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4. LE FRANGAIS HORS DE FRANCE Statut du francais et diversité internationale LA SITUATION DU FRANCAIS. Tusqu’oi ira la chute ? IL est bien loin le temps od le francais pouvait s'enorgueillir avoir cetie position internationale privilégiée qui a été la sienne pendant des siécles. Depuis Ventre-icux-guerres ", personne ne conteste plus a l'anglais sa premiére place, tandis que le fransais, rts loin derriére, fait figure de paile second. Devant une situation contre laquelle on a estimé qu'il fallait réagir, le général de Gaulle eréait, en 1966, le Haut Comité de la langue francaise, un organisme directement rattaché au cabinet du Premier ministre et ayant pour objet la défense et expansion de la langue francaise. Aujourd'hui cnoore, des cris d’alarme se font entendre, comme atteste le titre méme de la revue Qui-vive International et des solutions sont proposées « pour que vive le frangais » "8, «Vasie programme », aurait dit le général de Gaulle, surtout Jorsquion voit que anglais, depuis les années 50, est devenu la langue presque unique de la recherche scientifique mondiale. ‘Le mal-aimé des congrés internationaux Dans les congrés intemationaux, méme quand ils se déroulent en France, les communications se font de plus en plus rarement en francais, en particulier dans les domaines de la physique, de la chimic ct de 'astronautique. Dans les sciences humaines, la situation est moins catastro- Arrinée des premiers Francats vu 1604 Canada 1610 S:-Pieret Miguelon 1933 Martinique et Guadeloupe 1837 Guyane 1638 Sénigal 1949 Madagascar 1662 Terre-Neave 1663 Réunion (exile Bourbon) 1674 Pondichesy 1686 Chandernagor 1697 Baits 1599 Louisiane vm 1715 Maurie (exe de France) 1721 Mane 1738 Karikal 1742 Seychelles (-B. 1794) 1799 Yanaon met 1830 Aleérie 1837 Gunte 1R41. Comores sauf Mayotte 1842 Tahiti (Polynésie fran) 1853 Nosvelle-Calédonie 1855 Mausitnie 1860 Litan (Manda fr. 1920) 1860 Syeie (Mandat fe. 1920) 1869 Kampuchea (e-Canstodge) 1867 Cochinchine 1850 Congo 1880 Marguises et Tuamotu 1881 Tunie 1881 Gambier (Polynésie ) 1842 Zaire ex-Conge bois) 1813 Annum 1883 Bénin (ex-Dahomey) 1885 Toakie| 1880 Wallis ot Futura 1839 Centafrcaine (Rép.) 1896 Burkina Faso (ex He Vol) LE FRANGAIS DANS TOUS LES SENS IMPLANTATION DU FRANCAIS HORS DE FRANCE Ent le XVI" ct le" sce le langue ffangaise Sst iansportés aux quatre coins ‘du monde, dans des pays devenus aujoure hui pour la plupart indépendant, mais oo tlle ext encore purge par une patie de lz population. Situation actuete Independance depuis 1931 TOME dep. 1946, DOM. dep. 1976 DOM. depuis 1546, DOM. depus 1946, Tadependance depuis 1963 Independance depuis 1960 (Canada depuis 1948 DOM. depuis 1946 Inde depuis 1954 Inde depuis 1951 Indipendance depuis 1804 Eias-Unis depuis 1812 (G-B. 1810) lndépendance depuis 1968 Inde depuis 1936 Inde depuis 1954 Indipendance depuis 1975 Inde depuis 1934 Indépendance depuis 1945 Indépendance depuis 1953 ‘Vietnam depuis 1949 Indépendance depuis 1960 T.O.M. depuis 1946 Tndépendance depuis 1955 TOM. depuis 1945, Indépendance depuis 1960 ‘Vietnam depuis 1834 Tndépendance depuis 1960 YVie-aam depuis 1954 T.0.M. depuis 1939 Indipendance depuis 196) Tndépeadance depuis 1960 Ingependace depuis 1960 Incépendance depuis 1975 Indépendancs depuis 1960 Tncependance depuis 196) LB FRANCAIS HORS DE FRANCE 1900 Niger Ineépendance depuis 1960 1900 Teta scgpeacance depuls 1960 1911 Cameroun Tnependance depuis 1960 1912 Maroc Ineépeadance depuis 1956 1919 Burundi (ex-colonie beige) Indépendance depuis 1962 1919 Togo, Inependance depuis 196) 1922 Vanuats (6x-Niev-Hébrides) ndépencance depuis 1980, 1923 Ruanda (en-colonie belge) Independance depuis 1962 [RAL Dictionnaire universe! des noms proptes, Le Robert, Pats. phique, mais on considére comme des raretés les congrés interna tionaux oi les communications se font en majorité en francais. Les colloques annuels de la Société Internationale de Linguistique Fonctionnelle ' sont curieusement dans ce cas. Pourtant, cette association de linguistes, quia tenu depuis 1974 un congrés par an dans differents pays d'Europe, d'Afrique ou d’Amérique, admet ‘expressément toutes les langues dans ses réunions ct rédige ses sirculaires en trois langues (le francais, Vanglais et la langue du ‘pays oi se tient le colloque). Malgré cela, les communications ont toujours été spontanément prononcées et rédigées a plus de 90 % en langue francaise. Mais cela reste l'exception, et, il faut bien le reconnaitre, le frangais s'exporte de moins cn moins bien. Et pourtant... ‘Lifge d'or du francais Rappelons que dés le Moyen Agee francais s'est exporté au-deld des frontigres de la France — et tout d'abord en Angleterre avec Guillaume le Conquérant. A la fin du xur* siécle, cest en frangais que le Vénitien Marco Polo dicte le récit de ses aventures en Extréme-Orient. A partir du xvi‘ siécle, est encore le francais qui semplace peu a peu le latin, jusque-la langue internationale, dans Jes domaines de la philosophic, de la médecine, de la banque et du grand commerce. II devient ensuite, dans tous les pays d’Europe, la Tangue de la diplomatie et de la haute société. Il devient aussi par excellence la langue des sciences et des techniques "Au Xvi siecle, Allemand Leibniz écrit la plupart de ses ouvrages en fran- ais et, a la fin du xvur siécle, italien Casanova écrit aussi ses Mémoires en francais. Jusqu’a la fin de la Premiére Guerre mon- 184 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS ile, le francais restera la seule langue diplomatique pour tous les, Ftats d’Europe '8!. ‘Au cours du xvui siécle, le francais ‘était aussi lancé, au-dela des mers, a la conquéte de terres lointaines en Amérique et dans Yocéan Indien, au xvmt* sigcle en Océanie, enfin, au XIXt siécle, dans une grande partie de l’Afrique. Les derniéres extensions datent du début du xx* siécle, avec l"arrivée des colons francais au Togo et au Cameroun et des colons belges au Ruanda et au Burundi, (Cf. encadré, p. 182-183.) Le francais, bon second Aprés des siteles durant lesquels la langue francaise a été recon- nue comme la langue universelle, au point que les souverains ‘trangers faisaient venir a leur cour des écrivains francais de grand renom (Descartes auprés de Christine de Suéde, Voltaire chez Fré- déric de Prusse), elle n’occupe plus aujourd'hui dans cette fonction que le deuxiéme rang, et trés loin derrigre anglais. On pense avec un peu d’amertume a la parole prophétique du philosophe anglais David Hume qui, en 1767, disait: « Laissez les Frangais tirer vanité de expansion actuelle de leur langue. Nos établissements @Amérique, solides et en pleine croissance [..] promettent 4 la langue anglaise une stabilité et une durée supérieures '*. » Le francais reste pourtant encore l'une des langues officielles et des langues de travail de grands organismes internationaux '*, tels ‘que :’0.N.U. (Organisation des Nations unies), dont le sidge est New York. Au cours des assemblées générales, oii sont representés 159 Etats, prés d'un tiers des délégués s’exprime en francais: TO.T.AN. (Organisation du traité de PAtlantique Nord) a Bruxelles et & Luxembourg ; TU.NES.CO. (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization), a Paris Elle est aussi, avec l'anglais et arabe, une des langues de ta Conférence islamique et de la Ligue arabe. Enfin, Je frangais est, comme I’a rappelé récemment Jacques Chirac, la langue officielle des Jeux olympiques et reste, avec le latin, la langue diplomatique du Vatican, Le frangais a beaucoup reculé, mais il n’a pas été éliminé. Sur le plan international, sa situation est devenue précaire. Elle n’est ‘cependant pas tout a fait désespérée. Thierry de Beaucé, ancien LE FRANCAIS HORS DE FRANCE 185 directeur des Affaires culturelles au Quai d'Orsay, est résolument optimiste quant au rayonnement de la langue francaise dans le monde", Le francais dans les autres langues Un signe tout récent du maintien — ow du renouveau — du Prestige culturel du francais en Amérique : la publication en 1986 dune cassette intitulée Culturally speaking (Forrest Production, Beverly Hills), qui donne une liste de mots et d’expressions de langues curopéennes susceptibles d’apporter un vernis. plus {culturel» a l'anglais parlé et écrit aux Etats-Unis, Sur les cing langues présentées dans cette cassette, c'est le francais qui, avec 66 mots ou expressions, se classe trés loin devant Italien (26), le latin (19), Vallemand (17) et le yiddish (14). De nombreuses expressions francaises peuvent aussi s'entendre dans des conversations en allemand, en italien, en espagnol, en Portugais et dans bien d’autres langues encore. Le plus souvent, il S‘agit d'un vocabulaire entré dans Pusage de tous, méme de ceux {qui ne savent pas le francais et qui ne savent méme pas que ces mots sont francais, Généralement, ces mots frangais utilisés & Pétranger ont pris une acception particuliére et trés restreinte dans la langue d'accueil Ainsi la mise en portugais n'a que Ie sens trés précis de « mise en pis » (chez le coiffeur) ; les champignons en italien ne renvoient qu’aux seuls « champignons de Paris », le terme générique en ita Hien restant funghi; et lo nécessaire, cn espagnol, ne peut étre qu'une « mallette de toilette ». On trouvera dans les encadrés p. 186 4 188 quelques exemples de Ces mots frangais passés dans I'usage courant d'autres langues *, En reculen tant que langue de communication internationale, ie francais poursuit ainsi, vaille que vaille, une vie paralléle dans les langues étrangéres, * Je remercie pour leur aide, en ce qui conceme = Fallemand : Dagi et Wolfgang Rolf = Vitalicn : Anna Capelli, = Fr Dortugais : Daniéle et Gérard Castello Lopes, ~ Fetpagnol, Ana Maria et Koldo de Viar, Julia Arndiz, Rodrigo et Yvonne Medina. LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS ‘LE FRANCAIS EN ANGLAIS (Quelques exemples) Les mots suivants ne sont pas seulement du frangais. Ils appartiennent aussi la langue anglaise : ala mode femme fatale (un) beau «un amoureux, un pré- | (c'est) magnifique tendant» Iaisez faite (sto) lo) beau monde malaise (arts) chic pice de la résistance (sic) «le mor ‘comme ci, comme ot cceau de bravoure, le clou » coup Ext piedi-terre ceréme de la créme (sic) «la fine | qui sait? fleur, le dessus du panics » repartee (sic) agjava savolr-faire double entenidre (sic) tee-d-tite par) excellence tour de force {ait accompli visd-vis (the..) faux pas voila [ie peer auiey | anaes pte bh tie fe antes epee LE FRANCAIS EN ALLEMAND (Quelques exerples) ‘Les mots suivants ne sont pas sculement du frangais, lls apparticnnent ‘aussi a la langue allemande 8 propos (ie), choise longue « divan > | galant homme bonten nae gourmand bowtie champions (de Paris) || mode cache-nee chef arden! calembour chignon consi ‘cordon-bleu ‘cermet de possige (Be douane) | crvvate ‘carte blanche croissants ‘ehacun & son godt ume ccgrin dgjawu LE FRANCAIS HORS DE FRANCE LE FRANCAIS EN ITALIEN (Quelques exemples) Les mots suivants ne sont pas seulement du frangais, Us apparticnnent aussi @ la langue italienne: tn page srandeur Digne « chow la crime » ‘retin (cers culinaire) boutique (della) haute (basta) brisé (sc) laissraller cachet (le médicement) laisse fire ‘chumpignons « champigoons de Paris» | mali (d penser) aco a patsene) aa de ic ‘mousse (entremess) ‘console «meuble pour toume-disque | pain carré« pain de mie» (ovo) ala eoaue palté¢ gros manteau » coup de foade papillon «ned papillon» cme dela cme pardon ‘croissants « brioches » parure (de bijeus) 65d (4e mode) pour eause ‘emiet ure (sic) « purée» Sessert robe-manteat em passant soubrette« gil de masichall» ex volla toilene esprit (de finesse) vinagrete LE FRANCAIS EN PORTUGAIS (Quelques exemples) Les mots suivants ne sont pas seulement du francais. tls appertiennient ‘aussi la langue posvugaise Ayol doiseau mise « mise en pis» baton « rouge a levres » (palitos) de Ia reine wbicouits a Ia beige cullen» camionnete (sic) paquete « paquebot » champignons «champignons de | passe vite « presse-purée » Paris > pneu chantilly « creme Chantilly » ralenti (pour une voiture) ‘capot (de voiture) raquete (sic) «raquette » ‘chef (de cuisine) salio « salon» hic soutien «soutien-gorge » cchofer (sic) « chauffeur » tablicr « tableau de bord » crepes ‘arte fauteuil toilette (les véteitients) flan LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS LE FRANGAIS EN ESPAGNOL (Quelques exemples) Les mots suivants ne sost pas seulement du frangais. lls appartiennent ‘aussi Ja langue espagnote > amiviste croissants bebe centrecot (sic) Didé (sic) appareil sanitaire) falar (ste) « foulard » bonbons « petits chocolats » gras « n"importe quel pité » Dricolage garage Dbalevar (sic) «boulevard, galerie | menage «ménage » rmarchande » ‘mousse (Tentremets) ‘buqut (sic) « bouquet» nécessaire «mallet de toilette ‘bureau (le meuble) ‘pargué (sic) «parquet » capo (sie) «capot de voitures prét-d-porter ‘amet « papiers Pideniié » ralenti (une voiture) ‘cassette (de magnétophone) reprise (pour une voiture) chalet « villa » restaurant chemilaco «chemise Lacoste » | (patatas) tousMlées upommes dav- chiffonnier (le meuble) phine » cchoter (sic) « chauffeur » toilette ‘Autres expressions francaises, relevées dans espagnol du Chili atelier (@artiste, e’architecte) rouge « rouge a lévres » beige (Gapas) soumeées « pommes cau boutique phine» ‘buffet le meuble) (vino) chambre (si) «chambre » (menta) franpé (sic) «avec des gla- | tchantilly (sic) « exéme Chantilly » ons techie (66) «chic » arage tchofer (sic) «chanteur » ‘On parle encore francais hors de France Si le francais n’occupe plus la premiére place comme langue internationale, il n’en. resic pas moins utilisé comme langue usage, d des degrés divers, aussi bien en Europe que sur les autres, continents. ‘Une carte du monde « francophone » (p. 190) permet de consta- ter qu'il est présent sur les cing continents. Cependant, on ne sau- rait trop se méfier des cartes de ce genre, dont l’interprétation est Gilicate. En effet, i faut pouvoir y distinguer les pays ot la langue frangaise est la langue officielle et ov elle est effectivement parlée LE FRANCAIS HORS DE FRANCE 189 par la majorité des habitants (le Québec), de ceux oi, tout en étant {a langue officielie, elle est peu parlée par la population (Afrique noire). Il faut aussi y déceler la situation trés particuliére des pays oi le frangais n’est pas la langue officielle mais y est trés largement utilisé par les habitants (Afrique du Nord), ‘Combien de francophones dans le monde ? Quel que soit le pays (4 exception peut-étre du Canada), rien aest plus difficile que de trouver des statistiques correspondant a Ja réalité des usages linguistiques. On ne sait jamais exactement si Te nombre de francophones indiqué pour tel pays se rapporte : — aux seules personnes qui parlent effectivement le francais ‘tous les jours ; ~ Acelles qui sont capables de le parler mais qui utilisent plus ‘souvent une autre langue ; = Acelles qui le comprennent, sans vraiment le parler. Dans un livre récent, paru en 1986, sur la langue francaise, Vauteur évalue 4 140 millions la population francophone pour le monde enticr '*, et certaines estimations sont encore plus opti- mistes, puisqu’elles vont jusqu’a 200 ou méme 300 millions. Pour atteindre de tels chifires, il faudrait prendre en compte touies les Populations potentiellement francophones parce qu’elles ont le frangais pour langue officielle, et non pas le nombre des habitants gui ont le frangais pour langue d’ usage. Or ce demier est le seul qui Nous intéresse ici. Pour s'en faire unc idée, en regroupant des données éparses ", on obtient les évaluations suivantes : 10 millions pour !’Europe (sans la France); 15 millions pour I'Afrique du Nord et le Moyen-Orient : 10 millions pour Amérique (Canada, Etats-Unis, Antilles) ; 7 millions pour Afrique noite ; 4 millions pour le reste du monde (océan Indien, Asie, Océanie), Avec les 55 millions d’habitants de la France, on arrive a un total d'environ 100 millions de véritables « francophones ». Mais ces chifires, difficiles a confirmer, sont évidemment trés contes- tables. 1 RES ‘omy wf ‘snrOSuny xSgujog BY: 1]9H9 FP rad FpINONED 79 10 “apuou np $0109 an1UND xn aforuyo andux| wo sHeduEy 9] “usEPU 7 eo, 18 anbyjong of foNp enw ar ‘anbuY wo ‘onbyyMY wa ‘aoa Ty 4 [LE FRANCAIS HORS DE FRANCE Apergu de Ja francophonie hors de France Renongons done aux précisions:chifftées ct faisons un rapide tour d’horizon des pays oit’on parte le francais. Nous reviendrons plus loin, en détail, sur les caractéristiques du frangais parlé dans certains d’entre eux. (Cf p. 195 et suiv..) ‘Comme on peut le voir surla carte « Le francais dans le monde » (. 190) le francais, comme langue d’usage, s*étend, en Europe, au-deld des frontiéres dela France, a la Belgique (cf p. 195-198), aut grand-duché du Luxembourg, a la Suisse et 4 une petite partic de MMalie. (Cf p. 198-199.) Au Luxembourg, le francais jouit d'un prestige séculaire car, és le Moyen Age, les souverains y étaient souvent des Wallons mariés 4 des princesses frangaises. En 1946, le francais y a sup- planté allemand comme ‘langue officielle. Cependant, les Luxembourgeois sont généralement trilingues, et leurs conversa tions familiales quotidiennes se déroulent en luxembourgeois, qui est un dialecte germanique ™”, | i ! En Jialie, depuis des siécles la langue francaise a é1é la langue du Val d'Aoste, comme elle était de ensemble du duché de Savoie, dont le territoire recouvrait aussi une partie du Piémont. Elle avait méme 6 décrétée langue officielle écrite de la Savoie en 1536, trois ans avant de l'étre en France (édit de Villers-Cottertis, 1539)", En 1860, la Savoie est définitivement annexée a la France, mais les vallées du Piémont, dites « vaudoises », et la val- Iée d’Aoste restent sous la domination italienne. La loi constitu- tionnelle par laquelle, en 1948, le francais redevient, avec italien, langue officielle pour la seule vallée d’Aoste, n'a malhcureusement jamais &1€ récllement appliquée. De ce fait, seules les personnes Agées et quelques francophones militants maintiennent encore Vusage d'un francais qui s'italianisc de plus en plus‘, Les les anglo-normandes (Jersey, Guernesey et Serea), reliquat de ancien duché de Normandie, jouissent encore d'un statut par- ticulier autorisant 'usage du francais, quizn’est cependant la langue administrative (avec anglais) que dans la seule ile de Jersey, En Amérique du Nord, en dehors des petites iles de Saint-Pierro- et-Miquelon, le francais est parlé quotidiennement au Canada, dans des proportions diverses scion les régions. (Cf p. 200-207) Anti aes, Sa 192 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS On trouve aussi des communautés francophones aux Etats-Unis : en Louisiane (cf: p. 208), dans le Missouri, dans la haute vallée du Mississippi, dans le village de Frenchville en Pennsylvanie, et en Nouvelle-Angleterre (Vermont, Maine, Rhode Island, New Hampshire, Massachusetts et Connecticut) ™, sur la edte est des Etats-Unis. Dans les Antilles, outre les Aniilles francaises (Martinique, Gua- deloupe et dépendances) (cf p, 209), qui sont des départements outre-mer (D.O.M.), la République de Haiti, indépendante depuis 1804, a gardé le francais comme seule langue officielle !!, ‘Rappelons qu’au Icndemain de la Seconde Guerre mondiale, c'est sans doute grice au vote de Haiti que la langue francaise a été acceptée comme langue de travail a O.N.U., a une seule voix de majorité. Toujours dans les Antilles, il reste encore deux petites communautés francophones dans les iles Vierges américaines, tou- tes deux a Saint Thomas. En Amérique du Sud, la Guyane frangaise est devenue un département d'outre-mer en 1946, aprés avoir été une colonic depuis le milieu du xn sigcle. En Afrique, dans les 18 pays de langue officielle francaise (seule ou avec d’autres langues) la grande majorité de la population nest Das francophone. En contrepoint, dans les irois pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie), la langue frangaise n'est pas langue officielle mais elle est comprise et pariée par une partie appréciable de la population, (Cf p. 210-218.) Au Moyen-Orient, le Liban mérite une mention spéciale. A Bey- routh, depuis le x1x" siécle, la plus grande partie de la population a parlé couramment le francais, qui y était enseigné dans de nom- breuses Ecoles privées. Parmi les anciens éléves des péres jésuites francais se trouvent sous les présidents de la République libanaise, des dizaines de ministres et des centaines de députés et de hauts fonctionnaires ". Il est remarquable que le frangais ait gardé un tel Prestige dans ce pays, alors que le mandat de la France n'a duré que vingt-trois ans, de 1920 4 1943. L'anglais y gagne progressivement du terrain depuis une vingtaine d’annécs mais, en face de l'anglais, devenu langue du commerce et de la banque ", le francais semble toujours faire figure de langue de culture. Dans ocean Indien, le francais est resté la langue de Vélite LE FRANCAIS HORS DE FRANCE savaient Ie francais ". Toutefois, en 1972, ona pu assister, dans les hhauts-plateaux, a de violentes manifestations contre le francais ‘langue 4’esclavage », tandis que les habitants des régions cdtisres défilaient au contraire aux accents de la Marseillaise *, ‘Aunord de Madagascar, les Comores comptent quatre iles prin- cipales, devenucs des territoires d’outre-mer en 1958. Scule Mayotte a choisi de rester francaise apres le référendum de 1974, Le francais y est la langue des relations extéricures mais il est trés eu parlé par la population. Parmi les petites fles qui entourent Madagascar, seule Ile de la Reunion, anciennement ile Bourbon, est un département d'outre. mer (depuis 1946). C'est aussi lle la plus anciennement occupée par des Francais, des le xvu siécle. Bien qu'il n’cxiste aucune Statistique a ce sujet, on peut estimer que le nombre de personnes qui parlent le frangais dans cette fle s'éléve & un peu plus du quart de la population '%, Dans Tile Maurice voisine, anciennement fle de France, et dans les Seychelles, situées bien plus au nord, si l'anglais est la langue officielle, Ie francais a gardé une place importante dans la vie des autochtones et jouit d'un certain prestige social 1”. En Asie, le francais n’existe plus qu’a titre de vestige dans les anciens comptoirs de 'Inde, mais la situation est un peu différente dans les pays de 'ancienne Indochine frangaise, of soixante- quinze ans de colonisation avaient instauré un bilinguisme authen. que chez une partie de la population et od, malgré un déctin égulier commencé il ya trente ans, le frangais garde son prestige Pour les élites intellectuelles. Ce prestige se maintient surtout au Laoset au Kampuchea (ex-Cambodge), mais au Viét-nam, le fran. sais a complétement cessé d’étre une langue véhiculaire dans Tenscignement supérieur. En outre, depuis 1970, on constate une avaneée de plus en plus sensible de anglais dans la vie quoti- dienne ', En Océanie, c'est dans trois groupes d'lles que le francais est présent: d’une part, dans deux territoires d’outre-mer, la Nou- velle-Calédonie et la Polynésie frangaise, qui comprend les les Marquises, Gambier, Tuamotu, Ausirales et les iles de la Société (Tahiti), d’autre part, dans un ancien condominium franco-britan- nique, les Nouvelles-Hébrides, devenu en 1980 un Etat indépen. dant, le Vanuatu, 194 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS En Nowvelle-Calédonie, le francais est a la fois la langue offi- cielle et la principale langue véhiculaire, tandis qu’en Polynésie, il est utilisé A peu prés a égalité avecle tahitien, etau Vanuatu, a peu pris a égalité avec l'anglais ™. ‘Au nord-est de la Nouvelle-Calédonie, les iles de Wallis et Futuna, aprés avoir été placées sous protectorat frangais entre 1887 et 1959, sont aujourd'hui un territoire d’outre-mer asscz original puisque chaque ile a conservé son roi. LA DIVERSITE DU FRANCAIS HORS DE FRANCE ‘Comme cela a été fait pour les variéiés régionales du francais de France, nous examinerons d'un peu plus prés certaines variéiés du francais parlé hors de France : en Belgique, en Suisse, au Canada, en Louisiane, aux Antilles et en Afrique. LE FRANCAIS EN BELGIQUE Le flamand et le frangais Constituée en 1830, la Belgique est, depuis le haut Moyen Age, coupée en deux par une frontiére linguistique horizontale allant de Verviers 4 Courtrai avec, au nord, le pays flamand de langue ger- ‘manique, et au sud, le pays wallon de langue romane. La situation yest particuliérement complexe aujourd hui du fait que le francais de Plle-de-France s'est propagé non seulement en Wallonie mais aussi en Flandre, dans les milicux aristocratiques, dés le Moyen ‘Age. Le francais y est donc devenu trés tét la langue de ia religion, de administration, 1a’ langue de la culture et de l'écrit dans ensemble du territoire. Au xiV" siécle, des efforts pour détréner le frangais se font jour en Flandre, mais sans grand succés, car la bourgeoisie se francise aussi peu a peu ete francais devient, dés le milieu du xvi siécle, la langue de tous les habitants des villes, en Flandre comme ailleurs ?°. Aujourd’hui, comme on peut le voir sur la carte (p. 196), le LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS Le francais est parlé dans les provinces situtes au sud d'une ligne allant de Verviers 4 Courtrai: ~~ Laxcmbourg, Litge, Namur et Hainaut, La ville de Bruxelles“, représente une enclave francaise en territoire flamand. frangais cst la langue usuelle de toute la région wallonne, avec, en territoire flamand, I'enclaye francophone importante de Bruxelles. A quoi resemble le francais parlé en Belgique ? « L'accent » belge est facilement identifiable, mais il est difficile de le caractériser en propre, car les prononciations différent d'un point de la Belgique a l'autre. Jacques Poh! *' a pourtant réussi a résumer en six points principaux les traits qui permettent de le reconnaitre : — la distinction générale des voyelles de brin et de brun: — le maintien de la distinction entre le a de patre et celui de pate, par une difference de longucur (et non pas de timbre) ; — Vopposition d'une voyelle bréve 4 une voyelle longue pour des mots comme aimé/aimée, cri/crie, nu/nue, bout/boue — Farticulation en deux syllabes des mots du type lion, buée, rower; LE FRANCAIS HORS DE FRANCE 197 — la prononciation ou de la voyelle u, dans huit ou enfuir (arti- culée comme dans cui ou enfouir) ; = la tendance des consonnes finales sonores (comme dans Serbe, perde, douze, marge) & devenir des consonnes sourdes se confondant alors avec celles de serpe, perte, douce, marche. Moins répandues mais assez. fréquentes, surtout dans les milieux populaires de Bruxeltes, on peut citer dautres caractéristiques, comme la difference de prononciation entre bouleau et boulot, maux et mots, (cha)peau et pot, ainsi que la nasalisation des voyelles devant consonne nasale (par exemple, méme prononcé comme si ce mot s'écrivait mime). PETIT LEXIQUE FRANCO-FRANCAIS © (waxcigue) Gioute (nom fem.) «ajout » auditoire «salle de cours » aroir le temps long «sennuyer Patiendre» «biscuit see brosser un cours «sécher un cours» calepin «cartable» carte-yue «carte postal illustrée » chicon «endive » ‘rache « pluie battante» dracher ‘«pleuvoir a verse » trap ‘a serviette de toilette » Sarde «dossier, chemise » femme a journée « femme de ménage » dilet américain «steak tartare » ‘icassée ‘omelette au lard » Végumier ««marchand de legumes » nonante « quatre-vingt-dix » pain francais cbaguetien até ‘petit pateau a Ia creme». vistolet «petit pain cond » el rail » (des cheveux) pralines ‘chocolats » quartier «petit appartement» savoir “pouvoir » ‘Septone ‘«soixante-dix» ‘apis plain 4moquette » tomber faible ‘«s'évanouir» torchon ‘serpilligre » 198 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS ‘Aucun de ces traits, souvent conservateurs de formes anciennes, n'est propre a la Belgique et on peut les retrouver dans l'une ou autre région de France. Cest leur constance et leur fréquence qui doivent étre retenues pour caractériser « l'accent » belge. Sur le plan lexical, les termes spécifiquement belges sont foison. On ea trouvera un échantillon trés incomplet et trés subjectif dans Pencadré «Petit lexique franco-frangais (BELGIQUE) » (p. 197). LE FRANCAIS EN SUISSE ROMANDE Trois langues officielles Langue officielle, au méme titre que Vitalien ct l'allemand, le francais de Suisse se distingue peu du francais des régions voisines en France (Franche-Comté, Bourgogne, Savoie) : la frontiére poli- tique entre la Suisse et la France n’est pas une frontiére linguis- tique. D'autre part, le frangais jouit dun grand prestige auprés des lites de Suisse alémanique, qui connaissent bien micus le francais ue les élites de Suisse romande ne connaissent I'allemand ™", Le frangais parlé en Suisse Parmi les caractéristiques que cet usage du francais partage avec les régions de I'est de la France et une partie de la Belgique, citons la prononciation d'une voyelle ouverte (comme celle de port) i la fin de pot, mor, sabot, abricot, qui permet encore dans ces régions, ‘comme en Belgique francophone, de distinguer pot de peau, mot de maux, la voyelle finale de sabor de celle de beau, la voyelle finale abricot de celle d'artichaut, cte. Plus spécifiquement suisses sont certaines unités Iexicales comme panosse pour « serpilliére » (of carte, p. 169), relaver pour LE FRANCAIS EN SUISSE ET EN ITALIE (Voir cate page suivante) En Suisse, le francais est pari, A 'ouest une ligne qui va de Bile & Sion, dans les cantons de Geneve, de Vaud et de Neuchatel, dans la moitié occidentale du ‘Valais et du canton de Fribourg, ainsi que dans le Jura bernois, récemment séparé du canton de Berne, En lai, le frangais est langue officielle dans le Vald’Aoste ct ilest encore parlé dans les vallfes vaudoises du Pigmont, LE FRANCAIS HORS DE FRANCE Val d'Aoste 200 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS «faire la vaisselle », poutser pour «nettoyer, faire le ménage » ou lavette pour «carré de tissu-ponge pour se laver». (Cf, débar- bouiliete au Canada, p, 206.) Est-ce un hasard si ce choix, tout 4 fait aléatoire, s'est porté sur Pune des qualités qui font la réputation des Suisses la propreté ? ‘On verra, dans lencadré, ci-dessous, que le vocabulaire spécifi- quement suisse s’étend 4 bien d'autres domaines encore. PETIT LEXIQUE FRANCO-FRANCAIS (SUISSE ROMANE) panosse serplliére > poutser «cnetioyer Snergiquement » cheni ‘«désordre, objet sans valeur, petites saletés » lavette ‘«carré de tissu-Sponge pour Se laver ‘cornet ‘«sac en papier » dteau aux pruneaux a tarte aux quetsches > galetas ‘egrenier» septante «soixante-dix> uitante ‘quatro-vingts » ‘nonante « quatre-vingt-dix >» une crevée 1, «une grande quentité» 2. «une grosse Devue » poche, pochon ‘«iouche » dévalotr «vide-ordures» fockn ‘séche-cheveux ‘vencoubler «stempéirer livret ‘table de multiplication » ‘aches «€devoirs (pour I'€cole) » fourrer un livre «recouvrir un livre (pout le protéger)» se mewre dla chote «se meure AT'abri » donner wne bonne-main «donner un pourboire » réduire ses views souliers «ranger ses Vieilles chaussures » LE FRANCAIS AU CANADA Six millions de francophones Le frangais s’est installé depuis le xvi siécle au Canada ct, selon les régions, les proportions de personnes d'origine francaise sont [LE FRANCAIS HORS DE FRANCE 201 Variables * : trés faible dans les provinces de Touest, la présence francaise est largement majoritaire au Québec et se signale, dans les provinces de l'est, par un usage linguistique particuli¢rement digne d’attention, celui des Acadiens. En ce qui concerne le Canada, il faut se garder de confondre la Population d'origine ethnique frangaise et la population qui parle encore francais quotidiennement. En effet, siles pourcentages sont 4 peu prés Equivalents pour le Québec (80 % d'origine ethnique frangaise et 82,5 % parlant frangais A la maison), ils sont assez divergents dans les autres régions, anglais ayant progressivement supplanté le francais, surtout pour le jeune génération. Au Nou- ‘veau-Brunswick, sur prés de 36 % @’habitants d'origine francaise, soit 251 000 personnes, il n'y en avait en 1981 que 216 000 (soit seulement 31% du total des habitants) pour qui le frangais é1ait festé la langue d'usage. En Nouvelle-Ecosse, ot la trés grande majorité des habitants est anglophone, sur 8,5 % d'origine fran- gaise, on n’en trouve plus que 2.9% qui parlent francais tous les Jours. Dans les provinces de l'ouest, les pourcentages des Cana- diens parlant francais a la maison sont de 3,8 % pour l'Ontario et de 3 % pour le Manitoba (soit environ en tout 363 000 personnes) et de moins de 1 % pour les autres provinces (soit moins de 62 000 Personnes), (Source: Statistiques du Canada 1981.) Pour Vensemble du Canada, 'un des sculs pays oii les statis- tiques linguistiques soient précises, on évalue 4 6 millions le nom- bre de « vrais » francophones, dont un pew plus de $ millions vivent dans la province du Québec. (Cf. carte, p. 202.) Les Acadiens, un peuple sans géographie (C'est surtout pour les Acadiens que le probléme de la survie de la langue francaise se pose de facon particuli¢rement aigué : ces des- cendants des premiers Francais installés en Amérique, originaires surtout du Poitou, de ’Aunis et de la Saintonge, s’étaient installés, vers 1604, sur les cétes de ce qui est aujourd'hui la Nouvelle. Ecosse. Liés par leur histoire et par leur langue ™, les Acadiens n’ont pas de géographic: vous aurez beau chercher !’Acadie sur une carte du Vous ne la trouverez pas. Les jeunes Acadiens eux- mémes, interrogés récemment (1977) au cours d'une enquéte, ne sont pas d'accord sur la délimitation de l’Acadie »*, LE FRANGAIS DANS TOUS LES SENS LE FRANCAIS AU CANADA Pour chaque province ont tt indiqués les pourcentages des personnes pariant Je francais en famille par rapport ia population totale dela province, ainsi quele ‘nombre de personnes auqucl correspondent ces pourcentages. (Source : Statistiques du Canada, 1981.) LE FRANCAIS HORS DE FRANCE 203 Aujourd’hui, il y a des Acadiens mais il n’y a pas d’Acadie, et Vorigine méme de ce nom reste obscure. Certains pensent que le nom d’Acadie est celui que Champlain, par erreur, aurait attribué ‘aux c6tes de I'actuelle Nouvelle-Ecosse, par confusion avec Arca- dia, nom donné un siécle plus t6t aux cétes de la Virginie en raison dela douceur de vivre & laquelle elles semblaient inviter. Une autre théorie voudrait que ce soit plutdt un nom d'origine indienne, car ilexiste des toponymes comme Tracadie (Nouveau-Brunswick) ou Shubenacadie (Nouvelle-Ecosse) ot se retrouve le méme suffixe. On aurait alors pour Acadie Je choix entre un mot indien de la langue micmae signifiant « emplacement d’un camp» et un autre mot indien, mais de langue malécite, signifiant « terre fertile ». ‘Cest en tout cas ce nom qui, malgré leur dispersion géographique, réunit les Acadiens, dont l'histoire comporte des épisodes drama. tiques. Le «Grand Dérangement » Cest en 1755, un sicle et demi aprés leur arrivée, que prend lace ce que les Acadiens ont appelé «le Grand Dérangement », qui est aussi la période la plus noire de leur histoire, Aprés avoir été jusqu'en 1670 objet de luttes entre Ja France et VAngleterre, ce qu'on appelait alors «I’Acadie » (c.i.d. la Nou- velle-Fcosse actuelle) reste frangaise de 1670 4 1713, date Alaquelle celle passe sous la domination anglaise. Mais les Acadicns, qui avaient toujours désiré resier neutres dans les querelles qui oppo- saient les Anglais ct les Frangais, reflusent de préter serment au roi Angleterre *". Jugés indésirables par le gouvernement britan- nique, ils sont déportés en 1755; embarqués de force sur quarante- six batcaux réunis Grand-Pré, une grande partie d’entre eux sera dispersée dans plusicurs régions des actuels Etats-Unis. Beaucoup péniront en mer, mais certains finiront par s installer en Louisiane, aprés un détour par Saint-Domingue : ce sont eux que 'on appelle les Cajuns ou Cadjins,.ce qui teprésente la prononciation locale approximative du mot Acadiens. (Cf p. 208.) D'autres, avec la complicité des Indiens, se réfugiemt dans les foréis de 'actuel Nou- veau-Brunswick. D’autres enfin sont envoyés en. Angleterre ou renvoyés en France, Toute cette tragique aventure n’a réellement eu d’écho mondial wun sigcle plus tard, lorsque le poéte américain Henry Longfel- 204 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS low a retrace, en un long poéme de 1 400 vers, la triste histoire d’Evangeline Bellefontaine: cette jeune fille de Grand-Pré, eruel- Jement séparée de son fiancé Gabriel par la déporiation et qui Passe ensuite sa vie a sa recherche. Elle finit par le retrouver a Philadelphie, mais trop tard : ils sont alors tous deux trés Vieux ct il est mourant. Traduit en quinze langues, ce long posme, a travers histoire d’Evangeline, a fait connaitre au monde entier Pexistence des Acadiens, Ce peuple, amoureux de son passé et de sa religion, a pris pour ‘hymne national un cantique, I'Ave maris stella, et comme drapeau, celui de 1a France, avec, dans le bleu, ’étoile a cing branches de ‘Marie *. Ces habitants d'un pays disparu ont su, malgré les épreu- ves, conserver vivante la langue de leurs aicux, tant il est vrai, comme le rappelle Antonine Maillet, que: « Eire acadien, c'est tre descendant de queiqu’un, ce n’est pas occuper un territoire.» Le frangais au Québec Comparé au destin heurté des Acadiens, celui des populations qui ont colonisé la vallée du Saint-Laurent a partir de Québec, ‘Trois-Riviéres et Montréal pour former la Nouvelle-France, ou Canada, apparait comme plus uni et plus heureux : en un sigele, les populations parviennent a se souder par un peuplement continu ™, L’accroissement du nombre des francophones s‘est ‘ensuite poursuivi réguli¢rem¢ a Gté multipli¢ par dix de 1760 (65 000) & 1851 (670 000), puis de nouveau presque par dix de 1851 au miliew du xx: siécle (5.000 000 au Québec en 1971). Cost on 1763, cinquante ans aprés I'Acadie, que le Canada devient 4 son tour une colonic anglaise. A cette époque, un quart de la population du Québec était anglophone, ct Montréal devait ester 4 majorité anglophone jusqu’en 1871. Depuis, Montréal est devenuec la deuxiéme ville francophone du monde, aprés Paris et & égalité avec Bruxelles. La ville de Québec, de son cété, est aujourd’hui presque entiérement francophone. Pisi-z-infin et grin-minmin... En débarquant au Quebec, on est frappé par des prononciations comme pisi-z-infin et grin-minmin («petits-enfants et grand: LE FRANGAIS HORS DE FRANCE 205 maman ») et on peut avoir, au début, quelques difficultés a iden- tifier des mots comme banc, gani, vent, prononcés comme un Parisien prononcerait bain, gain, vin. En fait, les Québecois distin- guent aussi bien que les Parisiens entre banc et bain, maisiils le font avec des timbres différents. Trés rapidement, on s*habituc 4 ce décalage, comme a celui de p'tit prononcé p’tsi, ‘Une caractéristique bien connue de la prononciation du francais ‘au Canada consiste en effet dans ce que les linguistes appellent, dans leur jargon, lassibilation des occlusives (assibilation et non as assimilation). Il s’agit de la prononciation ts pour t (dans (par)di, tiens, 1, 1uer) et de dz pour d (dans dis, dieu, du, duel) 2.Ce Phénomeéne se produit au Québec, et, dans une moindre mesure, en Ontario ™!, mais ne touche pas les Acadicns*, Ces derniers ont, de leur cété, pour particularité de prononcer guerre ou curé comme si ces mots s'écrivaient dierre ou tchuré et, bien entendu, Acadien, comme Acadjin. (Cf. les Cadjins ou Cajuns de Loui- siane.) Cependant, d'une maniére générale, tous les francophones du Canada ont des traits communs de prononciation 2, 4 exception des Acadicns qui, en raison de leur histoire bousculée, se sont trouvés isolés et ont donc maintenu des archaismes spécifiques : par exemple, la prononciation avec ox de la yoyelle de pomme (rappelons-nous la querelle des « ouistes» en France au XVII sié- cle). (Cf. p. 102.) En ce qui conceme le lexique, les différences sont beaucoup moins sensibles entre les diverscs provinces, et on touvera dans Pencadré « Petit lexique franco-frangais (Canada) » (¢f: p. 206-207) un certain nombre de mots qui pourraient préter 4 confusion en Europe, mais qui sont tous compris dans l'ensemble du Canada. Ce lexique permettra de comprendre sans équivoque le sens des phrases présentées en fin de liste * * Jeremercie Catherine Philipponneau, professeur & luniversité de Moncton, gui m’a communiqué tous les documents concernant les Acadiens et leur langue. LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS amarrerO% (ses chaussures) sappareiller °* (la vetre) (9) appareiler asser blewets oucane ‘eabaree cartable casher (an chique) champlure charrue chavirer™ (un seau) Ge) chavier 8% chialer chaussette cowvente abbarbouilletto escousse, secousse , dan expérer Siiee ‘grand bord & ‘gréements™ _réver (la table) (Ge) griver: (se) dbgrever 9 Ihares ™ (e) large figne d linge linge Imagasiner, fire son magasinage (se) mater’ mitaine (an) mousse pas mal (esi) pas pire atentr, paienteur écher (au gibier) eindre Peinurer Platte poreraic (avo pos que a) ralingwe PETIT LEXIQUE FRANCO-FRANCAIS (CANADA) i attacier» (Ges chinassures) « népre a tre pour es semi «sThabiler» “cis, beaucoup» ‘ ‘emoulle» un petit gargon» ‘«(Cesi)tes bien» «bricoler», « brzcleur» «prendre » (Gu gbier) «peindre (un tableau) » «peindre (un mu)» s “« photographie » ‘dire maigre comme un clou » ‘esac de dame» LE FRANCAIS HORS DE FRANCE ies sae bees ore ion shoe rn me eee © terme employé surtout au Québer ‘> terme employe surtout par les Acadiens. QUELQUES PHRASES ENTENDUES AU CANADA Mls sont allés & hotel pour une petite secousse. ‘ls sont allés & Yhotel un petit moment. » A matin, le postillon était chaud, it était encore sur la brosse. «Ce matin, le facteur était ivre, il n’avait pas encore dessaoilé. » Elle plume des patates pour le diner. «Elle épluche des pommes de terre pour le céieuner, » Elle ext en famille elle va accoucher ben vite. ‘«EElle est enceinte, elle va accoucher tres vite. » ‘Sa mere iui a donné une belle catin pour sa fte. «Se mére lui a donné une belle poupée pour son anniversaire. » Au magasin général, ils ont du butin d la verge. «Au magasin général, ils ont du tissu au méte (la verge = 0,91 metre) Mest parti dans les bots chercher des cocoltes et il s'est cart «11 est parti dans les bois chercher des porames de pin et #est égaré, » Yawn char quia fessé un plat suisse «ILy.a.une voiture qui a heuré un petit écureuil gris.» Le téliphone n'a pas dérougi. « Le telephone n'a pas cessé (de sonner). » Elle brailait& chaudes larmes. «Elle pleurait & chaudes larmes. » Conseils & la gardionne : (1. donner la Boutelle aw bébé ; 2. lui faire faire son rappor ; 4. Lemmener se promener en carresse. » Conseils i la dame qui garde les enfants: ‘<1. donner le biberon au bébé 2. tai faire faire son rot; 3. Temmener se promener dans son Jandau. » 208 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS LE FRANCAIS EN LOUISIANE ‘Trois variétés de langues en plus de Vanglais Fondée en 1682, la Louisiane, baptisée ainsi en Phonneur de Louis XIY, n'est restée francaise que pendant quatre-ving's ans. Aprés un épisode anglo-espagnol, elle est cédée en 1803 par Bona. parte aux Américains, pour la somme de 15 millions de dollars. Les premiers immigrants avaient vu leur nombre augmenter rice Ala venuc des Acadiens en 1755 (les Cajuns ou Cadjins) et,en plus des nouveaux apports de réfugiés venus de France aprés la Revo. lution, la population francophone de Louisiane s'est encore accrue d'un grand nombre d'esclaves noirs venus des Antilles, Ces trois types de peuplement expliquent les trois variéiés de langues que l'on peut distinguer en Louisiane 2": — le frangais colonial, appelé encore viewx francais crbole (Now- velle-Orléans et plantations le long du Mississippi). Cetie langue a conservé des voyelles longues a Yoral et connait également une forme écrite; — Tacadien (ou cajun), sculement oral. Cest la varieté la plus répandue et elle ressemble au frangais parlé par les Acadiens du Canada; = le black creole (ou créole louisianais), encore appelé gombo French ou courimarvini. Ce n'est pas du francais, mais un créole Proche du eréole antillais, qui est surtout parlé dans le sud de VEtat. En 1869, anglais devient langue officielle et Ie francais disparaft Presque complétement des programmes jusqu’en 1968, A cette date, le frangais acquiert le statut de langue officielle et la Loui. siane crée un Conseil pour le développement du francais en Loui. siane (CODOFIL). Aujourd’hui, malgré les efforts du CODOFIL, il semble que la langue frangaise continue de régresser (env. 300 000 francophones) et que seules les personnes agées continuent a la pratiquer ct 4 la LE FRANCAIS HORS DE FRANCE LE FRANCAIS AUX ANTILLES ET EN GUYANE Le créole et le francais Départements d’outre-mer comme la Guyane, les Antilles fran- gaises se composent de la Martinique et de la Guadeloupe, avec ses dépendances ; les Saintes, Marie-Galamte, la Désirade, Saint-Bar- thélemy ct la partic frangaise de Saint-Martin. Le francais y est évidemment langue officielle et il y est compris par la plus grande Partie de la population. Cependant, comme en Guyane, a la Réunion, a Haiti et 4 Tile ‘Maurice, la langue d’usage y est bien plus souvent le créole, qui est une langue formée au xvit* siécle a la suite des contacts entre colo- nisateurs parlant francais et esclaves pariant diverses langues afri- caines. Ces esclaves avaient été réunis sur les cdtes occidentales de VAfrique avant d’étre embarqués pour les colonies. Les créoles frangais ne sont pas du frangais mal parlé ou simplifié, mais des langues A part entiére, qui se distinguent parfaitement du francais, Les Antillais et les Guyanais sont donc généralement bilingues créole-frangais. Quelques caractéristiques du frangais aux Antilles Sil'on demande a un Frangais « métropolitain » de caractériser lc francais parlé aux Antilles, il répond généralement que. les ‘Antillais ne prononcent pas les r dans des mots comme roue, terre, porte, etc. Cette impression est trompeuse car le plus souvent la Consonne est bien présente, mais elle est articulée si faiblement 4 Varrigre dela bouche, qu'on l'entend mal, En prétant un peu Poreille, on se rend compte que roue ne se confond nullement avec howe, ni terre avec taie, ni porte avec pote, etc. Ici encore, comme our Ie Canada, il suffit de quelques instants pour établir les cor- respondances entre ces usages du francais et celui auquel on est accoutumé, Surle plan du lexique, certaines expressions sont seulement d'un emploi un peu surprenant pour le »étro (« Frangais de France ») son arrivée aux Antilles: ainsi «un condueteur au volant de son transport en commun» pout «au yolant de son autobus » ou «1a farine a pris fin» pour dire qu'il n’y ena plus. C'est au bout 210 LE FRANCAIS DANS TOUS LES SENS un certain temps qu'il comprendra que le mot linges renvoie plutot a des vétements extérieurs et qu'un enfant vorace est sim- plement gourmand. D'autres termes, comme le zouc «la féte», zouguer « danser» ou 1ébé «fou », complétement inconnus hors des Antilles, apportent réellement des difficultés dans la commu. nication *, LE FRANCAIS EN AFRIQUE ‘L’Afrique francophone Les pays africains dits expression francophone occupent une bonne moitié de la surface de l'Afrique, depuis la Mauritanie & Youest jusqu’au Tchad a Vest et jusqu’au Zaire, au Ruanda et au Burundi au sud. Pour tous ces pays, a l'exception du Sénégal oli Vinfluence frangaise s'est manifestée dés le xvur siecle, Pimplanta- tion du frangais ne remonte qu’au xIx* sidcle, avec lére coloniale. Ta dabord &é véhiculé par l'armée 2 si bien que, par exemple, en République centrafricaine et au Tchad, il existe un « francais mili- taire», qu’on appelle encore « frangais tirailleur » ou « frangais tiraillou », et qui s'est particuliérement développé a occasion des deux guerres mondiales. Il laisse aujourd’hui la place au « francais des écoles?” ». (Cf. carie du francais en Afrique, p. 211.) Le francais d'Afrique n'y a pas un frangais d'Afrique, de méme qu’il-n’y a pas un francais de France, mais toutes les variétés du frangais parlé en Afrique ont un point commun : c'est aujourd'hui un frangais « sco aire», c'est-d-dire pratiquement toujours appris a l’école, et non pas une langue apprise en famille. Chacune des nombreuses lan gues africaines marque alors asa maniére le francais parlé dans la région. Un exemple extréme est représenté par la phrase suivante, ot se manifeste en frangais un phénoméne propre au bantou, langue oi les régles d'accord grammatical se répercutent sur tous les mots de la phrase: « Nous voulons des hpitaux pour les hommes et des * Je remercie Danielle Seada pour son aide. as 212 LE FRANGAIS DANS TOUS LES SENS hpitales pour les femmes, des écoles normales pour les jeunes filles et des écoles normaux pour les jeunes gens. Enfin et enfine, ‘nous demandons la création de tribunales dans la brousse comme ily a des tribunawx dans les centres urbains?*. » ‘On trouvera dans l'encadré (p. 213) « Petit lexique franco-fran- gais (AFRIQUE NOIRE) », a c6té d’acceptions particuliéres de mots francais (ambiance, vidange...), des exemples de créations lexicales locales tout a fait conformes aux formations iraditionnelles du frangais (essencerie, bayesse...). Les enquétes sur les proportions d’usagers du frangais en Afrique ont toutes montré que, si élite parle et écrit un excellent francais, parfois méme trés chatié, l'ensemble de la population Ie parle peu: entre 5% et 10 % suivant les pays”. D'autre part, le frangais ne joue pas le méme réle dans tous les, pays "Afrique, comme on peut le voir, par exemple, au Zaire et en COte-d’Ivoire, Au Zaire ™, le frangais est surtout /u (livres, revues, journaux sont en frangais & plus de 80 %) et, bien siir, entendu (jeux radio- Phoniques et télévisés, films). I! n’assure cependant pas dans ce ays un vrai rdle de langue véhiculaire, c'est-a-dire d'instrument de communication entre des populations n’ayant pas la méme langue maternelle “. En Céte-d'Ivoire, en revanche (et surtout & Abidjan), le frangais est utilisé dans toutes les occasions de la vie sociale *. II peut donc y tre considéré comme une langue véhiculaire importante. Dans d'autres pays, comme le Togo, le Bénin ™, la République centrafricaine ou le Tchad *4, il ne Pest jamais, Rappelons que dans ces deux derniers pays, le francais était une langue inconnue jusqu’au début du xx* siécle. Le francais en Afrique du Nord La durée de la présence frangaise dans les trois pays du Maghreb est différente : de cent trente-deux ans en Algérie (1830 — colonic, puis départements ~ 1962), de soixante-quinze ans en Tunisie (1881 = protectorat - 1956) et de quarante-quatre ans au Maroc (1912. ~ protectorat ~ 1956). Dans ces trois pays, la grande période d’immigration frangaise s'est prolongée jusqu’a la Pre- miére Guerre mondiale, mais un grand nombre des Frangais qui se sont installés en Tunisie et au Maroc provenaient Algérie. Cela LE FRANCAIS HORS DE FRANCE PETIT LEXIQUE FRANCO-FRANCAIS (AFRIQUE NotRe) 25 ambiance ‘« fete» (Zaire) ambiancewr ‘coli qui fait la fete, Reard» (Zaire) arachides cacahustes » Zaire) (en) arbre (en) bois» (Ruanda et Burundi) (Gai la) bouche se vanter » Gemrer Ia) bouche —_arrefuser de dire la vérité » «domestique de sexe fémin» (Ruanda et Burundi) «logement révervé aux domestiques » (Ruanda et Burundi) «

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