DE L’APPRENTISSAGE DE LA TRADUCTION
À propos d’
In the Sky
Bien que je sois née loin du pays d’Octave Mirbeau, je peux dire sans exagérer que ledreyfusard était l’alpha et l’oméga de mon éducation d’écrivain jusqu’à présent !’anarchistequ’il était serait, j"imagine, am#rement amusé d’avoir autant affecté la ressortissante d’un $tataussi lointain que les $tats%&nis'e n’avais gu#re plus d’une vingtaine d’années quand Bob (elms, un anarchiste de)hiladelphie, m’a flattée en m’adressant une requ*te inattendue
+ puisque j’étudiais et le franaiset la littérature des exclus, accepterais%je de l’aider à traduire en anglais le roman d’un grandanarchiste franais du -.-
e
/!es 0uvres de Mirbeau qui ont eu le plus de succ#s, de son vivant et apr#s sa mort 1
Le Journal d’une femme de chambre
,
Le Jardin des supplices
,
Les affaires sont les affaires –
sontdepuis longtemps disponibles pour les lecteurs anglophones Mais son roman
Dans le ciel
n"a jamais paru en anglais 2e court roman, qui est plus autobiographique, intense, et m*me plustragique que le cél#bre et brutal
Journal
, était à peine disponible en franais )ubliés en feuilletonen 3456%3457, les chapitres de
Dans le Ciel
n"avaient jamais été collés ensemble avant l"éditionque )ierre Michel et 'ean%8ranois 9ivet ont fait para:tre en 3545;vec la fierté irréfléchie de la jeunesse, j’ai accepté <i j’avais su à quel point je n’étais pas pr*te à entreprendre ce travail, j’aurais eu trop honte 2ar, outre mes connaissances fortincompl#tes de la langue de Mirbeau, je ne savais pas combien j’étais encore inexpérimentéedans la mienne en tant qu’écrivain 2ertes, j’avais l’ambition de devenir un jour un écrivainanglophone, mais jusque%là je méritais bien de n’avoir pas encore rencontré de succ#s = et jen’avais pas encore bien compris que traduire un texte littéraire est en soi un véritable acted"écriture .l ne faut pas seulement rendre le sens du texte, mais aussi son raffinement et sonoriginalité <i d’innombrables lecteurs ont injustement reu une mauvaise impression d’un auteur étranger, c’est souvent parce que le traducteur était un écrivain maladroit >u moins ai%je fait mon possible <i la jeunesse est présomptueuse, elle n’est pas économede ses efforts, et je me suis mise au boulot avec appétit ? l’époque je ne possédais pasd’ordinateur 'e tapais mes contes en anglais sur une vieille &nder@ood, petite luddite que j’étais,au grand déplaisir de mes voisins qui voulaient dormir = quant à
Dans le ciel
, j’en ai gribouillé latraduction sur une série de cahiers d’écolier, que j’envoyais à Bob (elms, à )hiladelphieAnfin, apr#s un nombre infini d’heures passées à besogner de la sorte, j’ai expédié à Bobquelques diaines de feuilles, dont j"étais toute fi#re, mais qui étaient farcies de fautes de style enanglais, d’erreurs de compréhension du texte franais et de phrases maladroites, sans parler destaches de café .l n’en demeure pas moins vrai que ce travail, si imparfait qu’il fCt, me faisait faire, sansque je le sache, les premiers pas vers l"acquisition de cette technique m*me dont la manquem"emp*chait de bien achever mon travail
+ quine ans plus tard, il m"est en effet loisible deconstater que les derni#res phrases de cette tentative ne sont pas aussi maladroites que les premi#resD2’est un cliché de dire que le meilleur apprentissage, pour un écrivain, est la lecture desgrands auteurs 2"est une idée qui n’est certes pas fausse Mais elle risque d’induire en erreur,dans la mesure oE elle cache une partie de la vérité 1 une part de vérité importante, que je n’avais
jamais lue ni entendue, et que je n’aurais peut%*tre jamais découverte si je n’avais pas eu lachance de rencontrer (elms et son projet mirbellien.ci il n’est peut%*tre pas inutile d’établir un parall#le avec l’éducation d’un jeune peintre,tel que !ucien de
Dans le ciel.
!ire les 0uvres des grands est essentiel Mais un apprenti écrivainqui les lit passivement, puis essaie d’écrire son propre récit, sans étape intermédiaire, est commeun jeune peintre qui étudierait un portrait du Fitien pendant une heure avant d"aller peindre son propre chef%d"0uvre .l a bien reu, en contemplant le Fitien, une idée générale des techniquesmises en 0uvre, mais il n’a pas été obligé de faire attention à chaque coup de pinceau
= ni sesmuscles, ni son cerveau n’ont subi les travaux pratiques qui donneraient du naturel à ses proprestraits .l n’a fait qu’admirer2’est pourquoi les jeunes peintres sont priés par leurs ma:tres de ne pas simplementregarder les toiles classiques, mais d’en faire des copies à la main Fravail inutile, apparemment,on gronde peut%*tre sur le coup Mais si les jeunes avaient une vraie et profonde compréhensionde la somme de Gtravail inutileH qui leur est nécessaire avant d’avoir l’ombre d’une chance deréussite artistique Isans m*me parler de réussite commerciale JK, il n’y aurait pas un seul véritableécrivain, musicien, ou peintre dans le mondeD2ependant, pour un jeune écrivain, il serait inutile de dactylographier le livre d"un ma:tre,aussi grand qu"il soit !e coup de pinceau de l’écrivain, ce n’est pas la frappe sur le clavier
+ c"estle choix précis des mots )our apprendre ce métier, il faut alors traduire Lecréer les pensées etles images du ma:tre dans un autre idiome= faire le travail technique nécessaire pour perfectionner le dialogue, l’assonance, et le rythme = c"est là que l"écrivain trouve son véritable travail pratiquedans la technique, sans devoir se soucier encore de btir la structure du texte IMais en traant, phrase par phrase, les éléments de cette structure, l"écrivain se familiarise, au fur et à mesure,avec les techniques d"organisationK<i je réussis enfin à faire du bien à l’ombre de Mirbeau en faisant para:tre
Dans le ciel
dans ma langue maternelle, force m’est de reconna:tre qu’il m’aura fait mille fois plus de bien enm’apprenant à écrire Mais, heureusement pour ma réputation, cette version d’apprentie de
In theSky
n’a jamais vu le jour Nuine ans se sont écoulés)endant ce temps j’ai appris le métier de journaliste et la rédaction, avant de voir .nternetles détruire = j’ai approfondi, d’une mani#re plus sérieuse qu’avant, mes études et de la languefranaise, et de l"anglais = et enfin j’ai écrit trois romans An somme, j’ai poursuivi mon cheminsur la route interminable de l’apprentissage à laquelle Mirbeau m’avait introduite? la fin de 637, j"ai reu un courriel de )ierre Michel et de 2laire 9ettleton
Dans le ciel
, et ils m"ont offert l"opportunité decorriger une transcription de la traduction que j"avais jadis envoyée, chapitre par chapitre, à Bob(elms et qui avait été GmiraculeusementH récupérée, en passant par la 9ouvelle%PélandeAn redécouvrant mon ancien travail, je me suis vite rendu compte qu’il me restait pas mal detravail à faire J 2ar il n"était pas question de me contenter de corriger
+ il fallait carrément réécriretoute la traduction Mais cette fois, à défaut d’*tre tout à fait pr*te 1 les techniques des métiers nese perfectionnent jamais, surtout pas à la veille de la quarantaine 1, j"étais du moins beaucoupmieux armée
1
2laire 9ettleton a eu le grand mérite de dactylographier les feuillets manuscrits, pas toujours faciles à déchiffrer, qui avaient pu *tre récupérés Lobert Piegler, pour sa part, a accepté de traduire les quelques parties manquantes 2’est ;nn <teringer qui a relu et corrigé le tout et mis au point la version définitive I9>!LK
!es leons techniques que j"ai apprises la premi#re fois que je j"ai traduit
Dans le ciel
sontdifficiles à préciser = mais ce n"est pas tout à fait une coQncidence si, peu apr#s cette tentative, j"aitrouvé un premier poste dans un journal professionnel Ijusque%là, ma seule expérience journalistique se limitait à des journaux étudiantsKAn relisant le texte franais de
Dans le ciel,
j’ai été étonnée par la profondeur de l’effetque ce roman avait eu dans mon inconscient !e danger de l"art, et surtout du GsurenthousiasmeH,était devenu un des th#mes de mes propres romans, et aussi de ma vieMais l"0uvre mirbellienne qui a le plus affecté mon écriture au cours des années est, sansdoute,
Le Journal d'une femme de chambre
, livre qui ne traite pas de la vie des artistes, mais desservantes et des bourgeois 'e l"ai lu afin de me préparer pour la premi#re tentative de traductionde
Dans le ciel
, et je viens de le relire? cette époque%là, je travaillais moi%m*me comme servante '"ai grandi dans un tout petitvillage de l";mérique profonde, au nord, tr#s pr#s du 2anada = il n"y avait qu"un seul professeur d"anglais, partagé entre tous les él#ves de mon lycée 2"était un homme intelligent, mais il n"a puenseigner que la composition la plus rudimentaire ? l"université dans laquelle je me suis ensuitefait accepter, les cours d"écriture étaient infectés par une certaine idéologie d"écriture, quiemp*chait l"apprentissage du style au profit d"une corruptrice et fausse gentillesse petite% bourgeoise '’ai fini par me rendre compte que c"était à moi%m*me de m"apprendre à écrire)endant cette autoformation, comme je n"avais appris aucun autre métier 1 ayant dédié tout mon petit esprit à la littérature 1, j"ai dC travailler comme plongeuse, ou, les jours de chance, commeserveuse à table2’est pourquoi, quand j’ai lu
Le
Journal
pour la premi#re fois, étant jeune et me trouvant,moi aussi, dans un état de servilité, 2élestine était, à mes yeux, la gentille héroQne, et les ma:tresétaient les vilains, point J 2omme dans un film de >isneyD )endant la plus grande partie decette premi#re lecture du roman, je n"ai pas trop réfléchi sérieusement aux subtilités de soncaract#re + ni à sa complicité dans les crimes de 'oseph, ni au meurtre du furet, ni à ses pulsionssexuelles Mais dans le dernier chapitre, d#s que 2élestine se retrouve dans son propre café, à trRner sur ses propres serviteurs, j"ai rencontré ce tout petit passage, que je n"ai jamais oublié +
Il est rai !u'en trois mois nous aons chan"# !uatre fois de bonne... Ce !u'elles sont e$i"eantes, les bonnes, % Cherbour", et chapardeuses, et d#er"ond#es &... on, c'est incroyable, et c'est d#"o(tant...
;pr#s seie chapitres de plaintes contre les injustices de ses ma:tresses, voilà qu’on entend denouveau la voix de la ma:tresse 1 impossible à satisfaire, dure, et égoQste 1, mais, cette fois, dansla bouche de 2élestine elle%m*me J >ans un premier temps, je ne l’ai pas trouvé réaliste, cechangement brutal de caract#re Nuelques mois à mener une vie de bourgeoise, et elle étaitdevenue aussi méchante / .mpossible JMais les chapitres précédents étant d"un réalisme impeccable, je me suis interrogéedavantage .l m’arrivait asse souvent de servir d’anciennes serveuses, qui étaient en effetsinguli#rement agaantes .l m’est souvent apparu que ces femmes, qui étaient malheureuses, nevoulaient pas que les nouvelles filles subissent une carri#re moins
abrutissante
que celle qu"ellesavaient elles%m*mes endurée At il leur arrivait souvent de faire précéder leurs requ*tesexcessives d’insultes, telles que + S Nuand j"étais serveuse, moi, il n"a jamais été nécessaire de medemander de remplir un devoir aussi essentiel que a, mais puisque vous *tes si incompétente T
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