De Méne AUTEUR:
org savor et power, Seciooge historique
‘de champ chonigraphiue (te proviso),
Apart (PUL, Len, 2001),
| Limaginaize dans le processus d'incor-
Dorion du mater de dnnscury Las mas
Phas du corp, ourage collec
‘matian, collection « Critiques lntéraires
ous ln direction de Clase Fint, Pais,
00.
APPRENDRE
PAR CORPS
Socio-anthropologie
des techniques de danse
Sylvia Faure
La DisputeCuapitre IT
CADRES THEORIQUES :
PENSER L’INCORPORATION
DES SAVOIRS ET
DES SAVOIR-FAIRE
(On ne saurait traiter des modalités incorporation
sans exposer au préalable les hypothéses qui structa-
rent notre analyse ni sans rappeler Ies propositions
théoriques avec lesquelles elles sont en discussion. La
difficulte de cette tiche est que notre sujet dérude
inserie pleinement dans les domaines de ta sociologie
et de Panthropologie, tandis que la psychologie a
‘éveloppé plus systématiquement que ces derniéres
‘des concepts et des raisonnements utiles pour com-
prendre les processus d'apprentissage corporel. Notre:
Position théorique s'en trouve compliquée, puisque
hnous sommes amenée & ebraconners sur les terres de
la psychologie, alors que ses protocoles de recherche
(tant théorique que méthodologique) ne correspon-
8sApprendre par corps:
dent pas nécessairement a ceux qui sont mobilisés
dans la démarche sociologique. Liintérét de la recher-
che tient sans doute en partie dans cette ouverture
Vinterdisciplinarité. Lessenticl reléve cependant une
approche sociologique au sein de laquelle Pincorpo-
ration se présente comme un objet construit sur les
plans théorique et méthodologique."
‘Comment apprend-on par comps? Qu'est-ce qu'in-
corporer des savoir-faire? Ex qu’est-ce quit s'incor-
pore? Des concepts sont associés a ces questionne-
ments: savoir-faire, mémoire du corps, programme
action, schémes d'action et de pensée, habitudes,
‘te. Ces derniers renvoient i Pidée que les principes
action prennent racine dans des expériences pas
sées, ol ils se sont constitués,
En écho a ces concepts, les notions d’simages, de
sreprésentations, de sealeul stratégiques, ete» propo
sent une vision cognitiviste (dans la psychologic
cognitive) ou rationalise (les sociologies de V'acteur
rationnel) de la pratique. Dans la plupart des modéles
théoriques traitant de telles questions, ces familles
conceptuelles sont opposées. De la sorte, la dualité
ccartésienne du corps et de Pesprit se trouve réactives,
fen meme temps qu’elle est associée a une autre oppo
sition traditionnelle, celle de individu (les détermi-
nants individuels et corporels de Papprentissage
‘moteur, la subjectivité de Pacteur) face a la société ou
4 environnement (les conditions extérieures de Pap
prentissage ou les déterminants objectfs et sociaux de
In socialisation).
La logique scientifique & eruvre dans ces modes
de raisonnement s'est constituée historiquement 4
partir de Pobjectivation des éléments constitutifs d'une
1 Bernard Lahr soutigme que les socfologucs font davanta-
2 jouer un role thetorigue ct strtégigue sue theoigue See
Soncepie danse ur des'opposertdsutzet modeler du social
Gebeationnts.). ethan Lake EHomme larson
ke
eae
‘réalité complexe’, poursnivant Pillusion que leur iso
aoe ~_
tion et Ia simplification qui en découle, conduit & une
plus grande connaissance de la réalité étudiée. Or, si
este démarche séparatisteconsttue une ape indis-
mnsable a Pétabliseement des savoirs scientifiques les
Sciences sociales et humaines se confontent ala diff
cute Pun vobjet» qui échappe en partie a cette log
‘que, Bn effet; le comportement des individus, leur
Dratiques, leur spsychologie», d'une part ne sont pas
‘-temporels — ils se modifient au cours du temps —,
autre part en tant qu’sobjets+ contextualises’, ils
Siinscrivent dans des configurations sociales plus ou
‘moins complexes, toujours tramées par des pratiques,
Tangagiéres.’ Lienjew scientifique consiste donc a
‘observer les seffetsy du contexte sur la (ou es) log
‘que(s) des pratiques étudiées, et non a présupposer
tine loi générale & toute action qu'un «terrain experi
‘mental dobservations rendrait incontestable.
‘Autrement dit, nous étudions des pratiques en
‘rapport avec leurs conditions de réalisation et en lien
avec les réseau relationnels oi elles prennent forme
tt sens, en saisissant de quelle manire elles «prennent
corpse chez les individus singuliers que sont les
of Norbert Fling, Qu’er-ce que la sciloic?, Faions de
Paube, Latour Algae, 1991
3. Lerade hintorico-sociologique de Nodbert lias de ind
suavom const (ent tes daisies) du dune
Opporiion au cnouss'a ete d'idemtfer le moi en prenant de
Pisiane ede sovmerpe tale sna cn pe,
‘nt pour vabjets execu en dant smon Apes sma personnes
won corpar Norbert Eis eemargue que le fat depart de
wom corpus lise penser que la personne siete exterior
‘Ae ce con ican corp come on segufert un habit. Ch
‘Nonbert Lila Za Sas det deus, op cing 249-247
4, Bernard Lah ig cpt wt nls Soin
Togigues sur le finputnc turn, Suite a4 “dialogue sur Pespace
buble entre ceith Michel Baker et Roger Charter» Petes,
BPaT 1904, p. 188-102,
87re par corps
‘apprentis danseurs. Ces activités se déroulent dans des
contextes interrelationnels dont les proprigtés sont
appropriges, scorps et ame» pourrait-on dite, par les
pritiquants. Une telle affirmation n’est pas la tradue~
tion d'un sociologisme naif. Le domaine de la psycho-
logic, et plus particuliérement celle du développement
du comportement (ou de la conscience), est riche de
théses en rupture avec la thése de la primauté biolo-
Bigue. Pour Lev S. Vygotski, notamment, Papprentis-
sage permet le développement, non Pinverse comme
le pensait Jean Piaget.” Parce que les humains nais-
sent avec tn handicap par rapport aux animaux (les
‘quelques instincts conservé & la naissance se perdent
rapidement et ne permettent pas une autonomie de
survie) ils ont compenser leurs manques en trou.
vant des ressources a Pextérieur deux-mémes: dans
leur milieu social, chez les autres. «Leurs dispositions
biologiques sont donc adaptées 4 un mode de vie
collect."
De Pintériorisation/appropriation des propriétés
relationnelles résultent, selon Vygotski, les opérations
de la pensée susceptibles de réguler les montages
comportementaux. Par conséquent, il n'y a pas oppo
sition entre comps (action, affection, émotion,..), pen
sée et langage, mais interdépendance, Vygotsii amene
A penser que les actions ne sont pas totalement déter~
‘minges par une logique pratique et corporelle décon-
nectée de toutes possibilités dle distanctation reflexive
et de prises de conscience. II précise d’ailleurs que si
‘nous séparons la pensée de la vie, dela dynamique et
des besoins, si nous la privons de toute réalit, devant
nous se fermeront toutes Jes voies de découverte et
explication des propriétés. Nous priverons la pensée
de son role principal, qui.consiste & déterminer notre
3. Gh Yves Clot, Tatzoduction» Avec Voki, sous ta dice
fon aves Cot, La Dispute, Pars, 1998.
6. Norbert Elias, La Socld der indi, of it. 252,
88
k
Cadres théoriques..
imanigre de vivre et notre comportement, & changer
nos actions, a Jes orienter, nous ibérer de Ta situa
tion conerétes’. Si est toujours possible qu'une expe
Fence-déclic’intervienne dans le processus 'aequls
tion des savoirs ot det savoitfaire, Papprentissage
reste le facteur premicr dela formation et de P'évolt=
tion des compétences des individus. Fin effet, selon
Vygotsi, une expérience-décic, & ravers laquelle les
enfants ou les dves comprennent quasi soudaine=
ment ce qu'ils ne saisissaient pas auparavant ext
rendue possible par la «zone prochaine de développe-
‘ments, désignant pa lun seull dans Pacquisition de
Savoir-faire ou de possibiltésintllectuelles, 3 partir
dluquel les éléves peuvent faire sculs ce quis ne
Savaien fare auparavant qu‘avee Vaide de quelqu'an
ou de maniére involontaive.
‘Ala difference de ces propositions, Jean Piaget
aifime la prédominance du biotogique, qui permet a
Traction d'etre le vecteur principal de construction de
llpemésformete (ous ymbolaue) de aca
tion du langage. L'enfant évolue par le jou des méca
hismes assimilation &t Paccommodation des traces
internes (indices, schemes) a eertaines propriétés du
niliew ou des objets; ces aces se tansforment en
Schemes qui vont caractérser les proprictés des com-
Portements du sujet lui-méme. Au cours du dévelop-
PPement, les indices s'oganisent en configurations plus
strates et plus stables (les images mentales), ce qui
JgbevS.Vogorts, sProbémarigue de Prriéaton mentale,
Tidings moneale Discus cic Newell,
1955/1004, pao, ca pare Close DeVsgotkl a Leomtce
{er Baki, dose Poet opts p17
5 Lenfane «defiitivement compre quelque shose ia asi
fil eau choc dam une Spence
£347, "Cetwe experience et un point eructal de rencontre
Exerc Fappeenuege Ce gs fat ocsyprograine Seo
IS Eempte) ee detoppement de enfants Han
89Apprendre par corps
rend possible les processus de reconnaissance, de
différenciation, de généralisation, d'imitation difféxée,
cet d'évocation, Ce raisonnement est & Porigine des
théses de la psychologic cognitive relatives, notam-
‘ment, aux apprentissages moteurs, qui voient dans le
corps biologique le facteur originel, indépendant
du social, du développement humain; celui-ci étant
supposé passer par des stades évolutionnistes scqui-
sition de schemes sensori-moteurs (stade de Pintelli~
gence pratique) suivie de la exéation de représenta-
tions mentales (stades des représentations symboli-
ques puis abstraites).
1. Liincorporation
Dans la terminologie psychanalytique, Pincorpors-
tion désigne la phase corporelle de Vintrojection et de
identification, qui comporte des significations sexuc!-
les et alimentaires: se donner un plaisir en faisant
penétrer un objet en soi; décruire cet objer; s'assimiler
les qualités de cet objet en le conservant au-dedans
de sois". Constituante de Pidentité, Pidentification se
ccaractérise par un mécanisme psychologique & double
orientation: P'identification aux autres (identification,
hétéropathique) et a sa personne propre (identifica
tion centripéte). Plus qu'une simple imitation, elle est
appropriation active (mais inconsciente) dun élé-
ment out de plusieurs éléments qui seront constivatits
de Fidentité de la personne. Freud précise que l'iden-
tification peut étre multiple — méme si elle ne porte
pas sur I'ensemble de Meobjet® mais sur tun de ses
traits — et, de ce fait, elle peut constituer la pluralité
des personnes psychiques."” Liopération corporelle de
identification est évidemment incorporation, Linté=
9. OF Jean Laplanche ot Jean-Baptiste Pontalis, Vocabulie de
bu fehanaine, BUF, Bates 1907p. 300,
90
(Cadres thon
riorisation désigne une relation intersubjective et va
de pair avee identification (ou Vincorporation); elle
porte sur les choses (on incorpore un geste, un trait
particulier de cet objet ou d'un individu...) et elle est
indissociable de la relation & cet objet ou A cet indi-
vid,
‘Lassimilation/appropriation de qualités d’un objet
‘ou d'une personne (des maniéres dagir, de penser,
des gouits, des valeurs morales, ete.), par identification
cet imitation volontaire ou involontaire, est le sens du
ferme incorporation’ retenu en sciences sociales
pour traduire une modalité fondamentale du pro-
essus de socialisation. Plus largement, ce que les
individus intériorisent (ou incorporent) et s'appro-
prient dés la naissance, ce sont les propriétés sociales
et langagiéres des relations qui se tissent autour d'eux,
et avec eux. Le ferme d’appropriation est essentiel
Dans le domaine de Mhistoire des euvres, il a été
‘conceptualise par Roger Chartier. It permet au cher~
‘cheur d’envisager Ia pluralité des actes ou des modes.
de réception des auvres. Les formes d’appropria~
tion plurielle ne sont pas synonymes de liberté; celle~
ciest conditionnée par les circonstances de la pratique
créatrice usages et de représentations différen-
tielles."" Ainsi, & travers ses activités, Ia personne
{adulte ou enfant) effectue des
non sus, prend des déecisions pratiques ou raisonnées,
oppose (consciemment oll inconsciemment) i
Certaines orientations que lui dessinent les relations
sociales auxquelles elle participe.
‘Dés lors, Pincorporation se définit comme la saisie
corporelle de gestes et de comportements moteurs et
rmentaux expérimentés et appris dans un type de rela~
tions avec d'autres individus, dans un cadre formet
11. Of Roger Chartier, Letra fetus dans la France An
len Rigi, Le Seat Bary 1987, P1213.
orPprondre par corps
(un cours de danse) ou informe! (la socialisation fami-
liale), Les contextes de incorporation circonserivent
le champ des possibles des appropriations plurielles,
conscientes ou non conscientes, des individus.
2. Corps et cognition
Lassaisie corporelle des attitudes, des actions et des
conduites dautrui est genératrice des «traces (les
‘chimes, les dispositions) qui, dans la terminologie de
Jerome Bruner, deviennent les. sous-routines de
savoir-faire plus complexes, A Ia fois proche de Piaget
tt de Vygotski dans le sens oii tient compte des inter-
etions dans le développement de Penfant, Bruner
mmontre comment les savoir-faire se développent chez
enfant dans les interactions avec son ou ses tuteurs.
Cet apprentissage informel (au sein duquel Ie jeu a
Enormément dimportance) conduit & la eréation de
‘ce qu'il appelle des sub-routines (ou sous-routines)
Gui fournissent les caractéristiques générales au
Savoir-faire elaboré et kibérent attention & la suit
Pune repétition de Pactivité, Les routines (ou sche
mes) sont sstockéess 4 Fintérieur d'un programme
action plus grand; elles se déclenchent au moment
de Pactivitg out se mettent en attente (elles sont alors
differées)."" La terminologie de Jéréme Bruner
concernant les sub-routines renvoie a la question de
‘ce qui se «conserves du passé dans les corps. Peut-on_
parler (ec en quels termes) de mémoire du corps? Les
‘rientations dispositionnelles et les démarches psycho-
Cognitivistes divergent dans leurs interprétations des
principes fondamentaux de Papprentissage corporel
Pour les unes, ce qui est appris est incorporé sous
forme de schémes non conseients et hors représenta-
tion; pour les autres, les schémes ne sont pas indé-
12 Jets Beane, Le slopemant de enfant. Sa a
92
Cadre théoriques.
pendants de la représentation et des images que se
forme V'individu avant d'agir ou durant action,
"Nous voudrions montzer que ces deux types din-
terprétation ne sont pas en opposition et qu'il est
possible d'envisager leur articulation condition de
enoncer faire de la cognition une dimension indivi-
‘uelle et intégralement rationnelle du comportement
hhumain, Dans ce cadre, les représentations, plus que
des outils cognitifs permettant de préparer action,
‘constitueraient des moyens palliant les défaillances
ddes programmes d'action, ou des habitudes. Elles
permettraient dans certaines circonstances d’amé-
Tiorer ce qui a été appris en procédant & un retour
réflexif sur les principes incorporés de l'action,
1. Les programmes d’action
dans la perspective cognitiviste
Les études psycho-cognitivistes, dont quelques~
tunes sont exposées par Marielle Cadopi et Andrée
Bonnery & propos de leur analyse de Vapprentissage
de la danse, estiment que Pacquisition/mémorisation
fdes mouvements correspond 4 la construction dun
‘pattern d'informations Kinesthésiques»!” — ou «pro
gramme d'action —, cest-d-dire d'une forme globale
[Einesthesique, acquive par imitation et reproduction
des gestes montrés par lenseignant. Les auteurs évo-
‘quent différents travaux d'aprés Tesquels les mou-
vements et les déplacements en danse relévent d'un
tmodle internes formel (morphocinéses) associés &
ddes topocinéses, qui sont des activités posturales &
partir desquelles les différentes parties du corps s’or~
Eanisent solidairement dans une situation qui leur
impose certaines contraintes, Cadopi et Bonnery pren=
nent Pexemple ePun porter en danse. +Nous pouvons,
dre que Paction du danseur est une action topocine-
13, Marietle Cadopi et Andie Bonnery, Appronisage dota
AERIS, foloect-Bons, 1980, p. LLict
93Approndre par corps
tique: i suit le déplacement de la danseuse visuelle~
‘ment, il Ia saisit, la dépose ailleurs, Mais son souci est
hussi, pendant cette action, de produire une forme
déterminge, 4 earactére esthétique en général au sens
traditionnel du terme. Dans ce cas, organisation
topocinétique et organisation par modéle interne
{ormel fusiongent en quelque sorte pour laborer le
‘La notion de eprogramme d’action» est un quasi-
synonyme des concepts de schéme et de schéma
largement travallés dans la théorie de Schmidt." Lar=
gement citée dans les travaux portant sur les appren-
tissages moreurs, elle re distingue de la plupart des
‘autres modeles par Pimportance qu'elle accorde a la
pratique (des essais et erreurs) dans acquisition des
habiletgs motrices et par Pemplot de la notion de
schéma» dont elle fait le point d’ancrage de son
‘analyse de Papprentissage corporel. Ainsi, selon
Schmidt, Vindividu abstrait de ses expériences anté=
rieures (er semblables ala nouvelle situation qui lui est
proposée) tn ensemble d'informations qui condition-
ent la realisation de Paction nouvelle. Pour fui, les
programmes d'action sont nécessairement généraux,
‘comporés d'informations qui vont concerner des situ
tions voisines de leurs conditions d'acquisition."* Les
informations concernent notamment la position du
comps avant la réalisation d'un mouvement (en danse
Classique, chaque exercice est précéde dune prépani-
ton permettant de placer le corps dans une position
ccorrecte avant de débuter le mouvement), les pari
‘metres du mouvement (on rythme, par exemple) ou
encore le résultat attendu de Paction (tenir un éqi
ibre), et enfin les consequences sensoriclles (ee qui a
14. Bier 938,
15. Gf sbuemn, p 100.
16, Of Piere Simancr, Apprenissager motes Proce et pro=
ish tgetanon Vegsic Paros 1986, pr 8990. ”
of
Cadres théorique.
é sent, vu, entendu lors de Paction précédente et quit
Sert de point de repére kinesthésique a la nouvelle
fetion). Ces informations ont été intériorisées dans
deux types de mémoire: 1) La mémoire d'évocation,
onservant les relations forictionnelles entre les cond
tions initiales de Paction, les paramétres du mouve~
fmient et les résultats des mouvements. Cet ensemble
Serelations fonctionnelies constitue la base structurée
et structurante des mouvements a venir. Elle garderait
{es informations des situations antérieures sous forme
de regles incorporées, 2) La mémoire de reconnais~
Sance, reposant en grancle partie sur les consequences
ensorielles des mouvements et permettant & individu.
Ge reproduire ces consequences dans le nouveau
mouvement, ce dernier étant ajusté en fonction des
houvelles sensations.” La mise en cuvre d'un schéma
(ou programme daction) découle, selon Schmidt, de
object a atteindre et de 'évaluation des conditions
fau départ de Paction. La sélection dépend des expé~
ences passées {mémoire d’évocation) et des résultats
bbtenus qui ont fait objet d'une evaluation (mémoire
de reconnaissance). Enfin, de la répétition nait une
‘compréhension pratique et mentale de Waction
‘Levaluation et la comprehension ne sont possibles
‘que si le pratiquant a longuement répété son mouve-
mene et done s'il est un expert, ce qui constitue une
limite théorique importante a sa thése: comment
cexpliquer la réactivation de schemes chez les débu-
tants qui ne reapprennent jamais complétement ce
fguils ont acquis? A quel niveau de répétition peut
fon devenir expert? Comment expliquer les erreurs,
Tes maladresses chez les experts? D’autres chercheurs
‘ont montré que, pour que la répétition joue un tel
rile il faut que les conditions deffectuation soient
17 Mave Cadap et Andis Bonners Aproisas de a
95(pprendrs par corps
extrémement stables." La répétition peut contenir un
risque, celui de former des stéréotypes de réponses et
ainsi de former des programmes moteurs rigides et
peu adaptés aux nowvelles situations,
2. Les concepts dispositionnels
Les concepts dispositionnels sont utiles pour
rappeler que le passé se conserve, d'une certaine
‘maniére, dans les corps. C'est ce qui permet dagir, de
penser et de parler quotidiennement, sans avoir at
préalable a se remémorer les principes d'action ot,
dans exemple du langage, les lois grammaticales et
symtaxiques. Ces notions entrent dans le cadre général
de la sociologie de action. Toutefois, Pensemble des
théories de ce champ d'études ne se préoccupe pas dit
passé qui fait agir Pindividu dans le présent. La socio
logie de action situationnelie s'intéresse de maniére
pplus fondamentale aux contraintes des contextes 3c
tion et la place des objets dans Paction. Quant aux
sociologies de Pacteur rationnel, elles centrent leurs
cexplications sur la démarche analytique, caleulatrice
ct intentionnelle des individus pris dans une action
collective, Longtemps exclusives les unes par rapport
‘aux autres, ces théories tendent 4 se compléter dans
quelques travaux. Par exemple, Jean-Claude Kau
mana reléve ois catégories d'action pouvant tre
ses en auvre dans le trivail ménager, qui est objet
de son étude: les habjitudes incorporées, les sensations
(de plaisir, Ia pénibilité, Paffectivite...) et la pensée
rationnelle, Ces catégories ne sont pas 2 prior’ incom
patibles. Elles se rapprochent des idéaux-iypes wee
riens (Paction rationnelle, affective et teaditionnelle)”
18. Gf Jean Bectscy, «Lex vermus de la épétiion®, in Jean
‘tsar morse conditions appronsnages BOE, Paria 1005,
Ho Jean-Claude Kautnann, Le Gar 3 Powrag. hive de
96
Cadresthéoriques.
qui constituent des indicateurs pour analyser une
pratique spécifique (ei: faire le ménage). Pour
Philippe Corcuff, Papproche doit étre pluraliste et
Siintéresser non seulement au langage des habitudes
incorporées, mais aussi aux langages des Emotions,
des désirs ou des passions, comme aux raisons qui ne
sont pas des logiques exclusives mais qui pourtant ne
donnent pas un méme éclairage de la réalité.””
Bernard Lahire invite lui aussi a prendre en compte
les logiques d'action et & ne pas se centrer sur une
logique unique, sur un seul principe d'action (les
dispositions tersus la rationalitg), parce que individ.
agit pas nécessairement «comme un seul homme»,
‘mais peut étre pluriel dans le sens oi il a acquis ne
pluralité de logiques d'action issue d'expériences
Passées variges, qu'il est susceptible de mettre en
‘cuvte selon les situations of il se trouve.”
Le concept de «disposition» permet de dire qu'une
personne est potentiellement capable @’agir ow de
penser (Pune certaine fagon dans des circonstances
particuligres, & condition davoir acquis dans le passe
dles modes d'action, de pensée ct de perception. Selon
Jacques Bouveresse, le propre de ce concept est qu'il,
rend possible son expérimentation." On peut en effet
vérifier si, un moment donné, Mindividu est enpable
de mettre en «uvre une fagon d'etre, Pagir ow de
penser de telle ot telle maniére, Loi individuelle de
‘comportement qui dépend d'événements de meme
type et de situations propices ou nom son actualisa
tion, une disposition se manifeste dans des actions, et
Frings dan omcse denny desertion ce detafpoetynae
21. Of Bernat Labie, Homme pluie. of cits p58
22. Gk Jacques Roavrcse, Le Made Piri. Espirin
Siinein Pars 18h, Sigaies em
97Apprendre par corps
existe de maniére potentielle dans les corps, méme
sans étre agie. Cette présence invisible s'explique par
Pidée d'aprés laquelle les expériences sociales s'ins-
crivent dans les tissus organiques. Le social trans
forme le biologique; plus exactement, ce sont les
fagons dont elles ont été saisies (émotionnellement,
affectivement, pratiquement, intellectuellement...) qui
orientent et impriment le systime nerveux et les
‘La notion de disposition tient d'une trés ancienne
twadition intellectuelle qui reavoie initialement aux.
notions d'hexis et d'habitus désignant acquisition
Whabitudes incorporées.”” Pour Pierre Bourdieu, les
dlspositions sont structures par les structures sociales
fet constituent habitus d'un individy, Style sperson-
nel» d'un habitus de classe, Mhabitus individuel est
acquis lors d'une trajectoire sociale singuliére, essen-
tellement dans la prime enfance, au cours de laquelle
Iapersonne a incorporé les propriétés spécifiques & sa
position (celle de sa famille) dans le monde social. Les,
Elements nouveaux résultant d'expériences ultéricures
les modifier fondamentalement."* De fait, Phabitus
(ensemble des dispositions) est constant tout en
tant capable 'intégrer des informations inédites et
de stactualiser dans le présent, Il tend toutefois se
mettre a 'abri des crises et cles mises en question
doulourcuses en echoisissant» les lieux et les événe-
‘ments auxquels il est susceptible de s'adaprer. Prédi
osant & choisir ce pour quoi on est fait, puisqu'll
détermine les gous et les espérances, "habitus limites
de cette manigre, le pensable, le soubaitable. Sa régu-
23, Frangols Hiéean, La seconde nature de habit.
Bhilorophique er sens connmnan dase langue woh
‘Revue fangs de scp, XVII, 1047s 383
24. Gf Pieree Bourdieu, Le Sons prague, fuliions de Minuit,
arity 1980, p10
98
adres théorigis
larité et sa constance impliquent une supériorité de
Phomogénéité sur Phétérogénéité des dispositions,
sans étre nécessairement cohérent. S'il arrive que les
dispositions ne soient pas en accord avec let situations
oft elles devraient étre reactualisées, c'est davantage
fen raison des bouleversements de ces derniéres que
dela structure de Phabitus, qui est selativement inerte
de par son inscription biologique dans les corps.”
La critique faite 4 la théorie de Pierre Bourdieu
porte sur la mise en questions de Phomogéngité de
Phabieus qui, en fait, dépendrait des conditions en-
quéte et observation des faite & partir desquelles
Pauteur a construit son concept.” Lthomogengité
contextuelle serait renforcee par l'ancrage philoso
pphique de la notion qui, dans la pensée seolastiquey
Jimplique un fondement stable de la nature humaine.”
‘Dans ce cas, incorporation sapparente & un pro-
‘cessus d'inculcation inconsciente, mimétique et iden=
tificatoire, de structures sociales stables et peu chan-
sgeantes.
‘Que deviennent ces définitions dans observation
une pluralité de contextes de socialisation et quand
individu est amené a feire des expériences ees diffé-
rentes les unes des autres? Bernard Lahire a émis V'hy-
pothése de la pluralité des dispositions issue de modes
de socialisation différents.”” ll défend T'idée selon
laquelle la pluralité des contextes de socialisation
engendre une pluralité cle schemes et d’habitudes. Le
‘stocky ou Ie exépertoires de schémes d'action et de
pensée disponibles dans chaque acteur social s'actun=
lise ou se met en veil en fonction des contextes ren
25. Of Petre Bourdieu, Midiatons pascaliames, op. csp. 190,
a sel on homogeneie ‘sige fcc ie se
27, Of Bernard Laie, LHfomme pla op ct, 29
28. Ch. ibid, p- 208
99Pprendre par corps
cconirés lors de son parcours. L’hétérogéngité des
hhabitudes ne donne toutefois pas nécessairement nais-
sance & un sentiment d’éclatement, les individus ayant
Iargement intézré le sentiment d'étre un «moi» auto-
nome au cours de la longue histoire de Pindividua-
tion.”” Dans le monde social d’ayjourd’hui, les tres
sociaux sont couramment amenés 4 se familiariser
avec ce sentiment de sje+ indivisible, puisque la logi-
que sociale dominante, et particulidrement a Veruvre
dans la démarche biographique requise par les insti-
tutions, tend a valoriser la cohérence du parcours
scolaire et socioprofessionnel
3, Savoir-faire: un concept dispositionnel
Sle personnel acquis lors de processus de sociali-
sation, le concept d’habitus n’est pas un synonyme de
ssavoit-faires (certaines dispositions peuvent toutefois
frre assimilées & des savoir-faire, comme c'est le cas
des compétences morales analysées par Jéréme
Bruner), clesti-dire de ce que sait faire la personne,
de ce quTelle maitrise sur un plan physique ou sur un
plan intellectuel. Jérdme Bruner évoque indiftérem-
ment Ie savoir-faire ou la compétence pour désigner
ce qui rend V'individu capable de mener & bien une
action. Ils peuvent étre pratiques, abstraits Gintellec-
tucls), ou encore moraux (les valeurs), et affectifs: la
confiance en soi est un savoirfaire’ parce qu'elle
suppose qu’on ait appris que Von peut faire telle ou
telle chose avec une certaine chance de réussite, en
tant capable de reprendre Ia démarche en cas
déchee." Un savoirfaire se distingue d'une disposi-
tion générale par sa spécialsation. En effet, une dispo-
sition s'acquiert de Texpérience du monde en incor-
porant les propriétés sociales et langagiéres des
20, Novbert Elias La Soi des individ of ct.
20, rome Brae, Le Déslppoment de Poot. oe
100
Cadres thboriques
groupes ou des individus avee qui la personne socia~
lisée est en relation. Le savoir-faire sléverait plutdt de
apprentissage Pune pratique particuliére engageant
des ssavoirs, des «techniques spécialisées (les savoir~
faire de Partisan, duu danseur, du musicien...). Le
savoir-faire et la disposition auraient une caractéris-
tique commune, celle de eadapter (ou de s'ajuster) a
la situation dans laquelle ils sont actualisés. Dans ce
sens, Jérome Bruner souligne que Ia compétence (Je
savoir-faire) suppose Paction et adaptation de lac
tion 4 un environnement en vue de réaliser Pobjectif|
que on s'est fixe
‘Dans notre étude de apprentissage du corps, il
sera question essentiellement de ssavoir-fire», puis
ue nots nows intéressons & Vineorporation et & Pap-
propriation de techniques socialement et historique
ment constituées, qui impliquent que des gestes, des
pas et des positions peuvent étre relativement objec
tivés en dehors des corps qui les mettent en. action.
Lapprentissage des techniques de danse induit aussi
la constitution de «dispositions» par une inculeation
phis ou moins consciente de valeurs échiques et esthe-
tiques, de croyances (ilusio) et par Vacquisition ou la
Reactivation de dispositions motrices. Etre disposé 4
se corriger ne suppose pas nécessairement que l'on,
sache parfaitement se rectifier par soi-méme (savoir
faire qui engage une notion de réusste et defficacit),
mais que lon puisse mettre en e-uvre, sans y penser,
les postures mentales et les conduites requises par la
situation: disposition a rester calme, a écouter les
consignes, a accepter les critiques, a estaver de not
‘elles postures.
A ce stade de raisonnement, il est concevable de
dire qu'un savoirfaire est un concept dispositionnel
plus spécialisé que la «dispositions comme «propen-
sion @ agis, percevoir et penser d'une certaine facon,
parce que directement en lien avec une pratique parti
101Apprendre par corps
cle, Précisons que notre érude repose sur Pobser=
vation de pratiques of sont appris des savir-faire et
des habiletés techniques; nous ne faisons pas de la
recherche des dispositions individuelles Pobjet prin-
cipal de cette étude (ce qui impliquerait une autre
ont au principe des goats et des dégouts, des styles
de langage, des croyances, des conduites globales
(otamment Papparence corporelle), des manieres de
raisonner, ete, — déterminent le style général et
personne! de Pindividu socialisé lui dessinant ainsi un
champ de possibilites comportementales et réflexives
‘partir duquel il acquiert des savoir-faire spécialisés
dans un domaine (scolaire, professionnel, sportify
langagien, etc).
3. Incorporation et mémoire
conservation ou reconstruction du passé?
Dire que les individus ont un shabius», un »stock®
de dispositions, ou agissent en fonction de »savoir-
faire, que les comportements obéissent a un +pro-
gramme d’action® ou correspondent a des eschémas»
action, ete., revient & poser la question de la
mémoire et de la mémorisation, plus particuligrement
de la mémoire du corps, puisquie le passé est conservé
sous forme de schemes, dPhabitudes, dle savoir-faire
‘Comment se remémore-t-on le passé? Comment
vient-il sajuster aux situations et structurer les
pratiques actuelles? Si pour Pierre Bourdieu il y aun.
ajustement quasi mécanique entre habitus et le
champ au sein duquel les dispositions passées sont
31. Crest objet de recherche du proje, sous 1a responsabili
td asennque de Bernard Vahire, augue macs avon collaho-
‘sine sPlraie dey iapontons corporces, ation des
snnte,tanatarabitedrlguve e plural Ideneairen mene
fn'2000-2001 dn te ead des Aides 4 projer noes da Sepa
‘ment des sciences de Phomine er dela recite du CNIS.
102,
i
Cadires théorique.
réactualisées, la thése de Bernard Lahire est que Ie
pprésent (le contexte et ses caractéristiques) est d’au-
tant plus déterminant pour action que les acteurs
sont phuriels. «Le passé est done “ouvert” différem-
‘ment sclon la nature et la configuration de la situa
tion présente.»" Il rejoint d'une fagon sociologique
les ptopos de Phistorien Bernard Lepetit pour qui la
question des liens entre conservation duu passé et
fiction présente reléve dPéchelles temporelles «ie
rentes: le présent d'un individu peut se définir comme
tune modalité particuliére d'agencement entre le passé
tt le futur, Cest-a-dire entre les conduites issues du
passé (espace d'expériences) et ce que Pacteur vise
Sans le futur (horizon d'attentes, visible dans les
projets de Pindivid).”"
‘Comportant le passé et le Futur possible, le présent
fest ce qui fait coexister le passé et le furur dans des
pratiques sociales actuelles. Dans ce sens, Bernard
‘Lepetit reprend tne idée d'Halbwachs, selon laquelle
le passé ne se conserve pas, mais est reconstruit dans
le présent.”*
1. Les cadres sociau de la mémoire
Pour Halbwachs, n'y a pas de sens (sociologique)
4 situer la mémoire dans la conscience ou Fincons-
Gience, car cette terminologie porte en elle une
‘conception de individu comme étre isolé. Or, Vindi-
vvidu est le produit de relations sociales, et ses souve-
nits dépendent d'un contexte qui, pour des raisons
qui restent & érudier, provoque ’évocation du passé
32. Berard Lahice, L'Homme plu
55, Bernard Leper Hisgoire des pratiques, pratique de his~
Seinen Boe Forme se Pparieces Che gute hore socal cos
In'Gissadon de Bernard’ Lopen) Albin Michel, Paris, 1995,
P00.
34. Maurice Halbwac, Ler Gade soiaus de la mémotr, Albin
Micheh Pasa 1954, 7-H
1 2p ity p60. Crest
103loprendre par corps
Le contexte objective le passé Ii fournit une
nouvelle forme. Des faccurs d'objectivation tne
done en jeus cest ln raison. pons Ineo nent
diverses ciisatons ct des pores difeertes ae
id inveotées des techniques de messosieatn
ar exemple «Par dela mémoises te trees de
Antiquities slew de ln casoise wane
il etait pas possible de prendre dev aoe ee
dant de moyen mnémotcchnigseh Seapets ae
iets de Palphaber ou image es Senne oe
ouvsicnr se ememover d'autres imagen nan Eee
Togique cognitive dépendamts de Toric fae
dluguel setireffectuce te mémorinaton, COs
canssait done en des operations copmies dense
ttmeement agence par une Toate socal
fale: En dehoes dune tele Togs soca: ea
benser gus les proved de menorianen permet
des carats sifeente Jack ody een
in wansmistion d'un mythe nom seri de Gene ne
Bagre),montre quil nya pas mmiation er eee
toda dereference, mis peomporinea cohen
Thistoire dans la scation ” Sunn cnt eaige wees
Goody, ine peut y avoir eprodueten a hens
du mpthe, La souriqueace ot qus os tinier
diverse en saison de ln mupicné dee etn
‘cs contexts d'Enoncitom, aucun ne fant see
Sur les autres, Dans Te cao de ie wane
Bagre les ructures dememorbaton sere taeac
de anayoe structurale du mothe aus ie ees
Peuteffectcr La reproduction du tie denen ee
25, Frgct tnd aa ta meme Gaenst Pe oes
‘aha part uo Behaiomane’ es meng meme
tminond a pie var eat Mores Age fart de
‘dela prudence Geprenant ans une we du presente ches Cee
ron,
36, Jack Goody, « Mémoire ot apprensvsage dans les socaée
avec et san ectitre’ a wancttsion da Basten Efe
famvicare 1971, NV Use
104
Cadresthéoriques,
Evénements, des cérémonies et s'infléchit sans cesse
Mais il existe aussi des constantes narratives, qui
correspondent aux événements importants du mythe
ct auxquelles les récitants se référent. La mémorisa
tion ne s'appuie done pas sur des mots appris, mais
sur une logique narrative relative au cours de la
ccérémoniec (du contexte) et & la structure évenemen
tielle du mythe. Pour Goody, c'est dans ses rapports
faux autres, en les regardant faire, en les imitant, en
Prenane systématiquement le rythme de leur rel~
tation, etc., que Ie nouveau récitant mémorise le
Bagre.
Ces exemples indiquent que la mémoire est rendue
possible grace aux cadres sociaux par lesquels elle 28
constitue ct sactualise. Les cadres varient selon les
situations qui permettent leur plus ou moins grande
objectivation. Les cadres sociaux de Ia mémoire sont
done les significations particuligres prises dans une
‘expérience sociale et langagiére: les objets, les odeurs,
les tieux, un sentiment, un mot, des personnes
peuvent devenir les supports (sensitifs ou réflexfs) de
la mémoire de Vexpérience, Aussi, reactiver le passé
consiste & renouer avee les instruments de la mémori=
‘Nous faisons Phypothése selon laquelle pour que
se constitue une mémoire stable, pouvant étre qual.
fige de +stock d’expériences., il faut que les cadres
sociaux de son acquisition soient relativement objec
tivés et quils trouvent réguligrement les conditions
Dropices 4 leur répétition ou 4 leur évocation. Em
chors de route forme d’objectivation, la méemoire (et
la mémorisation) est une reconstruction du passé, es
largement dépendante dur contexte oit elle est soll.
citée, Dans ce cas, Pévocation avec d'autres est deter
minante, supposant quelques efforts réflexifs ct une
Part d'indétermination quant a exactitude des fats
‘et des pratiques remémorés,
105Apprendre par corps
‘usage de la notion de «stocks (stock de disposi-
tions, de souvenirs, ec.) par de nombreux chercheurs
en sciences sociales mobilisés sur ces questions sous
tend lidée que le passé se conserve en dehors de tout
usage, de tout rappel, et qu'il est potentiellement reac
tivable dans des pratiques. Nous pensons que cette
ppossibilité implique des conditions (Sociales et done
Iangagiéres) particuliéres, non généralisables & tout
‘ype d'expérience. La particularité de ces conditions
fest _qu'elles relevent ‘dune relative formalisation
(tructuration) et stabilisation des relations qui les
produisent, ct dont les propriétés ont été incorporées
ar les individus au cours de leurs pratiques,
Autrement dit, la formalisation relative des expe
riences socio-langagiéres facliterait Ia structuration
dela mémoire, envisngée alors sous forme de ostock?,
de esystémes relativement ferme, Cette condition est
au principe de la théorie de habitus de Pierre
Bourdieu, puisque Phabitus est décrit en tant que
systime de dispositions strucrurées par les structures
sociales stables,
‘Ges interprétations aménent & penser que Ia
mémoire corporelle releve de processtis similaires: si
le comps arrive & reproduire des gestes, cest qu'il les
appris su cours de relations sociales et langagiéres qui
ont pris un sens dans le passé pour Pindividu, La
ature des expériences et des pratiques est done
déterminante pour leur incorporation, qui peut sins)
etre plus ou moins assurée. La danse classique étant
beaucoup plus largement objectivée par des codes, $3
tradition @ pu perdurer malgré quelques variations
En cela, ses gestes codifiés, s‘incorporant dans des
conditions d'exécution trés formelles, donnent liew &
des savoir-faire stables, venracinés» chez les danseurs,
En revanche, moins un style dle danse (ou toute autre
expérience) est formalisé, plus il peut faire Pobjet
appropriations plurielles et produire des conditions
106
Cares théortgin
de pratique ainsi que des savoir-faire variés dont Vac
tivation ne dépend pas uniquement de leur «degré
dPincorporation che? les individus, mais est fortement
‘épendante du contexte de la pratique. Autzement
{dita formatisation ct la stabilisation des éléments des
factions passées (stabilisation impliquant la répétition &
identique des actions ou des choses & apprendre)
sont des conditions indispensables & une mémorisa-
tion facile ota la création d'une mémoire structurée et
structurante et ainsi la formation des habitudes.
2. Mémoire et langage
Diaprés Halbwachs, les cadres sociaux de la
mémoire sont eus-mémes composes de déterminants
simples constitués de repéres — issus d'expériences
sociales et langagitres: le temps, Pespace ou encore
ddes valeurs — qui organisent en pattie le processus de
‘mémorisation. Ces catégories impersonnelles (non,
rattachées un individu en particulier) relevent de la
forme sociale dans laquelle ces expériences du temps
cet de espace ou ces valeurs ont pris sens.
Peter Berger et Thomas Luckmann développeat un.
point de vue assez semblable: la mémoire est inter
subjective, et les processus qui la constituent sont
langagiers, La sedimentation existe dans des signes
{qui objectivent le passé. Une telle conception de la
‘mémoire n’a de signification, sociologiquement par-
lant, que si ’on rappelle que les formes sociales, dans
lesquelles se constituent ses cadres, sont indissociables
de pratiques langagiéres. Selon Berger et Luckmann,
Te langage objective la réalité de la vie quotidienne. En
tant que forme objectivation, il sert @ communiquer,
‘échanger au sein duu monde social. Le langage est
ppereu alors non pas en usage, mais en tant que stock
de connaissances permettant aux individus de vivre en
relation avec autrui. C'est par lui principalement que
les individus connaissent le monde et partagent
107feprendrs par corps
‘ensemble un monde de sens commun. «Le langage
Objective les expériences partagées et les rend dispo-
nibles & tous & Pintérieur de la communauté linguis-
tique, devenant ainsi la fois la base et instrument
ddu stock collectif de connaissances. Ultérieurement,
Te langage procure les moyens d’objectiver de nou-
velles expériences, permettant leur incorporation dans
Te stock de connaissances deja existant, et ceux-ci
constituant les moyens les plus importants grice
‘umquels les sédimentations objectivées et objectifices
Sont transmises dans la tradition de la collectivité en
question. +"
utilisation de la notion de scadres sociaux de la
mémoires est une fagon de préciser que les expé-
riences qui se conservent sont celles qui ont participé
la constitution des maniéres de penser de etre
social dans des relations intersubjectives inséparables
dde pratiques langagiéres. En effet, Halbwachs estime
{quills se construisent dans des interrelations qui les
‘organisent en catégories — le langage étant élément
le plus stable de la mémoire collective. Selon Tuy un
souvenir est quelque chose qui a été signficatif @ un
moment donné, et qui s'est constitue par des actes
langagiers
‘Son approche peut étre discurée avec Jacques
Bouveresse. Ce dernier précise que les concepts
poycholoriques comme «sentir», + penser» «croirer
Ndouters, ete., n'ont de sens que dans des jeux de
langage.” Ces jeux de langage sont inherents aux rela
tions sociales, c'est-A-dire aux usages sociaux du
langage. «C'est seulement dans le langage, et plus
précisément dans un certain jeu de langage, que quel-
fguun peut dire de lui-méme et que nous pouvons
437, Peter Berger ot Thomas Lachmann, La Courruction soci
deta eat Armand Colin, Pari, p80.
38,0 caer Houversts Le Nhe de rio is
108
Casdresehdoriques.
dire de lui qu'il a quelque chose et qu'il a telle idée,
telle sensation, telle image, ete.»” C'est aussi travers
des concepts que Pon dit de quelgu’un qu'il a telle
disposition, telle compétence. D'apres cette voie théo-
Figue, une fraction de analyse sociologique des
Gispositions tiendrait en une désignation langagiére
es proprictes sociales et langagiéres (les dispositions
acquises dans des relations sociales et langagiéres)
éduites fe plus souvent de discours d’agents sociaux
(es entretiens sociologiques). Une telle iterprétation
peut tourefois conduire a renouer avec opposition
Feflexion/pratique et faire échapper ce qui peut se
comprendre en pratique, en agissant, sans nommer
Expressement [es choses, ni se représenter l'expé=
4, Résumé des propositions théoriques
Le raisonnement hypothétique présenté ici conduit
4 montrer que les processus de mémorisation ou
Giincorporation relevent tres largement du type de
pratiques langagigres et de leurs usages tramant les
interrelations constirutives des contextes de Ia mémo-
risation ou de incorporation. La proposition théo-
rigue principale determine une interdépendance entre
Ta nature (sociale et langagiére) de ce qui est «trans~
miss (un savoir, un savoir-fare, une technique du
Corps, etc.) et les modakités individuelles de Vincor~
poration. Le type de savoir-faire en question s’accom=
Dagne des conditions de son apprentissage (ou les
determine). Ainsi, une technique formalisée ou codi~
fice sous-tend peu de variété dans ses contextes de
stransmission» (la «classe de danse classique corres-
pond i une didactique quasiment inchangée dune
Ecole de danse a une autre); tandis qu'une technique
plus souple produit du méme coup une souplesse
109Approndee par corps
(non indéfinic) de set modes dacquisition et d'ap-
propriation (de la vclassee technique 4 Patelier dim
provisation en danse contemporaine).
‘A partir de ces propositions générales, nous distin-
guons deux processus d'incorporation
‘Le premicr repose sur des savoirs et des savoir-fuire
stabilisés par l'éeriture et se déploie dans des contex-
tes constants; il tend & faire davantage appel a des
‘modalités d'incorporation relevant de la reproduction,
d'un emodele® (imitation spontanée ou dilférée) qui,
lors dane premiére phase dapprentissage, n’engage
pas nécestairement de séflexivite sur le mouvement i
Feproduire; dans une seconde phase (les corrections),
ddes procédures d'analyse et cPexplicitation des erreurs
sont différemment mises en ceuvre selon les types de
pédagogie: ceux qui se rapprochent de la forme sco-
laire de socialisation tendent a introduire des modalités
réflexives parce que 'apprentissage se déploie dans un
contexte scolaire (ou quasi scolaire). Ce mode d'in-
Ccoxporation est createur de compétences et de dispo-
sitions cumulatives et constants.
‘Le second processus d'incorporation induit une
variabilité des conditions de Pincorporation ou de la
‘miémorisation, et se rapporte un ensemble de savoir-
faire non formel, non codé et individualisé, ainsi qu’
des didactiques plurielles. S'l implique’ aussi des
‘modalités corporelles liges & la répétition, & Faction
issue de la reproduction d’un modéle, néanmoins il
nie les distocie pas de modalités plus réflexives (ana-
lyse du mouvement, explications se rapportant au
fonctionnement corporel.,.). I est constitusif de
savoir-faire variés, moins stabilises (moins routinisés)
que ceux du modéle précédent, mais plus adaptables &
la variation des situations pratiques, car capable de
dléplayer non pas des automatismes, mais des compé-
tences motrices et mentales, voire reflexive, failiant
cette adaptation,
110
adres théorique.
Pour démontrer ces propos, nous rendrons compte
des conditions sociales et langagiéres des pratiques
finsi que des différentes modalités d'incorporation
(action lige & observation, & Técoute des conseils
professoraux, Pimitation, les émotions et le travail sur
[es perceptions induit par Papprentissage de Is danse)
articulées aux dimensions cognitives de la saisie des
estes de danse (les analyses du mouvement lors des
‘corrections, la réflexivite en action, Vimagination....
40. Bn aucune mane ces analyses ne constituent des dia
{hgue dappremtssage, Soucy pave my a nue faemort
Salut ow ann dt ov emeanan r
ur