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Socio-logos. Revue de l'association francaise de sociologie 2 | 2007 Varia Débats Construction sociale de l'appauvrissement Budget de la famille. Enquétes INSEE 1994-1995 et 2000- 01 JEAN-FRANCOIS GAZEAU Texte intégral Disons-le tout net : a pauvreté et la précarité donnent mauvaise conscience. Et, dans le monde de la recherche, elles constituent un large champ de préoceupations, 01 il s'agit notamment de savoir comment les pauvres ou les précaires font pour s'en sortir (parcours, projets d'insertion). Par symétrie, il existe un champ d’analyses qui serute les carri@res des décideurs (ingénieurs des grandes écoles, énarques, etc.) dont la réussite renverse plutdt le temps de conjugaison : comment ont-ils faits pour en arriver 1a ? Ces champs, certes pertinents, sont cependant séparés, voire étanches, non seulement en raison du clivage des populations respectives, mais aussi parce que la relation entre réussite des uns et misére des autres échappe & la sagacité générale, comme si elles étaient absolument indépendantes, sans interaction. Un tel sujet serait-il tabou? Dans « Mesurer la pauvreté », Heonomie et Statistique 1997, 8/9/10, aucune contribution ne suppute une telle problématique. Les spécificités socioéconomiques n'y sont guére évoquées que pour expliquer la difficulté technique des comparaisons internationales. Les. mutations socioéconomiques, notamment dans les ex-pays de l'Est, sont certes invoquées dans le Rapport sur la pauvreté en Europe de Caritas Europa, orienté sur le famille, en mars 2004, mais comme source de déstructuration des familles. Le tout dernier rapport de I'Insee « Les revenus et le patrimoine des ménages » (novembre 2006) soupése le partage de la population autour du seuil de pauvreté au fil d'une rétrospective critique, et, dans la presse, les commentateurs en modulent le constat technique par des nuances plus qualitatives. Le tout sans esquisser la moindre genese de la pauvreté. En occurrence, lobservation des populations pauvres ou aisées comme autant de collections d'individus —la surface des choses - fait sans doute éeran aTobservation du systéme en tant que tel ob, bon gré mal gré, ces populations « fonctionnent » ensemble et leurs richesses circulent. Au-dela, la question se pose de savoir s'il est politiquement correct d'interroger le cwur du systéme et, en fait, de mettre les mains dans le moteur. Le propos est précisément ici de voir comment « ga » fonctionne et de montrer que, en dépit de la lutte affirmée contre la pauvreté et en faveur de la cohésion sociale, le fonctionnement « normal » de la société, distribution des revenus et dispositif de consommation aidant, crée les conditions de la discrimination sociale et de 'appauvrissement. Les enquétes de INSEE sur le « Budget de la famille » de 1994-1995 et 2000-2001 fournissent des données susceptibles de satisfaire la curiosité, Parmi ces données, Vendettement des ménages apparait évidemment comme un outil d’analyse pertinent, dans la mesure of il est & méme organiser et parfois de désorganiser des budgets. Cest done par son biais que nous allons explorer la structuration des distributions et des flux de richesses, et suivre des projets d’acquisition voire d’enrichissement qui peuvent tourner a Tappauvrissement. Quelques autres données disponibles dans les enquétes, notamment la position dans léchelle des revenus, le statut @occupation du logement principal, la composition des ressources et le revenu minimal, celui « dont le ménage ... doit absolument disposer pour pouvoir simplement subvenir @ ses besoins », seront sollicitées et organisées pour baliser le chemin’ ndettement résulte grosso modo de trois ordres de dépenses a tempérament (logement, véhicule, consommation courante) et de deux types de remboursement (banque, autres organismes financiers), selon importance des dépenses a finaneer. Certaines dépenses correspondent & des paris sur l'avenir. Cest particuliérement le cas des crédits, surtout de longue durée, qui constituent un investissement, & tout Ie moins une anticipation sur des ressources A venir, malgré des risques conjoncturels difficilement maitrisables. L'emprunt immobilier pour aceéder & la propriété du logement principal est un moyen largement usité, généralement auprés des banques avec évaluation préalable de Vendettement (et done de la solvabilité) et échéancier. Il permet, pour Pessentiel, au taux de propriété de progresser avec Page des contractants pour atteindre les 70% vers 'age de 65 ans. Ce poste de dépenses représente évidemment le poids majoritaire des remboursements de crédits (54% en 1995, et 61%en 2001). Les autres erédits, achats de véhicules et achats de consommation courante peuvent étre financés par la banque traditionnelle, mais aussi de fagon plus « spontanée » et immédiate par les marchands eux-mémes ou leur propre organisme financeur, par le biais de préts dédiés ou de mises & disposition de compte disponible de type revolving, Liofire luxuriante et invasive de erédits témoigne d'un créneau lueratifet de réservoirs de demande, et ses techniques sont assez astucieuses pour assujettir et parasiter les budgets sous couvert de les discipliner et/ou de les soulager (ef. encart ci-dessous), selon des normes sélectives comme nous verrons plus loin. Di ipliner et soulager les budgets. Les tentations sonten effet nombrouses et alléchantes, mais elles sont tompeuses. Et tompeuses en toute légalité. Quelques exemples utiles pour décnpter les offtes etiou se premunir Les chéques sans provision, (accident ou pas), sont taxés forfatairement ; leur rapport coditbénéfice est d'autant plus avantageux cété banque) ou désastreux (c6t8 signataice) que le montant du cheque est faible. Le taux d'intérdt prohibitf des crédits « revolving » est escamoté par des modalités de remboursement qui, pour Ste allégées, allongentles délais et .. le montant des. agios: Tel contat de prét oblige & des mensualités supéricures au montant préwy par le taux intérét ; 'épargne foroée est rendue & 'emprunteur en fin de parcours, mais elle a entre temps provisionné gratuitement le préteur Les assurances décés misent sur le blocage des comptes au moment du décts, ‘assez éprouvant aussi pour les finances. Compte tenu des tables de mortaltés, le Souscriptour a toutes les chances de survive apras avoir abondé entiérement le capital qui lui aurait ét6 0. II est alors devant une alternative ; soit il continue d'abonder et c'est fonds perdu, soitil ramptle contrat, etperd ses droits. faut savoir aussi qu’en cas de retard de mensualité, les organismes préteurs ou ‘assureurs ne lésinent pas sur les pénalités, ce qui sale la note. En cas de litige, les moyens comminatoires peuvent aller jusqu'a l'extorsion frauduleuse (paris réussie, souvent tentée) de sommes fnalement indues. Revenu minimal, occupation du logement, types de revenus et CSP Les revenus du travail, y compris les retraites?, forment Vessentiel (85%) des ressources des ménages, et sont complétés en moyenne 4 hauteur de 10% environ par des transferts sociaux® et de 5% environ par des revenus du patrimoines, Ces eompléments sont évidemment trés inégalement répartis : les revenus inférieurs au demi revenu médian® comptent environ 45% de transferts sociaux (qui les laissent malgré tout sous le seuil de pauvret6), et les revenus supérieurs au double du revenu médian comprennent environ 12% de revenus du patrimoine. En 1995, les agriculteurs et petits patrons de 60 ans et plus, sans enfant Ala maison, avec un ou deux revenus parentaux, sont propriétaires dans 81% des cas, us 29% (us = versus signifie que 29% de ceux qui sont hors du profil précité sont propriétaires); 66% des ménages A deux revenus de 35 8.44 ans, cadres et intellectuels supérieurs ou professions intermédiaires en activité sont des aceédants a la propriété, us 23% ; 92% des femmes seules, avec ou sans enfant, employ ées ou ouvriéres de moins de 30 ans sont locataires, vs 36%. Ces noyaux durs, trés semblables en 2001, inscrivent ainsi le statut occupation dans les histoires de vie plus ou moins travaillées par 'histoire socio-éeonomique du pays. Diprés le rapport du revenu minimal au revenu réel (RM/RR), un ménage sur deux prétend qu'un revenu moindre (inférieur & 87% du revenu réel) lui suffirait, tandis qu'un ménage sur cing souhaiterait une rallonge de 15% au Ces orientations en matiére de revenu. minimal, en faisant référence explicitement aux besoins et implicitement au pouvoir dachat, modulent sensiblement la notion de pauvreté trop séchement (et dailleurs maladroitement) décrite par le demi revenu médian’, selon lequel on compterait 9% de ménages pauvres. Elles ne sont évidemment pas indifférentes a la situation financiére ni, par conséquent, au statut doceupation du logement : plus de 70% des accédants A la propriété bénéficient d'un revenu réel significativement supérieur au revenu minimal déclaré, seuls trois locataires sur quatre sont dans le méme cas, et les propriétaires, plus partagés, font figure d'intermédiaire, Distribution de la population selon le rapport RM / RR et selon le statut d'eccupation du 1995 2001 Statutdoccupation du = RM/RR< = RMIRR> —RMIRR< —-RM/RR> logement 0.87 1.15 0.87 415 Propristaires 56,1% 235% 45.3% 28.4% ‘Aeobdants 738% 58% ThA% 9.8% Locataires 23,7% 47.9% 26.0% 39.9% RMRR < 0,87 = le reveru minimal est inféreur 87% du reveru réel (le revenu réel est supérieur & 115% cu reveru minimal) RMR > 1,15 = le reveru minivalest supérieur & 115% ou revenu réal (le revenréel est inféieur 87% ou ravenu minal, Ainsi en 200', prés de 10% des accédants aimeralrt une rallonge dau moins 15% & leur revenu. Mais la composition des ressources intervient aussi, qui n'est pas complétement redondante avec leur niveau. On peut dés lors se fixer des seuils pertinents pour le niveau de revenus, les parts respectives de transferts sociaux et de revenus du patrimoine, et les appréciations de revenu minimal, et construire ainsi un prisme d’analyse de léchantillon’. De fait, la population des ménages se décompose en groupes dont, malgré leur définition a priori, on postule que les postures de gestion de leur budget sont différenciées. Parmi les groupes qui sécartent significativement des valeurs centrales, cette caractérisation permet de retenir cing figures particuligrement saillantes qu'on nommera, de fagon sans doute trop restrictive, par leurs traits prépondérants’, Le premier groupe, par construction, touche des revenus supérieurs au double du revenu médian, avec peu de revenus du patrimoine (< 5%) et des transferts sociaux inférieurs & 40%; il déclare un revenu minimal inférieur & son revenu réel, Parce que les Cadres et Professions intellectuelles supérieures actifs y sont surreprésentés, on appellera ce groupe « Cadres actifs » Le deuxiame groupe a des revenus supérieurs au demi revenu médian, dont plus de 20% provient de revenus du patrimoine (en moyenne 38%), et moins de 40% de transferts sociaux. II déclare aussi un revenu minimal inférieur & son revenu réel. Les personnes de référence sont deux fois sur trois & la retraite. Ce groupe absorbe le tiers des revenus du patrimoine. On appellera ce groupe « Petits patrons rentiers ». Les deux groupes suivants sont définis par une part de transferts sociaux supérieure & 40% du revenu (respectivement 61% et 71% en moyenne) notamment en raison d'un taux de chomage important, et une part de revenus du patrimoine inférieur & 5% ; ils se distinguent l'un de l'autre par leur reven minimal déclaré, inférieur au revenu réel pour l'un et supérieur pour V'autre groupe. Ces deux groupes sont majoritairement ouvriers en age d'activité. Leur écart de posture sur le revenu minimal fait écho au fait que le revenu réel de T'un est en moyenne double du revenu de l'autre. Ces deux groupes accaparent le tiers des transferts sociaux. On les appellera respectivement « Ouvriers aisés » et « Ouvriers pauvres >». Enfin le dernier groupe est, par construction, composé de ménages aux revenus inférieurs au demi revenu médian, avec de faibles transferts sociaux et de faibles revenus du patrimoine. I] se plaint de revenus insuffisants. Quatre fois sur dix en retraite, ses personnes de référence appartiennent plutét aux catégories Ouvriers, Employés et Agriculteurs. On appellera ce groupe « Anciens travailleurs », Le reste de la population est plus terne et fait du bruit au sens statistique du terme; compte tenu de son poids et de labsence de saillances sociales, ses, performances sont proches de la moyenne générale, bien qu'on puisse sans doute y repérer, ici et 18, quelque tiraillement entre tel ou tel des groupes saillants ci-dessus. A quelques variantes prés, la structure sociale de ces groupes observée en 1995 se retrouve dans Venquéte de 2001. Représentant en tout un sous- échantillon de prés de 20% des ménages de chaque enquéte, ils offrent lintérét de confronter des populations contrastées. En particulier, le groupe des « Petits patrons rentiers », population de décideurs ow d’anciens décideurs ayant pu capitaliser du patrimoine, fait face au groupe des « Ouvriers pauvres », population plutét soumise aux décisions extérieures que ce soit en termes de pouvoir professionnel ou de choix immobilier. [1 convient sans doute d’associer aux « Petits patrons rentiers » les grands décideurs du groupe « Cadres actifs » qui, pour la plupart, font profession d’organiser le changement et/ou d’en profiter. Ils n'ont pas encore de revenus du patrimoine, celui-ci est encore en cours de construction, mais leur revenu activité les met 4 Vabri du besoin, Llappréciation de l'état du budget est cohérente avec la situation décrite. De méme, orientation d'un sureroit éventuel de revenus vers des besoins insuffisamment satisfaits, conerétise la fracture sociale : un quart du groupe des « Ouyriers pauvres » assurerait mieux ses besoins alimentaires ; plus de la moitié des « Cadres actifs », déjd en exeédent budgétaire (la question symétrique, « sur quelles dépenses rogneriez-vous en cas de diminution de vos revenus ? » n’est pas posée), compléteraient plutét leurs loisirs et Une fois constitués, ces groupes exhibent des profils sociaux assez remarquables, notamment marqués par des statuts d’occupation du logement, des structures professionnelles et/ou dactivité et méme d'ages différenciés, Le tableau suivant présente un certain nombre des caractéristiques propres & chaque groupe. Certaines ont déja été évoquées, ne serait-ce que pour nommer les groupes ; d'autres rappellent les modalités de construction, et peuvent paraitre redondantes. Il reste que la présentation comparative fixe les ides, met en lumi@re les saillances et, ce faisant justifie, a posteriori, ou au moins conforte la méthodologie minimaliste employée. En effet, les différents groupes ainsi définis font partie d'un tout (un systéme), et sont, & ce titre, parties prenantes réciproques dans les échanges, quoique dans des positions inégales. Cette approche peut, ne serait-ce que temporairement, dispenser de méthodologies plus sophistiquées d’oi ces liens seraient exclus, et rester néanmoins fructueuse. En occurrence, la méthodologie réside done davantage dans la posture. Sagissant de budget, des familles mais aussi des groupes sociaux dont elles relévent, étude (logos) des flux domestiques, l'éeo-logie au sens propre et en toute humilité, peut (ct doit) relever le défi des doctes lois (nomos) de l’éco-nomie® Profils sociaux typiques (enquéte 1995) Cadres Petits Ouwriers OuwiersAncions Actfs pattons —aisés—pauwes travailleurs rontiers Proportion / 50% 34% 27% = AT%® 24% Ensemble de Véchantlion Propritaire 293% 752% 203% 106% 497% Logement principal Accédanta la 399% 74% 205% 96% 61% proprists Locataire Logt 267% 86% BBB% 741% 211% principal Budgetaraiseou 825% 718% —«-22B% 124% © 18.9% as alaise Budget dificile 29% 18% 284% 621% 18% Personne de 269% 27% 303% 638% 26.0% référence, Age < 40 Personne de 441% 875% «383% 252 4B référence, age 50 ans et + Agriculteurs 06% 148% «= 3.7% 3.9% 19.2% Pic -Arisans 104% 272% 37% 70% 162% Commergants Cadres supériours, 624% 194% «87% = 44% «44% Prof. intellectuelles Professions 187% 169% 15% 69% 34% Intermediaires Employes 45% 121% 18.1% 253% 243% Ouwiers et 34% 83% 563% 525% 328% Indéterming Revenu minimal > = - - 270% 348% 2* Revenu réel Revenuminimal< 42.0% 29.7% 121% ~ - % Revenu réel Personne de 860% 69.7% «708% 898% 881% référence : un homme Ayantun emploi TB1% 243% «355% 24TH 316% Au chémage 15% 17% 322% 387% 45% Ala retraite 196% 672% 148% «= 48% ATT Note do lecture: La promare igne mesure le poids respecif de chaque proflldans féchantlon (toialsation horzontale). Pour toutes ls autres Ines la totalsation est vercale dans les ceues en ‘rats gras : ans. parm les Cadres acts, 40% sant accdants& la propieb ot 28% propnétares, Ln sur ois est Cadre Supérieur et sur 10 est Patron de incustre et du commerce, et. Il apparait done, d’une maniére plus illustrative que précédemment, que Vindicateur RM/RR est inversement proportionnel au niveau de revenu. Pourtant, loin de résulter de la seule construetion de ces groupes, le constat se vérifie indépendamment de la composition de leurs ressources. En effet, on peut partitionner l'ensemble de échantillon de facon croisée, selon Vindicateur RM/RR d'une part et selon la seule position dans échelle des revenus d'autre part". Les courbes qui mettent en regard le rapport RM/RR et le revenu réel illustrent bien la propension générale a proportionner le revenu minimal déclaré (en plus ou en moins) a la position a sur ’échelle des revenus (en bas ou en haut). Les groupes saillants qui nous occupent s‘inserivent assez bien au long de ces courbes de « consensus ». On observe cependant que les niveaux supérieurs de revenus sont en général plus réticents & se plier complétement au « consensus », de méme que les niveaux les plus faibles de revenus sont plutét timides dans leurs aspirations. Coefficients pour Revenu Minimal - 1995 Plus ousenius EM consensus Demicum Groupes Sailants pour atteindre Revene Minim: revenu réetmayen nb un coetficentéga 2 signi qui faudrat doubler le revenu actuel un coetficint gal & 0.45 Signo que 45% du revenu sutra pour «simploment sub venir aux bescins du ménage> el que e resto (55%) est « superts» Chacune des courbes (Consensus PM pour la premiére partition, Consensus RCumDemMed pour la seconde) est calée sur la valeur interpolée entre ses groupes 3 et 4, qui sont les plus centraux. Le mode de calage des courbes fait qu’elles ne se superposent pas a Yensemble respectif des points dont elles sont Prendre au mot les réponses et satisfaire les déclarations de revenu minimal, c’est supposer qu'il manque effectivement des ressources d'un cété et que de Vautre des ressources sont excédentaires, et que chaque groupe en accepte le principe. Lindicateur RM/RR exprime d'un cdté la part jugée manquante, soit 63 % dans le groupe des « Ouvriers pauvres », inférieure 4 ses seuls revenus par transferts sociaux, et de Pautre la part jugée explétive, soit 48 % dans le groupe des « Petits patrons rentiers », supérieure a ses seuls revenus du patrimoine. Le déséquilibre dans la répartition des ressources est done flagrant, de Paveu méme des parties intéressées. Pas assez ici, et trop la ? La question est moins triviale qu’il n'y parait : la réduction de la pauvreté supposerait expressément de reconfigurer le partage, et de fait, le rétrécissement de la fourchette des revenus diminuerait mécaniquement la population vivant sous le seuil de pauvreté. ‘Tenons pour crédibles les réponses des groupes les plus plaintifs, qui expriment ainsi leur « pauvreté subjective ». En est-il de méme des réponses des groupes de « riches subjectifs » ? Seraient-ils préts 4 renoncer réellement & une partie de leurs ressources, done A quelques unes de leurs dépenses, présumées excédentaires ? Il semble que leurs réponses 4 ce sujet expriment ‘moins leur inclination & amputer leur train de vie qu'une spéculation ludique et done sans enjeu sur les besoins auxquels il s‘agirait de « simplement subvenir », appuyée essentiellement sur l'adverbe « simplement », En sous- entendant, fagon noblesse contre roture, que « leur ménage pourrait vivre chichement avec ... », ils valident avec force Ia réalité du déficit financier des plus pauvres. La comparaison des revenus moyens, des parts respectives de transferts sociaux et de revenus du patrimoine, ainsi que les masses financiéres explétives ou manguantes fournit l'étendue des inégalités entre les groupes saillants mais aussi Ia faiblesse des glissements utiles qui permettraient @amoindrir les doléances sans douleur pour les mieux nantis : la masse budgétaire manquante ne représente guére que 17% de la masse excédentaire, ‘Composition des revenus par groupe typé (Enquéte 1995, en FF) Cadres Petits ‘Ouwriers —Ouwriers —Anciens Acts patrons aisés — pauvres —sravallours, rentiers Revenu total 410865 228200 136361 61905 40996, moyen (FF) Revenu minimal 049 062 os? 1.63 1.89 J Réel dont Rev. du 38.1% Patrimoine (%) dont Transferts 618% — 708% sociaux(%) Budgeterplet: 207.8 73.2 239 388 WA Budget manquant: {en masse, en miliards de FF) La situation des groupes les mois favorisés s'est sensiblemont dégrade entre Tenquéte de 1996 et celle de 2001 pendant que, chez les « Pets patrons renters », a part des revenus du patimoine augmentat, Liécart de revenus entre les deux groupes extrémes « Anciens travailleurs » et « Cadres actils », s'est certes légdrement réduit dune date &l/autre, passant @un rapport de 1 A 10 un rapport de 14 9,5. Cependant, les deux groupes aux budgets déficitaires « Ouvriers pauvres » et « Anciens travailleurs » ont alors, en 2001, des budgets encore plus « déficitaires », comme s'ls arrivaient moins a faire face. Diailleurs, la masse budgétaire manquante fait alors 56% de Ja masse excédentaire Revenus et leur source, par groupe typé (Enquéte 2000, en Euros) Cadres Potts Ouwiers Ouwiers —Anciens Acifs patrons aisés — pauwes travailleurs, rentiers Revenu total 63047 42826 2140812210 «6822 moyen (€) Revenu minimal 0.51 0.46 087 247 430 1 Réel dont Rev. du 413% Patrimoine (%) dont Transferts 808% — 70.8% sociaux (%) Budgetexlétt: 42.8 148 53 26 126 Budget manquant (en masse, en millards 6'€) Prévalence de l’endettement et du surendettement Lendettement et le surendettement témoignent de la disparité des situations entre ces groupes. Compte tenu des frais financiers afférents, ils tendent a alourdir la part de budget consacrée a Yachat d'un bien tout en échelonnant la dépense dans le temps. On verra plus loin que les charges de eréances creusent les écarts. ndettement, quel qu'en soit l'objet, est relativement partagé : prés de la moitié des ménages ayant un ou des crédits dont le remboursement dépasse 1% de leur budget ; il est plus fréquent quand les revenus sont exeédentaires et se raréfie quand ils sont déficitaires, en vertu des facilités d’aceés au crédit comme sans doute du soin a gérer le budget et d’éventuelles interdictions. Aprés un certain reflux global du risque depuis 1995, le surendettement, pris iei comme un endettement supérieur 30%" du budget, concerne 6,7% des ménages en 2001. Il varie plut6t en sens contraire du niveau de revenu, en sorte que la probabilité qu'un ménage en cours de remboursement soit surendetté passe de 4 % dans le groupe le plus favorisé 4 45 % dans le groupe le plus défavorisé. Mais il dépend aussi du statut d’occupation du logement prineipal. Les ménages propriétaires ou locataires de leur résidence principale sont assez peu surendettés, moins de 2% avec une pointe & 6,5% dans le sous- groupe « Ouvriers pauvres > propriétaire. Par contre, les ménages aceédants & la propriété sont une fois sur quatre surendettés, et plus spécialement ceux des groupes « Ouvriers pauvres » et « Anciens travailleurs » (respectivement 44% et 62%), indépendamment des circonstances d’achat : la faveur dun éritage et/ou de la vente d’un autre logement, résidence principale ou non, trés inégalitaire entre les groupes, ne modifie guére le risque de surendettement®®, Cependant, il est délicat de confondre propriété et location, les situations s‘opposant en termes de charges budgétaires. Aussi, si fon considére le loyer comme une dette stipulée par contrat, homologue d'une mensualité d’emprunt immobilier et prise en compte pour l'obtention de crédits officiels, Vaddition des loyers et des remboursements de crédits aggrave lourdement la fréquence de « surendettement » des locataires (36% en moyenne, mais 54% dans le sous-groupe « Ouvriers pauvres » et 73% dans le sous-groupe « Anciens travailleurs », lors de lenquéte de 2001), supérieure a celles des accédants & la propriété Prévalence de Vendettement par groupe typé Enquéte 2001 Cadres Petits Ouwiers Ouiers —Anciens Acils patrons aisés —pauvres travailleurs rentiers % Ménages «63.9% | -26,3.% 378% 336% = 125% Endettes % Ménages 25% 1.8% 30% 75% 58% surendettés Dontchezies 08% 1.6% 35% 65% = 22% propriétaires| Chezles 55% 62% 113% 441% 624% aceédants Chezles 08% — 0.0% 13% 37% 30% locataires % (loyer + 104% 165% 190% 537% 73.0% crédits) > 0.3 2% Tous les bailleurs de logements ne sont certes pas des particuliers, et Yabsence des organismes propriétaires immobiliers ampute le pare locatif, @une part non négligeable. Malgré cela, on peut pourtant esquisser un dispositifdes flux financiers, revenus et dépenses, et d’entretien des inégalités. Ce dispositif est marqué d'une double contrainte. D'un cété, les revenus du patrimoine permettent au minimum d’atténuer la baisse de revenus due a la retraite, au mieux de vivre plus a l'aise et d’épargner davantage avec la perspective d’augmenter le patrimoine ; ils proviennent en assez grande partie de locations et de dividendes d’actions qui, eux, pésent sur les cots salariaux’, De autre cdté, les loyers versés obérent préférentiellement les plus faibles revenus salariaux d’actifs anciens ou actuels, en emploi ou non ; il sont Gtroitement associés aux besoins les plus criants, et plombent les possibilités d’épargne en vue d'un éventuel emprunt immobilier. a7 Les accédants & la propriété, le plus souvent d’anciens locataires qui tentent de rompre cette spirale, se trouvent parfois submergés par Yeffort : le seul remboursement d’emprunt peut suffire & faire entrer en surendettement. En particulier nombre d’aceédants des groupes « Ouvriers pauvres » et « Anciens travailleurs » sont surendettés du fait de ce seul erédit, respectivement 33% et 55% en 2001, pourtant en baisse par rapport & 1995 (44% et 79%). Indépendamment d’éventuelles détériorations du niveau de vie (le sens de la variable varis est incertain : s'agit-il de variations du niveau de vie ou du niveau de revenus 2), le crédit apparait ds lors comme une facilité d’autant plus dangereuse que les budgets sont serrés et qu'elle peut étre offerte plus ou moins a la légere. La charge des postes de créance 9 Les erédits en cours, emprunts pour le logement principal, pour la voiture, ertoriés, pour des travaux, pour une autre résidence ou encore erédits non ré concernent la moitié des ménages. IIs sont le fait de ménages en moyenne plus aisés que ceux qui ne sont pas endettés. Les emprunts pour le logement prineipal sont la source d’endettement la plus fréquente, les erédits non répertoriés et les crédits automobiles se partagent la deuxiéme place, loin devant les emprunts pour travaux ou pour autre résidence, plus anecdotiques. 3° Le cumul d’emprunt est assez rare et quand il survient, hormis emprunt immobilier quien dissuade plutot, il s‘agit du cumul d’un crédit automobile et de crédits non répertoriés. Dans les ménages endettés, la somme des remboursements représente en moyenne 20% du revenu, avec des différences selon l'aisance : siles ménages aisés sont plutot endettés & hauteur de 15% ou moins, ceux du groupe « Ouvriers pauvres » le sont hauteur de prés de 40%, en consacrant des parts de budget nettement supérieures a la moyenne générale dans chacune des trois grandes sources d’endettement. Le marché reste sans doute au dessus de leurs moyens, comme semble lindiquer leur propension remarquable aux crédits non répertoriés, trois fois supérieure ala moyenne. Des dépenses excessives du fait de erédits seraient-elles responsables de ces dérapages ? Loin de vouloir (et de pouvoir) juger de la pertinence et de la rationalité de telles dépenses dans la gestion du quotidien, nous pouvons évaluer leur fréquence par poste d’emprunt (résidence principale, véhicule, autres erédits). Pour fixer une « norme » de référence, considérons dans chacun de nos groupes, chez les ménages non surendettés, le remboursement moyen et sa dispersion de chaque catégorie d’emprunt. Et stipulons que, pour un budget égal la moyenne du groupe de revenu, un remboursement exeédant la somme du remboursement moyen et de son Geart-type (éeart serait excessif au regard de sa charge dans les dépenses. Dans ces conditions, en appliquant ce principe au prorata de chaque budget, on identifie des remboursements qui paraissent au-dessus des moyens propres centré rédui des ménages qui s‘endettent, autrement dit des remboursements « hors Emprunt et emprunt « hors norme », Enquéte 2001 Cadres Petits Ouwiers Ouwiers —Anciens Acifs patrons aisés pares travailleurs, rentiers % Ménages: 639% 263% 378% © 336% «© 125% Endettes Emprunt 618% 365% 289% 27.8% — 44.0% Résid.principale Dont « hors 144% 85% 81% 31.9% 526% Emprunt Voiture 351% 30,2 % 293% 315% 25.9% Dont « hors 19.8% — 298% 108% 87% 189% crédits non 251% 38.9% 578% 606% 40.0% répertoriés Dont « hors 164% 27.4% 196% © 23.2% © 57.2% % Surendettés si Emprunts RVC 18.1% 11.3% 403% 634% 76.0% hors nome ~ounon 04% 4.7% 17% 60% 198.7% Erprunts RVC = emprunts pour Résidence atlou Voture atiou Crédit (non répertorés). lecture dans le groupe des « Ouvrersaisés » 27,8% sont endettés ;Tendetterant ont 8 ferpruntautomobie(23,8% des cas), a dos crédis non réperteriés (57,8% des cas) dont pres dun sur cing ast hors norme ;40,3% de ceux qui empruntent hors norme Sont surendetts. 41 Ces remboursements hors normes sont trés nettement associés au surendettement des ménages : quelle que soit l'enquéte, et sur l'ensemble de chaque échantillon, la probabilité d'étre surendetté est de 46% chez les ménages qui ont un ou des remboursements hors normes (contre 6% chez les ménages qui, ayant des dettes, n’ont pas de remboursement hors normes). Cette probabilité, en baisse par rapport 4 Yenquéte de 1995, se module selon les niveaux de revenus et elle est augmente & mesure que les ménages sont plus défavorisés éeonomiquement, confirmant que les dépenses y font alors facilement passer la ligne rouge. 42 Mais alors, les dettes surdimensionnées _résultent-elles de choix inconsidérés ? Une telle question renvoie évidemment la liberté du choix dans les dépenses et les modalités de paiement, au comptant ou & crédit. On peut penser que, dans les groupes aisés, de telles dépenses, qu’elles soit ‘momentanées et/ou raisonnées, laissent un revenu disponible suffisant, mais qu’il en va tout autrement dans les deux autres groupes, pour lesquels la spirale de la dette risque denfler'*. Dune part, dans le groupe « Anciens travailleurs », 20% des ménages endettés sont déja surendettés sans avoir aucun remboursement hors normes. D’autre part, la fréquence des emprunts hors normes, notamment dans Vachat immobilier et dans les erédits non répertoriés, comme la fréquence des loyers hors norme (identifiés comme tels, selon le méme principe, ou dépassant 30% des revenus ordinaires) augmentent avec la défaveur économique. +3 Une telle propension a des dépenses « au dessus des moyens » met alors en cause moins le libre choix de dépenses exagérées, qui seraient alors imputables a la légereté des emprunteurs, que ’accessibilité au marché dont la barre est trop haute pour les plus bas revenus. On en trouve confirmation dans la fréquence de ces remboursements immobiliers et loyers hors norme, qui varie en fonction de la pression démographique", et done du prix du marché immobilier, en acquisition ow en locatif. “4 On en trouve encore confirmation, toute zone géographique confondue, dans la part de chaque type de remboursement dans les budgets, en confrontant, groupe par groupe, les ménages « raisonnablement » endettés et les ménages « déraisonnablement » endettés. Part du budget moyen des emprunteurs (2001) Ensorble Cadres Petits Ouwiers Ouwiers Ancions Echanthion Actfs patrons. iss pauwes—travalh rentiers lous Endettement «normal » Niveau de 150 +10 108 wt 154147 Logement(si 12.70% 10,30% 16,30% 23,90% 24.10% achat) Crédits (si 420% 540% 410% — 680% 8.80% cxedit) Voiture (si 340% 6.60% 7.70% 11.10% — 21,40% achat) Endettement hors norme » Niveau de 120 sour 1160 40 t27 Logement si 39.20% 20,70% 44.90% 41,90% 42.30% achat) Credits (si 16.20% 19.50% 15,40% 30,20% 45.90% crédit) Voiture (si 7.90% 10,00% —21,50% 16.10% 33.00% achat) No. Le «niveau de revenu » de chaque groupe mesure Técart avec fe revenu mayen (base 100) des ménages non endetés. La mention «si achat» ou « sicréd» signe que, dans chaque groupe, les eslcu portent sur les seuls ménages concernés Lorsque les ménages sont raisonnablement endettés, c’est-A-dire sans emprunts hors normes, la part du remboursement moyen varie en sens contraire du niveau de revenu, Cest particulidrement manifeste pour les achats de voitures a erédit, mais cela reste vrai pour les remboursements de préts immobiliers, sans qu’on puisse en inférer a des gotits systématiquement démesurés de luxe. On peut étendre la proposition aux crédits non répertoriés, dont la part est double dans le groupe « Anciens travailleurs » de ce quelle est dans le groupe « Cadres Actifs », tout en restant généralement inférieure & celle des emprunts automobiles. Quant aux ménages qui empruntent au dessus de leurs moyens, le niveau absolu de leur(s) remboursement(s) est plus de deux fois supérieur, et leur endettement relatif dérape d’autant plus que leur budget est moindre. Ta part des erédits non répertoriés, notamment « revolving », y est toujours supérieure a celle des crédits automobiles alors que leur taux d'intérét peut friser le taux dusure, et que leurs modalités de remboursement dites « en douceur » alourdissent la charge effective en doublant au bout du compte des agios. Il n’est done pas étonnant, dans ces conditions, de trouver dans un réeent rapport sur le surendettement que « les erédits renouvelables ow revolving sont présents dans 80% des dossiers » de surendettés, Le groupe le plus précaire (« Anciens travailleurs ») est sans doute le plus rétif, de gré ou de force, & contracter des dettes, mais pour les ménages qui passent le pas, usage de crédits non répertoriés, entre autres, et la proportion de remboursements hors norme s‘interprétent alors comme une « stratégie » paradoxale de survie. A quelques nuances prés, le groupe « Ouvriers pauvres », dont les revenus « avant transferts sociaux » sont plus faibles que ceux du groupe « Anciens travailleurs », et méme le groupe « Ouvriers aisés » senfoncent dans le méme pidge, avec un usage intense de crédits non répertoriés, méme s'ils ne sont pas aussi souvent hors normes. Lensemble de ces observations est robuste et résiste entre les deux enquétes, a ceci prés que les emprunts sont davantage encadrés en 2001 : les revenus des emprunteurs y sont plus élevés que ceux des non emprunteurs, surtout chez les ménages les moins aisés alors qu'en 1995, les préteurs faisaient moins de différence en matidre de solvabilité de leurs clients. A qui ¢a profite ? Le systéme tourne, bon gré mal gré. Le marché distribue de la richesse, clest-i-dire des ressources, mais erée aussi de la pauvreté et s’en nourrit . aussi. II suffit pour cela que les régles de fonctionnement soient supportables par le petit monde qui les preserit. Les prix du marché et le « standard de vie », de méme que la grille des revenus échappent grandement aux ménages a faible revenu, alors que ce revenu, d'activité ou de retraite, issu du rapport revenu du travail / revenu des actionnaires, est pourtant censé au moins maintenir la cohésion sociale, au mieux favoriser 'ascenseur social. Le groupe des « Cadres actifs » n'est pas étranger & cela. Une bonne partie des professions supérieures, économistes, juristes, ingénieurs et autres énarques, concocte & longueur de temps les moyens d’accroitre la rentabilité des entreprises, et en laisse les dégats collatéraux"*, dont elle est le mieux prémunie, comme lot de consolation au politique, réduit aux utilités. De fagon plus pragmatique, on peut interroger la prétendue égalité de chacun par la grace d'une seule et méme régle. En matiére de pénalités & tarif fixe, par exemple, les amendes pénales peuvent étre calamiteuses pour les petits budgets déja serrés par des charges fixes et étre tras peu dissuasives pour les budgets les plus aisés. Par analogie, des taux dintérét obérent gravement ici le restant disponible, quand la, ils ne Yentament qu’a peine. Les jeux ne sont décidément pas équitables, et la justice (sociale) est encore loin de la vertu pondérée dont elle porte le nom. Compte tenu des besoins incontournables et/ou incompressibles, l'avantage n'est évidemment pas a la clientéle subalterne, captive ou captivée, Par anticipation de revenus & venir, et compte tenu des nécessités du moment, le recours au crédit permet normalement de résoudre la tension entre revenu, 6pargne et marché. Quand la tension est trop forte, le surendettement, voire le surloyer, ouvrent parfois, au gré de la défaveur sociale, sur des lendemains qui déchantent, ponetionnant les budgets et appauvrissant les ménages déja faiblement voire les moins bien lotis, au plus grand profit des organismes financiers et des bailleurs de logement. Le profit commun des préteurs et des loueurs est double et fonctionne comme une machoire : d’abord il tient ala trop faible capacité d’épargne de leurs clients, et ensuite les erédits et les loyers entretiennent voire aggravent cette faiblesse. Pour les loueurs, la demande locative sfentretient d’autant mieux que nombre de locataires, « fixés » par les prix du marché, sont moins a méme de constituer un apport personnel pour une éventuelle accession a la propriété. Le surendettement comme le surloyer se développent de fagon différenciée selon la structure des revenus (revenu du travail, revenus du patrimoine et transferts sociaux) et leur aisance (accessibilité au marché) ; et eur charge ampute d’autant les marges de manoeuvre, quand ily en a encore. A moins de leur supposer un plaisir masochiste, ou une incapacité fonciére & rer un budget (mais est-il vraiment aisé de gérer la pénurie ?), les ménages ainsi perelus préféreraient sans doute, sinon épargner, au moins vivre sans craindre Vhuissier, tout en consommant « normalement », c’est moins sans surpayer leurs achats (crédits non répertoriés) et sans se ré vivre complétement en retrait. I] est vrai aussi que la « normalité » se renouvelle sans cesse, a la mesure des innovations et du progrés, s‘ingéniant & eréer de nouveaux besoins au prétexte récurrent de soulager la vie quotidienne et d’améliorer son confort. Le marketing offensif, la profusion des offres de fidélisation avec cadeaux & la clé, comme des offres d'argent disponible dans la plupart des chaines de distribution qui sinstaurent organismes financiers, travestissent la consommation en jeu facile et indolore. Mais, dans le gant de velours (« laissez vivre vos envies ! »),la main est de fer (e-votre détresse nous intéresse »). Les transferts sociaux servent peu ou prou de poumon a 'endettement. Sans ces transferts, les groupes « Ouvriers aisés » et « Ouvriers pauvres » seraient dayantage en peine de contracter les mémes dettes, et done de financer par Ia quelques secteurs clés de l'économie tels que limmobilier, la consommation et le erédit, En somme, tout fonetionne comme si la pauvreté et lappauvrissement résultaient de stratégies prédatrices éparses mais convergentes, comme autant d’ « impondérables organisés », qui sont autrement plus efficaces que des promesses électorales. II s'agit @impondérables parce que leur poids harcelant ne se fait sentir qu’a la longue, qu'ils induisent une victimologie individuelle du type « accident de la vie > et un traitement daide compassionnel tout aussi individuel ; ils escamotent le principe fondateur d'une logique économique de mainmise'”*, Constitutifs du systéme et de sa logique, et sous couvert de la trop fameuse main invisible du marché, c’est en cela quills sont organisés. Autant dire que, et ce n'est pas qu'une pirouette, la richesse des uns fait la misére des autres, « L’humanité vit sous le rdgne de la captation des richesses »!*, On peut ainsi, sans que le changement d’échelle change la nature du probléme, généraliser & ensemble de la planéte ; la pauvreté et 'endettement des pays du tiers-monde pourraient s'y analyser de la méme fagon. Rappelons-nous que histoire de France est, pour une bonne part, une histoire de famille truffée de luttes fratricides sur le dos des populations & coup de volontés hégémoniques. La révolution frangaise a renouvelé les acteurs et Ie vocabulaire sans trop changer le fond. Et n'est-ce pas encore dans une structuration trés féodale des relations économiques mondialisées que, en dépit de l’émergence de certains dans certains pays, Ie tiers-monde reste le terrain de jeu des conquétes de richesses, de marchés et de zones d'influence pour des grands décideurs des pays décideurs, et qui entendent garder leur suzeraineté ? Notes 4 Pour neutraliser Ja variabilité de composition des ménages, et construize une Echelle comparative des revenus, on considérera le revenu ordinaire (hors rentrées exceptionnelles) total par unité de consommation, Le calcul applique & l'enquéte de 1995 le baréme de ’enquéte de 2001, soit 1 point pour le premier adulte, % point pour les autres adultes de plus de 13 ans, et 3/20me de point pour les enfants de 13 anset moins. 2 Contrairement a l'enquéte de 1995, les retraites font partie des transferts sociaux dans lenquéte INSEE de 2000. II sagit certes d'une redistribution de revenus, mais pour la comparabilité, et parce qu’elles résultent d'une épargne pendant le temps activité, elles sont ici com ptabilisées comme revenus (différés) du travail 3 Les transferts sociaux comprennent ’allocation chémage, les allocations sociales et familiales (bourse détude ou de recherche, allocation familiale de base, complément familial, allocation de rentrée scolaire, allocation pour jeune enfant, aide la garde denfant, allocation parentale déducation, allocation de parent isolé, allocation de soutien familial), les allocations Cinvalidité (allocation pour tierce personne, allocation adulte handieapé, pension dinvalidité, allocation d'éducation spéciale), les aides au logement (allocation logement, aide personnalisée au logement), et les ‘minima sociaux (revenu minimum dinsertion, aide sociale, minimum vieillesse) 4, Les revenus du patrimoine comprennent les intéréts de Caisse d’épargne, dépargne logement, de valeurs mobiliéres, assurance vie, les layers de logements de rapport, de terres et terrains ou de bien’ ou actifs professionnels. Curieusement, elles excluent les rentes viagéres financiéres ou immobiliéres, il est vrai de faible poids, placées dans les revenus divers. 5 Le revenu médian est celui qui partage la population, ordonnée en revenus croissants, en deux parties d'égal effectif. Le demi revenu médian est usuellement considéré comme le seuil en dessous duquel on est pauvre. 6 Gazeau J.-F., 2003, "Le demi revenu médian, martingale du seuil de pauvreté Bulletin de Méthodologie Sociologique, 2°77, p. 19-33 7 Pour ce faire, Ia gamme des valeurs de chaque crittre est divisée en tranches Dalisées + pour Ie niveau de revenu, par le revenu médian, sa moitié et son double (4 tranches); + pour les transferts sociaux, par les seuils de 10% et 40% du revenu total (3 tranches); + pour les revenus du patrimoine, par les seuils de 5% et de 20% du revenu total (3, tranches); + enfin pour le revenu minimal, par les seuils de 87% et de 115% du revenu réel (3, tranches) 8 Elle n'est pourtant pas sans rapport avec la construction du CREDOC pour « Une approche de la pauvreté tenant compte de Phétérogénéité des conditions de vie », nov. +2005, oii des catégories de population issues d'une enquéte antérieure, sont retenues fen raison de leurs « comportements de consommation spécifiques » 9 Léconomisme ambiant est sans doute trop captivé dans le culte des grands Equilibres et de la performance (toujours plus, plus vite et au moindre coitt) pour honorer encore quelques fondamentaux tels que valeur travail et parité des acteurs. 10 La premiére partition découpe le spectre RM/RR, rapport « revenu minimal moyen et revenu réel moyen », (<0.50; 0.50-0.67; 0.67-0.85; 0.85-1.153 1.15- 1.50; 1.50-2.00; >2.00) soit 7 tranches dont on retient & chaque fois Ie revenu moyen. La seconde partition, en 7 groupes aussi, combine échelle des revenus (revenu médian, sa moitié et son double), et V’échelle des revenus cumulés, ordonnés dans V'ordre croissant et divisés par quartiles de la masse totale ; et on retient la valeur moyenne du RM/RR de chaque groupe. 11 Le seuil de 30% relenu est voisin de celui retenu par les bangues (un tiers). Rappelons que l'endettement de la grande famille France est estimé a 66% du PIB. 12 Leseirconstances d'achat (crédit, héritage, vente autre logement, aide familiale, financement personnel) ne sont conaues que dans Venquéte de 2001 13 Le niveau d'exigence et l'tinérance des actionnaires au gré de leur satisfaction (25% de rendement annuel pour les fonds de pensions ?) étrangle les revendications salariales et/ou précarise les entreprises. 14 Considérons les revenus restant disponibles aprés dépenses de logement (remboursements immobiliers ou locations) et remboursements d'autres emprunts. La distribution de ces reliquats accentue les contrastes précédemment observés : les pauyres, en dessous du demi revenu disponible médian, et les plus aisés, au dessus du doubie revenu disponible médian, sont plus nombreux qu’avee Te revenu total 15 Cette observation vaut pour Tannée 1995. En absence de la variable ‘département’ dans Venquéte 2001, on présume que les effets inflationnistes de la demande n'ont pas été abolis, 16 Au titre de ces dégats collatéraux, et sans que la liste soit limitative, on peut citer : le chomage, les risques professionnels de santé, l'allongement des trajets domicile - travail, habitat concentrationnaire, 'addiction a la consommation et & de nouveaux besoins, ete., sans compter les dégits sur l'environnement, Vépuisement des réserves, la disparition des espaces, le réchauffement de la planete, ete.) 17 CL. « Surendettement des particuliers et des familles », Rapport d'information du Sénat, octobre 1997. 18 Entretien avec Jean ZIEGLER, rapporteur des Nations Unies pour le droit a Yalimentation, Libération, 25 mars 2005. Pour citer cet article Référence électronique Jean-Frangois Gazeau, « Construction sociale de lappauwissement », Socio-/ogos, Revuo de lassociaion francaise de sociologie [En ligne], 2| 2007, mis en ligne le 23 ‘mats 2007, Consulté le 29 septembre 2017, URL :hitpilsocio-logos revues org/138 Auteur Jean-Frangois Gazeau Centre Maurice Halbwachs, (CMH, ex-LASMAS), Jean-Francois. Gazeau@ens fr Droits d'auteur Tous droits réservés

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