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Premières Rencontres

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Organisées par l’Inspection pédagogique régionale d’histoire-géographie

le Mercredi 28 mars 2001

au CRDP – 31, bd d’Athènes – 13003 Marseille

dans le cadre de la «Convention pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les
garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif»

Ont participé à l’élaboration de cette brochure :


Gérald ATTALI, Eric BOERI, Christine COLARUOTOLO, Rodrigue COUTOULY, Isabelle DEBILLY,
Daniel DALET, Daniel GILBERT, Brigitte MANOUKIAN, Catherine MARAND-FOUQUET,
Claude MARTINAUD, Patrick PARODI, Annie ROUQUIER, Dominique SANTELLI, Jean SERANDOUR,
Yves TARDIEU, Emmanuelle TRICOIRE, Michelle ZANCARINI-FOURNEL.
Avant-propos

Depuis septembre 1999, le groupe de réflexion disciplinaire d’histoire-géographie,


autour de l’inspection pédagogique régionale, s’est efforcé de mettre en œuvre un projet
d’animation et d’échanges au niveau académique. Au-delà d’une classique restructuration
et de la mise à jour régulière de notre site internet d’Aix-Marseille, nous avons souhaité
doter les enseignants de l’académie d’un support innovant, adapté aux nouvelles règles de
gestion et capable de résoudre les difficultés classiques de diffusion de l’information. Ainsi
est né le bulletin électronique «La Dur@nce», complément désormais naturel du site disci-
plinaire.

Vingt numéros plus tard, avec une diffusion dépassant le cadre académique et même
national (vertu propre à Internet), Les 1ères Rencontres de La Dur@nce organisées le 28
mars 2001 dans les locaux du CRDP à Marseille furent en quelque sorte l’aboutissement
logique de cette entreprise. Il s’agissait de renouer avec une habitude déjà ancienne de
rendez-vous disciplinaires annuels et d’offrir au plus grand nombre – dépassant même les
strictes frontières de notre discipline – une occasion exceptionnelle de rencontres et de
débats autour d’une question forte de notre enseignement.

Le thème retenu cette année : «Les femmes dans l’histoire et le droit au passé»
était directement lié à la signature le 25 février 2000 de la Convention «Promouvoir l’égalité
des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système
éducatif» (cf. B.O. n°10 du 9 mars 2000). Tout en s’inscrivant dans le cadre d’une action
transversale, interpellant tous les acteurs du système éducatif, ce thème offrait l’occasion
d’une vraie réflexion sur l’histoire, tant au niveau de la recherche universitaire qu’en ce qui
concerne les pratiques d’enseignement en collège et lycée. Nous tenons d’ailleurs à remer-
cier les professeurs de lettres-histoire, lettres, langues, sciences physiques, documentalis-
tes, entre autres, de leur participation aux débats, aux côtés des historiens-géographes.

Dans les pages qui suivent, avec les contributions essentielles de Michelle Zancarini-
Fournel et de Catherine Marand-Fouquet, nous constatons que l’histoire scolaire trouve
dans l’exploration de ce thème l’occasion d’une réflexion élargie sur la recherche historique,
les programmes scolaires, les manuels, les pratiques enseignantes et, globalement, sur la
société. A la lecture des compte-rendus d’ateliers du 28 mars, nous ressentons, en effet,
combien tous ces éléments sont les reflets multiples et convergents d’une communauté qui
peine à mettre en pratique une conviction partagée chaque jour par un plus grand nombre :
le droit au passé pour tous.

Le travail historien n’est jamais neutre et rapporte, au-delà des faits explorés, les
contradictions et les utopies d’une société. L’interpellation de la recherche a paru dans l’en-
semble fort stimulante aux participants à ces Rencontres ; elle a, dans le même temps,
suscité un certain désarroi : comment peut-on compenser les insuffisances d’une produc-
tion universitaire ?

Plus simple a été l’entreprise de critique des manuels scolaires. Vite désacralisés,

! Premières Rencontres - mars 2001


ces outils du quotidien enseignant ont été l’objet d’une saine réflexion. Le regard critique
que chacun a été conduit à leur porter a permis de mesurer les enjeux auxquels répond
cette production éditoriale et de trouver une nouvelle occasion d’élargir le champ de la
liberté pédagogique.

Les débats ont mis en relief cette apparente contradiction entre l’usage naturel –
indispensable – de la liberté pédagogique et le respect du contrat proposé par le programme
En ce sens, le thème des Rencontres rappelait à chaque enseignant la nécessité du choix,
choix non contradictoire avec la prise en compte des objectifs fondamentaux de nos discipli-
nes.
Il est apparu évident que la résolution du problème passait, nécessairement, par une
réflexion approfondie sur le passé reconstruit à travers la recherche historique. En effet,
seules des connaissances historiques bien maîtrisées permettent de se libérer de la lettre
des programmes tout en suivant l’esprit et les finalités. Rarement une question n’a montré
de façon aussi sensible le lien essentiel entre contenu et démarche.

Les 1ères Rencontres de La Dur@nce , cette brochure en témoigne, ont été l’occa-
sion de porter un autre regard, nécessairement critique, sur l’histoire telle qu’elle se cons-
truit et telle qu’elle s’enseigne. L’exploration du thème «Les femmes dans l’histoire et le
droit au passé « n’est confortable pour personne ; elle ne débouche, en final, sur aucune
solution simple pour l’enseignant. Porter un autre regard, c’est en effet de première néces-
sité. Prendre conscience de la dissymétrie de l’héritage transmis, c’est déjà permettre aux
filles, à l’instar des garçons, d’accéder à ce droit au passé qui seul peut leur garantir de
s’identifier et de se situer dans le monde contemporain.
Juste déplacer son regard. C’est au fond une manière d’assumer sa liberté d’ensei-
gnant.

Jean SÉRANDOUR
Inspecteur Pédagogique Régional d’histoire-géographie
Académie d’Aix-Marseille

Premières Rencontres - mars 2001 "


Table des matières

L’histoire sans les femmes est-elle possible ? ................................................................ 5

première partie : communications scientifiques ...............................8


L’histoire des femmes et la discipline historique ............................................................. 9
Enseigner l’histoire des femmes de la revolution dans le second degré : d’une mission
impossible à de nouveaux chantiers ............................................................................. 27

deuxième partie : aspects pédagogiques ......................................36


Juste déplacer notre regard .......................................................................................... 37

ATELIER ANTIQUITE-MOYEN AGE .................................................................... 39


La visibilité des femmes dans l’histoire enseignée, période antique : des femmes dans
leur diversité, pour poser questions .............................................................................. 40
Femmes au Moyen âge ................................................................................................ 50
Compte rendu de l’atelier Antiquité-Moyen Âge ........................................................... 53

ATELIER XVI°-XVIII° SIECLE............................................................................... 55


Compte-rendu de l’atelier XVI°-XVIII° siècle ................................................................. 56

ATELIER XIX° SIECLE ......................................................................................... 60


Restituer aux femmes la part d’Histoire qui leur est due. ............................................. 61
Proposition de cours pour rendre visibles les femmes sans en faire trop .................... 67
Compte-rendu de l’atelier XIXème siècle ..................................................................... 69

ATELIER XX° SIECLE .......................................................................................... 71


La visibilité des femmes dans l’histoire enseignée ....................................................... 72
Le XXe siècle … offre de nombreuses pistes d’entrée. ................................................ 75
La visibilité des femmes dans les manuels scolaires de lycée professionnel .............. 78
Interdisciplinarité en Lycée Professionnel .................................................................... 79
Compte-rendu de l’atelier XXe siècle. .......................................................................... 80

# Premières Rencontres - mars 2001


L’HISTOIRE SANS LES FEMMES EST-ELLE POSSIBLE ?

par Annie Rouquier


historienne.

Naïveté, provocation ou « légère » anticipation ? Nous savons que nous pouvons visiter des
kilomètres de bibliothèques historiques, ainsi que Virginia Woolf 1 dit l’avoir fait en 1929, et
trouver fort peu de traces du passé des femmes. Invisibles et silencieuses… Et pourtant…
Certain(e)s historien(ne)s répondent déjà par la négative à la question posée et évoquent les
trente dernières années. Car si, en 1973, s’ouvrait à Paris VII le séminaire de Michelle
Perrot « Les femmes ont-elles une histoire ? », si, en 1983, on se demandait à Saint Maximin
« Une histoire des femmes est-elle possible ? »,2 en revanche, en 1997, la question posée au
colloque de Rouen donnait un ton nouveau : « L’Histoire sans les femmes est-elle possi-
ble ? »3
L’article, désormais défini, pose l’unicité d’un récit historique qui doit, parlant des socié-
tés passées, parler des hommes et des femmes, de leurs différences socialement construites,
de leurs rôles, de leurs relations, de leurs participations multiples. L’objet « femmes » est
aussi pluriel que l’objet « hommes » quand on le croise avec les aspects politiques, économi-
ques, sociaux, juridiques, nationaux, religieux, culturels… Le singulier, si fréquent, (« la »
femme) renvoie à un « éternel féminin », à une « nature » qui contredit, dès le départ, l’effort
d’historicisation, l’existence d’un passé.

Mais il faut comprendre le chemin effectué de la première question à la troisième.


Il convient donc de clarifier, très sommairement pour l’instant, la conception de l’histoire à
laquelle on se réfère : quelle définition ?
Si l’histoire était uniquement la connaissance des événements relatifs au pouvoir offi-
ciel, à ses aléas (changements de régimes, conflits), aux guerres, traités et subtilités diploma-
tiques, on pourrait ne voir que les acteurs hommes, certes plus apparents, et fantasmer sur la
non féminité, la nocivité voire la cruauté des « femmes de pouvoir ». C’est ce qu’a fait l’his-
toire « virile » constituée, au XIXème, autour de la Nation et de la République.
Le territoire de l’historien s’étant étendu à l’économie, aux groupes sociaux (bourgeois,
ouvriers…), et, tirant profit du développement des autres sciences sociales, aux aspects de la
vie quotidienne, aux âges de la vie, aux diverses formes de cultures… la définition peut con-
sidérablement s’élargir : le passé des sociétés, par exemple. Les historiens, sensibles aux
demandes sociales sous-jacentes en permanence (« comment en est-on arrivé là ? ») - et
cela vaut pour l’histoire des femmes apparue dans les années 70 - ont multiplié les appro-
ches. L’intervention foisonnante de Michelle Zancarini-Fournel nous permet de prendre des
repères dans l’enchevêtrement des courants historiques, la crise et les recompositions de
l’histoire et de voir dans quel environnement scientifique est née et s’est développée l’histoire
des femmes.
Elle nous montre la naissance, dans un contexte de domination de l’histoire économique et
sociale, d’une histoire «au féminin», puis d’une histoire plus anthropologisée et ethnologisée.
Elle souligne les mises en cause des années 80 (par exemple, la binarité excessive victimisation/
rebellion), l’importance attachée aux représentations, la complexification de la réflexion autour
des pouvoirs et du féminisme, l’utilisation progressive du concept de «genre». « Dans son
acception française, le genre est un outil pour penser la différence des sexes, résultat d’une
construction sociale et culturelle au cours d’un processus…». Ainsi a pu se développer une
lecture sexuée des événements historiques, et beaucoup de questions ont été «revisitées»
avec ce regard nouveau. Michelle Zancarini-Fournel prend quelques exemples dans les thè-
mes d’histoire contemporaine que nous enseignons en quatrième, troisième, première, termi-
nale : l’industrialisation et le travail, le poids des guerres, la sexuation des politiques (notam-

Premières Rencontres - mars 2001 $


ment sociales), la définition de la citoyenneté, les relations entre citoyenneté politique et ci-
toyenneté sociale…

Appuyés sur cette mise au point, on peut faire une récapitulation (non exhaustive) de ce
que nous avons à notre disposition pour insérer, au quotidien, les femmes dans les questions
historiques du programme. L’histoire enseignée avec les femmes est possible… et pas
seulement dans des parenthèses ou des dossiers spéciaux. Elles ont toujours constitué la
moitié des sociétés et leur passé peu à peu reconstruit trouve sa place dans des récits renou-
velés. Les configurations de la domination qu’elles ont subies ont été (sont) multiples et com-
plexes, les thèmes énumérés ici (d’autres aussi) méritent d’être historicisés. Ainsi on peut être
amené à intégrer dans le contenu proposé, en fonction de la problématique et de l’angle
d’attaque choisis, de la période considérée :
1- les statuts sociaux et juridiques : les écarts entre le droit et les pratiques, les marges de
violence acceptées à un moment donné par une société
2- la place dans les religions, les mythes, le statut symbolique
3- les activités, les travaux et la répartition des tâches. Les femmes ont toujours travaillé, et
pas seulement depuis le XIXème siècle… dans quelles conditions ?
4- la sociabilité et la place dans la vie sociale aux différents niveaux (fêtes, loisirs, sa-
lons…), les liens sociaux et associatifs, la participation (intermittente) à la vie intellectuelle…
5- l’éducation, le rapport au savoir, aux techniques
6- la rareté des œuvres passées et les obstacles longtemps mis à la création féminine
« justifiant » un déni de créativité…
7- les transgressions et les marges en matière de vie privée, de création…
8- le rapport au Pouvoir, aux pouvoirs, les contre-pouvoirs, les ruses, les contournements,
les pouvoirs « obliques », les compensations qui expliquent la part de consentement des
femmes
9- la citoyenneté (politique, sociale), l’exclusion, la sexuation des politiques
10- la participation aux mouvements politiques (et dès l’Ancien Régime, aux révoltes)
11- le féminisme (comme mouvement politique)
12- l’implication (souvent occultée) dans les grands événements historiques et les répercus-
sions de ceux-ci sur «la condition» féminine : les révolutions, les guerres qui ont un tel poids
au XXème siècle…
13- la place et la définition des «héroïnes» ; ce terme s’applique-t-il à toutes celles qui ont
émergé sur la scène publique ? Sont-elles alibis, exceptions pour faire règle, preuves que la
règle n’était pas «naturelle»… ? Faut-il distinguer héroïsme, sainteté, célébrité, pouvoir ?
14- la place des groupes anonymes
15- la profusion des discours et des représentation
Si on veut changer notre regard sur les contenus d’enseignement, le « stock » de connais-
sances et de possibilités n’est pas négligeable… les ateliers du 28 mars après-midi ont com-
mencé à ouvrir quelques pistes qu’il faut désormais débroussailler.

Car, l’histoire enseignée sans les femmes est impossible, du moins si on veut res-
pecter les finalités officielles. N’est-il pas question, quelle que soit la formulation, de former
des citoyens conscients, capables de comprendre le monde qui les entoure et d’analyser des
situations ? D’assurer une formation intellectuelle et critique, une formation civique, de trans-
mettre un patrimoine qui, plus tard, légitime, qu’on le veuille ou non, l’action publique des
nouveaux venus sur la scène ? Il faut savoir d’où on vient pour savoir qui on est et décider où
on veut aller. Tout ceci, d’après les textes officiels, semble valable pour tous et toutes… On a
aussi, peut-être, besoin de figures fondatrices pour se construire : les mythes, les contes, les
films, les romans et… l’histoire en fournissent qu’il faut connaître et … parfois apprendre à
déconstruire pour acquérir plus de liberté.
Seules des connaissances historiques peuvent permettre de « dénaturaliser » ce qui est
considéré comme « naturellement » féminin : caractéristiques (qualités ou défauts), attitudes,
comportements, dons, vocations, rôles, assignations surtout… et de le concevoir comme cons-
truit par la société… Ainsi peut-on se donner moins de limites et accroître sa capacité de
projet. Ces connaissances peuvent, certainement, déculpabiliser les femmes : une histoire

% Premières Rencontres - mars 2001


mixte donne des repères par rapport à un ensemble de trajectoires et de dynamiques (il n’y a,
bien sûr, pas de progrès linéaire) ; il est envisageable de lutter contre des inégalités et des
injustices dont on comprend les origines, il est beaucoup plus difficile d’aller « contre la na-
ture » ! Or la question se pose quand on ne reproduit pas à l’identique les gestes et les tâches
des mères et des grand’mères. Ces connaissances (avec beaucoup d’autres facteurs) peu-
vent peut-être, aussi, contribuer à prévenir la constitution du terreau de mépris qui prépare la
violence dénoncée par la convention du 25 février.

« Le déni d’histoire est une forme de dénégation. Ce qu’on ne raconte pas n’existe
pas. Ce qui n’est pas, à un moment ou à un autre, objet de récit, objet d’histoire, n’existe
pas. Les tyrans le savent bien qui effacent les traces de ceux qu’ils entendent réduire au
néant.
L’histoire est une deuxième naissance. Peut-être même la vraie naissance au monde et
au temps. L’histoire est re-création du monde. » (Michelle Perrot).

1
Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929, réed. 10/18, Denoël 1992.
2
Michelle Perrot (s/s dir.), Une histoire des femmes est-elle possible ? Rivages, 1984
3
Anne-Marie Sohn et Françoise Thélamon (s/s dir.), L’Histoire sans les femmes est-elle possible ?Perrin, 1998

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première partie
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' Premières Rencontres - mars 2001


L’HISTOIRE DES FEMMES ET LA DISCIPLINE HISTORIQUE

par Michelle Zancarini-Fournel,


enseignante d’histoire contemporaine, IUFM de Lyon
co-directrice de la revue Clio histoire, femmes et sociétés
michelle.zancarini-fournel@lyon.iufm.fr

La réticence de nombre d’historiens à intégrer l’histoire du temps présent est connue. Assimi-
lée souvent au journalisme, l’étude du passé proche est pourtant au cœur des programmes
des classes de troisième, première et terminales. C’est donc dans la perspective d’une utilité
pour le déchiffrement des programmes que je vais aborder un champ de l’histoire longtemps
marginalisé, celui de l’histoire des femmes, en l’étudiant parallèlement à l’évolution de la dis-
cipline historique au cours des trente dernières années.

Ces bornes chronologiques se fondent sur la naissance, le développement et la légitimation-


toute relative - de l’histoire des femmes. Le processus de légitimation est passé d’abord par
une “ demande sociale ” , compte tenu de l’évolution de la société et des choix du public qui a
plébiscité la synthèse en cinq volumes parus en 1991-1992 sur L’histoire des femmes en
occident de l’Antiquité au XXème siècle (voir bibliographie jointe pour les différentes référen-
ces).
Vingt ans auparavant débutaient à l’université les premières initiatives : cours et séminaires
ouverts à la rentrée 1973 dans les universités d’Aix-Marseille ( à l’initiative d’Yvonne Kniebiehler
qui venait de fonder avec Marcel Bernos le Centre d’études féminines de l’université de Pro-
vence, pluridisciplinaire) et de Paris7 à l’initiative de Michelle Perrot qui intitule le séminaire
créé avec Fabienne Bock et Pauline Schmitt-Pantel “ Les femmes ont-elles une histoire ? ”.

Fille de l’histoire méthodique, l’histoire enseignée a été le plus souvent l’histoire des événe-
ments, de la succession des règnes et des régimes, des guerres et des batailles. Pour les
historiens méthodiques - appelés longtemps “ positivistes ”-, comme pour les historiens des
Annales, les femmes étaient invisibles. L’histoire a été, et reste encore, largement écrite au
neutre, en fait au masculin, et, selon le titre du dernier livre ( 1998) de Michelle Perrot organise
“ le silence sur les femmes ”. Dans la période où naît et se développe l’histoire des femmes,
portée par le mouvement social et politique de la nouvelle vague du féminisme dans les an-
nées post-68, l’histoire généraliste est profondément transformée d’abord par le phénomène
Nouvelle histoire, puis par l’éclatement de la discipline, selon les termes de René Girault en
1980, ou de l’émiettement pour paraphraser François Dosse, pour se conclure, après une
“ crise de l’histoire ” ( titre du livre de Gérard Noiriel en 1996), par la recomposition actuelle1 .

A première vue cette confrontation entre la chronologie de l’histoire des femmes et celle de
l’Histoire ne semblait pas évidente puisque dans ses premières oeuvres l’histoire des fem-
mes a été surtout une “ histoire au féminin ”, repliée sur elle-même, et qui ne se posait pas des
questions générales d’histoire. En réalité, faire cette étude m’a permis de voir les liens étroits
et les influences réciproques entre les différents domaines de l’histoire. Alain Corbin dans sa
préface au livre de Françoise Thébaud “Écrire l’histoire des femmes“ - un des livres de réfé-
rence, indispensable - a écrit que “ l’Histoire des femmes est carrefour, confluence de toutes
les interrogations actuelles. Il n’est pas une interrogation, pas un débat qui traverse la commu-
nauté des historiens qui n’agite du même coup l’histoire retracée par Françoise Thébaud... ”

Nous allons donc tenter de tracer dans les trente dernières années un parcours chronologi-
que d’historiographie comparée. Ensuite, dans une deuxième partie, nous identifierons les
problématiques, notions et concepts rencontrés et visités par les historiens. Enfin dans un
troisième temps nous verrons avec quelques grandes questions contemporaines - le travail, la

Premières Rencontres - mars 2001 6


citoyenneté, la guerre - comment l’introduction d’un regard sexué a contribué à transformer
l’Histoire avec un H. je précise que je n’ai pas pu être tout à fait exhaustive ; j’ai été contrainte
à faire des choix et vous constaterez sans doute des manques dans mon panorama.

I- Parcours chronologiques dans les champs de l’Histoire :


parcours parallèles, convergents et divergents
Pour introduire notre réflexion je brosserai à grands traits dans un premier temps
I-1 un état des lieux de la discipline historique en essayant d’identifier ce qu’on a parfois
appelé les “ écoles historiques ”- mais “ courants historiques ” ( Delacroix, op. cit.) me semble
plus juste - ainsi que le rôle des revues qui jouent un grand rôle dans la diffusion des idées et
des recherches en cours.

Dans les années 1960, la démographie historique a pris son essor à partir de la mise au point
en 1956, par un chercheur de l’INED Louis Henry qui publie un manuel, d’une méthode de
dépouillement de l’état civil ancien, essentiellement les registres paroissiaux. A la recherche
des causes des variations historiques de la fécondité, cette méthode de reconstitution des
familles est appliquée à des monographies (la paroisse de Crulai devient célèbre en 1958).
En 1960, la thèse de Pierre Goubert sur le Beauvaisis permet de déceler, chez les paysans
du XVIIe siècle, une certaine maîtrise de la fécondité par l’âge tardif au mariage, la faible
fréquence des naissances illégitimes et l’allongement de l’intervalle entre les naissances. Cette
histoire se définit moins par son objet que par ses méthodes, mais elle contribue à voir les
sociétés d’ancien régime avec un autre regard que les tailles ou le prix du blé. Une Société de
démographie historique est fondée et une revue naît en 1965, Les Annales de démographie
historique. Une autre approche des populations , plus qualitative que quantitative, avait été
développée par Louis Chevalier dans son étude de la formation de la population parisienne
qui s’appuyait sur des fondements biologiques de l’histoire sociale. Mais cette approche, qui
utilisait de façon novatrice les sources littéraires, a été en partie discréditée par les rapports
étroits qu’elle entretenait avec les conceptions ethniques et eugénistes, comme le développe
l’ouvrage de 1958, Classes laborieuses, classes dangereuses.
L’histoire quantitative triomphe donc et investit tous les domaines de l’histoire : politique avec
l’étude des phénomènes d’opinion vus à travers une histoire de la presse ou des résultats
électoraux ; économique avec l’histoire des prix des banques et du crédit ; l’histoire des rela-
tions internationales elle même est renouvelée par René Girault avec l’aventure des em-
prunts russes, tout comme l’histoire coloniale. Cette histoire quantitative, utilisée comme une
modalité de la preuve se prolonge dans les années 1970 par le courant scientiste d’une his-
toire faite avec l’ordinateur. “ Il n’est d’histoire scientifique que quantifiable ” écrit Leroy Ladu-
rie en 1973. La démarche scientiste n’a pas été prise par une histoire des femmes encore
dans les limbes.
Le début des années 1970 est un âge d’or pour les historiens. Sous l’impulsion de
Fernand Braudel à l’EHESS et d’Ernest Labrousse à la Sorbonne, l’histoire économique et
sociale est alors hégémonique. Ayant assimilé la longue durée braudélienne, elle associe
l’infrastructure économique à la superstructure mentale. Des programmes de dénombrement,
classement et hiérarchisation des classes sociales sont lancés.

La première “Histoire mondiale de La femme“ de Pierre Grimal, publiée en quatre to-


mes de 1964 à 1967 prend en compte dans une histoire des civilisations à la Braudel, la part
de la femme dans le devenir humain. C’est en fait de la sociologie que sont venus les premiers
écrits sur le travail des femmes et les femmes et l’organisation syndicale avant 1914 (ouvra-
ges de Madeleine Guilbert)

I-2 : l’Histoire des Femmes : une histoire “ au féminin ”

Les premières recherches en histoire des femmes, dans ce contexte de domination de l’his-
toire économique et sociale s’intéressent au rapport entre travailleurs, travailleuses et mouve-

78 Premières Rencontres - mars 2001


ment ouvrier. je pense aux travaux de Marie-Hélène Zylberberg Hocquart sur Féminisme et
mouvement ouvrier (étendu au syndicat des institutrices par Anne Marie Sohn). Ensuite se
développe ce que Françoise Thébaud a appelé “ une histoire ouvrière du travail féminin ”,
centré sur la division sexuelle et sociale du travail au XIXe siècle, la surexploitation des fem-
mes dans des secteurs tels que le textile, l’habillement et l’alimentation. Le personnage de
l’ouvrière est à l’honneur. Ces études soulignent le traumatisme de la révolution industrielle ;
mais cette thèse est nuancée, puis remise en cause dès 1975, par deux historiennes améri-
caines travaillant sur la France, Joan Scott et Louise Tilly ; une première étude est publiée
dans la revue Le mouvement social, en 1978, numéro coordonné par Michelle Perrot, sur les
“ Travaux de femmes ” nous y reviendrons dans notre troisième partie.

Deuxième apport de l’Histoire des femmes, c’est la mise à jour de l’hostilité du mouvement
ouvrier français, très marqué par le proudhonisme, à l’égard du travail des femmes. Les syn-
dicalistes, hommes, défendent des métiers considérés comme masculins (le bois, le métal, le
livre) excluant de leurs rangs les travailleuses de l’imprimerie par exemple. Conséquence
immédiate de cette classe ouvrière virile et organisée, c’est la faible participation des femmes
aux luttes ouvrières, à l’exception de rares moments de révolte spécifiques comme la grève
des ovalistes, ces ouvrières en soie de la région lyonnaise (cf. l’ouvrage de Annik Houel et
Claire Auzias). Cette étape de l’histoire des femmes, celle d’une histoire ouvrière au féminin,
a une borne chronologique celle d’un colloque à Vincennes sur “ les femmes et la classe
ouvrière ” en 1979. Non publiés, ses débats ont cependant montré la spécificité d’une inser-
tion des femmes dans le dans le groupe ouvrier (et particulièrement pendant la Première
Guerre mondiale). Il s’agit ici d’une histoire des femmes ancrée dans la période contempo-
raine.

I-3 : l’anthropologisation de l’Histoire

Dans les années 1970 se développe en histoire un mouvement d‘anthropologisation et


d’ethnologisation, lié au structuralisme, qui découvre dans l’espace français les structures et
les invariants repérés dans les sociétés exotiques d’ailleurs (exemple de l’enquête sur les
Bretons de Plovezet ou sur le village de Minot en Bourgogne). Ce mouvement intellectuel est
lié aux soubresauts politiques : la rupture qu’a représentée la crise politique et sociale de mai-
juin 19682 et la crise économique mondiale qui met fin à ce qui sera baptisé ultérieurement,
en 1979, les Trente glorieuses. L’Histoire apparait alors comme le moyen de comprendre le
passé, un passé qui se veut rassurant. C’est ainsi que sont valorisées la tradition orale et la
culture matérielle. L’accent est mis sur les sociétés rurales traditionnelles ; la longue durée est
privilégiée au détriment de l’événementiel. Le Roy-Ladurie intitule en 1973 sa leçon inaugu-
rale au Collège de France “ l’histoire immobile ”. Pour François Furet faire l’histoire de ce qui
ne change pas ou peu, est une bonne thérapeutique pour contrer une vision de l’historicité
héritée de la philosophie des Lumières ; c’est aussi s’éloigner du progressisme et du marxisme.
Pierre Nora, en 1971, crée la Bibliothèque des histoires, pluriel intentionnel qui entend briser
l’unité du discours historique et fait le constat de l’éclatement de l’histoire. En 1974, le mani-
feste de la Nouvelle Histoire (qui se baptise ainsi elle-même) , montre effectivement l’éclate-
ment des intérêts historiens avec “ de nouveaux objets, de nouvelles approches, de nou-
veaux problèmes ”. En 1975, le terme d’anthropologie historique est utilisé pour la première
fois comme titre d’un de ses cours par le médiéviste Jacques le Goff. Dans le même temps se
développe la notion de “ culture populaire ”. Les programmes scolaires ont enregistré cette
évolution en réduisant en 1977 la part de l’événement ainsi que les ruptures politiques.

Au même moment, l’Histoire des femmes, pour la période moderne, s’enracine dans l’histoire
démographique et l’histoire de la famille avant d’aborder ensuite l’anthropologie de la pa-
renté. L’histoire des femmes s’oriente aussi vers une anthropologie sociale et culturelle du
monde rural dans les travaux de Martine Segalen, comme le montre le catalogue de l’exposi-
tion du musée des Arts et Traditions Populaires, Maris et femmes dans la France rurale
traditionnelle. De même Yvonne Verdier, dans une enquête spécifique à Minot en Bourgogne,

Premières Rencontres - mars 2001 77


démontre dans “Façons de dire, façons de faire“ comment les femmes sont les gardiennes de
la tradition ; la cuisinière, la laveuse et la couturière “ font ” les filles comme elles “ font les
naissances et les morts ” dans le village. L’auteur étudie précisément les enjeux symboliques
des pratiques, des gestes, d’objets et de paroles censés concourir à la construction de la
féminité. On aboutit ainsi progressivement à une histoire moins économique, moins matérielle
et plus culturelle. La notion de “ culture féminine ” avancée par Agnès Fine dans sa contribu-
tion sur le trousseau comme lieu d’identification sexuelle dans la société rurale du Sud-Ouest
a été considérée par d’autres historiennes comme une naturalisation du féminin3 . Il s’agissait
en fait, pour Agnès Fine, d’étudier les effets concrets, dans le quotidien des femmes, de la
construction culturelle du féminin . Nathalie Davis a souligné l’intérêt heuristique de l’anthro-
pologie qui “nous aide à ôter nos oeillères, à trouver un nouveau point de vue d’où nous
pouvons embrasser le passé pour découvrir, avant tout, des éléments étrangers et surpre-
nants dans le paysage apparemment familier des textes historiques” 4 .

Autour du corps des femmes, de l’histoire de l’accouchement, de la maternité et de L’histoire


des mères (Catherine Marand-Fouquet et Yvonne Kniebiehler) fleurissent une série d’études
qui prennent souvent en compte la longue durée (cf. les travaux de Mireille Laget sur l’accou-
chement). On fait aussi l’histoire de l’entretien du corps, des soins ( avec une histoire des
professions de santé : médecins, sages-femmes, infirmières) et de la beauté. Ces approches
s’insèrent ainsi dans une Histoire du privé qui donne lieu à une vaste synthèse dirigée par
Georges Duby.

Dans le sillage de l’anthropologie historique une nouvelle histoire sociale s’intéresse égale-
ment aux manières de vivre et d’habiter, aux sociabilités populaires et aux mobilités sociales.
Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.

Pour ce faire la nouvelle histoire sociale mobilise de nouvelles sources, sources orales et
sources matérielles. La démarche est commune aussi à l’Histoire des femmes. En effet la
première problématique en Histoire des femmes a été de rendre visible ce qui était caché,
c’est à dire, derrière le mythe de l’éternel féminin, de découvrir l’existence réelle des femmes
du passé, en en faisant des sujets historiques à part entière. “ Femmes emmurées comment
vous rejoindre? ” écrit interrogative en 1979 Michelle Perrot dans l’Histoire sans qualités. Ef-
fectivement les femmes sont presque toujours absentes des archives - archives diplomati-
ques et administratives surtout - utilisées par les historiens du XIXe siècle; même si, au cours
de ce même siècle, les discours sur les femmes sont omniprésents.

Mais les sources écrites classiques ne sont pas aussi muettes sur les femmes qu’il est sou-
vent dit ou écrit, même si l’Histoire a longtemps fait le silence sur les femmes5 . Archives
traditionnelles de l’état civil, terreau de la démographie historique, mais aussi archives institu-
tionnelles des lieux d’accouchement - hôpital et maison maternelle -, archives de l’assistance
prolixes particulièrement après la mise en place de l’Assistance médicale gratuite (1893),
archives judiciaires sur les procès pour viol et pour infanticide, toutes parlent abondamment
des femmes. A ces sources écrites classiques, peuvent s’ajouter des sources orales même si
la mémoire n’a sans doute pas de sexe : les mémoires individuelles sont façonnées par les
parcours singuliers et par le milieu socioprofessionnel6 . Les sources orales peuvent elles
permettre de combler un vide documentaire? La réponse est nuancée : organisé par Françosie
Thébaud, un colloque vient de se tenir sur ce thème à l’université d’Avignon ; les actes seront
publiés et je serai brève sur ce point. Papiers personnels, livres de comptes, photographies et
journaux intimes sont également des sources qui permettent d’accéder à la vie privée et aux
expériences subjectives des femmes d’autrefois.

Le mouvement d’anthropologisation de l’histoire a conduit de fait, progressivement, à


une dilution, voire à une négation, de l’identité historienne qui est avant tout le rapport au
temps, c’est à dire le rapport au présent, au passé et au futur, ce que l’on nomme les “ régi-
mes d’historicité ”.

7! Premières Rencontres - mars 2001


Deux historiens étrangers ont en 1980 jeté un pavé dans la mare et ont constaté l’échec
de l’histoire scientifique fondée sur la causalité et l’explication. Lawrence Stone en 1980 a
prôné le retour au récit avec une réflexion polémique “ sur une nouvelle vieille histoire ” et
Carlo Ginzburg a réfuté la causalité en mettant en avant dans un article publié dans la revue
Le Débat en 1981, intitulé “ Signes, traces, pistes, ” une nouvelle forme de connaissance qu’il
qualifie d’ indiciaire (l’article est sous titré “ racines d’un paradigme de l’indice ”). Ces deux
articles marquent le début d’une période de crise et ouvrent à une recomposition et l’entrée
dans ce qu’on a appelé “ l’âge historiographique ”.

1-4 : Crise et recompositions

Dans un contexte intellectuel de crise des théories unifiantes, telles le marxisme, le fonction-
nalisme ou le structuralisme, une réflexion naît sur la discipline historique. Les bilans
historiographiques se succèdent (pas moins de cinq en 1995 comme s’il y avait besoin d’aus-
cultations régulières, comme au chevet d’un malade). On s’interroge sur la manière d’écrire
l’histoire, sur les questions de vérité et d’objectivité. Mais en 1987, les Essais d’egohistoire
(Gallimard) de quelques historiens/ne célèbres ont peu été suivis d’effet dans la réflexion sur
la subjectivité de l’historien dans l’écriture de l’histoire. Les réflexions de Paul Veyne dès
1971, de Michel de Certeau et de Michel Foucault avaient eu du mal à être acceptées par la
corporation historienne. En 1988, le secrétaire de la revue des Annales ESC, Bernard Lepetit,
reconnaît cependant un moment critique et met en discussion les échelles d’analyse, l’évite-
ment du politique et les questions du comparatisme et de l’interdisciplinarité. Dès l’année
suivante, en 1989, les Annales publient un numéro spécial sur le “ tournant critique ” , où la
longue durée et l’histoire quantitative sont critiquées et où le thème de la construction sociale
des phénomènes historiques est promu, ce qui traduit un renouvellement de la manière d’écrire
l’histoire. L’attention est portée à la fois aux parcours singuliers des acteurs sociaux, insérés
dans de nombreux réseaux très divers, qui façonnent identités et liens sociaux selon des
modalités complexes et également à la dimension narrative de l’histoire (influence alors des
écrits de Ricoeur dans Temps et récit). A la domination de l’histoire sociale des années 1960-
70 correspond maintenant l’affirmation d’une histoire culturelle, polymorphe et éclectique, qui
s’appuie sur les représentations. Dans le même temps, l’histoire politique connaît un renou-
veau (cf. le livre dirigé par René Rémond en1988), en s’intéressant aux réseaux, aux milieux
sociaux des politiques, aux générations et à la notion de culture politique.

L’Histoire des femmes a elle aussi mis en cause un certain nombre de ses approches.
Au milieu des années 1980, la dichotomie présente dans de nombreuses études entre une
majorité de femmes victimes et une minorité de femmes rebelles a été critiquée et en partie
dépassée. Les travaux ont de plus en plus concerné non seulement le sexe féminin, mais les
rapports entre les sexes, la question des différences et des pouvoirs. L’usage des sources a
été critiqué en particulier les sources orales, qui, plus que des informations brutes permettant
de retracer la vie de femmes “ ordinaires ”, fournissent des représentations et permettent d
‘explorer la symbolique des rôles sexuels. Et surtout a été posée la question du pouvoir, des
pouvoirs faudrait-il écrire, suivant en cela les analyses de Michel Foucault. S’éloignant du
chemin trop connu de la domination et de l’oppression, les recherches ont abordé les thèmes
du consentement, de la ruse, du désir et de la séduction, donc des rapports complexes entre
les deux sexes, dans le cadre de la famille, du métier ou des espaces privés; La question du
pouvoir a également remis sur la sellette l’histoire du féminisme, inaugurée pour la France par
Laurence Kliejman et Florence Rochefort (le féminisme sous la IIIe république), travaux qui
ont été poursuivis plus récemment par Christine Bard (sur l’entre-deux-guerres) et Sylvie
Chaperon (sur la période 1945-1970).

Le mot même féminisme d’abord employé dans le langage médical pour définir la féminisation
d’un être masculin, se trouve sous la plume d’Alexandre Dumas en 1872 avec clairement un
sens péjoratif. Comme souvent dans la langue, le mot est repris et détourné par celles qui

Premières Rencontres - mars 2001 7"


étaient stigmatisées : c’est le cas d’Hubertine Auclert en 1882. Depuis les définitions du, ou
des féminisme(s) ont varié, des adjectifs ont prétendu le ou les cerner : bourgeois, maternaliste,
chrétien radical etc. Les méthodes d’approche sont elles aussi diverses : étude des réseaux,
des associations, des revendications et des luttes, des figures marquantes, approche biogra-
phique (Michèle Riot-Sarcey). Elles associent une définition large qui englobe personnalités,
associations et mouvements féminins qui favorisent à un degré ou à un autre l’autonomie des
femmes, et une définition plus restrictive et plus exigeante qui dénonce l’oppression spécifi-
que d’un sexe et la volonté d’instaurer une égalité des deux sexes. Des études s’efforcent de
relier les deux approches, du féminin au féminisme (Sylvie Chaperon pour “ les années Beau-
voir ”). La comparaison transnationale entre les féminismes permet également de faire
émerger les spécificités nationales (Florence Rochefort sur l’histoire de la laïcité et de la diffé-
rence des sexes) et approfondit la connaissance de ces mouvements en liaison avec l’histoire
politique de chaque pays .

L’histoire des femmes, s’éloignant ainsi d’une approche strictement économique et sociale,
est alors devenue clairement plus politique. L’histoire des intellectuels qui s’était jusqu’à une
époque récente déclinée au masculin, parce que liée fortement à la notion d’engagement
politique, s’aventure sur le terrain des intellectuelles. Le prochain numéro de la revue Clio,
Histoire, Femmes et sociétés, n°13 (mai 2001) porte ce titre.

En guise de conclusion et de transition entre l’évolution historiographique de ces trois


décennies et les questions ouvertes, cette anecdote racontée par Michelle Perrot : en 1949
elle se rend chez Ernest Labrousse pour lui proposer un sujet de thèse sur les femmes et le
féminisme et elle en ressort avec un sujet sur les grèves ouvrières... Cela va nous introduire
aux questions de découpage du social, des représentations et des analyses de discours.

II- PROBLEMATIQUES, NOTIONS ET CONCEPTS

II-1 : le questionnement sur le découpage du social et sur la focale d’observation a


concerné la place respective des groupes (ordres et classes) et des individus ; l’histoire
des femmes a été active dans la déconstruction des catégories

A la fin des années 1960, la version labrousienne de l’étude du social s’impose : c’est essen-
tiellement celle des groupes et non des individus. La plupart des études s’attachent à l’histoire
des classes sociales (notables et bourgeois, ouvriers, paysans). En histoire ouvrière le XIXe
siècle est privilégié .

Au colloque de Saint Cloud en 1965 la notion de classes sociales a cependant été discutée
par Roland Mousnier qui pour l’Ancien Régime souhaitait privilégier la notion d’ordres, fondée
plus sur le politique et le juridique que l’économique. Ce vif débat dont a été bercé ma géné-
ration, voit cependant le triomphe de la génération labrousienne et dans son sillage particuliè-
rement, après l’étude de la bourgeoisie, celle de la classe ouvrière. Les grandes thèses d’his-
toire sociale, celles de Rolande Trempé sur les mineurs de Carmaux, celle de Michelle Perrot
sur la jeunesse de la grève, celle d’Yves Lequin sur les ouvriers de la région lyonnaise sont
marquées par cette approche, tout en faisant parfois un pas de côté. L’influence de l’historien
anglais EP Thompson qui , en 1973, dans sa thèse sur la classe ouvrière anglaise a démontré
que ce sont les expériences communes à un ensemble d’individus qui définissent la classe (et
non l’inverse), a été décisive dans l’évolution de ce qui est considéré dès lors comme un
processus. Michelle Perrot a joint à une histoire quantitative des grèves réalisée à l’aide fiches
perforées (en 1974 l’ordinateur est encore roi), une perspective anthropologique sur les cortè-
ges, les rituels et les paroles ouvrières.

7# Premières Rencontres - mars 2001


A l‘université de Lyon 2, au Centre Pierre Léon, autour de Maurice Garden et d’Yves Lequin,
l’histoire sociale s’est rapidement éloignée de l’histoire de la condition ouvrière et de celles de
ses organisations - le mouvement ouvrier - pour s’intéresser à une histoire nouvelle urbaine,
inspirée de l’histoire urbaine américaine7 . L’histoire des groupes sociaux, qui avait déjà muté
de la classe ouvrière à la petite bourgeoisie (Philippe Vigier, Heinz-Ghérard Haupt, Geoffrey
Crossik8 ), a été peu à peu remplacée par l’histoire de l’usage de l’espace, des manières de
vivre et d’habiter9 et de la mobilité sociale (Jean-Luc Pinol10 ). De nouveaux lieux et univers
sociaux ont été explorés comme l’hôpital (Olivier Faure), les métiers (Christian Chevandier11 ),
le quartier (Jean-Paul Burdy12 ) ou l’entreprise (Yves Lequin et Sylvie Van de Casteele13 ).
Toutes ces études ont cependant fait leur miel de méthodes testées auparavant par la démo-
graphie historique, par l’histoire quantitative comme par la Nouvelle histoire, méthodes qui ont
permis de tracer des parcours individuels et de reconstituer des familles ou des réseaux,
grâce, parfois, à l’usage de l’ordinateur (Geneviève Massard-Guilbaud14 ). Dans notre travail
sur les passementiers et passementières stéphanois/ses, nous avons constaté que la recons-
titution de généalogies familiales, nécessairement localisées sur un quartier ou un village
accentue la vision d’un groupe stable. Inversement l’étude des transmissions des biens où se
marquent parfois certaines attitudes individuelles (divorce par exemple ou départ dans une
autre ville), comme celle des stratégies matrimoniales fait surgir le changement. Les usages
différents selon les sexes de l’espace urbain et de l’espace du travail contribuent à la cons-
truction d’identités sociales fondées non seulement sur une base territoriale et sur le métier,
mais aussi sur une identité sexuée. Dans l’étude des stratégies familiales on peut explorer la
complexité des rapports hommes/femmes dans le travail et dans la famille, l’articulation des
pouvoirs et contre pouvoirs et la hiérarchie symbolique de la division des tâches15 .

Ce débat sur le découpage du social a rejoint celui sur l’usage des catégories socioprofes-
sionnelles définies par l’INSEE en 1954. Les recherches sur l’histoire de la statistique ont
montré que les chiffres ne pouvaient être utilisés à l’état brut et qu’il était important d’examiner
comment ils étaient construits : un exemple le recensement de 1891 précise que les femmes
travaillant dans un atelier familial ne seront pas comptabilisées dans les statistiques ce qui
minore fortement le nombre de femmes en activité compte tenu de la structure de l’industrie
française. Les recherches de Thévenot et Desrosières sur les catégories professionnelles (
col Repères, La Découverte, 1988) ont contribué à déconstuire les différences catégories
d’approche du social. L’Histoire des femmes, très tôt, avait contribué à déconstruire la notion
de classe ouvrière en montrant comment les femmes avaient un statut d’opprimée parmi les
opprimés.

Avant même les autres domaines de l’histoire, l’histoire des femmes a mis en oeuvre les
théories constructionnismes en s’appropriant le concept de genre. Ce terme venu d’outre
atlantique (c’est la traduction de gender), a pénétré timidement sur la scène publique en
France, en 1988 avec la traduction, dans les Cahiers du Grif sous le titre de “ Genre : une
catégorie utile de l’analyse historique ”, de l’article de l’historienne américaine Joan Scott
publié aux États-Unis en 1986. “ Le genre est un élément constitutif des rapports sociaux
fondé sur des différences perçues entre les sexes et le genre est une façon première de
signifier des rapports de pouvoir ”. Par cette définition qui ouvre son article fondateur, Joan
Scott se démarque des approches purement descriptives des rapports de sexe comme des
approches psychanalytiques liées au courant post structuraliste. Dans son acception fran-
çaise, le genre est un outil pour penser la différence des sexes, résultat d’une construction
sociale et culturelle au cours d’un processus, c’est à dire s’appuyant autant sur des réalités
matérielles que sur des discours et des représentations. Cette avancée épistémologique a
permis que se développe une lecture sexuée des événements historiques, l’histoire de la
construction du masculin et du féminin et une histoire relationnelle du rapport entre les hom-
mes et les femmes, articulée avec les notions de pouvoir et de domination. Les cinq volumes
de L’Histoire des femmes en Occident publiés sous la direction de Georges Duby et Michelle
Perrot en 1991-1992 rendent compte de ces approches.. On est passé ainsi de l’histoire des
femmes à l’histoire du genre, mais cette catégorie explicative n’est pas la seule potentielle-

Premières Rencontres - mars 2001 7$


ment employée en histoire : l’appartenance sociale, politique, religieuse ou nationale restent
parmi les facteurs explicatifs pertinents.

L’acclimatation progressive du concept de genre traduit cependant l’importance des échan-


ges transnationaux et aussi l’influence de la pensée américaine dans la production historique
mondiale. L’histoire des femmes, marginalisée en France a très tôt porté une attention aux
historiographies étrangères. Elle en a tiré et en tire encore sa force au moment où s’intensifie
l’internationalisation de l’Histoire.
Sur la question de l’angle d’observation des phénomènes sociaux Bernard Lepetit a apporté
une innovation fondamentale en mettant en avant la notion de jeux d’échelle : selon l’échelle
d’observation on n’obtient pas les mêmes informations et il s’agit donc de faire varier les jeux
d’échelle pour parvenir à une connaissance diversifiée du monde social16 .

Plusieurs méthodes ont contribué à transformer le mode d’analyse du social qui va cepen-
dant toujours dans le sens d’une réduction de l’échelle d’analyse :
* la biographie collective d’un corps (comme les officiers), d’un groupe social qu’on nomme
prosopographie
* une étude locale peut poser une problème général c’est le cas de l’étude d’Agulhon sur la
Garde Freinet dans le Var qui a posé la question de la diffusion du républicanisme
* rôle des porte parole parlant au nom d’un groupe (travaux de Jacques Guilhaumou sur la
Révolution française)
* rôle des individus donc de la biographie en histoire. Michèle Riot Sarcey avec l’étude de trois
parcours de femmes entre 1830 et1848 parle de figures dissonantes qui permettent de
réinterroger toute l’histoire politique.

A ces variations de l’échelle d’observation, Roger Chartier, inspiré par l’œuvre de Norbert
Elias qu’il a contribué à faire traduire et connaître en France, a avancé les concepts de confi-
gurations et de processus qui privilégient les interrelations mouvantes entre individus et non
des groupes enfermés dans une grille professionnelle donnée d’avance. C’est le cas par
exemple des bourgeois de Rouen étudiés par Chaline.

L’Histoire des femmes a contribué aussi à déconstruire les différentes catégories du social :
celle des bourgeoises avec le rôle social de mères et de dames d’œuvre joué par exemple
par les bourgeoisies du nord (Bonnie Smith) qui réparent ainsi les dégâts du capitalisme
libéral mis en place par leurs entrepreneurs de maris. De même les catégories de mères, de
ménagères ou de femmes au foyer, dont l’activité est inscrite dans les recensements sous
l’appellation “ néant ”, transgressent les différentes catégories sociales. Plus récemment, ont
été mises en cause les catégories de sexe, réduites longtemps à leur détermination biologi-
que, et à une catégorisation binaire, une dichotomie dont on a longtemps étudié qu’une part,
celle du féminin17 .

Beaucoup encore reste à faire : l’histoire des masculinités, autre version de l’histoire du genre -
les hommes comme les femmes étant des êtres sexués - est encore balbutiante en France,
sauf pour ce qui concerne la guerre ou le service militaire, approche réductrice du masculin
(S.Audoin Rouzeau, Odile Roynette), même si la crise de l’identité masculine a été explo-
rée18 . Territoire aux marges de l’histoire nationale, l’histoire coloniale française reste encore
peu abordée par l’histoire des femmes ou du genre, alors que la symbolique sexuée des
colonies et de l’État est une approche courante outre atlantique (voir cependant le commen-
taire des statues de l’Afrique et de l’Asie dans les escaliers devant la gare Saint Charles19 ).
Eleni Varikas a fait remarquer également que, malgré la place centrale tenue par l’immigra-
tion dans les enjeux politiques contemporains, l’histoire des femmes n’a pas ou très peu pris
en compte la question des “ différences ethniques ”, à la différence des Etats Unis où, dès
1982, des chercheuses féministes noires ont suscité une interrogation ironique sur les caté-
gories employées en histoire : “ Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont des
hommes, mais certaines d’entre nous étaient courageuses ” 20 .

7% Premières Rencontres - mars 2001


Utiliser la notion de genre permet donc, d’explorer les notions de masculin et de féminin,
variable dans les espaces temps déterminés et restitue aux hommes comme aux femmes
leurs identités sexuées.

II-2 : l’intérêt pour les analyses de discours et les représentations

L’usage français de la notion de gender se distingue nettement des études anglo-saxonnes


dans le même domaine. Il est moins théoriciste, plus pragmatique et plus consensuel, laissant
se développer des approches plurielles. Pourtant même édulcorée, adoucie, cette approche
ne fait pas l’unanimité. Les débats ont été vifs lors d’un colloque tenu à La Sorbonne en 1992,
où s’est affirmée une approche critique des volumes de l’Histoire des femmes en Occident,
critique sollicitée par les auteurs-mêmes de la collection. Des objections ont été faites. Celle
d’abord du primat donné aux représentations, c’est à dire à l’omniprésence des discours qui
conduisent à oublier que des individus en chair et en os, femmes comme hommes, ont bien
existé et qu’ils ont été les sujets de l’histoire. Reproche encore d’oublier les femmes dans une
histoire qui se focaliserait sur le genre. Reproche enfin de n’utiliser qu’une catégorie explica-
tive : une esclave est-elle d’abord femme ou d’abord esclave a demandé l’historienne
antiquisante Claude Mossé?

Précédant les approches françaises , un mouvement appelé linguitic turn s’est développé
chez les historiens/nes américains attachés à l’ordre du discours, au langage et à la textualité
comme l’a montré een 1983 sur le cas des ouvriers et artisans marseillais l’ouvrage de William
Sewell Gens de métier et révolutions. le langage du travail de l’Ancien Régime à 1848. Dans
une approche radicale tout n’est que texte et tout rapport à la réalité est dénié. Comme le
rappelle à juste titre Carlo Ginzburg dans Le juge et l’historien ( Verdier traduction 1997) ces
approches posent fortement la question du relativisme en histoire : si tout n’est que texte que
sont les morts des camps nazis devenus ?

Au delà du discours, la question des représentations est sous-jacente. Les images de fem-
mes sont envahissantes dans l’histoire. Maurice Agulhon a exploré la symbolique républi-
caine dans ses recherches sur l’allégorie féminine en laissant ouverte la question de la repré-
sentation de la nation et de l’État par une femme au moment où les femmes étaient exclues
de la représentation politique dans la République. Les images de femmes dans la peinture, la
photographie, au cinéma et à la télévision sont aussi multiples, envahissantes et diverses.
L’Histoire des femmes a pu paraître trop séduite par l’histoire des représentations qui occul-
tent les individu-e-s. Jacques Rancière a souligné la nécessité de faire émerger l’histoire des
sujets femmes qui se constituent entre “ identités affectées ” et “ identités affirmées ”. Le ris-
que de ce primat des représentations c’est d’oublier qu’existent et qu’ont existé des hommes
et des femmes extérieurs aux discours.

III- LES QUESTIONS HISTORIQUES REVISITEES

III- 1 : Travail et industrialisation

L’histoire du travail des femmes permet de revisiter les grandes questions historiques sur
l’industrialisation : l’idée du retard français avancé par David Landes en 1969 et l’histoire de la
proto-industrialisation par Mendels en 1972. Les historiennes des femmes, comme Patrick
Fridenson, ont souligné qu e pour la France, il s’agit en fait d’une voie différente d’accès à
l’industrialisation avec une part importante prise par les petites entreprises et les fabriques
artisanales où le rôle de chaque membre de la famille, des femmes et des filles en particulier,
est primordial. Dès 1975, Louise Tilly et Joan Scott avaient démontré, à partir d’exemples

Premières Rencontres - mars 2001 7&


dans le Nord français, les continuités de l’industrialisation française au XIXe avec l’ancienne
économie familiale, le cycle de vie et de travail des femmes étant lié au cycle familial en
particulier avec l’intervalle des naissances et l’âge des enfants. L’appréciation d’un change-
ment brutal provoqué parce qu’on appelait encore la révolution industrielle est ainsi remis en
cause. La flexibilité de la main d’œuvre féminine, adaptée à des tâches différentes permet
d’effectuer tous les changements dans l’ordre productif. C’est le cas par exemple de la passe-
menterie stéphanoise que nous avons étudiée avec Mathilde Dubesset. L’essentiel de la dé-
finition des rôles respectifs des hommes et des femmes dans le métier a tourné autour de la
place qui revenait à chacun et chacune assorti d’un discours sur la technique. Ces discours
deviennent particulièrement nombreux après l’électrification des métiers (vers 1890) qui sup-
prime la nécessité d’utiliser la force physique. Les différenciations sexuées des tâches sont
ainsi replacées dans une perspective diachronique de l’histoire de l’industrialisation : des
formes héritées de la proto-industrialisation survivent et se réactivent provisoirement grâce à
l’innovation technologique que représente l’introduction de l’électricité. L’histoire des repré-
sentations sociales sexuées qui est aussi une histoire culturelle est ainsi liée à une histoire
économique et industrielle générale qu’elle contribue à modifier. Par ailleurs la réflexion sur le
sexe du travail a permis de ne pas dissocier production et reproduction, c a d l’association du
travail salarié, du travail familial et du travail domestique. Il fait souligner enfin que le travail à
domicile a été revivifié à la fin du XIXe siècle avec la diffusion des machines à coudre.
Les directions de recherche les plus récentes revisitent des terrains déjà explorés mais sous
un autre angle. C’est ainsi que l’histoire du travail, domestique et salarié est revivifiée par une
approche sur le genre des techniques. Delphine Gardey analyse, par exemple, la mécanisa-
tion des emplois de bureau dans l’entre- deux-guerres parallèlement à leur féminisation. Ca-
therine Omnès, avec le cas des ouvrières parisiennes de la métallurgie, montre comment leur
emploi massif dans l’entre-deux-guerres est lié à la rationalisation et à la taylorisation de la
production. Mais ces ouvrières là, pour 40% d’entre elles, n’ont pas d’enfant.

On repense ainsi la séparation public et privé et on réexamine le sens de la protection du


travail des femmes.

III-2 : le poids des guerres

L’histoire de la Première Guerre mondiale a été revisitée par l’Histoire des femmes. L’histoire
des ouvrières des usines de guerre a contribué dans les années 1970 à une autre histoire de
la guerre, une histoire de l’arrière et de “ l’autre front ” (c’est le titre d’un numéro spécial de la
revue Le mouvement social). Les études ont permis de nuancer fortement l’image convenue
de l’émancipation des femmes pendant la guerre et a au contraire mis en avant l’histoire de la
“ nationalisation du corps des femmes ” ( F.Thébaud). La guerre a aussi contribué à redéfinir
les rapports symboliques du masculin et du féminin. La relecture très contemporaine de l’his-
toire des sociétés européennes par la brutalisation ou “ l’ensauvagement ” (travaux de Geor-
ges Mosse) fait pencher l’objectif vers les souffrances du masculin. Si cette vision devient
hégémonique comme semble le craindre Annette Vieworka ( Le Monde des débats novembre
2000) elle provoquera un nouveau déséquilibre de l’histoire et un effacement des perspecti-
ves précédentes.

Histoire des femmes dans la Seconde Guerre mondiale, histoire de la “ sexuation des
politiques ”

Le poids de la guerre et des années noires a été souligné par Françoise Thébaud dès l’intro-
duction générale du cinquième volume de L’Histoire des femmes consacré au XXe siècle ; la
guerre est aussi le sujet du premier numéro de la revue Clio, Histoire, femmes et sociétés21 .
des avancées ont été faites en France dans trois domaines: la politique nataliste de Vichy, la
place des femmes dans la Résistance, les violences de guerre et le genre sous l’Occupation
et à la Libération.

7' Premières Rencontres - mars 2001


Dans chacun des domaines évoqués, le point de vue peut être soit les politiques, avec
l’étude de “la sexuation des politiques de guerre”, c’est à dire comment les gouvernants, les
partis et les groupes utilisaient la symbolique de la division sexuelle22 , soit “une histoire d’en
bas ”- la vie des hommes et des femmes ordinaires - soit les actions hors de l’ordinaire dans la
Résistance (et dans la collaboration) de femmes et d’hommes qui ne sont qu’une infime mino-
rité. Ces nouvelles approches posent des questions épistémologiques sur l’usage des dis-
cours et des représentations et sur le rapport entre sources écrites et sources orales.

Vichy, l’Occupation et la Résistance

Les travaux les plus récents portent sur l’examen des tensions entre les représentations men-
tales et les réalités vécues, et également sur la déconstruction de la catégorie “femmes” qui
n’ont pas eu toutes la même expérience au cours des années noires (différences sociales,
géographiques - vie à la campagne ou à la ville, dans la zone occupée ou dans la zone non-
occupée - , de nationalité française ou étrangère) et sur les différentes formes du consente-
ment, du refus, ou, plus majoritairement, de l’accommodation aux difficultés du temps23 .

Le terrain – largement exploré, et depuis longtemps – est celui des transformations dans la vie
des femmes ordinaires24 : travail, rationnement, nationalisation de la fonction maternelle peu-
vent caractériser les éléments nouveaux dans cette histoire des temps de guerre, où l’impor-
tance démesurée prise par les choses banales, mais vitales, instaure une véritable dictature
mentale et physique du quotidien. La prise en considération des civils et pas seulement des
militaires (officiels ou clandestins) dans l’histoire générale de la guerre donne de la force à
cet angle d’approche25 .

Du point de vue de la sexuation des politiques, l’ouvrage de Francine Muel Dreyfus a posé
la question classique de la rupture ou de la continuité, celle du régime de Vichy avec la IIIe
République26 . L’auteur s’appuie sur la profusion des discours pétainistes à propos des fem-
mes et de la famille qui dessinent une nature féminine éternelle faite de renoncement, d’oubli
de soi et de soumission. Le point de vue peut être discuté du point de vue de sa méthodolo-
gie (les discours cités, de nature très différentes, manquent de contextualisation et de chrono-
logie) et de sa conclusion qui privilégie la notion de rupture avec le régime précédent. Il reste
aussi à démontrer si et comment, pour les femmes et les filles, l’intériorisation du modèle
proposé s’est effectuée. Cette sociogenèse des représentations sociales ne se préoccupe
guère des vecteurs de leur diffusion et de leurs possibles effets. Cependant en soulignant
combien le régime de Vichy fut une période de régression politique et sociale, de retour aux
principes d’avant 1789 - tout en étant lié aux enjeux nouveaux du bio-pouvoir et de l’améliora-
tion de la “race” -, Francine Muel Dreyfus a mis l’accent sur la nature même du régime de
Vichy, mais la propagande et le consensus nataliste chez les élites de l’entre-deux-guerres
sont sous-estimés.

Depuis une dizaine d’années l’histoire de la Résistance s’est considérablement renouvelée :


dépassement des mythes, pluralité des approches, mise à jour de géographies et de chrono-
logies multiples, et rapports entre la Résistance et la société, tels sont les chemins récemment
explorés .

Un constat s’impose : la Résistance n’est pas seulement une affaire d’hommes, même si la
participation des femmes à la résistance a été un phénomène longtemps occulté à l’exception
de quelques figures élevées au rang d’héroïnes ou de martyrs (Lucie Aubrac, Danielle Casa-
nova, Bertie Albrecht, Marie-Madeleine Fourcade..). C’est une association politique, l’Union
des femmes françaises - et non les historiens/nes - qui a organisé en 1975 le premier colloque
sur Les femmes dans la Résistance27 . Les études quantitatives fondées sur la reconnais-
sance officielle et les décorations soulignent la sous-représentation féminine. La transgres-
sion et la rupture qui définissent l’acte de résister se sont arrêtées, dans leur reconnaissance,

Premières Rencontres - mars 2001 76


au seuil du foyer. Pourtant la quotidienneté de la Résistance est faite de la participation active
des femmes et d’abord dans leurs tâches ordinaires et familières d’entretien, de nourriture et
de soins28 . Dans son ultime phase, celle de la lutte armée, la Résistance a donné une place
encore plus grande aux hommes29 . Il n’y a pas eu de reformulation des rôles respectifs des
hommes et des femmes, pas de modèle alternatif - le programme du CNR (1944) ne contient
aucune indication sur la place des femmes dans sa préfiguration d’une France nouvelle- alors
que la période de la guerre, par les situations exceptionnelles qu’elle engendre, est un temps
de remise en cause des identités de genre. A la Libération, c’est la fonction maternelle qui est
valorisée dans la reconstruction de la nation . Les femmes accusées de relations avec les
Allemands - quelle que soit la nature de ces relations -sont assimilées à des prostituées. Ces
représentations sont à l’origine des violences de guerre sexuées.

Violences de guerre et différence des sexes :

La question des “ cultures de guerre ” héritées de la violence a été récemment posée


par l’historiographie dans le cadre d’une comparaison entre les deux guerres mondiales30 .
“Collaboration horizontale”, “collaboration intime”, ”collaboration sentimentale“, les termes
varient pour désigner l’objet du délit sanctionné par la répression sexuée des temps de guerre31 .

Fabrice Virgili dans La France virile (2000) a montré qu’il s’agit d’un phénomène de masse
dans la quasi totalité des départements même s’il n’y a pas eu d’appel national, pas de texte
officiel, pas de politique publique déclarée des tontes. On trouve cependant dans des jour-
naux clandestins de la Résistance des appels précoces à la flétrissure, tel celui publié en
1942 dans Défense de la France32 , ou encore en janvier 1944 dans celui de Femmes
françaises, journal des femmes communistes33 .

Cette violence a été exercée essentiellement contre des femmes (quelques cas d’hommes
tondus ont été recensés, assimilés ainsi au sexe féminin, forme de double dégradation). La
justice sexuée est mise en oeuvre par la résistance locale et assumée par le voisinage. La
population est moins complice et plus mal à l’aise qu’on ne l’a parfois montré. Pour les fem-
mes tondues, l’humiliation publique se pérennise dans le local et marque les mémoires. Elle
se prolonge donc dans le futur.

Ces femmes ont été condamnées pour avoir disposé d’elles-mêmes et de leur corps ; mais le
corps des femmes est considéré comme symbole du corps de la nation34 . La question des
violences et des cultures de guerre ouvre donc des perspectives nouvelles sur la période de
l’Occupation et la Libération. Les conclusions nous invitent à approfondir la question du genre
attribué à la nation et des variations historiques des identités de genre, leurs permanences
ancrées dans des traits culturels de longue durée, comme les changements introduits par
l’événement dans une conjoncture spécifique35 .

Identités de genre sous l’Occupation et à la Libération

Marie France Brive avait en 1986 attiré l’attention sur la question du masculin et du féminin
pendant et après la guerre36 . L’approche récente de la revue Modern and contemporary France
inclut les relations de genre, la construction de la masculinité et de la féminité et la structura-
tion des rôles masculins et féminins des hommes et des femmes37 . Le recours aux sources
littéraires et filmiques contribue à approfondir l’analyse historique des représentations. La
dégénérescence est qualifiée de “féminine” et le salut des fascistes de “masculin”. Le dis-
cours fasciste de Je suis partout insiste sur la reconstruction de la masculinité dans un dis-
cours réactionnaire de la modernité et dans une nouvelle définition de la citoyenneté.

!8 Premières Rencontres - mars 2001


Dans la même perspective théorique, Luc Capdevila a étudié la construction du mythe du
guerrier et de l’éternel masculin après la guerre38 . Il souligne que, à la Libération - y compris
dans les discours du général de Gaulle - l’association entre virilité et redressement national
était constante. La virilité avait été émoussée par le déclin national perceptible dès les années
1930 et accentué par la défaite. La Libération est donc un moment de reconstruction de
l’identité masculine dans l’épanouissement d’une culture guerrière et dans la mise en scène
de la différence sexuelle. Cette hégémonie du masculin est prégnante dans toutes les repré-
sentations figurées de l’époque : affiches, films, photographies. A la Libération l’identité mas-
culine se reconstruit sous la figure du travailleur, du guerrier et du père nourricier et l’identité
féminine sous celle de la mère.

III- 3 Citoyenneté politique et citoyenneté sociale

Le territoire de l’histoire politique est investi par l’histoire et la définition de la citoyenneté et


des pouvoirs. Sous la pression de l’Histoire des femmes, le “ suffrage universel ” de 1848 est
devenu le suffrage universel masculin, y compris sous la plume de Maurice Agulhon, bien que
les “ Quarante-huitards ” soient chers à son cœur. Se différenciant de la citoyenneté politi-
que, noyau dur de la citoyenneté, la notion de “ citoyenneté sociale ”, de plus en plus em-
ployée dans l’espace public, a été déclinée à partir des analyses du sociologue anglais Mars-
hall (1950). Si elle a parfois permis de masquer l’exclusion des femmes de la sphère du
politique, alors que la citoyenneté sociale leur conférait certains droits, elle a permis aussi de
cerner les rôles respectifs des hommes et des femmes dressés par les politiques publiques
des différents États. L’approche sexuée des politiques, en particulier des politiques sociales,
a permis également de revisiter l’histoire des “ États-providence ”. Des études comparatistes
entre les pays européens et les États Unis ont mis en valeur l’historicité de ces politiques et le
poids des caractéristiques. Depuis 1989, l’Europe centrale et orientale est ainsi devenue un
laboratoire vivant où s’élaborent de nouvelles politiques sociales à distance plus ou moins
égale des politiques étatiques autoritaires et d’un libéralisme échevelé.

L’histoire des femmes du temps présent est marquée en France par deux phénomènes impor-
tants : l’accès au suffrage et à la citoyenneté politique en 1944 et le développement, puis la
crise, de “ L’Etat-providence”. Une des questions est le sens du concept de citoyenneté : il
faut s’interroger sur l’acception du terme citoyenneté et son implication historique. Jusqu’en
1944, les femmes françaises ont été exclues de la citoyenneté alors que, dans le même
temps, depuis la fin du XIXe siècle, elles étaient incluses dans la nation par leur devoir mater-
nel.

Cette définition ne fait cependant pas l’unanimité puisque Yvonne Kniebiehler écrit que “ la
fonction maternelle organise ou conditionne la citoyenneté des femmes” 39 . Il faudrait s’inter-
roger dans cette appréciation sur l’adéquation et l’équivalence entre la catégorie “femmes” et
la catégorie “mères”. La question n’est pas nouvelle. Bien avant l’invention du terme “citoyen-
neté sociale”, le féminisme républicain et égalitaire du XIXe siècle, qui voulait intégrer les
femmes dans la cité et la démocratie a coexisté avec un féminisme maternaliste qui considé-
rait la maternité comme une fonction sociale et qui revendiquait l’extension des droits liés à
cette fonction40 . Dans l’entre-deux-guerres le féminisme égalitariste radical est marginalisé
au sein des différents courants féministes et le basculement se fait vers la lutte pour une
citoyenneté différentialiste41 . L’ordonnance de 1944 sur l’organisation des pouvoirs publics
à la Libération accorde le droit de vote aux Françaises, donc leur fait accéder de plein droit à
la citoyenneté alors qu’elles n’ont pas encore obtenu ni tous les droits sociaux, ni l’égalité
civile. Mais cette égalité des droits politiques, revendiqués depuis trois quarts de siècle,
n’équivaut pas à une place laissée aux femmes (ou prise par elles) dans le monde politique et
l’espace public. A contrario, les mères - ont été des prestataires et des bénéficiaires du
système de protection sociale, plus que dans tout autre pays européen, compte tenu du
consensus familialiste et nataliste en France.

Premières Rencontres - mars 2001 !7


Suffrage universel : principes et réalités

L’histoire de l’obtention du suffrage par les femmes en 1944 est relativement récente mais
bien établie42 , même si son interprétation varie selon les auteurs. Elle n’a intégré l’histoire
généraliste que sous la forme d’un droit accordé par le général de Gaulle et pour services
rendus à la Résistance43 . C’est l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944, sur l’organisation
des pouvoirs publics à la Libération qui accorde - après des débats houleux à l’Assemblée
consultative d’Alger et un vote finalement majoritaire - le droit de vote et l’éligibilité pour les
femmes dans les mêmes conditions que les hommes44 . Pour Pierre Rosanvallon, il s’agit de
l’aboutissement d’un long processus qui conduit la femme à devenir un sujet politique juridi-
quement autonome45 . Ce point de vue ne correspond guère aux opinions des contemporains
exprimées lors des élections d’après-guerre46 . Associations, partis et Églises encadrent les
premiers votes des femmes. Une véritable pédagogie du suffrage leur est appliquée, accom-
pagnée d’une injonction au civisme. Le père ou le mari sont les intermédiaires culturels de
cette socialisation civique. L’opinion publique, la presse et même les politologues considèrent
que les femmes ne relèvent pas de l’universel-citoyen, mais ont des caractéristiques identitaires
spécifiques. La référence aux compétences et à la nature spécifiques de l’électorat féminin
est généralisée, y compris chez une féministe comme Louise Weiss. On attend des femmes
une régénération de la vie politique et une contribution par leurs qualités propres à “l’ordre
nouveau” de l’après-Libération.

A la Libération les discours sur “la femme nouvelle” mettent en avant la citoyenne et la repré-
sentante47 . Une trentaine d’élues à l’assemblée nationale, une sous-secrétaire d’État à la
jeunesse et aux sports pendant six mois en 1946, une ministre (la première à porter ce titre)-
Germaine Poinso-Chapuis - désignée comme titulaire du ministère de la santé en 1947, tels
sont les fruits de la Libération en matière de représentation des femmes dans la vie politique.
Mais très vite leur (faible) nombre décroît et la participation s’étiole jusqu’à la Ve République
- la “République des mâles” selon l’expression de Mariette Sineau - dans laquelle être femme
politique relève d’un destin d’exception48 .

Protection sociale et citoyenneté sociale

Aujourd’hui le recul de “ l’État-providence ” varie selon les pays, mais représente un danger
pour les femmes les plus vulnérables (mères seules avec enfants, femmes immigrées) eu
égard aux changements économiques et sociaux. La comparaison des politiques en Europe
permet de mieux comprendre l’historicité et la singularité des politiques françaises.

La situation française après 1945 est caractérisée par la présence d’un État interventionniste
dans l’économique et le social (ordonnances de l’après Libération, planification, nationalisa-
tions etc.) et aussi par la constante d’une politique familialiste et nataliste : le discours de
Vichy sur le rôle maternel et l’éternel féminin n’a pas vraiment été mis en cause à la Libération,
même si ses fondements antirépublicains ont été rejetés. Cependant, les institutions même
du système de protection sociale ont été réorganisées. En particulier avec la création de la
sécurité sociale qui a pris en charge l’ensemble de ce qui relevait de l’assurance.

L’ordonnance du 4 octobre 1945 qui organise la sécurité sociale conduit à une redistribution
des revenus, mais dès le départ il y a ambiguïté entre la protection du travailleur /euse et la
protection du citoyen/ne. C’est “le travailleur et sa famille” qui sont garantis contre les risques
de toute nature (maladie, maternité, vieillesse). Le principe organisateur de la sécurité sociale
est fondé sur l’emploi conçu a priori comme masculin. Le rôle des femmes est minoré par la
non prise en compte du travail féminin. La protection sociale ne s’est guère adaptée à l’évo-
lution du marché du travail : le modèle dominant et l’unité de référence restent la famille et
non l’individu49 .

!! Premières Rencontres - mars 2001


Il y a, en France, une constante de la politique nataliste. La loi du 22 août 1946 étend à toutes
les familles, sans condition de nationalité, le droit de toucher des allocations familiales à partir
du deuxième enfant. Les femmes sont les premières bénéficiaires de cette redistribution du
revenu national par le biais des allocations aux mères ( allocation de salaire unique). La durée
du congé de maternité est étendue (deux semaines avant et six semaines après l’accouche-
ment) ; il est obligatoire et indemnisé à 50 %. Les mères étrangères installées en métropole
perçoivent les allocations familiales alors que les Françaises des DOM-TOM ne les perçoivent
pas jusqu’en 1975. La politique familiale est donc disjointe de la citoyenneté puisqu’elle ne
prend pas en compte la nationalité. Le versement des allocations familiales payées à domicile
directement aux mères donne par ailleurs l’illusion d’une rémunération du travail maternel et
domestique.

Depuis la fin des années 1970 coexistent plusieurs politiques dont les fondements théoriques
sont opposés ou se superposent. Les allocations versées par l’État permettent de cerner
cette mutation de la politique traditionnelle. La faible revalorisation des allocations familiales
contribue à diminuer leur effet et met ainsi en cause la politique nataliste. Des mesures
sélectives sont prises, d’une part pour les plus démunies (en particulier pour les familles dites
“monoparentales” où les femmes rémunérées pour garder leur enfant ont la tentation de res-
ter à la maison) et d’autre part, a contrario, pour les familles à deux revenus et pour les
femmes actives (allocation de garde d’enfant à domicile et aide à l’emploi d’une assistante
maternelle). Les crèches et les écoles maternelles sont par ailleurs - et depuis longtemps -
plus nombreuses en France que dans d’autres pays européens50 .

On peut enfin soulever un certain nombre de questions brûlantes aujourd’hui. Comment


passer d’une égalité et d’une citoyenneté formelles à une égalité réelle et à une citoyenneté
active pleine et entière ? Comment lier l’action positive51 destinée à corriger les discrimina-
tions tout en maintenant les principes d’une utopie d’égalité sur le fondement d’une indifféren-
ciation sexuée du droit qui évite la stigmatisation des plus démuni/e/s ? C’est à partir de ces
interrogations, qui sont à la fois des problèmes politiques du très contemporain et des ques-
tions théoriques, que l’on pourra réexaminer l’histoire de la citoyenneté en France.

Conclusion

Pour conclure, on peut dire que l’Histoire des femmes - désignation consensuelle et
d’usage courant qui englobe à la fois l’Histoire au féminin, l’ Histoire du genre et celle des
femmes dans l’Histoire - s’est forgée en France sur un double paradoxe : celui d’une ouver-
ture aux recherches internationales et celui de la vitalité de la recherche et des productions
qui ont reçu un accueil favorable de la part des maisons d’édition et du public des lecteurs et
des lectrices, confrontés à une relative faible reconnaissance institutionnelle dans ce qu’il
est convenu d’appeler “ la communauté des historiens ”.

Les acquis de l’Histoire des femmes sont encore récents et ne sont pas routinisés. D’où la
difficulté de penser l’introduction de ses acquis dans l’enseignement : il ne s’agit pas d’ajouter
un zeste de femmes dans des situations spécifiques, mais de relire l’histoire globale avec un
regard sexué. Cette relecture sexuée -et pas seulement féminisée du passé- sera sans
doute progressive ; je n’ai abordé ici que quelques questions historiques qui peuvent être
revisitées. Catherine Marand-Fouquet va le faire pour la Révolution française.

La connaissance historique est une construction intellectuelle qui nécessite la confrontation


de points de vue. Les débats vont j’espère nous le permettre

1
Les livres de référence largement utilisés pour cette étude sont :
Christian Delacroix, Patrick Garcia, François Dosse, Les courants historiques en France, Colin, 1999 ;

Premières Rencontres - mars 2001 !"


Gérard Noiriel, Qu’est ce que l’histoire contemporaine ?, Hachette, 1998 ;
et pour l’histoire des femmes l’indispensable syntèse de Françoise Thébaud, Ecrire l’histoire des femmes, Fontenay, ENS Éditions,
1998 (commande à ENS Éditions, parvis Descartes, 69366 LyonCedex 07).

2
Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie Françoise Lévy et Michelle Zancarini-Fournel (eds), Les années 68 : le temps de la
contestation, Complexe, 2000.

3
Article collectif dans les Annales ESC, 1986.
4
Nathalie Davis, “ Anthropology and History in the 1980s ”, Journal of Interdisciplinary History, 1981/82, n°12, pages 267-276, citation
page 274.

5
Michelle Perrot, Les femmes ou le silence de l’histoire, Flammarion, 1998.

6
Pénélope, n°12 1985 “ Mémoires des femmes ”.
7
Maurice Garden, Yves Lequin (dir.), Habiter la ville, Lyon, PUL, 1984.

8
“ L’atelier et la boutique ”, Le Mouvement social, juillet-septembre 1979, n°108.

9
Yves Lequin (dir.), “ Les ouvriers dans la ville ”, Le Mouvement social, janvier-mars 1982 ; ce numéro de revue représente une butte-
témoin de la liaison entre “ la classe sociale et la cité ” (Elinor Acampo).

10
Les mobilités de la grande ville, Presses de la FNSP, 1991.

11
Cheminots en usine. Les ouvriers des ateliers d’Oullins au temps de la vapeur, Lyon, PUL, 1993.

12
Le Soleil noir. Un quartier de Saint-Étienne, Lyon, PUL, 1989.

13
L’usine et le bureau. Itinéraires sociaux et professionnels dans l’entreprise, Lyon, PUL, 1990.

14
Des Algériens à Lyon. De la Grande Guerre au Front populaire, L’Harmattan, 1995.

15
Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, Parcours de femmes. Réalités et représentations, Saint-Étienne, 1880-1950,
PUL,1993.

16
Bernard Lepetit, “ Architecture, géographie, histoire : usages de l’échelle ”, Genèses, 13, automne 1993, 118-138.

17
Delphine Gardey et Ilana Löwy, L’invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin, Éditions des archives
contemporaines, 2000.

18
André Rauch, Le premier sexe. Mutations et crise de l’identité masculine, Hachette, 2000.

19
Catherine Marand Mouquet “ le genre des colonies sur les escaliers de la gare Saint Charles à Marseille ”, Clio HFS, n°12, novembre
2000.

20
Eleni Varikas, in Anne Marie Sohn et Françoise Thélamon (eds), L’histoire sans les femmes est-elle possible? , Paris, Plon, 1998, page
146.

21
Françoise Thébaud (dir.),Histoire des femmes. Le XXe siècle, Plon, 1992. Le numéro 1 de la revue CLIO, histoire femmes et sociétés
sous le titre Résistances et Libérations France 1940-1945 a été également dirigé par Françoise Thébaud.

22
Joan Scott “Rewriting History”, in M. Randolp Higonnet, J. Jenson, S. Michel et M Collins Wetz (dir.), Behind the Lines : Gender and
the TwoWorld Wars, Yale university Press, 1987, pages 21-30.

!# Premières Rencontres - mars 2001


23
Ce dernier concept est avancé par Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Seuil 1995.

24
Dominique Veillon, La Mode sous l’Occupation, Payot, 1990 ; “ La vie quotidienne des femmes ”, in JP Azéma et F Bédarida (ed), Vichy
et les Français, Fayard, 1992, pages 629-639 ; Vivre et survivre en France (1939-1947), Payot, 1995

25
Jacques Semelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe, 1939-1943, Payot, 1989.

26
Francine Muel Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Seuil, 1996.

27
Union des femmes françaises, Les femmes dans la résistance, Éditions du Rocher, 1977.

28
Claire Andrieu se livre à une socio-démographie des résistantes. dans “ Les résistantes. Perspectives de recherche ”, le Mouvement
social, n° 180, juillet-décembre 1997, pages 69-96

29
Une exception notable dans les groupes FTP-MOI, en particulier de la région toulousaine. Nombreux exemples individuels dans
Rolande Trempé et Marie-France Brive, “1943-1993 : L’Histoire sans parité. Où sont passées les résistantes dans l’histoire nationale?”,
Parité-Infos, n°2, juin 1993.

30
C’est l’objet du colloque qui s’est tenu à l’IHTP les 27-29 mai 1999 “La violence de guerre. Approches comparées de deux conflits
mondiaux” (programme in Bulletin de l’IHTP, n°73, pages 139-141) suivi par la constitution d’un groupe de recherche animé par Stéphane
Audoin-Rouzeau.

31
Luc Capdevila, L’imaginaire social de la Libération en Bretagne été 1944-hiver 1945-1946, Contribution à une histoire des représenta-
tions mentales, Thèse 1997 Rennes2, 3 tomes; sur cette question, “les tontes en Bretagne” tome 2 pages 240-273. Fabrice Virgili, les
tontes des femmes accusées de collaboration en France, 1943-1946, EHESS, décembre 1999.

32
Le texte a été rédigé en juillet 1941 il est écrit “..Vous serez tondues , femelles dites françaises qui donnez votre corps à l’Allemand,
tondues avec un écriteau dans le dos : “vendues à l’ennemi”. Tondues vous aussi petites sans honneur qui minaudez avec les occu-
pants, tondues et cravachées. Et sur vos fronts, au fer rouge, on imprimera une croix gammée”, cité par Capdevila, page 245 tome 2.

33
“Mères françaises défendez vos fils contre les femelles de la Gestapo. Les mères ne voient pas toujours grandir leurs enfants et quand
il s’agit de nos fils nous ne discuterons pas toujours le moment où ils deviennent des hommes le moment douloureux pour nous où la
tendresse maternelle ne leur suffit pas. Cet âge de la puberté présente pour eux en temps de paix les dangers que l’on sait. En période
de guerre il en est d’autres (...) Il faut les (ces chiennes de la Gestapo) corriger sévèrement, leur couper les cheveux ras et, enfin, leur
prendre leur carte d’identité...”

34
“..Dans une sorte de glissement l’image de la femme s’apparente à celle de Marianne et donc à la Nation, ces femmes sont finalement
accusées d’avoir permis la souillure du pays par celle de leur propre corps” écrit Fabrice Virgili in “Les tontes de la Libération en France”,
les Cahiers de l’IHTP, n°31 page 64.

35
“ Le genre de la nation ”, Clio, Histoire ,femmes et sociétés, n°12, automne 2000, Leora Auslander et Michelle Zancarini-Fournel (eds).

36
Marie France Brive “ L’image des femmes à la Libération ”, in La libération dans le midi de la France, Eché éditions, 1986, pages 389-
399.

37
Hanna Diamond et Claire Gorrara (dir.), Modern and contemporary France, Volume 7, n°1, February 1999 et leur introduction,
Gendering of the Occupation of France (pages 7-9). Voir aussi Claire Gorrara, Women’s Representations of the Occupation in Post-68
France, Macmillan, 1998.

38
Luc Capdevila, “ Le mythe du guerrier et la construction sociale d’un ‘éternel masculin’ après la guerre ”, Revue française de psychana-
lyse, n°2, 1998, pages 607-623.

Premières Rencontres - mars 2001 !$


39
Yvonne Knibiehler, La révolution maternelle depuis 1945, Femmes, maternité, citoyenneté, Paris, Perrin, 1997, page 13.

40
Florence Rochefort, “Démocratie féministe contre démocratie exclusive ou les enjeux de la mixité”, Démocratie et représentation, 1995,
pages 181-202. Gisela Bock “Pauvreté féminine, droits des femmes et Etats-providence”, Histoire des femmes. Le XXe siècle, 1992,
pages 381-410. Anne Cova , Maternité et droits des femmes en France (XIXe-XXe siècles), Anthropos, 1997.

41
Christine Bard, Les filles de Marianne, Fayard, 1995.

42
Françoise Thébaud (ed) , Clio, Histoire , femmes et sociétés, “Résistances et libérations”, 1995, n°1. William Guéraiche, Les femmes et
la République, Paris, Éditions de l’Atelier, 1999.

43
Dans une publication à usage des enseignants (et des élèves) il est écrit “L’ironie du sort voulut que le droit fût accordé en 1945 (sic)
grâce à une décision largement personnelle du général de Gaulle et non à la suite d’une délibération parlementaire ou d’un débat de
l’opinion que la IIIe République avait amorcé à plusieurs reprises, mais échoué à conclure ”, Nicolas Roussellier, “ La République sous la
IIIe ”, Documentation photographique, bimestriel n°7003, février 1991, Paris, La Documentation française, page 8.

44
William Guéraiche, “ Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ?”, Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, n° 1 1995, pages
165-186.

45
Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992.

46
Bruno Denoyelle, “ Des corps en élections. Au rebours des universaux de la citoyenneté : les premiers votes des femmes (1945-1946),
Genèses, n°31, juin 1998, pages 76-98.

47
Claire Duchen “ Une femme nouvelle pour une France nouvelle? ”Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, n° 1 1995, pages 151-164.

48
Mariette Sineau, “ Les femmes politiques sous la Vème République ”, Pouvoirs, n° 82, 1997, pages 45-57.

49
Nicole Kerschen et Marie-Thérèse Lanquetin , “ Égalité de traitement entre hommes et femmes dans le champ de la protection sociale ”,
Les Cahiers du Mage, n°3-4, 1997, pages 71-80

50
Béatrice Majnoni d’Intignano, “ Fécondité, famille et féminisme ”, Commentaire, volume 22, n° 86, été 1999, pages 405-414.

51
Je traduis ainsi Affirmative Action comme dans la plupart des langues européennes et non ‘discrimination positive’, traduction employée
le plus souvent en France : comment une discrimination peut -elle être positive ?

!% Premières Rencontres - mars 2001


Enseigner l’histoire des femmes de la revolution dans le second degré :
D’une mission impossible à de nouveaux chantiers

par Catherine MARAND-FOUQUET,


historienne.

L’histoire des femmes de la Révolution : une découverte ?

Traditionnellement orientée vers les faits politiques, l’histoire transmise aux enfants, aux
élèves comme aux étudiants, n’a longtemps retenu des années révolutionnaires que les hom-
mes politiques, l’évolution administrative, les faits de guerre. L’introduction de l’histoire écono-
mique et sociale n’a guère changé la donne : l’histoire enseignée au collège ou au lycée
évoquait seulement quelques figures emblématiques ; elle ne décrivait les groupes de fem-
mes que lorsqu’ils intervenaient à l’appui d’un événement politique ou dans un «fait-divers».
On pourrait résumer schématiquement la présence des femmes dans la période de la Révo-
lution française, telle que l’ont transmise longtemps les manuels, comme ceci :
- Marie-Antoinette, avec tous les clichés qu’elle véhicule, son image maléfique de femme
fatale, et punie.
- Les dames de la Halle, un glorieux moment d’action collective, un adjuvant précieux à l’ac-
tion masculine.
- Charlotte Corday, la meurtrière de Marat, la femme passionnée, jusqu’au crime. Elle est
punie.
- A l’arrière plan, les tricoteuses, archétypes de mégères.
- Joséphine, l’épouse de Bonaparte, la femme incarnant les plaisirs futiles du Directoire. Femme
légère, elle sera punie également : stérilité, répudiation.

Cette vision des choses, à peine caricaturale, reflète et prolonge en réalité l’idéologie jaco-
bine, produit de l’esprit des Lumières, telle qu’elle a sévi politiquement contre les femmes
sous la Révolution, et bien au delà. Elle tend à renforcer des stéréotypes, qui sont partagés
depuis plus de deux siècles par les tenants de l’histoire universitaire officielle. En histoire
comme dans les autres sciences humaines, ce sont les années 1970 qui ont remis en cause
les représentations qu’elle transmettait jusqu’alors. Ces recherches nouvelles correspondent
à un moment où les féminismes renaissants interrogeaient la légitimité des rôles sociaux. Un
tel mouvement historiographique avait déjà été esquissé dans les premières années du XXe
siècle, lorsque les «suffragistes» réclamaient le droit de vote. Mais si, au début du siècle
passé, les recherches menées sur les femmes de la Révolution n’ont pas trouvé de traduction
dans les programmes officiels, cela change aujourd’hui. Sur les raisons de ce changement,
nous pourrons nous interroger en conclusion.

Les programmes en cours - et leur traduction dans les manuels

Il est prévu d’aborder la période révolutionnaire dans deux classes du second degré : la qua-
trième et la seconde.
En quatrième, en sept à huit heures, les grandes phases de la période révolutionnaire en
France - 1789-1815 - seront traitées «sous la forme d’un récit synthétique qui permet de
présenter les épisodes majeurs et les principaux acteurs de la période révolutionnaire et im-
périale en insistant sur la signification politique et sociale de chacune des phases retenues.»

Il est bien clair qu’avec de telles limites de temps et de thèmes, l’histoire des femmes dans la
Révolution ne peut occuper beaucoup de place. Épisodes majeurs, principaux acteurs,

Premières Rencontres - mars 2001 !&


cela exclut presque automatiquement les femmes, écartées d’emblée de la citoyenneté ac-
tive. Elles n’apparaîtront donc qu’à travers la figure emblématique de Marie-Antoinette, malé-
fique symbole des turpitudes de l’Ancien Régime, traîtresse liée à son Autriche natale, acces-
soirement victime du Tribunal Révolutionnaire.

Dans les «épisodes majeurs», seule pourra figurer éventuellement la marche des femmes sur
Versailles, les 5 et 6 octobre 1789 ; cette marche est souvent réduite à une manifestation de
ménagères, de pourvoyeuses, bref de femmes dans leurs rôles sociaux traditionnels. Cette
manifestation politique ne fait pas partie, pourtant, des repères chronologiques qui sont cités
à la suite, au nombre de neuf. On y trouve, en revanche, bien naturellement, la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 08 89), et le Code Civil (1804), qui doivent permettre
d’aborder la problématique fondamentale de l’histoire des Françaises sous la Révolution :
celle de leur exclusion des droits politiques, et celle du renforcement de l’autorité masculine,
malgré le leurre du divorce.

Dans ces programmes de quatrième, tels qu’ils sont définis depuis 1994, c’est surtout à partir
des heures d’instruction civique que l’on peut insister sur la question fondamentale, très géné-
ralement ignorée, qui fonde en grande partie les rapports sociaux : celle de la hiérarchie entre
les sexes, de la répartition admise des rôles à un moment donné et dans une condition sociale
donnée, en fonction de celui auquel on appartient en naissant. Autrement dit, la question du
genre.

En effet, les programmes d’éducation civique au collège s’inscrivent dans une philosophie
d’ensemble, celle des droits de l’homme. C’est alors qu’une réflexion pourrait naître sur les
exclus des droits politiques, en 1789. On fait, depuis longtemps, des commentaires sur l’ex-
clusion des non-propriétaires, mais celle des femmes va encore trop souvent de soi. Les
manuels actuellement en usage le montrent très clairement.

«La Révolution française, mère des Droits de l’Homme».

On ne trouve quasiment personne pour faire remarquer l’abus de langage qui consiste à
parler, pour les citoyens, de «suffrage universel» et de régime démocratique en 1792, alors
que les femmes en sont pourtant exclues. On insiste pourtant par ailleurs sur la distinction
entre «citoyens actifs» et «citoyens passifs» dès 1789 ; ces derniers sont évincés pour des
raisons économiques ou de statut (les domestiques) ; l’exclusion des femmes semble couler
de source, tout comme celle des personnes ne s’appartenant pas. Nul ne souligne que, dès
septembre 1789, les femmes sont exclues de la possibilité de gouverner comme régentes. On
ne dit rien non plus sur les réclamations de certains et de certaines pour une participation
effective des femmes à la citoyenneté. On aurait pu citer Condorcet, certes, et même Robes-
pierre, en 1791, mais aussi Olympe de Gouges.

Cette dernière reste inconnue de la plupart des ouvrages jusqu’à une date toute récente.
Aussi ne faut-il pas s’étonner si, en 1989, lors qu’est lancée la pétition pour l’entrée d’Olympe
de Gouges au Panthéon, certain secrétaire de mairie écrit pour demander : «Mais qui est
Olympe de Gouges» ? La plupart des dictionnaires l’ignorent tout bonnement. La première
édition du Dictionnaire critique de la Révolution française, de Furet-Ozouf, ne comprend pas
d’entrée «femmes». Olympe de Gouges ne s’y trouve pas, alors même qu’une excellente
biographie a été publiée par Olivier Blanc chez Syros, en 1981, deuxième édition revue et
augmentée en 1989, sous le titre Une femme de libertés, Olympe de Gouges.

Qui est-elle ? Une géniale précurseure des féminismes des siècles ultérieurs, la pertinente et
spirituelle rédactrice de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, en septem-
bre 1791, une écrivaine de talent, et «engagée» avant l’heure, qui s’était attirée la hargne des
planteurs pour avoir écrit, en 1785, «Zamore et Mirza», une pièce contre l’esclavage des
Noirs ; une partisane des idées de liberté, une penseuse politique qui suggère une caisse

!' Premières Rencontres - mars 2001


patriotique pour venir en aide aux pauvres, qui donne l’exemple du don patriotique ; une
idéaliste qui pense que tout être humain a le droit d’ être défendu et se propose pour défendre
Louis XVI. ; une femme ennemie de la violence, une utopiste qui propose à Robespierre de se
sacrifier avec elle pour mettre fin à la Terreur.

Il y aura bien un sacrifice, mais le «tempo» sera différent. En juillet 1793, tout de suite après
l’assassinat de Marat, Olympe est arrêtée pour avoir proposé, dans une affiche intitulée Les
Trois Urnes ou le salut de la patrie, une sorte de referendum pour arrêter la Terreur. La loi du
29 mars 1793 punissait de mort quiconque tendrait en paroles ou en écrits à rétablir un pou-
voir autre que Républicain et indivisible. Elle n’est toutefois jugée qu’à l’automne, et guilloti-
née le 3 novembre, dans le mouvement de répression qui s’abat sur les femmes qui ont osé
se mêler de politique. La chronologie le souligne :
- 16 octobre, exécution de Marie-Antoinette
- 3 novembre, exécution d’Olympe de Gouges
- 8 novembre, exécution de Madame Roland
Il ne s’agissait pas seulement d’éliminer une reine abhorrée, et des amies des fédéralistes, il
s’agissait aussi, alors que, le 30 octobre, on avait interdit aux femmes de former des clubs, de
les mettre en garde contre leur penchant coupable à s’occuper de ce qui ne regardait que les
hommes. Ce message implicite était développé par le journal Le Moniteur du 19 novembre :
«En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple
qui ne sera pas perdu pour elles…Marie-Antoinette, Olympe de Gouges, la femme Roland,
bel esprit à grands projets, philosophe à petits billets, reine d’un moment, entourée d’écrivains
mercenaires à qui elle donnait des soupers, distribuait des faveurs, des places, de l’argent, fut
un monstre sous tous les rapports. Sa contenance dédaigneuse envers le peuple et les juges
choisis par lui ; l’opiniâtreté orgueilleuse de ses réponses, sa gaieté ironique, et cette fermeté
dont elle faisait parade dans son trajet du Palais de justice à la place de la Révolution prou-
vent qu’aucun souvenir douloureux ne l’occupait. Cependant, elle était mère, mais elle avait
sacrifié la nature en voulant s’élever au dessus d’elle ; le désir d’être savante la conduisit à
l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours dangereux, finit par la faire périr sur
l’échafaud…. Femmes, voulez-vous être républicaines ? Aimez, suivez et enseignez les lois
qui rappellent vos enfants à l’exercice de leurs droits ; soyez glorieuses des actions éclatantes
qu’ils pourront compter en faveur de la patrie, parce qu’elles témoignent en votre faveur ;
soyez simples dans votre mise, laborieuses dans votre ménage ; ne suivez jamais les assem-
blées populaires avec le désir d’y parler ; mais que votre présence y encourage quelquefois
vos enfants ; alors la patrie vous bénira, parce que vous aurez réellement fait pour elle ce
qu’elle doit attendre de vous.»
Voilà un bel exemple de sexisme, thème cité au programme d’éducation civique de cinquième.

Une étude des manuels proposés aux classes de quatrième permet d’observer à la fois la
prégnance et la répétition des stéréotypes, et quelques tentatives pour prendre en compte les
acquis récents de l’histoire des femmes.
Ainsi, c’est dans un manuel de quatrième techno de Nathan (Histoire, Géographie, éducation
civique, 1994), rédigé par quatre hommes, que j’en ai trouvé la formulation la plus claire - et en
même temps les limites. Une illustration représente «une jeune femme révolutionnaire» (goua-
che de Le Sueur). La légende dit :» les femmes participèrent aux journées révolutionnaires et
fondèrent des clubs pour défendre leurs droits. Mais elles n’obtinrent aucun résultat et Napo-
léon maintint l’autorité maritale dans le Code civil».

Ceci appelle quelques remarques :


- les clubs fondés par les femmes à cette époque n’avaient pas pour but principal de
défendre les « droits des femmes », mais de soutenir la Constitution, la Patrie. Par ailleurs,
des femmes participèrent aux réunions des sociétés populaires. Elles furent nombreuses dans
les tribunes des assemblées, jusqu’à ce que, en mai 1795, lors de débuts de l’insurrection
populaire de prairial, les députés les en chassent à coups de fouet. Seuls quelques esprits
originaux et géniaux (Condorcet, Olympe de Gouges, Lequinio, entre autres) purent s’exoné-

Premières Rencontres - mars 2001 !6


rer du sens commun qui, à cette époque, au nom d’un rousseauisme largement répandu,
assignait les femmes à leurs devoirs de « nature », les écartant de ce fait de l’expression
politique. A Paris, des femmes des milieux populaires participèrent dès 1789 à des journées
politiques, et portèrent des pétitions aux assemblées. Certaines réclamèrent, en 1792, le droit
de porter des armes.
- Il importe de dire que ce sont les révolutionnaires eux mêmes qui, dès 1789, tendirent à
renforcer cette autorité de l’homme sur la femme. L’élimination du roi comme garant supérieur
du pouvoir de punir (lettres de cachet) transféra ce pouvoir au père seul dans la cellule fami-
liale. L’institution momentanée du divorce ne changea pas cette donne fondamentale. En
sacralisant le citoyen, le masculin, la Révolution disqualifiait la femme, citoyenne de seconde
zone.

Évoquer les femmes, dans les limites du programme, c’est très largement le fait des illustra-
tions. Les gouaches de Le Sueur sont d’un grand secours, et les iconographes semblent
retrouver toujours les mêmes. Le même manuel de 4e techno/Nathan, édité en 1996, montre
une des rares représentations paritaires des hommes et des femmes que l’on produise en ce
temps-là : des hommes et des femmes dansent autour d’un arbre de la Liberté, dans une ville
allemande. Il est bien évident que c’est la danse qui entraîne ce rapprochement, ce partage.
La présence des femmes garantit aussi une unanimité populaire. En dehors de cela, on re-
trouve surtout des représentations féminines dans les évocations de la misère ou du luxe,
principalement au temps du Directoire, qui fournissent un prétexte pour évoquer les figures
pittoresques des Incroyables et des Merveilleuses, ces images étant opposées à celles des
distributions de soupe. Les femmes sont au salon ou dans la rue, où elles exercent leurs
métiers le plus souvent. C’est le plus souvent la « marchande de journaux » de Debucourt, qui
illustre la liberté de la presse, alors qu’on aurait pu donner le frontispice de journaux politiques
écrits par des femmes, comme Louise de Keralio par exemple.
L’index du manuel fait apparaître trois noms de femmes sur 62 personnages cités ; les élues
sont Mme Roland, Louise Michel et la reine Victoria. Seule Mme Roland est donc reçue offi-
ciellement comme femme de la Révolution. Ce stéréotype trouve son écho dans le timbre
édité lors du Bicentenaire. Être femme de ministre est un moyen d’accéder au statut de per-
sonne politique.

Le manuel de quatrième d’histoire-géographie édité par Nathan sous la direction de Jacques


Marseille (programmes de 1994), rassemble 14 auteurs, à parité hommes/femmes. Les repré-
sentations féminines y sont très nombreuses dans l’allégorie, mais on y trouve aussi un dos-
sier sur « l’apprentissage de la parole » qui montre à la fois le club des Cordeliers, et la
vignette de Le Sueur représentant « Un club patriotique de femmes ». Cette image a été
largement diffusée lors du Bicentenaire ; elle était le symbole du colloque de trois jours, du 12
au 14 avril 1989, qui réunit à Toulouse 450 chercheurs de tous pays sur le thème « Les
femmes et la Révolution française ». Ses acquis sont encore peu passés dans les manuels
bien que les actes aient été publiés, en trois volumes, voici plus de dix ans.
La double page du même ouvrage consacrée aux « acteurs de la Révolution » confronte les
« grands hommes » (Mirabeau, Desmoulins, Danton, Robespierre) aux sans-culottes, elle et
lui, représentés toujours par Le Sueur. Enfin les femmes apparaissent actrices du mouvement
populaire dans un texte du Journal de Célestin Guittard racontant la journée révolutionnaire
du 25 février 1793. Le tableau de Demachy représentant la Fête de l’Être Suprême peut
encore fournir matière à commentaires fructueux et le Code civil est étudié sous l’angle des
rapports entre époux, des prérogatives paternelles et maritales.

Par contraste, d’autres ouvrages, tels le manuel Hachette de 4e techno, édité en 1998, ne
comprennent pratiquement pas de représentations de femmes réelles, si ce n’est, pour la
société du XVIIIe siècle, un tableau représentant une famille de négociants à Rouen ; la mar-
chande de journaux ; la porte d’un riche. Les allégories foisonnent en revanche. Pour illustrer
la Liberté et les Droits, la statue de la Liberté fait face à Marianne.

"8 Premières Rencontres - mars 2001


Dans la manuel Magnard Histoire Géographie édité la même année, on peut observer des
femmes participant à une journée politique avec une gravure de Boilly « les sans-culottes
envahissent l’Assemblée », le 20 mai 1795. Ce sont en effet des femmes qui ont lancé les
insurrections de Germinal et de Prairial (1-2 avril et 20-23 mai 1795). Après l’échec de Prairial,
elles sont accusées d’avoir joué le rôle de boutefeux, et on leur interdit de s’assembler à plus
de cinq dans la rue. On en voit aussi, à l’opposé, dans « le départ des émigrés ».

Le manuel d’Histoire Géographie de 4e chez Belin reproduit un détail de la gravure conservée


au Musée Carnavalet qui représente les « Femmes de Paris en route pour Versailles » en
demandant : « qu’y a-t-il d’étonnant dans cette scène ? » Des femmes en armes, bien sûr, ce
qui peut appeler un intéressant développement sur l’illégitimité d’une telle conduite, à cette
époque. Porter les armes est constitutif de l’état de citoyen. De nombreuses femmes ont
revendiqué ce droit, sans succès, sous la Révolution. Les rares combattantes qui se trou-
vaient dans l’armée de la République en ont été exclues. Quand au manuel d’éducation civi-
que du même éditeur, de 1991, il affirme sans ambages que le divorce n’est autorisé qu’à
partir du code Napoléon, oubliant l’épisode républicain.

Le manuel Hachette Histoire Géographie de 1998 présente des originalités : Napoléon et la


mère du grenadier, le mariage civil, une représentation des poids et mesures dans laquelle
une femme évoque la présence, ô combien répandue, des femmes dans le commerce. La
fête de l’Être Suprême s’y trouve également, de même qu’un tableau figurant Marat assas-
siné. La légende dit : »il est assassiné le 17 juillet 1793 par une royaliste ». La voilà déperson-
nalisée, pauvre Charlotte, et taxée de royalisme, alors qu’elle était girondine.
C’est pourtant ce manuel, composé par treize auteurs dont une seule femme sous la direction
de Jean-Michel Lambin, maître de conférences à l’IEP de Lille, qui mentionne Olympe de
Gouges en ces termes : « Les femmes de 1789 participent aux événements révolutionnaires.
Pourtant, la Constitution de 1791 ne leur donne aucun droit civique. Olympe de Gouges ré-
dige alors la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne ».

En apothéose de ces manuels de 4e, celui de Bordas qui va jusqu’à reproduire en vignette, p
66, le portrait d’Olympe et mentionne ladite Déclaration. Ce même ouvrage, toutefois, un peu
plus loin, à propos de 1848, parle du suffrage universel (masculin), le masculin étant entre
parenthèses, c’est un progrès. L’essai demande à être transformé : en 1944, il est dit que le
droit de vote est « accordé aux femmes ». Il aurait mieux valu réserver l’appellation de « suf-
frage universel » à 1944, et parler en 1848 de suffrage masculin. Ainsi la sexuation des droits
politiques aurait-elle pu être commentée : depuis 1789, en France, l’universel recouvre abusi-
vement le masculin. En politique, le féminin se voit accorder des droits. Pourquoi ne pas
avouer que ces droits sont conquis ?

En seconde : les fondements du monde contemporain

Les programmes de seconde en vigueur jusqu’à cette année autorisaient, de par le nombre
d’heures accordées à l’enseignement de cette question, davantage de latitude. Les manuels
de seconde reflètent-ils pour autant plus d’ouverture aux questions de genre ?

Il s’agit désormais de « construire une culture et non d’accumuler des connaissances factuel-
les ». Onze à treize heures sont dévolues à « la période révolutionnaire en France ». Après
une étude de la contestation de la monarchie absolue, et du mouvement des Lumières, Le
programme précise à propos des « expériences politiques en France de 1789 à 1815 » : « Il
s’agit, en dégageant les étapes majeures de la période, de proposer un exposé problémati-
que des expériences politiques et institutionnelles qui ont marqué en France la mise en
œuvre de conceptions nouvelles. Et plus tard, sous forme de bilan, on étudiera la « moderni-
sation du continent européen où pénètrent, non sans nuances ni résistances, les nouvelles
conceptions diffusées par la Révolution française ».

Premières Rencontres - mars 2001 "7


C’est bien l’idée de nouveauté, de modernisation qui prévaut. Comment l’histoire des femmes
et du genre peut-elle y trouver sa place ? Elle dérange un peu, en ce que la période apporte
vraiment peu de nouveautés, de modernisation. Entre la condition de certaines privilégiées de
l’Ancien régime, et celle de toutes les femmes de la période post révolutionnaire, on peut
même soutenir qu’il y a une forme de régression politique : le pouvoir de diriger l’État a dis-
paru. La barrière du privé et du public semble solidement fermée.
On pourrait, dans cette perspective, trouver une analyse de l’établissement du divorce, de ses
limites .

La plupart des manuels de seconde permettent peu d’observer des femmes sur le terrain
politique.
Celui qui est dirigé par Jean-Michel Lambin, publié par Hachette en 1993, reproduit le retour
de la foule parisienne de Versailles, le 6 octobre 1789. Il est flanqué du texte fameux de
Chateaubriand stigmatisant ces poissardes et bacchantes, ivres et débraillées. On y trouve
aussi une arrestation de la famille royale à Varennes, qui permet de commenter le rôle de la
reine. Madame Roland est particulièrement bien traitée, par un portrait ainsi légendé : « Intel-
ligente et cultivée, Mme Roland inspire l’action des Girondins qu’elle réunit régulièrement
dans son salon quand le groupe quitte le club des Jacobins en 1792. ». S’y ajoute le texte
signé de Mme Roland, par lequel elle condamne les massacres de septembre. La fête de
l’Être Suprême, Muscadins et Merveilleuses, permettent d’observer d’ autres représentations
des rôles féminins et masculins consacrés par cette période.
Le manuel Lambin de 1996, rédigé cette fois par une équipe exclusivement masculine, n’ac-
corde pas la même place à Mme Roland. La « disette de pain » est opposée aux « Incroya-
bles et Merveilleuses ». Dans un schéma de bas de page consacré à la Constitution de l’an III,
on relève une ambiguïté à propos des citoyens passifs, évalués à un million et définis comme
« hommes et femmes ne payant pas d’impôts », alors qu’il aurait fallu écrire « hommes ne
payant pas d’impôts et toutes les femmes »

Les femmes sont en revanche très rarement représentées dans le manuel de Seconde Belin
1996, dû à une équipe de huit rédacteurs dont deux femmes. Si l’on excepte la sempiternelle
marchande de journaux à propos de « la naissance d’une opinion publique », on ne trouve
que deux occurrences qui les relient à une prise de position politique : un texte de la marquise
de La Rochejaquelein d’une part ; le nom de Charlotte Corday d’autre part, à propos de la
Terreur montagnarde (cette fois, elle est dite « Normande, en liaison avec l’insurrection nor-
mande »). Par ailleurs, on voit des femmes à une audience publique du Directoire, ou bien à
propos de la déchristianisation. Le mariage républicain n’est pas oublié.

Le manuel Magnard de 1996, dû à une escouade de 17 auteurs, reproduit certains de ces


thèmes : marchande de journaux, témoignage d’un témoin de la Fédération qui atteste du
nombre important de femmes présentes ; allégories des Droits de l’homme et de l’égalité,
mais aussi « les femmes parisiennes à l’assemblée », le texte de Mme Roland sur les massa-
cres de septembre, et la plantation de l’arbre de la liberté à Mayence.

Le manuel publié par Belin en 1996, dirigé par Claude Quétel, rassemble 6 auteurs, à parité
hommes/femmes. Les femmes des temps révolutionnaires semblent de passives auxiliaires
dans une gravure qui évoque la Prise de la Bastille. La gouache de Le Sueur qui représente
la plantation d’un arbre de la Liberté permet d’opposer les citoyens hommes vêtus de sombre
aux femmes en robes claires, ceinturées de tricolore. L’inévitable marchande de journaux se
retrouve également, mais deux originalités apparaissent : le tableau représentant Lavoisier et
sa femme, par David ; la pétition des citoyennes blanchisseuses (du 24 février 1793) qui
appelle de nombreux commentaires sur la condition des femmes, leur organisation, leur mode
d’intervention dans la vie publique qui est loin d’être passif, et ce depuis le début de la Révo-
lution. Si les formes adoptées pour manifester ont été au départ très conventionnelles (du

"! Premières Rencontres - mars 2001


type des processions), le contenu a vite changé, montrant chez beaucoup de femmes un
sentiment d’appartenance au « peuple souverain » et des exigences en conséquence.

Terminons ce bref parcours par le manuel de seconde édité chez Bréal en 1996 ; il est dirigé
par une inspectrice, avec trois hommes et quatre femmes.
Les illustrations mettant en scène des femmes sont classiques : les femmes partant pour
Versailles ; la marchande de journaux ; la fête de l’Être Suprême ; Merveilleuses et Incroya-
bles. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen entraîne l’évocation du texte parodi-
que d’Olympe de Gouges, dont est soulignée la postérité en 1948 et 1956 .

Cette revue aura permis d’observer que certains manuels destinés aux classes de quatrième
permettent d’évoquer en partie les acquis récents de la recherche à propos de femmes de la
Révolution. Le renouvellement des programmes de seconde devrait permettre à son tour une
mise à jour bien nécessaire pour faire réfléchir sur la problématique de genre ; les dix années
révolutionnaires expliquent en effet cette « exception française » qui, il y a peu, faisant encore
tellement gloser.

Les nouveaux programmes de seconde

Ils appellent au renouvellement de la réflexion sur ces thèmes, aussi bien dans les program-
mes d’éducation civique juridique et sociale que dans ceux d’histoire.

Dans les recommandations pour l’éducation civique, on appelle à faire réfléchir sur l’évolu-
tion des règles qui guident l’autorité parentale. Il s’agit de droits partagés entre les sexes et
entre les âges.
L’étude peut commencer par rappeler la donne des années révolutionnaires, filles de la phi-
losophie naturaliste : celle-ci établit une subordination de la femme à l’homme. C’est l’idéolo-
gie de la nature qui justifie la domination d’un sexe par l’autre, comme l’universalisme juridi-
que masque la domination de classe. Le droit naturel impose un modèle très hiérarchisé de la
différence des sexes, modèle universel, pour toutes les femmes. Aux distinctions sociales
ménagées par l’Ancien Régime, qui pouvait pour certaines conférer une certaine autonomie,
le nouveau régime égalitaire fait succéder une généralisation, une universalisation de l’inca-
pacité juridique des femmes mariées.. Celle ci est liée à leur fonction sociale, c’est à dire à la
représentation culturelle que les hommes se font de leur sexe biologique.

On trouve l’explicitation de ces conduites sous la plume de juristes qui ont participé à l’élabo-
ration de lois pendant toute la période, et jusqu’au Code civil. Montlozier, en 1803, écrit : »La
femme, les enfants mineurs, les serviteurs n’ont point de propriété car ils sont propriété eux
mêmes : la femme parce qu’elle fait partie de l’homme, les enfants parce qu’ils en sont l’éma-
nation, les serviteurs parce qu’ils sont de simples instruments ».

En revanche, le statut des femmes reçoit quelques aménagements lorsqu’ils vont dans le
sens de principes admis par la Révolution : c’est au nom de la lutte contre les privilèges
nobiliaires et le droit d’aînesse que s’établit l’égalité successorale individuelle, que s’abolit le
privilège masculin dans ce domaine. C’est la lutte contre le despotisme qui fait supprimer la
correction maritale. C’est la laïcité qui permet l’établissement d’un mariage fondé sur l’égalité
des volontés, et de même la rupture de ce libre contrat par le divorce. Le divorce lui même, en
revanche, reste dissymétrique, inégalitaire dans la mesure où la faute d’adultère est sévère-
ment sanctionnée si elle est commise par l’épouse, et non par le mari qui a droit, au contraire,
à la totalité de la communauté et même à une pension viagère. Pour la garde des enfants,
dissymétrie encore : le père conserve dans tous les cas l’autorité paternelle, la mère ne peut
garder avec elle que les filles, et les garçons jusqu’à sept ans. Après quoi, doués de raison, ils
iront vivre avec leur père.

Premières Rencontres - mars 2001 ""


« La période 1789-1804 », écrit Michèle Bordeaux1 , « possède une cohérence juridique dis-
criminatoire profonde, cohérence masquée par des épiphénomènes politiques ou légèrement
troublée par l’intervention de personnalités en avance sur leur temps. Si comme Sédillez le
déplorait devant la Législative « La liberté et l’égalité n’existent pas encore en France pour les
femmes », les grands principes décisifs de la Déclaration des droits constitueront le tremplin
de toutes les revendications politiques et civiles des femmes du XIX et XX° siècles ».

Ainsi peut être renouvelée, aussi, l’étude de la Déclaration des droits. Mais il faut également,
à mon sens, la replacer, ainsi que toutes les années en question, dans le contexte guerrier qui
les a en grande partie guidées. La présence obsédante de la guerre, de l’ennemi extérieur et
intérieur, contribue à raviver la vision complémentaire des rôles sociaux. De nombreuses illus-
trations d’époque permettent d’expliciter cela. La guerre n’est en général pas propice au souf-
fle de la liberté.

Le nouveau programme applicable à compter de l’année 2001-2002, réserve une large part à
la période révolutionnaire : ruptures avec l’Ancien Régime, mise en œuvre des principes
révolutionnaires, héritages conservés, héritages mis en cause. La problématique du genre
telle que nous l’avons explicitée peut donc y trouver sa place, et ce d’autant plus que les
instructions prévoient aussi très explicitement qu’une attention particulière soit accordée à
l’exclusion persistante des femmes de la vie politique. On peut espérer que grâce à ces nou-
velles instructions, on portera une attention plus grande à la terminologie. Qu’on cessera de
confondre suffrage masculin et suffrage universel, par exemple.

Mais il faudrait aussi, dans la description des moments forts et des acteurs de cette période,
que l’on prenne en compte la participation des femmes, en particulier celles des milieux popu-
laires parisiens et autres, selon les lieux d’enseignement, à la vie politique.

Une prise de conscience récente.

Ce nouvel intérêt porté à l’histoire des femmes dans la Révolution procède de plusieurs cou-
rants. Le développement des recherches sur les femmes, depuis une génération, après avoir
trouvé ses porte-parole dans les mouvements féministes, a peu a peu conquis les milieux
universitaires. La période révolutionnaire en elle même a suscité peu de recherches de ce
type pendant longtemps dans la mesure où les patrons de cette recherche, massivement
marxistes, avaient tendance à considérer tout ce qui sentait son féminisme comme entaché
de bourgeoisie. Ils prolongeaient ainsi d’une certaine manière l’antiféminisme jacobin. Mais
l’étude des milieux populaires féminins, par Dominique Godineau par exemple, a fait justice
de ce faux procès.

Cette histoire a bénéficié aussi d’un « effet 89 », des échos du Bicentenaire et des échanges
d’idées
qu’il a provoqué, avec le colloque de Toulouse évoqué plus haut, ainsi qu’ un très grand
nombre de publications. La plupart des auteurs, français ou étrangers, ont alors mis en rap-
port ce qu’on commençait à appeler le « retard français » (la faible représentation des fem-
mes en politique) avec les origines mêmes de la démocratie française : la période révolution-
naire.

Une intense activité militante, qui a occupé les années 1990, s’est consacrée à provoquer une
rupture avec cette tradition. Elle a abouti à la revendication, puis à l’obtention de la parité.
(Obtenue de haute lutte et non pas « octroyée » comme le suggérait une journaliste de France
bleu au lendemain des élections municipales de mars 2001). Cette revendication a provoqué
une vive polémique entre ceux et celles qui se réclament encore de l’universalisme pour
refuser un tel moyen d’égalité et les défenseurs de la parité.

"# Premières Rencontres - mars 2001


C’est ainsi qu’on a fini par prendre en compte une dimension longtemps niée de
l’Histoire : la participation des deux sexes à son élaboration, selon des modèles qui évo-
luent avec le temps. Il s’agit bien là d’ un saut épistémologique.

Puisse-t-il être mis en œuvre par les nouveaux manuels avec discernement, et concourir à la
formation de citoyennes et de citoyens plus maîtres de leurs choix. Ce qui est une des fonc-
tions de l’histoire, tout comme de l’éducation civique, juridique et sociale.

BIBLIOGRAPHIE

BLANC Olivier, Olympe de Gouges, une femme de libertés, Paris, Syros/Alternatives,1989.

BRIVE, Marie-France, dir., Les Femmes et la Révolution française ,


tome 1, Modes d’action et d’expression, nouveaux droits, nouveaux devoirs,
tome 2, L’Individuel et le social, apparitions et représentations,
tome 3, L’Effet 89, 1991, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1989, 1990,1991.

DUHET, Paule-Marie, éd., Cahiers de doléances des femmes en 1789 et autres textes, Paris,
Des Femmes, 1981.

FRAISSE Geneviève, Muse de la Raison, la démocratie exclusive et la différence des sexes,


Paris, Folio , 1995.

GODINEAU Dominique, Les Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant
la Révolution française, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988.

HUNT Lynn, Le Roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995.

MARAND-FOUQUET Catherine , La Femme au temps de la Révolution française, Paris, Stock,


1989.

PELLEGRIN Nicole, Les Vêtements de la Liberté, abécédaire des pratiques vestimentaires


françaises de 1780 à 1800, Aix-en-Provence, Alinéa, 1989.

VEAUVY Christiane, PISANO Laura, -Nation Paroles oubliées. Les femmes et la construction
de l’Etat-nation en France et en Italie, 1789-1860, Roma, Editori Rumiti, 1994, Paris, Armand-
Colin,1997.

VIENNOT Eliane (dir.), La Démocratie «à la française», ou les femmes indésirables, Paris,


CEDREF, Publications de l’Université Paris 7- Denis Diderot, 1996.

1
«L’universalisme juridique et l’impasse de l’égalité», dans Les Femmes et la Révolution française, tome ,1, pp. 427-440.

Premières Rencontres - mars 2001 "$


deuxième partie
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"% Premières Rencontres - mars 2001


JUSTE DEPLACER NOTRE REGARD

Dès lors que la conviction s’impose que “ l’histoire enseignée sans les femmes est impossi-
ble ” comme le dit Annie Rouquier dans son texte d’introduction, et cela en raison même de la
prise en compte des finalités de notre enseignement, il faut alors chercher ensemble les
pistes et les moyens de surmonter les obstacles qui s’offrent à nous. Comment, avec quel
bagage et quels supports pouvons nous répondre à cette préoccupation ? Le travail en ate-
lier, organisé autour de quelques grandes périodes de l’histoire, vise à fournir ces premières
pistes.

1) On peut faire avec les programmes

Un survol rapide des têtes de chapitre permet de constater la part belle à une histoire portée
sur “ les évènements ” liés aux pouvoirs, aux guerres … avec bien peu de femmes et peu
d’histoire sociale… où les femmes pourraient être plus présentes.

Devant cet état de fait, deux bonnes raisons s’offrent à nous pour ne pas faire l’effort de
donner une place aux femmes dans notre enseignement de l’histoire :
- Le programme est ce qu’il est et il ne laisse pas de place aux femmes. On peut le regretter
mais il faut faire avec : c’est le programme
- “il faut tout changer si on veut que les femmes apparaissent dans l’histoire sinon on ne s’en
sort plus, on n’a pas assez de temps déjà pour tout faire… ! ”

Si nous voulons donc la présence des femmes dans nos leçons, il nous faut dépasser ces
réactions. La question dans l’immédiat est bien : “ comment faire avec ces programmes ? ”
sans en attendre de nouveaux et sans reléguer les femmes dans une ou deux séances spé-
cifiques dans l’année. Il devient alors intéressant et nécessaire de lister quelques entrées
possibles pour faire de l’Histoire mixte… en respectant le programme et dans l’horaire recom-
mandé.

2) On peut faire avec le silence des manuels

Le point fait dans les différents ateliers constate largement l’absence ou la très faible visibilité
des femmes dans les manuels. Quelle qu’en soit la raison (méconnaissance de la recherche
dans ce domaine, lecture des programmes, conception habituelle des manuels, …) le fait est
là. Or les manuels sont un support important de notre travail dans nos préparations et le
support principal du travail que nous proposons à nos élèves.

On peut (on doit) faire avec les manuels mais comment dans ce contexte ? Il y a au moins
deux stratégies possibles :
- s’interroger sur la rareté et ainsi rendre visible (expliquer pourquoi les absences)
- s’interroger sur les “ images de femmes ” proposées et donc les utiliser, par exemple pour le
XIXe siècle, en montrant le contraste entre cette “ présence ” et l’absence des femmes dans
les lieux de pouvoir.

Cela dit, là comme ailleurs, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous contenter des
manuels comme base de nos leçons ; on peut, on doit, apporter autre chose que les ma-
nuels :
- des supports de travail où les femmes sont visibles (images, textes…). Ce n’est peut-être
pas toujours possible, mais quand on peut le faire, il faut le faire.
- les connaissances nécessaires

Premières Rencontres - mars 2001 "&


3) Car les professeurs sont les metteurs en scène des savoirs

Donner une place aux femmes dans notre enseignement nous conduit donc à dépasser les
silences des programmes et des manuels et à user de notre liberté pédagogique ainsi que de
notre formation scientifique.

L’enseignant est le seul metteur en scène des savoirs à transmettre ; il doit respecter le pro-
gramme et il peut s’aider des manuels mais aussi il doit utiliser sa marge d’autonomie afin de
changer, non pas nos façons d’enseigner, mais notre regard… et celui des élèves.

Alors quels espaces de liberté ? Quelles stratégies ? Quels moyens avons-nous ?

Les ateliers ont commencé à répondre à ces questions en faisant émerger la liste des quel-
ques entrées possibles dans le programme pour faire de l’Histoire mixte, les éventuels problè-
mes rencontrés, les pistes possibles, des propositions de démarches et quelques supports
documentaires.

Pour conclure cette présentation, deux expressions tirées du texte de présentation de l’atelier
XIXème siècle permettent de saisir l’état d’esprit nécessaire et suffisant si l’on veut donner la
place qui revient aux femmes dans notre enseignement :
“ Il suffit d’avoir un regard qui s’efforce d’englober une large réalité ”
“ Il suffit juste de déplacer un peu son regard ”

"' Premières Rencontres - mars 2001


ATELIER ANTIQUITE-MOYEN AGE
animation :
- Gérald Attali, collège Jean Moulin - Salon
- Emmanuelle Tricoire, lycée Saint-Exupéry - Marseille

Montrer la femme non plus comme victime ou héroïne mais dans le quotidien

Décalage entre la déesse et la femme mortelle

Trouver des personnages positifs

Montrer l’évolution de l’image de la femme au Moyen âge : de la diabolisation (discours des


clercs) à une image positive

Privilégier pour le moyen âge l’image plutôt que le texte généralement anti-féminin

Premières Rencontres - mars 2001 "6


La visibilité des femmes dans l’histoire enseignée, période antique :
des femmes dans leur diversité, pour poser questions

Cet article est une base de travail dont nous disposions, dans l’atelier concernant l’Antiquité et
le Moyen Âge. Nos débats et nos réflexions ont en effet été nourries par des recherches
préalables :

Chercher les femmes…


Un parcours des manuels révèle la pauvreté de l’évocation des femmes, à travers les docu-
ments proposés, qu’ils soient iconographiques ou textuels, et à travers les cours proposés.
Les éditions 2000 semblent s’améliorer de ce point de vue. Est-il possible que ce soit unique-
ment le reflet des sources ?
… et trouver les déesses.
Lorsque l’on recherche des documents iconographiques concernant la féminité, on se trouve
face à un décalage intéressant : la présence des déesses contraste avec l’absence des fem-
mes.
Déesses grecques assises à un banquet avec les dieux masculins sur la frise des Panathé-
nées, libres dans leur attitude, déesses nues dans l’antiquité égyptienne, grecque, romaine,
statuettes multiples de déesses (ou des poupées ? on se pose la question par exemple pour
les statuettes des Cyclades (1 )… contrastent avec les quelques représentations de femmes
dans leur quotidien, rarement en compagnie des hommes, toujours dans des postures sages
et soignées, rarement dans leur nudité (les pornai grecques ou les prostituées sur les fres-
ques du lupanar de Pompéi ? ). Pour ce dernier point il ne faut peut-être pas sous-estimer la
timidité, voire la censure dans des manuels destinés à des adolescents.
La perception des femmes doit donc être différenciée de celle de la féminité. Il serait par
ailleurs intéressant d’étudier le phénomène symétrique masculin : les divinités masculines
reflètent-elles la perception de la masculinité, de la divinité, ou celle des hommes ?
Sans retenir une démarche chronologique, nous avons dégagé ici quelques thèmes récur-
rents dans la vaste période antique, en retenant quelques documents, notamment des textes
sur la Grèce qui semblaient pertinents, pouvant être à la fois évocateurs et utiles à l’enseigne-
ment. Des extraits plus larges de ces textes figurent sur le site de l’académie2 .

1.Les femmes et la religion.


divinités féminines : Héra – Grèce antique.
La lecture d’un article de Nicole Loraux (3 ) inspire quelques réflexions sur la façon d’aborder
l’enseignement de la divinité. Elle approfondit l’exemple Héra et montre combien une déesse
a un parcours particulier : il est important, nous rappelle Nicole Loraux, de souligner qu’Héra
est protectrice du mariage; ensuite qu’elle est par ailleurs une mère et une épouse qui n’a rien
de modèle : elle est acariâtre, réputée pour ses disputes avec un mari volage, et porte un
intérêt incertain à sa progéniture.
Autre exemple: à Stymphale, Héra est vénérée dans trois sanctuaires, dédiés à la « très jeune
fille » (Pais), à la femme « accomplie » (Teleia) puis à la veuve ( Khéra). Or ceux-ci ne corres-
pondent en rien aux « trois âges de la femme », mais plutôt à trois épisodes particuliers de
l’histoire d’Héra, le dernier étant celui qui a suivi une forte dispute avec Zeus, lorsqu’elle se
retire à Stymphale.
Héra est une déesse qui a un parcours singulier, et n’est pas représentative de « la » femme
ou de « la » déesse. En effet, lorsque nous abordons une divinité avec les élèves, les attributs
de celles-ci sont pour eux des figures… des stéréotypes. Or les attributs peuvent être, dans
une approche rapide donc superficielle et sexuée : « Héra est la déesse du foyer, du mariage
».
Là encore, privilégier les études de cas semble intéressant, plutôt que de faire une étude des
divinités pour elles mêmes et de parcourir leurs attributs, ce qui donne l’impression d’une
religion dissociée du reste de la vie, et d’archétypes ancrés dans les mentalités. Or la divinité

#8 Premières Rencontres - mars 2001


faisait partie des actes quotidiens et ce domaine était d’une grande complexité. Il paraît impor-
tant d’éviter de présenter des archétypes, qu’ils soient féminins ou masculins.

femmes en religion : figures et femmes du commun.


Femmes du commun :
- Les femmes dans les instructions divines – Hébreux.
Le texte des dix commandements semble un document exploitable car, outre le fait que c’est
un extrait de la Bible, il évoque une morale, dont les premiers fondements sont le mono-
théisme : c’est la Torah, les instructions qui régissent les rapports entre les hommes et les
dieux, et entre eux. C’est un texte qui répond à la question des sociétés : comment faire pour
vivre ensemble.
Quelques remarques sur ce texte :
- La mère est honorée comme le père.
les femmes sont citées au milieu de l’énumération des biens et des servants : l’examen de la
forme grammaticale, dans le texte d’origine, des commandements concernés permettrait sans
doute d’autres remarques.
- A qui s’adressent les dix commandements ? aux hommes seuls. De même la pratique de la
circoncision reconnaît les hommes seuls comme portant le signe de l’appartenance à Israël.
Cependant, remarquons que le judaïsme se transmet par la mère. Après avoir demandé aux
élèves de souligner dans ce texte les mots évoquant les femmes, on peut aborder une ré-
flexion sur le statut des femmes dans cette société.

- fêtes religieuses à Athènes – Athènes classique (Ve-IVe siècle)


Pour le programme de 6e comme pour le programme de seconde, qui permet d’aborder « l’exa-
men des assises sociales » de la démocratie et « de ses manifestations religieuses, culturel-
les et artistiques », le rôle des femmes, non-citoyennes, dans la cité, paraît important à définir.
Il permet de faire comprendre aux élèves que la participation à la cité, cet ensemble de per-
sonnes, ne se limite pas simplement aux citoyens, mais qu’il existe de nombreuses formes de
participation autres que directement « politiques » (au sens actuel du terme, déconnecté des
« réalités religieuses de cette époque, donc d’une conception du monde) : cette notion nuan-
cée est très visible chez les femmes de citoyens.
Les femmes participent à la cité d’Athènes, bien qu’elles ne soient pas citoyennes : c’est un
paradoxe complexe. Cette participation par le biais de la religion n’est pas négligeable : en
voici quelques exemples.
Les Thesmophories sont strictement réservées aux femmes de citoyen : cette fête, qui célè-
bre la fertilité, consacre les femmes dans le strict rôle que leur donne la cité : épouse et mère.
Ce n’est pourtant pas insignifiant : la participation aux Panathénées peut servir de preuve
qu’on est l’épouse légitime d’un citoyen. À l’inverse, les Adonies sont un culte réservé aux
femmes, mais dans un rôle plus marginal. C’est un culte lié à la séduction, à la mort et la
résurrection. Il est célébré en privé, et rassemble surtout les courtisanes ou les concubines,
sans se limiter à celles-ci : ce n’est pas une fête civique. Les Bacchanales rassemblent les
femmes pour célébrer le culte de Dionysos. C’est un culte marginal, qui laisse libre cours aux
débordements. Dans les Bacchantes d’Euripide, une mère en transe disloque son propre fils
de ses mains… les Ergastines, filles de bonne famille athéniennes, tissent le peplos (tissus)
d’Athéna et assistent à sa remise lors de fêtes des Panathénées, comme on peut le remar-
quer sur la frise des Panathénées.
On pourrait citer bien d’autres exemples de femmes participant au culte : concluons simple-
ment sur l’importance, la multiplicité et surtout la diversité de ces cultes, qui nous donnent un
aperçu de la diversité des femmes dans la cité.

- Les femmes, dans « le deuxième cercle » de la cité – Grèce classique.


Les femmes ne sont donc pas absentes de la cité, même si elles ne sont pas citoyennes.
Raoul Lonis (4 ), qui évoque les femmes comme « le deuxième cercle » dans la cité, cite un
texte qui montre l’importance du statut de femme de citoyen :

Premières Rencontres - mars 2001 #7


Voilà donc la femme, publiquement reconnue comme étrangère, pour laquelle Stéphanos
a osé faire un constat d’adultère ; or le couple … ne s’est pas contenté de la faire passer
pour Athénienne. Ils avaient remarqué Théogénès, …que le sort avait désigné pour
[archonte-] roi : c’était un homme de naissance noble, mais pauvre et sans expérience.
Stéphanos… l’aida de son argent au moment où il entrait en charge ; il s’insinua auprès
de lui…. Puis il lui fait épouser cette créature, la fille de Néaira, qu’il lui donne… comme
étant sa propre fille : voilà jusqu’où est allé son mépris des lois et de vous-mêmes. Cette
femme a donc célébré les sacrifices secrets au nom de la cité. Elle a vu ce qu’elle n’avait
pas le droit de voir, étant étrangère… Elle a reçu le serment des prêtresses qui assistent
la reine… Elle a accompli, au nom de la cité, les rites… sacro-saints et mystérieux. Et ce
qui ne peut même pas être entendu de tous, comment la première venue pourrait-elle
l’accomplir sans sacrilège, à plus forte raison une femme comme celle-là, et qui a mené
la vie que vous savez ?

Pseudo-Démosthène, Contre Néaira, 72-73 (traduction CUF)

Le scandale que provoque l’usurpation d’un sacerdoce féminin réservé aux femmes de ci-
toyens, montre l’influence que peut avoir cette position. Ce scandale est amplifié par le fait
que la femme du basileus, qui doit être épousée vierge, est ici une prostituée. Même si ce
texte est un réquisitoire, qui outre le trait, on peut penser que l’argument était entendu de
l’auditoire : la charge de ce sacerdoce avait sans doute une certaine importance, même sym-
bolique ou sociale, vis à vis de l’ensemble des Athéniens.
Remarquons que la fonction est donnée à cette femme par son mariage. Il existe d’autre part
beaucoup de prêtrises féminines à Athènes, même si toutes les femmes n’en tirent pas un
poids social, et que ce n’est pas un signe d’émancipation.
Ce texte nous laisse mesurer l’importance des femmes de citoyens, liée à la religion et au
mariage, par rapport aux esclaves ou aux étrangères : il rappelle qu’il faut faire une distinction
parmi ces statuts, et non pas évoquer « les femmes », ce qui ne formait sans doute pas un
tout à Athènes. Aristophane n’évoque personne d’autre que les femmes de citoyen lorsqu’il
met en scène Lysistrata et ses compagnes (5 ) refusant leur lit à leur mari (donc une fécondité
possible ?) tant que la guerre durera, ou qu’il crée la farce d’une « Assemblée des femmes »,
une assemblée de citoyennes.

- autour de Jésus – débuts du christianisme.


Le personnage de Jésus rencontre de nombreuses femmes, ce qui interdit de penser qu’elles
étaient traitées comme le suggèrent certains textes très violents de la Bible.
D’après les Evangiles, ce sont des femmes qui découvrent le tombeau vide : Marie de Mag-
dala, la première à avoir vu Jésus-Christ ressuscité, colporte la nouvelle mais « on ne la crut
pas. » (Marc,16, 9-11), « ces paroles semblèrent du radotage » (Luc, 24, 11). Par contre, dans
la version de Jean, les femmes viennent prévenir les apôtres et ceux-ci viennent immédiate-
ment voir (20, 1-3) pour constater que ce qu’elle dit est vrai, apportant donc un plus grand
crédit à ses paroles. Si ce sont des femmes qui découvrent le tombeau vide (Marie de Mag-
dala), les disciples sont tous masculins. Ces femmes sont donc les premières à transmettre
« la bonne parole ». Ces textes peuvent être un point de départ pour un travail sur le rôle des
femmes dans la diffusion du christianisme.

figures féminines.
- des martyres chrétiennes – IIIe – IVe siècle.
Notons le personnage de Blandine, qui est une esclave, et surtout le témoignage saisissant
de Perpétue, donné en « paroles de femmes » pour clore le volume consacré à l’antiquité de
l’Histoire des femmes (6 ).

- Eve, ou le début de l’ambiguïté – Hébreux.

#! Premières Rencontres - mars 2001


Gn 1:27- Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme
il les créa. Gn 1:28- Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la
terre et soumettez-la

Gn 2:22- Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et
l’amena à l’homme. Gn 2:23- Alors celui-ci s’écria : Pour le coup, c’est l’os de mes os et
la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci
! Gn 2:24- C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et
ils deviennent une seule chair. Gn 2:25- Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme,
et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre.

Ces textes présentent deux visions théologiques différentes, concernant la création de la


femme : une femme créée avec l’homme, comme lui à l’image de Dieu ; et une femme créée
à partir du côté de l’homme. Le texte insiste d’ailleurs suffisamment sur cet aspect.
On peut faire travailler les élèves sur cette contradiction au sein de la Bible, ce qui permet en
même temps de montrer qu’elle contient des textes d’une grande diversité. L’objectif essentiel
sera de travailler sur la diversité des courants de pensées concernant les femmes.
Cela peut amorcer une réflexion, intéressante en 6e (car les religions sont un des points-clés
du programme) sur le rapport entre les sociétés et leur religion, qui ne descend pas du ciel
mais qui au contraire reflète les mentalités.

Gn 3:1- Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu
avait faits. Il dit à la femme : Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres
du jardin ? Gn 3:2- La femme répondit au serpent : Nous pouvons manger du fruit des
arbres du jardin. Gn 3:3- Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit :
Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort. Gn 3:4- Le ser-
pent répliqua à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Gn 3:5- Mais Dieu sait
que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux,
qui connaissent le bien et le mal. Gn 3:6- La femme vit que l’arbre était bon à manger et
séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit
de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea.

On remarque la nature ambiguë de « la femme » : elle induit en faute et en même temps elle
apporte le discernement.
Mettre ces textes de la Genèse en parallèle avec le texte des dix commandements montre
leur contradiction : le rôle limité des femmes d’après les dix commandements, qui s’adressent
uniquement aux hommes et où elle est citée parmi les biens et les servants des hommes…
peut être mis en parallèle avec l’origine divine de la « première femme » et son importance
centrale dans le processus d’accès au discernement (et à la faute), que l’on trouve dans le
texte de la Genèse.

2. femmes et foyers.
Le foyer : prison ou royaume ?
Médée, ou le sort des femmes – Athènes, fin du Ve siècle.
Euripide, le dernier des Tragiques athéniens, présente Médée au printemps 431. Ce discours
sur les femmes semble émaner d’un courant de pensée novateur. N’oublions pas que le texte
est écrit par un homme, que les personnages féminins dans la tragédie sont joués par des
hommes. Pourtant, comme pour la comédie, les femmes font partie du public. En cette fin de
Ve siècle, il apparaît qu’un courant de pensée s’interroge sur la « condition féminine ».

De tout ce qui respire et qui a conscience


il n’est rien qui soit plus à plaindre que nous, les femmes.
D’abord nous devons faire enchère
et nous acheter un mari, qui sera maître de notre corps, …
Se séparer de son mari, c’est se déshonorer,

Premières Rencontres - mars 2001 #"


et le refuser est interdit aux femmes.
Entrant dans un monde inconnu, dans de nouvelles lois, …
une fille doit deviner l’art d’en user avec son compagnon de lit.
Si elle y parvient à grand’peine,
s’il accepte la vie commune en portant de bon cœur le joug avec elle,
elle vivra digne d’envie. Sinon, la mort est préférable.
Car un homme, quand son foyer lui donne la nausée,
n’a qu’à s’en aller, pour dissiper son ennui,
vers un ami ou quelqu’un de son âge.
Nous ne pouvons tourner les yeux que vers un être unique.
Et puis l’on dit que nous menons dans nos maisons
une vie sans danger, tandis qu’eux vont se battre !
Mauvaise raison : j’aimerais mieux monter trois fois en ligne
que de mettre au monde un seul enfant !
Médée, 230-251, édition de La Pléiade, présenté et traduit par Marie Delcourt-Curvers, édi-
tion 1991.

Des femmes maîtresses de maison (despoina) – Athènes, IVe siècle.


L’Économique est un dialogue socratique où Xénophon, au début du IVe siècle, fait décrire à
Ischomaque, Athénien sage et aisé, l’art de gérer une épouse. Il reproche à ses beaux-pa-
rents de lui avoir donné une éducation ne la rendant pas capable de gérer le foyer. En toile de
fond, un débat sur le rôle que pouvaient tenir les femmes dans la vie quotidienne. Ischomaque
rapporte des conversations échangées avec sa jeune femme, au cours desquelles il la forme
à remplir les importantes fonctions qui lui reviennent. Remarquons un passage figurant dans
de nombreux manuels et cité dans les textes concernant les femmes réunis sur le site, qui
évoque les limites données à « la » femme, suivi d’un autre qui fait apparaître le rôle prépon-
dérant des femmes dans la maison. (Xénophon - L’Économique VII, 22, 24, 25, 26, 30, 35)
Il convient de ne pas sous-estimer la fonction des femmes dans l’oikos, qui est comparée à
une royauté, puisqu’elle dirige le personnel, tient les cordons de la bourse. C’est une véritable
gestionnaire. Nous reverrons l’importance de ce rôle, à une époque plus ancienne, avec Pé-
nélope.

des femmes piliers du foyer – époque romaine.


De très nombreuses stèles romaines représentent des familles ayant réussi, montrant leur
citoyenneté et leur réussite économique et sociale. Les femmes y figurent à côté de leurs
époux, sans que rien ne permette de les placer à l’arrière-plan dans ce processus de réussite.

Figure : Pénélope – monde homérique.


Le manuel de 6e édité par Bordas (2000) montre en page 65 un vase attique représentant
Pénélope et Ulysse : celle-ci est recroquevillée sur elle-même : Ulysse, déguisé en mendiant,
se tient devant elle qui ne le reconnaît point. Au dessus du couple, le fameux tissu que
l’épouse trame le jour et détisse la nuit, montrant en cela dans une activité proprement fémi-
nine la ruse (métis) que son mari fait aussi jouer dans les situations d’adversité. Nous avons
ici une représentation de Pénélope qui correspond à l’image que l’on s’en fait. Mais qui est
Pénélope ?
Le début du Livre XXI de l’Odyssée comporte un texte court et qui peut être exploité pour
aborder le rôle des femmes dans l’oikos, dans la maison à gérer :

Par le haut escalier, la sage Pénélope descendit de sa chambre. Sa forte main tenait la
belle clef de bronze à la courbe savante, à la poignée d’ivoire. Avec ses chambrières,
elle alla tout au fond du trésor où le maître déposait ses joyaux avec son or, son bronze
et ses fers travaillés ; là se trouvaient aussi l’arc à brusque détente et le carquois de
flèches, tout rempli de ces traits, d’où viendraient tant de pleurs.
Pénélope étendit la main et décrocha l’arc avec le fourreau brillant qui l’entourait. Puis,
s’asseyant et les prenant sur ses genoux et pleurant à grands cris, la reine dégaina du

## Premières Rencontres - mars 2001


fourreau l’arc du maître, et son coeur se reput de pleurs et de sanglots. Enfin, dans la
grand-salle, elle revint auprès des nobles prétendants, ayant dans une main l’arc à
brusque détente, dans l’autre le carquois... Elle apparut alors devant les prétendants…,
et, debout au montant de l’épaisse embrasure, ramenant sur ses joues ses voiles écla-
tants, elle prit aussitôt la parole et leur dit :
« Ecoutez, prétendants fougueux, qui chaque jour fondez sur ce logis pour y manger et
boire les vivres d’un héros parti depuis longtemps ! Vous n’avez pu trouver d’autre
excuse à vos actes que votre ambition de me prendre pour femme ! eh bien ! ô préten-
dants, voici pour vous l’épreuve : oui ! voici le grand arc de mon divin Ulysse : s’il est ici
quelqu’un dont les mains, sans effort, puissent tendre la corde et, dans les douze ha-
ches, envoyer une flèche, c’est lui que je suivrai, quittant cette maison, ce toit de ma
jeunesse, si beau, si bien fourni ! que je crois ne jamais oublier, même en songe ! »

A travers l’exemple de Pénélope, apparaît la responsabilité importante de l’épouse grecque


dans le foyer : la lourde clé travaillée de Pénélope en est le symbole, elle protège l’oikos.
Nous voyons avec un autre regard les représentations de femmes devant un coffre que les
manuels proposent au sujet de l’Athènes classique. C’est par amour conjugal mais aussi pour
assumer sa responsabilité d’épouse maîtresse de maison, que Pénélope retient son second
mariage. Belle, sage et rusée autant qu’Ulysse, avec lequel elle partage la même mètis, c’est
une « épouse modèle » par ses sentiments mais également par sa résistance à l’adversité,
qui l’aide à remplir son rôle d’épouse. Les prétendants admirent sa beauté et la désirent, mais
surtout ils grignotent des biens d’Ulysse ce qu’ils peuvent, en espérant les obtenir entièrement
par sa main. Le rôle de Pénélope, qu’elle sait tenir admirablement, est d’attendre que son fils
Télémaque ait atteint l’âge adulte pour pouvoir lui transmettre l’iokos.
Un autre document, qui évoque la situation juridique des femmes dans le mariage, nous
donne une clé pour comprendre la position de Pénélope : dans un dessin reproduisant une
peinture sur céramique, renommé « d’une porte à l’autre »7 , une femme est représentée al-
lant de l’oikos de son père à celui de son mari. Escortée par six hommes, femmes et divinités
qui jalonnent son parcours, elle est tenue par la main. De ce dessin lisible aussi facilement
qu’une bande dessinée, les élèves peuvent saisir la situation d’éternelle mineure des femmes
dans la famille : sous le tutorat de leur père, elles passent ensuite à celui de leur mari.
Nous comprenons plus facilement que Pénélope, qui refuse de concevoir la mort d’Ulysse,
n’ait en outre aucune hâte à tomber dans la dépendance d’un autre mari, mais que, faisant
durer cette situation d’ambiguïté (si la mort d’Ulysse est reconnue, elle devra retourner chez
son père afin qu’il la remarie), elle ne choisisse aucun prétendant, attendant le retour d’Ulysse
ou la majorité de Télémaque.

Femmes hors du foyer.


les femmes « aux cuisses nues » - Sparte, VIe-Ve siècles.
Une statuette de bronze datant du VIe siècle avant JC représente une femme spartiate spor-
tive, « aux cuisses nues », telle qu’elle pouvait scandaliser les Athéniens. Elle est en position
active, un sein découvert, vêtue d’une tunique très courte qu’elle relève pour libérer ses mou-
vements. Elle est coiffée soigneusement, et regarde vers l’arrière. L’ensemble donne une
impression de grâce athlétique et de grande liberté.
« Ce qui faisait l’originalité de Sparte, c’est la place qu’y tenaient les femmes. Les jeunes
filles étaient entraînées parallèlement aux garçons aux sports de plein air, pour des raisons
d’eugénisme et parce que l’on avait le sentiment qu’elles devaient pouvoir participer aux com-
bats pour défendre la ville, si nécessaire. Cela explique le grand nombre de représentations
de sportives dans l’art des bronziers du Péloponnèse. Le fait qu’elles fussent ainsi court-
vêtues était évidemment un sujet de scandale pour les autres Grecs qui suspectaient leur
vertu. » 8

La femme adultère – débuts du christianisme.

Premières Rencontres - mars 2001 #$


Les scribes et les pharisiens amenèrent alors une femme qu’on avait surprise en adul-
tère et ils la placèrent au milieu du groupe. « Maître, lui dirent-ils, cette femme a été
prise en flagrant délit d’adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces fem-
mes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? » Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège,
pour avoir de quoi l’accuser… Il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui n’a
jamais péché lui jette la première pierre. » Après avoir entendu ces paroles, ils se retirè-
rent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul.
Evangile de Jean, 8, 1-11, traduction œcuménique de la Bible.

Le péché féminin est placé sur le même plan que le péché masculin. Cela heurte les repré-
sentants de la tradition. Pourtant, le geste de Jésus ne rencontre pas de résistance. Le ma-
nuel dans lequel il est présenté rappelle que ce récit a failli disparaître des Evangiles, et que
les commentaires donnent une grande importance à la dernière intervention de Jésus.

femmes aristocrates - Pompéi – Ier siècle


Une fresque de la villa des Mystères montre plusieurs femmes : une aristocrate, sans doute la
maîtresse de maison, une préceptrice, et une enfant qui fait l’objet de tous leurs soins. Les
fresques de cette villa ont une dimension religieuse et mystique qui nous échappe en grande
partie. La présentation de femmes entre elles peut avoir une dimension esthétique. Elles
apparaissent en outre souvent dans les initiations aux mystères religieux. Enfin, si l’on en fait
une lecture sociologique, avec toutes les précautions, cette image ne nous laisse a priori
guère penser que les femmes se consacraient exclusivement au foyer.

3.Femmes et pouvoirs, femmes et savoirs.


Femmes dans la guerre.
Un mot aux femmes dans la guerre – Athènes, début du Ve siècle.
Thucydide (vers 470 – 400 environ) est l’historien de la guerre du Péloponnèse, entre 431 et
404. Il relate de nombreux discours dans son œuvre. A la fin de la première année de la
guerre, le stratège Périclès lors de son oraison funèbre destine ce court passage à la moitié
de la population de la cité.

Enfin, s’il me faut, d’un mot, évoquer aussi des mérites féminins, pour celles qui vont
maintenant vivre dans le veuvage, j’exprimerai tout avec un bref conseil : si vous ne
manquez pas à ce qui est votre nature, ce sera pour vous une grande gloire ; et de
même pour celles dont les mérites ou les torts feront le moins parler d’elles parmi les
hommes.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 45, 2, traduction de J. de Romilly, R.
Laffont, 1990.

femmes de guerre – Grèce, début du Ve siècle.


Il est édifiant de parcourir Hérodote qui évoque de nombreuses femmes. A commencer par la
reine d’Halicarnasse (en Asie Mineure), sa propre cité, dont il est un admirateur. Voici des
extraits du récit que fait Hérodote de la bataille de Salamine, dans lequel Hérodote évoque les
Athéniens comme une cité particulièrement misogyne :

7.99. « … Artémise... apporta cinq navires à Xerxès. De tous les vaisseaux de la flotte,
les siens… furent les plus appréciés ; et, de tous les alliés du roi, c’est elle qui lui donna
les meilleurs avis. » … 8.87. « … au moment où les forces du roi se trouvèrent en pleine
confusion, le vaisseau d’Artémise fut pris en chasse par un navire d’Athènes ; elle ne
pouvait pas lui échapper... elle se jeta sur un allié… et le coula… le commandant de la
trière d’Athènes crut, en la voyant attaquer un navire des Barbares, que son vaisseau
appartenait à la flotte des Grecs ou bien qu’il venait combattre de leur côté, et il l’aban-
donna pour un autre adversaire. 88. … Xerxès, qui observait la bataille, remarqua… ce
navire qui en attaquait un autre… il supposait que le navire coulé appartenait aux enne-
mis… « Je vois que les hommes sont aujourd’hui devenus des femmes, et les femmes,

#% Premières Rencontres - mars 2001


des hommes. » Voilà, dit-on, le mot que prononça Xerxès. » … 93… Il y avait dix mille
drachmes de récompense pour qui la prendrait vivante : les Athéniens trouvaient inad-
missibles qu’une femme osât faire la guerre à leur cité… Artémise leur échappa. »

femmes politiques –Méditerranée, fin du VIe siècle.


Toujours au fil d’Hérodote : à Cyrène, une cité qui se situe en Libye, sur le littoral sud de la mer
Méditerranée, des pouvoirs ont été donnés des rois au peuple, vers 512 :

4, 162. Arcésilas, fils de Phérétimé, revendiqua les droits qu’avaient eu ses ancêtres. Sa
révolte échoua, et ils se réfugièrent lui à Samos, et sa mère à Salamis dans l’île de
Chypre. A cette époque Salamis avait pour maître Euelthon. Phérétimé, arrivée chez lui,
le priait sans cesse de lui donner une armée pour les rétablir à Cyrène, son fils et elle ;
mais Euelthon voulait bien lui donner n’importe quel cadeau, sauf celui-là. En recevant
ses présents, Phérétimé déclarait que la chose était belle, mais qu’il serait encore plus
beau de lui donner l’armée qu’elle réclamait. Euelthon finit pas lui envoyer un fuseau
d’or et une quenouille qui était même chargée de laine, et il lui déclara que ces cadeaux
convenaient à une femme mieux qu’une armée. … Arcésilas revient à Cyrène et reprend
le pouvoir ; puis il s’exile dans la cité de Barcé, où il se fera tuer. 165. Aussi longtemps
qu’il vécu à Barcé… sa mère Phrérétimé occupa dans Cyrène la place de sont fils ; elle
dirigeait la ville et siégeait au sénat. Quand elle apprit la mort de sont fils à Barcé, elle
alla se réfugier en Egypte.
Etant allée demander du secours aux Perses, alors en Egypte, et ayant pris la ville de
Barcé, elle se conduit de la façon la plus cruelle envers les vaincus.
d’après Hérodote, Histoires, édition d’Andrée Barguet, Folio, 1964.

Ce texte montre entre autres choses les possibilités politiques d’une femme, réelles mais qui
sont ressenties comme exceptionnelles voire contre nature, et qui connaissent des limites :
Phrérétimé prend une place politique en attendant que son fils puisse accéder au pouvoir,
mais n’a plus de légitimité lorsqu’il est tué : elle doit s’exiler. C’est une forme de régence
féminine.
Ces deux femmes sont présentées malicieusement par Hérodote face à une attitude particu-
lièrement misogyne, que ce soit celle des Athéniens ou celle d’Euelthon. C’est cette opposi-
tion qui peut être intéressante.

femmes de savoirs .
Sappho, itinéraire d’une femme poétesse – Lesbos, VIIe-VIe siècle.
« Sappho de Lesbos (VIIe et VIe siècle avant notre ère) appartenait, semble-t-il, à une famille
de notables de Mytilène, capitale de l’île. La tradition lui donne un mari, dont nous ne savons
rien, et une fille est mentionnée par un commentateur… Nous savons que la poétesse fut
exilée de Lesbos à la suite de bouleversements politiques, et qu’elle y revint quand le parti
vaincu reprit le pouvoir. La situation professionnelle de Sappho rappelle en tous points celle
de poètes masculins s’entourant de disciples auxquels ils enseignaient leur art, organisant
pour les fêtes publiques des représentations dansées et jouées. …
En ce qui concerne la vie privée de la poétesse, …. Les relations passionnées entre Sappho
et ses élèves sont identiques à celles de Socrate et de ses disciples, et à celles de nombreux
poètes du Ve ou du IVe siècle avec leurs jeunes compagnons. » (D’après la notice de Margue-
rite Yourcenar à son recueil de poèmes traduits du grec, La Couronne et la Lyre, 1979,
Gallimard.)

Les uns estiment que la plus belle chose qui soit sur la terre sombre,
c’est une troupe de cavaliers, ou de fantassins ;
les autres, une escadre de navires.
Pour moi, la plus belle chose du monde
c’est pour chacun celle dont il est épris.

Premières Rencontres - mars 2001 #&


Sappho, fragment 2, édition des Belles Lettres, 1998.

Ce court fragment écrit par une femme ¾ et l’on sait la rareté de ce type de document ¾
reprend le thème poétique traditionnel du banquet, et en même temps combat l’omniprésence
de la guerre dans le monde grec.

aristocratie et savoirs : une réalité de privilégiées ? – Pompéi, Ier siècle.


La fresque de la Villa des Mystères évoque l’accès par les femmes à un savoir raffiné et dont
les familles aristocrates sont fières, puisqu’elles exposent ainsi cette image. Pourtant, cette
réalité restait limitée à quelques familles très riches et aristocratiques.

savoirs d’esclave.
Témoignage sur une esclave – IIe siècle, dans l’Egypte romaine.
Le texte cité dans le manuel Bordas (1996) de 2nde p 51 évoque un « Papyrus de la fin du IIe
siècle, issus d’Oxyrhynchos, une ville d’Egypte, qui n’avait pas rang de cité. On y a trouvé des
milliers de papyrus grecs. »

« Platonis… ayant pour représentant légal son frère… Platon ; et Lucius… tisserand,
conviennent mutuellement que Platonis…, place en apprentissage son esclave mineure
Thermouthion chez Lucius pour quatre années à partir du premier jour du mois pro-
chain…, pour qu’elle apprenne le métier de tisserande, aux conditions suivantes : elle
nourrira et habillera la fillette, et la mettra à la disposition du tisserand tous les jours, du
lever au coucher du soleil, pour qu’elle exécute tous les ordres qui lui seront donnés
relatifs au métier susdit ; la première année, ses gages seront de huit drachmes par
mois, la seconde de douze drachmes par mois, la troisième de seize drachmes par
mois, et la quatrièmes de vingt drachmes par mois ; la fillette prendra dix-huit jours par
an de vacances, pour les fêtes ; pour les jours où elle ne travaillera pas ou sera malade,
elle restera chez son maître une durée égale en fin de période ; les taxes… sont à la
charge du maître »
Papyrus d’Oxyrhynchos n°1647, dans N. Lewis, La mémoire des sables. La vie en Egypte
sous la domination romaine, A. Colin, 1988.

Platonis et Lucius font partie d’une famille de Grecs. Deux femmes sont ici évoquées : une
femme libre (Platonis), et une très jeune esclave (Thermoution). la femme libre a un représen-
tant légal, qui est son frère. L’esclave a une statut juridique d’esclave, et « mineure » , traduc-
tion qui désigne peut-être son jeune âge. Les avantages dont elle dispose semblent impor-
tants : l’esclave est nourrie, habillée (logée ? il n’en est pas question dans le texte : peut-être
les logements du maître et du tisserand sont ils suffisamment proches), et sa maîtresse est
rémunérée, avec une progression, correspondant à la progression de la maîtrise du métier
par l’esclave. Son activité est très nettement encadré par un contrat : elle travaille du lever au
coucher du soleil, pour des tâches concernant le métier de tisserand. L’esclave est vraisem-
blablement protégée par le fait qu’elle soit mise à disposition : les maîtres veulent protéger
leur bien. Elle a des congés, pour les fêtes ou en cas de maladie. Enfin, elle suit un important
apprentissage pour le métier de tisserande, ce qui demande une formation longue et soumise
à des taxes (que prend à charge le maître de celle-ci). L’esclave ne reste donc pas dans des
tâches domestiques, et elle reçoit un savoir spécialisé.

CONCLUSION
Puisque nous avons davantage de questions que de réponses, la démarche qui semble privi-
légiée pour rendre visibles les femmes dans notre enseignement est la confrontation des
points de vue sur les femmes, regards qui, contradictoires, peuvent susciter l’interrogation
chez les élèves. La démarche choisie n’explore donc pas une période en particulier, mais
consiste à montrer par touches successives qu’aucune simplification n’est justifiée pour évo-
quer les femmes dans l’antiquité.

#' Premières Rencontres - mars 2001


C’est une occasion de donner une idée de ce que peut être l’histoire, non pas cette suite
établie de faits, mais cette interrogation permanente et passionnante. Fi des certitudes ! C’est
d’ailleurs la démarche de cette femme biblique, Eve, la première à poser questions.

1
P. Carlier, Homère, p 45, Fayard 2000.
2
À l’adresse suivante : http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo//pedago/femmes/document.htm
3
Nicole Loraux, « Qu’est-ce qu’une déesse ? », Histoire des femmes dans l’Antiquité, dirigé par G. Duby et M. Perrot, Plon, 1990.
4
Raoul Lonis, La cité en Grèce ancienne, 1994, Nathan.
5
comédie évoquant sous forme de farce les femmes refusant leur lit à leur mari citoyen, tant que ceux-ci n’auront pas cessé de faire la
guerre.
6
p 505 sqq, Histoire des femmes, dirigée par Duby et Perrot, Plon, 1990.
7
Ce dessin est reproduit dans l’histoire des femmes, antiquité, p 169 : « de porte à porte » d’après une pyxis, vers 460. Paris, le
Louvre.
8
La Documentation Photographique 8001, février 1998, Citoyen dans l’antiquité, p 32-33.

Premières Rencontres - mars 2001 #6


Femmes au Moyen âge

Le Moyen âge bénéficie d’un privilège, il est l’une des rares époques à laisser le souvenir
d’une «héroïne» dans les mémoires enfantines et adolescentes. En effet, un petit sondage
réalisé en début d’année, parmi des classes de 6e et de 4e, montre que beaucoup d’enfants
(et d’adolescents) ne sont capables de citer qu’une seule «héroïne» : Jeanne d’Arc. Cepen-
dant, nul n’est dupe ! C’est moins la femme qui est (re)connue que l’une des figures du pan-
théon national1 .
Le Moyen âge est une époque contradictoire. Les discours sur la femme et les images qui la
montrent sont nombreuses et variées. La représentation imposée est souvent sans nuances.
Elle est infiniment défavorable aux femmes. Ici, comme ailleurs dans l’histoire des femmes, le
regard porté sur les femmes est masculin. Il est de plus celui d’une couche particulière de la
société : les clercs. D’autres sources, mais aussi une approche différente de la religiosité,
permettent de construire une réalité plus diverse. La construction des rapports entre les hom-
mes et les femmes ne peut se réduire à l’image que nous en renvoient les clercs.

Des représentations de la femme …

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer la femme est omniprésente au Moyen âge. Elle
l’est dans le discours, elle l’est par les images. Elle l’est surtout grâce à l’Église, grande pour-
voyeuse de représentations sociales au Moyen âge.

Une idée majeure structure l’ensemble de ces représentations : la femme est du côté du
péché. Parmi beaucoup de miniatures, il en est une qui se présente comme un commode
résumé de la pensée de l’Église à l’égard de la femme. Il s’agit de la reproduction d’un épi-
sode biblique, la tentation d’Adam et Ève qui se trouve dans un psautier2 du XIIIe siècle.
L’image est classique, Ève tend à Adam le fruit défendu. Au milieu, les séparant, l’arbre de la
connaissance et le serpent qui enroule ses anneaux tout le long du tronc. C’est dans la figu-
ration de l’animal que réside toute l’originalité de cette miniature : le serpent a figure fémi-
nine3 .

Pour le « pauvre » Adam, le péché est ainsi doublement offert à sa tentation : par Ève et par
le serpent auquel l’artiste a donné le joli visage d’une femme. Le point de vue est exclusive-
ment masculin. Or ces miniatures pouvaient être utilisées à des fins éducatives : « Les psau-
mes servaient aux enfants à apprendre le latin et à construire des phrases que l’on pouvait
ensuite adapter pour raconter l’histoire décrite par ces miniatures ; on apprenait ainsi, avec
les premiers rudiments de la langue, le danger que pouvait constituer le sexe féminin4 . »

Ainsi dans la plupart des représentations figurées, les femmes sont-elles montrées comme
pécheresses. Dans « la gueule de l’Enfer », ce sont des femmes qui servent de pâture au
loup, symbole des tortures de la géhenne.

Cependant, même ici on aurait tort de croire qu’elles y sont représentées comme des « actri-
ces de l’histoire ». C’est toujours dans un rapport aux hommes que leur culpabilité est établie.
« Elle ne sont pas sujet commettant un péché, mais un moyen de pécher offert à l’homme »5 .
Ce sont des clercs qui forgent pour d’autres clercs et pour des laïcs, les représentations
figurées autour d’une image centrale de la femme tentatrice et pécheresse. La Bible devient
le réservoir essentiel des stéréotypes féminins sur lequel se fonde la peur du sexe féminin.

Pourtant le caractère univoque de beaucoup de discours et d’images ne doit pas cacher une
réalité plus nuancée. L’Église qui paraît si misogyne a également valorisé des pratiques et
des rôles qui contredisent cette apparence.

$8 Premières Rencontres - mars 2001


…aux réalités de la vie quotidienne des femmes

Les représentations du mariage sont rares au Moyen âge. Il faut dire que dans la hiérarchie
de la pureté, telle que les clercs l’établissent, les femmes mariées arrivent en dernier ; après
les veuves et loin derrière les vierges. Néanmoins il existe des images du couple. Ainsi cette
sculpture représentant Hugues de Vaudémont et sa femme6 . Tandis qu’Hugues tient le bâton
du pèlerin, son épouse l’enlace tendrement dans des retrouvailles d’après croisade. Cette
sculpture est contemporaine du mouvement qui a fait du mariage un sacrement. Dans son
souci de réguler tout à la fois les mœurs de l’aristocratie et la propension « naturelle » de la
femme à pécher, le discours des clercs valorise l’amour conjugal. « L’Église par l’horreur qu’elle
professe à l’égard du charnel, entend privilégier dans le couple l’accord des volontés, le con-
sentement mutuel, lequel institue à ses yeux le mariage. Devant les devoirs que celui-ci im-
pose, elle proclame l’homme et la femme égaux »7 . Certes on sait peu de choses sur ce qui
pouvait se passer dans les autres couches de la société. Mais ceci est finalement de moindre
importance devant cette attitude désormais massive de l’Église à l’égard du mariage.

Le Moyen âge voit se développer de nouveaux cultes. Parmi ceux-ci l’importance de celui
rendu à Marie est largement établie. Mais il faut constater que c’est dans son rôle de mère, et
de mère du Christ, que la femme est ici valorisée. Pourtant, on aurait tort de croire que c’est
dans ce seul rôle que des femmes furent l’objet d’un culte religieux. Ainsi que le note Jacques
Le Goff : « Pendant les premiers siècles du Moyen âge, le modèle masculin de la sainteté :
c’est la figure de l’évêque […] ensuite s’impose la sainteté des abbesses, telle Hildegarde de
Bingen, grande abbesse rhénane du XIIe, grande mystique, mais aussi grande savante ration-
nelle hardie, dont l’autorité et le prestige ont été très forts à cette époque. »8

Au fur et à mesure que l’on s’avance dans le Moyen âge, les représentations des femmes
dans leur quotidien se multiplient9 . Certaines conduisent à remettre en cause des préjugés
largement établis. Sur cette miniature10 , un vieil homme est couché, sans doute malade. À
droite de l’image, une servante. Elle tient dans ses bras un récipient et paraît attendre les
ordres de sa maîtresse. Celle-ci, assise au coin du feu, remue une cuillère dans un vase. Un
détail dément l’idée qu’il pourrait s’agir de l’accomplissement d’une tâche ménagère : un livre
est ouvert sur ses genoux. La lecture, très attentive, est destinée à la réalisation d’une potion
médicamenteuse. Cette image et bien d’autres contredisent le stéréotype d’une femme écar-
tée des activités les plus prestigieuses par excellence : la lecture et … l’écriture. Dans la
Bologne universitaire des XIIIe et XIVe siècles, la demande de livres était forte. Les sources
livrent les noms de nombreuses femmes miniaturistes et calligraphes. Elles devaient sans
doute travailler en famille, avec leur mari ou leur père. Mais le fait est que, pour apprendre le
métier il leur a bien fallu, au préalable, apprendre à lire et à écrire.

Conclusion

Ainsi une étude plus attentive (mais sans doute moins succincte) du Moyen âge apporte-t-elle
des surprises quant à la place des femmes dans les sociétés médiévales. Cela conduit Jac-
ques Le Goff à affirmer dans un article11 au titre volontairement provocateur : « Le christia-
nisme a libéré les femmes » ! Au Moyen âge, le fait religieux est capital pour comprendre le
rôle, le statut et la représentation des femmes dans la société. Les clercs assignent à chacun
et à chacune une place dans la société. Ils le font en raison d’une vision du monde et de la
société étroitement dépendante du christianisme. Mais c’est aussi au nom de valeurs chré-
tiennes que s’opèrent des transformations majeures qui assurent plus d’égalité entre les sexes.
De telles observations sont de nature à remettre en cause la vision de l’histoire conçue sur le
mode d’un progrès linéaire de la situation des femmes dans l’histoire12 .

Jeanne d’Arc est incontestablement la femme la plus connue du Moyen âge. Pourtant, c’est
une autre femme, Christine de Pisan qui par sa destinée et ses écrits est à même de mieux

Premières Rencontres - mars 2001 $7


représenter le caractère contradictoire de cette époque. Fille d’un astrologue de Charles V,
elle reçoit une éducation soignée. Elle devient savante et se mêle de politique en un temps où
les querelles dynastiques ne paraissent relever que des hommes. Elle rédige un poème à la
gloire de Jeanne d’Arc, convaincue, avant bien des hommes, de la justesse de son action.
Enfin, rompant avec le lyrisme et l’introspection de ses premiers poèmes, elle met à jour dans
le Livre de la Cité des Dames les stéréotypes sur lesquels se fonde l’abaissement des fem-
mes. Et dans une époque qui semble tant en manquer elle s’appuie sur Raison et Droiture.
« Leur esprit ... est-il capable ? Je souhaite vivement connaître la réponse, car les hommes
affirment que les femmes n’ont que de faibles capacités intellectuelles. Elle (Raison) me ré-
pondit : «... si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner
méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et com-
prendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences tout aussi bien qu’eux.
(...) »

1
Voir par comparaison, Le palmarès de la mémoire nationale, P. Joutard et J. Lecuir, L’Histoire, n°242, avril 2000. Jeanne d’Arc était en
e
3 position en 1948. Elle est désormais absente d’un palmarès très masculin.
2
Page 379 dans Histoire des femmes, Georges Duby et Michelle Perrot, T 2, Le Moyen âge, sous la direction de Christiane Klapisch-
Zuber, Plon, 1991
3
« Par la femme tentatrice, reptilienne (souligné par moi) […] le péché est introduit dans le monde. » Georges Duby, La femme, l’amour
et le chevalier, L’Histoire n° 1, mai 1978
4
Chiara Frugoni, La femme imaginée, dans Histoire des femmes, Georges Duby et Michelle Perrot, T 2, Le Moyen âge, sous la direction
de Christiane Klapisch-Zuber, Plon, 1991
5
Ibid.
6
Vers 1165, Nancy, chapelle des Frères franciscains, Chiara Frugoni, Op. cit., page 366
7
Georges Duby, op. cit.
8
Jacques Le Goff, « Le Christianisme a libéré les femmes », L’Histoire n° 245, juillet-août 2000
9
La difficulté a construire une histoire mixte est souvent invoquée au nom de l’invisibilité des femmes dans les sources. Ceci n’est qu’en
partie vrai car à partir du XIIe les images de femmes sont désormais très nombreuses et permettent de mieux les saisir dans leurs
activités quotidiennes.
10
Miniature du Quart volume de l’histoire scholastique de Jean du Ries, 1470, Londres, British Library, dans Histoire des femmes, op.
cit., page 413
11
Op. cit.
12
C’est le danger déjà dénoncé dans un précédent article à propos de la revue L’Histoire. Celle-ci a consacré un numéro spécial (245) à
l’histoire des femmes dont le plan est assez représentatif de ce danger. La première partie est intitulée : «Le temps du silence», la
dernière : «Le temps de l’égalité»

$! Premières Rencontres - mars 2001


Compte rendu de l’atelier Antiquité-Moyen Âge

L’atelier s’ouvre par un certain nombre de remarques :

La tentation de présenter les femmes dans l’histoire comme des victimes ou des héroïnes,
même au nom des meilleurs sentiments, doit être repoussée.
La visibilité des femmes dans l’histoire repose sur une plus grande attention au quotidien et
aux réalités des sociétés du passé.
En ce domaine, ce qui est nécessaire à l’enseignant c’est moins un engagement militant que
la curiosité de l’historien.

Commencé dans ces dispositions, l’atelier prend rapidement un tour très pratique. Par com-
modité, les problèmes sont abordés suivant les grandes périodes de l’atelier. Les professeurs
des collèges sont prédominants dans l’assistance. En conséquence une attention toute parti-
culière est accordée aux programmes de 6e et de 5e.

L’Antiquité

Lors de l’échange, alternent remarques sur la pertinence de tel ou tel document et précisions
sur l’histoire des femmes dans l’Antiquité.

La Grèce antique bénéficie d’un traitement de faveur. L’abondance de l’iconographie n’y est
pas étrangère. Le manuel constitue une réserve documentaire indispensable. Il souffre ce-
pendant de lacunes. Un intervenant insiste sur la richesse du site du Louvre, tandis que
l’animatrice rappelle la somme des documents déjà rassemblés sur le site académique. Le
travail de collecte doit se poursuivre.

La discussion se polarise sur le rôle de quelques figures féminines :

· Les déesses athéniennes et particulièrement Athéna, déesse de la guerre et de …


l’intelligence. Fonctions que la description de la fête des Panathénées conduit quelquefois à
passer sous silence ou, à tout le moins, à minorer.
· Pénélope, que sa condition de femme oblige à ruser : femme « mineure » quand elle
dépend d’un mari mais « majeure » tant que dure son célibat forcé.

Moins grande, la place faite à Rome conduit à faire remarquer qu’hommes et femmes y sont,
comme en Égypte, représentés souvent ensemble.

Mais comment faire pour introduire plus de visibilité pour les femmes de ces périodes ? La
leçon sur « Le travail des hommes et des femmes dans la vallée du Nil » est présentée, puis
commentée.

Le Moyen Âge

Pendant tout le haut Moyen Âge, et même au-delà, la virginité constitue une valeur sans
cesse louée par les clercs. Pourtant, il faut éviter de tirer argument de ce qui précède pour
accuser trop vite le Moyen Âge de misogynie. Dès le XIIe, les rapports entre les hommes et les
femmes se modifient. L’établissement du mariage comme sacrement chrétien, la multiplica-
tion des saintes — sans parler du culte rendu à Marie —, enfin, un premier essor de l’éduca-
tion des filles contribuent à construire une autre image de la femme dans la société médiévale
occidentale. Cependant, la réalité historique est loin d’être univoque. Comme le fait remar-
quer l’un des participants, c’est à la faveur de la Guerre de cent ans qu’est établie la loi salique
qui éloigne les femmes de la transmission du pouvoir royal.

Premières Rencontres - mars 2001 $"


Les textes du Moyen Âge se lisent difficilement pour des élèves de 5e. Ceci conduit à privilé-
gier l’image. Les exemples fusent d’utilisation possible dans les programmes.

Le thème choisi par les Rencontres de la Durance a rencontré un large consensus. Le choix
d’assurer plus de visibilité aux femmes dans les cours d’histoire n’a fait l’objet d’aucune re-
mise en cause, bien au contraire. Les professeurs présents dans l’atelier sont surtout venus
chercher les moyens de mettre en pratique un enseignement de l’histoire plus attentif à la
place des femmes dans les sociétés passées.

$# Premières Rencontres - mars 2001


ATELIER XVI°-XVIII° SIECLE

Animation :
- Daniel Gilbert, lycée climatique d’altitude - Briançon
- Claude Martinaud, lycée Montgrand – Marseille

1- LE POURQUOI DE LA DEMARCHE

Étude des programmes et des manuels

· Les manuels ne fournissent guère de documentation propre à changer notre regard et


celui des élèves
· Il est nécessaire de dépasser notre enseignement traditionnel de l’histoire, dans lequel
la femme apparaît très peu, ce dont nous sommes conscient.
· Comment modifier cet état de fait, et légitimer les femmes dans l’histoire enseignée ?
· Risque de dérive et de déculpabilisation par renvoi sur l’Education Civique, les travaux
croisés…

2- LE COMMENT DE LA DEMARCHE

Les thèmes d’entrée…

· Le travail : étudier tous les aspects du travail de la femme, en sortant du cadre convenu
de l’aspect démographique, reproducteur et d’élevage…
· Les religions : la place de la femme dans les religions au XVIe, l’étude des ordres reli-
gieux semblent fournir des entrées riches
· L’instruction, le savoir : savantes, enseignantes et enseignées…

Les sources documentaires

· Problème des sources essentiellement masculines


· Nécessité de travailler en interdisciplinarité (lettres, arts plastiques…) : renouvellement
des approches et des sources
· Rôle du site et des documents qu’il fournit, utiles pour lancer la réflexion et le travail

Un exemple d’ «infiltration» de la femme dans l’histoire enseignée : le pouvoir féminin


au XVIe s. chez Luther et Calvin

· Il ne s’agit pas de faire un « dossier femmes » mais de mettre en lumière un débat


important du XVIe s. qui n’est quasiment jamais abordé
· Dossier documentaire
· La question du pouvoir féminin chez Luther et Calvin
· Les conséquences

Premières Rencontres - mars 2001 $$


Compte-rendu de l’atelier XVI°-XVIII° siècle

I - Le pourquoi de la démarche

Le débat est lancé autour de la question « Comment aborder le problème de la sous- repré-
sentation des femmes dans l’enseignement de l’Histoire? »

Etude des programmes et des manuels

· Après lecture des programmes de la classe de 5° et de 2° et des documents accompa-


gnements, le constat est fait de l’absence de toute problématique concernant la place ou le
rôle de la femme dans la période considérée. Les manuels ne fournissent guère de documen-
tation et d’iconographie propre à changer notre regard et celui des élèves, si l’on excepte les
reproductions d’œuvres picturales de la Renaissance qui elles-mêmes prêtent à discussion
quant à l’image de la femme ainsi véhiculée.
· Il est nécessaire de dépasser notre enseignement traditionnel de l’histoire, dans lequel
la femme apparaît très peu. Un consensus se dégage de la discussion sur l’évidence que tous
les enseignants sont conscients d’occulter le rôle de la femme... Mais comment modifier cet
état de fait, et légitimer les femmes dans l’histoire enseignée ?
· Un discours déculpabilisateur avance trois problèmes qu’auraient à surmonter les en-
seignants.
- En premier lieu, le problème des horaires «qui ne permettraient pas de tout traiter». Ce
simple énoncé met en évidence le risque de dérive vers le «dossier Femmes» en lieu et place
du nouveau regard à porter sur notre enseignement.
- En second lieu, l’absence de support documentaire dans les manuels livre les ensei-
gnants à eux-mêmes face à un sujet qu’ils ne savent comment aborder. Enfin, la tentation est
grande de renvoyer le «discours sur la femme» à I’éducation civique, «aux horaires plus li-
bres», «dégagée des impératifs des programmes»...

2- Le comment de la démarche

Les thèmes d’entrée...

Mise en évidence des axes les plus facilement utilisables pour rendre un passé aux femmes.
Trois thèmes majeurs sont ainsi retenus :
· Le travail : étudier tous les aspects du travail de la femme, en sexuant les activités de
manière à sortir du cadre convenu, de l’aspect essentiellement démographique, reproducteur
et d’élevage...
· Les religions : la place de la femme dans les religions au XVI° siècle, l’étude des ordres
religieux semblent fournir des entrées riches. Par ailleurs, la réflexion religieuse qui a lieu au
XVI° siècle sur la place de la femme dans la société permet de poser la question du pouvoir
féminin.
· L’instruction, le savoir: savantes, enseignantes et enseignées...

Les sources documentaires

· Le problème des sources, essentiellement masculines, est posé. Le XVI° siècle, pé-
riode de crispation religieuse, amène une réévaluation de la place de la femme dans la so-
ciété (cf. Luther, Calvin...). Par la suite, les références féminines s’effacent. Il semble s’agir en
fait d’une démarche délibérée : c’est au XIX° siècle que la femme disparaît des références
littéraires, comme tendent à le prouver, a contrario, les citations multiples dans les documents
et encyclopédies du XVIll° siècle.

$% Premières Rencontres - mars 2001


L’approche pédagogique

· A l’encontre du «discours déculpabilisateur» et du renvoi sur les «dossiers Femmes»,


quelques collègues développent l’idée que l’on peut traiter les mêmes thèmes que ceux que
nous abordons habituellement, mais avec un regard différent, prenant en compte l’élément
féminin, au besoin en faisant abstraction du manuel, obligeant à un travail de fond personnel
qui effraie certains. D’où la volonté de travailler en interdisciplinarité, notamment avec les
professeurs de lettres et d’arts plastiques, ce qui induit un renouvellement des approches et
des sources, par exemple dans le cadre des «travaux croisés».
· Le site de La Durance est sollicité, tant pour les documents qu’il fournit, utiles pour
lancer la réflexion et le travail, que pour défricher le terrain : les enseignants attendent des
pistes.

Un exemple d’ «infiltration» de la femme dans l’histoire enseignée : la question du pou-


voir féminin chez Luther et Calvin

Il ne s’agit pas de faire un «dossier femmes» mais de mettre en lumière un débat important du
XVI° siècle qui n’est quasiment jamais abordé. Cette mise au point est très largement inspirée
des travaux d’une historienne allemande, Claudia Opitz1 .
L’importance politique de la place des femmes dans la société n’est pas une découverte
contemporaine. La reconnaissance aux femmes d’une capacité de liberté individuelle ou col-
lective apparaît dès le XVI° siècle sous forme d’une controverse : «la querelle des femmes».
Le XVI° siècle passe en règle générale pour une époque de bouleversement et de renou-
veau, notamment dans le domaine intellectuel. Ce bouleversement général a-t-il entraîné une
transformation dans les relations entre les sexes ? A cette époque, au moins à propos du
mariage et de l’amour, se propagent des conceptions et des valeurs nouvelles, en divergence
avec les traditions médiévales, et qui changent aussi l’image de la femme. Les facultés et les
possibilités qu’avaient les femmes d’exercer le pouvoir politique furent l’un des enjeux ma-
jeurs d’un débat de longue durée : « la querelle des femmes ».

Ce débat fut déclenché dès le XV° siècle par Christine de Pisan, femme de lettres (citée dans
un seul manuel de 2nde). EIle intervint dans le discours que les hommes érudits tenaient de-
puis des siècles sur les femmes, le mariage et la divine Providence, contestant les passages
qui diffamaient les femmes dans les œuvres littéraires de l’Antiquité et du Moyen-Age telles
celles d’Ovide ou de Jean de Meung (vers 1240 - avant 1305), auteur du Roman de la Rose.
Dans le livre de La Cité des dames (1405), elle prolongea cette critique pour en faire une
défense du sexe féminin. Elle avança l’argument que les femmes étaient tout aussi douées
de raison que les hommes, qu’elles étaient capables d’accomplir prouesses et bienfaits, et
qu’il existait un grand nombre de «femmes célèbres» dont on avait vanté, depuis des siècles
déjà, les facultés et les vertus. En rédigeant ce texte, Christine de Pisan n’avait certainement
pas l’intention de transformer la situation sociale des femmes de son époque, ou d’obtenir un
droit de parole politique pour elles. Ce sont surtout des auteurs de cour qui, au fil des décen-
nies suivantes, reprirent les arguments de Christine de Pisan ; ces auteurs voyaient dans
l’énumération des vertus et des vices des femmes célèbres une possibilité de procéder à une
éducation humaniste des femmes et des princesses.
De manière plus radicale, l’humaniste Henri Corneille de Nettesheim (1486-1535), se référant
à l’histoire de la Création, notamment celle d’Eve, entreprit de prouver que les femmes étaient
ou pouvaient être capables de réaliser des prouesses, aussi vertueuses et significatives que
celles des hommes.
De Nettesheim s’opposait ainsi à un discours qui commençait à se répandre et qui, inspiré du
Marteau des Sorcières des deux inquisiteurs dominicains Henry Institoris et Jacques Sprenger,
voyait dans la femme l’hérésie à combattre et la responsable des désordres du monde. La

Premières Rencontres - mars 2001 $&


diffusion du droit romain paraît, elle aussi, avoir fortement contribué à la dégradation de la
situation juridique des femmes par rapport aux anciens «droits coutumiers» : l’incapacité de la
femme mariée est ainsi reprise dans la majorité des coutumes réformées...

Luther et Calvin

Chez les réformateurs eut lieu une certaine réévaluation du mariage et de la vie sexuelle, qui
transforma la conception de la féminité idéale: à la nonne vierge et célibataire, on opposait
désormais l’idéal de la «mère de famille» et de l’épouse vertueuse qui dirigeait pour l’honneur
de Dieu un foyer, mettait des enfants au monde et les éduquait.
Ce phénomène peut être interprété comme une «domestication» de la femme sous le protes-
tantisme ou au contraire comme l’idéalisation du rôle de femme comme épouse et mère,
recouvrant une certaine revalorisation publique, Dans la théorie luthérienne et réformatrice,
on attribue à la maison une importance non seulement religieuse, mais aussi politique : les
obligations domestiques sont assimilées à des fonctions quasiment publiques ; le «père de
famille» et la «mère de famille» constituent une «autorité» et exercent un «gouvernement»,
une souveraineté sur tous les autres habitants et membres de la maison. (Avant-propos à
l’économie chrétienne de Justus Menius, Luther, 1529)
Dans le Gouvernement domestique », on attribue à l’épouse un véritable «droit de corégence».
L’épouse demeure certes, d’une manière générale, subordonnée à l’époux, et ne peut qu’ex-
ceptionnellement mener le «gouvernement domestique» en son nom. Néanmoins, par analo-
gie entre le foyer et l’État, elle partage le «pouvoir gouvernemental» sur les enfants et la
domesticité.

Dans les foyers de pasteurs protestants, ce type de «co-régence» féminine semble avoir été
fort répandu, et l’on peut supposer que l’épouse du pasteur, avec le rôle moteur qu’elle exer-
çait dans la vie économique, mais aussi sociale et intellectuelle des communautés, devint un
modèle, aussi bien dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Selon les conceptions de
Luther, les femmes, elles aussi – mariées ou célibataires – étaient appelées à participer au
sacerdoce commun des croyants.
Luther a cependant dans de nombreux passages de ses textes tempéré cette idée émancipa-
trice issue d’une logique théologique, mais qui paraissait littéralement subversive. Dans son
texte écrit en 1521, De l’abus de la messe, il limite l’accès des femmes au sacerdoce, en les
considérant comme dotées de moindres facultés intellectuelles – et en invoquant saint Paul.
Pour le reste, chez Luther la subordination de la femme au pouvoir de l’époux demeure sans
réserve.

Calvin mena sur la participation des femmes à la vie religieuse une réflexion bien plus systé-
matique que celle de Luther. Il découvrit ainsi que, dans le premier christianisme, des fem-
mes, en règle générale des veuves âgées, avaient participé, comme diaconesses, à la vie des
communautés, sans même parler des fonctions prophétiques et apostoliques que des fem-
mes bibliques comme Sarah, Rachel ou Marie-Madeleine avaient exercées.
Mais, pas davantage que Luther, Calvin ne tira de ces découvertes aucune revendication de
participation égale ou plus étendue des femmes à la vie religieuse publique ; quant au pouvoir
laïque, il considérait aussi que malgré les activités étonnantes et méritoires exercées par
quelques personnages féminins de l’Ancien Testament comme Ruth ou Judith, il n’y avait pas
de raison de légitimer un pouvoir féminin dans ce monde.

Les débats autour de la « gynécocratie » en Angleterre

Au delà de l’aspect théorique dont on se servit dans le cadre de la «querelle des femmes»
pour pratiquer une revalorisation éthique et morale du sexe féminin, le problème se posa, de
manière tout à fait concrète en Angleterre, vers le milieu du XVI° siècle, quand Edouard VI
mourut prématurément en 1553 : tous les prétendants au trône étaient alors de sexe féminin,
Marie et Élisabeth Tudor ayant été reconnues légalement depuis 1544 comme héritières po-

$' Premières Rencontres - mars 2001


tentielles du trône. A la même époque, le trône d’Écosse était lui aussi occupé par des fem-
mes, la régente Marie de Guise et sa fille la future reine Marie Stuart, ce qui ne faisait qu’ac-
croître les discussions parmi les Anglais de l’époque, tant dans le camp protestant qu’au sein
du camp catholique, avec des arguments identiques : la femme avait été subordonnée à
l’homme par Dieu, et ne devait donc exercer aucune autorité sur un homme quel qu’il soit. A
l’inverse, les tenants du pouvoir des femmes soutenaient qu’une femme pouvait parfaitement
régner sur des hommes, pour autant qu’elle était en mesure d’avoir un comportement mascu-
lin. Même Calvin, dans une lettre adressée à Sir William Cecil, secrétaire de la reine d’Angle-
terre (lettre de mars 1559), dut s’expliquer diplomatiquement sur la question délicate du gou-
vernement par les femmes.
Il faut attendre 1560, l’action politique habile d’Élisabeth 1ère et la manière dont elle se mettait
elle-même en scène pour que se dissipe la tempête d’indignation. Désormais, les défenseurs
du pouvoir féminin dominèrent à tel point qu’au milieu du XVIl° siècle encore, le théoricien
politique Thomas Hobbes se prononçait sur le «règne naturel des mères sur les enfants»,
considérant la souveraineté féminine tout à fait acceptable.

Il ressort néanmoins que, malgré les nombreux exemples de femmes ayant gouverné, lutté et
mené la guerre avec succès dans la mythologie et dans l’histoire, on ne voulait en aucun cas
utiliser la position prééminente de la reine qui, dans sa fonction, ne devait pas même obéis-
sance à son époux, pour en faire un précédent sur la vole d’une transformation générale de la
hiérarchie entre hommes et femmes. Dans cette mesure, même les partisans les plus ardents
de la gynécocratie ne réclamèrent jamais que l’on permette aux femmes, en général, l’accès
aux charges publiques, ou que l’on corrige dans ce sens les lois conjugales en vigueur.

1
Souveraineté et subordination des femmes chez Luther, Calvin et Bodin, in Encyclopédie Politique et Historique des Femmes, PUF,
1997.

Premières Rencontres - mars 2001 $6


ATELIER XIX° SIECLE

Animation :
- Rodrigue Coutouly, collège Clair-Soleil, Marseille
- Isabelle Debilly, collège André Chénier - Marseille
- Brigitte Manoukian, collège Campra - Aix-en-Provence
- Dominique Santelli, collège Champavier - Marseille

Dans les nouveaux programmes : exclusion des femmes des manuels en tant que personne
juridique, sujet, actrice sociale.
· Le discours est conventionnel, voire ambigu
· Des caricatures ou allégories
ex : les travailleurs de «l’âge industriel «
Par rapport à l’image donnée (l’homme en sueur devant une grosse machine) montrer qu’il
existe une spécificité de la travailleuse :
· Un travail sexué («des branches»)
· Un travail pour les jeunes et les célibataires (constitution d’une éventuelle dot)
· Des métiers spécifiques (infirmières, postières, instit…)
· Le travail à domicile (machine à coudre)

Que faut-il faire ?


· «Le choix des mots»
· «Une attitude de vigilance»

Les mots
· Expliciter le B O : «acteurs» et «actrices»
· Prendre des précautions par rapport à la terminologie et au vocabulaire
· Suffrage masculin n’est pas le suffrage universel
· Homme et femmes…

L’attitude
· Introduire l’histoire des femmes comme un levier pour revisiter l’histoire qui n’est pas
écrite une fois pour toutes
· Rendre les femmes plus visibles sans faire du féminisme à tout prix
· Par une relecture des manuels des documents existants. Porter un regard autre
· En faisant remarquer les creux de l’histoire
· En analysant autrement et en variant les documents

%8 Premières Rencontres - mars 2001


Restituer aux femmes la part d’Histoire qui leur est due.

I - Une démarche au cœur de nos enseignements

Il faut d’abord être convaincu en tant qu’enseignant de la nécessité de faire de l’histoire mixte.
Les conférences de M. Zancarini-Fournel et Catherine Marand-Fouquet sont, sur ce point,
convaincantes. Ainsi, écartons d’emblée cette remarque : « On fait de l’histoire indifférenciée,
quand on parle des ouvriers au XIXe siècle, il est bien entendu qu’il s’agit des femmes aussi ! »

L’enseignant est le seul metteur en scène des savoirs à transmettre ; il doit rechercher la
cohérence des programmes, s’aider des manuels mais aussi… utiliser sa marge d’autonomie
et, pour le sujet qui nous intéresse, assumer son « devoir d’initiative ». Il s’agit, au bout du
compte, de changer, non pas nos façons d’enseigner, mais notre regard… aussi celui des
élèves.
Alors quels espaces de liberté avons- nous ? quelles stratégies ? quels moyens? L’atelier doit
tenter de répondre à ces questions en faisant émerger les éventuels problèmes rencontrés et
les pistes possibles, faire des propositions de démarches.

II - Que nous proposent les programmes ?

Le survol rapide des têtes de chapitre permet de constater la part belle faite à une histoire liée
aux pouvoirs, aux guerres, et le peu de place accordée à l’histoire sociale… où les femmes
pourraient être plus présentes.

Dès lors, quelle position assumer ?


· Il convient ne pas se bloquer sur « il faut tout changer si on veut que les femmes
apparaissent dans l’histoire sinon on ne s’en sort plus, on n’a pas assez de temps déjà pour
tout faire… ! »
· Les programmes sont là, il faut faire avec
· Les échanges en atelier peuvent conduire à proposer des modifications.

La question est bien : comment faire avec ces programmes ? Il est intéressant de lister quel-
ques entrées possibles pour faire de l’Histoire mixte…

III - Que nous proposent les manuels ?

Le point sur les manuels, nous l’avons vu, constate les absences. On peut alors se poser des
questions :
· pourquoi sont-elles si peu visibles ?
· qu’est ce qui anime la conception des manuels ?
· est-ce une évidence de l’histoire ?
On peut, on doit, faire avec les manuels, mais comment ?
· s’interroger sur la rareté et ainsi rendre visible (expliquer pourquoi les absences)
· faire avec les « images de femmes » du XIXe siècle, abondantes allégories, en mon-
trant le contraste entre cette « présence » et l’absence des femmes dans les lieux de pouvoir.

En complément des manuels, il est possible et souhaitable d’apporter :


- des supports de travail où les femmes sont visibles (images, textes…)
- des contenus qui rétablissent l’équilibre (pour faire une Histoire « plus juste »)

Premières Rencontres - mars 2001 %7


IV - Exemple de contenu et supports

La réflexion qui suit propose une entrée possible dans les programmes, centrée sur Les
femmes et le travail au XIXe siècle. Elle est inspirée des lectures de deux ouvrages
fondamentaux dont de nombreux extraits sont cités :
· Histoire des femmes, sous la direction de Michèle Perrot et G. Duby, Plon, 1991. Le
volume n°4 est consacré au XIXe siècle (direction : M. Perrot et G. Fraisse)

· Les femmes actrices de l’Histoire, France 1789-1945, Yannick Ripa, SEDES 1999
Elle fait également référence à quelques supports documentaires installés sur le site discipli-
naire académique.

a) démarche : changer nos représentations.

L’enseignant présente le XIXe siècle et la révolution industrielle à travers les nouvelles techni-
ques de production, leurs effets, la naissance de la classe ouvrière, les conditions de travail
des ouvriers, les luttes, nouvelles idéologies. On parle des ouvriers ou de main d’œuvre
ouvrière… dans la neutralité. Cette neutralité doit cependant être nuancée car nos représen-
tations de l’ouvrier du XIXe siècle sont centrées sur la figure masculine :
· les hommes sont majoritaires ; ils animent les partis, les syndicats
· les femmes en sont exclues (le Code civil en fait des mineures qui doivent demander
une autorisation au mari pour adhérer à un syndicat, ou même pour prendre la parole !
C’est une réalité : « Au XIXe siècle, l’identité ouvrière se construit sur le mode de la virilité, tant
au niveau du quotidien et du privé que du public et du politique » (Histoire des femmes, le
XIXe siècle, page 474). Les images que nous en retenons sont bien connues : « Le monde
industriel s’incarne dans l’ouvrier dont le muscle et la sueur sont glorifiés » (Ripa Y., les fem-
mes actrices de l’Histoire, page 71). L’image est bien celle du travailleur dans un laminoir,
torse nu…
Le mot ouvrière apparaît en 1820 non pas pour désigner un statut professionnel : elle est
seulement l’épouse de l’ouvrier. Et pourtant, les travailleuses existent ; les femmes ont tou-
jours travaillé, mais l’ère industrielle rend cette présence dans le travail plus visible et surtout,
elle pose problème. Il y a débat : les femmes doivent-elles travailler ? Michelet
dénonce : « ouvrière, ce mot impie » (Michelet, la femme, 1860 – texte sur site académique) ;
être ouvrière est un état contre nature.

Ne faut-il pas alors travailler sur nos propres représentations ? Notre discours enseignant se
veut neutre, nos représentations ne le sont pas et notre regard non plus.
La neutralité n’a pas de raison d’être, surtout au XIXe siècle où les femmes travaillant sont
plus visibles qu’avant, où se construit le « travail féminin », catégorie d’activités majoritairement
exercées par des femmes.
Rendre visibles les femmes dans notre enseignement, c’est se pencher sur ce qui les rend
visibles, ce qu’elles font, et pourquoi elles le font. C’est changer de regard, l’élargir et le
déplacer.

b) Le XIXe siècle renforce l’idée de « partage naturel » du travail.

Il est intéressant de partir de l’idée de Joan W. Scott (Histoire des femmes, XIXe siècle, M.
Perrot, G. Duby) qui dit que le XIXe siècle a institutionnalisé des légendes sur le travail des
femmes, des théories qui ont abouti à des pratiques et qui ont légitimé une division sexuée du
travail.

Première légende : L’industrialisation marque la rupture entre le foyer et l’usine (thèse de


l’abandon du foyer) et cette rupture est génératrice de problèmes ; on parle même de patho-
logie sociale ! L’idée de départ est simple : les femmes en travaillant à l’usine se sont coupées
de leur foyer, l’ont abandonné comme lieu de travail car il y a eu « transfert de la production de

%! Premières Rencontres - mars 2001


l’atelier familial à l’usine, de l’artisanat et du petit commerce aux entreprises capitalistes de
grande envergure » (Histoire des femmes, XIXe siècle, M.Perrot – G. Duby, page 422)

L’idée qu’il y a eu rupture entre la sphère du privé et celle de l’usine est à remettre en cause.
Les femmes ont toujours travaillé. Elles ont travaillé chez elles (fileuse, couturière, ouvrière
dans l’orfèvrerie, boutonnière, dentellière…), effectué de multiples travaux (et non travail). Et
les femmes ont aussi travaillé hors de chez elles, se déplaçant souvent d’une activité à l’autre,
d’un lieu à l’autre : vendeuses sur les marchés, colporteuses, bonnes, blanchisseuses…(au
début du XIXe siècle : 1/5ème des femmes à Paris travaillent hors de chez elles).

Ceci affaiblit la thèse de la séparation brutale maison/travail. En fait, il y a bien continuité.


* Une autre idée souligne que les femmes sont arrachées du foyer pour la grande manufac-
ture. Mais ce n’est pas l’usine qui employait le plus de femmes : elles travaillaient plus « dans
les secteurs traditionnels de l’économie que dans des fabriques industrielles. dans la petite
manufacture, le commerce et le service (…), sur les marchés dans les boutiques ou chez
elles, vendaient des produits alimentaires, transportaient des marchandises, faisaient du blan-
chissage (…), fabriquaient des allumettes… » (Histoire des femmes, XIXe siècle, M. Perrot –
G ; Duby, page 424). De plus, il y a eu continuité dans les pratiques : « Si la couture est
synonyme de travail féminin au XVIIIe siècle, c’est encore vrai au XIXe siècle. Sa prédomi-
nance parmi les métiers exercés par les femmes affaiblit la thèse selon laquelle il existait une
totale séparation entre la maison et le travail » . De l’atelier textile, les femmes se déplaceront
peu à peu vers les bureaux (1906 : 40% des emplois de cols blancs sont occupés par des
femmes).

Il y a là une autre sorte de continuité : les femmes travaillent plus dans des activités de servi-
ces que des activités industrielles.

Deuxième légende : Les femmes ne devraient pas travailler, certes. Mais quand c’est le cas,
elles le font selon la division du travail qui est naturelle : une théorie qui se prolonge par des
mesures, des pratiques qui légitiment, expliquent et renforcent la division sexuée du travail.
Cette division sexuée du travail est étayée par toute une série de discours :

· Les médecins apportent la parole scientifique et « se posent aussi en moralistes liant


étroitement le physique et le moral » (Y. Ripa, Les femmes actrices de l’histoire, page 33). Ils
réaffirment la faiblesse féminine : son cerveau et son squelette l’empêchent d’avoir des vues
amples, elle est vouée à la maternité, elle est une éternelle malade (surtout si elle ne se marie
pas).
Le travail des femmes est une pathologie sociale qui entrave le bien-être de la famille, des
enfants (la femme ne peut pas allaiter). La seule fonction sociale acceptée pour les femmes
est la maternité, et si celle-ci fait des ravages… il y a le corset ! (lire le pamphlet du Dr O’
Followell : Le prix de beauté - document n° 31- site académique)

· La parole de l’Eglise pose comme vérité que les natures étant distinctes, les rôles de
chacun dans la société doivent l’être aussi : aux femmes la mission d’éducation spirituelle (Il
faut re-christianiser). Il faut aussi supprimer le divorce (autorisé en 1816).

· Le discours de la République s’est construit face à l’Eglise : les mesures prises dans
l’enseignement visent à défendre la laïcité, à combattre la position des clercs dans ce do-
maine mais élaborent des programmes différents : « Pour les garçons, les exercices militai-
res ; pour les filles, les travaux à l’aiguille » (Article 1er, loi de Jules Ferry, 28 mars 1882 ).

· L’idéologie bourgeoise, comme l’Eglise, assigne à chaque sexe un rôle précis. Cette
idéologie est légalisée : le Code civil (document n° 20 – site académique) fait des femmes
« des êtres inférieurs, soumises en tant qu’épouses, respectables en tant que

Premières Rencontres - mars 2001 %"


mères (…) enfermées dans des fonctions privées ». (Ripa Y., page 35). Il faut lire aussi le
texte de Sylvain Maréchal « Projet d’une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes »
-1801 : « Les femmes sont nées pour être aimables et vertueuses, et non pour devenir des
virtuoses et des savantes ». (document n° 21- site académique)

· La pensée ouvrière rejoint celle de la bourgeoisie. Les syndicalistes veulent écarter les
femmes pour protéger les emplois et le métier en avançant que certaines professions sont
dangereuses pour leur moralité, que les femmes sont incapables de faire les travaux des
hommes. Les réformateurs réclament le salaire familial, le salaire du père, calculé pour faire
vivre toute la famille et éviter le travail des femmes et des enfants.
Ces aspirations portent une législation protectrice qui met dans le même sac femmes et en-
fants, êtres fragiles à protéger : discriminations positives pour améliorer les conditions des
femmes ouvrières et on oublie les autres travailleuses pourtant majoritaires mais moins visi-
bles.
A partir de 1890, des lois sont votées sur la protection de la femme au travail mais elles ne
concernent pas les femmes qui travaillent « à la maison » (le travail domestique par exemple
ou les ateliers) ni le commerce de détail, ni le travail agricole... où les femmes sont pléthore.
D’où l’intérêt des employeurs qui se tournent vers cette main d’œuvre bon marché et non
réglementée par souci d’économie : de salaires, d’énergie (chauffage, éclairage), d’outillage.
Ils imposent leurs tarifs, la main d’œuvre est abondante.

· Les employeurs pratiquent la distinction dans leur embauche en faisant usage de critè-
res qui reposent sur une division sexuée du travail. Ttout emploi demandant de la force, de la
vitesse, de l’habileté : pour les hommes ; l’endurance, l’agilité manuelle, la patience : pour les
femmes.
Des discours qui vont institutionnaliser la séparation dans le travail entre les hommes et les
femmes, renforcer ou créer des stéréotypes d’activités : on ne se pose pas la question des
femmes qui portent des seaux d’eau très lourds ; ce n’est pas un problème de force physi-
que !

c) Le XIXe siècle construit la catégorie du « travail féminin » :

· Il existe bien un sexe du travail dans la répartition des matières malgré la mécanisa-
tion qui aurait dû mettre fin à une répartition des tâches selon les qualités naturelles des
hommes et des femmes. En 1867 un délégué ouvrier à l’Exposition universelle décrète : « A
l’homme le bois et les métaux ; à la femme la famille et les tissus ». ( Y. Ripa, Les femmes
actrices de l’histoire, page 68).

· Le travail à domicile est bien féminin, dans la couture par exemple avec l’arrivée en
1853 de la machine à coudre, couturière en fer, libératrice des femmes (publicité de Singer).
Le « sweating system » en est renforcé : des heures de travail, payées à la pièce, pour un
salaire de misère.

· « La fonction nourricière trouve son prolongement dans l’industrie alimentaire (con-


serverie à l’emploi saisonnier en Bretagne, sucrerie en région parisienne) » (Femmes actrices
de l’Histoire, page 67) et dans celle de nourrice ou bonne d’enfant dans les familles bourgeoi-
ses (parallèlement au phénomène de mode qui se développe : avoir une domestique dans
son foyer, bonne ou nourrice, est un signe extérieur de richesse), métier où l’uniforme, la perte
du prénom d’origine, l’habitat sous les mansardes, le célibat, disqualifient le travail et la femme.

· Dans la répartition des techniques : les femmes ont les tâches les moins mécanisées
sauf dans les manufactures d’État (allumettes et tabac), en témoignent de nombreuses pho-
tos.

%# Premières Rencontres - mars 2001


Dans la chaussure, l’usage du fil à la place des clous va entraîner un déplacement du travail
des hommes vers les femmes !

Ce travail féminin est surtout visible à partir de 1870 : on passe des « travaux féminins » aux
« métiers féminins ». Y. Ripa distingue certains de ces « métiers » (Les femmes actrices de
l’Histoire, page 83) :

- Les vendeuses sont de plus en plus nombreuses dans les grands magasins et contribuent
à la féminisation de ce métier. Elles sont jeunes, célibataires, logent au-dessus du magasin,
doivent obéir à une discipline stricte, sont rémunérées au pourcentage.

- Le nombre croissant des femmes institutrices est parallèle au développement de l’instruc-


tion publique. En fait, il y a un enjeu pour la République : un « enjeu politique : faire reculer
l’emprise de l’Eglise et accélérer la laïcisation de la société (…) En chaque garçon sommeille
un bon citoyen, en chaque fille, une mère éducatrice du bon citoyen ».
Mais, il existe une différence de sexe : les hussards de la République sont des hommes qui
ont les classes de garçons et les niveaux les plus élevés.
« Au 1er congrès de l’enseignement en 1889, l’idée selon laquelle les femmes ne peuvent
former que des femmes est réaffirmée, leur enseignement ferait des garçons des «femmelet-
tes» inaptes à faire leur devoir » ( Y. Ripa, page 84).

- les infirmières sont légitimées par la mission religieuse. Mais la République combat la pré-
sence des religieuses aux cotés des malades ; on place donc des femmes formées à l’Assis-
tance publique comme infirmières aux cotés des hommes… médecins. Dans ces métiers de
la santé ou de l’éducation, les femmes prolongent leur rôle de mère.

- Les bureaux se féminisent (en 1906, 40% des cols blancs sont des femmes (Histoire des
femmes, XIXe siècle, page 426). La dactylo tape sur le clavier de la machine à écrire comme
elle joue du piano. Le secrétariat convient à la docilité des femmes (les hommes sont trop
actifs pour rester assis). De là naissent et se renforcent les stéréotypes, encore actifs (voir
orientation des filles et des garçons en fin de troisième).
Les bureaux de poste créent, à partir de 1890, des emplois sans responsabilité, avec salaire
bas, fixe, sans avancement, pour les femmes : « les demoiselles des bureaux de poste ».
Dans le Télégraphe, hommes et femmes travaillent dans des pièces séparées : cette différen-
ciation spatiale permet de mieux souligner (tout comme les salaires : 30 à 40% de moins pour
les femmes à travail égal) l’inégalité entre travailleur et travailleuse.
A noter que ces emplois féminins sont ceux de femmes majoritairement jeunes, célibataires.
Le salaire est très bas, toujours considéré comme un appoint ou une nécessité conjoncturelle
avant le mariage…pour se constituer la dot notamment.

Quelques chiffres enfin … (Les femmes actrices de l’Histoire, pages 49 et 93) :


- en 1906, les femmes représentent 38% de la population active
- 20% des femmes mariées travaillent.
- 52% des actives travaillent à domicile, 25% dans l’industrie, 8% sont employées.
- la couture et les métiers du textile représentent ¾ de l’emploi industriel féminin.
- les domestiques représentent 22.5% des femmes actives en 1866, puis 33% en 1896 et
45% en 1901.

Conclusion

En partant de cet exemple, nous est-il possible, nous enseignants, d’apporter les savoirs
inscrits dans les programmes et de restituer une part d’Histoire aux femmes ? Oui. Par exem-
ple :

Premières Rencontres - mars 2001 %$


· En rendant compte des réalités qui rompent avec les images et connaissances classi-
ques des manuels : l’âge industriel fait naître l’usine mais les anciennes formes d’organisation
du travail persistent. Les gravures des filatures ou des fonds de mine présentent une réalité
mais celle d’ateliers à domicile ou « ateliers en chambre » où les femmes sont largement
présentes sont une autre réalité.
Il suffit d’avoir un regard qui s’efforce d’englober une large réalité…

· « Domicile » est associé à « femme » mais les femmes sont aussi dehors… Sans alour-
dir le cours, ni modifier les problématiques de départ, une image ou deux, un texte donnant
une présence aux femmes, permettent de rendre compte des réalités du monde du travail au
XIXe siècle. Le tableau de Millet « les Glaneuses » (1857) a toute sa place pour présenter une
société encore largement rurale milieu XIXe siècle, où les femmes sont majoritairement « ac-
tives » dans l’agriculture ; mais les photos d’usines de la fin du siècle abondent, où sont
présentes les femmes qui travaillent (ne pas hésiter à puiser, si cela est possible, dans les
ressources locales). On trouvera aussi de nombreuses gravures ou photos de femmes à la
mine, de femme-factrice, de standardistes aux doigts agiles devant les fils du télégraphe…

%% Premières Rencontres - mars 2001


Proposition de cours pour rendre visibles les femmes sans en faire trop

Premier cours sur l’âge industriel en classe de quatrième : de nouvelles méthodes de produc-
tion, une nouvelle organisation du travail. Le livre utilisé est le Hatier.

Interrogation de départ : le XIXème siècle, l’âge industriel ?

Les élèves associent immédiatement « industriel » à « usine », « ouvrier », « technologie »,


« argent », « profit ».
Certains élèves ont recherché dans le livre la première page du chapitre et ont découvert une
photo d’une usine française de la fin du XIXème siècle qui fabrique des outils agricoles : deux
ouvriers, un enfant au travail autour d’une énorme machine. La légende décrit : « ici, un petit
marteau-pilon à vapeur ».
Le mot « machine » est évoqué. La classe fait ses remarques sur l’apparente contradiction
entre la photo et sa légende, sur la présence de l’enfant, sur un travail qui semble très manuel
alors que la machine est présente…
Le cours peut commencer…

1er support du cours : comparaison de 2 gravures, le filage au XVIIIème siècle (un homme
seul avec son rouet) et l’intérieur d’une filature à Orléans au XIXème siècle.
Un tableau distribué facilite la lecture comparée, ainsi qu’un texte du livre qui décrit le passage
de l’atelier à l’usine.
Après une mise en commun, une question : ce changement s’est-il fait brusquement ?
Le texte décrit bien les étapes de cette « révolution » industrielle et le passage progressif de
l’atelier à l’usine.
Un élève décrira à l’aide d’un dessin projeté au tableau, le fonctionnement de la machine de
Watt.
Une question : n’est-il pas étonnant de voir un homme filer ?
Les élèves approuvent : leurs images de ce type de travail est bien celle de la femme à la
quenouille (ils évoquent même la Belle au bois dormant !) et font remarquer que les femmes
ne sont pas présentes dans la filature d’Orléans.
Les femmes travaillent-elles donc ? délire d’élèves…
Le professeur expose oralement que le travail des femmes est omniprésent dans les campa-
gnes, comme agricultrice mais aussi dans bien d’autres activités, notamment dans les ateliers
de tisserand. Les femmes seront aussi présentes dans les grosses fabriques : la classe se
reporte immédiatement à la page 123 où une photo de cartoucherie Gévelot à Issy -les-
Moulineaux montrent trois rangées de femmes assises devant leur machine, sous l’énorme
verrière et sous la surveillance des hommes debout.
Quelques lignes dans le cahier : ……..
Je n’ose faire mention des femmes ; on les retrouvera plus tard. Et les élèves devront répon-
dre aux questions qui accompagnent la cartoucherie pour le cours suivant.

2ème support : photocopie d’une gravure « Les ateliers en chambre ». Deuxième idée : la
machine est associée à l’usine mais elle est loin de faire disparaître les ateliers ; elle peut
même créer de nouvelles organisations de travail hors usine.

Description : le lieu (la ville, un immeuble), les machines (certains ont vu des machines à
coudre et évoquent la Singer), la taille des ateliers, l’énergie utilisée pour faire fonctionner les
machines (il est question d’air raréfié... je les renvoie à leur prof de techno).
Je leur demande de faire quelques remarques sur : la main d’œuvre ( il y a des femmes, des
enfants…), sur main d’œuvre et étages (il y a séparation dans le lieu de travail entre les
hommes et les femmes), sur les matériaux travaillés ou produits fabriqués (des brosses pour
les enfants, des tissus pour les femmes qui fabriquent des chapeaux, du métal pour les hom-
mes qui fabriquent des cadres).

Premières Rencontres - mars 2001 %&


Toutes ces observations sont notées autour de la gravure.
J’en ai profité pour leur montrer, en guise d’illustrations seulement, quelques images de la
couturière devant sa Singer, des femmes aux doigts agiles devant les nombreux « fils » du
télégraphe. C’est tout.
Le cours se termine : je me dépêche de leur faire écrire quelques lignes avant que la cloche
ne sonne.
….
Ils ne sont pas sortis en disant : « la place des femmes est à la maison ! ». Je crois que c’est
passé sans problème…

Cette dernière remarque m’interroge : j’ai préparé ce cours en ayant le sentiment réel que ce
que je faisais avant était partiel… et faux ! Je n’ai nullement ressenti l’impression de « me
forcer à mettre des femmes dans mon cours » : elles devaient être présentes parce qu’elles
sont présentes dans le travail.
Et pourtant, j’ai présenté mon cours en ayant l’impression que je leur jouais un
tour…J’attendais la vilaine remarque sur l’histoire des chapeaux… comme si j’en faisais un
peu trop avec les femmes. La peur du militantisme. Une impression seulement…mais forte.
Nous avons encore des barrières à sauter…les enseignants, avant de les faire sauter aux
autres !

%' Premières Rencontres - mars 2001


Compte-rendu de l’atelier XIXème siècle

La discussion a porté essentiellement sur deux points :


- faut-il changer les programmes pour rendre les femmes plus visibles ?
- comment faire évoluer nos pratiques dans le cadre qui nous est donné ?

1- Faut-il changer les programmes pour donner plus de visibilité aux femmes ?

Les nouveaux programmes, malgré leurs qualités, expliquent en partie les difficultés qu’ont
les enseignants à rendre les femmes visibles. Il est davantage demandé de voir du côté des
élites, du pouvoir, contrairement au programme précédent qui était plus axé sur la société.
Une explication est avancée par un participant qui estime que ce sont souvent des équipes
masculines qui font les programmes.

L’analyse des manuels montre bien que les femmes y sont beaucoup moins présentes qu’aupa-
ravant. Les femmes y sont souvent exclues en tant que personne juridique, sujet, actrice
sociale. Le discours construit autour d’elles est le plus souvent conventionnel, voire ambigu.
La femme est souvent réduite à des caricatures (les tricoteuses, ou à des allégories (Ma-
rianne). La quasi disparition des leçons consacrées à la vie quotidienne les rend encore moins
visibles. La femme travailleuse est le plus souvent oubliée du monde industriel où son rôle fut
pourtant très important.

Les débats sur ce thème des programmes, au sein de l’atelier, portent d’abord sur la place
des femmes dans l’histoire. Certains participants, peu nombreux, semblent découvrir lors de
cette journée que l’absence des femmes, dans l’histoire qu’on leur a enseignée, ne prouve
pas qu’elles n’aient pas existé dans la réalité historique. La plupart des interventions se foca-
lisent sur l’importance de la reformulation des programmes. Certains estiment cette réforme
indispensable pour pouvoir avancer. D’autres défendent l’idée qu’une réforme ne sert à rien si
elle ne s’accompagne pas d’une évolution des mentalités et des pratiques enseignantes.
Faut-il une simple circulaire dans le style des documents d’accompagnements suggérant des
pistes, des conseils pour rendre visibles les femmes ou un programme qui impose ?

A défaut d’avoir tranché, plusieurs solutions sont proposées pour que les programmes évo-
luent . Faut-il expliciter dans ceux-ci « acteurs » et « actrices », insister par exemple sur le
sacre non de Napoléon mais de Joséphine ? Infléchir le programme vers davantage de so-
cial ? Obliger les collègues à avoir une lecture plus critique du code civil ? Introduire de
nouveaux documents à traiter obligatoirement ?

2- Comment rendre les femmes visibles dans notre enseignement ?

Seules quelques pistes sont abordées dans le court temps de l’atelier. On se contente ici de
les présenter.

Beaucoup insistent sur la nécessité d’avoir un regard critique sur les manuels et leur contenu
en particulier sur le choix des documents. Les rédacteurs des manuels sont soumis à des
impératifs éditoriaux qui ne permettent guère de renouveler l’iconographie dont le prix est très
élevé.

Un collègue propose d’utiliser le film ²Germinal² dont les rôles féminins sont intéressants. Un
autre suggère d’utiliser les allégories politiques que constituent les Mariannes pour permettre
en contrepoint de mettre en lumière les absences des femmes du champ politique.

Premières Rencontres - mars 2001 %6


En conclusion, la difficulté et l’absence de recettes toute faites pour modifier notre enseigne-
ment sont évoqués. Il s’agit modestement non de rajouter des connaissances sur les femmes
mais plutôt lors des différents thèmes abordés en cours (le politique, le travail, etc…) de faire
remarquer, d’évoquer les creux, les absences …

&8 Premières Rencontres - mars 2001


ATELIER XX° SIECLE

animation :
- Eric Boéri, lycée Professionnel Arc de Meyran – Aix-en-Provence
- Christine Colaruotolo, collège Coin Joli Sévigné – Marseille
- Patrick Parodi, lycée Joliot-Curie - Aubagne
- Annie Rouquier, historienne

1- LE POURQUOI DE LA DEMARCHE

· À cause de ce que sont les manuels


· Pour dépasser des représentations antiféministes latentes et notre enseignement tradi-
tionnel de l’histoire
· Pour une légitimisation des femmes dans l’histoire enseignée
· Remettre en place les grands hommes comme les grandes femmes
· Savoir si avec l’évolution de la société on envisage une évolution de la démocratie, une
démocratisation de l’histoire qui passe par une visibilité des femmes

2- LE COMMENT DE LA DEMARCHE

· Intégrer de nouveaux supports et changer notre regard sur les documents


· «Infiltrer» dans l’histoire enseignée l’histoire des femmes
· Mise en perspective : pic d’antiféminisme en 1914 à comparer avec les «angoisses»
des garçons d’aujourd’hui sur la place des filles
· Transdiscipliniraté : surtout facile en LEP mais aussi français-histoire, histoire-philo
· Une entrée avec le cinéma, avec les archives locales, avec K7 INA «histoire au jour le
jour»
· Éviter: la victimisation des femmes
de traiter par dossier, par exposé…
· Donc plutôt banaliser l’histoire des femmes dans notre enseignement de l’Histoire

Premières Rencontres - mars 2001 &7


La visibilité des femmes dans l’histoire enseignée

Enseigner une histoire mixte est une nécessité d’autant que l’histoire est pour les élèves une
source de modèles d’identification individuels et/ou collectifs. Peu ou pas de femmes dans les
sociétés passées sont présentes dans l’histoire enseignée.
Accorder une place plus grande aux femmes dans l’histoire enseignée, c’est permettre aux
filles de se situer dans le monde contemporain. Or, l’héritage transmis est dissymétrique.
Dans les programmes d’histoire des classes de troisième, première et terminale, la place
réservée aux femmes est réduite, le politique l’emportant sur le social et le culturel.
Si l’on fait un tour d’horizon des manuels scolaires de collège et de lycée pour cerner la
place des femmes dans ces manuels et les images véhiculées1 on peut faire plusieurs
constats communs au niveau collège et lycée :

· La place réduite des femmes dans les grands événements de l’histoire du XXe
siècle.

Le premier moment de l’entrée des femmes dans l’histoire enseignée en classe de troisième est
la Première Guerre Mondiale. L’ensemble des manuels évoque l’appel à la main d‘œuvre
féminine (munitionnettes) mais elles apparaissent aussi souvent pour témoigner de l’impor-
tance de la mobilisation masculine. Par contre, à l’exception du Magnard troisième, aucune
allusion n’est faite sur l’ambiguïté des conséquences du conflit et ses effets antiféministes.

Si le mouvement des femmes, lors de la Révolution russe de février 1917 est mentionné, les
femmes ne font pas l’objet d’un traitement particulier dans les chapitres consacrés au stali-
nisme ou au nazisme en troisième. En lycée, les situations plus favorables comme le nouveau
code civil adopté sous Lénine, sont ignorées .

Sous le Front populaire, et contrairement aux manuels de lycée, la plupart des manuels de
troisième à, l’exception du Belin, mentionnent dans le texte la nomination de trois femmes
sous-secrétaires d’Etat au gouvernement mais aucun d’entre eux ne souligne le fait para-
doxal qu’elles ne disposent pas encore du droit de vote en France. Aucune mention n’est
faite, par contre, du combat des suffragettes en troisième. En lycée, quelques photos évo-
quent leur combat. Seul le Magnard première va plus loin en proposant une carte des États
ayant accordé le droit de vote après la Première Guerre Mondiale.

Tout comme pour la Première Guerre Mondiale, le second conflit mondial réactive les rôles
traditionnellement assignés aux femmes. Epouse, fille ou sœur de prisonnier, elles sont pré-
sentées sous les traits de femmes accablées ou victimes confrontées aux difficultés de ravi-
taillement.
La participation des femmes à la Résistance est passée sous silence. La Résistance est
présentée comme une affaire d’hommes, les témoignages étant exclusivement masculins.
Une exception toutefois, un manuel (Nathan 3ème) évoque la participation des femmes à la
Résistance à la fois dans le texte : «Embryonnaire en 1940, divisée, la Résistance est l’œuvre
d’hommes et de femmes animés par leur patriotisme et leur anti-nazisme « (Nathan 3ème,
p.110) et à travers un tract communiste émanant des femmes patriotes ²Appel à la résistance
adressé aux Travailleurs nos frères² (Nathan 3ème doc.2, p.111). Ce même manuel est le seul
qui évoque les excès de l’épuration dans le texte et dans un document (photographie d’une
femme tondue doc.1, p.112, Nathan 3ème). En collège comme en lycée, aucun nom de résis-
tante, aucune évocation des femmes combattantes ou auxiliaires de l’armée.

Pour la période 1945 à nos jours, tous les manuels de collège et lycée soulignent l’acquisition
du droit de vote par les femmes. Si les manuels de terminale abordent rapidement les chapi-
tres économiques et sociaux (augmentation du nombre de femmes salariées et des lois sur la

&! Premières Rencontres - mars 2001


contraception et l’avortement), le silence est total sur les inégalités salariales, sur l’absence
des femmes dans les partis politiques …
Les manuels compensent cette absence de visibilité des femmes en proposant des dossiers :
- les mutations du travail féminin (Magnard 3ème, p.100)
- les femmes dans la société française de 1945 à nos jours (Nathan 3ème, p.318)
- « Nous les femmes en marche vers l’émancipation » (Bréal, première)
- « Les femmes en France depuis la Seconde Guerre Mondiale » (Magnard, terminale).

· Les femmes sont relativement plus présentes dans les documents que dans les
textes des manuels.

Incarnant la patrie, la république, les femmes sont aussi une composante des affiches de
propagande. Femmes travailleuses émérites en U.R.S.S, on les retrouve dans les chapitres
consacrés au nazisme ou aux deux guerres mondiales pour promouvoir les emprunts natio-
naux.

Dans quelques photographies présentes dans les manuels d’histoire de troisième, on


entr’aperçoit les femmes au travail comme les ouvrières lors des grèves de 1936. Mais dans
ces photographies ou dans les affiches de propagande, la femme y figure le plus souvent
dans le rôle d’épouse ou de mère de famille notamment lors des premiers congés payés ou
encore dans les années 1950 -1960.

Les femmes sont, par contre, présentes pour illustrer les progrès dans les conditions de vie
des sociétés. Dans les chapitres consacrés à la société de consommation, leur présence
devient massive : publicité pour l’électroménager qui «libère» la femme, ménagères dans les
rayons des supermarchés ou affublées de bigoudis et poussant un caddy bondé (sculpture de
Duane Hanson).

· Un silence accompagne souvent leur apparition dans les documents apposés sans
aucun commentaire ou questionnement approprié.

Ainsi, dans un dossier intitulé une société qui change (Belin 3ème, p.272) les droits acquis par
les femmes entre 1944-1980 sont évoqués à travers une mini chronologie sans l’ombre d’un
commentaire et sans la moindre référence aux mouvements féministes.
Dans la même page, une photo représentant une salle d’examen dans les années 1960 où
les candidats sont quasi exclusivement des jeunes filles. Or, aucun questionnement ne porte
sur les progrès de la scolarisation des filles.

· Les figures féminines de premier plan apparaissent comme les grandes perdantes

Dans le programme d’histoire de troisième, les annexes biographiques ne comportent aucun


nom de femme. En classe de première et terminale, les manuels n’offrent que deux biogra-
phies : celle de la Reine Victoria (Belin 1ère) et celle d’Arlette Laguiller ( Magnard terminale). En
troisième comme en terminale, aucune figure historique n’est inscrite dans les personnages
clés que les élèves sont invités à réviser pour les examens.

Au fil des pages des manuels, on peut glaner quelques rares noms comme Rosa Luxembourg
(extrait Rote Fahne Hatier 3ème, p.37), Suzanne Lacore (nommée sous-secrétaire à la protec-
tion de l’enfance en 1936), Simone Veil, Edith Cresson, sont évoqués en collège comme en
lycée encore que le Nathan troisième omet de mentionner que c’est la première fois qu’une
femme devient ministre. L’image de la femme militante ou actrice politique est plus que sous
représentée.

Premières Rencontres - mars 2001 &"


Autres omissions significatives en collège, aucune mention n’est faite des suffragettes des
années 1930 et de Louise Weiss. En collège et lycée aucun nom de résistantes comme
Danielle Casanova, Bertie Albrecht ne sont citées.
En terminale, des personnages féminins comme Golda Meir en Israël, Cory Aquino aux Philip-
pines sont ignorés.

Il est à noter aussi la part infime des témoignages féminins : Emilie Carles, Simone Veil,
Geneviève de Gaulle en troisième. En lycée, aucun texte d’historienne ou de sociologue n’y
figure. Sur huit manuels en lycée, on peut trouver trois textes de Simone de Beauvoir et deux
fois le texte de Rosa Luxembourg critiquant la révolution bolchevique.

Les notations concernant les femmes sont donc éparses dans les manuels. Or, il faut garder
à l’esprit que les élèves ne disposent que d’un manuel et donc qu’une partie infime de ces
informations sur cette question.

L’analyse d’ensemble des manuels reflète, au total, la faible place laissée aux femmes en
tant qu’actrices à part entière des événements historiques dans l’histoire enseignée. Elles
apparaissent à travers des notations brèves, lors de rendez-vous convenus, sans réelle figure
emblématique. Une présence sans continuité, en pointillé, les liens manquants souvent entre
leurs apparitions. Difficile en conséquence de cerner l’évolution de la condition féminine avec
ses luttes, ses acquis et ses reculs ou encore les mutations du travail féminin au cours du XXe
siècle.

L’étude a été réalisée à partir de quatre éditions: en collège (Hatier, Magnard, Belin, Nathan) et en lycée (Bréal, Belin, Magnard et Hatier)

&# Premières Rencontres - mars 2001


Le XXe siècle
… offre de nombreuses pistes d’entrée.

Les programmes ne comportent pas d’incitation à l’enseignement d’une histoire mixte. Les
manuels aggravent, on l’a vu, cette tendance à l’absence des femmes dans l’histoire ensei-
gnée. C’est avec ces programmes et ces manuels qu’il faut inclure la mixité. Mais, quelles
connaissances indispensables sur les femmes au XXe siècle voulons-nous transmettre aux
garçons et aux filles de nos classes ?

On peut retenir quatre points essentiels qui correspondent aux grandes coupures chronologi-
ques des programmes.

1- La Première guerre mondiale et ses répercussions sur les femmes

Ce sujet permet d’introduire plusieurs éléments :


- la mobilisation des femmes dans l’économie : elle est relativement rapide dans les cam-
pagnes (voir la déclaration du président du conseil français Viviani le 07 août 1914 qui mobi-
lise les femmes pour les moissons). En 1918, 60% des agriculteurs sont des agricultrices.
Celles-ci jouent un rôle important dans la mécanisation (moissonneuses batteuses) pour les
exploitations les plus aisées. Cette mobilisation est plus tardive dans les autres secteurs d’acti-
vité comme l’industrie ou les services où la féminisation est alors largement entamée.

- le développement de discours contre les femmes : pendant le conflit, les discours tradi-
tionnels de la femme, mère et épouse et gardienne du foyer sont nombreux. Mais, les dis-
cours contre l’arrière prennent parfois pour cible les femmes, libres, financièrement indépen-
dantes ( coquettes, infidèles et frivoles sont les accusations les plus courantes). Cette ten-
dance se renforce à la fin et dans l’immédiat après-guerre : en janvier 1919, la démobilisation
de la main d’œuvre féminine est officielle. La différence des sexes est accentuée : la mater-
nité est survalorisée et la femme réduite à l’image de mère.

2- Les démocraties libérales entre les deux guerres

Quelques points à développer :


- la différence entre l’image et le discours : se développe une image de la femme mo-
derne, qui entre dans de nouvelles activités ou loisirs (ex. Suzanne Lenglen, Alexandra Da-
vid-Neel), voire la radicale Garçonne de Victor Margueritte, dont l’héroïne Monique Lerbier,
refuse un fiancé infidèle, devient décoratrice, rompt avec sa famille et assume une totale
liberté sexuelle par l’homosexualité avant de se marier à un ancien combattant. Cette image
est en totale contradiction avec les discours qui restent beaucoup plus conservateurs : les
femmes restent confinées au rôle traditionnel de la mère et de l’épouse dont l’objectif reste la
procréation.

On peut également retrouver ailleurs cette contradiction : dans l’entre-deux-guerres (avec


une certaine avance des États-Unis dans ce domaine), le travail ménager devient un art (1er
Salon des arts ménagers en 1923) et est présenté comme un acte de créativité (la ménagère
cordon bleu). Cela contredit la réalité de la vie quotidienne (exiguïté des logements, 2/3 des
Français ont l’électricité en 1938 etc.). Mais, cela s’inscrit dans une propagande populationniste
et familiale : le temps libéré grâce au progrès de l’art ménager doit permettre aux femmes
d’avoir plus de temps pour jouer leur rôle de mère. En effet, la France est touchée par l’obses-
sion démographique après la guerre : publicité et glorification des familles nombreuses, ré-
pression de l’avortement et de la publicité pour les pratiques contraceptives par la loi de 1920.
Ces mesures sont soutenues par les féministes réformistes qui y voient l’occasion d’obtenir

Premières Rencontres - mars 2001 &$


des droits pour les femmes par la valorisation de la maternité alors que les féministes radica-
les telles Madeleine Pelletier s’y refusent.

Se développe ainsi une véritable politique familiale, amorce d’un « Etat providence » : allége-
ment des horaires et rémunération des huit semaines de congé de maternité pour les institu-
trices et les « demoiselles » de la poste en 1922, assurance maternité par les lois du 5 et 30
avril 1930, allocations familiales crées en 1934 jusqu’aux 14 ans de l’enfant, versées au père
ou à la mère, etc. Par contre, cette politique ne résout pas les problèmes de garde des enfants
car la femme est pensée au foyer.

Cependant, la réalité est tout autre ; la part des femmes actives augmente entre-deux-guer-
res : en France, le taux d’activité des femmes est de 36% en 1926 ; 42% des femmes mariées
travaillent en 1936. Le tertiaire se féminise : le salaire des femmes remplace la dot dans les
classes moyennes, la scolarisation plus grande des filles, la naissance de métiers perçus
comme conformes à la « nature féminine » tels secrétaire, infirmières ou institutrices. Dans le
monde de l’usine, la part des femmes augmente (1/4 des effectifs de Renault) mais le travail
de la femme est vécu comme une incapacité à pouvoir subvenir aux besoins familiaux par les
maris.

- La différence de situation entre démocraties libérales : en Grande Bretagne et dans les


pays scandinaves, les femmes bénéficient de droits plus étendus : droit de vote accordé avant
1918 pour les pays scandinaves (Norvège 1914, Danemark en 1915 ) en 1920 pour le Royaume-
Uni, extension des droits juridiques (Danemark : égalité d’accès aux fonctions publiques et de
salaires en 1921, autorité parentale partagée en 1922, égalité juridique des droits et devoirs
de la femme et du mari). La première femme ministre danoise fut Nina Bang qui fut ministre de
l’Éducation nationale de 1924 à 1926, la 2ème au monde après la Soviétique Alexandra Kollontaj.

En France, la situation est plus simple ; les femmes restent des mineures aux yeux de la
loi. Sur le plan politique, l’Assemblée nationale vote à plusieurs reprises le droit de vote aux
femmes (1919, 1932, 1935 et 1936) mais le Sénat s’y refuse en invoquant des arguments tels
que la nature des femmes, le fait qu’elles se montreraient plus conservatrices dans leur choix
si elles devaient voter et le fait qu’elles aient en majorité soutenu Hitler en Allemagne. Sur le
plan juridique, les femmes restent des mineures : incapable juridiquement jusqu’en 1938,
obéissance au mari, divorce sous conditions depuis 1884, contrôle de la correspondance, etc.

3 - La Seconde guerre mondiale et ses répercussions

La Seconde guerre mondiale est marquée par le rôle essentiel des femmes dans les résistan-
ces et une répression particulière à travers le phénomène des tontes. Elle débouche en France
sur l’accession des femmes au droit de vote.

- le rôle des femmes dans les résistances (voir le texte de Malraux dans le dossier qui résume
l’essentiel). Les motivations des résistantes sont diverses : ex. engagement familial (Lucie
Aubrac, Geneviève de Gaulle, etc.) et leur entrée en résistance prend des formes multiples
(fourniture de nourriture ou de planque ou de faux papiers, diffusion de tracts ou d’informa-
tions). Peu manièrent les armes ou dirigèrent un réseau (Marie Madeleine Fourcade et le
réseau Alliance). Cependant, elles sont plus qu’indispensables au fonctionnement des ré-
seaux et sont victimes en grand nombre de la répression ou de la déportation.
A la fin de la guerre, elles ne sont pas reconnues : seules 6 femmes (dont 4 à titre posthume)
sont reconnues compagnons de la Libération contre 1024 hommes. 7,6% des femmes sont
membres de Comités départementaux de Libération.

- l’épuration se marque comme une répression sexuée à travers le phénomène des tontes :
entre 1943 et 1946, 20 000 femmes furent tondues dont la moitié pour la « collaboration
horizontale », moins réelle que révélatrice d’un discours sur les femmes, dont la nature est

&% Premières Rencontres - mars 2001


responsable de leur collaboration. La collaboratrice trahit sa fonction de femme, d’épouse et
de mère, gardienne des valeurs de la Patrie : elle couche avec l’ennemi comme la patrie s’est
couchée devant l’Allemand. La tonte est alors vécue comme la punition de la femme sortie de
son rôle traditionnel, un moyen de se réintégrer dans la communauté nationale pour les pri-
sonniers et les déportés et une réappropriation du sol national (la chronologie des tontes suit
celle de la libération du territoire et leur déroulement dans les villes passe par les lieux symbo-
liques de la cité). C’est donc une véritable violence faite aux femmes pour marquer le retour
d’une « France virile ».

- l’accession au vote se fait par l’ordonnance du 21 avril 1944 ; la décision n’est pas motivée
par le combat des féministes mais par la participation des femmes à la Résistance, par le
décalage entre la France et de nombreux autres pays et un vote réputé conservateur , rem-
part contre le communisme. Il est alors inscrit dans la Constitution de 1946 l’égalité entre
hommes et femmes mais la situation juridique de celles-ci est inchangée. Il y a donc contradic-
tion entre le texte constitutionnel et l’application concrète de celui-ci.

4 - La rupture des années 60

Les années 60 constituent une véritable rupture pour la condition des femmes ; elles ouvrent
une période qui met progressivement fin sur le plan juridique à la contradiction entre l’affirma-
tion de l’égalité entre les sexes et une situation inégalitaire.
Après guerre, c’est sur la nécessité de maîtriser son corps et sa fécondité que les combats
féministes insistent (voir le retentissement du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir en
1949). Malgré l’opposition de nombreux milieux (catholiques par ex. qui défendent la méthode
Ogino et les communistes), la loi Neuwirth de 1967 autorise la contraception et la loi Veil
libéralise l’avortement. Les mouvements féministes jouent alors un rôle très important : ils
obtiennent au début des années 70 la parution des décrets d’application de la loi de 1967,
mettent en avant les conditions réelles d’avortement, les problèmes de viol, d’accueil des
femmes battues afin d’obtenir des changements législatifs.

Ces mesures s’inscrivent dans une série de mesures de modification du Code civil : en 1965,
les femmes peuvent librement ouvrir un compte en banque, accepter un emploi ou un enga-
gement artistique, remplacement de l’autorité paternelle par l’autorité parentale en 1970, loi
d’égalité salariale pour travail de valeur égale de 1972, divorce par consentement mutuel et
interdiction de toute discrimination sexiste à l’embauche en 1975, loi Roudy sur l’égalité pro-
fessionnelle en 1983, loi sanctionnant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail en 1992, loi
sur la parité en 1990.

Il y a donc une véritable révolution sociale dès les années 60 qui permettent aux femmes une
meilleure maîtrise de leur vie. Cependant, d’autres inégalités se recomposent :
- dans le monde du travail et de la politique, le nombre de femmes aux postes de respon-
sabilité reste faible : 10% de femmes députées en France en 1997 (Inde 8,8%, Grèce 7,6%,
Suède 42,7%) où le mode de scrutin uninominal joue contre elles.
- les inégalités restent fortes en terme de salaires (une différence de 12% entre hommes
et femmes) ; le travail précaire, les emplois disqualifiés, le chômage touchent davantage les
femmes.
L’égalité reste davantage un objectif qu’une réalité.

Ces différentes entrées qu’offrent les programmes de collège et lycée portant sur le 20ème
siècle ne sont pas limitatives : l’étude de l’Allemagne nazie ou de l’Italie fasciste, de l’Urss, des
grands mouvements artistiques (les femmes sont exclues dans les manuels des champs de la
création), etc. permettent d’entreprendre une histoire mixte.

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Personnages Féminins :

On peut remarquer une quasi-absence de personnages féminins ayant eu un rôle majeur. La


présence des femmes est souvent anonyme ; elle sont représentées sur des affiches comme
symbole ou allégorie de la paix, de la République,… de la mère, de la femme au foyer,… de
l’exploitation ouvrière dans les pays en développement…

Exemples :
- Terminale Histoire Géographie, dir. Jacques Bodineau, Foucher, Paris, 1999, p.136 : dans
les pages repères n’apparaît: aucun nom de femme
- BEP Terminale, Chapon j., Corlin M., Lancelot G. «et al », Hachette technique, Paris, 1994,
p.41 : une photographie présente une femme devant un réfrigérateur ouvert avec des pro-
duits de consommation alimentaire (c’est la seule présence de femme dans le film des événe-
ments qui introduit chaque séquence).

Thèmes :

Les événements concernant l’action des femmes dans certains domaines comme la résis-
tance, la vie politique, sont presque toujours ignorés, ou ils font l’objet de dossiers thémati-
ques :
Exemples :
Rien sur les suffragettes (excepté en Bac Pro chez Nathan), et seulement un cliché montrant
une femme qui vote en 1945 et la date de 1944 dans les chronologies.
- Terminale Histoire Géographie, dir. Jacques Bodineau, Foucher, Paris, 1999, p.43 : page
thématique concernant Le travail féminin
p.63 : dossier sur La place de la femme dans la vie publique

Les femmes sont donc peu présentes et leurs rôles dans l’Histoire très faiblement représen-
tés. Il y a manifestement un manque de personnages et d’actes référents pour nos élèves,
filles et garçons.

Comment changer leur représentation, sans se détourner des objectifs pédagogiques indi-
qués dans les programmes ? (En intégrant les femmes, sans dossier spécifique, mais en les
faisant apparaître « naturellement »).

Comment continuer à se servir des manuels ? Comment se servir des documents présents ?
Comment faire avec leurs défauts ? Doit-on critiquer clairement cette représentation de la
femme ? …

&' Premières Rencontres - mars 2001


Interdisciplinarité en Lycée Professionnel

Une des particularités de l’enseignement professionnel est la bivalence, Lettres-Histoire pour


ce qui nous concerne. Il apparaît donc une interdisciplinarité naturelle, assumée par le même
enseignant.
Des études de textes peuvent être abordées dans les deux disciplines. Textes littéraire ayant
un intérêt historique (Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir…) ou textes historiques pou-
vant trouver un écho dans certaines séquences de français (articles de journaux dans une
leçon sur la presse).

Les images sont également susceptibles d’être traitées dans les deux domaines. La lecture
de l’image constitue en effet une séquence à part entière dans le programme de français, et
cela chaque année. Les affiches, les illustrations, les photographies, les documents vidéo
sont autant de supports transdisciplinaires (les arts plastiques peuvent aussi jouer un rôle).
L’apprentissage du « décryptage », de la mise en évidence de la structure et de l’organisation
d’un texte ou d’une image sera réinvesti en histoire, ce qui augmentera la justesse d’analyse.
« Replacer le texte dans son contexte historique», cette phrase, souvent répétée par le pro-
fesseur de français, trouve ici un écho favorable.
Le professeur de LP peut donc assez facilement lier des séquences de français et d’histoire.
En collège et lycée cela nécessite un travail d’équipe particulier, une organisation à plusieurs
du déroulement des séquences. On peut également imaginer des « points de rencontres »
dans les programmes de chaque discipline à différents moments de l’année.

Premières Rencontres - mars 2001 &6


Compte-rendu de l’atelier XXe siècle.

Cet atelier se proposait de réfléchir sur le thème de la visibilité de la femme dans l’histoire
enseignée du XXe siècle.

En introduction un état de lieux de la question à travers les programmes et les manuels scolai-
res a été proposé ainsi qu’une mise au point sur les connaissances indispensables concer-
nant les femmes au XXe siècle à transmettre aux garçons et aux filles.

L’analyse des programmes d’histoire de collège et lycée a permis de souligner combien l’hé-
ritage transmis est dissymétrique, la place réservée aux femmes étant particulièrement ré-
duite. Il est vrai que, dans ces programmes, le politique l’emporte largement sur le social et le
culturel.

Le tour d’horizon des manuels de collège et lycée, illustré par une projection de documents, a
révélé la faible place laissée aux femmes en tant qu’actrices à part entière des événements
historiques dans l’histoire enseignée du XXe siècle. Elles apparaissent à travers de brèves
notations, lors des rendez-vous convenus, sans réelle figure emblématique. Une présence
sans continuité, en pointillé, les liens manquant souvent entre leurs apparitions. La part infime
réservée aux témoignages féminins a été également relevée. Cette analyse a enfin révélé
comment les manuels compensaient ce manque de visibilité en proposant des dossiers spé-
cial femme.
Le même constat a pu être fait à partir des programmes et manuels de LP.

A l’issue de cet exposé, un débat s’est engagé autour du thème pourquoi et surtout comment
rendre plus visible les femmes dans l’histoire enseignée du XXe siècle ?

Dans l’ensemble, les collègues présents ont adhéré à cette démarche, conscients de la né-
cessité de dépasser les représentations antiféministes latentes et convaincus de devoir, pour
cela, changer au préalable «leur propre regard ».

Un collègue enseignant en LP a souligné à la fois la nécessité et la difficulté d’une telle


démarche lorsque le public scolaire est composé à plus de 95 % de garçons avec un fort
pourcentage d’élèves d’origine étrangère.
Au cours du débat, Annie Rouquier a rappelé que l’histoire est pour les élèves une source de
modèle d’identification individuel/ou collectif ; elle a montré comment cette histoire revisitée
pouvait permettre aux filles, munies d’un passé, de mieux se situer dans le monde contempo-
rain et les aider à construire leur identité. Une histoire mixte contribuerait également à la
légitimation des femmes dans la place publique.

Un collègue a souligné la nécessité de rester vigilant pour éviter le risque d’une dérive mili-
tante. La nécessité d’un changement des programmes a été également évoquée par une
collègue. Michelle Zancarini, maîtresse de conférences à l’IUFM de Lyon, a rappelé à cette
occasion la tentative d’Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme, de rédiger une
circulaire pour infléchir les programmes dans ce sens, et les résistances rencontrées.

S’agissant des démarches à mettre en œuvre, plusieurs propositions ont émergé :

Il conviendrait tout d’abord de revisiter les questions jusque là conjuguées au masculin, en


occultant moins le rôle des femmes dans les grands événements du XXe siècle. L’introduction
de quelques personnages féminins de premier plan a été proposée. Une présence régulière

'8 Premières Rencontres - mars 2001


et continue des femmes serait également plus pertinente et remplacerait avantageusement
les présentations ponctuelles sous forme de dossiers ou d’exposés.
L’accent a été mis sur les écueils à éviter : une victimisation des femmes ou à l’inverse une
recherche d’héroïne- preuve qui ne pourraient que nuire au but recherché.

Une autre proposition invitait à s’attaquer aux stéréotypes qui sous tendent les représenta-
tions. Il s’agit alors de décoder avec les élèves, les documents présentant des vues conven-
tionnelles dans les manuels, afin qu’ils en prennent conscience.
Le professeur d’histoire peut également s’interroger avec eux sur la rareté des documents, les
omissions qui sont tout autant significatives et révélatrices.
Les manuels n’offrant pas toujours les documents adaptés à une telle démarche, la possibilité
d’utiliser d’autres supports a été évoquée : films, cassettes vidéo (de l’INA), archives loca-
les…

Toujours dans la même perspective, l’approche transdisciplinaire (francais/histoire) adopté en


LP pourrait être étendue en collège et lycée notamment dans le cadre de travaux croisés ou
de T.P.E (français/histoire ; histoire/philosophie en Terminale) et permettrait d’élargir les sour-
ces (pièces de théâtre, romans…)
Reste une autre dérive à éviter : une histoire des femmes qui s’adresserait exclusivement aux
filles et dont les garçons pourraient se sentir exclus. Il faut penser à rassurer les garçons
souligne un collègue. Poser la question sous l’angle du genre, des rapports entre le masculin
et le féminin et de la construction sociale de ces identités, permettrait, selon Michelle Zancarini,
d’écarter ce risque.

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