Michel Foucault, Diss et éerits 1978
zs Sexualité et pouvoir
vce» conftence& univer de oly le 20 ari
1978, pp. 3877
responsables de I'universicé
de tenir avec vous cetce
un séminaite au cours
duquel on puise, les uns et les autres,
essayer dy répondre et plus souvent, d'ailleurs, poser des questions
uy répondre. Je voudrais tout spécialement remercier M. Wa
nabe qui a bien voulu, depuis maintenant tant d'années, rester en
& prendre cette position du maitre, cette
n de distance et m’oblige aussi a vous parler d'une manitte
sera un petit peu continue, méme si jessaie de Ia rendre la
‘moins dogmatique possible. De toute fagon, je ne voudrais
exposer ni une théorie, ni une doctrine, nim
recherche, puisque, M. Watanabe I
serait de ma part indécent et mal élevé de les reprendre et de vous
Jes assener comme un dogme. Je préfére vous expliquer od j'en suis
‘maintenant et quels genres de problémes me préoccupent, et vous
accuellement mon travail. Bien sir, je serais erés content
exposé, qui, jespére, durere environ une demi-heute,
d'heure, nous pouvions discuter, et peureere a ce momenc-la
atmosphere sera-telle ~ comment dite ~ plus décontcactée et il
sera plus facile d’échanger des questions ex des réponses. Il est
entendu, bien sir, que vous pouvez poser les questions en japonais —
ce n'est pas que je les comprendrai, mais on me le traduira; vous
pouvez les poser également en anglais. Je vous répondrai dans un
sabit quelconque et, 1a encore, on s‘arrangera. Je vais essayer ~
32
Michel Foucault, Dits et terits
puisque vous avez la gentillese deere venus pour écouter une confé-
rence en francais -, je vais essayer de parler le plus clairement
je sais qu’avec les professeurs compétents que vous ave
n'ai pas & me faire beaucoup de sous sur votre niveau linguistique,
esse veut tout de meme que jessaie de me faire
entendre, donc, s'il y a quelques problémes ou des difficuleés, si
‘vous ne comprenez pas ou méme, tout simplement, si vous avez une
question qui vous vient & esp
‘posez votre question, nous som:
des contacts, pour discuter et pour essayer de rompre le plus pos-
sible la forme habituelle de la conférence
‘Je voudrais vous exposer aujourd'hui un état, pas méme de mon
‘cavail, mais des hypothéses de mon travail. Je m’occupe actuelle
ment d'une sorte d'histoire de la sexualité, dont j'ai promis avec la
plus grande imprudence qu'elle autait six volume
pas arriver jusqu’au bout, mais je crois rout de
‘me paraftre qu’ autour de ce probléme de l'histoire de la sex
y aun certain nombre de questions
es si on les eraitait de fagon convenable. Je
Jes taiterai de facon convenable, mais peut-
Pourquoi entreprendre une hi
ine chose m’avait frappé, cest que Freud, la
psychanalyse ont prs le point historique de leur départ — leur point
de dépare ~ dans un phénoméne qui, a la fin du xix" siéce, avait
tune erés grande imporrance dans la psychiatrie, et méme d'une
facon générale dans la sociéeé, on peat le dire, dans la culeure occi-
dentale, Ce phénoméne singulier — presque marginal ~ a fascin€ les
s, a fasciné d'une fagon générale, disons, les chercheurs,
<éressaient d'une maniére ou d'une autre aux problemes
‘rts larges de la psychologie, Ce phénoméne, cétait I'hystérie, Lais~
sons si vous voulez de céeé le probléme proprement médical de
Mhystérie; Phystére, essentiellement caractérisée par un phénoméne
doubli, de méconnaissance massive de soi-méme par le sujet qui
ppouvait ignorer par la hausse de son syndrome hystérique tout un
fragment de son passé ou toute une partie de son corps. Cette
méconnaissance du sujet par lui-méme, Freud a montré que cela a
écé a Le poine d'anceage de la psychanalyse, que était, en fait, une
méconnaissance par le sujet, non pas généralement de lui-méme,
mais de son désir, ou de sa sexualité, pour employer un mot qui
n'est peut-écre pas tis bon. Méconnaissance, donc, de son désit paz
le sujet, au début. Voila le poine de dépare de la psychanalyse, et, &
333Michel Foucault, Dits et derits 1978
d'analyse théorique et d'investigation pratique de ces maladies,
Quen estil de la méconnaissance de ses propres désirs? Crest la
question que Freud n'a pas cessé de poser. Or, quelle que soit la
fécondité de ce probléme, et la tichesse des résultats auxquels on
aboutissait, il me semble qu'il y a tout de méme un autre phéno-
méne qui est presque l'inverse de celui-ci, phénoméne qui m’a
frappé, qu'on pourrait appeler ~ alors Ja, je demande aux profes-
seurs de francais de bien vouloir fermer leurs orcilles, car ils me
Danniraient de leur cénace, ils me demanderaient de ne plus jamais,
rementre les pieds ici, je vais employer un mor qui nexiste pas — un
veux dire de savoir en quelque sorce
sorte de développement, d’hyper-dé
sexualité, de la théorie sur Ja sexuali
Peut-étre pourrait-on dire qu'il y avait dans les sociétés occiden-
tales, & la fin du xn¢'siécle, un double phénoméne trés imporeant
ui était, d'une part, un phénoméne général mais repérable seule
ment au niveau des individus, qui était la méconnaissance par le
sujet de son propre désir — et cela se manifestait spécialement dans
hystérie ~ et en méme temps, au contra, un phénoméne
deux phénomenes de méconnaissance de la sexualité par le sujet Iui-
méme et de sur-savoir de la sexualité dans Ia sociéeé, ces deux phé-
omnes ne sont pas contradictoires. Ils coexistent effectivement
dans I'Occident, et I'un des problémes est sans doute de savoir com-
‘ment, dans une sociéré comme la n6tee, il peut se faire qu'il y ait &
{a fois cette production théorique, cette production spéculative, ceree
production analytique sur la sexualité sur le plan culturel général et,
en méme temps, une méconnaissance de sa sexualité par le sujet.
Vous sevez qu’a cette question la psychanalyse n’a pas répondu.
directement. Je ne crois pas qu’on puisse dire légitimement qu'elle
1's pas abordé exactement ce probléme, mais elle ne I'a pas aon
plus tout a fait ignoré et Ia tendance de la psychanalyse serait de
dite, au fond, que cette production, cette surproduction ehéorique,
discursive quant a la sexualité dans les sociéeés occidentales a’
en fait, que le produit, le résultar d’une méconnaissance de la s
354
Michel Foucault, Dits ot éerite
lité qui se produisaic au niveau des individus et dans le sujet lui-
iéme. Mieux, je pense que la psychanalyse dirait: c'est méme pour
que les su
de leur désir qu
nntinuent a ignorer ce qu'il en est de leur sexualieé et
a toute une production sociale de discours sur la
ient aussi des discours etronés, des discours irra-
, les psychanalystes ne l'ont guére abordé que par
deux voies: soit en prenant comme point de dépare, comme
exemple, comme matrice en quelque sorte de savoir sur la sexualité
les fameuses théories que les enfants se font quant a leur naissan
quant au fait qu’ils ont ou non un sexe masculin, quanc a la
ec fille. Freud a essayé de penser le savoi
sexualité @ partir de cette production fantasmatique qu’on trouve
chez les enfants, ou encore il a essayé daborder le savoir de la sexua~
licé en psychanalyste & partir des grands mythes de la religion occi~
dentale, mais je crois que jamais les psychanalystes none pris td
sérieux le probléme de la production de théories sur la sexualieé
dans a société occidentale
ion massive qui remone es haut ec trés I
‘Augustin, depuis les premiers siécles che
est un phénomene A prendre au sérieux et que l'on ne peut p
plement réduire a ces modeles que peuvent érre une mythologie ou
tun mythe, ou bien encore une théorie fantasmatique. Si bien que
‘mon projet, en faisant "histoire de la sexualité, est de renverser la
perspective, non pas du tout pour dire que la psychanalyse se
‘rompe, non pas du tout pour dire qui n'y a pas dans nos sociéeés
de méconnaissance par le sujet de son propre désir, mais pour dire
ue, d'une part, il faut essayer d’écudier en elle-méme, dans ses ori-
ines ec ses formes propres, cette surproduction de savoir socio~
culeurel sur la sexualité et, d’autre part, essayer de voir dans quelle
mesure 1a psychanalyse elle-méme, qui se donne justement comme
Ja fondation rationnelle d’un savoir du désic, comment la psychana~
lyse elle-méme fait partie, sans doute, de cette grande économie de
Ja surproduction du savoir critique quane a la sexualité. Voila
TFenjeu du travail que je veux faire, qui n'est pas du tout un travail
antipsychanalytique, mais qui essaie de reprendre le probleme de la
seualité ou plutét du savoir de la sexualité, & partir non pas de
la méconnaissance par le sujet de son propre désit, mais de Ia
surproduction de savoic social et culturel, le savoir collecif sur la
‘veut érudier cette surproduction de savoir théorique sur la
il me semble que la premiére chose que l'on rencontre, le
335,
1978i frappe dans les discours que la culture occidentale
a tenus sur la sexualité, est que ce discours a erés vite et urs tor pris
tune forme qu'on peut dire scientifique. Je ne veux pas die par la
urs @ toujours éeé rationnel, je ne veux pas dire par La
rs obéi aux crittres de ce que nous appelons mainte-
ientifique, Bien avant la psychanalyse, dans la psy-
ie du xa sidcle, mais également dans ce qu’on peut a
la concupiscence, tout un discours
ui s'est prétendu comme un discours rationnel et un discours scien-
tifique, et c'est 1a, il me semble, que l'on peut percevoir entre les
sociérés occidentales, et au moins un certain nombre de sociéeés
orientales, une différence capitale.
‘Je me réfete ici a une analyse que j'ai esquissée dans un premice
volume de cette Histoire de la sexualité, que M. Watanabe a bien
voulu traduire et commenter, je cris, dans une revue. C'est l'oppo-
sition entre des sociéeés qui essaient de tenir sur la sexualité un dis-
cours scientifique, comme nous faisons en Occident, et des sociéeés
dans lesquelles le discours sur la sexualité est également un discours
discours us proliférant, un discours qui s'est beau-
coup muleiplié, mais qui ne cherche pas & fonder une science, qui
ccherche, au contraire, d définic un art— un are qui serait l'art de pro-
duire, par le rappore sexuel ou avec
, sur la recherche en tout cas des méthodes par lesquelles on va
intensifier le plaisir sexuel. Le discours que I'on trouve en
Occident, au moins depuis le Moyen Age, est oue a fait différent de
celui-la
En Occident, nous n'avons pas d'art érotique. Autrement dit, on
R'apprend pas a faire lamour, on n’apprend pas a se donner du
plaisir, on n’apprend pas a produire du plaisir chez les aueres, on
svapprend pas & maximaliser, & intensifier plus son propre plaisie
par le plaisic des autres, Tout cela ne s'apprend pas en Occident, et
: liscours ni initiation autre que clandestine et pure~
‘ment interindividuelle a cee art érotique. Ea revanche, on @, ou on
essaie avoir, une science sexuelle ~ scienria exualis~ sur la sexua-
lixé des gens et non pas sur leur plaisir, quelque chose qui ne sera
336
pas comment faire pour que le plaisir soit le plus intense possible,
mais quelle est la vérité de cette chose qu’est, dans l'individu, son
sexe ou sa sexualité: vérité du sexe et non pas intensité du plaisir.
Je crois qu'on a deux types danalyse, deux types de recherches,
deux types de discours tout & fait différents et qu'on va trouver dans
ités également trés différentes. Je fais & nouveau
est évidernment quelque chose dont j'aime-
rais beaucoup discuter avec des personnes done le background cultu-
rel et historique est différent du mien er 'aimerais en p
il y a tds peu de chose la-dessus en Occident, savoir en quoi a
consiseé dans les socigeés comme la vétre, comme la société chinoise,
are érotique, commen: développé, a partis de quel savoir. Je
i sant en tout cas d'entreprendre une
dans les sociéeés orientales et la
ment histoire de certe science sexuel
rnon pas pour dire exactement quels ont été ses différents concepts,
ses différentes théories ou ses différences affirmations ~ ca serait une
‘veritable encyclopédie qu'on pourrait faire, Mais ce sur quoi je
miinterroge, c'est pourquoi les sociétés occidentales, les sociérés
isons européennes ont eu si fore besoin d'une science sexuelle ou,
fen tout cas, pour quelle raison pendant tant de sidcles et jusqu’a
‘maintenant on essaie de constituer une science de la sexualité; autre-
‘ment dit, pourquoi est-ce que nous voulons, nous autres, et nous
avons voulu, nous autres Européens, depuis des millénaires, savoir
la vétité de notre sexe plutét que d’atteindse l'ineensité du plaisir?
Pout résoudre cece question,
schéma qui est un schéma habi
directement a lesprit et qui consiste & dite ces
bien sir maintenant grice a Freud — dé
depuis toute une série de mouvements
divers, on commence un petit peu a libérer la sexualité du carcan
dans leque! el ‘on commence a Ini permectre de parler,
alors que pendant tant de siédl
sommes en train &
le cette scientia sexwalis,
que, dans les siécles précédent
morale bourgeoise e, d’autre part, d'une morale chrétienne, la pre-
mitre prenant en quelque sorte la reléve et la continuité de la
seconde, nous avait empéchés, avait empéché l'Occident de s'inter-
pesanteur, d'une part, d'une
337Michel Poucault, Dits et éerits 1978
roger réellement sur Ia sexualité. Autrement dit, le schéma histo-
"Antiquité grecque et romaine, ola
sexualité était libre, s‘exprimaie sans difficuleés et effectivernent se
développait, se donnait en tout cas un discours en forme d'art éro-
tique. Puis le christianisme serait i
aurait, pour la premiere fois dans I'hi
‘grand interdi sur la sexualité, qui aurait dit non au plaisir et par la
méme au sexe. Ce non, cet interdit aurait conduit a un silence sur la
interdits moraux. Mais Ia bourgeoisie, & partir du xvt siécle, se
trouvant dans une d'hégémonie, de domination écono-
mique et d'hégémonie culeurelle, aurait repris en quelque sorce &
son compte, pour l'appliquer plus sévérement encore et avec des
‘moyen plus rigourewx, cet ascétisme chrétien, ce refus chrétien de la
é wrait prolongé jusqu’au sux" siéce,
08, enfin, dans les toutes derniéces années, on aurait commencé &
schéma historique que d‘ordinaire on utilise quand on
faie une histoire de la sexualité en Occident, c'est-i-dire qu'on fait
cette histoice, premigrement en étudiane essenciellement les méca-
nismes de la répression, de l'interdiction, de ce qui rejette, exclut,
refuse, et puis en faisant porter la responsabilité de ce grand refus
occidental de la sexualité sut ¢. Ce serait le christia-
nisme qui aurait dit non a
Je erois que ce schéma historique traditionnellement admis,
schéma n'est pas exact et ne peut pas étre tenu pour un tas de
sons. Dans le livre dont M. Watanabe a bien voulu traduire tn cha
Pitre, je me suis surcout interrogé sur des problémes de méthode et
sur ce privilége de Interdit et de la négation que l'on accorde
quand on fait histoire de la sexualicé. J'ai essayé de montrer que ce
serait sans doute plus intéressant et plus riche de faire histoire de la
sexualité a partir de ce qui I’a motivée et incitée plutée qu’a partir
de ce qui l'a interdite. Enfin, laissons cela. Je erois qu'on peut faire,
au schéma traditionnel dont je viens de parler, une seconde objec
sion, et c'est de celle-la plutdt que je voudrais vous parler: objec-
tion, non pas de méthode, mais de fai. Cette objection de fait, ce
nest pas moi qui la formule, ce sont les historiens, plutét cest un
hiistorien de ité romaine qui travaille actuellement en
France, qui s'appelle Paul Veyne et qui est en train de faire une série
d'écudes sur la sexualité dans le monde romain avant le christia-
338
Michel Foucault, Diss os ferits 1978
nisme; il a découvere un nombre de choses importantes dont il faut
tenir compte.
‘Vous saver quien gata, quand on veut caractsiser Ia morale
chrétienne quant a la sexualité et quand on veut l'opposer a la
morale patenne, ala morale grecque ou romaine, on avance les traits
suivants : premigrement, Cest le christianisme qui aurait imposé
aux sociéeés antiques Ja régle de la monogamie; deuxidmement,
Cest le christianisme qui aurait donné pour fonction, non seulement
is pour fonction exclusive, pour seule et
reproduction, ne faire l'amour que
isiémement, 'aurais pu commencer
jon générale du plaisir sexuel. Le
sie sexuel ese un mal — un mal qu'il faut éviter et auquel il faut,
ppar conséquent, accorder la plus petite part possible. N’accorder au.
plaisir sexuel que la plus petite pare possible, n'utliser ce plaisir en
quelque sorte en dépit de lui-méme que pout faire des enfants et ne
faire ces enfants, ne pr mnséquent les rapports sexuels et
n'y erouver du plaisir qu’ jcur du matiage, du mariage légi-
time ec monogamique. Ces trois caractéres définiraient le christia-
nisme. Or les travaux de Paul Veyne montrent que ces trois grands
principes de morale sexuelle existaient dans le monde romain avant
apparition du christianisme et que c'est toute une morale, en
grande partie d'origine stoicienne, appuye par des structures
sociales, idéologiques de I'Empire romain qui avait commencé, bien
avant le
ir des enfants. Enfin,
cette époque-la, se marier et garder
sa ferme, faire l'amour avec elle pour avoir des enfants, s'affranchir
avant l'appasition du chtistianis
responsable de toute cette série
ponsable, La polygamie, le plaisir hors mariage, la valorisation du
plai ifférence aux enfants avaient déja dispara du monde
romain pour l'essentiel, avant le christianisme, et il n'y avait plus
qu'une toute petite élite, une toute petite couche, pe
de privilégiés, de gens riches, riches donc dét
quaient pas ces principes, mais pour T'essen éraient déja
acquis.
“Alors faut-il dire que le christianisme n'a joué aucun sble dans
cetce histoire de la sexualité? Je crois qu’en fai le christianisme a
359bien joué un r6le, mais son role n'a pas été tellement di
duction d'idées morales nouvelles. Ca n'a pas été dans
tion, l'appore, Vinjonction de nouveaux interdits. Il me semble que
ce que le
sexuelle, ce sont de nouvelles techniques. De nouvelles techniques
our imposer cette morale ou, a dire vrai, un nouveau ou un
ensemble de nouveaux mécanismes de pouvoir pour inculquer ces
nouveaux impératifs moraux, ou plut6e ces impératifs moraux qui
avaienc déja cessé d’étre nouveaux au moment od le christinisme a
pe spire romain ét est devenu, trés rapidement, la religion
de I'frat. C'est donc du cété des mécanismes de pouvoir, beaucoup
plus que du cOxé des idées morales et des interdits échiques, cest du
c6ré des mécanismes de pouvoir qu'il faudeait faire l'histoire de la
sexualité dans le monde occidental depuis le christianisme.
Question, alors : quels sont donc ces mécanismes de pouvoir
‘nouveaux que le christianisme ineroduit dans le monde romain, fa
sant valoie ces interdits qui y éraient déja reconnus et acceptés?
Ce pouvoir, cese ce que j'appeller est ce qu'on appelle
le pastorat, Cest-A-dire l'exiscence, a Vineérieur de la société, d'une
tuelle ou morale, mais des individus q
jouene le rdle de pasteur, de berger, par sappore aux autres individus
qui sont comme leurs brebis ou comme leur troupeau. L'introduc-
clon de ce type de pouvoir, de ce type de dépendance, de ce type de
domination a Vineérieur de la société romaine, de la société antique
est, je crois, un phénoméne erés import
En effet, la premiére chose qu'il faut remarquer a ce sujet, C'est
que jamais, dans I'Antiquité grecque et romaine, on avait eu Tidée
‘que certains individus pouvaient jouer par rapport aux autres le rdle
de berger, les guidant rout au long de leur vie, depuis la naissance
jusqu’a leur more. Les hommes politiques n'éraient jamais, dans la
littérature grecque et romaine, définis comme des pasteurs, comme
des bergers. Quand Platon se demande
ique, ce quiest un roi, ce quest un pat
pas d'un berger, mais d’un tisserand
agence les différents individus de la sociéeé comme des fils qu'il
nnoue pour former un beau tissu. L’Eeas, la Ciee, c'est um tissu, les
cicoyens sont les fils du tissu. Il n'y a ni idée de troupeau ni idée de
berger.
En revanche, on trouve
iée que le chef est a l'égard de ceux
Michel Foucault, Dits et éerits
quill commande comme un berger a I'égard de son troupeau, non
pas dans le monde romain, mais dans le monde de la Méditerranée
orientale. On la trouve en Egypte, on la trouvait aussi en Mésopota~
On Ja trouve surtout dans la sociéeé hébratque od le
théme de troupeau et du berger est un théme absolument fonda-
mental, théme religieux, théme politique, thtme moral et théme
social. Dieu, cese le berger de son peuple. Le peuple de Jéhova,
est un troupeau, David, le premier roi d'Istatl, regoit des mains de
Dieu la téche de devenir le berger d'un peuple qui sera pour lui le
troupeau, et le salut du peuple juif sera acquis, sea assuté le jour o&
Je troupeau sera enfin rentré au bercail et ramené dans le sein de
Dieu. Importance, par conséquent, trés grande du théme pastoral
dans toute une série de sociéeés de la Méditerranée orientale, alors
qu'il n’existe pas chez les Grecs ni chez les Romans.
Ce pouvoir pastoral qu'on trouve si développé en Egypte, en
chez.les Hébreux, en quoi consiste-til et comment se défi-
‘On peut le caractériser rapidement en disant que le pouvoir
pastoral s‘oppose & un pouvoir politique traditionnel habituel, en
ceci qu'il ne porte pas essentiellemene sur un territoire: le berger ne
régne pas sur un eertto ne sur une multiplicieé d’individus.
I régne sur des moutons, il régne sur des beewfs, sur des animaux.
Ul regne sur un troupeat et sur un troupeau en déplacement. Régner
sur une multiplicié en déplacement e qui caractérise le pas-
teur. Cest ce pouvoir qui ser pastoral caractéristique. Sa
fonction principale n'est pas tellement dassurer la victoire, puisqu'l
ne porte pas sur un terrioire, Sa manifestation essentielle n’est pas
la conguéte, ou encore la quantité de tichesses ou d'esclaves qu'on
peut ramener de Ja guerre. Autrement dit, le pouvoi g
Pas pout fonction principale de faire du mal aux
fonction principale de fare du bien & ceux sur q
bien au sens le plus macériel du terme, cest-
uune subsistance, donner la péture, con
Ass
lun pouvoir, par conséquent, qui assure en méme temps Ia subsis~
tance des individus et la subsistance du groupe, a la différence du
pouvoir traditionnel qui se manifeste essentiellement par le
triomphe sur ses assujettis. Ce n'est pas un pouvoir triomphane,
est un pouvoir bienfaisant.
oisidme caractére du pouvoir pastoral qu'on retrouve dans les
ivilisations done je patlais: ayant pour fonction principale d'assurer
Ja subsistance du troupeau, il est au fond une charge; il a pour
caractére moral d’étre essentiellement dévoug, de se sacrifier, au
361
1978Crest ce que I'on trouve dans plusieurs
is par les commentateurs : le
qui accepte de sactfier sa vie
Dans le pouvoir traditionnel, ce mécanisme se
fetourne : ce qui fait un bon cicoyen, cest de pouvoic se sactifier
pour lui sur I'ordre du magistrat ou daccepeer de mourir pour son
roi. La, c'est le contraire : Cest le roi, le pasteur qui accepte de mou-
tie pour se sactfier.
Enfin, et peut-étre ese
pastoral est un pouvoi ire que, alors que le
10i ou le magistrat ont pour fonction essentielle de sauver la cotalité
de I'Beat, le terrtoite
berger, le bon pasteur est capable quant a lui de veiller sur les indi-
vvidus en particulier, sur les individus pris un par un. Ce a’est pas un
pouvoir global. Bien sdr, le berger doie assurer le salut du troupeau,
‘ais il doit assurer le salut de tous les individus. On trouve facile
‘ment cette thématique du berger dans les textes hébreux et dans un
cercain nombre de textes égyptiens ou assytiens. Pouvoir, donc, qui
porte sur une multiplicité - sur une muleiplicité d'individus en
déplaceme int dun autre ~, pouvoir oblacf,sacrifi-
besoin, pour ses. brebis
res de la Bible souve
ianisme, & partir du moment o il est
spite romain, une force d’organisation
sociale a fait entrer ce type de pouvoir dans ce monde
qui T'ignorait encore totalement. Je passe sur
choses se sont passées coneréeement, comment
développé comme une Eglise, comment, a ieur d'une Eglise,
les prézres ont pris une situation, un statue particuliers, comment ils
sion d'assurer un certain nombre de charges, com-
ment, effecrivement, ils sont devenus les pasteurs de la communauté
chrétienne. Je crois que, a travers 'orgenisation du pastorat dans la
sociéeé chrétienne, & partir du tv" sidcle aprés Jésus-Chiist, et méme
du nf siécle, s'est développé un mécanisme de pouvoir quia é ees
important pour toute I'histoire de 'Occident chrétien et, d'une
facon particulitre, de la sexuaité
Diune fagon générale, pour I'homme occidental, qu'est-ce que
signifie vivre dans une société ou il existe un pouvoir de type pasto-
ral?
y ait un pasteur implique que, pour tout
tion de faire son salut. Autremenc dit, le salut
std la fois, dans I'Occidene chrétien, une affaire individuelle — on
faie tous son salut ~, mais ce n'est pas une affaire de choix. La
362
Michel Foucault, Dits ot eerits
société chrétienne, les sociérés chrétiennes n'ont pas laissé les indivi-
dus libres de dire : « Eh bien, moi, je ne veux pas faire mon salut. >
Tout individu a éxé requis de faire son salut : < Tu seras sauvé, ou
plut6t, il faudra que tu fasses tout ce qu'il faut pour éere sauvé et
‘nous te punirons dés ce monde-ci dans le cas od tu ne ferais pas ce
‘ui faut pour étre sauvé, > Le pouvoir du pasteur consiste précisé-
‘ment en ceci qu’il a autorité pour obliger les gens A faite tout ce
u'll faue pour leur salut: salue obligatoire
Deuxiémement, ce salut obligatoire, on ne le fait pas du cout
seul. On le fait pour soi, bien sit, mais on ne p ire que si on
accepre I'aurorité d'un ausre. Accepter I'autorité d'un autre, ca veut
dire que chacune des actions que l'on pourra commettre devra étre
‘onnue ou, en tout cas, pourra éere connue du pasteur, qui a autorité
ieurs individus, qui par conséquent, pourra
chose est bien faite comme ga, nous sa
qu'elle ne doit pas étre faite autrement. C'est-i-dire qu’aux vieilles
structures juridiques que routes les sociéeés, depuis trés longee
connaissaient ~ a savoir qu’il y a un certain nombre de lois
communes dont les infractions sont punies — vient s‘ajouter tne
auere forme d'analyse du comportement, une autre forme de culpa
bilisation, un autre type de condamnation, beaucoup plus fin, beau-
coup plus serté, beaucoup plus tenu : celui qui est assuré par le pas~
teur. Le pasteur qui peut obliger les gens a faire tout ce qu'il faut
pout leur salut et qui est en position de surveller, ’exercer en tout
lance et un contréle continus
rétienne, le pasteur est celui
«qui peut demander aux autres une obéissance absolue, phénoméne la
encore trés important, ts nouveau aussi. Les sociéeés gallo-romaines,
bien sGr, connaissaient la loi et les magistrats. Elles connaissaient un
Pouvoir impérial qui était un pouvoir absolument aueocratique.
Mais au fond, jamais dans l'Antiquité grecque et romaine, on
Avaurait eu Vidée de demander &
absolue et inconditionnée a I'égard de quelqu’un autre. Or cest
sme, on n‘obéit pas pour artiver a un
certain résultar, on nobéit pas, par exemple, pour simplement
acquérit une habitude, une aptitude ou méme tun mérite. Dans le
htistianisme, le mérite absolu ese précisément d'éere obéissant,
Vobéissance doit conduire & I'éae d’obéissance. Rester obéissant,
363
1978est la condition fondamentale de toutes les autres vertus, fre
obfissant a l'égard de qui? Etre obéissane a I'égard du pasteur. On
«st dans un syse’me de Vobeissance généralisée et la fameuse humi-
lice chrétienne n'est pas autre chose que Ja forme, en quelque sorce
otisée, de cette obeissance, Je suis humble, a veut dite que
Faccepterai les ordres de quiconque, du moment qu'il me les don-
neta et que je pourrai reconnaftre dans cerce volonté de I'autre ~ moi
qui suis Ie dernier — la volonté méme de Dieu,
Enfin, et c'est IA, je crois, quelque chose qui va nous ramenet &
notre probléme de dépary, a savoir Ihiscoire de la sexualité, le pas-
torat a apporeé avec lui toute une série de techniques et de procé-
dés qui concement la vérité et la i
teur chrétien enseigne ~ en
des maftres de sagesse ou des de vétité que pouvaient écre
par exemple les philosophes antiques, les pédagogues. Il enseigne
la vérité, il enseigae I'écritur, il enseigne la morale, il enseigne les
commandements de Dieu et les commandements de l'fglise. En
cela cest donc un maftre, mais Je pasteur chrétien est aussi un
maitre de vérité en un autre se en, d'une pare,
pour exercer sa charge de past bien sf, cour ce que
font ses brebis, tour ce que fait le troupeau et chacun des membres
du troupeau & chaque instant, mais il doit aussi connaftre de
Uineérieur ce qui se passe dans I'éme, dans le coeur, au plus pro-
fond des secrets de lindividu, Cette connaissance de I i
des individus est absolument requise pour l'exercice di
chétien.
Connaftre l'ineéticur des individus, ga veut dire quoi? Cela veut
dire que le pasteur disposera de moyens d'analyse, de réflexion, de
détection de ce qui se passe, mais aussi que le chrétien sera obligé de
dire a son pasteur tout ce qui se passe dans le secret de son me; en
particulier, il sera obligé d'avoir recours a I'égard de son pasteur
certe pratique si spécifique, je cois, du christianisme : Paveu exhaus-
tif et permanent, Le chrétien doie avouer sans cesse tout ce qui se
ppasse en lui a quelqu’un qui sera chargé de diriger sa conscience et
cet aveu exhaustif va produire en quelque sorte une vérité, qui
n'écait pas connue bien sir du pasteur, mais qui n’étair pas connue
‘non plus du sujee lui-méme; c'est cette vérité, obtenue par examen
de conscience, la confession, cette production de vérieé qui se déve-
oppe tout au long de la direction de conscience, de la dicection des
mes, qui va, en quelque sorte, constituer le lien permanent du bet-
get a son troupeau et a chacun des membres de son troupeau, La
vérité, la production de la vérité intérieure, la production de Ja
364
‘vérité subjective est un élément fondamental dans l'exercice du pas-
teur.
(On en artive précisément
lite. A quoi avait afaire le ch
avait déja accepté, pour l'essentiel, sa morale, certe morale de la
‘monogamie, de la sexualité, de la reproduction dont je vous patlais.
Par alleus, le chiséanisme avai devane li, ou plut6e& ce de
tun modéle de vie religieuse intense, qui érait le
1¢ hindou, le monachisme bouddhiste, et les moines
les pratiques
qui avait accepté un certain
idéal de Vascétisme ineégral, le
jue et, d’autre part, de reprendre en main pour pouvoir la diti-
set, de Tincérieur, cece société civile de I'Empite romain.
Per quels moyens vail yazriver? Je eris que cest la concep-
tion trés difficile, d’aileurs erés obscure, de la chair qui a servi, qui
libre entce un asctisme qui refa-
3¢ sociéeé civile qui erie une sociéeé laique, Je
isme a trouvé moyen d'instaurer un type de
dividus par leur semualié
sfagissait absolument pas — sans quoi on tombait dans l'ascérisme
radical ~ de refuser tout ce qui pouvait venir du corps, comme étant
pouvoir faire fonctionner ce
wérieur d'une sociéré qui avait
nécessits, qui avait son organisation de famille, qui
sevaic ses nécessités de reproduction. Donc, une conception, au fond,
relacivement modérée quant a la sexualicé qui faisaic que la chait
iis &cé congue comme le mal absolu dont il fllait
comme la perpétuelle source a V'ineérieut de la
eur des individus d'une tentation qui risquerait
dividu au-dela des limitations posées par la morale
vile que le christianisme a éablie et qu’il fae foncrionner & travers
365tout cet apparel du pastorat, mais dont les pidces ess
saient sur une connaissance, a la fois extérieure et in
connaissance méticuleuse et détaillée des individus par eux-mémes,
par Jes autres. Autrement die, cest par la constitution d'une sub-
jectivieé, d'une conscience de soi perpéruellement évellée sur ses
ppropres faiblesses, sur ses propres tentations, sur sa propre chair,
Cest par la constitution de cette subjectivieé que le christianisme est
la technique d’éveil de soi-méme sur soi-méme, quant a ses fai-
blesses, quant 2 son
‘qui est I'efet premier de lintroduction dans
Pouvoit pastoral, Et c'est ainsi, me semble peut — tour
cela est une série d’hypotheses, bien sir ~ comprendre quel a été le
role réel du christianisme dans l'histoire de la sexualité. Non pas,
dong, interdit et refus, mais mise en place d'un mécanisme de pou-
ait, en méme temps, un mécanisme de
‘dus, de savoir sur les individus, mais
idus sur eux-mémes er quant a eux-mémes.
Tout cela constitue la marque spécifique du christianisme et cest
cer a la figuee
SuBBesti
, citiques,
‘vous avez des questions & poser — object
confirmations ~, j'en serais ravi.
i Poser des questions & M, Foucaule me semble une téche
peu facile, mais ce n'est pas tellement & cause de mon ignorance ni
cde ma timid. La difficulté vient précisémenc de la claeté méme de
son exposé. Nous sommes tous habieués a cetce clarcé grice a ses
écxits, Dans tous ses livres, en effet,
‘maniére précise, quel probléme il va
annonce chaque fois, d'une
iver et par quel moyen il va
366
Michel Foucault, Diss es terits
analyser, en essayane de définir dans quelles conditions et dans
quelles circonstances son travail devient nécessaire, et ce que nous
venons d’entendee confirme cette clareé et cette précision. Une fois
de plus, il a pris cetce précaution de répondre d’avance a toutes les
questions et d’annuler méme presque toutes les objections qu’on
pourrait formuler. Je n'ai donc pratiquement rien
mais afin de raviver les discussions qui vont sui
demander seulement ceci
Dans la lecon inaugurale du Collége de France, e crois me souve-
nit que vous avez traité de la sexualité sous l'angle de 1a répression
ou de I'exclusion : le it
vous traitez le dis-
‘ours de la sexualicé non plus comme objet de répression, mais plu
tt comme quelque chose qui prolifére dans la zone scientifique. A
propos, on parle souvent du changement de Michel Foucault, et
guelques-uns éprouvent une certaine joie a ce changement...
M, Foucault: . et il y en a d'autres qui sont erés mécontents.
5. Hasuni : Je ne pense personnellement pas que les choses se
ppassent ainsi. Vous n’avez pas changé, vous n'avez pas abandonné
Vhypothése de répression, mais vous l'avez remise en question pour
formuler différemment le probléme du pouvoir...
‘M, Foucault : Je vous remercie de cetce question qui, en effet, est
importante et mnériait d'étre posée. Vous V'avez posée, je crois, dans
les meilleurs cermes possible.
Crest vrai que, dans des textes encore récents, je me suis surtout
référé & une conception du pouvoir et des mécanismes du pouvoir
qui était une conception, en quelque sorte, juridique. Les analyses
que jessaie de faire, ec je ne suis pas le seul, loin de li, a essayer de
les faire, il est bien entendu que ce sont des analyses partielles, des.
analyses fragmentaires. Il ne s'agie pas du tout de fonder une théorie
da pouvoir, une théorie générale du pouvoir, ni de dire oe qu’ese le
pouvoir, ni de dire d’od il vient. Depuis des sidcles, er méme des
rillénsires en Occident, on a posé cette question, et il n'est pas sr
que les réponses données aient écé satisfaisentes. En tout cas, ce que
iTessaie de faire, ces, & un niveau empirique, prendre les choses, en
quelque soree, par le milieu. Non pas : < D’od vient le pou
>, mais: « Par od passe-t-il et comment cela se passe-
uelles sont routes les relations de pouvoir, comment est-ce qu’
peut décrice certaines des principales relations de pouvoir qui
Srexercent dans notre société? >
Je n’entends donc pas le pouvoir au sens du gouvernement, au
sens de I'Erat. Je dis: entre différentes personnes, dans une famille,
ser
1978dans une université, dans une caserne, dans un hépital, dans une
y 4 des relations de pouvoir qui passent.
énent-elles, comment lient-elles les
individus, pourquoi sont-lles supporeées, pourquoi, dans d’aucres
ne le sont-elles pas. Fai 2, cette analyse par le
miliea et une analyse empirique. Crest la premigre chose.
Deuxitme chose, je ne suis pas le premier, loin de li, & avoir
cessayé, Les psychanalystes, Freud, et beaucoup de ses successeurs, en
particulier toute une série de gens comme Marcuse, Reich, ec., ont,
au fond, essayé,
sglobales, mais de voir comment ca se passait
dans le psychisme de individu, ou dans linconsciene de l'individu,
ou dans l'économie de son désir, comment cela se passait avec les
relations de pouvoir. Quest-ce que le pete, par exemple, vient faire
dans le dési de V'individu. Qu’ese-ce que T'interdiction, par
exemple, de la masturbation vient faire, ou comment encore les fap
ports pére-mére, la distribution des réles, eec., viennent s'insctie
dans le psychisme des enfants. Donc eux aussi, bien sir, faisaient de
analyse des mécanismes du pouvoir, des relations de pouvoir par le
milieu et empiriquement.
‘Mais ce qui m’a frappé est que ces analyses consid
que le pouvoie avait pour fonction et réle de dite non,
dempécher, de tracer une é
avait pour effee princi
psychanalystes vous diront que je vais trop vite, mais ent
partir d'une relation de pouvoir. Cette conception ou certe idée que
Jes mécanismes de pouvoir sont toujours des mécanismes d’inter-
incerdits et puis ca y est, le pouvoir aura disparu,
jour o8 nous aucons levé les incerdies. » Crest peut-
éxre la une chose qui faie aller un peu trop vi
En tout cas, j'ai bien changé sur ce point. J'ai bien changé, a par
tir d'une érude précise que j'ai essayé de faire, que j'ai essayé de
rendre la plus précise possible, sur la prison et les systémes de sur-
veillance et de punition dans les sociétés occidentales aux xvi et
ax’ sidcles, fin du xvii" surtout. Im'a semblé qu'on voyait se
développer, dans les sociéeés occidentales, en méme cemps que le
368
‘apitalisme d’ailleurs, route une série de procédés, toute une série de
techniques pour prendre en charge, surveiller, contrdler le compor-
tement des individus, leurs gesces, leur maniére de faire, leur
emplacement
terdisaient et panissai
de ces formes de pouvoir —
dicé — était de permettre, d’obliger les individus a multiplier leur
rs fo
Cest ce qu'on a essayé de faire
rmée, @ partic du xvi siécle, quand on a imposé les grandes
disciplines, ce qui nétait pas connu autrefois. Les armées occiden-
lings, on a ap
soldats a faire l'exercice, & matcher en rang, a titer avec des f
manipuler le fusil de telle et telle maniére, de fagon que l'armée soit
usilisable au mieux. De la méme maniée, vous avez eu tout ua
dressage de la classe ouvritre, ou plutée de ce qui n’était pas encore
la classe ouvriere, mais des ouvriers capables de travailler dans de
‘grands ateliers, ou simplement de petits ateliers fami
‘aux, gu’on a habitués & habiter dans telle ou
sgérer leur famille. Vous avez une production
production des capacités des individus, de la producti
vvidus; toue cela a été acquis par des mécanismes de pouvoir dans
lesquels les interdits existaient, mais existaient simplement a tice
dTinstruments, Lessentiel de toute cetee disciplinatisation des indi-
vidus n'éeait pas négative.
Vous pouver dire et estimer que était catastrophique, vous
Pouvez mettre tous les adjectifs moraux et politiques négatifs que
‘ous voudrez, mais moi je veux dire que le mécanisme n’éait pas
essentiellement d'i mais de product
d'inceasification, de démultiplication. A partic de
mais, au fond,
intensifier? Ec c'est cette hypothése que j'essaie
la sexualité en me disan
sexualité, apparemment, c'est bien la chose la plus interdiee qu'on
uisse imaginer, on passe son temps a interdire aux enfants de se
3adultes de faire l'amour de telle
petsonne. Le monde de Ja sexualité est un monde qi
d'interdits,
‘Mais il m’est appara que, dans les sociétés occidentales, ces
interdits éraient accompagnés de toure une production trés
i large, de discouts ~ de discours scientifiques, de dis-
minels — et en’ méme temps d'un souci, d'une véri=
table obsession de Ja sexualité, qui apparaft trés clairement dans
a morale chrétienne du- xvi" et da xvi" sidcle, en période de
Réforme et de Contre-Réforme — obsession qui n'a pas cessé
jusqu’a maintenant.
homme occidental ~ je ne sais pas ce quiil en est dans votre
société — a toujours considéré que la chose essenti
est sa sexualité. Et cela de plus en plus. Au xi
pat excellence était le péché de la chair. Alors, si la sexu:
ation, qu'il y ait une telle hantise de Ja sexualité? L’hypo-
se dont procédent mes analyses — que je ne ménerai peut-éere
pas leur terme parce qu’elle n'est peut-étre pas 1a bonne -
serait qu'au fond I'Occident n'est pas réellement négareur de la
sexualité ~ il ne lexclue pas ~, mais il ‘aménage, &
parti d'elle, rout un dispositif complexe jstion de Ia
constitution’ de I'individualies, de Ja subjectivicé, bref, de la
manitre dont nous nous comporcons, dont nous ”prenons
conscience de nous-mémes, Autrement dit, en Occident, les
hommes, les gens s'individualisent grice & un certain nombre de
je crois que Ja sexualicé, beaucoup plus qu'un élé-
du qui serait rejeté hors de lui, est consticutive de
oblige les gens & nouer avec leur identité sous la
até
Je n'aime pas
obscurité parce que je considére que l'obscurieé est une forme de
espotisme; il faut s'exposer & dire des erreurs; il faut s'exposer &
artiver a dire des choses qui, probablement, vont étre dificiles &
‘exprimer et pour lesquelles, évidemment, on cafouille ua peu €
WA, je cains de vous avoir donné I'impression de cafouilles. Si
HE
Michel Poucault, Diss et éerits
xe La scéne de la philosophie
-Teoupiku no burt > («La sce dela philoophi >; enn avec M. Watanabe, te
22 aml 1978, Ske, jllee 1978, pp. 912 332,
Split de eh ee de linéawre fangie, Moriaki Watanabe, qui M. Fowctle
ax formes ehéfalesjponaise, taduse alors Le Vol de tr
‘M, Watanabe: Pourquoi les themes du regatd et conj
celui du théatre reviennent-ils dans vos écrits de fagon si
quils semblent régir l'économie générale du discours
IM, Foucault : Je crois que c'est en fait une ques
tance, La philosophic occidentale n'a guére été intéressée par le
théiere, depuis peut-éere la condamnation du chéftre par Platon. Il
faut attendre Nietesche pour que, & nouveau, la question du rapport
dération du théatre dans la philosophie occidentale et une certaine
is Platon, et depuis
manitre de poser la question du regard. Depui
Descartes encore plus,
imporeantes est de savoir en quoi consiste le fait de regarder les
choses, ou pluc6e de savoir si ce qu’on voit est vrai ow illusoice; si on
est da du réel ou dans le monde du mensonge. Déparca-
tite et le mensonge, cest bien
re est quelque chose qui
cde sens de se demander
le chéaere ese vrai, s'il est réel, ou s'il ese illusoire, ou sil est men~
songer; le seul fait de poser la question fait disparaftre le chéaere
Accepter 1a non-différence entre le vrai et le faux, encre le réel et
Villusoire est la condition du fonctionnement du chédtre. Sans éere un
spécialiste du ehéétre aussi éminent que vous, sans avoir approfondi,
‘comme vous l'avez fait, les problémes propres au thé
que chose, moi, qui m'intéresse et me fascine; ce que je voudrais
faire, C'est essayer de déctre la maniére dont les hommes d’Occidene
font vu les choses sans poser jamais la question si était vrai ou pas,
essayer de décrite la maniére done ils ont monté eux-mémes, par le
jeu de leur regacd, le spectacle du monde. Au fond, peu m’importe
ue la psychiatrie soit vraie ou fausse, de toute facon ce n’ese pas cette
uestion-Ia que je me pose. Peu m'importe que la médecine dise des
erreurs ou dise des vérités, a imporee beaucoup aux malades, mais
vous voulez, qu’analyste, ce n'est pas ca qui m’inté=
esse, d‘autane plus que je ne suis pas compécent pour fire le partage
entre le vrai et le faux. Mais je voudrais savoir comment on a mis en
on
1978scene 1a maladie, comment on a mis en scéne la folie, comment on a
mis en scéne le cri cestadire comment on I'a
a ensuite essayé dé
vrai et le faux, mais ce n'est pas cette distinction
Ia cot
scéne pour cette ratio
ine marque d
lisme des hommes d’Occident, car leur économie, l'économie oci-
dentale, est peut-étre artivée au terme de son apogée, lessentiel des
formes de vie et des dominations politiques de I'Occidene a sans
doute ateene son terme, Mais il y a quelque chose qui ese resté, que
VOccidene sans doute aura laissé au reste du monde, c'est une certaine
forme de rationalité. C'est une ceraine forme de perception de la
vérité et de Vereur, c'est un certain ehéitre du vrai er du faux.
ique de votre écriture, qu'il
quill s'agisse de La Volomté de savoir.
La lecture de cervains chapitres des Mots et les Chases nous donne un
plaisir égal a Ja lecture de grandes tragédies politiques de Racine,
Britannicus, pat exemple.
répond a un certain choix d’écricute,
ie, lorsque vous vous proposez de déctte les
lignes de force qui devaient traverser de grandes mutations épisté-
mologiques ou insticutionnelles du monde occidental. Par exemple,
dans le numéro spécial de la revue Are, La crise dans Ia tite ~ ila
&€ congu d'abord comme numéro consacré & Michel Foucaule, ce
‘que vous avez refusé, en disant qu’un numéro spécial est en entetre-
‘ment —, on peut lire une interview que vous avez accordée & Fontana
& qui d'abord a éé publiée en Italie, Dans cette interview, vous
patliez de la nécessicé de « distinguer les événements, de différencier
les réseaux et les niveaux auxquels ils apparciennent, et de reconsti-
‘uer les fils qui les relient et les font s'engendrer les uns & partic des
on
autres >, Vous insistiex sur le « refus des analyses
champ symbolique ou au domaine des structures signifiantes >, au
profit du < recours aux analyses qu’on fait en termes de généalogie
de tapports de forces, de développements stratégiques, de tac-
tiques >. Ce a quoi on doit se référer n'est pas < un grand modele de
gue et des signes >, mais < de la guerre et de la bataille >, car
« Mhistoricité qui nous emporte et nous décermine est belliqueuse >,
elle n'est pas « langagiére >. Ce qu'il faue chercher est non la « rela:
tion de sens », mais le < relation de pouvoir >. Or, comme il a été
analyse par Barthes, la tragédie de Racine est régie par des rapports
de forces. Ces rapports de forces sont fonction d'une double relation
de passion et de pouvoir. La stratégie de 1a passion racinienne est
tout a fait belliqueuse. C’est probablement a cause d'un certain réa-
lisme dans les affrontements dramatiques et belliqueux que je
rerrouve une parenté généalogique de vorre discours avec I'écrieure
racinienne,
Le théfire en tant que représentation dramatique constituait,
‘au moins dans la culture occidentale, I'affrontement exemplaire sur
le plateau, celui-ci étant le < champ de bataille >, lespace des stra-
tégies et des tactiques par excellence, 65,
s‘apparente au grand génie de la dramacungie classique francaise,
est quiil suit faire surgir ces grands affrontements historiques qui,
jusqu’ici, restaient inapergus ou méconnus,
‘M, Foucault : Vous avez tout a fait raison. Ce qui fait que je ne
suis pas philosophe dans le sens classique du terme ~ peut-tere ne
suis-je pas philosophe du tour, en rout cas, je ne suis pas un bon
hilosophe — est que je ne m’intéresse pas & l'éternel, je ne m'inté-
esse pas & ce qui ne bouge pas, je ne mincéresse pas a ce qui reste
stable sous le charoiement des apparences, je m'intéresse a I'événe-
ment. L’événement n'a guére été une catégorie philosophique, sauf
peut-étre chez les stoiciens, & qui cela posait un probleme de
Jogique. Mais c'est, la encore, Nietzsche qui le premier, je crois, a
défini la philosophie comme érant l'acivité qui sere & savoir ce qui
se passe et ce qui se passe maintenant, Autrement dit, nous sommes
traversés par des processus, des mouvement, des forces; ces proces-
sus et ces forces, nous ne les conneissons pas, et le r6le du philo-
sophe, c'est d'étre sans doute le diagnosticien de ces forces, de
diagnostiquee actual
jon : qui sommes-nous? et quiest-ce qui se
3s sont eres différentes des questions tradi-
‘ime? qu’est-ce que I'étemnité? Philosophie
du présent, philosophie de 'événement,passe, il s'agit bien, en effet, d'une certaine maniére, de ressisic par
le biais de la philosophie ce dont le thédere s‘occupe, car le théatre
S‘occupe toujours d'un événement, le paradoxe du thééere cant pré-
cisément que cet événement se répete, se répéte cous les soit,
uisqu’on le joue, et se répéte dans é
temps inde!
‘ment répérable, antétieur, Le théiere sais lévénement et le met en
scéne,
Ex Cest veai que, dans mes livres, j‘essaie de saisir un événement
«qui m’a paru, qui me paraft important pour notre actualité, rout en
€ant un événement antérieut. Par exemple, pour la fol
semble qu'il y a eu, a un moment do
tun partage entre Ia folie et la non
y acy, aun autre
incensicé du crime et le
¢ humain posé par le crime. Tous ces événements, il me
semble que nous les répétons. Nous les répérons dans notre actua-
é, et jessaie de saisir quel ese I'événement sous le signe duquel
us sommes nés, et quel est I'événement qui continue encore &
‘nous traverser.
D’od ces livres qui sont en effet, vous avez tout a fait raison —
quel inconvénient cela présente,
je risque de faire Vereur de présenter comme un événement
majeur ou dramatique quelque chose qui n'a peur-étre pas cu
Vimportance que je lui préte, D’od mon défaut — il faue parler
de ses défauts en méme temps que de ses pro i
Gare une espéce d'intensfication, de dramatisation d’événements
dont il faudrait parler avec moins de chaleut. Mais enfin, il est
important tout de méme de donner son maximum de chance &
ces Evénements secrets qui scintllent dans le passé et qui
marquent encore notre présent.
M. Watanabe: Ce que vous dites a propos des événements
secrets me parait erés important, d’autant plus que l'inflation des
événements ou la survalorisation mass-médiatique de toute événe~
mentialité risque de disqualifier 'événement en tant qu’événement;
‘on constare une sorte de méfiance vis-a-vis des événements, qui ne
sont que des représentations véhiculées par le réseau des mass
Gdias. Vous, vous essayez de ressaisir les événements en tant que
s facteurs de mutation. Les thématiques du regard, de la
de la dramarurgie, de I'événemene sone liées, comme par une
juence logique, a celle de l'espace. Deja dans la préface de
Naissance de la clinique, vous annonciee que dans ce livre, «il est
3m
‘Mickel Foucault, Diss et terits
question de l'espace, du langage et de la mort >, pour ajouter tout
de suite qu’ < il est question du regard >. Il me semble que, si vous
me permettez une telle schématisation, le paradigme de votre ana-
lyse et de votre discours est composé d'un certain nombre de termes
ou motifs, tels I'cespace >, le , la , le
< regard >, et que le motif de la mort ese remplace, selon les objets
analyse, par la < pat le ou par l'épisémé,
armi ces motifs majeurs, espace, & qui est accord i
place, entretient un rapport trés écroit avec le thédtre, Votre analyse
et votre discours, jusqu’a Surveiller et Punir, se proposaient comme
objet d'investigation Ia genése et In mise’ en place d'un certain
espace clos dans sa spécificté. Les cliniques, les asiles psychiatriques,
les prisons éxaient des espaces fermés, insticués pat I'isolement vis-2
du reste du corps social, tout en demeurant topologiquement &
cérieut de la cté, Le grand enfermement des fous aux xvi siécle,
quill a &€ analysé dans Histoire de la folie, en est l'exemple
‘typique.
Votre analyse vi
séminaire organisé a I'
comme vous en avez parlé hier d
sité de Tokyo, la mécanique du pouvoir
ique. Petmescez-moi douvrit une petite
parenthése sur un autre isolement, celui de a parole chez Mallarmé,
car il conse nee poétique fondamentale de la modernité
wer femarqué vous-méme dans no
ent, en
tant que langage essentiel ou langage avire, du langage ordinaire
fonctionnane comme des monnaies. Et ce langage isolé par son sta-
tut méme d’exclusion sociale finissaie par ressembler a une autre
parole exclue, a la parole de la folie; ce que vous avec appelé autre=
fois, en vous référant & Blanchot, < la part du feu >. Je me permets
de vous rappeler cet épisode simplement pour vous dire que des
passionnés de Fouceult au Japon étaient au début des gens qui
lisaienc Foucaule surtout dans ses écrits sur la modernité lieécaire
occidentale de Mallarmé a Bataille, & Klossovski.
Votre analyse, par conséquent, vise non le contenu de ces espaces
isolés, fermés, forclos, mai it qui
‘question non de la dramaturgie qui se joue dans ces espaces dautant
plus privilégiés que fermés et forclos, mais de la mise en scéne ou de
la mise en place du dispositif qui rend possible une pareille drama-
urgie de espace.
9 ois spre of 82.
os
1978Eablissement correctionnel de jeunes délinquants. Le refus méme de
Ja chédtralieé ou du moins son invisibilicé dans les dossiers discipli-
naires s‘avére du méme ordre que le processus d’intérioriset
optique thédtrale dans le dispositif de pouvoir, rel quil a éeé conga
Bentham pour son Panoptique. De toute maniére dans vos
livres, la répartition et la réorganisation de I'espace social sont per-
‘gues comme des facteurs essentiellement stratégiquies du dispositif|
de pouvoir.
M. Foucault; Tout a fait. Au moment od j'étais éeudiant, une
sorte de bergsonisme latent dominait la philosophie francaise. Je dis
bergsonisme, je ne dis pas que c é la réalité de Bergsoa, loin
bge accordé & toutes les analyses
temporelles au dépens de l'espace, considéré comme quelque chose
de mort et de figé. Plus tard, je me souviens — c'est une anecdote
que je czois significative du bergsonisme renouvelé dans lequel on
vivait encore —, je me souviens d’avoir fait une conférence
école d'architecture et d’avoir parlé des formes de différenc
espaces dans une société comme la névre *. A la fin, quel
pris Ia parole sur un ton erés violent,
espace, cest éere un agent du
que lespace, c'ese le more,
société bourgeoise veut que. cest
méconnaitre le grand mouvement de I’histoice, ese méconnaftre la
dialectique et Je dynamisme révolutionnaite... On voyait trés bien
‘comment, sous une sorte de valorisation bergsonienne du temps au
dépens de l'espace, il investisait, il développait cour simplement
une conception du marxisme trés,trés vulgaire. Pew imporce l'anec-
doce, elle est significative de la maniére dont une certaine concep-
sion hégélienne et marxiste de l'histoire relayait et redoublait une
valorisation bergsonienne du temps.
M. Watanabe : Cest cet épisode que vous avez rapporté dans le
débat dintroduction a I édition reprint de la traduction francaise du
Panoptique **,
M, Foucault: Cest ca. Or il m'a para que cest tout de méme
une chos i ju
ite, Cest-d-dire comment une société aménageait son
1 Voir infos 0° 360.
Voir npra n° 195,
376
original; des
‘montré comment
que de traduire,
, des rapports de pouvoir, des relations éconoi
ma paru important de montrer comment, dans la
société de type capitaliste qui se développe & partit du
il y a.eu une nouvelle forme de spatialité sociale, une cet=
taine manidre de distribuer socialement, politiquement des espaces,
et quion peut faice toure histoire d'un pays, d'une culture, ou
d'une sociésé, & partir de la maniére dont Vespace y est valorisé et
distribué. Le premier espace qui me parait poser le probléme et
‘manifester justement cette différenciation sociale et historique forte
des sociéeés, c'est I'espace de l'exclusion, de 'exclusion et de 'enfer-
‘mement.
Dans les sociéeés gréco-romai
‘grecques surtout, quand on
idu — le théAere grec le montre bien
yy avait toujours un espace autour. IL
‘Moyen Age a longtemps conservé Ihabitude tout simplement de se
comme les Grecs, dé idus génants en les exilant.
IL ne faut pas oublier que la principale
fe au Moyen Age
‘zai le bannissement : < Fiche le camp ailleurs, qu’on ne te retrouve
ppas chez nous. > Ee on marquait les individus au fer rouge pour
quils ne reviennent pas. La méme chose pour les fous. Or, a partir
du xvi sigcle, on est arrivé & une relative densité de population -
sans comparaison avec la densieé actuelle — qui a fait considérer que
Je monde était pl
i lorsqu’on en et ative aussi I organisation
étieu d'un Fiat, ou mieux a atérieue de I Europe
= I Europe comme entié politique et économique commence @ se
forme du bannissement et de l'exil, et qui sont en méme temps des
espaces d'inclusion : se débarrasser en enfermant, La pratique de
71e paraft I'une des conséquences de cette existence
d'un monde plein et d'un monde fermé. Lienfermement est une
mas spatiales surviennent;
le eroire, le Moyen Age était
tune époque od les individus circulaient en permanence;
moines, les univers
sans se déplagaienc d
awcachés. Les grands voyages n’ont pas commencé au xv siéde, loin
de Ia. Mais Vespace social a commence a se stabiliser dans les socié-
‘és occidentales a partir du xvr' ou du xvn" sidcle avec des organisa-
tions urbaines, des régimes de propriéeés, des surveillances, des
réseaux routiers... C'a été le moment ot on a arréré les vagabonds,
enfermé les pauvres, empéché la mendicité, et le monde s'est figé
a pu se figer bien sr qu’a la condition qu'on institution-
nalise des espaces de types différents pour les malades, pour les
fous, pour les pauvres, qu’on distingue des quartets riches et des
‘quartiers pauvres, des quartiers malsains et des quartiers confor-
tables... Cetee différenciation d'espaces fait partie de notre histoire
ec en est certainement I'un des éléments commun.
M, Watanabe : En ce qui conceme le Japon, on a une expétience
historique a la fois similaire et trés différente : la décision du shogu-
nat des Tokugawa, au xvi sigcle précisément, d'enfetmer le quar-
tier du plaisir et celui du chéétre dans un espace pé
nvavaient plus de terre 12 od ils étaient
: Artaud ec a
Brecht, et plus récemment de Grotowski au Théétre du Soleil, on
constate que, depuis a fin du xa" siécle, certaines formes du thédere
traditionnel oriental ont commencé & attrer certains dramacurges,
certains metteurs en scéne occidentaux, comme quelque chose de
plus proche des origines, qui échappait au moule historique occi-
dental. Cest en quelque sorte la quéte rousseauiste des origines qui
soriente vers des espaces extérieurs a I'Burope, en se convertissant en
la recherche de l'autre, duu debors de la civilisation occidentale. On
ne saurait pas réduite rout ce mouvement a une simple variance
culturelle de limpérialisme des puissances d'Occident. Ce qui est
cerain, C'est I'attirance d'un espace dans Jequel régne un autre
378
cemps, différent du temps théo- ique de I'Occident, Paral-
Hlement, de Durkheim a Mauss, Vethnologie institue cout un
espace différent comme son champ d’investigation.
Ta résurgence de Ia grande thématique de l'espace pendant les
années 1950-1960 a été cettainement l'un des moments les plus
intéressants de W'histoite des idées, ot de L'Bipace littéraire * de
Maurice Blanchot & Pierrot le fou ** de Jean-Luc Godaed, dans le
domaine de Ja critique littéraire, dans celui des créations expéri-
mentales, dans celui des sciences humaines, la revalorisation de
Vespace prenait sa revanche contre la toute-puissante domination du
temps et de l'histoire univoques.
ese sans doute superflu d'ajouter que cest précisément pendant
cette période que se constituait une série de discours théoriques aux-
quels on a donné a tort ou a raison le nom de
de Lévi-Strauss reste tout a fait exempl
nécessaite de libérer son champ d’investigation et sa méthode de la
domination du temps hégélien, théo-téléologique, pour assuret
auronomie de sa recherche danthropologie structurale. Cee acte de
Libération n’éraie possible qu'avec le postulat de Ja plutalicé des
spaces et de leur différence par rapport a l'espace occidental.
M, Foucault : Oui, le structuralisme, ce qu'on a appelé strucruta-
lisme, au fond, n'a jamais existé en dehors de quelques penseuts,
cechnologues, historiens des religions et linguistes, mais ce qu'on a
appelé structuralisme se caractérisait justement par cectaine libéra~
tion ou affranchissement, déplacement, si vous voulez par rapport
au privilage hégélien de 'hiscoire
M, Watanabe : Mais, en meme temps, il ext tout a fait ersoné de
confondre le refus du privilege hégélien de W'histoire avec la revalo
risation des événements, de I €vénementialité, c'est ce que vous vou
lez dice?
1M, Foucault : Ow alors qu’au coneraite ~ je ne patlerai pas au
nom de Lévi-Strauss, bien sér, il peue parler lui-méme, et il est
vvenu d'ailleurs ici pour en parler ~, en tout cas pour mé
contraite une cercaine maniére de faire surgirI'événement et de faire
des analyses historiques. On a die que j'étais structuralisee et anti-
histotien, alors que je n'ai tien a voir avec le structuralisme et que je
suis historien, Mais je prends précisément comme objet d ,
Cest-i-dire d'une analyse qui se déroule dans le temps, jessaie de
prendre comme obj é
7 Blanchot (M), L'Epace liste, Pus, Gallimard, 1953.
+ 1965,
37‘aménagement de certains espaces culcurels.
jet analyse.
De lala confusion; vous saver, les critiques, en France ~ je ne sais
pas comment ca se passe au Japon —, sont toujours un peu hats, ils
onfondent trésfacilement ce dont on parle et ce qu’on a dit. Alors
fc de parler de l'espace pour qu’ils considérene qu'on est spa-
iste et qu'on déteste l'histoire et le temps. Ce sont des
absurdités,
M, Watanabe: Il y a des échos assez diceas de ceci au Japon
M, Foucauls : Laissons ga, est vrai eu, au cours des
toite, critiquer les historiens, mais pour éctite |
autrement. Regardez Barthes, il est un historien & mon sens. Seule-
sment il ne fait pas Whistoire comme on l'avait faite jusqu’a présent.
Cela a &cé éprouvé comme refus d'histoire.
Ce qui érait intéressant, c'est de voir que ca a éé éprouvé comme
refus dhs les philosophes. Car les historiens, eux, ne s'y
sont pas trompés; les historiens ont vu les travaux qu'on fuisait, que
les soi-disane structuralistes faisaient, et ils les ont lus désormaais
comme des travaux d'histoire, Is les ont acceptés,
Gs, ils les ont critiqués comme des travaux d'histoire.
. Watanabe : On sait que vous vous référez trés souvent &
torien Femand Braudel et & ses travaux sur le monde méditerranéen.
‘M. Foucanlt : Justement, tous les grands historiens de ce qu‘on
école des Annales en France, je sais que ce n'était pas tous,
lus grand d'entre eux, , Marc Bloch,
avait essayé de
ese une chose importante que le struccuralisme, ce
qu’on a appelé structuralisme, ait essayé de faire apparaftre une
soree de temps différene; autrement di, il n'y a pas un seul temps &
la manitre hégélienne ou bergsonienne, une espéce de grand flux
qui emporterait tout, il y a des hiscoires différentes, qui se super-
pposent. Braudel a fait des travaux trés incéressants sur ces différentes
drées : vous avez des éléments qui restent stables pendant trés
Jongeemps, pendant que les autres se décrochent, et finalement on a
des événements dont les effets ou dont les inscriptions sont de
valeurs et de porrées tout & fait différentes; donc un temps bref et
gues durées; le probléme, c'est de faire 'analyse de ces jeux &
eérieur du cemps.
390
Sasi
‘M, Watanabe : Je ne sais pas si c'est une simple coincidence ou
une nécessité historique, mais cette résurgence de la problématique
de l'espace a correspond @ la fin du regne colonialiste de la France.
1M, Foucault : Oui, Cest une remarque a laquelle je n’avais pas
pensé, mais je crois qu'on pourraic en effet rapprocher la fin de
Tépoque colonialiste et ce fait. C'est-A-dive premigrement que,
espace européen n'est pas espace dans son entier, qu'on vie dans
as qu'une seule
plusieurs durées,
Tes autres, qui se croisent et qui forment précisément les événe-
‘ments. Un événement, ce n’est pas un segment de temps, cest at.
fond le point d'intersection entre deux durées, deux vitesses, deux
Evolutions, deux lignes d’histoi
: Aprés tout, la colonisation impérialiste éeait la
‘obsession du temps univoque sur un espace dif
fre transformé selon le modéle occidental
“objet de mon histoire, cest un pet
tion impérialiste a Vintérieur de l'espace européen
manire des formes de domination sur les individus ou sur
fil conducteur, bien qu'encore
tune fois je ne I'aie pas analysé d'assez prés. Cest le probléme de
Varmée, de l'armée en Europe. Au fond, l'Europe, avant les pério-
des modernes, n'a jamais &cé consticuée par les Erats
féodalité n' aie pas exactement un systéme militaire,
‘me juridique complexe dans lequel, en effet, & certains moments,
cettaines catégories a 1s devaient exercer Ia fonction de la
aguerte, Mais ils n’é
Gait bien la guerre, ils n’étaiene pas
sociéeé n’était pas organisée comme une grande armée ni
modéle d'une armée permanente. Quelque chose comme la légion
romaine, qui avait servi a Rome de modéle a la colonisation, dont
la distribution spatiale des colons
jong du Danube, en Roumanie, ou
ait pas; organisation spatiale de
as une organisation militaire, méme si les per-
sonnages principaux de Ia société, méme ceux qui détenaient le pou-
voir, étaient: coujours en méme temps des guertiers. Les armées
européennes éxaient toujours quelque chose de transitoire, Il
a1venait un moment, une saison, qui éraie d’alleurs toujours
faissient la guerte. Alors on réunissaie des gens q
finie, et souvent méme avant que la guerre ne soit finie, la batalle
perdue ou gagnée, la campagne terminée, repareaient. Donc on était
a Ja fois toujours en guerre, toujours en paix, il y avait des moments
de guerte, mais il n'y avait pas d’espace milicaire. Les armées fon-
daient, puis elles se is elles fondaient de nouveau.
A partic du xv ‘une part a avoir des
armées petmanentes, et du moment qu’elles sont permanentes,
faut bien les localiser & tel endroie du pays, et, d'aucre p
armes particulires, des canons et surtout des fusils, qui impliquent
nnécessairement que les manceuvres, I'emplacement des corps
d'armée, la disposition que Yon adopte pour faire des ba
soient d'un calcul, d'une spéculation trés précise. De sorce
que vous avez une double spatialisation de I'armée: elle existe en
permanence, et il faut la répartir sur le pays; il faut lorganiser de
manitre que ses déplacements, son déploiement, la fagon de se
batere obeissent & des régles spatiales erés précises, C'est la qu'inter-
venaient la discipline de I'armée ee lapprentissage pour renverser le
front, pour transformer la ligne en front.
Liarmée est devenue une espéce de modele spatial les pl
diillés des camps, par exemple, deviennent le modéle de
siécle, au xvut sigcle surcout, pour constituer une
modéle d'une armée, entiérement encadrée pat
y a eu un réve de sociéeé militaire dont eg
rien a ét€ une expression et dont I’Etat prussien en a été Faure.
fon @ un joli probleme d'histoire d'espace.
‘M. Watanabe : Un tris bel article de Deleuze sur votre livre Sum
weiller et Punir Sinsiculait < , Mon, un nOUveAL carro
‘gtaphe > *, Deleuze insistait sur une sorce de mutation qui s était
opérée entre L’Arcbéologie du savoir ee Surveiller et Pamir: jusqu’a
L’Archéologie du savoir, V objet de vorce analyse était les énoncés ou
les choses dites, alors qu’avec Surveiller et Panir votce analyse visait
pace ou le sol auquel éraient liés ces énoncés, la sur-
face sur laquelle ils apparaissaient ~ aux confins du langage, espace,
juadrillent comme un diagramme. Non seule-
die & un certain moment de 'histoire, mais ce qui
Gait fait au méme moment est devenu objet de votre analyse;
+ In Grtigae, 0° 343, décembre 1975, pp. 1207-1227,
celle-ci se donne pour téche de mecere au jour l'immanence de rela-
tions du pouvoir qui ont rendu possible une telle production des
Enonces,
M, Foucault : C'est ca. Disons que mon point de vue, mon pre~
jet était tout de méme I'histoire des sciences. Elle ne faisaie
pas probléme pour Ia phénoménologie. Vous ne trouver pas dans
Sartre, vous ne trouvez méme pas chez Merleau-Ponty danalyses de
la constitution des savoits scientifiques. Ce n'est pas une critique,
est une constatation, voila tour.
J'ai éxé lave d'historiens des sciences, éléve par exemple de Can-
guilhem, et mon probléme a été de savoir s'il ne serait pas possible
de faire une histoire des sciences qui essaie de ressaisir la naissance,
le développement, V'organisation d'une science non pas tellement &
partir de ses structures rationnelles internes, mais & partir des élé-
entre V'analyse inteme des discours scientifiques et
analyse de leurs conditions excemnes de développement. Dans His-
soire de la folie, & la fois essayé de montrer comment la psychia-
tie s'érait développée, quels ehém ait abordés, quels objets
elle avait trai
sol historique sur lequel rout cela
cest-a-dite les pratiques d'enfermement, le changement
des conditions sociales et économiques au xvi siécle. Puis, dans Lez
‘Mots et les Costs, si essayé de teprendre ce probléme, mais de
reprendre le probléme du discours scientifique lui-méme, sans tenir
compte du contexte historique dans lequel il avait joué; analyse ext
cessentiellement, dans Les Mots et Jes Chose, une analyse des choses
ites, des régles de formation des choses dites.
Mais ily avait une autre partie qui restait en suspens ~ on me I'a
assez dit, mais jen avais conscience ~, c était 'analyse des conditions
externes d'existence, de fonctionnement, de développement de ces
discours scientifiques. Simplement les explications qu'on proposait
a cette €poque-lé, qu’on m’a suggérées, qu'on m'a reproché de
it pas utilisées, ne me satisfaisaient pas. Ce n'est pas, me
‘en faisant référence aux rapports de production, ou a
'idéologie d'une classe dominante, que l'on pourrait régler ce pro-
le de la folie ou 'exemple de la maladie
ec 'exemple de la médecine ~ me sem-
ment externe de lorganisation et du développement d'un savoir,
383
190‘ment du obté des relations entre le savoir et le pouvoir que Ion pou
wait faire l'histoire juseement de cette mise en scéne de la vérité,
histoire de ce thédere de la vérité dont vous patlez. Qu’est-ce qui a
zis en scéne I'histoire de la vérité en Occident? Je crois que C'est
znon pas le pouvoir entendu au sens d'appareil d’Bac, mais des relax
tions de pouvoir, qui évidemment sont elles-mémes tres liées 4
toutes les relations économiques, aux relations de production, mais
ce sont essentiellement les relations de pouvoir qui one constitué ce
‘héitre od la rationalité occidentale ec les régles dela vérieé ont joue
M, Watanabe : Dans le premier tome de I'Histoire de la sexua-
4, La Volonté de savvir, vous Etablissez une distinction entre
ncé et le discours. Un discours, surtout s'il s'agit de discours
€, suppose et implique quelque chose qui dépasse le niveau
de Iénoncé.
laquelle philosophie analytique a faie sur les énoncés et les énoncia.
tions toure une série d’analyses remarquables qu'on ne peut pas
méconnaitre. Mais mon probléme était un peu différent. Mon pro-
blame n’éraie pas de savoir comment se formait tel énoncé ou &
quelle condition il pourrait étre vrai, mais de traiter des unités plus
Jarges que les énoncés ~ taiter des énoncés plus larges ne veut pas
dire raiter avec moins de rigueur; le probleme était de savoit com-
‘ment un type de discours p
type de discours, il y a des went et
énoncé n'est pas formé selon ces régles, eh bien, cet énoncé ne peut
as appartenit a ce discours.
Prenons un exemple trés simple. Jusqu’a la fin du xvi" siécle en
France, entre un discours de charlatan et un discours de médecia, il
n'y avait pas tellement de diffécences. Les différences étaient plutse
succés ou I'insuccts, dans les éeudes faites ou pas faites par le
disaient n’éeaie pas tellement dif-
it, a peu de chose prés, le méme. Il
ours médical s'est organisé selon un.
les que l'on peue
¢ bon ou pas bon, mais s'il
est un médecin ou un charlatan. Car il ne patlera pas de la méme
chose, ill ne feta pas appel au méme type de causalits, il n’utilisera
Pas le méme concept. Encore une fois, cela ne veut pas dire que
384
Michel Foucault, Dits et éerits
"un ne peut pas parfaitement
n'éire pas capable d’éere un bon mé
can, mais j
quel
pas dire d'erreurs,
finalement un chasla
dra, pris en lui-
pour ére un discours effectivement
discours médical, quels concepts doi
type de théorie
essayé de (ots et les Chases, en tout cas
i posés dans Les Mots et les Choses et dans L’Archéologie du
‘M. Watanabe : Nous avons dabord patlé de I'espace et du pou-
ensuite du discours er du pouvoi
termes de chaque série d’interrogations intervient le proble
corps. Or on a assisté & une revalorisation du corps dans la pratique
thédtrale depuis les années soixante, dans cette avant-garde théderale
‘qui privilégiai le comps, le travail sur le corps, interrogation sur le
corps de I'acteus, et le phénoméne a pris une dimension mondiale.
Les théoriciens reconnaissaient dans cette revalorisation du comps
Vancichése suratégique vis-a-vis du logocentrisme occidental. Au
Japon subsistait encore un culte de la pratique corporelle dans les
domaines eraditionnels de 1a culture, culte dans lequel cercains
hommes de théitre d'avantgarde voyaient un point d'ancrage
essentiel pour dénoncer toutes ces aliénations -culeurelles
4qu’ont subies les Japonais pendant trois quarts de siécle de moder-
nisation-occidentalisation du pays
Je ne répéterai pas ce dont je vous ai entretenu pl
sais la technologie du corps dans les pratiques
tionnelles, des arts martiaux au thédtce kabuki, préparait sans doute
le terrain pour le dressage moderne du corps, pour implantation de
ute une série de régles disciplinaires centrées sur ce que vous appe-
lez la < technologie politique da comps >. Paradoxalement, dans
avant-garde chédtrae japonais, la fascination du corps et du savoit
corporel était d'aurane plus grande que l'exploitation, par le régime
militaire, de la technologie politique du corps avait éé poussée
jusqu’a labsurde
Or, dans vos livees, le comps, dés le début, a éxé présene: le grand
‘enfermement visait la présence corporelle des fous, et la clinique
stoccupait du corps des malades. Mais avant Surveiller et Punir, le
corps apparaissait, si jose dire comme en filigrane, et C'est précisé-
ment avec ce livre sur les crimes et les disciplines correctionnelles
‘que le corps a fait son entrée non dépourvue d'effets spectaculaices,
385M, Foucault : IL m'a semblé en effec
chose d'important non seulement dans l'histoire politique et écono-
mique, mais aussi dans l'histoire, j'allais dire métaphysique et phi-
losophique de l'Occident. Comment y suis-e artivé justement en
essayant de retracer certe histoire des sciences humaines & partir des
relations de pouvoit? Comment l'homme ese-il devenu dans les
sociéeés occidentales objet d'inquiéeude, de souci ~ question tradi-
tionnelle ~, mais aussi objet de sciences qui ont voulu se présenter
comme des sciences spécifiquement destinées savoir ce qu'était
Thomme, en quoi il consistai, comment soa comportement était
prévisible, Alors de quel c6t€ chercher cela?
Crest ld 08 ce probléme de I'espace est intervenu et m’a semblé
éere une clef. Dans une société de type féodal, bien sa, le corps des.
individus est important. Comment s‘exerce alors le pouvoir poli-
tique, économique et religieux sur le corps? De trois facons, je crois
Premiérement, on exige que le corps du sujet fournisse, produise,
mette en circulation des signes : signes de respect, signes de dévo-
tion, signes d’assujetrissement et de servilité. Ces signes sont donnés
par des gestes, par des vétements. Deuxiémement, le corps est objet
du pouvoir en ceci que l'on a parfaitement le droit d'exercer sur lui
des violences jusqu’a la more comprise. Pas dans n'importe quel cas
ec selon ceraines régles, mais le droit de vie et de mort fait partie
des marques de la souveraineté. Troisiémement, on peut imposer le
travail
il y avait 1a quelque
fécene au faic que les gens se reproduisent ou pas;
il est indifferent a la maniéce done les gens vivent, dont les gens se
comporcent, dont les gens agissenc, dont les gens travaillent.
En revanche, vous voyez, a partir du xvut siécle, dans les sociéeés
cccidentales se développer toute une série de techniques pour dres-
ser et pour surveiller les individus dans leurs comportements corpo-
rels, s clair par exemple pour I’école. En quoi consistait-elle
le apprenait aux gens un certain nombre de choses.
Dans les écoles, jusqu'au débur du xx" siédle, les écoliers se bous-
cclaient autour du maftre qui était au milieu, eux, ouvrant les yeux,
formant un petit paquet autour de lui, artrapant ce qu'ils voulaient
des paroles du maftre. Or on a vu depuis le xvr sicle se développer
jusqu’au xa siéele toute une série de techniques pour apprendre
aux gens ase tenir, a se comporter d'une certaine maniére, et 'école
est devenue simuleanément un dressage physique. On a de plus en
plus exigé que les écoliers se mettent en rang, s‘alignent devant un
536
professeur, que le proviseur puisse regarder a chaque instant ce qui
ait en train de se faire, sils étaient distraits ou pas, s'ils écoutaiene,
ient bien sous la dictée; tout un dressage corporel. La
our Iarmée : dans I'armée aucrefois, il suffisait de
‘arc, bien ou mal, et puis,
manceuvres dont on 2 parlé rout & l'heure,
‘Méme chose pour louvrier: vous aviez
le pouvoir politique,
lans les sociéeés occi-
ressés au corps sur un
mode tout a fait nouveau, sous la forme du dress
lance permanente et de la performance, de l'inten
formances. Il faut toujours en faire
de la productivieé du
comps, até, je eros, la condition historique pour que se développent
les sciences humaines, la sociologie, la psychologie. D'oi, toute une
technologie du corps, dont la psychiatre est finalemene l'un des
aspects dans la médecine moderne.
Cette valorisation du corps, au niveau non pas moral mais au
niveau politique et économique, a été Lun des traits fondamentaux
de VOccident. Et ce qui est justement curieux, c'est que cette valori-
sation politique et économique du corps, cette importance quion
attachaie au corps s'est accompagnée d'une dévalorisation morale de
plus en plus accentuée. Le corps, ce n’érait rien du tour, le corps,
Cétaic le mal, le corps, cétait ce qu’on faisait couveir,
dont on apprenait a avoir honte. Et on abouti, au
ctorienne >, a une sorte de dissociation, de dis-
certainement & Votigine de biea des troubles psy-
iduels, peut-étre aussi de troubles collectifs et
calturels plus larges : un corps survalorisé économiquement et un
corps dévalotisé moralement.
‘AM. Watanabe : Comme vous l'avez montté hier dans votre sémi-
naire de I'universieé de Tokyo, l'atticude négative vis-a-vis du corps
1'a pas éé V'invention du christianisme, tel qu'on Iimagine tits
souvent ~ véritable liew commun ~, elle existait déja chee les stoi
ciens romains. Le chtistianisme a introduie et généralisé une tech-
nologie de pouvoir centrée sur le corps et sur le sexe, ce que vous
appelez le < pouvoir pastoral >.
M, Foucault : Ces oa
‘M, Wasanabe : Votte remarque sur V'é&cole me rappelle Le Réveil
sar
1978du printemps de Wedekind que jai va il y a quelques années &
TOdéon. La pitee de Wedekind n'est-elle pas une sorte d'image
caricacurée du Philanthropinum * dont vous analysez le fonctionne-
ment dans La Volonsé de savoir?
M, Foucault : Absolument, Vous avez dans le théitre allemand
toute une tradition qu'on connate d'ailleurs assez mal, du théétre
pédagogique. Il a l'école pour scéne; vous avez Le Pricepteur de
Lenz qui est directement lié au Philanthropinum, Lenz a écrit son
texte d partir des expériences pédagogiques du xvur siécle, et mal-
hheureusement les metteurs en scéne francais qui I'ont monté n'ont
pas eu conscience de cela, C'érait une pigce directement lige a une
sctualité presque technique: la réforme de lenseignement. Le
Réveil du printemps de Wedekind, un siécle apres, continue & poser
e méme probléme,
M, Watanabe: Comme le nom de Lenz vient d'éxre évoqué,
i'simerais bien parler d'un jeune merteur en scéne francais qui a fait
ses déburs il y a une quinzaines d'années avec Les Soldats de Lenz —
décidément, ce soir, on ne saurait échapper a Varmée et & la disci
line ~ j‘entends Patrice Chéreau. Vous m'avez dit que l'année der-
nie vous aviez assisté aux représentations du Ring monté par
reau-Boulez & Bayreuth. Dans Le Réveil du printemps,
tout a l'heure fat allusion, on entendait également quel-
‘ques morceaux de Wagner en tant qu’élément de la mise en scene.
Il est peut-ttre temps que notre dialogue, en convergeant vers le
Gorterdammerang, se précipice & son terme, Mais avant de venie &
‘Wagner, voulez-vous nous parler un peu de vos amis? Par exemple,
de Gilles Deleuze dont le nom & été évoqué tour au début de notre
cntretien, ou de Pierre Klossowski, ou encore de Georges Bataille,
de Maurice Blanchot, qui scintillent & travers vos livres comme une
sorte de constellation magique. Ou bien de Claude Mauriac, qui, &
miéme la vie privée, évoquait dans son livee Et comme Pespérance est
vialente ** les figures inattendues de certains intellectuels parisiens,
en particulier dans leurs activités politiques — es enquétes que vous
meniez sur l'arrestation illégale d'ouvriers immigrés ou Maction du
Groupe d'information sur les prisons ~, eémoignages personnels trés
importants sur ce que vous faites en tant que militant.
M, Foucault : Alors parlons des amis, mais je ne vous patlerai pas
amis en tant qu’amis. J'appartiens peur-éere @ une génération un
* Allusion & une fede ducation sexuelle exganisée par Basedow en 1776 dans
son cllige philachropique
‘* Mauriac (C), Et comme Pepérance et iolonte, Pts, Grasse, 1976.
Mmichet Koucanit, Wits et écrits
sortes d'organisations ou de groupes p de pen-
sée ou de cercles académiques; l'amicié, c'est pour moi une sorte de
franc-magonnetie secréte. Mais elle a des points visibles. Vous par-
liez de Deleuze qui est évidemment quelqu’un pour moi de tres
important, je le considére comme le plus grand philosophe francais
actuel
M, Watanabe: «Le siécle & venir sera deleuzien? >
M, Foucault : Permettez une petite rectification. Il faut imaginer
dans quel climat de polémique on vie & Paris. Je me souviens trés
bien dans quel sens j'ai employé cetee phrase. Mais la phrase est
celle-ci: actuellement - Cétait en 1970 — trés peu de gens
conaaistent Deleuze, quelques initiés comprennent son importance,
‘ais un jour viendra peut-éere od < le sile se
adie le « sicle > au sens chrétien du terme, lopin
opposée a I'élice, et je dirais que a n’empéchera pas que Deleuze est
sophe important. C'érait dans son sens péjoratif que j'ai
employé le mot . Oui, Deleuze, c'est quelqu'un de ts
important pour moi. Klossowski, Bataille, Blanchot ont été pour
i erés importants. Et je crains bien de a’avoir pas fait dans ce que
éctit Ia pare suffisante a linfluence qu’ils ont dé avoir sur moi.
Je arois que ‘que par ingratieude.
Je dis par timidicé, parce que je considére leur ceuvre lictéraire ou
pPhilosophique comme tellement plus importante que ce que je peux
faire, que je ttouve de mauvais aloi de valor
j'essaie de faire, en le placent sous le signe, sous
‘noms comme on se protége par quelque divinicé, e je ne veux pas
‘me protéger, surtout pas par les gens que je considére trop pour les
convoquer & mon. parrainage,
Actuellement, il m'artive de rencontter des étudiants qui me
demandent, quand je prononce le nom de Blanchot : < Qui est-
M, Watanabe: A ce
la! Crest scandaleux!
ls savent un petit peu, Bataille égale-
‘ment, mais je me suis die que finalement mai res, on
te qu'on leur
inées 1950, ont
premiers, d'abord & commences & nous faice sortir de le fascination
hégélienne dans laquelle on était enfermé, en tout cas qui nous sur-
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1978plombait. Deuxiémement, cest eux qui ont fait les premiers appa-
raftre le probléme du sujet comme probléme fondamental pour la
Philosophie et pour la pensée moderne. Autrement dit, depuis Des-
cartes jusqu’a Sartre — je ne dis pas ca de fagon polémique -, il me
semble que le sujet était bien considéré comme quelque chose de
fondamental mais auquel on ne touchait pas: il était ce qu’on ne
smettait pas en question. De ld vraisemblablement, cest en out cas
ce que Lacan fait remarquer, que Sartre n'a jamais admis
Vinconscient dans Je sens freudien, L'idée que le sujec n’ese pas la
rme fondamentale et otiginaire, mais que le sujet se forme a pastir
d'un certain nombre de processus qui, eux, ne sont
la subjectivité mais d'un ordre évidemment tres di
et faire apparaitre,
sujet lui-méme,
istoire; le sujet n'est pas ;
wvait die? Freud sans doute, mais il a fallu que Lecan le
aftre claitement, d'od importance de Lacan. Bataille
d'une certaine facon, Blanchor a sa maniére, Klossowski
également fait, je crois, éclater ceete évidence originaire du
ont faie surgir des formes d'expérience dans laqu:
sujet, son anéantissement, la rencontre de ses
‘clement hors de ses limites montraient bien qu'il n‘avait pas cette
forme originaire et aucosuffisance que la philosophie classiquement
lui supposaic.
Ce caractére non fondamental, non originaire du sujet, Cese
ois, qui est commun a tous ceux qu'on a appelés les
3 et qui a suscité de la part de la génération précédente
ou de ses ceprésentants tellement d'irtation, c'est vrai dans la psy-
chanalyse de Lacan, i dans le structuralisme de Lévi-Strauss,
dans les analyses de Barthes, dans ce qu'a fait Althusser, dans ce que
j'ai essayé moi-méme de mon o8té, A ma maniére, que nous étions
tous d'accord sur ce point qu’il ne fallait pas partir du sujet, du
sujet au sens de Descartes comme poine originaire partir duquel
tout devait étre engendré, que le sujee Iui-méme a une gendse. Et
Par 1d méme se retrouve 1a communication avec Nietzsche.
‘M, Watanabe : J'ai mis notre encretien sous le signe du chéétre,
ce n'est pas en me référant seulement au théétre tel qu'il se pra
tique, mais en pensant précisément a Nietzsche, dont Y'ombre
semble dominer toute réflexion théétrale actuelle, Vous-méme,
dans ce beau texte < Nietzsche, la généalogie, Phistoire * >, cout
‘comme Deleuze ou Klossowski dans leurs écrits sur Nietzsche, vous
Voir sapra 9° 8
Michel Foucault, Dits et terits
ee sur I'importance du probléme du théaere dans la pensée de
jetzsche,
Je voudrais revenit dans ce contexte au Ring de Chéreau-Boulez,
que vous avez vu. Moi-méme, j'ai eu Ja chance de le voir et de
écouter lors du centenaire du Festspielhaus a Bayreuth et je compte
yy Fetourner encore cece année, Nous avons déja parlé du travail de
(Chéreau, & propos de sa mise en scéne de Le Dispute de Marivaux,
vun travail absolument passionnant, qui remettait la pide de Mari
vaux dans le contexte historique et philosophique du xvit' side
francais, dans un horizon, ¢ dire, o& Rousseau et Sade
séchangent leurs réflexions sur l'éducation, sur le dressage du corps
et de I'ame, sur la violence méme du regard pédagogique. Et si ma
mémoite est bonne, Vauceur du prologue que Chéreau a ajouté dans
sa mise en scéne était quelqu’un que vous connaissiez bien. C'est
Frangois Regnault, qui a aussi collaboré au Ring du centenaite?
M, Foucault : Oui, cest Francois Regnault. Je le connais depuis
dix ans.
M, Watanabe :
L'Echange de Cl
M, Foucault: Cest a.
‘M, Watanabe ; Et comment avez-vous trouvé le Ring?
M, Foucault : Boulez, je le connais depuis longeemps, puisque
‘nous avons le méme age, et que je I'ai renconeré quand nous avions
vingt-deux, vingt-trois ans I'un et l'autre. A ce moment-li, je
‘ai x6 a ce cycle Wagner —
, mais ce a
est le frére d’Anne Delbée, merteur en scene de
pas la seule raison ~,
a toujours eu a
propos du Ring cecte méconnaissance, dans la culture occidentale,
des valeurs du théétre et une réduction de Ja pare thédtrale de
Toeuvre de Wagner au profit de sa seule dimension musicale. Oa
écourait Wagner, on ne voyait pas Wagner. Les mises en scene trés
belles de Wieland Wagner avaient cout de méme essentiellement
‘pour fonction d’exalter la musique et constituaient une sorte de sup-
pport visuel pour une musique, dont Wagner a tout de méme voully
spatialement qu’elle soit au-dessous.
M, Watanabe : Qu'on Vappelle opéra ou qu'on l'appelle drame
musical, il faut qu’on le voie: cese un théiur.
M, Foucault : Cest ga. Encore que la musique soit en dessous,
celle doit soreir de la scéne sur laquelle sone des personnages visibles,
so
1978IL ne doit méme pas y avoir ceree espéce d'écran entre les specta-
eurs-auditeurs et la scéne comme dans l'opéra classique.
Or Chéreau a parfaitement vu ¢a, et on dirait que c'est son
tier, il faisaie ce que l'ceuvre revendiquait de sa part. Mais ce qui
érait admirable, c'est que Boulez, grand musicien et grand chef,
en ese actuellement, a parfaitement accepré de jouer le jeu.
Deuxiémement,
savoir que Nietzsche, ce n'est pas cela,
des choses proptement antisémi
pas éxre dite simplement pensé:
‘Wagner non plus, quelles qu’aient é
sche, Wagner était au fond essentiellement anarchisant, en tout cas,
sa pensée politique écaittrés différente. Er je crois que Chéreau a fait
quelque chose de trés important en comprenant cela et en permet-
tant, a travers sa mise en scéne, qu'on revienne aux textes de
‘Wagner qui sone des textes trts intéressants; le chéétre de Wagner,
‘ce n’ese pas simplement une sorte de déclamation iythologique u
peu rétrograde servant de support et d’accompagnement &
‘musique. Ce sont des drames imporeants qui ont un sens hist
que Chéreau a parfaitement montré.
Ex rroisitmement, Wagner, comme Schopenhauer et comme
Nietzsche, est I'un des rates qui aient posé le probléme du sujet en
des termes non cartésiens Ila essayé de voir comment la con
occidentale du sujet était une conception tout de méme trés
‘et que celui-ci ne pouvait pas servie de fondement incondition:
I sa rencontre avec I'Ori
‘nous a imposée notre culeure depui encore, je
crois, I'un des enjeux des luttes actuelles, La ese mon intétée pour le
bouddhisme zen
M, Watanabe : Bffectivement, on dit que vous allez passer quel-
ues jours dans un monastére zen, il faudra revenie a la probléma-
tique du corps.
M, Foucault : Justement, dans Vhistoire que jessie de faire des
techniques de pouvoir en Occident, des techniques qui portent sur
les corps, sur les individus, sur la conduite, sur les anes des indivi-
dus, jai écé amené a faire une place erés importante aux disciplines
cchrétiennes, au chtistianisme comme formateur de l'individualité et
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de Ia subjectivité occidentales, et j'aimerais beaucoup, & dire vrai,
comparer ces techniques chréxiennes aux techniques de la
P bouddhiste ou extréme-orientale; comparer des tech-
niques qui jusqu’a un certain poine se rapprochent; aprés tout, le
monachisme occidental et le monachisme cheétien étaient marqués,
décalqués sur le monachisme bouddhique, mais avec un effet
voir comment, travers des techniques apparemment trés sem-
étisme, de méditation, a travers cere ressemblance glo-
bale, on arrive a des résultats tout & fait différents, Sans doute parce
"il y avait des techniques pour des choses obligacoirement dif-
frentes. Voila le premier point, et, & vrai dir, le second poine serait
de pouvoir trouver dans un pays d'Extcéme-Orient des gens qui
STintéressent eux aussi a ce type de probléme pour qu’on puisse
faite, s'il est possible, des érades, sinon paralléles, du moins cx
qui puissent se faire écho, écho les unes aux autres, sur la discipline
du corps ou sur Ja constitution de I'individualie
M, Watanabe : Comme vous savez, la spisituaité japonaise pas-
sait toujours par le corps et la part du langage y étaie erés difference
par rapport a la spiritualité chrétienne. C'est un point. Et puis dans
la société japonaise moderne, qui s'est constituée d’aprés le modéle
cccidental du xix" sidcle ~ la modemisation voulaie dire occidentali-
sation selon les normes politiques, économiques, sociales, culeurelles
de la société occidentale du x1x' siécle -, les Japonais se préoc-
cupaient surtout de I'instauration du sujet occidental, cartésien.
Apres ‘exploitation arriérée de la technologie du corps par le
régime fasciste, la constitution du sujee moderne & l'occidentale a éxé
considérée comme une libération par rappore a 'assujettissement
jal, comme enjeu essentiel de la démocratisation du pays.
Dio’ le succis de Wexistentialisme, qui a eu une plus longue vie au
Japon qu’en France. Mais on s‘incerroge également sur la lacune la
plus importante dans 1a constitution de l'individualité moderne,
qui ese celle du christianisme. Le probléme que vous posez jetterait
tune lumiére sur cette espéce de décalage qui n'est pas simplement
ordre historique, mais aussi dordre culturel. Or vous avez
commencé votre conférence hier @ I'université de Tokyo par une
femarque sur le double phénoméne qu'on constate au xix" sicle en
Occident, dans le domaine de la sexualité : le refus de son propre
393,désir qui se manifeste comme hystérie et Ja surabondance du savoir
sur la sexualité qui rendait possible toute une série de sciences
sexuelles. Dans La Valonté de savoir, vous insis
‘méconnaisse pas
est le deuxitme phénoméne qui conscicue I'élément ess
dispositif de pouvoir.
Nous n’avons malheureusement pas ici le temps de discuter sur
Tinciration au discours sur le sexe et sur la censure, encore assez
archaique, en tant que phénoméne trés japonais, Mais cout de
méme, dans une sociéeé qui s'imagine saturée d'informations et de
savoir, quel s6le attribuez-vous aux intelleceuels?
M, Foucault : Cesc un peu de ce sujee-la que je voudrais pasler
"Asahi *; je dirais briévement que l'intellectuel me pataft
as tellement le rdle de dire des vétités, de dire
ues pour l'avenir. Peut-tere le diggnosticien du
présent, comme je disais tout a l'heure, peut-il essayer de faire sais
train de se passer, dans les domaines précisé-
est peut-étre compétent, Par le petit geste qui
le regard, il rend visible ce qui est