pocuments
eee
pocument n°23
Théologie et science
‘Conférence donnée au collége philosophique, Paris, mars 1947
Fonds Koyré, Centre Alexandre-Koyré, EHESS
Le probleme théologic ct ss ience, probléme des rapports dela Science et
dela théologic, est un probleme trés grave, et sous des formes et des for-
mulations différentes, il a préoccupé la pensée européenne depuis de trés
longs siécles. C’est aussi un probléme que l’on peut nommer existentiel,
et cest pour cela probablement que mon ami Jean Wahl m'a demandé
de vous en parler ici. Mais ce n’est pas un probléme trés actuel, |
Si vous jetez un coup d’eeil sur les revues philosophiques er théolo-
giques de ces derniéres années, vous ne le trouverez pas traité, du moins
vous ne le trouverez que trés rarement. Et quant au probléme des rap-
ports entre la science et la religion, qui est une autre forme de ce méme
probléme, ou de la science et de la foi, vous ne le verrez traité — et assez
mal d’ailleurs — que par des évéques anglicans.
La théologie et la science semblent faire assez bon ménage ces der-
niers temps, ou du moins elles ne se querellent plus, elles vivent, peut-on
dire, en paix. Nous sommes loin de ces époques héroiques ott la théo-
logie régentait l'astronomie, la physique ou la biologie, ott les théologiens
condamnaient un systéme d’astronomie tel que celui de Copernic, ou
un systéme de physique tel celui de Descartes, ou un systéme de biologie
tel que celui de Darwin. Jamais un théologien n/a pris ombrage de la
théorie de la relativité, ou déterminé sa position par rapport 3 la physique
quantique.
Usemble donc que la théologie et la science aient bien délimité leurs
sphéres d’influence, et on peut dire qu’elles vivent maintenant sous un
régime de non-intervention mutuelle. Il semble que le monde moderne
ait réussi a réaliser ce que le Moyen Age avait tellement reproché aux
averroistes, c'est-4-dire de vivre sous un régime de double vérite.
Comment cette situation s‘est-elle réalisée? Il serait intéressant de
Vétudier, mais cela nous ménerait trop loin. Je crois, pour ma part, que
Nous devons cette situation, invraisemblable, au fait de la disparition de
eet intermédiaire entre la science et la théologie qui était constitue jadis
Par la métaphysique, ce qu’on appelait théologie naturelle ou théologie
Philosophique.Depuis que cere /metaphyrica] qui tit en ménne temps ne i.
logia) a dispacu, la théologie et la science ‘ cr ven Sans intermédiaire,
face a face, et cela pourrait évidemment donner un conflit, En fait, cela
nesi ee et la science ne se rencontrent f
réciproquement, et ignorer en méme temps le probléme de leurs rapporis,
Or, l'ignorance d'un probléme n'est pas la méme chose que sa solution,
Bien au contraire: rien n’est plus dangereux que Vignorance d'un pro-
bléme, si ce n’est l'ignorance d'une solution, Cette ignorance contribue
ala confusion et facilite l’éclosion des systémes de pensée batards, tels
que toutes sortes de philosophies religicuses.
Ce que je voudrais faire aujourd’ hui ici, c'est simplement rappeler
quelques positions déja acquises; quelques solutions déja données au
probléme.
Que la théologie et la science n’aient rien 4 déméler entre elles, cela
pourrait se soutenir, car si dans leurs méthodes de travail, la théologie
et la science ont beaucoup en commun (la théologie est une science
déductive et revendique pour elle-méme le titre de science exacte), elles
sont séparées par leurs buts et leurs domaines d’applicarion.
La théologie sioccupe des choses qui touchent 4 notre salut et,
comme Ia dit le cardinal [Baronius] ', le but de la théologie et de l’Ecri-
ture Sainte est de nous expliquer comment on va au Ciel. Ce n'est pas
la sans doute l’objet des sciences. On pourrait ajouter que la plupart des
questions traitées par les théologiens, ou par la théologie, sont du point
de vue de la science rigoureusement indéterminées, parce que les solu-
tons auxquelles aboutit la théologie sont du point de vue de la science
rigoureusement indéterminées, et non seulement du point de vue de la
Science, rigoureusement inaccessibles et inconstatables.
; Si nous prenons des exemples dans l’histoire des discussions théo-
pees des discussions qui ont fait couler beaucoup d’encre et ont
satrap ah a sion discute le sort des enfants
trouver des solutions ils 4 lenfer ouau ciel?), on peur évidemment
» et méme des solutions correctes de ce probléme,
set semblent signorer
ier
; ee een du cardinal Baronius citée par Galilée dans sa Let 4
tase! 615): «Lintention de 'Esprit saint est de nous
tine de Lorraine et usm dorits cop Bas comment va le ciel » (Galilée, Lettre 4 Chrit-
M. Spranzi, Pati ; “perniciens, trad. francaise et éd. par Ph. Hamouet
Patis, Le Livre de poche, 2004, p. 158 sq.) (NdE}.puais on ne peut pas les vérifier. De méme pour le probleme de la prigre
our les morts, discuté entre catholiques et protestants: on peut trouver
des solutions, et méme des solutions jusces; il est impossible de vérifier
ces solutions. I] en est de meme encore pour tout ce qui touche aux
sacrements; méme pour un fait aussi fondamental que le Sacrement de
Ja Messe, il est impossible de constater le fait de la transsubstantiation,
Ainsi, si l'on divisait le domaine du savoir en science de ce qui est
observable, vérifiable et constatable, et science du non-observable, non
yérifiable et non constatable, on aurait une division rigoureuse, et de
toute évidence, les théories ou les solutions formulées pour l'une ou
pour Vautre de ces régions ne pourraient se rencontrer et ne pour-
raient se contredire. On aurait la un état de neutralité mutuelle. Ce
serait peut-étre un état idéal, & condition que la théologie acceprat cette
séparation radicale, et c’est quelque chose qu'elle n'a jamais accepté et
que, semble-t-il, elle ne peut pas accepter. Lautre condition serait que
la science acceptat, en tant que telle, la possibilité d’une telle science du
non-vérifiable et du non-constatable, ce que de son point de vue elle ne
peut pas faire.
Tout cela est trés bien, mais nous ne savons pas encore au fond
ce quest la théologie. Nous pourrions, pour simplifier, nous adresser &
un théologien moderne; ce ne serait peurétre pas suffisant, mais cest
toujours intéressant et nous apprendrions que la théologie est la science
d'un livre, du Livre des Livres, de la Bible. Elle l’est de droit, car elle
trouve dans ce livre la révélation de Dieu. Et a la question: que fait le
théologien? nous trouverions une réponse correspondante: le théologien,
Ala différence capitale des autres savants, ne porte pas son regard sur les
choses, sur les réalités perceptibles de l’expérience, sensible ou spirituelle,
mais sur des mots, des phrases, des écrits. La théologie serait ainsi la
science de la Scriptura sacra et de la [parole].
Mais il vaut peut-érre la peine de jeter un coup d’eeil sur I’histoire. Je
ne peux pas faire ici histoire de la théologie, ni méme I’histoire du terme
etdela notion de théologie. Cela aussi serait beaucoup trop long. Mais
un regard historique nous servira tout de méme pour rendre compte de
Seu Sagit. Le terme thé
‘ologie et le verbe grec correspondant veulent
ietmon de Dieu, [...] la parole sur Dieu et parler de Dieu, et comme
Sappliquent aux gens qui parlent de Dieu ou des dieux. Dans
> Brecque, ce'sont surtout les postes ct les mythologues qui sont
s. Plus tard encore, les théologiens sont des gens qui
Tacontent les mythes sur les diewx, les mythologues,
a tDans un sens analogue, dérivé, Philon appelle Moise théologien, et
Philon lui-méme se considére comme théologien, puisqu il parle de Dieu
en interprétant ce qu’en dit Moise C'est donc! interpréte de la parole des
mythes, ou de la parole d'un récit, qui est appelé théologien. De méme,
dans le méme sens, les phi psophes stoiciens qui interprétent les mythes,
leur donnent une signification philosophique, naturelle, sont appelés
théologiens. Et dans ce sens, saint Augustin, par exemple, nous parle de
la théologie poétique, de la théologie mythique des mythologues, et de
la théologie naturelle, de la théologie physique des stoiciens.
A caré de cela, il y a une autre traduction du terme (theologia]:
théologie, c'est encore la doctrine de Dieu, le sermo de Deo, mais dans un
autre sens, dans le sens strictement philosophique, dans le sens métaphy-
sique, de philosophie premiere. Il y a chez Aristote, dans Métaphysique
VI, 1 et XI, 7, des textes qui identifient la philosophie premiére avec
la théologie et qui divisent les sciences en physique, mathématique et
théologie. Ces passages ont été contestés sans doute, mais ceci n'a aucune
espéce d’importance qu’ils soient d’Aristote ou non, puisque toujours
on les a crus d’Aristote et puisque ces passages, authentiques ou non,
ont déterminé une tradition, surtout néoplatonicienne, qui aboutit 4
Pidentification complete de la philosophic premiére avec la théologie, ou
l'emploi du terme « théologie » pour désigner la philosophie premiere et
la métaphysique. Aussi, comme vous le savez, Proclus appelle son traité
de métaphysique Eléments de théologie, et 4 partir de la, vous trouvez
chez le Pseudo-Denis des formules comme « théologie métaphysique»,
«théologie affirmative», « théologie négative».
Nous trouvons cet emploi du terme aussi chez saint Augustin, bien
que tarement; mais il connait la théologie des philosophes, c’est-a-dire
la théologie des néoplatoniciens. Saint Augustin connait aussi un autre
sens du terme « théologie», bien qu’il ne l’emploie que trés rarement, qui
est celui de «théologie chrétienne». Habituellement, dans ces cas-la il
parle de la Sagesse chrétienne ou de la doctrine chrétienne, mais quel-
quefois, notamment dans le De civitate Dei, il nous donne une défini-
tion de la théologie qui a eu la plus grande influence par la suite. Il dit
notamment que la théologie est la science des choses qui sont nécessaires
pour le salut.
Voila donc les sens principaux de ce terme, Si étre théologien, cest
Parler de Dieu, pour parler de Dieu, la-vérité, il faut connattre Dieu.
Jeprends ition départ de saint Augustin, je ne veux pas remonter plus
haut vers ce qu'on a appelé la théologie de la philosophic grecque, tiyers|’évolution de la chéologie byzantine. Pour poabhet ys:
jl faut connaitre Dieu et pour connaitre Dieu, il cn ae la vériné,
nlavons que deux moyens. Ou bien on peut le con “ditee CAL que nous
de le connaitre les philosophes, par voie dialectique, rable eee
déduisant, en remontant du monde & Dieu, en déduisant les pees
divines en partant du monde. Ou bien — c'est beaucoup itlsiecet nen
savoir de Dieu ce qu’il nous dit lui-méme de lui-méme. onPen
Nous avons donc deux moyens, deux sources de la connaissance de
Dieu: la théologie philosophique et la révélation, qui est & la base de la
théologie véritable selon saint Augustin. I] est trés caractéristique que,
par exemple, lorsqu il rencontre le probleme de l’incroyant, de I’ insipiens,
qui ne croit pas en Dieu et qui dit en son ceeur qu'il n'y a pas Dieu, saint
Augustin ne lui présente pas les preuves de l'existence de Dieu telles
quelles sont élaborées par les philosophes, telles qu'il les emploiera lui
méme dans plusieurs de ses traités, mais qu'il commence la démonstra-
tion par la démonstration de la vérité de Vaurorité des Ecritures Saintes.
Saint Augustin aurait pu invoquer simplement lévidence naturelle de
existence de Dieu, qu'il invoque d’ailleurs lui-méme, quand il lui fait
dire, en citant le psaume, que le ciel et la terre sont Voeuvre de Dieu,
que tout le monde croit en l’existence de Dieu, etc. Mais ce n'est pas de
ce Dieu-la que doute I’ insipiens et ce n'est pas de ce Dieu-la que saint
Augustin entend [parler]. C’est un Dieu person nel, un Dieu avec lequel
on peut avoir des rapports personnels, et il est clair que d'un tel Diew
on ne peut savoir que ce qu’il nous dit de lui, de lui-méme. Je pense que
Cest parfaitement juste.
Du point de vue de la philosophie la plus stricte, un étre spirituel
he peut pas étre connu s'il ne se révéle pas lui-méme et nous ne pouvons
pas savoir de lui quelque chose qu’il ne voudrait pas nous révéler ou
nous montrer. Méme pour un étre tel que l’homme, nous ne pouvons
le connattre s'il ne nous dit pas ce qu’il est et ce qu'il pense. Toute-
fois, Phomme est affublé d’un corps, et nous pouvons par l’expression,
Par action, savoir beaucoup de choses qu'il ne voudrait pas que nous
sachions. IL n’en est pas ainsi pour un étre purement spirituel tel que
Dieu. Si nous voulons en savoir quelque chose, il faut qu’il se révéle &
Rous. Ainsi la connaissance de Dieu a nécessairement deux sources: cette
issanc philosophique qui ne nous donne pas'un Dieu personnel,
i; autrement dir l’intelligence, la raison et la foi.de Dieu étant contenue dans un écrit, dans un livre, les Ecritures Saintes,
et qui contiennent tout ce que l'on peut savoir de Dieu, il faut Préalable-
ment A toute autre chose nous démontrer que ces Ecritures contiennent
véritablement cette révélation. Pour saint Augustin lui-méme, la vérité de
la religion chrétienne a été éprouvée par l'expérience personnelle, mais en
face de quelqu’un d’autre, il ne peut pas évoquer cette expérience Person-
nelle qui lui a donné, a lui, le contentement de l’’ame, l’expérience d’avoir
trouvé Dieu. II faut, pour quelqu'un d/autre, qu'il démontre la crédibiliré
de |’Ecriture. C’est pour cela que dans loeuvre de saint Augustin nous
avons toujours la concordance et le balancement de ces deux formules:
il faut comprendre pour croire, et il faut croire pour comprendre.
Il faut comprendre pour croire et il faut croire pour comprendre, Il
faut croire pour comprendre, Cest-d-dire quil faut croire que I’Ecriture
contient la vérité pour, en comprenant I’Ecriture, arriver la vision de
Dieu. II faut comprendre les raisons pour lesquelles nous admettons que
cette Ecriture est véritablement vraic. Car saint Augustin nous dit que
personne ne croirait quelque chose qu'il n’estime pas devoir étre cru, et il
faut tout d’abord donc résoudre la question: 4 quoi croire? Pratiquement,
pour saint Augustin, la question a été: 4 qui croire? A l'enseignement de
PEglise ou A celui des manichéens?
Pratiquement, pour lui, la vérité de l'enseignement catholique était
donnée dans une grande mesure par sa concordance avec la vérité phi-
losophique: le monothéisme chrétien concordait avec le monothéisme
philosophique et c'est la conviction philosophique qui l’avait amené &
accepter la religion catholique en face du manichéisme. Mais, encore
une fois, pour les autres il faut des preuves. En soi, dit saint Augustin,
il n'y a rien d’extraordinaire 4 croire 4 des choses que nous ne pouvons
pas vérifier. Ainsi nous croyons tous a des événements du passé sur la
foi des témoins. Nous croyons & nos parents, au fait que nous sommes
les enfants de tels ou tels parents, fait que nous ne pouvons en aucune
manieére vérifier; nous le croyons sur l’afirmation de gens dignes de
confiance. C’est ainsi que nous croyons que la ville d’Alexandrie, od
je ne suis jamais allé, existe; d’autres nous le racontent. Il y a donc
des certitudes qui ne sont pas des certitudes intellectuelles et que nous
acceptons par la foi, par la confiance en ce que disent les gens en qui
nous avons confiance.
Il y a d'autres choses encore que nous croyons d’abord et que nous
comprenons ensuite, par exemple, les mathématiques, En géométrie,
nous croyons d’abord ce que nous dit le maitre, et puis nous arrivons a
eal
aecomprend re les démonstrations,
comprendrons COMMENE Se Fait le passa c Nea
Crest de la mice manic¢re que 4 Croy
erédibilicé de I'E 3
crédibilité des témoins qu'il dit qu'il ne
Evangiles, s‘ils n’étaient pas confirmés pa
quia deja quelques siécles dexistence & i e
confirmé et attesté dans sa véritg Par un té AUtOTIte que 9
Saint Augustin nous explique qu’ét
des martyrs de l’Eglise, i] nya
pas 4 ce témoignage. De plus, et méme orn
confirmé par une série de miracles. C Moignage est
derniére analyse, nous confirment I’a
des témoins, c'est-a-dire l’Eglise,
VEcriture. Et ce sont post factum
concordance des prophéties qui
Aingi nor
Sroirait pas S Montrer |g
Tautorité d,
les miracles racontés dans
nous démontrent sa vérité,
de la connaissance divine, cest la révélation de Dieu cont
Ecritures, lesquelles Ecricures sont attestées
lEglise confirmé par des miracles,
Ainsi, la base
enue dans les
vraies par le rémoignage de
La encore je crois que saint Augustin a parfaitement raison, II nya
que des miracles qui peuvent attester et confirmer des miracles. Aucune
raison naturelle ne peut nous obliger ou méme nous amener a croire 4
un miracle,
Ceci étant donné, la théologie consistera avant tout dans Vexégése
des Ecritures et dans Vinterprétation intelligente, intellectuelle, ration-
nelle des données de la foi, en tant que données révélées.
Jusqu’A maintenant, jusqu’ici, nous étions au stade: «Je comprends
toutes les raisons de croire, d’avoir confiance, et cest pour cela que je
‘tois.» Maintenant, la situation change: «Je crois la vérité des Ecritures
etdela foi, et cest cette foi-la que je soumets non pas une critique ee
Une analyse, mais que je tends a expliciter, a comprendre par ma raison.
nous sommes au stade «credo ut». : tn
Crest la foi qui elle-méme cherche l’intelligence et woes a
fant donné que nous avons 4 comprendre Oe ne arrivons &
nées auxquelles nous appliquons notre tS Ge d'une part
a.uptendre cette vérité, Destiquerenty sae on Jatonicienne et la
tir 4 une concordance entre la philosophic —s et le Dieu dela
i: la tentative d’identifier le dieu des néoplaton
“igion chrétienne fait {tout) l'effore de saint
Augustin. D’autre partvous trouvez des analogies, des foOyens de nnaen des choses telles
; ion, la Trinité qu'on ne trouve pas dans la doctrine thég.
quel Incarnation, in, et que vous voyez fondés sur un optimis
logique de saint Augustin, et qu ee ~ Ptimisme
Z . és grand. Saint Augustin pense que le dieu des philo-
inmeaphyique: rs B i est le méme, et que c'est le méme Dj i
sophes et le Dieu de la foi eat le me. nes e ae Hew qui
a créé le monde et qui sest cevélé dans ia oe facon, il
ne peut y avoir de contradiction entre les deux _ eee le
mode d’explication par l’action créatrice et le mode d’exp! ication par la
révélation, D’autre part, ce méme optimisme méraphysique ou épisté-
mologique améne saint Augustin 4 croire que le monde érant bon dans
la mesure ait il est, et "homme étant bon dans la mesure oit il est, i] est
inconcevable que l’intelligence humaine soit incapable de saisir quelque
chose de cette essence de I’Etre divin et de retrouver dans la créature un
reflet et surtout dans [I’intelligence] elle-méme, un vestige, un reflet du
créateur. ’homme étant capable de saisir la vérité, doit par une espéce
d’ascension métaphysique ou mystique arriver A une certaine intellec-
tion, a une certaine intuition de la réalité des choses mémes dont nous
parle la foi.
Et cest pour cela que la vraie sapientia, la sagesse chrétienne, coin-
cide avec la vraie philosophie. Dans cette tentative théologique de l’in-
telligence de la foi, nous avons affaire 4 quelque chose que l’on pourrait
appeler gnose chrétienne: un effort de pensée s'appuyant sur la foi [pour]
pénétrer, saisir des réalités métaphysiques et transmétaphysiques.
Si nous sautons quelques siécles, nous retrouvons en plein Moyen Age
la méme ou & peu prés la méme doctrine, la méme conception de la gnose
chrétienne chez saint Anselme. Je remarque que saint Anselme n’a jamais
parlé de gnose, ni saint Augustin bien entendu non plus; il n’a méme
pas parlé de théologie: clest moi qui emploie ces termes qui ne sont pas
les leurs, Mais il agit de la méme conception, d’une connaissance de la
réalité révélée par la foi fondée sur cette révélation méme,
La parole bien connue de saint Anselme /« Fides quaerens iniel-
lectum »]: Cest la foi qui cherche Vintelligence de soi-méme, qui cherche
se comprendre et qui, dans cette recherche, cherche & se transcender, 'in-
telligence humaine étant Pour saint Anselme quelque chose qui se place
entre la foi pure, la foi acceptation de la vérité révélée purement et simple-
nent etlavision (idluminatio), qui sera la récompense des saints au paradis,
la vision directe, Vintellection se place un. peu au milieu, c'est la méme
: ae mais beaucoup plus forme et ordonnée que chez saint Augustin.
Secomprend. D’abord saint Augustin a écrit un erés grand nombrede livres» sine ee wena écrit que trés Peu et il.
Ensuite, de Pun 4 lautre la situation nest pas la ea S SONt tras Condensés
Dune part, nous avons saint Augustin carey i
conversion et qui avait devant lui le Probléme du ch a hui.
jester dans la philosophie et dans le manichéisme? Fe, :
les manichéens et les chrétiens, et qui choisir? a au
peaucoup sur les raisons du choix, sur les Pier: ne Augustin insiste
part, pour saint Anselme ce probléme ne se Pose pas, ee xe Dautre
quil rencontre ou que peut-étre il ne rencontre pas, Viiph lui, | insipiens,
Dieu n'existe pas, est véritablement un insipiens, aqui weer qui dit que
démontrer qu il a tort. Alors le point de départ de la ones ant on peut
cest la foi, la foi révélée, la révélation, mais ce Nee pas ee
Sainte comme la parole de Dieu, c'est déja l'ensemble de Ie foi ‘athe.
lique créée comme telle, Cest le systéme dogmatique de lEglise, Ce que
Eglise catholique croit dans son coeur et professe par la bouche, cest
cela qui est le point de départ, et ce que s’efforce de faire saint Anselme
cest de pénétrer cette foi par l’intelligence.
Comprendre ce que l’on croit. Comprendre ce que l'on croit veut
dire démontrer la nécessité du dogme établi: la nécessité, par exemple,
de I'Incarnation, non pas la nécessité pour Dieu, mais érant donné le
fait de la création et du péché de l’homme, au point de vue de l'homme,
pour un but donné, pour le salut. Saint Anselme nous explique que
Incarnation était le seul moyen possible pour aboutir & Veffet voulu,
nous démontrant la concordance ou la possibilité de certains autres faits
attestés par la foi et la révélation. Par exemple, au sujet de la Révolte de
Lucifer, il nous est expliqué longuement comment il a pu se faire x
lediable qui était un personnage spirituel a pu se détourner de Die. ;
nous est aussi montré dans un autre traité comment la Grice, sar a
dune nécessité absolue pour le salut, peut se concilier avec le libre arbitre,
etaussi avec la prescience de Dieu, avec la peice
La prétention d’Anselme est donc de Ser ;siquement le fait
connait, tenter en quelque sorte de Laem mn i ie au-dela d'elle-
attesté par la foi, pousser la connaissance métapny'
. méme, [<--->
méme, au-dela de ce qu'elle peut atteindre par oe de puissance, de
Et cest justement la foi qui Jui donne ce su
er et réaliser
force nécessaire pour pénétrer plus avant pour développ
Sette intuition de la divinité. nce que dans un livre ¢
Ms $, i ya ‘
Prinsiste sur ce dernier point F nd théologien suisse,
quable paru avant la guerre, UT gia
meme vécy |g
‘aucil choisir de
il choisir entre
fois quien le
res remat-
Karl Barth,a essay¢ de nous démontrer que pour saint Anselme il ne S'agissait
nullement de cette transcendance mystique ou métaphysique, mais
uniquement de la comprehension du texte, de la révélation en tant que
telle, et que le fameux argument ontologique de saint Anselme, qui part
d'une définirion de Dieu inventée par saint Anselme, doit étre interprété
comme une intellection du nom de Dieu révélé par Dieu: [Yaveh], cette
définition étant la révélation.
Le travail intellectuel consiste pour Anselme dans lexplication du
contenu intellectuel de la définition elle-méme. Barth aime visiblement
beaucoup saint Anselme — et on ne peut pas ne pas l’aimer - et il you.
drait, je crois, le convertir a sa propre thése de la connaissance teligieuse
fondée uniquement et entiérement sur la révélation. Je crois que pour
saint Anselme, méme plus que pour saint Augustin, il s‘agit non pas de la
compréhension intellectuelle du contenu de la formule de la foi, mais des
réalités transcendantes fondées sur le méme optimisme méraphysique et
épistémologique: le méme Dieu qui crée l'homme crée aussi le monde et
se révéle dans l’Ecriture. La vérité ne contredit pas la vérité de l’autorité
et l'autorité de la vérité. Et une fois qu’on I’a bien saisie et que la foi s'est
attachée A cette réalité, on peut en exergant son intelligence arriver 4
voir ce que les philosophes ne peuvent pas voir. C’est donc encore une
gnose chrétienne.
Nous avons donc cette premiére phase de la théologie: une espéce de
synthése trés harmonieuse entre une certaine philosophie et une concep-
tion de la révélation, synthése conditionnée préalablement par l’absence
totale de [pessimisme] dans le monde augustinien et dans le monde
anselmien, synthése trés belle et trés instable et qui ne tiendra pas bien
longtemps.
La prochaine fois, nous verrons la dissolution de cette synthese,
sous l’influence de la découverte et de la redécouverte au xm siécle de
lascience aristotélicienne, et la constitution de cette conception unitaire,
beaucoup moins optimiste, beaucoup plus idéaliste, des rapports de la
science et de la théologie, de la raison naturelle et de la Révélation.
{IF partie, le 10 mars 1947]
Dans ma ptemitre conférence je vous ai présenté I’histoire, trés bréve, de
lanotion et du mot de théologie. Je vous rappelle que le mot de théologi¢
signifiait sermo de Deo, et le sermo, ce qu’on dit de Dieu; cest soit le phi-
_losophe:métaphysicien qui parle de Dieu, soit le théologien proprement
Parle: rts la révélation divine,evous ai présenté aussi la formation de cette conception du rapport
dela structure de cette science divine, que j'ai appelée d'un mot —que
résentancs de cette tradition nemployaient certes pas — la gnose
iprécienines aver Tes deve [Fides quaerens intellectum.... Intellectus
fi ivap | ie nue oeleet humain ou Pintelligence humaine
jootene Pat a foi tait bien capable de se transcender elle-méme et
digrriver 4 Lintelligence des choses de la foi.
Tout se passe pour les tenants de cette tradition comme si, incapable
dedécouvrir pat elle-méme les réalités divines, notre intelligence, une
fois quelle sait, par révélarion ou par la foi, quelle connait les choses,
devenait capable de les démontrer, de les comprendre. Je vous ai dit aussi,
er je le répete, que cette attitude ou cette conception est fondée sur un
optimisme métaphysique et épistémologique dont les éléments compo-
sants sont les faits de la création du monde par un Dieu bon, qui donc
a fait la créature bonne, et en particulier a créé un homme capable de
yérité, avec une intelligence capable de saisir la vérité; qu'il l’a créé au sur-
plus a son image et ressemblance, d’ott il résulte qu’en lui, beaucoup plus
encore que dans le monde, "homme peut saisir la place et la consistance
del’étre divin, Conception qui s’appuie sur une notion caractéristique de
laconnaissance elle-méme, la connaissance étant une espéce d’illumina-
tion divine, la lumiére illuminante, lumiére divine qui justement confére
al’homme cette faculté de saisir, de comprendre la vérité.
Ainsi, comme vous le voyez, dans cette conception, la connaissance
naturelle et la connaissance surnaturelle passent l'une dans l'autre en
quelque sorte sans solution de continuité. Je ne veux pas dire quil ny
ait pas de différence, mais on passe assez facilement de l'une & Vautre,
puisque toute connaissance, méme la plus naturelle, étant donne quelle
est illumination, est déja un tout petit peu révélarion. Et toute révélation
est par [a méme accessible, tant soit peu, 4 la connaissance.
Ceci explique la concordance facile de la théologie révélée, clest-A-dire
des vérités de la foi, et de la théologie des philosophes, des vérités retrou-
vées ou trouvées par |’intelligence humaine elle-méme. Ceci explique la
facilité relative de la coincidence du Dieu de la religion et du Dieu des
P hilosophes. C'est le méme Dieu dans le monde et qui nous parle dans
le Livre Saint. C’est le méme Dieu qui, selon saint Augustin, nous parle
APintérieur de nous-méme, qui rapproche Phomme de [son créateur].
Dans viens de le dire; la connaissance naturelle
ssent facilement l'une dans Vales trouver au Moyen Age, chez Abélard, 4 qui nous devons lusage cou.
rane du mot théologie, C'est lui qui Pintroduit dans la circulation. Oy
chez un autre représentant de cette méme attitude, chez Roger Bacon, lls
au fond cela revient au méme. Pour Abé.
lard, la raison humaine est déja tellement illuminée, tellement capable
de ses s métaphysiques et trans nétaphysiques, ql
va de soi en quelque sorte que les philosophes anciens aient trouvé tant
de belles choses sur la diviniré, sur Dieu, et qu’ils aient dailleurs vécu
des vies tellement exemplaires, puisqu’ils ont regu de Dieu cette espéce
illumination, révelation naturelle si l'on peut dire. Ex alors le Passage
se fair eres fi
Quant a Roger Bacon, si vous voulez, c'est l'inverse, Pour lui, toute
connaissance, méme des choses les plus simples, méme la connais-
sance mathématique, est déja révélation. Dans tout savoir et tout acte
par lequel l'intelligence humaine se saisit de la vérité, il ya la présence
divine, et il y a révélation. Ec c'est de cette révélation que proviennent
les connaissances des philosophes. Lune passe dans l'autre. On pourrait
trouver d'autres noms encore dans cette tradition.
Mais vous avez aussi les adversaires. Et les adversaires se placent a
deux points de vue différents, On peut les classer en conservateurs et,
disons, novateurs. Tous cependant s'accordent sur ce que ce mélange de
philosophie et de foi, ce passage facile de l'une a l’autre, l'attitude selon
laquelle il semble qu'on puisse tout comprendre et tout démontrer, sont
intenables et insoutenables. Pour les conservateurs, on dirait quilya
top d’intelligence, l’intelligence se fait trop importante dans I’affaire.
Pour les novateurs, au contraire, on dirait qu'il y en a trop peu et surtout
que la qualité de cette intelligence est mauvaise,
Les conservateurs disent: la chose principale dans la théologie, c'est
VEctiture Sainte, le sermo; et la théologie doit étre avant tout exégese
&t reproduction de ce que Dieu dit de lui-méme. Quant a apporter des
Preuves et des démonstrations, c'est 1a quelque chose que le théologien ne
doit pas faire. Ine doit Pas enserrer par IA méme le Dieu de la révélation
dans un réseau de nécessités, de preuves nécessaires.
On aboutit ainsi, selon les publicistes, & une évacuation de la foi, ot
'a foi n'auraic plus de mérite, ott ce ne serait plus un mérite de croire, En
i quel métite y aurait-il 4 croire si la raison humaine pouyait donner
— Contraignantes?
tt violemment
sont, en un sens, Opposes, mais
des profonden
ilement.
Des gens comme Pier Damiani ou saintTrop peu de philosophie, et pas bonne, disent ly
sont CeUXs furcout jan XIF et au xm sitele, qui autres. Les autres
la évolucion ariscocélicienne, par la révo
ienne, qui ont accepré l idéal aristotél
cher Aristotes et ailleurs aussi, ce que cel:
reret prouver.
Alors, tcop peu de philosophie, disent-ils,
lité: philosophie surtout néoplatonicienne,
confusion So la i: nike Pas tout a fait tort— entre persuasion et Preuve,
non-distinction, ¢ e pl us, entre ce qui est nature et ce qui est surnature,
ce qui est accessible 4 la raison humaine en tant que telle, et ce gui rf
dépasse. En un sens, sans doute ils ont raison. Il est trés difficile de ou
exactement, quand on est fermement persuadé de quelque chose, si on
est seulement persuadé ou si l'on a vraiment démontré, et surtout, sion.
abeaucoup lu les auteurs classiques (Cicéron), il est trés difficile de savoir
ce qui est preuve et ce qui nest que persuasion et thétorique.
Evidemment, la situation est tout autre pour quelqu’un qui a bien
potassé Aristote, qui a bien potassé les commentaires arabes et quia su
distinguer la preuve, la démonstration, de tout ce qui n'est pas démons-
tration. Alors, au xu siécle, le débat se répéte.
La situation se reproduit 4 nouveau, mais se précise. Vous avez la,
d'un cété, les gens qui protestent contre cet envahissement dela théologie,
dela science sacrée, par les méthodes de démonstration aristotéliciennes,
par les méthodes de la science nouvelle. Vous avez les [augustiniens}.
Pour eux, il y a aussi une limite, mais une limite étroitement tracée. Ils
ne veulent pas de cette introduction de la science, ils ne veulent pas de
transformation de la théologie en une science. La grande question dis-
cutée a |’époque est: la théologie est-elle une science? [], d’autres encore séponcdent: nov 1
théologie n'est pas une science. Elle est quelque chose de — ie
Que la science: elle est sagesse, mais en tout cas, elle aie it j
Yais vous citer quelques textes caractéristiques et révélatcurs,
ame selon l’affection even pous-
: , est proprement ¢t
et de l'amour, est pil logie des
ire quiest la théo
oe de la science atistondl,
€n de science, qui ont appris
4 veut dire vraiment que démon.
et de mauvaise qua-
Pas scientifique dy tout:
[:La théologie ainsi, en cui :
‘antau bien par les principes de la craints
Principalement sagesse. La philosop! ee
Dhilosephes et traite dela cause des causes»
*ance selon la méthode de la philosop?sartis et ratiocinationis), est dite sagesse d'une fagon moins appropriée. Les
autres sciences, qui concernent les causes dérivées et causées, ne doivent
pas étre appelées sagesses, mais sciences.>]*
La théologie n'est pas science, elle est sagesse; elle est au-dessus de tour
art et de route science, et c'est pourquoi elle ne procéde pas par des
raisons humaines, mais des raisons propres et des principes Propres dif.
férant de toures les autres sciences. Des principes qui ont une évidence
spéciale, par la grace de la foi, des principes qui se manifestent a l’'ame, 3
Pame illuminée par la foi. [Is ne sont pas manifestes & une Ame infidéle.
La chéologie donc n’est pas une science; elle a ses méthodes propres, ses
sources de connaissance propres, sa maniére de travailler propre; elle
mest pas science, elle n'est pas argumentative, elle n'est pas structurée de
la méme maniére que les sciences en général. Mais malgré les efforts de
ces grands personnages pour retarder le mouvement, le mouvement se
fait. La distinction entre exégese et théologie se fait.
Roger Bacon, dans un texte curieux et trés amusant, cité récem-
ment par le P. Chenu’, nous raconte comment les choses se passent dans
Fenseignement universitaire, car, aprés tout, c'est dans l’enseignement
universitaire que cela se passe et la théologie est enseignée dans les uni-
versités. Bacon nous dit que cela ne va pas, que les novateurs méprisent
complétement la vraie théologie, la connaissance de la doctrine sacrée,
l'étude des Ecritures Saintes, des Livres Saints. Ils ont substitué & cette
source unique de la révélation quelque chose de trés différent, les Sen-
tences de Pierre Lombard, et c'est cela qu’ils commentent. Et alors le
professeur qui fait de la vraie théologie, selon Bacon, qui commente et
qui explique I’Ecriture Sainte, n’a pour lui que les plus mauvaises heures
de la journée, Vaube, tandis que celui qui fait de la théologie nouvelle,
« Theologia igitur, quae perficit animam secundum affectionem, movendo ad
bonum per principia timoris et amoris, proprie et principaliter est sapientia. Prima
Philosophia, quae est theologia philosophorum, quae est de causa causarum, sed
ut perficiens cognitionem secundum viam artis et ratiocinationis, minus proprie
dicitur sapientia. Ceterae vero scientiae, quae sunt de causis consequentibus et cau-
satis, non debent dici sapientiae sed ut scientiac. Unde secundum hoc dicendum
quod doctrina theologiae est sapientia ut sapientia; philosophia vero prima, quae est
cognitio primarum causarum, quae sunt bonitas, sapientia et potentia, est sapientia,
sed ut scientia; ceterae vero scientiae, quae considerant passiones de subiecto per suas
Be Se eae scentae » (Alexandre de Halés, Summa theol. introd. ih
=p: 1. cité par Matie-Dominique Chenu, La shéologie comme science au xa" sil,
‘Patis, Vein, 1927; ici 3° éd. 1957, p. 94) (Naf).
M=D. Chenu, 09. cit, p27 5g: [NdE],a commente les mia a la meilleure heure de la journée, et cest
» i est le maitre de la situation universitaire,
1) était, de roure evidence, impossible d’arréter le mouvement aris-
xii Mais quelquefois ila fallu s'adapter au langage, au mode de
prévalent du jour et, finalement, tout le monde parle aristotélicien,
yelquefois — res souvent d'ailleurs — nous voyons un contenu augus-
ginien OU anselmien piers dans un langage ct sous des formes aristo-
téliciens. Crest assez intéressant.
‘Ainsi, prenons Guillaume d’Auxerre. I] est obligé de reconnaitre que
ia théologie est une science. Il n'y a rien & faire: en son temps déja les
chaires sont divisées, et vous savez que la division des chaires implique et
fonde la division du savoir. II nous dit done: par conséquent, la théologie
est une science et, donc, comme les autres sciences ont leurs principes
et leurs conclusions, de méme la théologie aussi posséde ses principes,
Seulement, les principes de la théologie, ce sont les articles de foi. Et il
ajoute: si la théologie n’avait pas de principes, elle ne serait pas un art,
ni une science. Déja il a accepté que c'est un art ou une science. Par
consequent, elle a des principes, des articles qui, cependant, ne sont
des principes que pour les fidéles. Vous avez vu que certains ont conclu
que la théologie n’est pas une science. Guillaume d’Auxerre dit que cest
une science, mais que malheureusement les principes ne sont accessibles
quiaux fidéles, et, pour ceux-ci, ces principes sont connus par soi, c'est-
idire, sont évidents. Donc, les articles de foi — c'est textuel — sont des
principes de la foi évidents par eux-mémes. Et ceci, nous explique Guil-
lume d’Auxerre, parce que la foi est une illumination de lesprit ou la
vision de Dieu. Et plus l’ame est illuminée, d’autant plus clairement elle
voit, et non seulement elle voit que les choses sont comme elle croit, mais
elle voit aussi comment cela est et pourquoi cela est tel qu’elle croit, ce
qui est justement intelligence.
Vous voyez que par le détour aristotélicien on en revient la position
ancienne en ajoutant quelque chose de trés grave, & savoir que les articles
de foi sont les principes de la science théologique, mais des principes qui
sont évidents aux fideles. Il est visible que Guillaume d’Auxerte ne sait
Pas tres bien ce que cest que |’évidence et qu’au fond I’évidence est la
Cettitude: Il fait donc exactement ce qu’on faisait avant lui,
la situation ‘change du tout au. tout lorsque laristorélisme est
Maiment tepris, compris et repensé: Je passe donc directement. saint
Thomas. On peut interpréter cette reprise de Varistotélisme de maniéres
Adiverses: on peu ‘aristotélismedifié; il n’est plus seulement symbole er Seals
il est en lui-méme, il est nature et ila une nari
paration entre nature et «surnature», Thoma ‘
en quelque sorte soli
a une réalité propre;
nséquent, la sé racure urna
i ol is général et Dieu, a de ce fait méme acquis une rigueur beay.
ja nature r
Ol grande, Le sens du terme nature s'est précisé, a
met Cest pour
coup plus gra
Ja que le sens du terme «surnaturel», qui commence a étre employé
cnn , et le passage de l'un a Pautre devient
en méme temps, devient précis, et
quelque chose dextrémement dithcile. a :
On pourrait dire aussi que Varis Of ae g a Saas point de vue,
représente un certain pess ame epistemo pelgue: C n peut le Présenter
évidemment autrement. Dans l’atticude aristotélicienne ou thomiste,
c'est homme lui-méme, |’intelligence humaine elle-méme qui Possede
une lumiére propre a l'homme et n’est pas constamment illuminée parla
lumiére divine. C'est par sa lumiére propre que l’homme voit les choses,
Autonomie done de la connaissance, mais appuyée par l’abandon de
cette idée d’illumination naturelle. L’homme marche tout seul. Sans
doute, aussi, n’arriverait-il pas bien loin. Les limites strictement imposées
ala raison naturelle, et donc a la théologie philosophique, Vopposent
d'une maniére beaucoup plus rigide et stricte a la théologie révélée. Ces
deux théologies ne se combinent plus si facilement, ne se confondent plus
comme jadis. Lune peut servir de soubassement 4 la théologie naturelle,
philosophique; l'autre, la théologie surnaturelle, lui est superposée. Mais
elles ne se confondent plus, ne se compénétrent plus. [I y a désormais
deux étages, et l'identification du Dieu des philosophes et du Dieu de
la religion, qui était évidemment facile dans latitude augustinienne,
devient une chose relativement beaucoup plus difficile. II faut un effort
beaucoup plus grand pour les faire coincider,
Que sera, dans cette attitude, la théologie vérirable? Il est assez curieux
de voir dans l'euvre méme de saint Thomas le développement de cette
notion et la transformation d’attitude. Diabord il est clair que [la théologie
veritable] est une science, et saint Thomas, dans son Commentaire des
Sentences, ceuvre de Jeunesse, nous dit & Peu prés la méme chose que ce
he nous venons de voir chez Guillaume d’Auxerre. C'est une science qui
a des principes Propres, les articles de foi, lesquels, par une lumiére infuse,
ont €vidents pour celui quia la foi, de méme que les
de ce qui semble évident par la lumiére
ieee ches ~ fois que homme [posséde] ces principes
Selences, er 4 he a a méme maniére que dans toutes les autres
Partir de ces articles on syllogise. On fait une théologie @a
desarticles de foi qui forment les Principes, une théolopi
mere cela vaut pour ceux qui one la foi, et sili ee deductive
ve fit méme il n'est pas Stonnant qu'ils ne soient pas évidenee dit que
Ar agales qui n'ont pas la lumitre de la foi. Done, Vous voyer, perl
se nota] pour ceux qui ont la lumiéte de la foi,
C’était trop beau, et finalement saint Thomas doit S€ rendre a |’
ei a . évi-
dence: les principes de la foi ne sont aucunement per se nota] nim,
ie
tit
ces Principes
nt
ar ceux qui ont Ia foi.
Ilavait été précédé, dans cette critique de la Position des principe
gidents, par un théologien fort intelligent, Guillaume de Méliton, SF
aobservé, contre Guillaume d’Auxerre, que cest une chose absolument
impossible de prétendre que ces principes soient évidents, que personne
na jamais dit rien de pareil, ec qu’il faut distinguer. Il faut distinguer
dans toute théorie, toute science, trois choses différentes: les dignitates,
qui sont les notions connues, les axiomes qui sont vraiment évidents,
et ily a ensuite les suppositions, c’est-a-dire les hypothéses, que nous
admettons et dont nous tirons, 4 l'aide des deux premiers éléments, des
conclusions.
Méliton a certainement lu les Commentaires de [Pierre Lombard] et
a fait de la géometrie, [il connait] les axiomes, les postulats et les szppo-
sitiones nullement évidentes et puis les conclusions que nous en tirens.
Selon lui, il y a des axiomes comme celui que Dieu est supérieur 4 tout
lereste, mais les articles de foi figurent dans sa conception comme des
{uppositiones. Ce sont des hypothéses que nous admettons, qui nous sont
données par la foi, d’ot: nous tirons des conclusions.
C'est vers une conception trés analogue que va se diriger saint
Thomas. Si yous ouvrez la Somme théologique, il est question, 4 propos
de théologic, de savoir si la doctrine sacrée est une science et pourquoi il
faut, si elle en est une, quelle soit différente de la métaphysique. Si nous
demandons si elle est une science, saint Thomas nous dit: évidemment,
elle est une science, et on pourrait dire justement que c'est une science
comme les autres. On pourrait dire que ce n'est Pas une science, puisque
toute science procéde de principes évidents, mais la doctrine sacrée pro-
kde d'articles de foi qui ne sont pas évidents par eux-mémes, et donc
on pourrait dire qu’elle n’est pas une science. Saint Thomas conclut que,
Malgté cela, elle est une science, puisqu'elle travaille comme les sciences,
Stqu'il faut distinguer entre des sciences de structure un peu différente.
Ilya des sciences comme la géométrie, ou l'arithmétique ou
h logique, ou Ja métaphysique, qui ont leurs principes 4 l’intérieur
:d’elles-mémes, et ce sont des sciences fondamentales. Et ily ena autres,
comme l’optique, la mécanique, qui appliquent les Principes qu’elles
tirent d’autres sciences. L’ évidence est quelque part. Lopticien prend
des théorémes de la géometrie ct les applique, mais il ne sefforce pas de
les démontrer: cest l'affaire de la géométrie. Cest dans la géométrie que
réside l’évidence des propositions géometriques. Il en est de méme pour
la théologie, car les articles de foi sont évidents, sice n'est pas pour nous,
ils le sont pour Dicu, pour les saints au paradis qui, eux, ont la vision
de Dieu et qui par conséquent ont l’évidence, Et de cette évidence par
la révélation procéde la certitude, dérivent des principes pour nous. En
bref, les principes ne sont nullement évidents; ils sont compréhensibles
pour nous, nous pouvons les comprendre, les énoncer, nous pouvens
nous en servir comme d'une base de déduction. Mais nous n’en avons
pas l’évidence, et [leur] évidence nous l'acceptons par la révélation. Mais
la vérité de ces principes est confirmée par les miracles.
Voila donc la situation qui est tout a fait claire. C'est pour cela
qu'au début de ma premiére conférence, j'ai dit que la théologie est une
science déductive, et peut méme prétendre au titre de science exacte.
C’est une science déductive qui part d'un systéme de principes, disons,
un systéme d’axiomes, et qui, A partir de ces axiomes, déduit les cons¢-
quences, Saint Thomas ou les théologiens, suivant peut-étre d'un peu
trop prés la théorie ou la logique aristotélicienne, pensent que la déduc-
tion se fait du vrai au vrai, de la vérité de ces principes admis aux vérités
quils contiennent. Mais il est évident qu’il n'est pas nécessaire, pour
que la déduction se fasse, qu’intervienne dans le processus la vérité des
Principes, dont la déduction est faite. D’ailleurs, les théologiens peuvent
méme critiquer une doctrine adverse: un catholique peut critiquer une
doctrine protestante, etc. Il en résulte qu'il est capable de comprendre
son essence dogmatique, qu'il n'a pas besoin d’illumination spéciale
Pour comprendre, ni d’illumination pour procéder & cette déduction.
; La théologie se présente donc pour nous comme un systéme axioma-
tique et une science déductive portant sur des réalités, maintenant, dans
a... Higoureusement non yérifiable et non perceptible et
we nite est-assurée en quelque sorte du dedans, il est clair que ce
analyse du systéme axiomatique lui-méme que Pon peut
Poser la vérité. On pourrait peut-éere en démontrer le caractére
ire; mais Cest tout; on ne peut pasien démontrer la vérité. Le
nda Potons pur xe assurks dela vs del telNous sommes done a peu
jnalogue acelle ot Se trouvait
miracle. ll faut des miracles por
une dogmatique.
Quant al ‘autre aspect dont je vous ai parlé, qui est la coincide:
de la théologie des philosophes et de la théologie révélée, la coine; nce
de la conception de Dicu, telle qu'elle est formée et suki
métaphysique et la conception de Dieu telle quelle se peso a
la religion, je vous ai dit que identification pour l’aristotélisme se fn
avec beaucoup plus de difficulté. Exon pourrait dire que l'histoire pos-
sérieure de la scolastique consiste justement dans la démenstration du
caractére impossible de cette identification, de Vimpossibilité de les faire
coincider, critique de l’identification et critique des preuves,
Une fois de plus se répéte objection faite par les logiciens et les phi-
losophes du x111° siécle a leurs prédécesseurs augustiniens: vous ne savez
pas ce que veut dire une démonstration tigoureuse, et si vous arrivez a
démontrer, par exemple, l’existence de Dieu, l'immortalité de lame,
la création du monde, ete., c'est parce que vous confondez la persua-
sion avec la démonstration. C'est ainsi que Duns Scot décortique toutes
les preuves données par les philosophes, acceptées ou réinventées par
saint Thomas, et nous explique que les preuves, prises véritablement & la
lettre comme preuves, ne valent pas grand-chose ou du moins ne nous
démontrent pas ce que saint Thomas prétend leur faire démontrer,
Crest que saint Thomas est chrétien et [Averroés] musulman. Aussi
se trompent-ils sur la valeur méme de leurs démonstrations, et comme ils
croient davance a la vérité de la chose 4 démontrer, ils croient démontrer
quelque chose quiils n’ont pas démontré. Il n’y a donc pas de démonstra-
tion véritable ni sur l’ame, ni sur la création du monde, ni sur la divinité
de Dieu, ni sur son infinité. Lopposition entre la théologie de la révéla-
tion qui nous parle du Dieu de la religion, et la théologie métaphysique
qui nous parle d’un Dieu démontré, devient de plus en plus aigué, de
Plus en plus forte. Et on peut dire que le Moyen Age finissant détruit
Complétement cette identification. f
Vue de cette maniére, l’ceuvre de Descartes potlrratg ae
romme une espéce de réaction, comme une tentative d établi ae
nouvelles, sur les ruines de la métaphysique aristotélicienne, une
Nouvelle théologie philosophique. Refaire une théologie qui pourrait
: : d'une elle entreprise parate é
f , hous ne pouvons pas Nous
Pres, apres ce détour,
tout d'abord saint A
uur confirmer et nous
dans une situation
Ugustin: il faut un
assurer de la véritécontenter de dire qu'il faut croire en Dieu parce qu'il écrit ainsi dans les
Saintes Ecritures, et qu'il faut croire aux Saintes Ecritures parce qu’elles
viennent de Dieu. Linfidéle ou I’incroyant pourrait nous dire quil ya
la un cercle vicieux. C'est donc un effort de refaire ce que le Moyen Age,
avec l’aristotélisme, n'a pas réussi a faire.
Vous savez bien que l’entreprise aboutit 4 un échec, échec constaté
par Pascal qui dans le Dieu cartésien reconnait immédiatement le dieu
des philosophes et non le Dieu de la religion. Il est caractéristique que
ce méme Pascal, lorsqu’il entreprend la démonstration de la vérité de la
religion chrétienne, laisse tomber complétement les tentatives de théo-
logie philosophique et avec beaucoup de bon sens et de comprehension
profonde de la situation, des nécessités de la situation, essaie de nous
la démontrer par les prophéties, par l’action de la Providence divine,
par les miracles. Laction de la Providence en étant nécessairement un,
les miracles, [eux, sont] confirmés par un miracle réel, le miracle de la
(Sainte Epine du 8 juin 1656] qui se passe la, en son temps, devant lui et
peut-étre pout lui, et qui confirme ainsi les miracles qui, eux, confirment
la vérité de la foi.
Nous en sommes donc arrivés 4 une conclusion, du moins provi-
soire. La science et la théologie sopposent nécessairement, puisque toute
théologie est fondée sur le miracle, et méme une série de miracles qui
s€ supportent et s¢ souticnnent, miracle de la révélation, confirmé a son
tour par d'autres miracles, lesquels doivent étre confirmés par d'autres
miracles et que, selon les grands théologiens dont nous avons vu la doc-
trine, le miracle est le seul moyen de la confirmation de la foi.
Or il est €vident que la science, en tant que telle, est incapable d’ac-
cepter le miracle et que de ce fait méme nous avons entre science et
théologie une incompatibilité rigoureuse et radicale.
La solution que nous avons évoquée au débur, de distinguer entre
deux mondes: le monde du surnaturel et le monde de nature, les don-
nées de la foi et de la science, et ainsi d’éviter tout apport et toute
fencontre, ne peut malheureusement pas étre maintenue. Car ni d’un
cbt ni de l'autre on ne pourrait admettre une telle séparation radicale.
Lintervention dans la réalité est une chose & laquelle la théologie ne
Peue Pas renoncer, ne serait-ce que parce qu’elle ne peut pas renoncer au
miracle central de la révélation, Et la science ne peut pas admettre une
Intervention pareille du miracle, Alors, V'incompatibilité reste 4 mon
avis tale, Entre la théologie fondée sur la foi confirmée par le miracle
= Selence fondée sur Vobservation, l'évidence et la verification, jl ne
-: ble pas pouvoir y avoir d’accord. Si Lon essayait de rendre
me sem ed plus faible, si l’on essayait de Varténuer, en atténuant le ae
aa f de la révélation, en acténuant le caractére miraculeux de
re m4 tions divines, en présentant des interprétations symboliques ou
aie Livres Saints, je crois qu’on réviterait pas le confit et que
as les interprétations symboliques étant des i
Je plu»
nventions humaines,
placerait dans une situation ott l’on aimerait juger non seulement
on se
j croire, mais aussi de ce qu’il faut bien admettre comme croyable,
: 4 .
Fa mme se placerait de ce fait au-dessus de la révélation elle-méme.
Ce A peu prés tout ce que javais 4 vous dire sur le probléme des
rts des sciences et de la révélation et je vous remercie d’avoir écouté
rape! 4
avec tant de patience.