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LES CAHIERS: = AC. L'ART CONTEMPORAIN ET LE MUSEE LA FABRIQUE DE HISTOIRE ? Le prétexte Un musée — en occurrence le Musée na~ tional d’art moderne — réalise pour des be- soins qui lui sont propres et pour son public une exposition importante de ses collections contemporaines. Un administrateur me reprendrait en pr cisant que l'organisateur est le Centre Georges rait 1a que d’une ar- Pompidou, mais il ne s gutie, car le Centre d’art et de culture est bien en passe de revaloriser, voire de privilégier, Ja fonction patrimoniale sur la fonction d’ex: pression et d’analyse de la culture au quot dien. 1 ne m’appartient pas ici d'exprimer mon opinion sur une politique institution- nelle, mais il me faut constater que 'occa~ sion de cette manifestation conduit le seul Musée national d’art moderne en France & prendre clairement conscience que collec- tion et présentation sont deux données clai rement distinctes et que, dés lors, 1a ques tion de l'exposition publique des effets de Vactivité muséale (la collection) se pose Jui de la seule parti- d'autres termes que tion des espaces du Centre entre le musée et les autres activités, La formulation particuliére de ce nouveau comportement institutionnel nous a été signifige par la métaphore mar chande du manifeste. Ly a, on le saisit d’emblée, bien da motifs & Manifeste que ceux de la fabrique de histoire, e’est pourquoi les propos qui su: tres: ‘Musée national d'art modeme "7 JEAN-MARC POINSOT ‘vent pourront paraitre en contra- diction avec les buts revendi qués de Manifest. Le musée et 'histoire On sait que la mission principale du musée est de donner un statut historique a des objets esthétiques et non pas — comme tend a lavaliser une concep- pliste du ready-made — érer un statut esth I accueille. Ceci t au fait que, lors de sa création, le musée a construit sa mission historique comme une modalité de destina- uvres de Vart, modalité de tion sociale des « destination sociale qui transcendait le ser- rs et assignait des finalités dé 1es. Ainsi le vice des pouy mocratiques aux objets esthétiqué musée a-t-il contribué avec exposition, autre modalité de destination sociale des ceuvres de Fart, a instaurer objet esthétique de la 1é et a-t-il généré les Savors qui aS objet une place dans la mémoire modern signent a cet et dans la culture Bien que la France ne fat pas la premigre Ju XVIIF sigcle a eréer des musées, elle ala prala les étapes avec la Révolution en trans- formant, pour les sauver, les « monuments de a tyrannie » en chels-d'ceuyre des arts Edouard Pommier a montré dans son ou x pocrines ot débats de “yrage Liar de la dans l'urgence Losec ides commissions char= i éshérence et ques avant meme que ne sin feat un save specique a Tats S88 Vas: pect de son histoire, fut inventée la notion Sea exons, carlos publications de ces dénombrements ont Fonsttué les premiers actes par Lesquels les ceuvres de Hart ont &€ versées au COMPLE du patvimoine et ont ainsi pris leur valeur hi torigue, de méme que les marchandises du cargo prennent une valeur déclarée pour la douane dans le manifeste. Si le travail de Wistoire commence par des €critures il est alors utile de s'y reporter, ‘comme I’historien des faits sociaux, poli- tiques, économiques ou religieux va se plonger dans archive pour y trouver sa matiére pre- mitre, Je me suis efforcé de mener une opé- ‘ation analogue avec l'ensemble des objets ‘ov ceuvres répertoriés par le Musée national art moderne et produits de 1960 8 au- jourd’hui, Cesta dire le corpus “objectif”, ‘0 la matiére premiére avec laquelle ont tra- vaillé le ou les commissaires. Le Service de la documentation des collections a eu la pa~ ae Aéditer les 1265 pages de listing qui nstituaient la réponse & la question ; de Guo est composée la partie de la collection du musée qui a été produite par les artistes de puis 1960 ? Ce document volumineux n¢ présentait cependant qu'une description som maire de chaque item sans relation avec lar piticuse analyse du Videomuseum qui ¢ taille chaque objet avec beaucoup de so En effet, si chaque visiteur pouvait a y Jomé pendant la durée de exposition consul les fiches et les ceuvres reproduites sur les terminaux du Videomuseum mis a leur dis position, je me suis abstenu de cet exercice et me suis limité & quelques considérations nérales sur ce que pouvaient révéler les 9614 descriptions de 5 lignes chacune. Le but de ce catalogue est d’abord pra- tique puisqu’il consiste a donner une identi- fication sommaire de objet, par son auteur, son titre, sa date, sa technique et ses dimen- sions, a caractériser son mode d’entrée au Musée national d’art moderne et a indiquer le coin, I'étagere ou la réserve ot il est range, IM faut, avant tout commentaire, préciser ce que recouyre ce nombre impressionnant et quelque peu trompeur de 9614 notices. Sont répertoriés ensemble ceuyres originales, pho- tographies, estampes, affiches, films, y com pris des films sur, non pas des artistes, mais sur eux. Les oeuvres sur papier se suivent par milliers, et un certain nombre d’ceuyres com= posites, telles, par exemple, les 42 dmages Mo: déles de Boltanski qui chacune forme un iter dans la série, ou tels les 15 Hauts-fourmeaies de Bernd et Hilla Becher, gonilent le nombre des notices. En I'état ce catalogue ne perme! en aucune manigre de constituer un out! statistique analysable sans un gros travail complémentaire. $a fonction principale Vi" sant a gérer les objets, il convenait de faire abs traction de cette présemtation ardue pour y ae celer en quatre lignes la mention dé telle 08 telle ceuvre remarquable, Les acquisitions antérieures a 1976, C6" a-dire avant les attributions de Hetat au BOT veau Musée national d’art modeeney Sr blent avoir subi un sérieux to) West done pas possible de sil des listings les modalités et orientations des acquisitions pré-Beaubourg, a l’inverse la sé- lection opérée peut témoigner plus aisément des nouvelles orientations prises alors. Ce qui subsiste de ces temps antérieurs a la mise en place du nouveau musée ne concerne que quelques grandes figures de la premiere moitié du siécle dont on a rentré d’abondantes sé- ries de travaux sur papier et bien sir Vou verture a une scene internationale dominge par l'art américain'. Au fil des pages, on prend Ja mesure des privileges dont le musée a pu bénéficier en cumulant ses propres acquisi- tions, un choix prioritaire parmi les achats du Fonds national d’art contemporain, et les ceuvres entrées en possession de I’Etat par dation et, enfin, divers apports privés. Il se- rait présomptueux de dégager, a partir de la seule lecture du catalogue, les traits mar- quants de l’histoire d’une grande collection publique, Les oeuvres et objets catalogués ne racontent pas explicitement comment ils sont passés du marché de Vart au musée. A ce titre, il est extrémement difficile de déceler des points forts permettant d’établir trés clairement les liens entre les méthodes d’acquisition et les bonheurs de cette action. Certains artistes semblent avoir é d'un suivi attentif ou du moins d’une atten- tion renouvelée — ils sont relativement peu nombreux, et l'intérét porté a leur travail ne date pas toujours de la premitre heure — mais les ensembles ainsi constitués forment trés certainement la premigre qualité repérable de la collection®. Les acquisitions par mou- yement décrivent un paysage plus large, mais sans profondeur, ni nuance. A la suite d'un premier examen général du listing, on pour- rait méditer sur la phrase que Mario Merz a écrite sur un de ses premiers igloos apparte- nant au Musée (igloo de Giap, 1968) : Si l'ennemi se concentre il perd du terrain, Sil se disperse il perd de la force. Quel type de fonetionnement révéle done ce catalogue ? Comment un musée ambi tieux et dominant peut-il affirmer une j Vobjet tique d’acquisition efficace ? Telles sont les questions que l'on se pose. Il semblerait que dans le long terme les comités d/acquisition — je parle ici de la période contemporaine seulement — n‘aient pas fonctionné trés dif- {éremment d’autres plus modestes, tels ceux des FRAG, a savoir en opérant des prélévements sur le marché international en fonction d'un certain nombre de critéres relativement ou- verts. On pergoit parfois des liens entre Vor- ganisation d’expositions et quelques achats, mais cela reste ponctuel (par exemple, Vac- quisition de la Salle blanche de Marcel Broodthaers, qui avait &é réalisée pendant la préfiguration de Centre et du nouveau Musée 3 l'occasion dune splendide exposition personnelle en 1975, a da attendre 1989 pour se concrétiser ; aussi Vacquisition de plu- sieurs aeuvres de Reinhard Mucha lors de la préparation de son exposition per- sonnelle au Musée national d’art mo- deme reste-telle un exemple isolé, bien que tout a fait ex- ceptionnel par la qualité des pidces et la précocité de Fachat). Les prospections programmées, vo- lontaristes, celles qui font sortir les pigces de l'oubli, des caves et des greniers, ou qui visent a capter des aeuyres si ce lebres qu’on n’ima~ gine pas qu’elles soient encon ART CONTEMPORAIN ETLE Musd JEAN MARC FONSOT Jein er que Te résultat est de bien que plus échantillon- travail attentil a été i} fut trop tardif lier pour Wes Ki grande qualité aire que sensible. UN g, mais avec Oldenburg. " an poor a0 1 des résultats exceptionnels sur pour donne! ay Ia pitiode quill vou! zt n Jement un bel ensemble de Buren av semble-til, €ré puni dans Vaccrochage d Manifeste de ses det récents, Boltanski est trés g4 ait représenter. IY aren qui a rdements pokémiques ing ; a diversité dans le temps, leur ampleur donnent nage diversifiée Ce quill a produit sans pourt prendre en voulu assumer apparait comme trés inégale en ce qui concerne les faits collectifs lorsque Von engage une analyse un peu approfondie Le Musée a sorti ce qu’il avait de mieux pour le Pop Art et les Nouveaux Réalistes, le Johns est seul, Warhol ne remplit pas les réserves ei, si Arman et Tinguely aux edtés de Klein ont des ressources, Christo et Hains auraient pu faire objet d’un peu plus d’attention. Méme remarque avec Supports-Surlaces pour lequel i présents que les ac- teurs principaux. L’évocation de ce que l'on s‘obstine & nommer le groupe BMPT malgré les préventions des artistes sur cette déno- mination a une allure pitoyable, car il n’y a pas d’autre Mosset, ni de Parmentier en stock, les épigones sont au alors que, aprés Buren, Toroni a fait objet récemment d’un juste rattrapage dont Manifeste aurait pu témoigner un peu mieux. En dautres termes, si le catalogue révele que l'on a porté de attention a tel ou tel ar- tiste ou que I’on s’est attaché a couvrir tel courant, il ne met en évidence que trés peu d’ensembles incontournables au milieu d’un nombre trés raisonnable de bonnes pieces. On semble s‘étre donné pour tache de ne pas ignorer ce qui faisait autorité par ailleurs, sans vouloir réunir les bases ou les matériaux d'une histoire clairement articulée, me se rail-ce que pour une ou deux tendances. C’est tun peu comme si pour le contemporain on avait voulu se prémunir en ratissant large, mais que |’on gardait pour plus tard un premier ct véritable travail historique. En ce sens © que révéle la collection dans sa formation: est une certaine prudence, prudence qu! se traduit dans le renforcement de fonds dar tistes en vue aprés de premiers achats pone” \uels, mais aussi dans la couverture générale des courants les plus reconnus, Ces trails Ge collection ont été renforcés dans les 86

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