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QUVELLES de DANSE EN COMMUNAUTE FRANCAISE DE BELGIQUE i} | o iS = = QD iS) TS 4 i = = 2) 4 = i 4 Se 2) 5 a Biotypes PAAP sxlynamique equilibre dynamique Périodique bimestriel - ne parait pas en juillet-aoat - N°12 - Septembre 1992. Ed.resp.: P.Kuypers - 46 rue de Flandre - 1000 B. - Bureau de dépét: Bruxelles 1 EDITORIAL AI PARFOIS le sentiment qu’il y a des trésors cachés autour de nous, proches souvent, sans que nous en ayons conscience par simple manque d'information. Crest ce type de rencontres ou de découvertes que veut privilégier Nouvelles de danse en Communauté francaise de Belgique et c’est ce qui a amené l'idée de consacrer cette édition aux rapports entre danse et kinésiologie. Non pas pour faire le tour de la question que des spécialistes font avec grand talent dans des publications ou des revues de recherche & vocation plus scientifique, mais justement pour esquisser des démar- ches qui se présentent comme autant d'outils pour les danseurs professionnels, mais aussi pour tout qui souhaite une utilisation optimale de l’instrument de communication qu’est le corps humain. Godelieve Struyf-Denys, au départ une plasticienne, a synthétisé l'apport de toute une série de thérapeutes corporels pour élaborer sa propre méthode que bien des danseurs belges ignorent. Eliane Lefebvre a fait aussi un long parcours & travers la Kinésithérapie et la danse pour trouver l’instrument qui convienne & l'un comme & l'autre pour mieux s’utiliser. Odile Rouquet et Hubert Godard ont popularisé la kinésiologie en France au point qu’a présent elle est intégrée a l’enseignement officiel des danseurs et des pédagogues. Un exemple & méditer sans aucun doute pour une formation encore a créer en Communauté francaise de Belgique. Par ailleurs Nouvelles de danse a été présent dans certains lieux de rencontres européen- nes de cet été: le colloque de Montpellier sur un statut européen du danseur, une situation toujours assez catastrophique dans la plupart des pays d'Europe malgré |’évolution indiscu- table de la danse, et la rencontre Autres pas & Aix en Provence organisée par l'Institut de Pédagogie Musicale et Chorégraphique de la Villette, Sans oublier la présence intense de Susanne Linke a Bruxelles en ce début d’été que, quelque part, la présentation d’une série de solos aux Brigittines fin des vacances prolonge ou fertilise, Voici donc de la nourriture tant corporelle que spirituelle pour! ouverture d’une nouvelle saison qu’on espére aussi fourmillante que la précédente. Pour L’EQUIPE DE REDACTION Patricia KuyPers Edité par CONTREDANSE asbl en collaboration avec la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, avec l’aide du Ministére de la Culture et des Affaires sociales, de la Communauté francaise, Service Musique et Danse, de la Commission Communautaire francaise de la Région de Bruxelles-Capitale. Contredanse asbl / tél. / fax: 02/502.03.27 2 SOMMATRE DROITS: Le statut du danseur en Europe. Colloque 4 Montpellier 4 Claire Destrée DOSSIER: Danse et kinésiologie Préambule Il Patricia Kuypers. Hubert Godard. De la kinésithérapie 4 I’enseignement de la technique F.M. Alexander en passant par la danse 13 Eliane Lefebvre. Introduction a la méthode des chaines GDS Mettre en soi un homme debout 22 Godelieve Denys-Struyf. Etre sa danse. La kinésiologie au service de l’expression dansée 28 Odile Rouquet. Autre pas. Autres temps, autres lieux, autres corps, autres danses 34 Patricia Kuypers Quelques références bibliographique 41 INFOS Echos 42 Telex 43 Publications 44 Stages 45 Festivals 46 Colloques-Séminaires-Rencontres 49 Concours 51 Agenda 62 Claire Destrée - RESPONSABLE DE PUBLICATION: PaTRIcIA KuYPERS - CoorDINATION: CLAIRE DestREE - ONT COLLABORE A CE NUMERO: HuBerT Goparb, GoDELIEVE DENYs-STRUYF, ELIANE LEFEBVRE, ODILE ROUQUET - GRapHIsME: DANIELLE GRC - IMPRESSION: REGIE GRAPHIQUE Couverture : dessin de Godelieve Denys-Struyf. 3 LE STATUT DU DANSEUR EN EUROPE. COLLOQUE A MONTPELLIER. Apres l’explosion chorégraphique des années ’80, qu’en est-il de la situation des danseurs en Europe? Quels sont les problemes spécifiques qu’ils rencontrent au cours de leur formation, de leur carriére professionnelle, de leur reconversion? Peut-on y apporter des solutions concrétes au niveau de la législation propre a chaque pays? Une harmonisation peut-elle étre envisagée au plan européen? Autant de questions qui furent abordées lors du colloque organisé dans le cadre du festival Montpellier Danse et qui rassembla, les 2 et 3 juillet derniers, juristes, chercheurs, et professionnels de la danse. a A PROBLEMATIQUE générale de la situation des danseurs en Europe fut introduite par Michel Magnien (avocat & la Cour), qui évoqua surtout la protection sociale, la fiscalité, et les droits voisins des danseurs en France; et par André Nayer (professeur a ULB) qui tint @ rappeler que «Aujourd’hui, prés d’ici, tout prés, la poudre parle, et ses maux briilants ne laissent que cendres. Jouerais-je au Cassandre en disant que nous dansons aujourd hui sur un baril de poudre? Le cétoiement de la danse et de la guerre est réalité... Parler de danse, c’est au moins évoquer la chair et le sang, parler de la peur, et de la pesanteur des voiles de plomb qui nous pousse au racisme ou a la xénophobie». En cela il rejoignait le Maire de Montpellier, Georges Fréche, qui insista sur la vocation d’ ouverture, de tolérance et d’accueil, de la ville et du festival; et le directeur de Montpel- lier Danse, Jean-Paul Montanari, initiateur du colloque. UN «STATUT» POUR LES DANSEURS? Clairement, le désir général n’est pas d’obtenir un «statut pour les danseurs» qui les différencierait des autres artistes, ni un «statut» qui les distinguerait des autres travailleurs et les placerait dans un régime de faveur, mais bien d’apporter une série de solutions concrétes aux problé- mes dénoncés, par des dispositions précises ajoutées a la réglementation générale, liées aux spécificités de la carriére du danseur. Concernant la situation des artistes dans les pays de la CEE, l’interven- tion de Doris Pack, député au Parlement européen, fit clairement apparaitre que, de fagon généralisée: - la législation en matiére de protection sociale et de fiscalité est inadaptée 4 la profession artistique - le chémage est trés fréquent chez les artistes - és peu d’artistes parviennent a vivre de leur art, et les revenus artistiques sont en-dessous de la moyenne - le cumul d’activités est dés lors trés fréquent. 5 Paradoxalement, malgré le développement de la création chorégraphi- “que au cours des années °80, la situation des danseurs ne s'est guére améliorée. PROBLEMES COMMUNS, REGLEMENTATIONS DISPARATES Un panorama de la situation de |’artiste chorégraphique au regard des lois et réglementations dans les différents pays de la CEE fut brossé par des spécialistes. Pour la France, Philippe Le Moal (conseiller de production chorégra- phique) rappella que, bien qu’il n’existe pas de «statut du danseur» en France - ni dans aucun autre pays d’ailleurs - des dispositions particulires sont prévues pour les artistes du spectacle, dont les artistes chorégraphiques: la présomption de salariat; l’autorisation d’une succession de contrats & durée déterminée; la Caisse des Congés spectacles pour les intermittents (sur un total d’environ 3000 danseurs, 80% sont occupés de facon intermittente); une déduction fiscale supplémentaire de 25% pour frais professionnels; un aménagement de |’ assurance chémage qui permet aux intermittents d’étre couverts d&s lors qu’ils prestent 507 heures par an (il S’agit cependant d'un accord conventionnel, susceptible d’étre modifié, et on connait les inquiétudes des intermittents 4 ce propos); un systéme de retraite complémentaire; un droit 4 a formation professionnelle continue (géré par l’AFDAS). Les droits voisins, ou droits de l’artiste interpréte, sont reconnus en France depuis 1985. Michel Magnin brossa également un tableau de la situation des danseurs en France, et insista sur la nécessité de distinguer la perception de droits voisins, de la rémunération pour un travail presté, Responsable du CIOD (Centre d’Information et d’Orientation du dan- seur), Christophe Blandin-Estournet fit partager son expérience au sein de cette structure récemment créée, intermédaire indispensable entre danseur et droit. Cecilia De Moor (juriste au Vlaams Teater Instituut) précisa qu’en Belgique, le danseur peut étre soit salarié, soit indépendant, mais depuis 1969 (article 3.2 del’A.R. du 28/11/1969), les artistes du spectacle, dont les 6 danseurs, sont assujettis 4 la protection sociale des travailleurs salariés, indépendamment de la nature de leurs contrats. Néanmoins, l'article 3.2 est rarement appliqué. Par ailleurs, les conditions d’accés et de maintien des différentes prestations de la sécurité sociale, basées sur le montant des rémunérations et/ou la durée du travail, permettent difficilement aux danseurs d’en bénéficier sur base de leurs prestations artistiques. Le cumul avec d’autres activités professionnelles plus rentables est donc, comme partout en Europe, trés fréquent. Concernant la fiscalité, il n’y a pas, en Belgique, de déduction supplémentaire de frais professionnels pour les artistes du spectacle. Cette déduction serait cependant tout a fait justifiée par les frais de formation continue, de soins de santé, de costumes, etc. Les prestations d’artistes de spectacle et de groupements sont exonérées de TVA. La proposition de loi Lallemand, déja votée au Sénat, prévoit la re- connaissance des droits voisins, jusqu’ici non attribués. Ariane Joachimovicz (avocate), mentionna la tenue de la table ronde «Un statut pour les artistes» en Belgique, qui débat des propositions élaborées par André Nayer et Suzanne Capiau en matiére de protection sociale, de fiscalité, et de négociations collectives, et en exposa tous les enjeux pour les artistes en Belgique, mais aussi toutes les potentialités que ces propositions contiennent dans un cadre européen. En Italie, pour Bruno Grieco (Président de l’ELART), c’est la situation de la danse qui doit étre résolue plut6t que celle du danseur. La danse, encore considérée comme un appendice de la musique, ne regoit que 4% du budget consacré aux arts du spectacle et dont plus de la moitié est absorbé par les théatres lyriques. Doménico Del Prete (coordinateur de la Facsi), considére également que le probléme n’est pas d’ ordre législatif, en Italie, mais culturel. Les danseurs - engagés dans les compagnies permanentes - y bénéficient dune protection sociale et d’une retraite anticipée. Bruno Grieco appella de ses voeux la tenue d’ Assises européennes de la Danse, et la création d'une Année de la Danse en Europe. Gemma Sandra (Centro de Estudios de Planificacion, Barcelone) rap- pella qu’en Espagne, ot la forte tradition de danse folkloriquel’emporte sur la danse classique, la danse comme art de spectacle est assez récente, et s'est développée dans les années ’80 dans un contexte oii il n’y avait au départ ni politique culturelle, ni lieux de diffusion, ni public. L’appui 1 institutionnel reste trés réduit - comme ailleurs, la danse reste le parent pauvre de la musique et du théatre - et ne permet pas la stabilisation des compagnies. Vu la précarité financiére du milieu, les cotisations sociales Testent souvent impayées. D’autre part, les conditions d’accés aux prestations sociales n’étant pas aménagées pour les artistes, les danseurs en bénéficient rarement, Paul Bronkhorst (juriste au Nederlands Instituut voor de Dans) insista sur le fait que le «statut» du danseur varie selon que celui-ci travaille dans une compagnie permanente ou non. Aux Pays-Bas, environ 245 danseurs travaillent dans 9 compagnies permanentes, et 750 dans des compagnies subventionnées au projet, ou non subventionnées. Le budget accordé a la danse y reste trés faible par rapport aux autres disciplines artistiques. Le salaire des danseurs y est de 43% inférieur & celui des autres artistes interprétes. Probléme général en Europe, que John Ashford, directeur du Place Theatre, stigmatisera en disant: «le fonds du probléme de ce statut, c’est que les danseurs ne sont pas payés suffisamment». IL existe aux Pays-Bas un Resettlement Fund for Dancers (Caisse de réinsertion pour les danseurs), pour la reconversion des danseurs en fin de carrigre. Pour en bénéficier, les danseurs doivent néanmoins y avoir cotisé pendant dix ans, Une Caisse de Retraite pour les danseurs a en outre été créée il y a quelques années, Les danseurs employés dans des compagnies permanentes bénéficient de ces Caisses (pour peu qu’ils y aient cotisé suffisamment), de conventions collectives, et d’un abatement supplémen- taire d’impéts pour leurs frais professionnels. Pour la Grande-Bretagne, Susan Hoyle (Arts Council) précisa que 30% des danseurs ont un salaire, bénéficient du Dancers Resettlement Fund pour LA SOCIETE DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES se tient a la disposition des chorégraphes pour fournir toute information relative a leurs droits d’auteur. Service «chorégraphie»: Madame Monique Heyman S.A.C.D.: 29, avenue Jeanne - 1050 Bruxelles Tél: 02/646.08.70 - Fax: 02/646.36.66 8 leur reconversion, de soins médicaux gratuits, et ont droit a la pension a 35 ans, En Allemagne également, une distinction doit étre faite entre les danseurs travaillant dans le corps de ballet des théatres (environ 2.700) et les danseurs «libres»; dictinction qui correspond a peu prés au fossé entre danse classique et danse contemporaine. Hans Herdlein (syndicat des artistes) évoqua les premiers, pour lesquels le montant des salaires, 4 l’exception des solistes, et le temps de travail, sont fixés par conventions collectives. Ils bénéficient d’une couverture sociale et sont assurés par la «Caisse d’assurance des théatres allemands». Thomas Schréde (directeur de la Tanzfabrik) dénonga la condition des danseurs «libres», beaucoup plus précaire: pas de contrats fermes, une protection sociale et une assuran- ce vieillesse insuffisantes,... Cependant, la récente mise sur pieds de nouvelles structures, créant des réseaux dans toute I’Allemagne, devrait favoriser la diffusion et la formation en danse contemporaine. LE CORPS EN JEU Des tables rondes devaient permettre des débats plus larges. «Le corps en jeu», présidé par Alain Surrans (directeur du festival Iles de Danse), touchait au coeur de la spécificité de la profession de danseur, la vulnérabilité du corps, instrument le plus intime, outil le plus fragile, berceau de la communication. Il abordait les problémes posés par la maladie, la maternité, la retraite, les accidents, le sida, avec les témoigna- ges et les interrogations de médecins, danseurs, chercheurs: Quel corps pour quelle danse? Pourquoi les danseurs arrétent-ils de danser? La retraite 440 ou 45 ans correspond-elle a une réelle nécessité ou est-elle encouragée par la pression sociale? En quoi le corps du danseur est-il plus en jeu que d’autres corps? Oil, quand et pourquoi surviennent les accidents? Que fait un danseur atteint du sida, qui n’a plus la force de danser, mais qui voudrait encore travailler dans le milieu de la danse?... «Danseurs sans frontiére et fronti¢re du droit», présidé par André Nayer, proposait une réflexion sur la situation sociale et fiscale des danseurs, les droits d’auteur et d’interpréte, la formation, et la reconver- sion, le cumul d’activités. On le voit, les problémes communs 4 tous les danseurs sont de plusieurs 9 ordres: protection sociale et fiscalité et, de fagon générale, politique culturelle. Dans la plupart des pays abordés, la politique culturelle en matidre de danse reste défaillante. Les budgets qui lui sont accordés restent faibles par rapport au budget global des arts du spectacle. Or, pour le moment, il semble que seuls les danseurs engagés dans des compagnies permanentes aient une couverture sociale (en cas d’accident, de maladie, de chémage, de retraite,...) adéquate. La fiscalité, dans la plupart des pays, ne tient pas suffisamment compte des frais spécifiques encourus par le danseur (pour sa formation continue, ses soins de santé, ses déplacements pour auditions, etc), de l’irrégularité de ses revenus, ni de la courte durée de sa carriére. Enfin - et surtout - le systéme de protection sociale, inadapté aux conditions de travail intermittent des danseurs, pose probléme tant pour payer les cotisations que pour accéder aux prestations. Une des questions cruciales qui se pose est celle du financement de la protection sociale des danseurs - et des artistes en général. Des propositions ont été faites dans différents pays; il faut espérer qu’elles pourront se concrétiser, grace & une prise de conscience généra- lisée, pour améliorer la situation du danseur. Care DEsTREE ACO CM neers MOcsrrsitensectrtccmvectiteevicemiccM sf. ea DT vous tient informé de tout ce qui se passe en danse en OSMTLETT SHEN a Mstar tip totameuy el CSC Tea NOES Sons tao peNcrrpNTo lye s CONTREDANSE: 46, rue de Flandre, 1000 Bruxelles Membres adhérents : 500 Fr / Institutions : 1500 Fr quil vous suffit de verser sur le compte 001-1638532-84 avec la mention PUM t api ae a eareniom ene eM case areGT Cuts Papport de l’analyse du mouvement a la danse ne date pas d’aujourd’hui. Il y a plusieurs années déja que, dans les stages organisés par Contredanse, s’integrent des sessions de tech- nique F.M. Alexander, d’eutonie, de conscien ce du mouvement ou de body-work. Mais si, inévitablement dans la danse contemporaine, on est amené d explorer des techniques paralléles qui ont fait évoluer la danse @’aujourd hui, je pense notamment aux arts martiaux, d la capoiera, etc... la nécessité de posséder des outils d’analyse et d’ventretien en bonne santé du corps» n’est pas encore apparue de maniére évidente pour tous les danseurs et chorégraphes. Je n’en veux pour preuve que les nombreux accidents survenus ces derniéres années dans des compagnies de danse de renommeée internationale ou, plus proches encore, les nombreuses incapacité de travail que rencontrent les dan- seurs autour de moi. Nous aurions pu tenter de donner un éventail complet des techniques apparues depuis le début de siécle, la méthode de Moshe Feldenkrais, eutonie de GerdaAlexan- der, la technique Méziére, les mouvements fondamentaux d’Imgard Bartenieff, V'idiokinésis et la visualisation @’ Iré- \ ewig d’explorer plus avant cette question de I DOSSIER ne Dowd, le body-mind centering de Bonnie Bainbridge Cohen, etc..., mais une année entiére de Nouvelles de danse n’y aurait suffit. C’est pourquoi nous avons choisi de n’évoquer que quelques unes d’entre elles, donnant par ailleurs les références des publications récentes sur le sujet pour qui voudrait approfondir la connaissance de ces diverses démarches. La lecture d’un entretien avec Hubert Godard avait attiré mon attention sur cette question de la souffrance dans la danse qui semble si souvent faire partie du quoti- dien du danseur comme une fatalité. Je me suis permis d’en publier des extraits significatifs de ce qu’il rencontre dans sa pratique de kinésiologue aujourd'hui : «Je recois beaucoup de danseurs en privé. Et je peux dire que dans la danse francaise ily a beaucoup, beaucoup de souffrance. Parce que les choses sont prises de Pexté- rieur. D’un cété, il y a un propos chorégraphique tres développé et dominant. De autre cété, ily a aliénation du danseur. La chorégraphie sera toujours prise sur son autonomie, sur une matiére qui lui échappe. Le travail que Je fais a entre autres pour but de rendre le danseur autonome face au monde qui l’entoure, face a la choré- graphie. Il y a de plus en plus de corps margqués par la souffrance, par le recours au geste répétitif qui n’ est pas un geste complet, qui n’engage pas le tissu corporel dans son intégrité, Il y a un état évident de déchirure du corps en France.» * * extrait de l’entretien avec Laurence louppe intitulé La peau et les os et paru dans le Bulletin du CNDC n°3, été 1983. = 2 DOSSIER DE LA KINESITHERAPIE A L’ENSEIGNEMENT DE LA TECHNIQUE F. M. ALEXANDER EN PASSANT PAR LA DANSE. EN 1984, ANNEE OU JE FUT CERTIFIEE PROFESSEUR DE LA TECHNIQUE F. M. ALEXANDER, CELLE-CIETAIT QUASIINCONNUEEN BELGIQUE, ALORS QU’A PRESENT DES ARTICLES A SON PROPOS PARAISSENT TRES FREQUEMMENT DANS LES REVUES, OU LIVRES CONSACRES ALA DANSE. SANS DOUTES EST-CE UNE RECONNAISSANCE, MAIS C’EST AUSSI, EN FAIT, UN RETOUR AUX SOURCES, PUISQUE F. M. ALEXANDER — (1869-1955) ENSEIGNAIT DEJA AU DEBUT DE CE SIECLE. BIEN QUECELARESTE TOUJOURS POUR MOI UNE GAGEURE DE TRANSMETTRE VERBA- LEMENT LE CONTENU D'UNE PRATIQUE, JE SUIS HEUREUSEDE PROFITER DE L'OCCASION QUE CONTRE- DANSE ME DONNE POUR PARLER DE LA TECHNIQUE M. A. ET DB L'INFLUENCE BENEFIQUE QU’ELLE PEUT AVOIR SUR LES DANSEURS. Eliane Lefebvre avec ' Infini Thédtre. Photo: Mireille Brocas DOSSIER vanr de devenir enseignante de cette technique, j’étais kinésithé- Tapeute et pendant 25 ans, je ne me suis jamais lassée de chercher comment mieux aider les autres en m’aidant moi-méme, faisant des formations diverses comme la sophrologie, les chaines musculaires, faisant de nombreux stages dans des méthodes comme I’eutonie, Felden- krais, Bartenieff. Je restais toujours sur ma faim, toujours dans une certaine incertitude, alors que, dés mes premiéres legons, je fus fascinée par les transformations que la technique était capable de m’apporter. C’est pour cela que la thérapeute que j’étais est devenue enseignante. D’autre part, parallélement 4 mon métier de thérapeute, j'avais décou- vert la danse contemporaine dans les années 67-68, un ge ob il était exclus d’en faire I’apprentissage autrement que comme amateur. Cepen- dant, amateur passionnée, j'ai travaillé le plus et le mieux possible pour essayer de rattraper tout le temps perdu. (Inutile de dire que je me faisais des illusions.) Lorsque la technique F. M. Alexander m’a ouvert les yeux sur les défauts dans l’usage que je faisais de ma personne, défauts que j'avais renforcé dans l’apprentissage de la danse malgré d’excellents professeurs, J'ai constaté qu’une certaine qualité et une certaine aisance remplagaient les efforts inutiles que je faisais jusque 1a dans le but d’avancer et de Tegagner du temps. Je trouvais enfin une cohérence entre ce que j’étais et ce que je faisais, entre mon désir de m’améliorer et d’aider ceux qui souhaitaient s’améliorer. Qu’est-ce donc que cette technique qui existe depuis le début du siécle et est restée si longtemps confinée dans les pays anglo-saxons avant de nous atteindre? Elle n’est pas née d’une théorie qui serait vérifiée par|’expérience, mais plut6t de l’expérience qu’un acteur, F. Matthias Alexander fit sur lui- méme. Je ne ferai que résumer cette expérience qui a duré plusieurs années et je m’étendrai davantage sur les conclusions et les bénéfices que les danseurs peuvent en tirer, Au moment ot! F. M, Alexander commencait & avoir un certain succés comme acteur professionnel, sa carriére fut interrompue par des extinctions 4 DOSSIER de voix de plus en plus fréquentes. Aucun traitement ne l’en débarrassait, sauf le repos complet. Les médecins consultés ne trouvaient rien de pathologique au niveau des organes de la voix. F, M. A. se demanda alors s’il ne “faisait” pas quelque chose, quand il récitait, qui compromettait l'usage de la parole. Il se mit alors a s’observer, utilisant pour cela des miroirs tout autour de lui, et fit ce que tout homme de science fait pour une expérience de laboratoire: un travail patient et minutieux d’ observation, devenant lui-méme |’ objet de l’expérience, notant au jour le jour ce qu’il constatait pendant qu’il récitait, et cela de la téte aux pieds. Dans son livre «The Use of the Self» (1) au paragraphe Evolution d’une technique, il a décrit en long et en large ses constatations, |’évolution et la transformation de son état... (II est encourageant de constater que la mise a jour de nos connaissances neuro-physiologiques, loin de réfuter cette expérience éclaire et vérifie toujours davantage ce qu’on pourrait appeller sa découverte.) C'est a partir de cette découverte qu’il mit au point un enseignement qui ne dispense pas un savoir, mais bien des moyens pour apprendre ou réapprendre & s"utiliser, pour apprendre apprendre. Auméme titre que la danse, la technique est donc un apprentissage, mais elle est surtout un fondement, une base, une véritable éducation (et non quelque chose que I’on fait «a c6té») a partir de laquelle l’apprentissage de la danse, comme d’ailleurs tout autre apprentissage, peut étre facilité. Quelles sont les principales constatations qu’Alexander tira de son expérience? - Qu’il avait certaines mauvaises habitudes lorsqu’il se mettait 4 réciter qui troublaient la relation dynamique entre sa téte et le restant de son corps, et que ce mauvais usage retentissait sur sa voix, - Que la puissance de ses mauvaises habitudes était telle que, lorsqu’il était stimulé par son but, & savoir réciter, i] ne parvenait pas 4 vaincre la mauvaise utilisation de la jonction téte/cou, ce qui influengait tout le restant du corps, y compris le fonctionnement de sa respiration. - Qu’il ne pouvait se fier & ses sensations pour se rediriger: en effet, il fut fort surpris et désappointé de constater qu’il faisait autre chose que ce qu’il sentait et croyait faire lorsqu’il avait la volonté de se corriger. 15 ORT G8 Quelles conclusions en a-t-il tiré? - Que le mauvais usage retentissait sur le fonctionnement - (dans son cas: Voix, respiration). - Qu’il y avait une interaction entre toutes les parties du corps. Qu’il était donc inutile de changer un élément de l'ensemble sans reconsidérer tous les autres éléments de l’ensemble. - Que nous ne sommes pas conscients de nos mauvaises habitudes qui sont ce- pendant imprimées dans notre cerveau (on parle d’engramme en neuro-physio- logie). Pour parvenir & les changer, il faut: 1) Prendre conscience de ce qui est faux 2) Apprendre a inhiber ce qui est faux et non pas le corriger, ensuite établir consciemment de nouveaux circuits dans le cerveau par l'utilisation de nouveaux moyens, en particulier, rétablir ce qu’il a appellé le « “contrdle primordial” du fonc- tionnement de tous les mécanismes de Vorganisme humain».(2) 3) La stimulation créée par le but est tellement forte qu’il est préférable de penser aux moyens a utiliser pour attein- dre le but plutét que de penser au but en premier lieu. 4) Il mit I’hypothése que si ses sensations étaient Sujettes & caution il devait étre possible de les restaurer, mais que, dans un premier temps, il devrait faire confiance & un nouvel usage conscient et raisonné plutét qu’a ses sensations. Chacun d’entre nous, comme F.M. A., peut étre confronté, ’ un moment donné de sa vie, 4 un probléme lié a la maniére dont nous nous utilisons, tant entendu que ce que F.M. A. a appellé I’usage de soi, comprend aussi bien l’aspect psychologique que physique. Les danseurs n’échappent pas a cette régle. 16 DOSSIER Au plus j’enseigne, au plus je m’apergois que nous passons par les mémes étapes que F.M. Alexander et que, ainsi qu’il le dit dans son livre «The Use of the Self» au paragraphe Histoire d’un cas: le bégue: «Mon expérience de ’enseignement m’a montré que, plus les condi- tions sont anciennes et mauvaises chez l’éléve, plus l’éléve les pergoit comme familiéres et justes; lui enseigner comment en venir & bout est d’autant plus difficile, malgré tout le désir de I’éléve d’y parvenir. En d'autres mots, sa capacité d’apprendre une nouvelle maniére d’agir est, en régle générale, en raison inverse du degré de mauvais fonctionnement présent dans l’organisme et aussi de l’ancienneté de ces conditions.» A quoi alors servent les enseignants de la technique F.M. Alexander? Si cet homme, qui fit son expérience complétement seul, a estimé utile de former des enseignants, c’est pour donner |’aide d’un oeil extérieur qui - dans un premier temps va nous aider a trouver ce qui est faux dans notre usage, nous apprendre a l’anticiper pour pouvoir |’éliminer, autrement dit a inhiber ce qui est indésirable dans nos habitudes, a éliminer ce qui est inutile et, ce qui dans les mots peut sembler paradoxal, a réapprendre & «faire» aprés avoir appris 4 «ne pas faire». C’est ce processus de I’inhibition qui fait A la fois l’originalité de la technique et qui la différencie d’autres méthodes telles que celles que jai citées au début de cet article (eutonie et Feldenkrais e.a.). C’est peut-étre 1a que, pour certains, réside la difficulté, voire le rejet, alors que c’est, je crois, ce qui fait son efficacité. - dans un second temps, le professeur, par l’intermédiaire de ses mains et de sa propre coordination, réajuste l’équilibre de l’éléve, équilibre toujours instable, (en anglais “poise”) grace auquel’éléve est toujours prét a s‘adapter & une nouvelle situation (donc particuliérement utile pour les danseurs). Dans le paragraphe consacré 4’ étude d'un cas: le begue, F.M. Alexander précise encore: «De méme qu’une expérience sensorielle ne peut étre traduite par la parole, de méme mes paroles, aussi communicatives fussent- elles, ne lui apporteraient |’ expérience sensorielle (non familiére pour lui) de parler sans tension et sans bégayer. »(1) Vous voyez je ne parle ni d’exercices, ni de relaxation, encore une an DOSSIER originalité de la technique. Les exercices, les danseurs en font assez, et ils peuvent apprendre le processus «inhibition» a partir de ce qu’ils font, comme & partir de n’importe quel mouvement de la vie courante: s’asseoir, se lever d’une chaise, marcher, monter les escaliers, etc... Larelaxation, c’est quelque chose que lon peut faire pour se reposer du travail, 4 c6té du travail, alors que la technique s*intégre dans le travail, apprend comment travailler avec un minimum d’ef- aa forts pour un maximum d’efficacité. nN Quelles sont en général les réactions des danseurs & ce type d’enseignement? Passé |’étonnement de ne faire ni exercices, ni relaxation, d’étre observé minuticusement des pieds & la téte, aussi bien visuellement que manuellement, les danseurs sont souvent stupéfaits lorsqu ils s’apercoi- vent qu’en suivant les directives du professeur, in- cluant inhibition de la ou des mauvaises habitudes, ce qu’ils sentent comme faux est juste, alors que ce qu’ ils sentaient jusque 1a comme juste est faux. S’ils ne pouvaient vérifier ce qu’ils font dans le miroir, ils ne le croiraient pas. Ils comprennent mieux alors pourquoi nous leur demandons, au début, de ne pas chercher & sentir ce qu’ils font, mais plutét de faire confiance en leur pensée: penser 4 comment faire, penser avant de faire, pour parvenir en fait & «faire» aprés avoir appris & «ne pas faire» (comme je l’ai dit plus haut) ce qui se comprend au fur et mesure dans la pratique. (Dans tout ceci il n’est évidemment pas question que le professeur de la technique se substitue au professeur de danse, il est seulement peut-étre plus facile pour les danseurs de s’adresser a quelqu’un qui pratique ou a pratiqué la danse.) Une autre surprise est, pour certains, de ne plus devoir faire d'efforts, au point que cela leur parait anormal, pour d’autres de faire un effort, 14 ob ils n’en percevaient pas d’habitude. Comme les autres éléves, chaque danseur a des habitudes qui lui sont propres, c’est pourquoi nous donnons ahs surtout des legons particuliéres. Quel est mon état d’esprit vis 4 vis des danseurs? Je sais que le corps des danseurs est |’instrument direct qu’ils utilisent pour s’exprimer dans l’art qu’est la danse. Je sais aussi que cet instrument, soumis a des exigences particuligres, doit donc étre particuliérement bien accordé, nous disons coordonné. Cependant!entrainement quotidien auquel cet instrument est soumis ne doit pas faire oublier que les danseurs sont des étres humains sensibles, pensants, conscients. En leur demandant d’anti- ciper les mauvaises habitudes qui ont entrainé des problémes et en leur demandant de penser trés consciemment aux nouveaux moyens 4 utiliser, je fais confiance en cet &tre humain que je respecte... Le but dont nous avons tous besoin pour vivre, c’est, pour les danseurs, danser. Leur demander de ne pas y penser pendant les legons de technique Alexander, mest pas oublier ce but: c’est de ne pas s’en préoccuper. Leur demander de ne pas chercher & bien faire, mais de laisser faire, n’est pas un laisser aller, incompatible avec la danse, c’est éviter une cause de tension, un effort inutile. Quel est l'état d’esprit que je souhaiterais chez les danseurs comme chez tous les éléves de la technique F.M. A.? Je dirais que le principal est d’étre disponible mentalement, sans quoi iln’y apas de disponibilité physique possible, d’étre sans a priori, sans quoi iln’y a pas de transformation possible, d’étre patient plut6t que volontaire. J'aimerais m’étendre un peu sur l’aspect «volonté» qui retentit, me semble-t-il, également sur l’usage que les danseurs font d’eux-méme. Et ce d’autant plus que j’ai suffisamment parlé des problémes physiques liés ala pratique intensive de la danse lors du colloque «Santé et danse» organisé par la FED. Dans le chapitre IV du livre «Le corps enjeu»(2), Benoit Lesage parle de facon trés intéressante de cet aspect. Il cite d’abord Paul Chauchard (p.236): « ...I] faut distinguer la volonté du volontarisme qui est une lutte contre soi... I] s’agit par le contréle cérébral d’étre présent lucidement, de savoir se gouverner...» (C'est trés exactement ce dont Alexander parle dans ses livres) DOSSIER Ensuite Benoit Lesage cite Chirpaz (p.237): «La volonté maitrisant le corps, découvre par la-méme, qu’il peut étre mis en partie a son service, comme un simple instrument. Le vouloir qui se durcit, qui se volontarise, tend a instrumentaliser le corps... La volonté qui se crispe sur son projet tient pour négligeable tout ce qui lui est extérieur. D’emblée présente a la réalisation de ce qu’elle veut effectuer, elle veut plier le monde, hater le temps, ne pas tenir compte de soi. En d’autres termes, le vouloir qui se crispe tend a nier sa corporéité.» Jen’ai pas envie d’ajouter quelque chose a ces citations qui résument ce que j’avais envie de dire a ce sujet. Je crois que la technique peut aider les danseurs a sortir de cette psychologie oi l’on confond travail avec une bonne répartition de l’énergie, et travail dans la tension, dans le stress, travail dans l’ascése et travail dans le plaisir, dans la joie. Mouvements intentionnels créatifs et mouvements «volontaristes». Post scriptum. Je n’ai pas la place ici, malheureusement, pour passer en revue tout ce qu’on écrit d’inexact ou d’incomplet a propos de la technique; je souléverai seulement deux éléments qui |’intallent dans des compartiments, alors que la technique est une méthode globale. Le premier de ces éléments est |’idée que nous ne nous préoccuppons que de la jonction téte/nuque, ce que certains appellent le contréle primaire. Je citerai & ce propos deux extraits de l'article écrit par’ Alexander Teacher David Gorman pour The Alexander Review (3) que jai traduit littéralement comme suit: «Le contréle primordial n’est pas un simple mécanisme, mais une série de facteurs inextricablement entrelacés qui, ensemble, constituent un facteur unifié, avec une base structurelle d’une part, et une base réflexe d’autre part. La fonction de ce facteur unifié étant de coordonner et d’intégrer votre systéme au rdle de guide qu’est la téte.»...»Nous sommes construits d’innombrables parties: os, muscles, organes, etc...,; notre Structure se compose de plusieurs systémes qui pourvoient aux fonctions nécessaires: respiration, métabolisme, locomotion, conscience sensorielle etc... FM. Alexander découvrit ce qui permet a ces différentes parties et fonctions de s’organiser en un tout intégré, coordonné, sensible et réactif: le soi. Par la-méme il découvrit ce qui, lorsqu’il existe des interférences, 20 DOSSIER nous désintégre, nous décoordonne et nous désensibilise.» Le deuxiéme élément est que les professeurs de la technique Alexander sont - contre les exercices. Je répondrai 4 cela que je n’ai pas d’a priori quant aux exercices nécessaires et spécifiques a la pratique d’un art. Danseurs, comme chan- teurs, comme acteurs, comme musiciens sont bien obligé d’en faire. Tout est dans la maniére de les faire, et nous retrouvons ici |’usage de soi. C’est dans I’exercice quotidien que l'on renforce souvent une mauvaise habitude sans le savoir. Je suis beaucoup plus réticente quant aux exercices faits, ce que j’appelle «& cété», de type musculation uniquement ou stretching uniquement. Un travail local risque toujours de perturber I’ensemble. Notre travail est global, celui du danseur aussi. Un danseur qui fait un grand plié, s'il a une bonne coordination, utilise son corps globalement, chaque élément du corps aidant I’autre, les yeux orientant la téte, la téte donnera ou direction ou permission selon le sens du plié. La gravité sera une amie et non une ennemie. Tout bon professeur de danse enseigne cela. Si le danseur a un probléme pour obtenir ce juste, le travail de I’ enseignant de la technique est de voir ce quia pu perturber la coordination du danseur dans son ensemble. C’est de fagon indirecte que, aprés avoir éliminé de son usage ce qui le décoordonnait, le danseur redécouvrira une autre maniére de faire son grand plié. F.M. Alexander dit: «Le processus de faire passer |’ énergie des chemins connus et familiers vers des chemins nouveaux et non familiers, employé comme un moyen pour changer la maniére de réagir aux stimuli, implique nécessairement une compétence toujours accrue de la part aussi bien du professeur que de l’éléve pour passer du -connu vers l’inconnu-». ELIANE LEFEBVRE Bibliographie: (1) The Use of the Self F. Matthias Alexander ligre édition 1932, réédité en 1939- 1943-1946-1955-1958 / (2) Danse: le corps enjeu. Sous la direction de Mireille Arguel. Presses Universitaires de France-1992 / (3) The Alexander Review vol.4 1989 p. 132 et p. 120. The primary control par David Gorman. METTRE EN SOI UN HOMME DEBOUT (*) Méthode des chaines musculaires aponévrotiques et ostéo-articulaires G.D.S. N’Y A-T-IL PAS UN JOUR CE MOMENT PRESSENTI POUR REPLACER LES PIECES EPARSES DE SON CORPS DANS UN AXE? CES AXES, CE SONT CES VERTICALES OU CES DROITES PLUS OU MOINS INCLINES, EN EQUILIBRE LES UNES PAR RAPPORT AUX AUTRES, QUI ASSURENT A CHAQUE PARTIE DE SON CORPS SA PLACE ET SON ROLE DANS UN TOUT. METTRE LE CORPS DEBOUT ET EN FAIRE UNE STRUCTURE EN MEME TEMPS QU'UNE FORME MOUVANTE, VIVANTE ET CHANGEANTE. ILFAUDRAIT UN JOUR SEDECIDER A CONSTRUIRE UN CORPS UNIFIE. IL FAUDRAIT UN JOUR SE PERCEVOIR AVEC ET DANS UNE CHARPENTE. | ERIGE EN COLONNES ET EN ARCS; ERIGE EN | VOUTES AVEC QUANTITE DE SPIRALES POUR ) UNIR, LIER, CONSOLIDER, DYNAMISER LE TOUT. | SE VIVRE AU SEIN D’UN MERVEILLEUX EDIFICE CORPOREL EN EQUILIBRE STABLE OU INSTABLE, A VOLONTE, IMMOBILE ET MOUVANT A LA FOIS. Is DOSSIER ouRBES, spirales et lemniscates sont formes et lignes de force présentes dans le corps, liant, unifiant, consolidant toutes les structures. Structures du haut avec le bas, de l’avant avec l’arrié- re, de la gauche avec la droite, de la profondeur avec la superficie. Mais ces formes en spirales, en lemniscates, ne sont pas uniquement présentes dans le corps par les chaines musculaires et les aponévroses, elles sont aussi présentes dans la structure méme des os et l’empilement ostéo- articulaire qui forme notre armature. Nous le disions plus haut, c’est une opération qui commence dans la t8te, avec la pensée: «Je commence par me voir et me penser construit». Mais alors, peut-étre que cela commence par une question: «Comment suis- je construit?» Sans question par d’apprentissage, les enfants apprennent vite et quan- tité de choses parce qu’ils se posent beaucoup de questions et nous les posent. C’est donc un trés bon début... Comment suis-je construit? Voila qui situe notre enseignement sur la construction du corps, sur ses équilibres et, par la suite, sur ses mécanismes dans la posture et le mouvement. A partir d’une approche qui s’efforce d’étre le plus simple possible, & la portée de chacun, nous disons a chacun: «II faut une prise de conscience pour se connaitre, se reconnaitre debout». Penser et percevoir son corps debout en équilibre et unifié, c’est mettre le corps dans l’ordinaiteur. C’est important, car cet ordinateur c’est mon cerveau et mon systéme nerveux qui influencera mes muscles. Ces muscles qui agiront sur ma charpente pour disposer les piéces 4 mon avantage ou a mon désavantage, cela dépend de l’image qui, dans ma tte, programme ce travail. Précisément, 4 quelles images mon corps est-il voué? Par exemple: «Comment mes hanches sont-elles ficelées au bassin?» Cest-a-dire qu’il faut visualiser et construire, avec |’ordinateur que j'ai dans la téte, une belle et bonne charpente en moi; je dois disposer d’un PLAN, comme tout constructeur bien informé et bien outillé. Si mes images sont floues, voire fausses, si le plan est inexistant, ce qui doit étre en moi, le SUPPORT, ne saurait aboutir 4 une structure solide, bien batie pour résister et pour rester souple a la fois. Sans directives convenables, on peut aisément imaginer B OE G38: que le travail du systéme nerveux et des muscles ne sera pas facilité. Est-ce raisonnable d’affirmer cela puisque syst&me nerveux et muscles fonctionnent sur pilotage automatique? L’absence de pilote ne les empéche pas d’assumer leurs taches. C’est vrai et c’est fort bien = ainsi, mais...le vécu influence ce fonctionnement et les traumatismes physiques et psychiques sont ins- crits dans nos tissus. Ceci rend le fonctionnement normal de plus en plus difficile. Systme nerveux et muscles s’efforcent alors, vaille que vaille, d’articuler la charpente os- téo-articulaire en méme temps que de maintenir son unité. Vaille que vaille, carils travaillent sur un champ de bataille. L’unité sera obtenue le plus souvent en raidissant, en dur- = cissant les muscles. Dés lors, on retourne voir le mé- canicien qui soigne «le corps cou- Dessin de Godelieve Denys-Struyf. Editeur ICTGDS. _ ché» afin qu’il desserre les boulons. «Ca va?» Bien sfir, ca va... Ca va un temps, pas trop longtemps, je dirais méme de moins en moins longtemps. Débloquer, libérer les étaux, est-il bon d’y avoir recours toute la vie? Les médecines, thérapies et gym- nastiques regroupées dans la rubri- que des approches dites «douces» (faute de trouver une autre défini- tion) proposent une formule incon- DOSSIER testablement merveilleuse: «elles soignent toutes en nous l’HOMME TOTAL». La kinésithérapie classique a été mise au panier parce qu’elle isole en quelque sorte «la zone a soigner» et, comme on dit, cette kinésithérapie, quin’est plus au gotit du jour, coupe- rait l’Homme en petites tranches. Expliquons un peu ce que 1’on veut dire par 1a. La zone a soigner, est-ce la zone qui crie, c’est-a-dire celle qui s’exprime par la douleur, par des tensions musculaires, par des petits boutons, etc? Classiquement, oui! On mettra de la pommade sur les boutons, on fera un massage sur la tension musculaire, etc. Cette vision classique est encore trés présente dans nos écoles et nos institutions de soins. Mais «la zone a soigner» se trouve peut-étre ailleurs, parce que la cause de cette douleur, de cette tension musculaire,de ces petits boutons, est le plus souvent a dépister 4 un autre endroit. Voila qui justifie les nouvelles approches du corps ott l’on apprend a chercher la cause ailleurs et 4 entamer les soins au niveau de la région ou des régions présumées étre 8 l’origine du désor- dre. Ainsi par exemple, si vous avez mal al’épaule, l’ostéopathe ira voir du cété de l’abdomen, éventuelle- ment pour y soigner le foie. Un «chai- a DOSSIER niste» fera «l’accordage» qui, décrochant I’épaule pour un éventuel ancrage au cou, rétablira l’ancrage au bassin. Cependant, pour un public mal informé, habitué aux seuls soins du «corps couché», done peu concerné par ce qu’on lui fait, ce concept de «homme total» est le plus souvent singuligrement bancal. C’est le pigge des médecines, thérapies, gymnastiques douces maternantes, qui soignent sans donner a la personne concernée la clef de sa demeure, la conscience de son corps. Soigner «l’Homme total» en l'homme n'est pas synonyme de «soin total»! Se faire manipuler souvent, se faire mobiliser toute la vie toutes les articulations du corps, se faire étirer tous les muscles, se faire muscler par ailleurs tout ce qu’il est possible de muscler. Je dirais méme «se faire sentir» tous les endroits du corps palpables et révélés par diverses formes d’appuis «fournis par la Maison». C’est le rouleau compresseur qui passe sur une personne absente, soumise a une thérapie, une gymnastique totale, voire méme une prise de conscience morcelée sur la totalité de sa personne et non sur «une personne totale, présente en elle». Ces approches, pour totales qu’elles paraissent, ne font pas l’essentiel, qui est l" UNITE du CORPS. Ainsi, par exemple, la palpation et les appuis osseux destinés 4 nous faire prendre conscience du support osseux en nous sont louables. Mais il est fréquent que ces approches ne créent pas un lien entre toutes les parties palpées et perceptibles, avec celles, profondes, qui 26 Nea ne tombent pas directement sous les sens. Par exemple, al’aide d’un support durj’ai pu sentir ma colonne vertébra- le. Qu’est-ce que jai senti? J’ai senti une succession de petites boules, un chapelet osseux saillant sous la peau. Ce sont les extrémités des apophyses €pineuses qui saillent dans mon dos et qui divisent le plan dorsal en une moitié gauche et une moitié droite. Le reste est caché dans les profondeurs, sous mes muscles, quelque part 4 l’intérieur de mon corps. Cependant cette maniére de prendre conscience de mon corps ne conduit pas a une image unifiée du corps. Le résultat aboutit & une conscience morcelée, Dés lors on assiste 4 ce paradoxe: si la kinésithérapie classique subit la critique parce qu’elle se limite & soigner «des tranches» isolées du «tout», on pourrait se demander si le découpage n’est pas encore davantage l’apanage des autres techniques trop souvent mal comprises?! La différence dans ce cas résiderait dans le nombre de «tranches», parce qu’ici c’est «le tout» qui est réduit en piéces détachées... en multiples tranches! Revenons a notre exemple. Il est dit que la prise de conscience corporelle n'est concevable que sur un matériau que !’on peitt toucher, un matériau qui tombe sous les sens, qui est concret. Inconcevable d’ouvrir la voie a l'imaginaire pour une prise de conscience de l’intangible, démarche d’une incontrélable subjectivité qui fait peur. Dés lors, je n’ai plus le choix, ma colonne vertébrale est et sera toujours vécue, tres concrétement, comme un fréle alignement en surface de perles osseuses. Joli, mais rien a voir avec cette colonne massive qui occupe une place énorme, comme un tronc d’ arbre planté dans le bassin, coiffé au sommet d'une sphére dotée le plus souvent dune couronne chevelue. Un trone support d’une «cage» accrochée au milieu, la cage thoracique, comme une cabane de Robinson accrochée dans les branches entre les racines et le faite. Que reprocher a l’imaginaire, si cet imaginaire épouse la réalité? Cet imaginaire n’est-il pas ce qui peut combler l’espace au dela de la réalité tangible pour nous faire toucher du doigt, percevoir... percer et voir... une réalité qui, partiellement nous échappe mais que l’image peut unifier? Gopeirve Denys-STRUYF * Bxwraitd' unarticle parudans! Infor chaines n° 34, ler trimestre 1991; Bulletin d’ information del'LC.T.G.D.S., Bruxelles. B e a | DOSSIER ETRE SA DANSE La kinésiologie au service de l’expression dansée. LA KINESIOLOGIE DE LA DANSE OU «ANALYSE FONCTIONNELLE DU CORPS DANS LE MOUVEMENT DANSE», A COMME OBJECTIF DE DONNER DES OUTILS AUX DANSEURS ET PEDAGOGUES POUR AFFINER —_LEUR COMPREHENSION DU MOUVEMENT, ET/OU TRANSMETTRE LEUR EXPERIENCE DE LA DANSE. CE SONT DES PROPOSITIONS D’EXPLORATION D'AUTRES FACONS DE VOIR, PLUS QUE DES REPONSES A UNE QUESTION DONNEE: COMMENT PARVENIR A CE QUELLE DOS «MONTE» SANS ETRE BLOQUE, A CE QUE LE CORPS TRADUISE LA QUALITE D’UN STYLE SANS LE TRAHIR? LE DOS «MONTE» ET S’ALLONGE SI ON LAISSE FAIRE LES FORCES QUI S’EXERCENT SUR LE CORPS, SI ON RESPECTE LES DIRECTIONS DE L’AXE VERS LE CIEL ET VERS LE SOL. UN DOS OUVERT ET MONTE PERMET UNE DISPONIBILITE A L’EXPRESSION ET ALA QUALITE DU GESTE. POUR Y ACCEDER, IL EXISTE DE MULTIPLES MOYENS. EN EXPERIMENTANT TOUS LES «SYSTEMES» DU CORPS, LA KINESIOLOGIE OUVRE UN CHAMP DE POSSIBLES. B DOSSIER INVESTIR SA DANSE Faire accéder le jeune danseur a l’expérience d’un mouvement vécu et investi est ce qui m’intéresse dans mon travail au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Le département de danse forme de jeunes interprétes & la scéne, en danse classique et contemporaine. J’interviens soit directement dans les cours de technique en conjonction avec le professeur de danse, soit dans des cours plus spécifiques de kinésiologie. Je travaille directement sur la matiére du mouvement dansé. Un mouvement ne semble pas bien intégré, un(e)éléve rencontre une difficulté pour retraduire le style demandé? J’essaie de voir d’ oui vient cette difficulté en proposant une exploration des paramétres et forces impliqués dans le mouvement. «Rester sur ses jambes»: la transmission des forces au sol ou la recherche de son aplomb Je cherche d’abord a leur faire expérimenter les forces avec lesquelles ils jouent pour bouger: par exemple, - Le poids df al’action de la pesanteur est une force qui, appliquée sur le sol provoque une force en sens opposé: la force de réaction. - La force musculaire qui permet de changer |’’orientation de notre corps par rapport a ces forces. - ou encore la pression hydrostatique. Remplissons un ballon d’eau et transformons-le en trois spheres en comprimant le liquide 4 deux goulots d’étranglement. Le ballon en a gagné en «tenue»: la pression a l’intérieur du ballon a augmenté et a ainsi érigé le ballon. C’est ainsi que nous tenons debout par la combinaison de toutes ces forces. Pour se verticaliser, homme a joué d’astuces afin de les utiliser 4 son profit. A nous les danseurs de peaufiner ce processus de verticalisation en risquant encore plus. Ce changement dans la pression, nous l’utilisons quand nous «mon- tons & la taille», nous «rentrons le ventre». Mais on peut aussi rentrer le venire et se tasser. Cela dépend sur quoi on tire pour l’aplatir. Si jen’ utilise que les ficelles dans le sens de la hauteur (raccourcissement du systéme »

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