Claude Monet, La promenade PETIT LEXIQVE bric-a-brac — amas de vieux objets destinés 4 la revente ‘savamment — avec science; avec habileté ou recherche (ii) la résille — tissu de males servant {i serrer les cheveux; filet pour la coifure égayer — rendre agréable, colorer d'une certaine gaieté tenir bon —résister & lalsser quelqu'un pour compte — abandonner une personne, la né- liger totalement ‘se confiner — se retier,sisoler farouche — indompté, sauvage la tonnelle — pavilion de verdure, (ie) charmite Mary Cassat, Femme cousant 22 LE MONDE COMME IL VA Un parfum de génération Un jour la narratrice (Suzanne Prou) découvre, chez un mare de bric-a-brac, un album datant du début du XX° siécle avec fe @argent et tranches dorées oi Yon enfermait les photographies del famille, Elle va donner & ces images un nom, une identité et une toire avec un passé, un présent et un avenir, en les menant des an 1880 aux lendemains de la Premiére Guere mondiale. Le persons central s'appelle Valentine, petite fille d'une riche bourgeoise d en-Provence, Césarine, et fille ange d’Henri et de Marie, Des deux fils de Césarine, 'un s'est fait notaire, Il resemble & Eugéne. Com son pére, il a 'airréveur. Sa cravate savamment plissée enserre un col haut, i tune épingle en forme de fer a cheval. Est-ce qu’il était superstitieux, ou était-ce mode? A sa droite dans album on voit sa femme, Marie, ou Jeanne, les cheveux tés enroulés autour de la téte, pris dans une résille. Elle est pluto jolie, son co sombre est égayé par un jabot de dentelle, Elle a le méme air doux et réveur que mati Ils ont dai se rencontrer au cours d'une réception donnée par un notable de la Ils se sont aussitét reconnus: modestes, le regard clair, comme tourné vers inter tune espéce de nostalgie dans les yeux. Ils ont échangé quelques paroles, ils ont en ble bu une coupe de champagne, ou de vin doux, servi dans de longs verres de er Le lendemain, Henri a parlé sa mére de cette jeune fille & peine vue, qui I'am séduit. Césarine a fait prendre des renseignements sur la famille: Marie n’était pas noble extraction, elle ne possédait pas de richesses. Petits rentiers, ses parents ne. assuraient qu'une modeste dot. Césarine a déclaré que son fils pouvait trouver mi que cette jeune fille sans éclat Henri, d"habitude docile et attentif aux conseils de sa mére, a tenu bon: ce s Marie, ou personne. Elle a di eéder. Les parents de Marie ont donné leur cons ment, trop heureux de placer cette enfant dans une bonne famille, de se déba delle en quelque sorte, alors qu’ils avaient toujours redouté qu’on Ia laissat compte. On les a fiancés, mariés. Tout s'est fait trés vite, Césarine a attribue chambres de sa grande maison au jeune couple. Marie, un peu farouche, s'y presque confinée; elle parlait peu a sa belle-mére qui lui faisait peur. Elle descendait que pour les repas, ou pour se promener & pas lents dans le jardin en pirant le parfum des feuilles et des fleurs, en révant. A quoi? A sa vie présente venir, 4 son mari, aux enfants qu’elle aurait peut-étre, Parfois elle s’asseyait soush tonnelle, elle brodait sur un canevas fixé sur un tambourin. Ou bien elle lisat avait apporté ses livres dans cette maison ot il y en avait si peu. C”était des ro poétiques dont les héroines lui ressemblaient, ou bien elle se laissait bercer par vers de Lamartine. Césarine trouvait qu’elle perdait son temps. Marie a été trés vite enceinte, Elle a accouché dans sa chambre, sous les yeux servantes qui se relayaient pour apporter des pots d’eau chaude, de sa belles impassible, de sa mére anxieuse, avec l'aide quand méme de l’officier de santé Suzanne Prou, L'Album de famille, éd. Grasset, I Le prétexte narratif. Lalbum contient vingt photos toutes soulignées d'un nom, sauf une. C¥ désolant, et c'est une chance, La narratrice va inventer un nom et une biographie « femme vieillissante et superbe» de la photo. Ce sera Madame Césarine Sainte-Opportune. Autour d’elle, tout un monde se développe ou se brise.ALA DECOUVERTE DU TEXTE Repérages Les personnages un marchand] Qui est Henri? Et Eugene? avec fermoir Comment s’appelle la belle-mere de la jeune mariée? Les parents de Marie sont-ils nommés dans extrait? Pourquoi? Dans quelles circonstances Henri et Marie se sont-ils rencontrés? 01 habite le jeune couple? Qui est la maitresse de maison, Marie ou Césarine? 2) Les situations et les attitudes + Dégagez les mots et les expressions qui montrent la différence sociale entre les, = familles. Césarine donne-t-elle facilement son consentement au mariage de son fils? tait-ce la Et es parents de Marie? theveux nat A partir de l’extrait, faites le portrait de Marie, Relevez les traits marquants dans le portrait physique d’Henti Quelle est Iattitude de Césarine avant et aprés le mariage de son fils? 3) Le point de vue A votre avis, pourquoi la narratrice n’évoque-t-elle pas le banquet de noces? Pimtérieur, Commentez: «On les a fiancés, mariés. Tout s'est fait trés vite» cont ensem- Quelle place tient la description des photos dans l’extrait? de cristal Quelles réflexions vous inspire le portrait de Marie en «liseuse»? qui avait Est-ce que ce portrait vous frappe par son original? Si vous le trouvez, au ait pas de) seetrire, assez conventionnel, essayez. de justifiez le choix de la narratrice. ents ne lui ae A vous Ia parole A partir de Mextrait, quelles hypothéses pouvez-vous faire sur la vie conjugale ce serait) © Marie et d’Henri? Comment envisagez-vous leur avenir (nous sommes dans les consente- | desires années du XIX siécle)? Inversez les réles: Marie se révéle une jeune femme autoritaire. Césarine, vieil- SGssate, est lust effacée, Imaginez la vie dans la grande maison od cohabitent deux zations. Eelairages Un tournant de histoire Comme I'existence paisible de Marie, comme la vie confortable de sa ‘Valentine, maintes existences bourgeoises fondées sur les certitudes ras- sexantes de la richesse et de la morale traditionnelle ont été bouleversées par s Grande Guerre (1914-1918). Les vieilles valeurs s’effondrent, les meeurs sSengent pendant et aprés la grande tourmente que fut la Premiére Guerre scendiale II y eut tout d’abord, en France, le choc de la soufirance physique = morale. De mai a septembre 1915, l'emploi des gaz par les Allemands ezzrave ce désarroi auquel s’ajoute Pinsuccés des tentatives frangaises de sewer en Artois et en Champagne. Malgré le redressement qu’apporte, de ssi décembre 1916, le général Pétain en repoussant les violentes offensives aiiemandes (la victoire de Verdun), les Frangais connaissent de nouveau le smer de la défaite en 1917. En 1918, intervention décisive du général Foch en Picardie et en Champagne marque le début de la retraite allemande conduit &I'armistice de Rethondes. Le premier des traités de paix fut signé sco Allemagne en juin 1919, a Versailles. Observatrice subtile des relations familiales, Suzanne Prou a la nostal- gie du temps passé. Sura lance de son imagination, elle donne vie & des personages qui habitent sa mémoire affective. Parmi ses romans: Le temps des Innocents, Les demoiselles de grande vertu, La terrasse des Borardini (Prix Renaudot en 1973), Les amis de ‘Monsieur Paul et L'Album de famille (1995). Le Grand Prix des Lettres de Provence a couronné ensemble de ‘son oeuvre. Suzanne Prou est mem- bre du jury Femina Le Mémorial de Verdun 23