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Detect Sets Mae ietelele) L’univers pénitentiaire eocccccvccccccccc eves ccccccece MEM Tat Ue veda tart Sommaire Vadministration pé ire Isabelle Gorce brosse un tableau complet des problémes que rencontre l'administration pénitentiaire dans sa prise en charge des 52 000 personnes incarcérées et des 130 000 personnes suivies en milieu ouvert que comple aujourd'hui fa France. Les surveillants mal almés Georges Benguigui évoque les dificultés du métier de surveillant do prison, partagé entre un travail technique ingrat et une fonction relationnelle souvent méconnue. Vexpérience de la prison Corinne Rostaing analyse les réactions des détenus a une vie carcérale artifcielle ou les rapports au temps, & espace, & argent, aux co-détenus ou aux surveillants apparaissent particuliérement contraints, La prise en charge médicale des détenus Marie-Héléne Lechien interroge Francois Moreau, président du Syndicat des médecins exercant en prison, sur la nouvelle médecine en milieu pénitentiaire issue de la rétorme de 1994. La pratique psychiatrique en prison Marc Bessin rappelle l'histoire de la médecine psychiatrique en prison at décrit les dilemmes du psychiatre contraint d'accoptor le contexte carcéral comme cadre naturel de sa pratique. Peines alternatives et aménagées : une activité discréte La justice prononce en France plus de peines alternatives a la prison ou aménagées que de peines de prison. Antoinette Chauvenet et trois de ses collégues sociologues évoquent les conditions d'exercice et les activités des travailleurs sociaux qui prennent en charge les condamnés placés en milieu ouvert. Chronologie (1"- 29 février 2000) at on 43 51 61 71 Ped Regards sur Vactualité 261 ‘mai 2000 La pratique psychiatrique en prison Mare Bessin, sociologue, chargé de recherche au CNRS, CFMS/FHESS, Paris. Les psychiatres font désurmais parlie du paysage carcéral. Personne n'oserait aujourd'hui remettre en cause I'adminisiration de soins médico- psychologiques en prison. Les personnes détenues y verraient un déni supplementaire de leur condition humaine, méme si beaucoup ne se jugent pas concernées par la prise en charge de la pathologie mentale. Les personnels pénitentiaires redouteraient l'explosion carcérale, ne sachant plus comment contenir la population pénale, alors que beau- coup de surveillants ont d'abord renaclé lorsque les services médico- psychologiques régionaux (SMPR) se sont implantés dans les établissements pénitentiaires, Les magistrats ne pourraient plus justifier incarcération de plus en plus massive de délinquants sexuels au nom du traitement psychiatrique qui leur sera administré en prison. Receptive a la notion de soutien psychologique, opinion publique, un tant soit peu consciente des effets pathogénes et anxiogénes de la prison, en serait emue. Seuls les professionnels de la santé mentale semblent venir ébranler cette évidence en interrogeant leur activité. L'histoire des liens entre 'asile et la prison montre une grande ambivalence des soins psy- chiatriques en prison, qui se refléte dans la difficulté quont les psychiatres a accepter le contexte carcéral comme cadre naturel de leur pratique. 'évalution des demandes auxquelles ils doivent faire face questionne leur identité professionnelle et les _cloisonnements institu- tionnels. Poser les enjeux sociaux de celte pratique, dans un contexte de pénalisation des pathologies mentales a V'extérieur qui va de pait avec une psychiatrisation de la criminalité a l'intérieur, est indispensable pour tenter de penser la prison aujourd'hui (1). Entre soigner et punir : un rapide historique La reconnaissance du réle des psychiatres en prison est le produit Séparation qrune longue période de tergiversation depuis le XIX* siécle. patra ® — Lihistoire méme de la psychiatric a parte lige avec celle de la criminologie en ce sens que la naissance de la spécialité psychia- Ja prison trique s'est faite en retirant les fous de la prison, en les faisant (1) Cet article s'appuie notamment sur les enseignemens d'une recherche menée vee Mae-Hélene Lechien sur les usages et ls pratiques de soins en prison, pour Je GIP mission ae recherche “Droit et lustice™ a Regards sur Pactualle mal 2000 ia pratique peyeratraue pris 51 passer d'un liew d'enfermement & l'autre. La forme asile s'est progressivement dissociée de la forme prison, dans le cadre d'une confrontation a partir de 1810 entre ceux que I'on nomme alors les alignistes et les pénalistes (2). Liarticle 64 du Code pénal sti- pulait, avant sa transformation en 1994, qu'il “ n'y a crime ni délit si le prévenu était en état de démence dans le temps de I'ac- ‘ion, ou lorsqu’il a été contraint par une force a laquelle il n'a pu résister”. La lui de 1838 institue les asiles, lieu d'exercice des alignistes, qui considérent les soins en prison comme réservés aux médecins généralistes, et qui s'attribuent le traitement des fous dont la pathologie exclut precisément I'emprisonnement. Par cette séparation radicale des criminels et des alignés, de la prison et de I'asile, les psychiatres ne fréquenteront plus la prison qu’en tant qu’experts chargés de déterminer I'éventuel état de démence d'un prévenu ou sa responsabilité au moment des faits. Il faudra en fait attendre entre-deux-guerres pour voir quelques initiatives introduire les soins psychiatriques en prison. Mais c'est surtout & partir de 1950 que des structures spécialisées se mettent en place, avec Ia création de deux établissements pénitentiaires on PS¥CHI sont affectés des condamnés malades mentaux (Chateau-Thierry et Haguenau) et de plusieurs annexes au sein de maisons d'arrét Ces changements accompagnent alors un mouvement de structu- ration de la psychiatrie en France qui trouve son essor dans deux directions paralléles et complémentaires : la politique de secteur ct la psychothérapie institutionnelle. Se voulant ouvert sur la cité et apte & redonner la parole au malade, le courant psychiatrique por- teur de ce mouvement participe & In reconnaissance d'une prise en charge de la santé mentale au-deld de l’asile et contribue accrot- te le poids de la spécialité dans Ia sphere médicale. Armés de cette nouvelle légitimité médicale et suciale & intervenir au plus proche, les psychiatres, qui sont payés par I'administration péni- tentiare, peuvent sintroduire en prison (3). Laspiration 4 une pratique autonome de soins psychiatriques en prison se fait alors d’autant plus grande que les évolutions a I'ex Xérieur sont importantes et que les intervenants en milieu carcé ral ne voudraient pas en étre exclus, I'enjeu étant bien de participer pleinement du corps médical, sans distinction des lieux d'exercice, Un décret de 1967 inclut les soins en prison dans la politique psy- chiatrique de secteurs, avec la création expérimentale de quelques centres médico-psychologiques régionaux dépendants de I'ad nistration pénitentiaire. Ceux-ci seront affranchis dix ans aprés de la dépendance vis-2-vis de cette administration pénitentiaire pour @ire rattachés & "hopital public, puis transformés en services médico-psychologiques régionanx (SMPR) en 1986 par un décret du 14 mars qui crée les secteurs de psychiatrie en milieu péniten- tiaire, a c6té des secteurs de psychiatrie générale et des secteurs de. psychiatrie infanto-juvénile. Une quinzaine de SMPR sont progressivement créés. (2) Ch. Castel Robert, Liordre psychiatrique, ge d'or de aliénisme, Pats, Minuit, 1976. (3) C1 Milly Bruno, Professions et prison, Lyon, thése de doctorat en sociologe, Université Lumiere Lyon Il, 2000, Promiers pas do la rie en prison des SMPR en 1986 Léquipe de SMPR ot 1a prise en charge des détenus Les anten- nes “toxi- intégrées dans les SMPR Les SMPR aprés la réforme de 1994 La [oi du 18 janvier 1994 octroie le bénéfice de la protection sociale & toute personne incarcérée et, sur le modéte des SMPR, transfére la médecine en milieu pénitentiaire au service public hospitalier. Elle crée notamment dans les prisons les unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) dépendantes d'un hépital proche. ce qui libére les somaticiens d'une dépendance structurelle vis-i-vis de I'institution pénitentiaire (4). Elle donne également des moyens supplémentaires 3 la psychiatrie et ouvre de nouveaux SMPR. désormais au nombre de vingt-six. Il s’agit pour eux d'une étape importante, marquant souvent le passage d'une psychiatrie d'urgence. sur la base de quelques vacations par semaine, 3 In possibilité d'un travail d’équipe pluridiscipli- naire. Dépendant d'un centre hospitalier spécialisé (CHS). sous la responsabilité d'un psychiatre praticien hospitalier (PH), une équipe de SMPR accueille pour des soins intensifs en hospitali- sation des détenus provenant d'un ensemble d’étahlissements pénitentiaires constituant un secteur de psychiatrie en milicu Pénitentiaire. Elle dispense également des soins plus courants pour les détenus de I"établissement oii elle est implaniée et, ps fois, selon les conventions conclues entre les prisons et les hopi- taux, pour ceux de prisons proches. Dans les établissements démunis de SMPR, ce suivi est assuré par une équipe du service de psychiatrie générale du centre hospitalier de proximité, Outre les médecine psychiatres, PH ou vacataires, seuls habilités A prescrire un traitement médicamenteux, l’équipe est souvent constituée de personnel administratif, de psychologues chargés du suivi des thérapies et d’infirmiers, auxquels s'ajoute parfois, une assistante sociale. Chaque prisonnier est systématiquement ‘vu par tous les services & son arrivée, dont le SMPR ou l'équipe médico-psychologique intervenant dans I’établissement. Au cours de ce premier entretien, les infirmiers présentent leur action et détectent les motifs d’une éventuelle prise en charge qu’ ils pro- posent a la personne détenue, les suivis psychologiques devant correspondre & une demande explicite des patients, laquelle sera ceffectuée par courrier. Provenant souvent de I"UCSA ou des sur- veillants, les signalements de personnes semblant fragiles, souf- frantes psychologiquement ou dépressives, sont aussi l'occasion de proposer une aide. Les situations urgence, telles que les cri- ses violentes correspondant & des phascs de décompensation, constituent les autres modes d’intervention du service. Dans le cadre des soins liés & la toxicomanic, qui conecrnent potentiellement 15 8 20 % des détenus en maison darrét (5). les antennes “toxicomanies” préexistantes ont intégré les SMPR, ot travaillent souvent des professionnels spécialisés qui intervien- rent également au sein de structures extérieures 2 la prison ot les détenus peuvent théoriquement poursuivre leur traitement apres leur sortie de prison. (4) Les prisons du programme "13 000" (concessions privée te sou pas concer res dans la mesure ou les structures de soins y relevent de structures privées (5) Selon le Haut Comité & fa santé publique en 1993, fn ton 53 ‘mal 2000 eyelet 3s Un accés malaisé aux soins psychiatriques Liaccés des personnes incarcérées au SMPR est rendu difficile par la stigmatisation dont fait l'objet la psychiatric, tant & l'exté- Fieur qu’a l'intéricur de la prison. Si la diffusion massive du “ modéle psy” a donné une grande légitimité au soutien psycho- logique dans les classes moyennes et supérieures, ce n'est pas le as en milieu populaire, dans les couches les plus touchées par Ia précarité et le chémage, les plus touchées aussi par l"incarcéra- tion. La fagon dont les services sociaux ont relayé le discours “psy” auprés des personnes en difficulté a parfois contribué a ces représentations négatives, ce discours incarnant dans certaines circonstances une démarche moralisatrice et culpabilisante, pour ne pas dire menagante (6), Aller voir le “ psy ” n'est pas une démarche anodine en prison, tant image du“ médecin des fous ” est prégnante. On reproche aisément au psychiatre d'assommer la population pénale de tran- quillisants. Spécialiste des “fiolés" ou des “épaves”, on l'appelle aussi “le dealer” en faisant allusion au fait qu'il prescrit des trai- ements de substitution a I'usage de stupéfiants. “Le SMPR, c'est pour les pointeurs” (les délinquants sexuels) entend-ou aussi par fois. D'autres détenus refusent catégoriquement l'idée daller au SMER, car ils rendent les psychiatres responsables de leur incar- eération & la suite d’un jugement oii les médecins experts sont intervenus. 1 incombe notamment aux infirmiers d’opposer a ces représenta- tions négatives une information sur activité du SMPR, une édu- cation i la santé mentale sans laquelle les détenus ne s‘engageraient pas dans une démarche de consultation. Les dilemmes du psychiatre en prison ‘Aux préjugés des détenus répondent en écho les dilemmes des psychiatres intervenant dans les prisons. Car la pratique psychia- trique ne va pas de soi en prison oi le thérapeute est confronté & des pressions qui faussent la relation qu'il entretient avec ses patients et l'aménent a sinterroger sur sa pratique. Adapter les détenus & leur peine ? Les troubles de I'adaptation et les pathologies “réactionnelles”, engendrés par les conditions de vie en détention, sont l'objet principal des demandes de suivi en SMPR. L'incarcération est pathogene, elle induit des perturbations mentales en provoquant des désiructurations, des ruptures de liens personnels, affectfs, familiaux ou professtonnels. Les psychiatres les distinguent des troubles dépressifs, “non réactionnels”, mais auxquels le milieu contribue également. Face & ces pathologies, de nombreux psy- (6) Comme c'est par exemple e eas Jorsqu'est envisagé le retrait des enfants de Ja famille a nom des risques psychologiques qu'ls encourent. négative du “pay? La prison est pathogéne La respon- ‘sabilisa- tion nale des malades mentaux Des détenus acculés au sulcide chiatres s"interrogent sur le sens de leur intervention et éprouvent le sentiment d°étre instrumentalisés, de contribuer & rendre sup- portable la prison. Invité & user de ses outils (Ia parole, le médi- cament) pour médiatiser les conflits, le désordre et l'indiscipline earcérale, le psychiatre craint de s‘exposer & “un dérapage €thique qui ferait de la bonne adaptation a la prison l'essentiel de (son) programme de soins, au détriment des pathologies sous- jacentes, qu’elles soient ou non & lorigine de linearcération (7), ‘A ce dilemme auquel i lui faut somme toute s‘adapter, s"ajoute le probléme beaucoup plus insurmontable de I'attitude & adopter face & I'ineareération croissante des psychotiques. Le retour du fou en prison On assiste en effet & une tendance forte & la responsabilisation pénale des malades mentaux délinquants. Les experts concluent de plus en plus systématiquement que les personnes présentant des troubles psychiatriques importants sont passibles d'une sanc- tion pénale (8), surtout lorsqu'ils ont commis des actes graves. {1 s‘ensuit un transfert de charges du sanitaire vers le judiciaire et le pénitentiaire, dont atieste le nombre de plus en plus élevé d'en- rants en prison qui. étaient préalablement suivis en psychia- trie (9). Or les SMPR n'ont pas été concus pour ce type de pathologie qui constitue Ia limite de leur action. Ils n'ont recours, en cas de crise aigué et en l'absence de consentement du patient, qu'd une procédure d'hospitalisation d’office qui nécessite de longues démarches pour un bénéfice souvent ponctuel, les dispo- sitions de l'article D.398 (10) di Code de procédure pénale étant inadaptées. Aprés parfois quelques jours seulement d’hospitalisa- tion au CHS, la crise passée, le patient est renvoyé & la prison. C'est alors aut personnel du SMPR. obligé de prendre en charge tun patient qui ne devrait pas éire en prison et qui perturbe le fonc- tionnement de la détention, de faire face & une situation qui cris- tallise les contradictions entre une logique de sain et une I repressive. Une partie non négligeable des suicides reléve de ces situations. ‘comme en atteste récemment, a Val-de-Reuil, le cas d'un détenu en état de démence mis au quartier disciplinaire. L'histoire révele qu'aprés un séjour en hépital psychiatrique. c'est sous de fortes doses de médicaments qu'il avait suivi le procés de ceux qui I'a- vaient violé en prison, avant d’y retourner pour y faire une crise Violente entrainant sa punition au “mitard” od il s'est sui- cidé (11). salon dela psyehiatee ot psychitrsation ef en ‘minalité, in Dormoy 0. (di) Soigner eto punir Ouestionnement sur a tion, le sens et les perspectives de ta paychitri en prison, Pai. LHarmattan, 1995, (8) La tanstormation en 1994 de ae avec le caractite di cle 64 du Code Pénal en anile 122, rom- ia notion de responsabilité nissé la pos- eration " des facutés mentales opposée & leur abolition, qui ell, entraine Firesponsabilisation pena (9) Un médecin de UCSA signatat que tat par exemple le cas de pres de 25% tes jeunes de 18 325 ans incareérés en 1999 3 Fleury: Mézovis (10) "Les a Fniventoive Suet proposition du madesin dela prison, i appar tient au prefer Je Tare procéde 8 leur intermement™ (11 Le Monde, 14/2000, = Pactuatite ‘mal 2000 peyeniatique enprscn 55 —— Regards sur Pactuallte ‘mal 2000 {a pratique peyenatnique ‘en prison 56 L’exemple d’un schizophréne en crise de décompensation et qui devient violent illustre bien le paradoxe de ces situations. Per- suadé qu'on va le tuer, il agresse un surveillant et se trouve condamné au quartier disciplinaire. La psychiatre parvient a en retirer cn procédant & son hospitalisation. A sa sortic de Phopital, il est aussit6t remis au quartier disciplinaire pour pur- ger sa punition qu'il encourt toujours, “parce que malade et parce que guéri (12)". Prescrire sans limites ? La prescription des médicaments psychotropes est un enjeu sen- sible en prison et soumet les psychiatres a des pressions contra- dictoires. Parce qu'elle engendre des risques de suicide et de trafic. administration pénitentiaire a longtemps procédé a I'u- sage de la “fiole” (molécules mélangées et diluées dans l'eau, Vefficacité douteuse), jusqu’a son abandon A Ia suite de la réforme de 1994. Depuis, une ordonnance accompagne générale- ment les traitements et les infirmiers donnent désormais en main propre les médicaments quotidiennement ou pour une semaine, selon la politique plus ou moins responsabilisante des services et selon les substances. Les détenus sont fortement demandeurs de médicaments psychotropes mais ceux-ci sont & la fois un facteur potentiel d'atteinte a l'ordre carcéral (trafic, risques de suicide) et un facteur de maintien de I'ordre en détention ~ ce qui pousse bien des praticiens & faire usage, fit-ce contre leurs convictions, de ce qu’on appelle la “camisole chimique” Oi traiter les toxicomanes 7 Pour tes toxicomanes, a demande médicamenteuse est plus grande encore, bon nombre de consultations, au SMPR comme & TUCSA, relevant de ce type de pression. Certains psychiatres se plaignent alors de linauthenticité de la relation qui en résulte. On entend souvent dire que l’incarcération est l'occasion pour les toxicomanes dine prise en charge, voire dun processus de sevrage ou d’un traitement de substitution, impossible en liberté. Le bon sens du propos révéle pourtant un inguiétant impensé de la prison : on ne sait plus si elle est destinée & produire de la peine ou du soin (13). Quant aux intervenants spécialisés des SMPR, ils ne semblent guére partager cette analyse. Ils considrent en géné: ral leur propre action comme un palliatif et la prison comme un lieu peu propice au traitement des toxicomanes. Estimant souvent qu'un réel travail thérapeutique ne peut effectivement commencer qu’a la sortie de prison, tls sont confrontés 2 la volonté de beau- coup d’anciens détenus de rompre avec tout ce qui reléve de la période d’incarcération. La substitution, lorsqué les psychiatres acceptent de la pratiquer, a profondément changé la problématique de l'intervention envers (12) Situation exposée parle médecin chef du SMPR de Fresnes. (13) Voir fa eriuque qu'en fait Antoine Lazarus dans =" Quand ia prison devient feluge ", Société er eprésentations, “Michel Foucault. Surveill et punit: La prison vingt ans aprés", CREDHESS, n° 3, novernbre 1996. Forte demande de psycho- tropes en Prison La prison, un lew Propice au traitement des toxi- comanes? Un risque de confu- sion, des réles les toxicomanes mais a ravivé le spectre du trafic. Elle se heurte souvent & l'incompréhension ou 3 l'ambivalence des surveillants qui dénoncent le risque de trafic et déplorent que les soignants, n’en tiennent pas compte tout en se plaignant du désordre qu'en- irainent les toxicomanes en état de manque (14). Sajuster aux préoccupations sanitaires du juge pour les délinquants sexuels ? La délinquance sexuelle est devenue en 1999 la premiére cause Gincarcérution en France. Traiter comme une pathologie des phénoménes de délinquance qui échappent au contréle social est chose courante. En l'espéce, par des peines lourdes de prison Sanctionnant des délits et des crimes de mature sexuclle, la société tenferme ce qui la choque avec I'idée qu’il s’agit d'une maladie & soigner I oll elle risque le moins de manifester ses sympt6mes, C'est-i-dire en prison. La loi du 1* février 1994 disalt que tut condamné pour agression ou atteinte sexuelle doit exécuter sa peine “dans des établissements pénitentiaires permettant d’assu- fer un suivi médical et psychologique adapté”. Celle de 1997 est plus explicite encore en instituant une obligation de soins, un tefus dui condamné lui valant une peine supplémentaire de prison ferme. Les propos de ce psychiatre de SMPR résument I'inquié- tude que suscite cette évolution chez: les professionnels : “il est clair que nous ne pouvons étre ahsents de ces prises en charge, mais nous ne devons ni cautionner I"idée que tous les délinquants sexuels relevent de la pathologie et des soins, ni accepter que nous soit transférée sans réflexion la responsabilité du pénal et du comportement futur de ces personnes (15) confusion avec l’expert est ici relevée, sont surtout soulignés les risques, pour les suignants, de se trouver impliqués dans "in jonction de soins & laquelle ces détenus particuliers sont soumis de fagon explicite par les juges de I’application des peines (JAP). Cette contusion des roles se retrouve dans le cas Ue cet établisse- ‘ment pour peine, spécialisé de fait dans l'incarcération pour délits ou crimes sexuels (plus de 75 % des détenus), ol les psychiatres ‘du SMPR participent & la commission de I application des peines (CAP). Certes, son chef de service veille particuligrement 3 évi- ter toute confusion entre peine et culpabilité dans laquelle ne doit pas tomber le travail clinique (16). Mais cette situation n’en fentraine pas moins des suspicions de la part des détenus & égard des psychothérapentes avec qui. au demeurant, ils disent entrete- nir une relation fictive. “Aller chez le psy dans le but de ne pas perdre ses grices” est une attitude relativement courante chez les Aélinquants sexuels. En fait, c'est toute Ia politique d'aménage- (14) CE Bessin Mare, “Politiques et prtiques de soins en prison”, in UF, Dro (gues ef toxicomanies, Indicareurs et vendances, 1998. {15} Lamothe Pierre, "Payehiatre en milieu pénitentiaire", Revue francaise des fares sociales, "La sani en prison * un enjeu de santé publique”, 1, javier- ‘mars 1997, (16) Peine et culpabitité “appartiennent 8 deux ordres de réalité différents = la alié sociale etudiciaie pour 'une, la réalité psychique pour Iautre. De méme {Que Ia elinique ve doit pas lire le erime comme un simple symprOme, de méne tlle dot ceconnaitre que la eine est souvent Ia condition dun travail sur la e pabilté, La peine est ainsi son ulime limite, Ia Timiteinfranchissable en prison’ Pilchard Philippe, Golze Anne, "Psychiatrie en pricon, une clinique aux limites ‘Revue francaise des affaires sociales, "La sauté en prison : un enjeu de santé publique”, vol 51, n°, janvier-mars 1997. ed Pactualieé mai 2000 a prague pevevataue fen prson 57 Regards sur actwalite ‘mal 2000 La pratique psyehainaue ‘en prison 58 ment des peines, oit le juge de l’application des peines demande systématiquement si une démarche de soin est entreprise. qui pro- duit ces relations fictives entre thérapeutes et patients. L"injone- tion de soin, qui transforme les détenus non demandeurs en détenus inquiétants, menace le noyau méme du travail thérapeu tigue en mettant en cause ce que suppose toute démarche en direction du SMPR : du temps, de la réflexion et le consentement de la part des patients Parce qu'elle s'inscrit dans une mécanique qui tend en perma- hence 4 confondre la peine et le soin, la psychiatrie en prison ne Peut échapper aux dilemmes. Pris dans un systéme judiciaire qui transforme le motif d'incarcération en dénomination de patholo- gie ("le pedophile”, “le violeur”, “le toxicomane"), les SMPR tentent avec difficulté de le réinscrire dans une problématique "histoire psychique du patient. Ces difficultés poussent Certains psychiatres au retrait, qui peut prendre la forme d'un dis- cours nostalgique de I'activité lextérieur, d'une stigmatisation lu c6té “manipulateur” des détenus ou de la déception face A inauthenticité” qui se crée immanquablement dans la relation avec eux. Cependant, la plupart des soignants de SMPR échap- pent a ces tentations par une réflexion quotidienne sur le lieu et la nature de leur intervention, quitte & douter parfois du bien- fondé de ce qu'on leur demande de plus en plus dy résoudre. Leur travail sinscrit en effet dans un processus a double dimen- sion. D’un c6té, la société répond de maniére croissante aux trou- bles du comportement par l'inearcération, comme en atteste la Fesponsabilisation pénale des malades mentaux délinquants. Dans un contexte tendant 3 ta psychologisation des problémes sociaux, on ne peut s'empécher dy voir une menace plus eénd. rale de traitement pénal du champ médico-social (17). De l'autre c6té, “on sent une évolution od la mission de service public d’en- fermement est en train de se faire relayer dans ses propres murs par des missions et des institutions sociales et sanitaires de droit ‘commun (18)". Autrement dit, l'amélioration récente des soins en prison par des moyens supplémentaires pourrait entrainer ['effet pervers d'une prison “en passe de se transmuer en institution soi- gnante, reflétant une société qui veut se donner bonne cons- science (19)". Loin de favuriser la réinsertion des detenus, ce double mouvement les maintient dans une situation de relégation 8 laquelle les psychiatres ont toujours refusé de contribuer. (20). Intervenir dans une institution paradoxale a laquelle on demande 8 la fois d'exclure et d'insérer, d'expier et de soigner, c'est immanquablement étre confronté a des dilemmes qui traversent (17) On peut voir fa waduction du traitement pénal de ta pauyreté aux Etats-Unis par le basculement de Itat-Providence en Elat-Pénitence, ef Wacquant Loic, Les prisons de ta mise, Pars, Liber, 1999, (18) Lazarus A\, Op! Cit (19) Dormoy 01, Op. Ct. (20) Ceriaines propositions qui émergent parfois,telles que la création de struc tures cemi-psychiatiquer, etni poniteniares, celui de transformer la prison en liew de soin tous ceux — surveillants, soignants, éducateurs... - qui y tra- vaillent, quelles que soient leurs attaches institutionnelles et leurs missions. La situation des psychiatres n'est pas & cet égard origi- nale. Accepter d’étre psychiatre en prison, c'est étre confronté aux contradictions de institution et accepter une certaine fragi- lisation de son identité professionnelle. Quand bien méme il rela- tiviserait la spécificité du lieu de son intervention pour mettre en avant l"universalité des principes qui guident I’exercice de son métier, le psychiatre qui pratique en prison prodigue de fait des soins qui ne sont pas de méme nature que ceux qui sont deman- dés et administrés dehors. Pactualité ‘mai 2000 La pratique ‘psychiatnique en prison 59

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