére de la Culture. Il nest pas sir cependant que ce transfert ait été explicitement porté par le projet d'une réappro- priation, patrimoniale ou non, des échelles locales de l'aménagement, ni qu’a présent cette tache apparaisse comme un enjeu prioritaire. Quoi qu'il en soit, c'est aux pouvoits publics qu'il appartient de veiller& la restructuration de lenseignement dans les écoles d'architecture et & leurs retrou- valles avec échelle humaine et avec une modes- tie qui devraient étre au fondement de leur pra- tique. C'est encore aux pouvoirs publics qu'il appartient de promouvoir les PME et les artisa- nats du batiment, par excellence compétents dans le traitement de ces échelles. Aux pouvoirs publics et aux collectivités de prendre conscience du coat social qu’aecumulent ensemble non seulement la périphérisation et le mitage du territoire mais aussi les grands travaux de pseudo-architecture et encore les excés de Vindustrie du patrimoine dit “historique” Telles sont les conditions réflexives et institu- tionnelles nécessaires pour que puissent étre esquissées schématiquement, parmi bien d'autres, quelques pistes d'action pour les architectes des bitiments de France. Diabord, une orientation radicale qui découle dde mes remarques préliminaires: passer ’une pro- tection du patrimoine statique, visant des objets, fondée sur la notion d’inventaire, a une protection dynamique, structure, ancrée dans la vie quoti diene. Lidée commence a se faire jour. Alain Marinos et Bruno Chauffert-Yvart ont dévelop- pée dans des articles récents. Mais il faut intégrer, la diffuser. II faut concevoir le patrimoine urbain ‘comme un terrain de reconquete de architecture et du vrai métier d’architecte, un champ d'expé rience incitatf, un espace d'apprentissage & l'in- vention de nouveaux espaces de proximité tant pour les praticiens que pour les usagers En second lieu, les architectes des batiments de France devraient tre les agents privilégiés dun dialogue nouveau avec les élus et avec les usages. Dans les années 1970-1980, la pluridisciplinarité des équipes Purbanistes était présentée comme une panacée. Procédure stérile parce que reposant sur une fausse problématique. Lors d'un récent voyage & Naples, j'ai découvert une nouvelle acti- vité professionnelle qui promeut la préservation dynamique du patrimoine organique. Larchitecte qui Pexerce est appelé facilitatore : son role de pédagogue, de sensibilisateur, d'informateur, d termédiaire, de conciliateut, consste faire parler tous les protagonistes d'une opération le langage ‘commun d'une méme culture de espace proche. On notera que le mot existe aussi en France, oi il désigne 'émissaire chargé de convertit les mémes protagonistes 8 la langue de bois de administration, Enfin, il me semble nécessaire aujourd'hui de sortir de notre hexagonalisme et ce devrait étre la tiiche des architectes des batiments de France de nous y aider. Si au-dela des raisons générales que je viens d’évoquer on slinterroge su ls raisons parti- culidres de 'actuelle dégradation de notre patri- ‘moine local organique, si on se demande comme le faisait récemment un journaliste pourquoi “nul pays en Europe n'a toléré un pare lasser-faire’™, deux. raisons simposent : = la France, a la différence de l'Allemagne et de Vitalie, n’a pas eu au cours des siécles, de véritable tradition urbaine ; = notre tradition nationale en matigre d’échelle de proximité était celle de Paménagement des vil Tages et paysages de Pespace rural. Celui-ci est & présent en proie a la déréliction physique et cul- turelle. Il simpose done de profiter de Vexpérience de ‘nos voisins européens et de regarder ce quiils ont réalisé : comment les Anglais ont préservé leur campagne, voyer le Kent et le Sussex dans la fou- Ike du Greenbelt Act et compare: avec les péri- phéries de Chartres ou de Tours ; comment les Alle- mands se sont gardés de la périphérisation, voyez Freiburg en Brisgau et comparez-la 8 Colmar ; com- ment les Italiens savent utiliser leur patrimoine his- torique majeur de fagon contemporaine, sans le dénaturer, voyez Photel de ville de Naples ou Yuni- versité de Venise Bref, quil sfagisse de milieu urbain ou rural, la tiche locale que j'ai tenté esquisser est fondée sur Vaphorisme de Valéry selon qui “de tous les actes, le plus complet est celui de construire” Post sciptum "intervention conclusive de Frangois Barré me Taisse penser que je n'ai sans doute pas été assea explicite dans mon évocation du cyberspace. Je -voudrais donc lever ici toute ambiguité & ce propos. ‘Pai pris le cyberspace comme symbole d'une civ lisation nouvelle parce quil en concentre les trans- formations concemant l'accélération du temps, la déspatialisation et la virtualisation de ce qu'on appelle le réel J'ai souligné d’entrée de jeu que le cyberspace était un instrument, une prothése et qu'il ne fallait pas lui préter d’autre valeur, C'est, en effet, une évidence ‘que Pinvention prothétique accompagne et n'a cessé daccompagner le processus appropriation du monde par Pespce humaine. De grandes pages lit- téraires se sont succédées pour nous le rappeler, depuis le XVII siécle avec les analyses célébres de ‘Charles Perrault sur l'imprimerie ® et de Robert Hooke sur les lunettes astronomiques et le micro- scope jusqu’ la méditation de Roland Barthes sur la photographie ®. Il serait ridicule de nier ou de ‘minimise la contribution spectacular du cybernet ‘non seulement en matiére de documentation, mais ddans.un ensemble de domaines scientifiques et appli qués, comme par exemple, en chirurgie. Dans euphorie de nos pouvoir accrus, euphorie a laquelle je participe pleinement, il m'apparait néanmoins nécessaire de ne pas fermer les yeux sur certaines menaces dont le cyberspace, ainsi que autres instruments techniques, sont aujourd’hui porteurs. On pourrait sourite de formules qui nous promettent “la dissolution électronique de nos truc- tures spatio-temporelles” ou qui affirment que dans sanouvelle acceptation, le mot “site” ne désigne plus “tel fragment de la tere, mais un ordinateur”, si certaines études américaines comme celles de Mark Slouka' ne montraient que ka “eyberagora est aussi une aréne diagressivité. Plus précisément, ce ne sont pas seulement, comme le clament les “eyberfans”, es limites et limitations de espace qui y sont abo- lies, mais aussi la limite et les limitations des com- portements sociaux et sociétaux. Un tel éclairage nous découvre le sens et la richesse des contraintes spatiale, sous-bassement, aujourdhui plus que jamais indispensable, des contrainte insttutionnelles sur lesquelles se fondent les sociétéshurmaines. 5 Frc Raber “Leppand bazt de a tide Le Fao IvU996 6 parted Ancies es Motes Pty 1684p. 7 cmphia Londes, 1665, Pfc ‘Teste moins connu du public fangs. Jen itera quelques lignes “La premite chose & faite ‘en cegui concern les sens est de compenser Tears ini avec des instruments et pour ans dice par Vadiion Porganesatficiels eux naturel. Bede méme aque les uneres ont considerablemen proms note vision, de méme i ‘est pas imposible que es inventions méca- niques venir amélionent 8 a chante cae Pat Laas dh Ci, Calin le Sei 1980 9 Les devs foes sont enranées WC Mitel op. it p10 ep 10 10 wart words New Yok, Harper Collins, Bas Books, 155, 101 PATRRVOINE EF TERRTORE

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