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dans le cadre de la «Convention pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les
garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif»
Vingt numéros plus tard, avec une diffusion dépassant le cadre académique et même
national (vertu propre à Internet), Les 1ères Rencontres de La Dur@nce organisées le 28
mars 2001 dans les locaux du CRDP à Marseille furent en quelque sorte l’aboutissement
logique de cette entreprise. Il s’agissait de renouer avec une habitude déjà ancienne de
rendez-vous disciplinaires annuels et d’offrir au plus grand nombre – dépassant même les
strictes frontières de notre discipline – une occasion exceptionnelle de rencontres et de
débats autour d’une question forte de notre enseignement.
Le thème retenu cette année : «Les femmes dans l’histoire et le droit au passé»
était directement lié à la signature le 25 février 2000 de la Convention «Promouvoir l’égalité
des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système
éducatif» (cf. B.O. n°10 du 9 mars 2000). Tout en s’inscrivant dans le cadre d’une action
transversale, interpellant tous les acteurs du système éducatif, ce thème offrait l’occasion
d’une vraie réflexion sur l’histoire, tant au niveau de la recherche universitaire qu’en ce qui
concerne les pratiques d’enseignement en collège et lycée. Nous tenons d’ailleurs à remer-
cier les professeurs de lettres-histoire, lettres, langues, sciences physiques, documentalis-
tes, entre autres, de leur participation aux débats, aux côtés des historiens-géographes.
Dans les pages qui suivent, avec les contributions essentielles de Michelle Zancarini-
Fournel et de Catherine Marand-Fouquet, nous constatons que l’histoire scolaire trouve
dans l’exploration de ce thème l’occasion d’une réflexion élargie sur la recherche historique,
les programmes scolaires, les manuels, les pratiques enseignantes et, globalement, sur la
société. A la lecture des compte-rendus d’ateliers du 28 mars, nous ressentons, en effet,
combien tous ces éléments sont les reflets multiples et convergents d’une communauté qui
peine à mettre en pratique une conviction partagée chaque jour par un plus grand nombre :
le droit au passé pour tous.
Le travail historien n’est jamais neutre et rapporte, au-delà des faits explorés, les
contradictions et les utopies d’une société. L’interpellation de la recherche a paru dans l’en-
semble fort stimulante aux participants à ces Rencontres ; elle a, dans le même temps,
suscité un certain désarroi : comment peut-on compenser les insuffisances d’une produc-
tion universitaire ?
Plus simple a été l’entreprise de critique des manuels scolaires. Vite désacralisés,
Les débats ont mis en relief cette apparente contradiction entre l’usage naturel –
indispensable – de la liberté pédagogique et le respect du contrat proposé par le programme
En ce sens, le thème des Rencontres rappelait à chaque enseignant la nécessité du choix,
choix non contradictoire avec la prise en compte des objectifs fondamentaux de nos discipli-
nes.
Il est apparu évident que la résolution du problème passait, nécessairement, par une
réflexion approfondie sur le passé reconstruit à travers la recherche historique. En effet,
seules des connaissances historiques bien maîtrisées permettent de se libérer de la lettre
des programmes tout en suivant l’esprit et les finalités. Rarement une question n’a montré
de façon aussi sensible le lien essentiel entre contenu et démarche.
Les 1ères Rencontres de La Dur@nce , cette brochure en témoigne, ont été l’occa-
sion de porter un autre regard, nécessairement critique, sur l’histoire telle qu’elle se cons-
truit et telle qu’elle s’enseigne. L’exploration du thème «Les femmes dans l’histoire et le
droit au passé « n’est confortable pour personne ; elle ne débouche, en final, sur aucune
solution simple pour l’enseignant. Porter un autre regard, c’est en effet de première néces-
sité. Prendre conscience de la dissymétrie de l’héritage transmis, c’est déjà permettre aux
filles, à l’instar des garçons, d’accéder à ce droit au passé qui seul peut leur garantir de
s’identifier et de se situer dans le monde contemporain.
Juste déplacer son regard. C’est au fond une manière d’assumer sa liberté d’ensei-
gnant.
Jean SÉRANDOUR
Inspecteur Pédagogique Régional d’histoire-géographie
Académie d’Aix-Marseille
Naïveté, provocation ou « légère » anticipation ? Nous savons que nous pouvons visiter des
kilomètres de bibliothèques historiques, ainsi que Virginia Woolf 1 dit l’avoir fait en 1929, et
trouver fort peu de traces du passé des femmes. Invisibles et silencieuses… Et pourtant…
Certain(e)s historien(ne)s répondent déjà par la négative à la question posée et évoquent les
trente dernières années. Car si, en 1973, s’ouvrait à Paris VII le séminaire de Michelle
Perrot « Les femmes ont-elles une histoire ? », si, en 1983, on se demandait à Saint Maximin
« Une histoire des femmes est-elle possible ? »,2 en revanche, en 1997, la question posée au
colloque de Rouen donnait un ton nouveau : « L’Histoire sans les femmes est-elle possi-
ble ? »3
L’article, désormais défini, pose l’unicité d’un récit historique qui doit, parlant des socié-
tés passées, parler des hommes et des femmes, de leurs différences socialement construites,
de leurs rôles, de leurs relations, de leurs participations multiples. L’objet « femmes » est
aussi pluriel que l’objet « hommes » quand on le croise avec les aspects politiques, économi-
ques, sociaux, juridiques, nationaux, religieux, culturels… Le singulier, si fréquent, (« la »
femme) renvoie à un « éternel féminin », à une « nature » qui contredit, dès le départ, l’effort
d’historicisation, l’existence d’un passé.
Appuyés sur cette mise au point, on peut faire une récapitulation (non exhaustive) de ce
que nous avons à notre disposition pour insérer, au quotidien, les femmes dans les questions
historiques du programme. L’histoire enseignée avec les femmes est possible… et pas
seulement dans des parenthèses ou des dossiers spéciaux. Elles ont toujours constitué la
moitié des sociétés et leur passé peu à peu reconstruit trouve sa place dans des récits renou-
velés. Les configurations de la domination qu’elles ont subies ont été (sont) multiples et com-
plexes, les thèmes énumérés ici (d’autres aussi) méritent d’être historicisés. Ainsi on peut être
amené à intégrer dans le contenu proposé, en fonction de la problématique et de l’angle
d’attaque choisis, de la période considérée :
1- les statuts sociaux et juridiques : les écarts entre le droit et les pratiques, les marges de
violence acceptées à un moment donné par une société
2- la place dans les religions, les mythes, le statut symbolique
3- les activités, les travaux et la répartition des tâches. Les femmes ont toujours travaillé, et
pas seulement depuis le XIXème siècle… dans quelles conditions ?
4- la sociabilité et la place dans la vie sociale aux différents niveaux (fêtes, loisirs, sa-
lons…), les liens sociaux et associatifs, la participation (intermittente) à la vie intellectuelle…
5- l’éducation, le rapport au savoir, aux techniques
6- la rareté des œuvres passées et les obstacles longtemps mis à la création féminine
« justifiant » un déni de créativité…
7- les transgressions et les marges en matière de vie privée, de création…
8- le rapport au Pouvoir, aux pouvoirs, les contre-pouvoirs, les ruses, les contournements,
les pouvoirs « obliques », les compensations qui expliquent la part de consentement des
femmes
9- la citoyenneté (politique, sociale), l’exclusion, la sexuation des politiques
10- la participation aux mouvements politiques (et dès l’Ancien Régime, aux révoltes)
11- le féminisme (comme mouvement politique)
12- l’implication (souvent occultée) dans les grands événements historiques et les répercus-
sions de ceux-ci sur «la condition» féminine : les révolutions, les guerres qui ont un tel poids
au XXème siècle…
13- la place et la définition des «héroïnes» ; ce terme s’applique-t-il à toutes celles qui ont
émergé sur la scène publique ? Sont-elles alibis, exceptions pour faire règle, preuves que la
règle n’était pas «naturelle»… ? Faut-il distinguer héroïsme, sainteté, célébrité, pouvoir ?
14- la place des groupes anonymes
15- la profusion des discours et des représentation
Si on veut changer notre regard sur les contenus d’enseignement, le « stock » de connais-
sances et de possibilités n’est pas négligeable… les ateliers du 28 mars après-midi ont com-
mencé à ouvrir quelques pistes qu’il faut désormais débroussailler.
Car, l’histoire enseignée sans les femmes est impossible, du moins si on veut res-
pecter les finalités officielles. N’est-il pas question, quelle que soit la formulation, de former
des citoyens conscients, capables de comprendre le monde qui les entoure et d’analyser des
situations ? D’assurer une formation intellectuelle et critique, une formation civique, de trans-
mettre un patrimoine qui, plus tard, légitime, qu’on le veuille ou non, l’action publique des
nouveaux venus sur la scène ? Il faut savoir d’où on vient pour savoir qui on est et décider où
on veut aller. Tout ceci, d’après les textes officiels, semble valable pour tous et toutes… On a
aussi, peut-être, besoin de figures fondatrices pour se construire : les mythes, les contes, les
films, les romans et… l’histoire en fournissent qu’il faut connaître et … parfois apprendre à
déconstruire pour acquérir plus de liberté.
Seules des connaissances historiques peuvent permettre de « dénaturaliser » ce qui est
considéré comme « naturellement » féminin : caractéristiques (qualités ou défauts), attitudes,
comportements, dons, vocations, rôles, assignations surtout… et de le concevoir comme cons-
truit par la société… Ainsi peut-on se donner moins de limites et accroître sa capacité de
projet. Ces connaissances peuvent, certainement, déculpabiliser les femmes : une histoire
« Le déni d’histoire est une forme de dénégation. Ce qu’on ne raconte pas n’existe
pas. Ce qui n’est pas, à un moment ou à un autre, objet de récit, objet d’histoire, n’existe
pas. Les tyrans le savent bien qui effacent les traces de ceux qu’ils entendent réduire au
néant.
L’histoire est une deuxième naissance. Peut-être même la vraie naissance au monde et
au temps. L’histoire est re-création du monde. » (Michelle Perrot).
1
Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929, réed. 10/18, Denoël 1992.
2
Michelle Perrot (s/s dir.), Une histoire des femmes est-elle possible ? Rivages, 1984
3
Anne-Marie Sohn et Françoise Thélamon (s/s dir.), L’Histoire sans les femmes est-elle possible ?Perrin, 1998
La réticence de nombre d’historiens à intégrer l’histoire du temps présent est connue. Assimi-
lée souvent au journalisme, l’étude du passé proche est pourtant au cœur des programmes
des classes de troisième, première et terminales. C’est donc dans la perspective d’une utilité
pour le déchiffrement des programmes que je vais aborder un champ de l’histoire longtemps
marginalisé, celui de l’histoire des femmes, en l’étudiant parallèlement à l’évolution de la dis-
cipline historique au cours des trente dernières années.
Fille de l’histoire méthodique, l’histoire enseignée a été le plus souvent l’histoire des événe-
ments, de la succession des règnes et des régimes, des guerres et des batailles. Pour les
historiens méthodiques - appelés longtemps “ positivistes ”-, comme pour les historiens des
Annales, les femmes étaient invisibles. L’histoire a été, et reste encore, largement écrite au
neutre, en fait au masculin, et, selon le titre du dernier livre ( 1998) de Michelle Perrot organise
“ le silence sur les femmes ”. Dans la période où naît et se développe l’histoire des femmes,
portée par le mouvement social et politique de la nouvelle vague du féminisme dans les an-
nées post-68, l’histoire généraliste est profondément transformée d’abord par le phénomène
Nouvelle histoire, puis par l’éclatement de la discipline, selon les termes de René Girault en
1980, ou de l’émiettement pour paraphraser François Dosse, pour se conclure, après une
“ crise de l’histoire ” ( titre du livre de Gérard Noiriel en 1996), par la recomposition actuelle1 .
A première vue cette confrontation entre la chronologie de l’histoire des femmes et celle de
l’Histoire ne semblait pas évidente puisque dans ses premières oeuvres l’histoire des fem-
mes a été surtout une “ histoire au féminin ”, repliée sur elle-même, et qui ne se posait pas des
questions générales d’histoire. En réalité, faire cette étude m’a permis de voir les liens étroits
et les influences réciproques entre les différents domaines de l’histoire. Alain Corbin dans sa
préface au livre de Françoise Thébaud “Écrire l’histoire des femmes“ - un des livres de réfé-
rence, indispensable - a écrit que “ l’Histoire des femmes est carrefour, confluence de toutes
les interrogations actuelles. Il n’est pas une interrogation, pas un débat qui traverse la commu-
nauté des historiens qui n’agite du même coup l’histoire retracée par Françoise Thébaud... ”
Nous allons donc tenter de tracer dans les trente dernières années un parcours chronologi-
que d’historiographie comparée. Ensuite, dans une deuxième partie, nous identifierons les
problématiques, notions et concepts rencontrés et visités par les historiens. Enfin dans un
troisième temps nous verrons avec quelques grandes questions contemporaines - le travail, la
Dans les années 1960, la démographie historique a pris son essor à partir de la mise au point
en 1956, par un chercheur de l’INED Louis Henry qui publie un manuel, d’une méthode de
dépouillement de l’état civil ancien, essentiellement les registres paroissiaux. A la recherche
des causes des variations historiques de la fécondité, cette méthode de reconstitution des
familles est appliquée à des monographies (la paroisse de Crulai devient célèbre en 1958).
En 1960, la thèse de Pierre Goubert sur le Beauvaisis permet de déceler, chez les paysans
du XVIIe siècle, une certaine maîtrise de la fécondité par l’âge tardif au mariage, la faible
fréquence des naissances illégitimes et l’allongement de l’intervalle entre les naissances. Cette
histoire se définit moins par son objet que par ses méthodes, mais elle contribue à voir les
sociétés d’ancien régime avec un autre regard que les tailles ou le prix du blé. Une Société de
démographie historique est fondée et une revue naît en 1965, Les Annales de démographie
historique. Une autre approche des populations , plus qualitative que quantitative, avait été
développée par Louis Chevalier dans son étude de la formation de la population parisienne
qui s’appuyait sur des fondements biologiques de l’histoire sociale. Mais cette approche, qui
utilisait de façon novatrice les sources littéraires, a été en partie discréditée par les rapports
étroits qu’elle entretenait avec les conceptions ethniques et eugénistes, comme le développe
l’ouvrage de 1958, Classes laborieuses, classes dangereuses.
L’histoire quantitative triomphe donc et investit tous les domaines de l’histoire : politique avec
l’étude des phénomènes d’opinion vus à travers une histoire de la presse ou des résultats
électoraux ; économique avec l’histoire des prix des banques et du crédit ; l’histoire des rela-
tions internationales elle même est renouvelée par René Girault avec l’aventure des em-
prunts russes, tout comme l’histoire coloniale. Cette histoire quantitative, utilisée comme une
modalité de la preuve se prolonge dans les années 1970 par le courant scientiste d’une his-
toire faite avec l’ordinateur. “ Il n’est d’histoire scientifique que quantifiable ” écrit Leroy Ladu-
rie en 1973. La démarche scientiste n’a pas été prise par une histoire des femmes encore
dans les limbes.
Le début des années 1970 est un âge d’or pour les historiens. Sous l’impulsion de
Fernand Braudel à l’EHESS et d’Ernest Labrousse à la Sorbonne, l’histoire économique et
sociale est alors hégémonique. Ayant assimilé la longue durée braudélienne, elle associe
l’infrastructure économique à la superstructure mentale. Des programmes de dénombrement,
classement et hiérarchisation des classes sociales sont lancés.
Les premières recherches en histoire des femmes, dans ce contexte de domination de l’his-
toire économique et sociale s’intéressent au rapport entre travailleurs, travailleuses et mouve-
Deuxième apport de l’Histoire des femmes, c’est la mise à jour de l’hostilité du mouvement
ouvrier français, très marqué par le proudhonisme, à l’égard du travail des femmes. Les syn-
dicalistes, hommes, défendent des métiers considérés comme masculins (le bois, le métal, le
livre) excluant de leurs rangs les travailleuses de l’imprimerie par exemple. Conséquence
immédiate de cette classe ouvrière virile et organisée, c’est la faible participation des femmes
aux luttes ouvrières, à l’exception de rares moments de révolte spécifiques comme la grève
des ovalistes, ces ouvrières en soie de la région lyonnaise (cf. l’ouvrage de Annik Houel et
Claire Auzias). Cette étape de l’histoire des femmes, celle d’une histoire ouvrière au féminin,
a une borne chronologique celle d’un colloque à Vincennes sur “ les femmes et la classe
ouvrière ” en 1979. Non publiés, ses débats ont cependant montré la spécificité d’une inser-
tion des femmes dans le dans le groupe ouvrier (et particulièrement pendant la Première
Guerre mondiale). Il s’agit ici d’une histoire des femmes ancrée dans la période contempo-
raine.
Au même moment, l’Histoire des femmes, pour la période moderne, s’enracine dans l’histoire
démographique et l’histoire de la famille avant d’aborder ensuite l’anthropologie de la pa-
renté. L’histoire des femmes s’oriente aussi vers une anthropologie sociale et culturelle du
monde rural dans les travaux de Martine Segalen, comme le montre le catalogue de l’exposi-
tion du musée des Arts et Traditions Populaires, Maris et femmes dans la France rurale
traditionnelle. De même Yvonne Verdier, dans une enquête spécifique à Minot en Bourgogne,
Dans le sillage de l’anthropologie historique une nouvelle histoire sociale s’intéresse égale-
ment aux manières de vivre et d’habiter, aux sociabilités populaires et aux mobilités sociales.
Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.
Pour ce faire la nouvelle histoire sociale mobilise de nouvelles sources, sources orales et
sources matérielles. La démarche est commune aussi à l’Histoire des femmes. En effet la
première problématique en Histoire des femmes a été de rendre visible ce qui était caché,
c’est à dire, derrière le mythe de l’éternel féminin, de découvrir l’existence réelle des femmes
du passé, en en faisant des sujets historiques à part entière. “ Femmes emmurées comment
vous rejoindre? ” écrit interrogative en 1979 Michelle Perrot dans l’Histoire sans qualités. Ef-
fectivement les femmes sont presque toujours absentes des archives - archives diplomati-
ques et administratives surtout - utilisées par les historiens du XIXe siècle; même si, au cours
de ce même siècle, les discours sur les femmes sont omniprésents.
Mais les sources écrites classiques ne sont pas aussi muettes sur les femmes qu’il est sou-
vent dit ou écrit, même si l’Histoire a longtemps fait le silence sur les femmes5 . Archives
traditionnelles de l’état civil, terreau de la démographie historique, mais aussi archives institu-
tionnelles des lieux d’accouchement - hôpital et maison maternelle -, archives de l’assistance
prolixes particulièrement après la mise en place de l’Assistance médicale gratuite (1893),
archives judiciaires sur les procès pour viol et pour infanticide, toutes parlent abondamment
des femmes. A ces sources écrites classiques, peuvent s’ajouter des sources orales même si
la mémoire n’a sans doute pas de sexe : les mémoires individuelles sont façonnées par les
parcours singuliers et par le milieu socioprofessionnel6 . Les sources orales peuvent elles
permettre de combler un vide documentaire? La réponse est nuancée : organisé par Françosie
Thébaud, un colloque vient de se tenir sur ce thème à l’université d’Avignon ; les actes seront
publiés et je serai brève sur ce point. Papiers personnels, livres de comptes, photographies et
journaux intimes sont également des sources qui permettent d’accéder à la vie privée et aux
expériences subjectives des femmes d’autrefois.
Dans un contexte intellectuel de crise des théories unifiantes, telles le marxisme, le fonction-
nalisme ou le structuralisme, une réflexion naît sur la discipline historique. Les bilans
historiographiques se succèdent (pas moins de cinq en 1995 comme s’il y avait besoin d’aus-
cultations régulières, comme au chevet d’un malade). On s’interroge sur la manière d’écrire
l’histoire, sur les questions de vérité et d’objectivité. Mais en 1987, les Essais d’egohistoire
(Gallimard) de quelques historiens/ne célèbres ont peu été suivis d’effet dans la réflexion sur
la subjectivité de l’historien dans l’écriture de l’histoire. Les réflexions de Paul Veyne dès
1971, de Michel de Certeau et de Michel Foucault avaient eu du mal à être acceptées par la
corporation historienne. En 1988, le secrétaire de la revue des Annales ESC, Bernard Lepetit,
reconnaît cependant un moment critique et met en discussion les échelles d’analyse, l’évite-
ment du politique et les questions du comparatisme et de l’interdisciplinarité. Dès l’année
suivante, en 1989, les Annales publient un numéro spécial sur le “ tournant critique ” , où la
longue durée et l’histoire quantitative sont critiquées et où le thème de la construction sociale
des phénomènes historiques est promu, ce qui traduit un renouvellement de la manière d’écrire
l’histoire. L’attention est portée à la fois aux parcours singuliers des acteurs sociaux, insérés
dans de nombreux réseaux très divers, qui façonnent identités et liens sociaux selon des
modalités complexes et également à la dimension narrative de l’histoire (influence alors des
écrits de Ricoeur dans Temps et récit). A la domination de l’histoire sociale des années 1960-
70 correspond maintenant l’affirmation d’une histoire culturelle, polymorphe et éclectique, qui
s’appuie sur les représentations. Dans le même temps, l’histoire politique connaît un renou-
veau (cf. le livre dirigé par René Rémond en1988), en s’intéressant aux réseaux, aux milieux
sociaux des politiques, aux générations et à la notion de culture politique.
L’Histoire des femmes a elle aussi mis en cause un certain nombre de ses approches.
Au milieu des années 1980, la dichotomie présente dans de nombreuses études entre une
majorité de femmes victimes et une minorité de femmes rebelles a été critiquée et en partie
dépassée. Les travaux ont de plus en plus concerné non seulement le sexe féminin, mais les
rapports entre les sexes, la question des différences et des pouvoirs. L’usage des sources a
été critiqué en particulier les sources orales, qui, plus que des informations brutes permettant
de retracer la vie de femmes “ ordinaires ”, fournissent des représentations et permettent d
‘explorer la symbolique des rôles sexuels. Et surtout a été posée la question du pouvoir, des
pouvoirs faudrait-il écrire, suivant en cela les analyses de Michel Foucault. S’éloignant du
chemin trop connu de la domination et de l’oppression, les recherches ont abordé les thèmes
du consentement, de la ruse, du désir et de la séduction, donc des rapports complexes entre
les deux sexes, dans le cadre de la famille, du métier ou des espaces privés; La question du
pouvoir a également remis sur la sellette l’histoire du féminisme, inaugurée pour la France par
Laurence Kliejman et Florence Rochefort (le féminisme sous la IIIe république), travaux qui
ont été poursuivis plus récemment par Christine Bard (sur l’entre-deux-guerres) et Sylvie
Chaperon (sur la période 1945-1970).
Le mot même féminisme d’abord employé dans le langage médical pour définir la féminisation
d’un être masculin, se trouve sous la plume d’Alexandre Dumas en 1872 avec clairement un
sens péjoratif. Comme souvent dans la langue, le mot est repris et détourné par celles qui
L’histoire des femmes, s’éloignant ainsi d’une approche strictement économique et sociale,
est alors devenue clairement plus politique. L’histoire des intellectuels qui s’était jusqu’à une
époque récente déclinée au masculin, parce que liée fortement à la notion d’engagement
politique, s’aventure sur le terrain des intellectuelles. Le prochain numéro de la revue Clio,
Histoire, Femmes et sociétés, n°13 (mai 2001) porte ce titre.
A la fin des années 1960, la version labrousienne de l’étude du social s’impose : c’est essen-
tiellement celle des groupes et non des individus. La plupart des études s’attachent à l’histoire
des classes sociales (notables et bourgeois, ouvriers, paysans). En histoire ouvrière le XIXe
siècle est privilégié .
Au colloque de Saint Cloud en 1965 la notion de classes sociales a cependant été discutée
par Roland Mousnier qui pour l’Ancien Régime souhaitait privilégier la notion d’ordres, fondée
plus sur le politique et le juridique que l’économique. Ce vif débat dont a été bercé ma géné-
ration, voit cependant le triomphe de la génération labrousienne et dans son sillage particuliè-
rement, après l’étude de la bourgeoisie, celle de la classe ouvrière. Les grandes thèses d’his-
toire sociale, celles de Rolande Trempé sur les mineurs de Carmaux, celle de Michelle Perrot
sur la jeunesse de la grève, celle d’Yves Lequin sur les ouvriers de la région lyonnaise sont
marquées par cette approche, tout en faisant parfois un pas de côté. L’influence de l’historien
anglais EP Thompson qui , en 1973, dans sa thèse sur la classe ouvrière anglaise a démontré
que ce sont les expériences communes à un ensemble d’individus qui définissent la classe (et
non l’inverse), a été décisive dans l’évolution de ce qui est considéré dès lors comme un
processus. Michelle Perrot a joint à une histoire quantitative des grèves réalisée à l’aide fiches
perforées (en 1974 l’ordinateur est encore roi), une perspective anthropologique sur les cortè-
ges, les rituels et les paroles ouvrières.
Ce débat sur le découpage du social a rejoint celui sur l’usage des catégories socioprofes-
sionnelles définies par l’INSEE en 1954. Les recherches sur l’histoire de la statistique ont
montré que les chiffres ne pouvaient être utilisés à l’état brut et qu’il était important d’examiner
comment ils étaient construits : un exemple le recensement de 1891 précise que les femmes
travaillant dans un atelier familial ne seront pas comptabilisées dans les statistiques ce qui
minore fortement le nombre de femmes en activité compte tenu de la structure de l’industrie
française. Les recherches de Thévenot et Desrosières sur les catégories professionnelles (
col Repères, La Découverte, 1988) ont contribué à déconstuire les différences catégories
d’approche du social. L’Histoire des femmes, très tôt, avait contribué à déconstruire la notion
de classe ouvrière en montrant comment les femmes avaient un statut d’opprimée parmi les
opprimés.
Avant même les autres domaines de l’histoire, l’histoire des femmes a mis en oeuvre les
théories constructionnismes en s’appropriant le concept de genre. Ce terme venu d’outre
atlantique (c’est la traduction de gender), a pénétré timidement sur la scène publique en
France, en 1988 avec la traduction, dans les Cahiers du Grif sous le titre de “ Genre : une
catégorie utile de l’analyse historique ”, de l’article de l’historienne américaine Joan Scott
publié aux États-Unis en 1986. “ Le genre est un élément constitutif des rapports sociaux
fondé sur des différences perçues entre les sexes et le genre est une façon première de
signifier des rapports de pouvoir ”. Par cette définition qui ouvre son article fondateur, Joan
Scott se démarque des approches purement descriptives des rapports de sexe comme des
approches psychanalytiques liées au courant post structuraliste. Dans son acception fran-
çaise, le genre est un outil pour penser la différence des sexes, résultat d’une construction
sociale et culturelle au cours d’un processus, c’est à dire s’appuyant autant sur des réalités
matérielles que sur des discours et des représentations. Cette avancée épistémologique a
permis que se développe une lecture sexuée des événements historiques, l’histoire de la
construction du masculin et du féminin et une histoire relationnelle du rapport entre les hom-
mes et les femmes, articulée avec les notions de pouvoir et de domination. Les cinq volumes
de L’Histoire des femmes en Occident publiés sous la direction de Georges Duby et Michelle
Perrot en 1991-1992 rendent compte de ces approches.. On est passé ainsi de l’histoire des
femmes à l’histoire du genre, mais cette catégorie explicative n’est pas la seule potentielle-
Plusieurs méthodes ont contribué à transformer le mode d’analyse du social qui va cepen-
dant toujours dans le sens d’une réduction de l’échelle d’analyse :
* la biographie collective d’un corps (comme les officiers), d’un groupe social qu’on nomme
prosopographie
* une étude locale peut poser une problème général c’est le cas de l’étude d’Agulhon sur la
Garde Freinet dans le Var qui a posé la question de la diffusion du républicanisme
* rôle des porte parole parlant au nom d’un groupe (travaux de Jacques Guilhaumou sur la
Révolution française)
* rôle des individus donc de la biographie en histoire. Michèle Riot Sarcey avec l’étude de trois
parcours de femmes entre 1830 et1848 parle de figures dissonantes qui permettent de
réinterroger toute l’histoire politique.
A ces variations de l’échelle d’observation, Roger Chartier, inspiré par l’œuvre de Norbert
Elias qu’il a contribué à faire traduire et connaître en France, a avancé les concepts de confi-
gurations et de processus qui privilégient les interrelations mouvantes entre individus et non
des groupes enfermés dans une grille professionnelle donnée d’avance. C’est le cas par
exemple des bourgeois de Rouen étudiés par Chaline.
L’Histoire des femmes a contribué aussi à déconstruire les différentes catégories du social :
celle des bourgeoises avec le rôle social de mères et de dames d’œuvre joué par exemple
par les bourgeoisies du nord (Bonnie Smith) qui réparent ainsi les dégâts du capitalisme
libéral mis en place par leurs entrepreneurs de maris. De même les catégories de mères, de
ménagères ou de femmes au foyer, dont l’activité est inscrite dans les recensements sous
l’appellation “ néant ”, transgressent les différentes catégories sociales. Plus récemment, ont
été mises en cause les catégories de sexe, réduites longtemps à leur détermination biologi-
que, et à une catégorisation binaire, une dichotomie dont on a longtemps étudié qu’une part,
celle du féminin17 .
Beaucoup encore reste à faire : l’histoire des masculinités, autre version de l’histoire du genre -
les hommes comme les femmes étant des êtres sexués - est encore balbutiante en France,
sauf pour ce qui concerne la guerre ou le service militaire, approche réductrice du masculin
(S.Audoin Rouzeau, Odile Roynette), même si la crise de l’identité masculine a été explo-
rée18 . Territoire aux marges de l’histoire nationale, l’histoire coloniale française reste encore
peu abordée par l’histoire des femmes ou du genre, alors que la symbolique sexuée des
colonies et de l’État est une approche courante outre atlantique (voir cependant le commen-
taire des statues de l’Afrique et de l’Asie dans les escaliers devant la gare Saint Charles19 ).
Eleni Varikas a fait remarquer également que, malgré la place centrale tenue par l’immigra-
tion dans les enjeux politiques contemporains, l’histoire des femmes n’a pas ou très peu pris
en compte la question des “ différences ethniques ”, à la différence des Etats Unis où, dès
1982, des chercheuses féministes noires ont suscité une interrogation ironique sur les caté-
gories employées en histoire : “ Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont des
hommes, mais certaines d’entre nous étaient courageuses ” 20 .
Précédant les approches françaises , un mouvement appelé linguitic turn s’est développé
chez les historiens/nes américains attachés à l’ordre du discours, au langage et à la textualité
comme l’a montré een 1983 sur le cas des ouvriers et artisans marseillais l’ouvrage de William
Sewell Gens de métier et révolutions. le langage du travail de l’Ancien Régime à 1848. Dans
une approche radicale tout n’est que texte et tout rapport à la réalité est dénié. Comme le
rappelle à juste titre Carlo Ginzburg dans Le juge et l’historien ( Verdier traduction 1997) ces
approches posent fortement la question du relativisme en histoire : si tout n’est que texte que
sont les morts des camps nazis devenus ?
Au delà du discours, la question des représentations est sous-jacente. Les images de fem-
mes sont envahissantes dans l’histoire. Maurice Agulhon a exploré la symbolique républi-
caine dans ses recherches sur l’allégorie féminine en laissant ouverte la question de la repré-
sentation de la nation et de l’État par une femme au moment où les femmes étaient exclues
de la représentation politique dans la République. Les images de femmes dans la peinture, la
photographie, au cinéma et à la télévision sont aussi multiples, envahissantes et diverses.
L’Histoire des femmes a pu paraître trop séduite par l’histoire des représentations qui occul-
tent les individu-e-s. Jacques Rancière a souligné la nécessité de faire émerger l’histoire des
sujets femmes qui se constituent entre “ identités affectées ” et “ identités affirmées ”. Le ris-
que de ce primat des représentations c’est d’oublier qu’existent et qu’ont existé des hommes
et des femmes extérieurs aux discours.
L’histoire du travail des femmes permet de revisiter les grandes questions historiques sur
l’industrialisation : l’idée du retard français avancé par David Landes en 1969 et l’histoire de la
proto-industrialisation par Mendels en 1972. Les historiennes des femmes, comme Patrick
Fridenson, ont souligné qu e pour la France, il s’agit en fait d’une voie différente d’accès à
l’industrialisation avec une part importante prise par les petites entreprises et les fabriques
artisanales où le rôle de chaque membre de la famille, des femmes et des filles en particulier,
est primordial. Dès 1975, Louise Tilly et Joan Scott avaient démontré, à partir d’exemples
L’histoire de la Première Guerre mondiale a été revisitée par l’Histoire des femmes. L’histoire
des ouvrières des usines de guerre a contribué dans les années 1970 à une autre histoire de
la guerre, une histoire de l’arrière et de “ l’autre front ” (c’est le titre d’un numéro spécial de la
revue Le mouvement social). Les études ont permis de nuancer fortement l’image convenue
de l’émancipation des femmes pendant la guerre et a au contraire mis en avant l’histoire de la
“ nationalisation du corps des femmes ” ( F.Thébaud). La guerre a aussi contribué à redéfinir
les rapports symboliques du masculin et du féminin. La relecture très contemporaine de l’his-
toire des sociétés européennes par la brutalisation ou “ l’ensauvagement ” (travaux de Geor-
ges Mosse) fait pencher l’objectif vers les souffrances du masculin. Si cette vision devient
hégémonique comme semble le craindre Annette Vieworka ( Le Monde des débats novembre
2000) elle provoquera un nouveau déséquilibre de l’histoire et un effacement des perspecti-
ves précédentes.
Histoire des femmes dans la Seconde Guerre mondiale, histoire de la “ sexuation des
politiques ”
Le poids de la guerre et des années noires a été souligné par Françoise Thébaud dès l’intro-
duction générale du cinquième volume de L’Histoire des femmes consacré au XXe siècle ; la
guerre est aussi le sujet du premier numéro de la revue Clio, Histoire, femmes et sociétés21 .
des avancées ont été faites en France dans trois domaines: la politique nataliste de Vichy, la
place des femmes dans la Résistance, les violences de guerre et le genre sous l’Occupation
et à la Libération.
Les travaux les plus récents portent sur l’examen des tensions entre les représentations men-
tales et les réalités vécues, et également sur la déconstruction de la catégorie “femmes” qui
n’ont pas eu toutes la même expérience au cours des années noires (différences sociales,
géographiques - vie à la campagne ou à la ville, dans la zone occupée ou dans la zone non-
occupée - , de nationalité française ou étrangère) et sur les différentes formes du consente-
ment, du refus, ou, plus majoritairement, de l’accommodation aux difficultés du temps23 .
Le terrain – largement exploré, et depuis longtemps – est celui des transformations dans la vie
des femmes ordinaires24 : travail, rationnement, nationalisation de la fonction maternelle peu-
vent caractériser les éléments nouveaux dans cette histoire des temps de guerre, où l’impor-
tance démesurée prise par les choses banales, mais vitales, instaure une véritable dictature
mentale et physique du quotidien. La prise en considération des civils et pas seulement des
militaires (officiels ou clandestins) dans l’histoire générale de la guerre donne de la force à
cet angle d’approche25 .
Du point de vue de la sexuation des politiques, l’ouvrage de Francine Muel Dreyfus a posé
la question classique de la rupture ou de la continuité, celle du régime de Vichy avec la IIIe
République26 . L’auteur s’appuie sur la profusion des discours pétainistes à propos des fem-
mes et de la famille qui dessinent une nature féminine éternelle faite de renoncement, d’oubli
de soi et de soumission. Le point de vue peut être discuté du point de vue de sa méthodolo-
gie (les discours cités, de nature très différentes, manquent de contextualisation et de chrono-
logie) et de sa conclusion qui privilégie la notion de rupture avec le régime précédent. Il reste
aussi à démontrer si et comment, pour les femmes et les filles, l’intériorisation du modèle
proposé s’est effectuée. Cette sociogenèse des représentations sociales ne se préoccupe
guère des vecteurs de leur diffusion et de leurs possibles effets. Cependant en soulignant
combien le régime de Vichy fut une période de régression politique et sociale, de retour aux
principes d’avant 1789 - tout en étant lié aux enjeux nouveaux du bio-pouvoir et de l’améliora-
tion de la “race” -, Francine Muel Dreyfus a mis l’accent sur la nature même du régime de
Vichy, mais la propagande et le consensus nataliste chez les élites de l’entre-deux-guerres
sont sous-estimés.
Un constat s’impose : la Résistance n’est pas seulement une affaire d’hommes, même si la
participation des femmes à la résistance a été un phénomène longtemps occulté à l’exception
de quelques figures élevées au rang d’héroïnes ou de martyrs (Lucie Aubrac, Danielle Casa-
nova, Bertie Albrecht, Marie-Madeleine Fourcade..). C’est une association politique, l’Union
des femmes françaises - et non les historiens/nes - qui a organisé en 1975 le premier colloque
sur Les femmes dans la Résistance27 . Les études quantitatives fondées sur la reconnais-
sance officielle et les décorations soulignent la sous-représentation féminine. La transgres-
sion et la rupture qui définissent l’acte de résister se sont arrêtées, dans leur reconnaissance,
Fabrice Virgili dans La France virile (2000) a montré qu’il s’agit d’un phénomène de masse
dans la quasi totalité des départements même s’il n’y a pas eu d’appel national, pas de texte
officiel, pas de politique publique déclarée des tontes. On trouve cependant dans des jour-
naux clandestins de la Résistance des appels précoces à la flétrissure, tel celui publié en
1942 dans Défense de la France32 , ou encore en janvier 1944 dans celui de Femmes
françaises, journal des femmes communistes33 .
Cette violence a été exercée essentiellement contre des femmes (quelques cas d’hommes
tondus ont été recensés, assimilés ainsi au sexe féminin, forme de double dégradation). La
justice sexuée est mise en oeuvre par la résistance locale et assumée par le voisinage. La
population est moins complice et plus mal à l’aise qu’on ne l’a parfois montré. Pour les fem-
mes tondues, l’humiliation publique se pérennise dans le local et marque les mémoires. Elle
se prolonge donc dans le futur.
Ces femmes ont été condamnées pour avoir disposé d’elles-mêmes et de leur corps ; mais le
corps des femmes est considéré comme symbole du corps de la nation34 . La question des
violences et des cultures de guerre ouvre donc des perspectives nouvelles sur la période de
l’Occupation et la Libération. Les conclusions nous invitent à approfondir la question du genre
attribué à la nation et des variations historiques des identités de genre, leurs permanences
ancrées dans des traits culturels de longue durée, comme les changements introduits par
l’événement dans une conjoncture spécifique35 .
Marie France Brive avait en 1986 attiré l’attention sur la question du masculin et du féminin
pendant et après la guerre36 . L’approche récente de la revue Modern and contemporary France
inclut les relations de genre, la construction de la masculinité et de la féminité et la structura-
tion des rôles masculins et féminins des hommes et des femmes37 . Le recours aux sources
littéraires et filmiques contribue à approfondir l’analyse historique des représentations. La
dégénérescence est qualifiée de “féminine” et le salut des fascistes de “masculin”. Le dis-
cours fasciste de Je suis partout insiste sur la reconstruction de la masculinité dans un dis-
cours réactionnaire de la modernité et dans une nouvelle définition de la citoyenneté.
L’histoire des femmes du temps présent est marquée en France par deux phénomènes impor-
tants : l’accès au suffrage et à la citoyenneté politique en 1944 et le développement, puis la
crise, de “ L’Etat-providence”. Une des questions est le sens du concept de citoyenneté : il
faut s’interroger sur l’acception du terme citoyenneté et son implication historique. Jusqu’en
1944, les femmes françaises ont été exclues de la citoyenneté alors que, dans le même
temps, depuis la fin du XIXe siècle, elles étaient incluses dans la nation par leur devoir mater-
nel.
Cette définition ne fait cependant pas l’unanimité puisque Yvonne Kniebiehler écrit que “ la
fonction maternelle organise ou conditionne la citoyenneté des femmes” 39 . Il faudrait s’inter-
roger dans cette appréciation sur l’adéquation et l’équivalence entre la catégorie “femmes” et
la catégorie “mères”. La question n’est pas nouvelle. Bien avant l’invention du terme “citoyen-
neté sociale”, le féminisme républicain et égalitaire du XIXe siècle, qui voulait intégrer les
femmes dans la cité et la démocratie a coexisté avec un féminisme maternaliste qui considé-
rait la maternité comme une fonction sociale et qui revendiquait l’extension des droits liés à
cette fonction40 . Dans l’entre-deux-guerres le féminisme égalitariste radical est marginalisé
au sein des différents courants féministes et le basculement se fait vers la lutte pour une
citoyenneté différentialiste41 . L’ordonnance de 1944 sur l’organisation des pouvoirs publics
à la Libération accorde le droit de vote aux Françaises, donc leur fait accéder de plein droit à
la citoyenneté alors qu’elles n’ont pas encore obtenu ni tous les droits sociaux, ni l’égalité
civile. Mais cette égalité des droits politiques, revendiqués depuis trois quarts de siècle,
n’équivaut pas à une place laissée aux femmes (ou prise par elles) dans le monde politique et
l’espace public. A contrario, les mères - ont été des prestataires et des bénéficiaires du
système de protection sociale, plus que dans tout autre pays européen, compte tenu du
consensus familialiste et nataliste en France.
L’histoire de l’obtention du suffrage par les femmes en 1944 est relativement récente mais
bien établie42 , même si son interprétation varie selon les auteurs. Elle n’a intégré l’histoire
généraliste que sous la forme d’un droit accordé par le général de Gaulle et pour services
rendus à la Résistance43 . C’est l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944, sur l’organisation
des pouvoirs publics à la Libération qui accorde - après des débats houleux à l’Assemblée
consultative d’Alger et un vote finalement majoritaire - le droit de vote et l’éligibilité pour les
femmes dans les mêmes conditions que les hommes44 . Pour Pierre Rosanvallon, il s’agit de
l’aboutissement d’un long processus qui conduit la femme à devenir un sujet politique juridi-
quement autonome45 . Ce point de vue ne correspond guère aux opinions des contemporains
exprimées lors des élections d’après-guerre46 . Associations, partis et Églises encadrent les
premiers votes des femmes. Une véritable pédagogie du suffrage leur est appliquée, accom-
pagnée d’une injonction au civisme. Le père ou le mari sont les intermédiaires culturels de
cette socialisation civique. L’opinion publique, la presse et même les politologues considèrent
que les femmes ne relèvent pas de l’universel-citoyen, mais ont des caractéristiques identitaires
spécifiques. La référence aux compétences et à la nature spécifiques de l’électorat féminin
est généralisée, y compris chez une féministe comme Louise Weiss. On attend des femmes
une régénération de la vie politique et une contribution par leurs qualités propres à “l’ordre
nouveau” de l’après-Libération.
A la Libération les discours sur “la femme nouvelle” mettent en avant la citoyenne et la repré-
sentante47 . Une trentaine d’élues à l’assemblée nationale, une sous-secrétaire d’État à la
jeunesse et aux sports pendant six mois en 1946, une ministre (la première à porter ce titre)-
Germaine Poinso-Chapuis - désignée comme titulaire du ministère de la santé en 1947, tels
sont les fruits de la Libération en matière de représentation des femmes dans la vie politique.
Mais très vite leur (faible) nombre décroît et la participation s’étiole jusqu’à la Ve République
- la “République des mâles” selon l’expression de Mariette Sineau - dans laquelle être femme
politique relève d’un destin d’exception48 .
Aujourd’hui le recul de “ l’État-providence ” varie selon les pays, mais représente un danger
pour les femmes les plus vulnérables (mères seules avec enfants, femmes immigrées) eu
égard aux changements économiques et sociaux. La comparaison des politiques en Europe
permet de mieux comprendre l’historicité et la singularité des politiques françaises.
La situation française après 1945 est caractérisée par la présence d’un État interventionniste
dans l’économique et le social (ordonnances de l’après Libération, planification, nationalisa-
tions etc.) et aussi par la constante d’une politique familialiste et nataliste : le discours de
Vichy sur le rôle maternel et l’éternel féminin n’a pas vraiment été mis en cause à la Libération,
même si ses fondements antirépublicains ont été rejetés. Cependant, les institutions même
du système de protection sociale ont été réorganisées. En particulier avec la création de la
sécurité sociale qui a pris en charge l’ensemble de ce qui relevait de l’assurance.
L’ordonnance du 4 octobre 1945 qui organise la sécurité sociale conduit à une redistribution
des revenus, mais dès le départ il y a ambiguïté entre la protection du travailleur /euse et la
protection du citoyen/ne. C’est “le travailleur et sa famille” qui sont garantis contre les risques
de toute nature (maladie, maternité, vieillesse). Le principe organisateur de la sécurité sociale
est fondé sur l’emploi conçu a priori comme masculin. Le rôle des femmes est minoré par la
non prise en compte du travail féminin. La protection sociale ne s’est guère adaptée à l’évo-
lution du marché du travail : le modèle dominant et l’unité de référence restent la famille et
non l’individu49 .
Depuis la fin des années 1970 coexistent plusieurs politiques dont les fondements théoriques
sont opposés ou se superposent. Les allocations versées par l’État permettent de cerner
cette mutation de la politique traditionnelle. La faible revalorisation des allocations familiales
contribue à diminuer leur effet et met ainsi en cause la politique nataliste. Des mesures
sélectives sont prises, d’une part pour les plus démunies (en particulier pour les familles dites
“monoparentales” où les femmes rémunérées pour garder leur enfant ont la tentation de res-
ter à la maison) et d’autre part, a contrario, pour les familles à deux revenus et pour les
femmes actives (allocation de garde d’enfant à domicile et aide à l’emploi d’une assistante
maternelle). Les crèches et les écoles maternelles sont par ailleurs - et depuis longtemps -
plus nombreuses en France que dans d’autres pays européens50 .
Conclusion
Pour conclure, on peut dire que l’Histoire des femmes - désignation consensuelle et
d’usage courant qui englobe à la fois l’Histoire au féminin, l’ Histoire du genre et celle des
femmes dans l’Histoire - s’est forgée en France sur un double paradoxe : celui d’une ouver-
ture aux recherches internationales et celui de la vitalité de la recherche et des productions
qui ont reçu un accueil favorable de la part des maisons d’édition et du public des lecteurs et
des lectrices, confrontés à une relative faible reconnaissance institutionnelle dans ce qu’il
est convenu d’appeler “ la communauté des historiens ”.
Les acquis de l’Histoire des femmes sont encore récents et ne sont pas routinisés. D’où la
difficulté de penser l’introduction de ses acquis dans l’enseignement : il ne s’agit pas d’ajouter
un zeste de femmes dans des situations spécifiques, mais de relire l’histoire globale avec un
regard sexué. Cette relecture sexuée -et pas seulement féminisée du passé- sera sans
doute progressive ; je n’ai abordé ici que quelques questions historiques qui peuvent être
revisitées. Catherine Marand-Fouquet va le faire pour la Révolution française.
1
Les livres de référence largement utilisés pour cette étude sont :
Christian Delacroix, Patrick Garcia, François Dosse, Les courants historiques en France, Colin, 1999 ;
2
Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie Françoise Lévy et Michelle Zancarini-Fournel (eds), Les années 68 : le temps de la
contestation, Complexe, 2000.
3
Article collectif dans les Annales ESC, 1986.
4
Nathalie Davis, “ Anthropology and History in the 1980s ”, Journal of Interdisciplinary History, 1981/82, n°12, pages 267-276, citation
page 274.
5
Michelle Perrot, Les femmes ou le silence de l’histoire, Flammarion, 1998.
6
Pénélope, n°12 1985 “ Mémoires des femmes ”.
7
Maurice Garden, Yves Lequin (dir.), Habiter la ville, Lyon, PUL, 1984.
8
“ L’atelier et la boutique ”, Le Mouvement social, juillet-septembre 1979, n°108.
9
Yves Lequin (dir.), “ Les ouvriers dans la ville ”, Le Mouvement social, janvier-mars 1982 ; ce numéro de revue représente une butte-
témoin de la liaison entre “ la classe sociale et la cité ” (Elinor Acampo).
10
Les mobilités de la grande ville, Presses de la FNSP, 1991.
11
Cheminots en usine. Les ouvriers des ateliers d’Oullins au temps de la vapeur, Lyon, PUL, 1993.
12
Le Soleil noir. Un quartier de Saint-Étienne, Lyon, PUL, 1989.
13
L’usine et le bureau. Itinéraires sociaux et professionnels dans l’entreprise, Lyon, PUL, 1990.
14
Des Algériens à Lyon. De la Grande Guerre au Front populaire, L’Harmattan, 1995.
15
Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, Parcours de femmes. Réalités et représentations, Saint-Étienne, 1880-1950,
PUL,1993.
16
Bernard Lepetit, “ Architecture, géographie, histoire : usages de l’échelle ”, Genèses, 13, automne 1993, 118-138.
17
Delphine Gardey et Ilana Löwy, L’invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin, Éditions des archives
contemporaines, 2000.
18
André Rauch, Le premier sexe. Mutations et crise de l’identité masculine, Hachette, 2000.
19
Catherine Marand Mouquet “ le genre des colonies sur les escaliers de la gare Saint Charles à Marseille ”, Clio HFS, n°12, novembre
2000.
20
Eleni Varikas, in Anne Marie Sohn et Françoise Thélamon (eds), L’histoire sans les femmes est-elle possible? , Paris, Plon, 1998, page
146.
21
Françoise Thébaud (dir.),Histoire des femmes. Le XXe siècle, Plon, 1992. Le numéro 1 de la revue CLIO, histoire femmes et sociétés
sous le titre Résistances et Libérations France 1940-1945 a été également dirigé par Françoise Thébaud.
22
Joan Scott “Rewriting History”, in M. Randolp Higonnet, J. Jenson, S. Michel et M Collins Wetz (dir.), Behind the Lines : Gender and
the TwoWorld Wars, Yale university Press, 1987, pages 21-30.
24
Dominique Veillon, La Mode sous l’Occupation, Payot, 1990 ; “ La vie quotidienne des femmes ”, in JP Azéma et F Bédarida (ed), Vichy
et les Français, Fayard, 1992, pages 629-639 ; Vivre et survivre en France (1939-1947), Payot, 1995
25
Jacques Semelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe, 1939-1943, Payot, 1989.
26
Francine Muel Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Seuil, 1996.
27
Union des femmes françaises, Les femmes dans la résistance, Éditions du Rocher, 1977.
28
Claire Andrieu se livre à une socio-démographie des résistantes. dans “ Les résistantes. Perspectives de recherche ”, le Mouvement
social, n° 180, juillet-décembre 1997, pages 69-96
29
Une exception notable dans les groupes FTP-MOI, en particulier de la région toulousaine. Nombreux exemples individuels dans
Rolande Trempé et Marie-France Brive, “1943-1993 : L’Histoire sans parité. Où sont passées les résistantes dans l’histoire nationale?”,
Parité-Infos, n°2, juin 1993.
30
C’est l’objet du colloque qui s’est tenu à l’IHTP les 27-29 mai 1999 “La violence de guerre. Approches comparées de deux conflits
mondiaux” (programme in Bulletin de l’IHTP, n°73, pages 139-141) suivi par la constitution d’un groupe de recherche animé par Stéphane
Audoin-Rouzeau.
31
Luc Capdevila, L’imaginaire social de la Libération en Bretagne été 1944-hiver 1945-1946, Contribution à une histoire des représenta-
tions mentales, Thèse 1997 Rennes2, 3 tomes; sur cette question, “les tontes en Bretagne” tome 2 pages 240-273. Fabrice Virgili, les
tontes des femmes accusées de collaboration en France, 1943-1946, EHESS, décembre 1999.
32
Le texte a été rédigé en juillet 1941 il est écrit “..Vous serez tondues , femelles dites françaises qui donnez votre corps à l’Allemand,
tondues avec un écriteau dans le dos : “vendues à l’ennemi”. Tondues vous aussi petites sans honneur qui minaudez avec les occu-
pants, tondues et cravachées. Et sur vos fronts, au fer rouge, on imprimera une croix gammée”, cité par Capdevila, page 245 tome 2.
33
“Mères françaises défendez vos fils contre les femelles de la Gestapo. Les mères ne voient pas toujours grandir leurs enfants et quand
il s’agit de nos fils nous ne discuterons pas toujours le moment où ils deviennent des hommes le moment douloureux pour nous où la
tendresse maternelle ne leur suffit pas. Cet âge de la puberté présente pour eux en temps de paix les dangers que l’on sait. En période
de guerre il en est d’autres (...) Il faut les (ces chiennes de la Gestapo) corriger sévèrement, leur couper les cheveux ras et, enfin, leur
prendre leur carte d’identité...”
34
“..Dans une sorte de glissement l’image de la femme s’apparente à celle de Marianne et donc à la Nation, ces femmes sont finalement
accusées d’avoir permis la souillure du pays par celle de leur propre corps” écrit Fabrice Virgili in “Les tontes de la Libération en France”,
les Cahiers de l’IHTP, n°31 page 64.
35
“ Le genre de la nation ”, Clio, Histoire ,femmes et sociétés, n°12, automne 2000, Leora Auslander et Michelle Zancarini-Fournel (eds).
36
Marie France Brive “ L’image des femmes à la Libération ”, in La libération dans le midi de la France, Eché éditions, 1986, pages 389-
399.
37
Hanna Diamond et Claire Gorrara (dir.), Modern and contemporary France, Volume 7, n°1, February 1999 et leur introduction,
Gendering of the Occupation of France (pages 7-9). Voir aussi Claire Gorrara, Women’s Representations of the Occupation in Post-68
France, Macmillan, 1998.
38
Luc Capdevila, “ Le mythe du guerrier et la construction sociale d’un ‘éternel masculin’ après la guerre ”, Revue française de psychana-
lyse, n°2, 1998, pages 607-623.
40
Florence Rochefort, “Démocratie féministe contre démocratie exclusive ou les enjeux de la mixité”, Démocratie et représentation, 1995,
pages 181-202. Gisela Bock “Pauvreté féminine, droits des femmes et Etats-providence”, Histoire des femmes. Le XXe siècle, 1992,
pages 381-410. Anne Cova , Maternité et droits des femmes en France (XIXe-XXe siècles), Anthropos, 1997.
41
Christine Bard, Les filles de Marianne, Fayard, 1995.
42
Françoise Thébaud (ed) , Clio, Histoire , femmes et sociétés, “Résistances et libérations”, 1995, n°1. William Guéraiche, Les femmes et
la République, Paris, Éditions de l’Atelier, 1999.
43
Dans une publication à usage des enseignants (et des élèves) il est écrit “L’ironie du sort voulut que le droit fût accordé en 1945 (sic)
grâce à une décision largement personnelle du général de Gaulle et non à la suite d’une délibération parlementaire ou d’un débat de
l’opinion que la IIIe République avait amorcé à plusieurs reprises, mais échoué à conclure ”, Nicolas Roussellier, “ La République sous la
IIIe ”, Documentation photographique, bimestriel n°7003, février 1991, Paris, La Documentation française, page 8.
44
William Guéraiche, “ Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ?”, Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, n° 1 1995, pages
165-186.
45
Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992.
46
Bruno Denoyelle, “ Des corps en élections. Au rebours des universaux de la citoyenneté : les premiers votes des femmes (1945-1946),
Genèses, n°31, juin 1998, pages 76-98.
47
Claire Duchen “ Une femme nouvelle pour une France nouvelle? ”Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, n° 1 1995, pages 151-164.
48
Mariette Sineau, “ Les femmes politiques sous la Vème République ”, Pouvoirs, n° 82, 1997, pages 45-57.
49
Nicole Kerschen et Marie-Thérèse Lanquetin , “ Égalité de traitement entre hommes et femmes dans le champ de la protection sociale ”,
Les Cahiers du Mage, n°3-4, 1997, pages 71-80
50
Béatrice Majnoni d’Intignano, “ Fécondité, famille et féminisme ”, Commentaire, volume 22, n° 86, été 1999, pages 405-414.
51
Je traduis ainsi Affirmative Action comme dans la plupart des langues européennes et non ‘discrimination positive’, traduction employée
le plus souvent en France : comment une discrimination peut -elle être positive ?
Traditionnellement orientée vers les faits politiques, l’histoire transmise aux enfants, aux
élèves comme aux étudiants, n’a longtemps retenu des années révolutionnaires que les hom-
mes politiques, l’évolution administrative, les faits de guerre. L’introduction de l’histoire écono-
mique et sociale n’a guère changé la donne : l’histoire enseignée au collège ou au lycée
évoquait seulement quelques figures emblématiques ; elle ne décrivait les groupes de fem-
mes que lorsqu’ils intervenaient à l’appui d’un événement politique ou dans un «fait-divers».
On pourrait résumer schématiquement la présence des femmes dans la période de la Révo-
lution française, telle que l’ont transmise longtemps les manuels, comme ceci :
- Marie-Antoinette, avec tous les clichés qu’elle véhicule, son image maléfique de femme
fatale, et punie.
- Les dames de la Halle, un glorieux moment d’action collective, un adjuvant précieux à l’ac-
tion masculine.
- Charlotte Corday, la meurtrière de Marat, la femme passionnée, jusqu’au crime. Elle est
punie.
- A l’arrière plan, les tricoteuses, archétypes de mégères.
- Joséphine, l’épouse de Bonaparte, la femme incarnant les plaisirs futiles du Directoire. Femme
légère, elle sera punie également : stérilité, répudiation.
Cette vision des choses, à peine caricaturale, reflète et prolonge en réalité l’idéologie jaco-
bine, produit de l’esprit des Lumières, telle qu’elle a sévi politiquement contre les femmes
sous la Révolution, et bien au delà. Elle tend à renforcer des stéréotypes, qui sont partagés
depuis plus de deux siècles par les tenants de l’histoire universitaire officielle. En histoire
comme dans les autres sciences humaines, ce sont les années 1970 qui ont remis en cause
les représentations qu’elle transmettait jusqu’alors. Ces recherches nouvelles correspondent
à un moment où les féminismes renaissants interrogeaient la légitimité des rôles sociaux. Un
tel mouvement historiographique avait déjà été esquissé dans les premières années du XXe
siècle, lorsque les «suffragistes» réclamaient le droit de vote. Mais si, au début du siècle
passé, les recherches menées sur les femmes de la Révolution n’ont pas trouvé de traduction
dans les programmes officiels, cela change aujourd’hui. Sur les raisons de ce changement,
nous pourrons nous interroger en conclusion.
Il est prévu d’aborder la période révolutionnaire dans deux classes du second degré : la qua-
trième et la seconde.
En quatrième, en sept à huit heures, les grandes phases de la période révolutionnaire en
France - 1789-1815 - seront traitées «sous la forme d’un récit synthétique qui permet de
présenter les épisodes majeurs et les principaux acteurs de la période révolutionnaire et im-
périale en insistant sur la signification politique et sociale de chacune des phases retenues.»
Il est bien clair qu’avec de telles limites de temps et de thèmes, l’histoire des femmes dans la
Révolution ne peut occuper beaucoup de place. Épisodes majeurs, principaux acteurs,
Dans les «épisodes majeurs», seule pourra figurer éventuellement la marche des femmes sur
Versailles, les 5 et 6 octobre 1789 ; cette marche est souvent réduite à une manifestation de
ménagères, de pourvoyeuses, bref de femmes dans leurs rôles sociaux traditionnels. Cette
manifestation politique ne fait pas partie, pourtant, des repères chronologiques qui sont cités
à la suite, au nombre de neuf. On y trouve, en revanche, bien naturellement, la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 08 89), et le Code Civil (1804), qui doivent permettre
d’aborder la problématique fondamentale de l’histoire des Françaises sous la Révolution :
celle de leur exclusion des droits politiques, et celle du renforcement de l’autorité masculine,
malgré le leurre du divorce.
Dans ces programmes de quatrième, tels qu’ils sont définis depuis 1994, c’est surtout à partir
des heures d’instruction civique que l’on peut insister sur la question fondamentale, très géné-
ralement ignorée, qui fonde en grande partie les rapports sociaux : celle de la hiérarchie entre
les sexes, de la répartition admise des rôles à un moment donné et dans une condition sociale
donnée, en fonction de celui auquel on appartient en naissant. Autrement dit, la question du
genre.
En effet, les programmes d’éducation civique au collège s’inscrivent dans une philosophie
d’ensemble, celle des droits de l’homme. C’est alors qu’une réflexion pourrait naître sur les
exclus des droits politiques, en 1789. On fait, depuis longtemps, des commentaires sur l’ex-
clusion des non-propriétaires, mais celle des femmes va encore trop souvent de soi. Les
manuels actuellement en usage le montrent très clairement.
On ne trouve quasiment personne pour faire remarquer l’abus de langage qui consiste à
parler, pour les citoyens, de «suffrage universel» et de régime démocratique en 1792, alors
que les femmes en sont pourtant exclues. On insiste pourtant par ailleurs sur la distinction
entre «citoyens actifs» et «citoyens passifs» dès 1789 ; ces derniers sont évincés pour des
raisons économiques ou de statut (les domestiques) ; l’exclusion des femmes semble couler
de source, tout comme celle des personnes ne s’appartenant pas. Nul ne souligne que, dès
septembre 1789, les femmes sont exclues de la possibilité de gouverner comme régentes. On
ne dit rien non plus sur les réclamations de certains et de certaines pour une participation
effective des femmes à la citoyenneté. On aurait pu citer Condorcet, certes, et même Robes-
pierre, en 1791, mais aussi Olympe de Gouges.
Cette dernière reste inconnue de la plupart des ouvrages jusqu’à une date toute récente.
Aussi ne faut-il pas s’étonner si, en 1989, lors qu’est lancée la pétition pour l’entrée d’Olympe
de Gouges au Panthéon, certain secrétaire de mairie écrit pour demander : «Mais qui est
Olympe de Gouges» ? La plupart des dictionnaires l’ignorent tout bonnement. La première
édition du Dictionnaire critique de la Révolution française, de Furet-Ozouf, ne comprend pas
d’entrée «femmes». Olympe de Gouges ne s’y trouve pas, alors même qu’une excellente
biographie a été publiée par Olivier Blanc chez Syros, en 1981, deuxième édition revue et
augmentée en 1989, sous le titre Une femme de libertés, Olympe de Gouges.
Qui est-elle ? Une géniale précurseure des féminismes des siècles ultérieurs, la pertinente et
spirituelle rédactrice de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, en septem-
bre 1791, une écrivaine de talent, et «engagée» avant l’heure, qui s’était attirée la hargne des
planteurs pour avoir écrit, en 1785, «Zamore et Mirza», une pièce contre l’esclavage des
Noirs ; une partisane des idées de liberté, une penseuse politique qui suggère une caisse
Il y aura bien un sacrifice, mais le «tempo» sera différent. En juillet 1793, tout de suite après
l’assassinat de Marat, Olympe est arrêtée pour avoir proposé, dans une affiche intitulée Les
Trois Urnes ou le salut de la patrie, une sorte de referendum pour arrêter la Terreur. La loi du
29 mars 1793 punissait de mort quiconque tendrait en paroles ou en écrits à rétablir un pou-
voir autre que Républicain et indivisible. Elle n’est toutefois jugée qu’à l’automne, et guilloti-
née le 3 novembre, dans le mouvement de répression qui s’abat sur les femmes qui ont osé
se mêler de politique. La chronologie le souligne :
- 16 octobre, exécution de Marie-Antoinette
- 3 novembre, exécution d’Olympe de Gouges
- 8 novembre, exécution de Madame Roland
Il ne s’agissait pas seulement d’éliminer une reine abhorrée, et des amies des fédéralistes, il
s’agissait aussi, alors que, le 30 octobre, on avait interdit aux femmes de former des clubs, de
les mettre en garde contre leur penchant coupable à s’occuper de ce qui ne regardait que les
hommes. Ce message implicite était développé par le journal Le Moniteur du 19 novembre :
«En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple
qui ne sera pas perdu pour elles…Marie-Antoinette, Olympe de Gouges, la femme Roland,
bel esprit à grands projets, philosophe à petits billets, reine d’un moment, entourée d’écrivains
mercenaires à qui elle donnait des soupers, distribuait des faveurs, des places, de l’argent, fut
un monstre sous tous les rapports. Sa contenance dédaigneuse envers le peuple et les juges
choisis par lui ; l’opiniâtreté orgueilleuse de ses réponses, sa gaieté ironique, et cette fermeté
dont elle faisait parade dans son trajet du Palais de justice à la place de la Révolution prou-
vent qu’aucun souvenir douloureux ne l’occupait. Cependant, elle était mère, mais elle avait
sacrifié la nature en voulant s’élever au dessus d’elle ; le désir d’être savante la conduisit à
l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours dangereux, finit par la faire périr sur
l’échafaud…. Femmes, voulez-vous être républicaines ? Aimez, suivez et enseignez les lois
qui rappellent vos enfants à l’exercice de leurs droits ; soyez glorieuses des actions éclatantes
qu’ils pourront compter en faveur de la patrie, parce qu’elles témoignent en votre faveur ;
soyez simples dans votre mise, laborieuses dans votre ménage ; ne suivez jamais les assem-
blées populaires avec le désir d’y parler ; mais que votre présence y encourage quelquefois
vos enfants ; alors la patrie vous bénira, parce que vous aurez réellement fait pour elle ce
qu’elle doit attendre de vous.»
Voilà un bel exemple de sexisme, thème cité au programme d’éducation civique de cinquième.
Une étude des manuels proposés aux classes de quatrième permet d’observer à la fois la
prégnance et la répétition des stéréotypes, et quelques tentatives pour prendre en compte les
acquis récents de l’histoire des femmes.
Ainsi, c’est dans un manuel de quatrième techno de Nathan (Histoire, Géographie, éducation
civique, 1994), rédigé par quatre hommes, que j’en ai trouvé la formulation la plus claire - et en
même temps les limites. Une illustration représente «une jeune femme révolutionnaire» (goua-
che de Le Sueur). La légende dit :» les femmes participèrent aux journées révolutionnaires et
fondèrent des clubs pour défendre leurs droits. Mais elles n’obtinrent aucun résultat et Napo-
léon maintint l’autorité maritale dans le Code civil».
Évoquer les femmes, dans les limites du programme, c’est très largement le fait des illustra-
tions. Les gouaches de Le Sueur sont d’un grand secours, et les iconographes semblent
retrouver toujours les mêmes. Le même manuel de 4e techno/Nathan, édité en 1996, montre
une des rares représentations paritaires des hommes et des femmes que l’on produise en ce
temps-là : des hommes et des femmes dansent autour d’un arbre de la Liberté, dans une ville
allemande. Il est bien évident que c’est la danse qui entraîne ce rapprochement, ce partage.
La présence des femmes garantit aussi une unanimité populaire. En dehors de cela, on re-
trouve surtout des représentations féminines dans les évocations de la misère ou du luxe,
principalement au temps du Directoire, qui fournissent un prétexte pour évoquer les figures
pittoresques des Incroyables et des Merveilleuses, ces images étant opposées à celles des
distributions de soupe. Les femmes sont au salon ou dans la rue, où elles exercent leurs
métiers le plus souvent. C’est le plus souvent la « marchande de journaux » de Debucourt, qui
illustre la liberté de la presse, alors qu’on aurait pu donner le frontispice de journaux politiques
écrits par des femmes, comme Louise de Keralio par exemple.
L’index du manuel fait apparaître trois noms de femmes sur 62 personnages cités ; les élues
sont Mme Roland, Louise Michel et la reine Victoria. Seule Mme Roland est donc reçue offi-
ciellement comme femme de la Révolution. Ce stéréotype trouve son écho dans le timbre
édité lors du Bicentenaire. Être femme de ministre est un moyen d’accéder au statut de per-
sonne politique.
Par contraste, d’autres ouvrages, tels le manuel Hachette de 4e techno, édité en 1998, ne
comprennent pratiquement pas de représentations de femmes réelles, si ce n’est, pour la
société du XVIIIe siècle, un tableau représentant une famille de négociants à Rouen ; la mar-
chande de journaux ; la porte d’un riche. Les allégories foisonnent en revanche. Pour illustrer
la Liberté et les Droits, la statue de la Liberté fait face à Marianne.
En apothéose de ces manuels de 4e, celui de Bordas qui va jusqu’à reproduire en vignette, p
66, le portrait d’Olympe et mentionne ladite Déclaration. Ce même ouvrage, toutefois, un peu
plus loin, à propos de 1848, parle du suffrage universel (masculin), le masculin étant entre
parenthèses, c’est un progrès. L’essai demande à être transformé : en 1944, il est dit que le
droit de vote est « accordé aux femmes ». Il aurait mieux valu réserver l’appellation de « suf-
frage universel » à 1944, et parler en 1848 de suffrage masculin. Ainsi la sexuation des droits
politiques aurait-elle pu être commentée : depuis 1789, en France, l’universel recouvre abusi-
vement le masculin. En politique, le féminin se voit accorder des droits. Pourquoi ne pas
avouer que ces droits sont conquis ?
Les programmes de seconde en vigueur jusqu’à cette année autorisaient, de par le nombre
d’heures accordées à l’enseignement de cette question, davantage de latitude. Les manuels
de seconde reflètent-ils pour autant plus d’ouverture aux questions de genre ?
Il s’agit désormais de « construire une culture et non d’accumuler des connaissances factuel-
les ». Onze à treize heures sont dévolues à « la période révolutionnaire en France ». Après
une étude de la contestation de la monarchie absolue, et du mouvement des Lumières, Le
programme précise à propos des « expériences politiques en France de 1789 à 1815 » : « Il
s’agit, en dégageant les étapes majeures de la période, de proposer un exposé problémati-
que des expériences politiques et institutionnelles qui ont marqué en France la mise en
œuvre de conceptions nouvelles. Et plus tard, sous forme de bilan, on étudiera la « moderni-
sation du continent européen où pénètrent, non sans nuances ni résistances, les nouvelles
conceptions diffusées par la Révolution française ».
La plupart des manuels de seconde permettent peu d’observer des femmes sur le terrain
politique.
Celui qui est dirigé par Jean-Michel Lambin, publié par Hachette en 1993, reproduit le retour
de la foule parisienne de Versailles, le 6 octobre 1789. Il est flanqué du texte fameux de
Chateaubriand stigmatisant ces poissardes et bacchantes, ivres et débraillées. On y trouve
aussi une arrestation de la famille royale à Varennes, qui permet de commenter le rôle de la
reine. Madame Roland est particulièrement bien traitée, par un portrait ainsi légendé : « Intel-
ligente et cultivée, Mme Roland inspire l’action des Girondins qu’elle réunit régulièrement
dans son salon quand le groupe quitte le club des Jacobins en 1792. ». S’y ajoute le texte
signé de Mme Roland, par lequel elle condamne les massacres de septembre. La fête de
l’Être Suprême, Muscadins et Merveilleuses, permettent d’observer d’ autres représentations
des rôles féminins et masculins consacrés par cette période.
Le manuel Lambin de 1996, rédigé cette fois par une équipe exclusivement masculine, n’ac-
corde pas la même place à Mme Roland. La « disette de pain » est opposée aux « Incroya-
bles et Merveilleuses ». Dans un schéma de bas de page consacré à la Constitution de l’an III,
on relève une ambiguïté à propos des citoyens passifs, évalués à un million et définis comme
« hommes et femmes ne payant pas d’impôts », alors qu’il aurait fallu écrire « hommes ne
payant pas d’impôts et toutes les femmes »
Les femmes sont en revanche très rarement représentées dans le manuel de Seconde Belin
1996, dû à une équipe de huit rédacteurs dont deux femmes. Si l’on excepte la sempiternelle
marchande de journaux à propos de « la naissance d’une opinion publique », on ne trouve
que deux occurrences qui les relient à une prise de position politique : un texte de la marquise
de La Rochejaquelein d’une part ; le nom de Charlotte Corday d’autre part, à propos de la
Terreur montagnarde (cette fois, elle est dite « Normande, en liaison avec l’insurrection nor-
mande »). Par ailleurs, on voit des femmes à une audience publique du Directoire, ou bien à
propos de la déchristianisation. Le mariage républicain n’est pas oublié.
Le manuel publié par Belin en 1996, dirigé par Claude Quétel, rassemble 6 auteurs, à parité
hommes/femmes. Les femmes des temps révolutionnaires semblent de passives auxiliaires
dans une gravure qui évoque la Prise de la Bastille. La gouache de Le Sueur qui représente
la plantation d’un arbre de la Liberté permet d’opposer les citoyens hommes vêtus de sombre
aux femmes en robes claires, ceinturées de tricolore. L’inévitable marchande de journaux se
retrouve également, mais deux originalités apparaissent : le tableau représentant Lavoisier et
sa femme, par David ; la pétition des citoyennes blanchisseuses (du 24 février 1793) qui
appelle de nombreux commentaires sur la condition des femmes, leur organisation, leur mode
d’intervention dans la vie publique qui est loin d’être passif, et ce depuis le début de la Révo-
lution. Si les formes adoptées pour manifester ont été au départ très conventionnelles (du
Terminons ce bref parcours par le manuel de seconde édité chez Bréal en 1996 ; il est dirigé
par une inspectrice, avec trois hommes et quatre femmes.
Les illustrations mettant en scène des femmes sont classiques : les femmes partant pour
Versailles ; la marchande de journaux ; la fête de l’Être Suprême ; Merveilleuses et Incroya-
bles. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen entraîne l’évocation du texte parodi-
que d’Olympe de Gouges, dont est soulignée la postérité en 1948 et 1956 .
Cette revue aura permis d’observer que certains manuels destinés aux classes de quatrième
permettent d’évoquer en partie les acquis récents de la recherche à propos de femmes de la
Révolution. Le renouvellement des programmes de seconde devrait permettre à son tour une
mise à jour bien nécessaire pour faire réfléchir sur la problématique de genre ; les dix années
révolutionnaires expliquent en effet cette « exception française » qui, il y a peu, faisant encore
tellement gloser.
Ils appellent au renouvellement de la réflexion sur ces thèmes, aussi bien dans les program-
mes d’éducation civique juridique et sociale que dans ceux d’histoire.
Dans les recommandations pour l’éducation civique, on appelle à faire réfléchir sur l’évolu-
tion des règles qui guident l’autorité parentale. Il s’agit de droits partagés entre les sexes et
entre les âges.
L’étude peut commencer par rappeler la donne des années révolutionnaires, filles de la phi-
losophie naturaliste : celle-ci établit une subordination de la femme à l’homme. C’est l’idéolo-
gie de la nature qui justifie la domination d’un sexe par l’autre, comme l’universalisme juridi-
que masque la domination de classe. Le droit naturel impose un modèle très hiérarchisé de la
différence des sexes, modèle universel, pour toutes les femmes. Aux distinctions sociales
ménagées par l’Ancien Régime, qui pouvait pour certaines conférer une certaine autonomie,
le nouveau régime égalitaire fait succéder une généralisation, une universalisation de l’inca-
pacité juridique des femmes mariées.. Celle ci est liée à leur fonction sociale, c’est à dire à la
représentation culturelle que les hommes se font de leur sexe biologique.
On trouve l’explicitation de ces conduites sous la plume de juristes qui ont participé à l’élabo-
ration de lois pendant toute la période, et jusqu’au Code civil. Montlozier, en 1803, écrit : »La
femme, les enfants mineurs, les serviteurs n’ont point de propriété car ils sont propriété eux
mêmes : la femme parce qu’elle fait partie de l’homme, les enfants parce qu’ils en sont l’éma-
nation, les serviteurs parce qu’ils sont de simples instruments ».
En revanche, le statut des femmes reçoit quelques aménagements lorsqu’ils vont dans le
sens de principes admis par la Révolution : c’est au nom de la lutte contre les privilèges
nobiliaires et le droit d’aînesse que s’établit l’égalité successorale individuelle, que s’abolit le
privilège masculin dans ce domaine. C’est la lutte contre le despotisme qui fait supprimer la
correction maritale. C’est la laïcité qui permet l’établissement d’un mariage fondé sur l’égalité
des volontés, et de même la rupture de ce libre contrat par le divorce. Le divorce lui même, en
revanche, reste dissymétrique, inégalitaire dans la mesure où la faute d’adultère est sévère-
ment sanctionnée si elle est commise par l’épouse, et non par le mari qui a droit, au contraire,
à la totalité de la communauté et même à une pension viagère. Pour la garde des enfants,
dissymétrie encore : le père conserve dans tous les cas l’autorité paternelle, la mère ne peut
garder avec elle que les filles, et les garçons jusqu’à sept ans. Après quoi, doués de raison, ils
iront vivre avec leur père.
Ainsi peut être renouvelée, aussi, l’étude de la Déclaration des droits. Mais il faut également,
à mon sens, la replacer, ainsi que toutes les années en question, dans le contexte guerrier qui
les a en grande partie guidées. La présence obsédante de la guerre, de l’ennemi extérieur et
intérieur, contribue à raviver la vision complémentaire des rôles sociaux. De nombreuses illus-
trations d’époque permettent d’expliciter cela. La guerre n’est en général pas propice au souf-
fle de la liberté.
Le nouveau programme applicable à compter de l’année 2001-2002, réserve une large part à
la période révolutionnaire : ruptures avec l’Ancien Régime, mise en œuvre des principes
révolutionnaires, héritages conservés, héritages mis en cause. La problématique du genre
telle que nous l’avons explicitée peut donc y trouver sa place, et ce d’autant plus que les
instructions prévoient aussi très explicitement qu’une attention particulière soit accordée à
l’exclusion persistante des femmes de la vie politique. On peut espérer que grâce à ces nou-
velles instructions, on portera une attention plus grande à la terminologie. Qu’on cessera de
confondre suffrage masculin et suffrage universel, par exemple.
Mais il faudrait aussi, dans la description des moments forts et des acteurs de cette période,
que l’on prenne en compte la participation des femmes, en particulier celles des milieux popu-
laires parisiens et autres, selon les lieux d’enseignement, à la vie politique.
Ce nouvel intérêt porté à l’histoire des femmes dans la Révolution procède de plusieurs cou-
rants. Le développement des recherches sur les femmes, depuis une génération, après avoir
trouvé ses porte-parole dans les mouvements féministes, a peu a peu conquis les milieux
universitaires. La période révolutionnaire en elle même a suscité peu de recherches de ce
type pendant longtemps dans la mesure où les patrons de cette recherche, massivement
marxistes, avaient tendance à considérer tout ce qui sentait son féminisme comme entaché
de bourgeoisie. Ils prolongeaient ainsi d’une certaine manière l’antiféminisme jacobin. Mais
l’étude des milieux populaires féminins, par Dominique Godineau par exemple, a fait justice
de ce faux procès.
Cette histoire a bénéficié aussi d’un « effet 89 », des échos du Bicentenaire et des échanges
d’idées
qu’il a provoqué, avec le colloque de Toulouse évoqué plus haut, ainsi qu’ un très grand
nombre de publications. La plupart des auteurs, français ou étrangers, ont alors mis en rap-
port ce qu’on commençait à appeler le « retard français » (la faible représentation des fem-
mes en politique) avec les origines mêmes de la démocratie française : la période révolution-
naire.
Une intense activité militante, qui a occupé les années 1990, s’est consacrée à provoquer une
rupture avec cette tradition. Elle a abouti à la revendication, puis à l’obtention de la parité.
(Obtenue de haute lutte et non pas « octroyée » comme le suggérait une journaliste de France
bleu au lendemain des élections municipales de mars 2001). Cette revendication a provoqué
une vive polémique entre ceux et celles qui se réclament encore de l’universalisme pour
refuser un tel moyen d’égalité et les défenseurs de la parité.
Puisse-t-il être mis en œuvre par les nouveaux manuels avec discernement, et concourir à la
formation de citoyennes et de citoyens plus maîtres de leurs choix. Ce qui est une des fonc-
tions de l’histoire, tout comme de l’éducation civique, juridique et sociale.
BIBLIOGRAPHIE
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Des Femmes, 1981.
GODINEAU Dominique, Les Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant
la Révolution française, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988.
HUNT Lynn, Le Roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995.
VEAUVY Christiane, PISANO Laura, -Nation Paroles oubliées. Les femmes et la construction
de l’Etat-nation en France et en Italie, 1789-1860, Roma, Editori Rumiti, 1994, Paris, Armand-
Colin,1997.
1
«L’universalisme juridique et l’impasse de l’égalité», dans Les Femmes et la Révolution française, tome ,1, pp. 427-440.
Dès lors que la conviction s’impose que “ l’histoire enseignée sans les femmes est impossi-
ble ” comme le dit Annie Rouquier dans son texte d’introduction, et cela en raison même de la
prise en compte des finalités de notre enseignement, il faut alors chercher ensemble les
pistes et les moyens de surmonter les obstacles qui s’offrent à nous. Comment, avec quel
bagage et quels supports pouvons nous répondre à cette préoccupation ? Le travail en ate-
lier, organisé autour de quelques grandes périodes de l’histoire, vise à fournir ces premières
pistes.
Un survol rapide des têtes de chapitre permet de constater la part belle à une histoire portée
sur “ les évènements ” liés aux pouvoirs, aux guerres … avec bien peu de femmes et peu
d’histoire sociale… où les femmes pourraient être plus présentes.
Devant cet état de fait, deux bonnes raisons s’offrent à nous pour ne pas faire l’effort de
donner une place aux femmes dans notre enseignement de l’histoire :
- Le programme est ce qu’il est et il ne laisse pas de place aux femmes. On peut le regretter
mais il faut faire avec : c’est le programme
- “il faut tout changer si on veut que les femmes apparaissent dans l’histoire sinon on ne s’en
sort plus, on n’a pas assez de temps déjà pour tout faire… ! ”
Si nous voulons donc la présence des femmes dans nos leçons, il nous faut dépasser ces
réactions. La question dans l’immédiat est bien : “ comment faire avec ces programmes ? ”
sans en attendre de nouveaux et sans reléguer les femmes dans une ou deux séances spé-
cifiques dans l’année. Il devient alors intéressant et nécessaire de lister quelques entrées
possibles pour faire de l’Histoire mixte… en respectant le programme et dans l’horaire recom-
mandé.
Le point fait dans les différents ateliers constate largement l’absence ou la très faible visibilité
des femmes dans les manuels. Quelle qu’en soit la raison (méconnaissance de la recherche
dans ce domaine, lecture des programmes, conception habituelle des manuels, …) le fait est
là. Or les manuels sont un support important de notre travail dans nos préparations et le
support principal du travail que nous proposons à nos élèves.
On peut (on doit) faire avec les manuels mais comment dans ce contexte ? Il y a au moins
deux stratégies possibles :
- s’interroger sur la rareté et ainsi rendre visible (expliquer pourquoi les absences)
- s’interroger sur les “ images de femmes ” proposées et donc les utiliser, par exemple pour le
XIXe siècle, en montrant le contraste entre cette “ présence ” et l’absence des femmes dans
les lieux de pouvoir.
Cela dit, là comme ailleurs, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous contenter des
manuels comme base de nos leçons ; on peut, on doit, apporter autre chose que les ma-
nuels :
- des supports de travail où les femmes sont visibles (images, textes…). Ce n’est peut-être
pas toujours possible, mais quand on peut le faire, il faut le faire.
- les connaissances nécessaires
Donner une place aux femmes dans notre enseignement nous conduit donc à dépasser les
silences des programmes et des manuels et à user de notre liberté pédagogique ainsi que de
notre formation scientifique.
L’enseignant est le seul metteur en scène des savoirs à transmettre ; il doit respecter le pro-
gramme et il peut s’aider des manuels mais aussi il doit utiliser sa marge d’autonomie afin de
changer, non pas nos façons d’enseigner, mais notre regard… et celui des élèves.
Les ateliers ont commencé à répondre à ces questions en faisant émerger la liste des quel-
ques entrées possibles dans le programme pour faire de l’Histoire mixte, les éventuels problè-
mes rencontrés, les pistes possibles, des propositions de démarches et quelques supports
documentaires.
Pour conclure cette présentation, deux expressions tirées du texte de présentation de l’atelier
XIXème siècle permettent de saisir l’état d’esprit nécessaire et suffisant si l’on veut donner la
place qui revient aux femmes dans notre enseignement :
“ Il suffit d’avoir un regard qui s’efforce d’englober une large réalité ”
“ Il suffit juste de déplacer un peu son regard ”
Montrer la femme non plus comme victime ou héroïne mais dans le quotidien
Privilégier pour le moyen âge l’image plutôt que le texte généralement anti-féminin
Cet article est une base de travail dont nous disposions, dans l’atelier concernant l’Antiquité et
le Moyen Âge. Nos débats et nos réflexions ont en effet été nourries par des recherches
préalables :
Le scandale que provoque l’usurpation d’un sacerdoce féminin réservé aux femmes de ci-
toyens, montre l’influence que peut avoir cette position. Ce scandale est amplifié par le fait
que la femme du basileus, qui doit être épousée vierge, est ici une prostituée. Même si ce
texte est un réquisitoire, qui outre le trait, on peut penser que l’argument était entendu de
l’auditoire : la charge de ce sacerdoce avait sans doute une certaine importance, même sym-
bolique ou sociale, vis à vis de l’ensemble des Athéniens.
Remarquons que la fonction est donnée à cette femme par son mariage. Il existe d’autre part
beaucoup de prêtrises féminines à Athènes, même si toutes les femmes n’en tirent pas un
poids social, et que ce n’est pas un signe d’émancipation.
Ce texte nous laisse mesurer l’importance des femmes de citoyens, liée à la religion et au
mariage, par rapport aux esclaves ou aux étrangères : il rappelle qu’il faut faire une distinction
parmi ces statuts, et non pas évoquer « les femmes », ce qui ne formait sans doute pas un
tout à Athènes. Aristophane n’évoque personne d’autre que les femmes de citoyen lorsqu’il
met en scène Lysistrata et ses compagnes (5 ) refusant leur lit à leur mari (donc une fécondité
possible ?) tant que la guerre durera, ou qu’il crée la farce d’une « Assemblée des femmes »,
une assemblée de citoyennes.
figures féminines.
- des martyres chrétiennes – IIIe – IVe siècle.
Notons le personnage de Blandine, qui est une esclave, et surtout le témoignage saisissant
de Perpétue, donné en « paroles de femmes » pour clore le volume consacré à l’antiquité de
l’Histoire des femmes (6 ).
Gn 2:22- Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et
l’amena à l’homme. Gn 2:23- Alors celui-ci s’écria : Pour le coup, c’est l’os de mes os et
la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci
! Gn 2:24- C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et
ils deviennent une seule chair. Gn 2:25- Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme,
et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre.
Gn 3:1- Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu
avait faits. Il dit à la femme : Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres
du jardin ? Gn 3:2- La femme répondit au serpent : Nous pouvons manger du fruit des
arbres du jardin. Gn 3:3- Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit :
Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort. Gn 3:4- Le ser-
pent répliqua à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Gn 3:5- Mais Dieu sait
que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux,
qui connaissent le bien et le mal. Gn 3:6- La femme vit que l’arbre était bon à manger et
séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit
de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea.
On remarque la nature ambiguë de « la femme » : elle induit en faute et en même temps elle
apporte le discernement.
Mettre ces textes de la Genèse en parallèle avec le texte des dix commandements montre
leur contradiction : le rôle limité des femmes d’après les dix commandements, qui s’adressent
uniquement aux hommes et où elle est citée parmi les biens et les servants des hommes…
peut être mis en parallèle avec l’origine divine de la « première femme » et son importance
centrale dans le processus d’accès au discernement (et à la faute), que l’on trouve dans le
texte de la Genèse.
2. femmes et foyers.
Le foyer : prison ou royaume ?
Médée, ou le sort des femmes – Athènes, fin du Ve siècle.
Euripide, le dernier des Tragiques athéniens, présente Médée au printemps 431. Ce discours
sur les femmes semble émaner d’un courant de pensée novateur. N’oublions pas que le texte
est écrit par un homme, que les personnages féminins dans la tragédie sont joués par des
hommes. Pourtant, comme pour la comédie, les femmes font partie du public. En cette fin de
Ve siècle, il apparaît qu’un courant de pensée s’interroge sur la « condition féminine ».
Par le haut escalier, la sage Pénélope descendit de sa chambre. Sa forte main tenait la
belle clef de bronze à la courbe savante, à la poignée d’ivoire. Avec ses chambrières,
elle alla tout au fond du trésor où le maître déposait ses joyaux avec son or, son bronze
et ses fers travaillés ; là se trouvaient aussi l’arc à brusque détente et le carquois de
flèches, tout rempli de ces traits, d’où viendraient tant de pleurs.
Pénélope étendit la main et décrocha l’arc avec le fourreau brillant qui l’entourait. Puis,
s’asseyant et les prenant sur ses genoux et pleurant à grands cris, la reine dégaina du
Le péché féminin est placé sur le même plan que le péché masculin. Cela heurte les repré-
sentants de la tradition. Pourtant, le geste de Jésus ne rencontre pas de résistance. Le ma-
nuel dans lequel il est présenté rappelle que ce récit a failli disparaître des Evangiles, et que
les commentaires donnent une grande importance à la dernière intervention de Jésus.
Enfin, s’il me faut, d’un mot, évoquer aussi des mérites féminins, pour celles qui vont
maintenant vivre dans le veuvage, j’exprimerai tout avec un bref conseil : si vous ne
manquez pas à ce qui est votre nature, ce sera pour vous une grande gloire ; et de
même pour celles dont les mérites ou les torts feront le moins parler d’elles parmi les
hommes.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 45, 2, traduction de J. de Romilly, R.
Laffont, 1990.
7.99. « … Artémise... apporta cinq navires à Xerxès. De tous les vaisseaux de la flotte,
les siens… furent les plus appréciés ; et, de tous les alliés du roi, c’est elle qui lui donna
les meilleurs avis. » … 8.87. « … au moment où les forces du roi se trouvèrent en pleine
confusion, le vaisseau d’Artémise fut pris en chasse par un navire d’Athènes ; elle ne
pouvait pas lui échapper... elle se jeta sur un allié… et le coula… le commandant de la
trière d’Athènes crut, en la voyant attaquer un navire des Barbares, que son vaisseau
appartenait à la flotte des Grecs ou bien qu’il venait combattre de leur côté, et il l’aban-
donna pour un autre adversaire. 88. … Xerxès, qui observait la bataille, remarqua… ce
navire qui en attaquait un autre… il supposait que le navire coulé appartenait aux enne-
mis… « Je vois que les hommes sont aujourd’hui devenus des femmes, et les femmes,
4, 162. Arcésilas, fils de Phérétimé, revendiqua les droits qu’avaient eu ses ancêtres. Sa
révolte échoua, et ils se réfugièrent lui à Samos, et sa mère à Salamis dans l’île de
Chypre. A cette époque Salamis avait pour maître Euelthon. Phérétimé, arrivée chez lui,
le priait sans cesse de lui donner une armée pour les rétablir à Cyrène, son fils et elle ;
mais Euelthon voulait bien lui donner n’importe quel cadeau, sauf celui-là. En recevant
ses présents, Phérétimé déclarait que la chose était belle, mais qu’il serait encore plus
beau de lui donner l’armée qu’elle réclamait. Euelthon finit pas lui envoyer un fuseau
d’or et une quenouille qui était même chargée de laine, et il lui déclara que ces cadeaux
convenaient à une femme mieux qu’une armée. … Arcésilas revient à Cyrène et reprend
le pouvoir ; puis il s’exile dans la cité de Barcé, où il se fera tuer. 165. Aussi longtemps
qu’il vécu à Barcé… sa mère Phrérétimé occupa dans Cyrène la place de sont fils ; elle
dirigeait la ville et siégeait au sénat. Quand elle apprit la mort de sont fils à Barcé, elle
alla se réfugier en Egypte.
Etant allée demander du secours aux Perses, alors en Egypte, et ayant pris la ville de
Barcé, elle se conduit de la façon la plus cruelle envers les vaincus.
d’après Hérodote, Histoires, édition d’Andrée Barguet, Folio, 1964.
Ce texte montre entre autres choses les possibilités politiques d’une femme, réelles mais qui
sont ressenties comme exceptionnelles voire contre nature, et qui connaissent des limites :
Phrérétimé prend une place politique en attendant que son fils puisse accéder au pouvoir,
mais n’a plus de légitimité lorsqu’il est tué : elle doit s’exiler. C’est une forme de régence
féminine.
Ces deux femmes sont présentées malicieusement par Hérodote face à une attitude particu-
lièrement misogyne, que ce soit celle des Athéniens ou celle d’Euelthon. C’est cette opposi-
tion qui peut être intéressante.
femmes de savoirs .
Sappho, itinéraire d’une femme poétesse – Lesbos, VIIe-VIe siècle.
« Sappho de Lesbos (VIIe et VIe siècle avant notre ère) appartenait, semble-t-il, à une famille
de notables de Mytilène, capitale de l’île. La tradition lui donne un mari, dont nous ne savons
rien, et une fille est mentionnée par un commentateur… Nous savons que la poétesse fut
exilée de Lesbos à la suite de bouleversements politiques, et qu’elle y revint quand le parti
vaincu reprit le pouvoir. La situation professionnelle de Sappho rappelle en tous points celle
de poètes masculins s’entourant de disciples auxquels ils enseignaient leur art, organisant
pour les fêtes publiques des représentations dansées et jouées. …
En ce qui concerne la vie privée de la poétesse, …. Les relations passionnées entre Sappho
et ses élèves sont identiques à celles de Socrate et de ses disciples, et à celles de nombreux
poètes du Ve ou du IVe siècle avec leurs jeunes compagnons. » (D’après la notice de Margue-
rite Yourcenar à son recueil de poèmes traduits du grec, La Couronne et la Lyre, 1979,
Gallimard.)
Les uns estiment que la plus belle chose qui soit sur la terre sombre,
c’est une troupe de cavaliers, ou de fantassins ;
les autres, une escadre de navires.
Pour moi, la plus belle chose du monde
c’est pour chacun celle dont il est épris.
Ce court fragment écrit par une femme ¾ et l’on sait la rareté de ce type de document ¾
reprend le thème poétique traditionnel du banquet, et en même temps combat l’omniprésence
de la guerre dans le monde grec.
savoirs d’esclave.
Témoignage sur une esclave – IIe siècle, dans l’Egypte romaine.
Le texte cité dans le manuel Bordas (1996) de 2nde p 51 évoque un « Papyrus de la fin du IIe
siècle, issus d’Oxyrhynchos, une ville d’Egypte, qui n’avait pas rang de cité. On y a trouvé des
milliers de papyrus grecs. »
« Platonis… ayant pour représentant légal son frère… Platon ; et Lucius… tisserand,
conviennent mutuellement que Platonis…, place en apprentissage son esclave mineure
Thermouthion chez Lucius pour quatre années à partir du premier jour du mois pro-
chain…, pour qu’elle apprenne le métier de tisserande, aux conditions suivantes : elle
nourrira et habillera la fillette, et la mettra à la disposition du tisserand tous les jours, du
lever au coucher du soleil, pour qu’elle exécute tous les ordres qui lui seront donnés
relatifs au métier susdit ; la première année, ses gages seront de huit drachmes par
mois, la seconde de douze drachmes par mois, la troisième de seize drachmes par
mois, et la quatrièmes de vingt drachmes par mois ; la fillette prendra dix-huit jours par
an de vacances, pour les fêtes ; pour les jours où elle ne travaillera pas ou sera malade,
elle restera chez son maître une durée égale en fin de période ; les taxes… sont à la
charge du maître »
Papyrus d’Oxyrhynchos n°1647, dans N. Lewis, La mémoire des sables. La vie en Egypte
sous la domination romaine, A. Colin, 1988.
Platonis et Lucius font partie d’une famille de Grecs. Deux femmes sont ici évoquées : une
femme libre (Platonis), et une très jeune esclave (Thermoution). la femme libre a un représen-
tant légal, qui est son frère. L’esclave a une statut juridique d’esclave, et « mineure » , traduc-
tion qui désigne peut-être son jeune âge. Les avantages dont elle dispose semblent impor-
tants : l’esclave est nourrie, habillée (logée ? il n’en est pas question dans le texte : peut-être
les logements du maître et du tisserand sont ils suffisamment proches), et sa maîtresse est
rémunérée, avec une progression, correspondant à la progression de la maîtrise du métier
par l’esclave. Son activité est très nettement encadré par un contrat : elle travaille du lever au
coucher du soleil, pour des tâches concernant le métier de tisserand. L’esclave est vraisem-
blablement protégée par le fait qu’elle soit mise à disposition : les maîtres veulent protéger
leur bien. Elle a des congés, pour les fêtes ou en cas de maladie. Enfin, elle suit un important
apprentissage pour le métier de tisserande, ce qui demande une formation longue et soumise
à des taxes (que prend à charge le maître de celle-ci). L’esclave ne reste donc pas dans des
tâches domestiques, et elle reçoit un savoir spécialisé.
CONCLUSION
Puisque nous avons davantage de questions que de réponses, la démarche qui semble privi-
légiée pour rendre visibles les femmes dans notre enseignement est la confrontation des
points de vue sur les femmes, regards qui, contradictoires, peuvent susciter l’interrogation
chez les élèves. La démarche choisie n’explore donc pas une période en particulier, mais
consiste à montrer par touches successives qu’aucune simplification n’est justifiée pour évo-
quer les femmes dans l’antiquité.
1
P. Carlier, Homère, p 45, Fayard 2000.
2
À l’adresse suivante : http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo//pedago/femmes/document.htm
3
Nicole Loraux, « Qu’est-ce qu’une déesse ? », Histoire des femmes dans l’Antiquité, dirigé par G. Duby et M. Perrot, Plon, 1990.
4
Raoul Lonis, La cité en Grèce ancienne, 1994, Nathan.
5
comédie évoquant sous forme de farce les femmes refusant leur lit à leur mari citoyen, tant que ceux-ci n’auront pas cessé de faire la
guerre.
6
p 505 sqq, Histoire des femmes, dirigée par Duby et Perrot, Plon, 1990.
7
Ce dessin est reproduit dans l’histoire des femmes, antiquité, p 169 : « de porte à porte » d’après une pyxis, vers 460. Paris, le
Louvre.
8
La Documentation Photographique 8001, février 1998, Citoyen dans l’antiquité, p 32-33.
Le Moyen âge bénéficie d’un privilège, il est l’une des rares époques à laisser le souvenir
d’une «héroïne» dans les mémoires enfantines et adolescentes. En effet, un petit sondage
réalisé en début d’année, parmi des classes de 6e et de 4e, montre que beaucoup d’enfants
(et d’adolescents) ne sont capables de citer qu’une seule «héroïne» : Jeanne d’Arc. Cepen-
dant, nul n’est dupe ! C’est moins la femme qui est (re)connue que l’une des figures du pan-
théon national1 .
Le Moyen âge est une époque contradictoire. Les discours sur la femme et les images qui la
montrent sont nombreuses et variées. La représentation imposée est souvent sans nuances.
Elle est infiniment défavorable aux femmes. Ici, comme ailleurs dans l’histoire des femmes, le
regard porté sur les femmes est masculin. Il est de plus celui d’une couche particulière de la
société : les clercs. D’autres sources, mais aussi une approche différente de la religiosité,
permettent de construire une réalité plus diverse. La construction des rapports entre les hom-
mes et les femmes ne peut se réduire à l’image que nous en renvoient les clercs.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer la femme est omniprésente au Moyen âge. Elle
l’est dans le discours, elle l’est par les images. Elle l’est surtout grâce à l’Église, grande pour-
voyeuse de représentations sociales au Moyen âge.
Une idée majeure structure l’ensemble de ces représentations : la femme est du côté du
péché. Parmi beaucoup de miniatures, il en est une qui se présente comme un commode
résumé de la pensée de l’Église à l’égard de la femme. Il s’agit de la reproduction d’un épi-
sode biblique, la tentation d’Adam et Ève qui se trouve dans un psautier2 du XIIIe siècle.
L’image est classique, Ève tend à Adam le fruit défendu. Au milieu, les séparant, l’arbre de la
connaissance et le serpent qui enroule ses anneaux tout le long du tronc. C’est dans la figu-
ration de l’animal que réside toute l’originalité de cette miniature : le serpent a figure fémi-
nine3 .
Pour le « pauvre » Adam, le péché est ainsi doublement offert à sa tentation : par Ève et par
le serpent auquel l’artiste a donné le joli visage d’une femme. Le point de vue est exclusive-
ment masculin. Or ces miniatures pouvaient être utilisées à des fins éducatives : « Les psau-
mes servaient aux enfants à apprendre le latin et à construire des phrases que l’on pouvait
ensuite adapter pour raconter l’histoire décrite par ces miniatures ; on apprenait ainsi, avec
les premiers rudiments de la langue, le danger que pouvait constituer le sexe féminin4 . »
Ainsi dans la plupart des représentations figurées, les femmes sont-elles montrées comme
pécheresses. Dans « la gueule de l’Enfer », ce sont des femmes qui servent de pâture au
loup, symbole des tortures de la géhenne.
Cependant, même ici on aurait tort de croire qu’elles y sont représentées comme des « actri-
ces de l’histoire ». C’est toujours dans un rapport aux hommes que leur culpabilité est établie.
« Elle ne sont pas sujet commettant un péché, mais un moyen de pécher offert à l’homme »5 .
Ce sont des clercs qui forgent pour d’autres clercs et pour des laïcs, les représentations
figurées autour d’une image centrale de la femme tentatrice et pécheresse. La Bible devient
le réservoir essentiel des stéréotypes féminins sur lequel se fonde la peur du sexe féminin.
Pourtant le caractère univoque de beaucoup de discours et d’images ne doit pas cacher une
réalité plus nuancée. L’Église qui paraît si misogyne a également valorisé des pratiques et
des rôles qui contredisent cette apparence.
Les représentations du mariage sont rares au Moyen âge. Il faut dire que dans la hiérarchie
de la pureté, telle que les clercs l’établissent, les femmes mariées arrivent en dernier ; après
les veuves et loin derrière les vierges. Néanmoins il existe des images du couple. Ainsi cette
sculpture représentant Hugues de Vaudémont et sa femme6 . Tandis qu’Hugues tient le bâton
du pèlerin, son épouse l’enlace tendrement dans des retrouvailles d’après croisade. Cette
sculpture est contemporaine du mouvement qui a fait du mariage un sacrement. Dans son
souci de réguler tout à la fois les mœurs de l’aristocratie et la propension « naturelle » de la
femme à pécher, le discours des clercs valorise l’amour conjugal. « L’Église par l’horreur qu’elle
professe à l’égard du charnel, entend privilégier dans le couple l’accord des volontés, le con-
sentement mutuel, lequel institue à ses yeux le mariage. Devant les devoirs que celui-ci im-
pose, elle proclame l’homme et la femme égaux »7 . Certes on sait peu de choses sur ce qui
pouvait se passer dans les autres couches de la société. Mais ceci est finalement de moindre
importance devant cette attitude désormais massive de l’Église à l’égard du mariage.
Le Moyen âge voit se développer de nouveaux cultes. Parmi ceux-ci l’importance de celui
rendu à Marie est largement établie. Mais il faut constater que c’est dans son rôle de mère, et
de mère du Christ, que la femme est ici valorisée. Pourtant, on aurait tort de croire que c’est
dans ce seul rôle que des femmes furent l’objet d’un culte religieux. Ainsi que le note Jacques
Le Goff : « Pendant les premiers siècles du Moyen âge, le modèle masculin de la sainteté :
c’est la figure de l’évêque […] ensuite s’impose la sainteté des abbesses, telle Hildegarde de
Bingen, grande abbesse rhénane du XIIe, grande mystique, mais aussi grande savante ration-
nelle hardie, dont l’autorité et le prestige ont été très forts à cette époque. »8
Au fur et à mesure que l’on s’avance dans le Moyen âge, les représentations des femmes
dans leur quotidien se multiplient9 . Certaines conduisent à remettre en cause des préjugés
largement établis. Sur cette miniature10 , un vieil homme est couché, sans doute malade. À
droite de l’image, une servante. Elle tient dans ses bras un récipient et paraît attendre les
ordres de sa maîtresse. Celle-ci, assise au coin du feu, remue une cuillère dans un vase. Un
détail dément l’idée qu’il pourrait s’agir de l’accomplissement d’une tâche ménagère : un livre
est ouvert sur ses genoux. La lecture, très attentive, est destinée à la réalisation d’une potion
médicamenteuse. Cette image et bien d’autres contredisent le stéréotype d’une femme écar-
tée des activités les plus prestigieuses par excellence : la lecture et … l’écriture. Dans la
Bologne universitaire des XIIIe et XIVe siècles, la demande de livres était forte. Les sources
livrent les noms de nombreuses femmes miniaturistes et calligraphes. Elles devaient sans
doute travailler en famille, avec leur mari ou leur père. Mais le fait est que, pour apprendre le
métier il leur a bien fallu, au préalable, apprendre à lire et à écrire.
Conclusion
Ainsi une étude plus attentive (mais sans doute moins succincte) du Moyen âge apporte-t-elle
des surprises quant à la place des femmes dans les sociétés médiévales. Cela conduit Jac-
ques Le Goff à affirmer dans un article11 au titre volontairement provocateur : « Le christia-
nisme a libéré les femmes » ! Au Moyen âge, le fait religieux est capital pour comprendre le
rôle, le statut et la représentation des femmes dans la société. Les clercs assignent à chacun
et à chacune une place dans la société. Ils le font en raison d’une vision du monde et de la
société étroitement dépendante du christianisme. Mais c’est aussi au nom de valeurs chré-
tiennes que s’opèrent des transformations majeures qui assurent plus d’égalité entre les sexes.
De telles observations sont de nature à remettre en cause la vision de l’histoire conçue sur le
mode d’un progrès linéaire de la situation des femmes dans l’histoire12 .
Jeanne d’Arc est incontestablement la femme la plus connue du Moyen âge. Pourtant, c’est
une autre femme, Christine de Pisan qui par sa destinée et ses écrits est à même de mieux
1
Voir par comparaison, Le palmarès de la mémoire nationale, P. Joutard et J. Lecuir, L’Histoire, n°242, avril 2000. Jeanne d’Arc était en
e
3 position en 1948. Elle est désormais absente d’un palmarès très masculin.
2
Page 379 dans Histoire des femmes, Georges Duby et Michelle Perrot, T 2, Le Moyen âge, sous la direction de Christiane Klapisch-
Zuber, Plon, 1991
3
« Par la femme tentatrice, reptilienne (souligné par moi) […] le péché est introduit dans le monde. » Georges Duby, La femme, l’amour
et le chevalier, L’Histoire n° 1, mai 1978
4
Chiara Frugoni, La femme imaginée, dans Histoire des femmes, Georges Duby et Michelle Perrot, T 2, Le Moyen âge, sous la direction
de Christiane Klapisch-Zuber, Plon, 1991
5
Ibid.
6
Vers 1165, Nancy, chapelle des Frères franciscains, Chiara Frugoni, Op. cit., page 366
7
Georges Duby, op. cit.
8
Jacques Le Goff, « Le Christianisme a libéré les femmes », L’Histoire n° 245, juillet-août 2000
9
La difficulté a construire une histoire mixte est souvent invoquée au nom de l’invisibilité des femmes dans les sources. Ceci n’est qu’en
partie vrai car à partir du XIIe les images de femmes sont désormais très nombreuses et permettent de mieux les saisir dans leurs
activités quotidiennes.
10
Miniature du Quart volume de l’histoire scholastique de Jean du Ries, 1470, Londres, British Library, dans Histoire des femmes, op.
cit., page 413
11
Op. cit.
12
C’est le danger déjà dénoncé dans un précédent article à propos de la revue L’Histoire. Celle-ci a consacré un numéro spécial (245) à
l’histoire des femmes dont le plan est assez représentatif de ce danger. La première partie est intitulée : «Le temps du silence», la
dernière : «Le temps de l’égalité»
La tentation de présenter les femmes dans l’histoire comme des victimes ou des héroïnes,
même au nom des meilleurs sentiments, doit être repoussée.
La visibilité des femmes dans l’histoire repose sur une plus grande attention au quotidien et
aux réalités des sociétés du passé.
En ce domaine, ce qui est nécessaire à l’enseignant c’est moins un engagement militant que
la curiosité de l’historien.
Commencé dans ces dispositions, l’atelier prend rapidement un tour très pratique. Par com-
modité, les problèmes sont abordés suivant les grandes périodes de l’atelier. Les professeurs
des collèges sont prédominants dans l’assistance. En conséquence une attention toute parti-
culière est accordée aux programmes de 6e et de 5e.
L’Antiquité
Lors de l’échange, alternent remarques sur la pertinence de tel ou tel document et précisions
sur l’histoire des femmes dans l’Antiquité.
La Grèce antique bénéficie d’un traitement de faveur. L’abondance de l’iconographie n’y est
pas étrangère. Le manuel constitue une réserve documentaire indispensable. Il souffre ce-
pendant de lacunes. Un intervenant insiste sur la richesse du site du Louvre, tandis que
l’animatrice rappelle la somme des documents déjà rassemblés sur le site académique. Le
travail de collecte doit se poursuivre.
Moins grande, la place faite à Rome conduit à faire remarquer qu’hommes et femmes y sont,
comme en Égypte, représentés souvent ensemble.
Mais comment faire pour introduire plus de visibilité pour les femmes de ces périodes ? La
leçon sur « Le travail des hommes et des femmes dans la vallée du Nil » est présentée, puis
commentée.
Le Moyen Âge
Pendant tout le haut Moyen Âge, et même au-delà, la virginité constitue une valeur sans
cesse louée par les clercs. Pourtant, il faut éviter de tirer argument de ce qui précède pour
accuser trop vite le Moyen Âge de misogynie. Dès le XIIe, les rapports entre les hommes et les
femmes se modifient. L’établissement du mariage comme sacrement chrétien, la multiplica-
tion des saintes — sans parler du culte rendu à Marie —, enfin, un premier essor de l’éduca-
tion des filles contribuent à construire une autre image de la femme dans la société médiévale
occidentale. Cependant, la réalité historique est loin d’être univoque. Comme le fait remar-
quer l’un des participants, c’est à la faveur de la Guerre de cent ans qu’est établie la loi salique
qui éloigne les femmes de la transmission du pouvoir royal.
Le thème choisi par les Rencontres de la Durance a rencontré un large consensus. Le choix
d’assurer plus de visibilité aux femmes dans les cours d’histoire n’a fait l’objet d’aucune re-
mise en cause, bien au contraire. Les professeurs présents dans l’atelier sont surtout venus
chercher les moyens de mettre en pratique un enseignement de l’histoire plus attentif à la
place des femmes dans les sociétés passées.
Animation :
- Daniel Gilbert, lycée climatique d’altitude - Briançon
- Claude Martinaud, lycée Montgrand – Marseille
1- LE POURQUOI DE LA DEMARCHE
2- LE COMMENT DE LA DEMARCHE
· Le travail : étudier tous les aspects du travail de la femme, en sortant du cadre convenu
de l’aspect démographique, reproducteur et d’élevage…
· Les religions : la place de la femme dans les religions au XVIe, l’étude des ordres reli-
gieux semblent fournir des entrées riches
· L’instruction, le savoir : savantes, enseignantes et enseignées…
I - Le pourquoi de la démarche
Le débat est lancé autour de la question « Comment aborder le problème de la sous- repré-
sentation des femmes dans l’enseignement de l’Histoire? »
2- Le comment de la démarche
Mise en évidence des axes les plus facilement utilisables pour rendre un passé aux femmes.
Trois thèmes majeurs sont ainsi retenus :
· Le travail : étudier tous les aspects du travail de la femme, en sexuant les activités de
manière à sortir du cadre convenu, de l’aspect essentiellement démographique, reproducteur
et d’élevage...
· Les religions : la place de la femme dans les religions au XVI° siècle, l’étude des ordres
religieux semblent fournir des entrées riches. Par ailleurs, la réflexion religieuse qui a lieu au
XVI° siècle sur la place de la femme dans la société permet de poser la question du pouvoir
féminin.
· L’instruction, le savoir: savantes, enseignantes et enseignées...
· Le problème des sources, essentiellement masculines, est posé. Le XVI° siècle, pé-
riode de crispation religieuse, amène une réévaluation de la place de la femme dans la so-
ciété (cf. Luther, Calvin...). Par la suite, les références féminines s’effacent. Il semble s’agir en
fait d’une démarche délibérée : c’est au XIX° siècle que la femme disparaît des références
littéraires, comme tendent à le prouver, a contrario, les citations multiples dans les documents
et encyclopédies du XVIll° siècle.
Il ne s’agit pas de faire un «dossier femmes» mais de mettre en lumière un débat important du
XVI° siècle qui n’est quasiment jamais abordé. Cette mise au point est très largement inspirée
des travaux d’une historienne allemande, Claudia Opitz1 .
L’importance politique de la place des femmes dans la société n’est pas une découverte
contemporaine. La reconnaissance aux femmes d’une capacité de liberté individuelle ou col-
lective apparaît dès le XVI° siècle sous forme d’une controverse : «la querelle des femmes».
Le XVI° siècle passe en règle générale pour une époque de bouleversement et de renou-
veau, notamment dans le domaine intellectuel. Ce bouleversement général a-t-il entraîné une
transformation dans les relations entre les sexes ? A cette époque, au moins à propos du
mariage et de l’amour, se propagent des conceptions et des valeurs nouvelles, en divergence
avec les traditions médiévales, et qui changent aussi l’image de la femme. Les facultés et les
possibilités qu’avaient les femmes d’exercer le pouvoir politique furent l’un des enjeux ma-
jeurs d’un débat de longue durée : « la querelle des femmes ».
Ce débat fut déclenché dès le XV° siècle par Christine de Pisan, femme de lettres (citée dans
un seul manuel de 2nde). EIle intervint dans le discours que les hommes érudits tenaient de-
puis des siècles sur les femmes, le mariage et la divine Providence, contestant les passages
qui diffamaient les femmes dans les œuvres littéraires de l’Antiquité et du Moyen-Age telles
celles d’Ovide ou de Jean de Meung (vers 1240 - avant 1305), auteur du Roman de la Rose.
Dans le livre de La Cité des dames (1405), elle prolongea cette critique pour en faire une
défense du sexe féminin. Elle avança l’argument que les femmes étaient tout aussi douées
de raison que les hommes, qu’elles étaient capables d’accomplir prouesses et bienfaits, et
qu’il existait un grand nombre de «femmes célèbres» dont on avait vanté, depuis des siècles
déjà, les facultés et les vertus. En rédigeant ce texte, Christine de Pisan n’avait certainement
pas l’intention de transformer la situation sociale des femmes de son époque, ou d’obtenir un
droit de parole politique pour elles. Ce sont surtout des auteurs de cour qui, au fil des décen-
nies suivantes, reprirent les arguments de Christine de Pisan ; ces auteurs voyaient dans
l’énumération des vertus et des vices des femmes célèbres une possibilité de procéder à une
éducation humaniste des femmes et des princesses.
De manière plus radicale, l’humaniste Henri Corneille de Nettesheim (1486-1535), se référant
à l’histoire de la Création, notamment celle d’Eve, entreprit de prouver que les femmes étaient
ou pouvaient être capables de réaliser des prouesses, aussi vertueuses et significatives que
celles des hommes.
De Nettesheim s’opposait ainsi à un discours qui commençait à se répandre et qui, inspiré du
Marteau des Sorcières des deux inquisiteurs dominicains Henry Institoris et Jacques Sprenger,
voyait dans la femme l’hérésie à combattre et la responsable des désordres du monde. La
Luther et Calvin
Chez les réformateurs eut lieu une certaine réévaluation du mariage et de la vie sexuelle, qui
transforma la conception de la féminité idéale: à la nonne vierge et célibataire, on opposait
désormais l’idéal de la «mère de famille» et de l’épouse vertueuse qui dirigeait pour l’honneur
de Dieu un foyer, mettait des enfants au monde et les éduquait.
Ce phénomène peut être interprété comme une «domestication» de la femme sous le protes-
tantisme ou au contraire comme l’idéalisation du rôle de femme comme épouse et mère,
recouvrant une certaine revalorisation publique, Dans la théorie luthérienne et réformatrice,
on attribue à la maison une importance non seulement religieuse, mais aussi politique : les
obligations domestiques sont assimilées à des fonctions quasiment publiques ; le «père de
famille» et la «mère de famille» constituent une «autorité» et exercent un «gouvernement»,
une souveraineté sur tous les autres habitants et membres de la maison. (Avant-propos à
l’économie chrétienne de Justus Menius, Luther, 1529)
Dans le Gouvernement domestique », on attribue à l’épouse un véritable «droit de corégence».
L’épouse demeure certes, d’une manière générale, subordonnée à l’époux, et ne peut qu’ex-
ceptionnellement mener le «gouvernement domestique» en son nom. Néanmoins, par analo-
gie entre le foyer et l’État, elle partage le «pouvoir gouvernemental» sur les enfants et la
domesticité.
Dans les foyers de pasteurs protestants, ce type de «co-régence» féminine semble avoir été
fort répandu, et l’on peut supposer que l’épouse du pasteur, avec le rôle moteur qu’elle exer-
çait dans la vie économique, mais aussi sociale et intellectuelle des communautés, devint un
modèle, aussi bien dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Selon les conceptions de
Luther, les femmes, elles aussi – mariées ou célibataires – étaient appelées à participer au
sacerdoce commun des croyants.
Luther a cependant dans de nombreux passages de ses textes tempéré cette idée émancipa-
trice issue d’une logique théologique, mais qui paraissait littéralement subversive. Dans son
texte écrit en 1521, De l’abus de la messe, il limite l’accès des femmes au sacerdoce, en les
considérant comme dotées de moindres facultés intellectuelles – et en invoquant saint Paul.
Pour le reste, chez Luther la subordination de la femme au pouvoir de l’époux demeure sans
réserve.
Calvin mena sur la participation des femmes à la vie religieuse une réflexion bien plus systé-
matique que celle de Luther. Il découvrit ainsi que, dans le premier christianisme, des fem-
mes, en règle générale des veuves âgées, avaient participé, comme diaconesses, à la vie des
communautés, sans même parler des fonctions prophétiques et apostoliques que des fem-
mes bibliques comme Sarah, Rachel ou Marie-Madeleine avaient exercées.
Mais, pas davantage que Luther, Calvin ne tira de ces découvertes aucune revendication de
participation égale ou plus étendue des femmes à la vie religieuse publique ; quant au pouvoir
laïque, il considérait aussi que malgré les activités étonnantes et méritoires exercées par
quelques personnages féminins de l’Ancien Testament comme Ruth ou Judith, il n’y avait pas
de raison de légitimer un pouvoir féminin dans ce monde.
Au delà de l’aspect théorique dont on se servit dans le cadre de la «querelle des femmes»
pour pratiquer une revalorisation éthique et morale du sexe féminin, le problème se posa, de
manière tout à fait concrète en Angleterre, vers le milieu du XVI° siècle, quand Edouard VI
mourut prématurément en 1553 : tous les prétendants au trône étaient alors de sexe féminin,
Marie et Élisabeth Tudor ayant été reconnues légalement depuis 1544 comme héritières po-
Il ressort néanmoins que, malgré les nombreux exemples de femmes ayant gouverné, lutté et
mené la guerre avec succès dans la mythologie et dans l’histoire, on ne voulait en aucun cas
utiliser la position prééminente de la reine qui, dans sa fonction, ne devait pas même obéis-
sance à son époux, pour en faire un précédent sur la vole d’une transformation générale de la
hiérarchie entre hommes et femmes. Dans cette mesure, même les partisans les plus ardents
de la gynécocratie ne réclamèrent jamais que l’on permette aux femmes, en général, l’accès
aux charges publiques, ou que l’on corrige dans ce sens les lois conjugales en vigueur.
1
Souveraineté et subordination des femmes chez Luther, Calvin et Bodin, in Encyclopédie Politique et Historique des Femmes, PUF,
1997.
Animation :
- Rodrigue Coutouly, collège Clair-Soleil, Marseille
- Isabelle Debilly, collège André Chénier - Marseille
- Brigitte Manoukian, collège Campra - Aix-en-Provence
- Dominique Santelli, collège Champavier - Marseille
Dans les nouveaux programmes : exclusion des femmes des manuels en tant que personne
juridique, sujet, actrice sociale.
· Le discours est conventionnel, voire ambigu
· Des caricatures ou allégories
ex : les travailleurs de «l’âge industriel «
Par rapport à l’image donnée (l’homme en sueur devant une grosse machine) montrer qu’il
existe une spécificité de la travailleuse :
· Un travail sexué («des branches»)
· Un travail pour les jeunes et les célibataires (constitution d’une éventuelle dot)
· Des métiers spécifiques (infirmières, postières, instit…)
· Le travail à domicile (machine à coudre)
Les mots
· Expliciter le B O : «acteurs» et «actrices»
· Prendre des précautions par rapport à la terminologie et au vocabulaire
· Suffrage masculin n’est pas le suffrage universel
· Homme et femmes…
L’attitude
· Introduire l’histoire des femmes comme un levier pour revisiter l’histoire qui n’est pas
écrite une fois pour toutes
· Rendre les femmes plus visibles sans faire du féminisme à tout prix
· Par une relecture des manuels des documents existants. Porter un regard autre
· En faisant remarquer les creux de l’histoire
· En analysant autrement et en variant les documents
Il faut d’abord être convaincu en tant qu’enseignant de la nécessité de faire de l’histoire mixte.
Les conférences de M. Zancarini-Fournel et Catherine Marand-Fouquet sont, sur ce point,
convaincantes. Ainsi, écartons d’emblée cette remarque : « On fait de l’histoire indifférenciée,
quand on parle des ouvriers au XIXe siècle, il est bien entendu qu’il s’agit des femmes aussi ! »
L’enseignant est le seul metteur en scène des savoirs à transmettre ; il doit rechercher la
cohérence des programmes, s’aider des manuels mais aussi… utiliser sa marge d’autonomie
et, pour le sujet qui nous intéresse, assumer son « devoir d’initiative ». Il s’agit, au bout du
compte, de changer, non pas nos façons d’enseigner, mais notre regard… aussi celui des
élèves.
Alors quels espaces de liberté avons- nous ? quelles stratégies ? quels moyens? L’atelier doit
tenter de répondre à ces questions en faisant émerger les éventuels problèmes rencontrés et
les pistes possibles, faire des propositions de démarches.
Le survol rapide des têtes de chapitre permet de constater la part belle faite à une histoire liée
aux pouvoirs, aux guerres, et le peu de place accordée à l’histoire sociale… où les femmes
pourraient être plus présentes.
La question est bien : comment faire avec ces programmes ? Il est intéressant de lister quel-
ques entrées possibles pour faire de l’Histoire mixte…
Le point sur les manuels, nous l’avons vu, constate les absences. On peut alors se poser des
questions :
· pourquoi sont-elles si peu visibles ?
· qu’est ce qui anime la conception des manuels ?
· est-ce une évidence de l’histoire ?
On peut, on doit, faire avec les manuels, mais comment ?
· s’interroger sur la rareté et ainsi rendre visible (expliquer pourquoi les absences)
· faire avec les « images de femmes » du XIXe siècle, abondantes allégories, en mon-
trant le contraste entre cette « présence » et l’absence des femmes dans les lieux de pouvoir.
La réflexion qui suit propose une entrée possible dans les programmes, centrée sur Les
femmes et le travail au XIXe siècle. Elle est inspirée des lectures de deux ouvrages
fondamentaux dont de nombreux extraits sont cités :
· Histoire des femmes, sous la direction de Michèle Perrot et G. Duby, Plon, 1991. Le
volume n°4 est consacré au XIXe siècle (direction : M. Perrot et G. Fraisse)
· Les femmes actrices de l’Histoire, France 1789-1945, Yannick Ripa, SEDES 1999
Elle fait également référence à quelques supports documentaires installés sur le site discipli-
naire académique.
L’enseignant présente le XIXe siècle et la révolution industrielle à travers les nouvelles techni-
ques de production, leurs effets, la naissance de la classe ouvrière, les conditions de travail
des ouvriers, les luttes, nouvelles idéologies. On parle des ouvriers ou de main d’œuvre
ouvrière… dans la neutralité. Cette neutralité doit cependant être nuancée car nos représen-
tations de l’ouvrier du XIXe siècle sont centrées sur la figure masculine :
· les hommes sont majoritaires ; ils animent les partis, les syndicats
· les femmes en sont exclues (le Code civil en fait des mineures qui doivent demander
une autorisation au mari pour adhérer à un syndicat, ou même pour prendre la parole !
C’est une réalité : « Au XIXe siècle, l’identité ouvrière se construit sur le mode de la virilité, tant
au niveau du quotidien et du privé que du public et du politique » (Histoire des femmes, le
XIXe siècle, page 474). Les images que nous en retenons sont bien connues : « Le monde
industriel s’incarne dans l’ouvrier dont le muscle et la sueur sont glorifiés » (Ripa Y., les fem-
mes actrices de l’Histoire, page 71). L’image est bien celle du travailleur dans un laminoir,
torse nu…
Le mot ouvrière apparaît en 1820 non pas pour désigner un statut professionnel : elle est
seulement l’épouse de l’ouvrier. Et pourtant, les travailleuses existent ; les femmes ont tou-
jours travaillé, mais l’ère industrielle rend cette présence dans le travail plus visible et surtout,
elle pose problème. Il y a débat : les femmes doivent-elles travailler ? Michelet
dénonce : « ouvrière, ce mot impie » (Michelet, la femme, 1860 – texte sur site académique) ;
être ouvrière est un état contre nature.
Ne faut-il pas alors travailler sur nos propres représentations ? Notre discours enseignant se
veut neutre, nos représentations ne le sont pas et notre regard non plus.
La neutralité n’a pas de raison d’être, surtout au XIXe siècle où les femmes travaillant sont
plus visibles qu’avant, où se construit le « travail féminin », catégorie d’activités majoritairement
exercées par des femmes.
Rendre visibles les femmes dans notre enseignement, c’est se pencher sur ce qui les rend
visibles, ce qu’elles font, et pourquoi elles le font. C’est changer de regard, l’élargir et le
déplacer.
Il est intéressant de partir de l’idée de Joan W. Scott (Histoire des femmes, XIXe siècle, M.
Perrot, G. Duby) qui dit que le XIXe siècle a institutionnalisé des légendes sur le travail des
femmes, des théories qui ont abouti à des pratiques et qui ont légitimé une division sexuée du
travail.
L’idée qu’il y a eu rupture entre la sphère du privé et celle de l’usine est à remettre en cause.
Les femmes ont toujours travaillé. Elles ont travaillé chez elles (fileuse, couturière, ouvrière
dans l’orfèvrerie, boutonnière, dentellière…), effectué de multiples travaux (et non travail). Et
les femmes ont aussi travaillé hors de chez elles, se déplaçant souvent d’une activité à l’autre,
d’un lieu à l’autre : vendeuses sur les marchés, colporteuses, bonnes, blanchisseuses…(au
début du XIXe siècle : 1/5ème des femmes à Paris travaillent hors de chez elles).
Il y a là une autre sorte de continuité : les femmes travaillent plus dans des activités de servi-
ces que des activités industrielles.
Deuxième légende : Les femmes ne devraient pas travailler, certes. Mais quand c’est le cas,
elles le font selon la division du travail qui est naturelle : une théorie qui se prolonge par des
mesures, des pratiques qui légitiment, expliquent et renforcent la division sexuée du travail.
Cette division sexuée du travail est étayée par toute une série de discours :
· La parole de l’Eglise pose comme vérité que les natures étant distinctes, les rôles de
chacun dans la société doivent l’être aussi : aux femmes la mission d’éducation spirituelle (Il
faut re-christianiser). Il faut aussi supprimer le divorce (autorisé en 1816).
· Le discours de la République s’est construit face à l’Eglise : les mesures prises dans
l’enseignement visent à défendre la laïcité, à combattre la position des clercs dans ce do-
maine mais élaborent des programmes différents : « Pour les garçons, les exercices militai-
res ; pour les filles, les travaux à l’aiguille » (Article 1er, loi de Jules Ferry, 28 mars 1882 ).
· L’idéologie bourgeoise, comme l’Eglise, assigne à chaque sexe un rôle précis. Cette
idéologie est légalisée : le Code civil (document n° 20 – site académique) fait des femmes
« des êtres inférieurs, soumises en tant qu’épouses, respectables en tant que
· La pensée ouvrière rejoint celle de la bourgeoisie. Les syndicalistes veulent écarter les
femmes pour protéger les emplois et le métier en avançant que certaines professions sont
dangereuses pour leur moralité, que les femmes sont incapables de faire les travaux des
hommes. Les réformateurs réclament le salaire familial, le salaire du père, calculé pour faire
vivre toute la famille et éviter le travail des femmes et des enfants.
Ces aspirations portent une législation protectrice qui met dans le même sac femmes et en-
fants, êtres fragiles à protéger : discriminations positives pour améliorer les conditions des
femmes ouvrières et on oublie les autres travailleuses pourtant majoritaires mais moins visi-
bles.
A partir de 1890, des lois sont votées sur la protection de la femme au travail mais elles ne
concernent pas les femmes qui travaillent « à la maison » (le travail domestique par exemple
ou les ateliers) ni le commerce de détail, ni le travail agricole... où les femmes sont pléthore.
D’où l’intérêt des employeurs qui se tournent vers cette main d’œuvre bon marché et non
réglementée par souci d’économie : de salaires, d’énergie (chauffage, éclairage), d’outillage.
Ils imposent leurs tarifs, la main d’œuvre est abondante.
· Les employeurs pratiquent la distinction dans leur embauche en faisant usage de critè-
res qui reposent sur une division sexuée du travail. Ttout emploi demandant de la force, de la
vitesse, de l’habileté : pour les hommes ; l’endurance, l’agilité manuelle, la patience : pour les
femmes.
Des discours qui vont institutionnaliser la séparation dans le travail entre les hommes et les
femmes, renforcer ou créer des stéréotypes d’activités : on ne se pose pas la question des
femmes qui portent des seaux d’eau très lourds ; ce n’est pas un problème de force physi-
que !
· Il existe bien un sexe du travail dans la répartition des matières malgré la mécanisa-
tion qui aurait dû mettre fin à une répartition des tâches selon les qualités naturelles des
hommes et des femmes. En 1867 un délégué ouvrier à l’Exposition universelle décrète : « A
l’homme le bois et les métaux ; à la femme la famille et les tissus ». ( Y. Ripa, Les femmes
actrices de l’histoire, page 68).
· Le travail à domicile est bien féminin, dans la couture par exemple avec l’arrivée en
1853 de la machine à coudre, couturière en fer, libératrice des femmes (publicité de Singer).
Le « sweating system » en est renforcé : des heures de travail, payées à la pièce, pour un
salaire de misère.
· Dans la répartition des techniques : les femmes ont les tâches les moins mécanisées
sauf dans les manufactures d’État (allumettes et tabac), en témoignent de nombreuses pho-
tos.
Ce travail féminin est surtout visible à partir de 1870 : on passe des « travaux féminins » aux
« métiers féminins ». Y. Ripa distingue certains de ces « métiers » (Les femmes actrices de
l’Histoire, page 83) :
- Les vendeuses sont de plus en plus nombreuses dans les grands magasins et contribuent
à la féminisation de ce métier. Elles sont jeunes, célibataires, logent au-dessus du magasin,
doivent obéir à une discipline stricte, sont rémunérées au pourcentage.
- les infirmières sont légitimées par la mission religieuse. Mais la République combat la pré-
sence des religieuses aux cotés des malades ; on place donc des femmes formées à l’Assis-
tance publique comme infirmières aux cotés des hommes… médecins. Dans ces métiers de
la santé ou de l’éducation, les femmes prolongent leur rôle de mère.
- Les bureaux se féminisent (en 1906, 40% des cols blancs sont des femmes (Histoire des
femmes, XIXe siècle, page 426). La dactylo tape sur le clavier de la machine à écrire comme
elle joue du piano. Le secrétariat convient à la docilité des femmes (les hommes sont trop
actifs pour rester assis). De là naissent et se renforcent les stéréotypes, encore actifs (voir
orientation des filles et des garçons en fin de troisième).
Les bureaux de poste créent, à partir de 1890, des emplois sans responsabilité, avec salaire
bas, fixe, sans avancement, pour les femmes : « les demoiselles des bureaux de poste ».
Dans le Télégraphe, hommes et femmes travaillent dans des pièces séparées : cette différen-
ciation spatiale permet de mieux souligner (tout comme les salaires : 30 à 40% de moins pour
les femmes à travail égal) l’inégalité entre travailleur et travailleuse.
A noter que ces emplois féminins sont ceux de femmes majoritairement jeunes, célibataires.
Le salaire est très bas, toujours considéré comme un appoint ou une nécessité conjoncturelle
avant le mariage…pour se constituer la dot notamment.
Conclusion
En partant de cet exemple, nous est-il possible, nous enseignants, d’apporter les savoirs
inscrits dans les programmes et de restituer une part d’Histoire aux femmes ? Oui. Par exem-
ple :
· « Domicile » est associé à « femme » mais les femmes sont aussi dehors… Sans alour-
dir le cours, ni modifier les problématiques de départ, une image ou deux, un texte donnant
une présence aux femmes, permettent de rendre compte des réalités du monde du travail au
XIXe siècle. Le tableau de Millet « les Glaneuses » (1857) a toute sa place pour présenter une
société encore largement rurale milieu XIXe siècle, où les femmes sont majoritairement « ac-
tives » dans l’agriculture ; mais les photos d’usines de la fin du siècle abondent, où sont
présentes les femmes qui travaillent (ne pas hésiter à puiser, si cela est possible, dans les
ressources locales). On trouvera aussi de nombreuses gravures ou photos de femmes à la
mine, de femme-factrice, de standardistes aux doigts agiles devant les fils du télégraphe…
Premier cours sur l’âge industriel en classe de quatrième : de nouvelles méthodes de produc-
tion, une nouvelle organisation du travail. Le livre utilisé est le Hatier.
1er support du cours : comparaison de 2 gravures, le filage au XVIIIème siècle (un homme
seul avec son rouet) et l’intérieur d’une filature à Orléans au XIXème siècle.
Un tableau distribué facilite la lecture comparée, ainsi qu’un texte du livre qui décrit le passage
de l’atelier à l’usine.
Après une mise en commun, une question : ce changement s’est-il fait brusquement ?
Le texte décrit bien les étapes de cette « révolution » industrielle et le passage progressif de
l’atelier à l’usine.
Un élève décrira à l’aide d’un dessin projeté au tableau, le fonctionnement de la machine de
Watt.
Une question : n’est-il pas étonnant de voir un homme filer ?
Les élèves approuvent : leurs images de ce type de travail est bien celle de la femme à la
quenouille (ils évoquent même la Belle au bois dormant !) et font remarquer que les femmes
ne sont pas présentes dans la filature d’Orléans.
Les femmes travaillent-elles donc ? délire d’élèves…
Le professeur expose oralement que le travail des femmes est omniprésent dans les campa-
gnes, comme agricultrice mais aussi dans bien d’autres activités, notamment dans les ateliers
de tisserand. Les femmes seront aussi présentes dans les grosses fabriques : la classe se
reporte immédiatement à la page 123 où une photo de cartoucherie Gévelot à Issy -les-
Moulineaux montrent trois rangées de femmes assises devant leur machine, sous l’énorme
verrière et sous la surveillance des hommes debout.
Quelques lignes dans le cahier : ……..
Je n’ose faire mention des femmes ; on les retrouvera plus tard. Et les élèves devront répon-
dre aux questions qui accompagnent la cartoucherie pour le cours suivant.
2ème support : photocopie d’une gravure « Les ateliers en chambre ». Deuxième idée : la
machine est associée à l’usine mais elle est loin de faire disparaître les ateliers ; elle peut
même créer de nouvelles organisations de travail hors usine.
Description : le lieu (la ville, un immeuble), les machines (certains ont vu des machines à
coudre et évoquent la Singer), la taille des ateliers, l’énergie utilisée pour faire fonctionner les
machines (il est question d’air raréfié... je les renvoie à leur prof de techno).
Je leur demande de faire quelques remarques sur : la main d’œuvre ( il y a des femmes, des
enfants…), sur main d’œuvre et étages (il y a séparation dans le lieu de travail entre les
hommes et les femmes), sur les matériaux travaillés ou produits fabriqués (des brosses pour
les enfants, des tissus pour les femmes qui fabriquent des chapeaux, du métal pour les hom-
mes qui fabriquent des cadres).
Cette dernière remarque m’interroge : j’ai préparé ce cours en ayant le sentiment réel que ce
que je faisais avant était partiel… et faux ! Je n’ai nullement ressenti l’impression de « me
forcer à mettre des femmes dans mon cours » : elles devaient être présentes parce qu’elles
sont présentes dans le travail.
Et pourtant, j’ai présenté mon cours en ayant l’impression que je leur jouais un
tour…J’attendais la vilaine remarque sur l’histoire des chapeaux… comme si j’en faisais un
peu trop avec les femmes. La peur du militantisme. Une impression seulement…mais forte.
Nous avons encore des barrières à sauter…les enseignants, avant de les faire sauter aux
autres !
1- Faut-il changer les programmes pour donner plus de visibilité aux femmes ?
Les nouveaux programmes, malgré leurs qualités, expliquent en partie les difficultés qu’ont
les enseignants à rendre les femmes visibles. Il est davantage demandé de voir du côté des
élites, du pouvoir, contrairement au programme précédent qui était plus axé sur la société.
Une explication est avancée par un participant qui estime que ce sont souvent des équipes
masculines qui font les programmes.
L’analyse des manuels montre bien que les femmes y sont beaucoup moins présentes qu’aupa-
ravant. Les femmes y sont souvent exclues en tant que personne juridique, sujet, actrice
sociale. Le discours construit autour d’elles est le plus souvent conventionnel, voire ambigu.
La femme est souvent réduite à des caricatures (les tricoteuses, ou à des allégories (Ma-
rianne). La quasi disparition des leçons consacrées à la vie quotidienne les rend encore moins
visibles. La femme travailleuse est le plus souvent oubliée du monde industriel où son rôle fut
pourtant très important.
Les débats sur ce thème des programmes, au sein de l’atelier, portent d’abord sur la place
des femmes dans l’histoire. Certains participants, peu nombreux, semblent découvrir lors de
cette journée que l’absence des femmes, dans l’histoire qu’on leur a enseignée, ne prouve
pas qu’elles n’aient pas existé dans la réalité historique. La plupart des interventions se foca-
lisent sur l’importance de la reformulation des programmes. Certains estiment cette réforme
indispensable pour pouvoir avancer. D’autres défendent l’idée qu’une réforme ne sert à rien si
elle ne s’accompagne pas d’une évolution des mentalités et des pratiques enseignantes.
Faut-il une simple circulaire dans le style des documents d’accompagnements suggérant des
pistes, des conseils pour rendre visibles les femmes ou un programme qui impose ?
A défaut d’avoir tranché, plusieurs solutions sont proposées pour que les programmes évo-
luent . Faut-il expliciter dans ceux-ci « acteurs » et « actrices », insister par exemple sur le
sacre non de Napoléon mais de Joséphine ? Infléchir le programme vers davantage de so-
cial ? Obliger les collègues à avoir une lecture plus critique du code civil ? Introduire de
nouveaux documents à traiter obligatoirement ?
Seules quelques pistes sont abordées dans le court temps de l’atelier. On se contente ici de
les présenter.
Beaucoup insistent sur la nécessité d’avoir un regard critique sur les manuels et leur contenu
en particulier sur le choix des documents. Les rédacteurs des manuels sont soumis à des
impératifs éditoriaux qui ne permettent guère de renouveler l’iconographie dont le prix est très
élevé.
Un collègue propose d’utiliser le film ²Germinal² dont les rôles féminins sont intéressants. Un
autre suggère d’utiliser les allégories politiques que constituent les Mariannes pour permettre
en contrepoint de mettre en lumière les absences des femmes du champ politique.
animation :
- Eric Boéri, lycée Professionnel Arc de Meyran – Aix-en-Provence
- Christine Colaruotolo, collège Coin Joli Sévigné – Marseille
- Patrick Parodi, lycée Joliot-Curie - Aubagne
- Annie Rouquier, historienne
1- LE POURQUOI DE LA DEMARCHE
2- LE COMMENT DE LA DEMARCHE
Enseigner une histoire mixte est une nécessité d’autant que l’histoire est pour les élèves une
source de modèles d’identification individuels et/ou collectifs. Peu ou pas de femmes dans les
sociétés passées sont présentes dans l’histoire enseignée.
Accorder une place plus grande aux femmes dans l’histoire enseignée, c’est permettre aux
filles de se situer dans le monde contemporain. Or, l’héritage transmis est dissymétrique.
Dans les programmes d’histoire des classes de troisième, première et terminale, la place
réservée aux femmes est réduite, le politique l’emportant sur le social et le culturel.
Si l’on fait un tour d’horizon des manuels scolaires de collège et de lycée pour cerner la
place des femmes dans ces manuels et les images véhiculées1 on peut faire plusieurs
constats communs au niveau collège et lycée :
· La place réduite des femmes dans les grands événements de l’histoire du XXe
siècle.
Le premier moment de l’entrée des femmes dans l’histoire enseignée en classe de troisième est
la Première Guerre Mondiale. L’ensemble des manuels évoque l’appel à la main d‘œuvre
féminine (munitionnettes) mais elles apparaissent aussi souvent pour témoigner de l’impor-
tance de la mobilisation masculine. Par contre, à l’exception du Magnard troisième, aucune
allusion n’est faite sur l’ambiguïté des conséquences du conflit et ses effets antiféministes.
Si le mouvement des femmes, lors de la Révolution russe de février 1917 est mentionné, les
femmes ne font pas l’objet d’un traitement particulier dans les chapitres consacrés au stali-
nisme ou au nazisme en troisième. En lycée, les situations plus favorables comme le nouveau
code civil adopté sous Lénine, sont ignorées .
Sous le Front populaire, et contrairement aux manuels de lycée, la plupart des manuels de
troisième à, l’exception du Belin, mentionnent dans le texte la nomination de trois femmes
sous-secrétaires d’Etat au gouvernement mais aucun d’entre eux ne souligne le fait para-
doxal qu’elles ne disposent pas encore du droit de vote en France. Aucune mention n’est
faite, par contre, du combat des suffragettes en troisième. En lycée, quelques photos évo-
quent leur combat. Seul le Magnard première va plus loin en proposant une carte des États
ayant accordé le droit de vote après la Première Guerre Mondiale.
Tout comme pour la Première Guerre Mondiale, le second conflit mondial réactive les rôles
traditionnellement assignés aux femmes. Epouse, fille ou sœur de prisonnier, elles sont pré-
sentées sous les traits de femmes accablées ou victimes confrontées aux difficultés de ravi-
taillement.
La participation des femmes à la Résistance est passée sous silence. La Résistance est
présentée comme une affaire d’hommes, les témoignages étant exclusivement masculins.
Une exception toutefois, un manuel (Nathan 3ème) évoque la participation des femmes à la
Résistance à la fois dans le texte : «Embryonnaire en 1940, divisée, la Résistance est l’œuvre
d’hommes et de femmes animés par leur patriotisme et leur anti-nazisme « (Nathan 3ème,
p.110) et à travers un tract communiste émanant des femmes patriotes ²Appel à la résistance
adressé aux Travailleurs nos frères² (Nathan 3ème doc.2, p.111). Ce même manuel est le seul
qui évoque les excès de l’épuration dans le texte et dans un document (photographie d’une
femme tondue doc.1, p.112, Nathan 3ème). En collège comme en lycée, aucun nom de résis-
tante, aucune évocation des femmes combattantes ou auxiliaires de l’armée.
Pour la période 1945 à nos jours, tous les manuels de collège et lycée soulignent l’acquisition
du droit de vote par les femmes. Si les manuels de terminale abordent rapidement les chapi-
tres économiques et sociaux (augmentation du nombre de femmes salariées et des lois sur la
· Les femmes sont relativement plus présentes dans les documents que dans les
textes des manuels.
Incarnant la patrie, la république, les femmes sont aussi une composante des affiches de
propagande. Femmes travailleuses émérites en U.R.S.S, on les retrouve dans les chapitres
consacrés au nazisme ou aux deux guerres mondiales pour promouvoir les emprunts natio-
naux.
Les femmes sont, par contre, présentes pour illustrer les progrès dans les conditions de vie
des sociétés. Dans les chapitres consacrés à la société de consommation, leur présence
devient massive : publicité pour l’électroménager qui «libère» la femme, ménagères dans les
rayons des supermarchés ou affublées de bigoudis et poussant un caddy bondé (sculpture de
Duane Hanson).
· Un silence accompagne souvent leur apparition dans les documents apposés sans
aucun commentaire ou questionnement approprié.
Ainsi, dans un dossier intitulé une société qui change (Belin 3ème, p.272) les droits acquis par
les femmes entre 1944-1980 sont évoqués à travers une mini chronologie sans l’ombre d’un
commentaire et sans la moindre référence aux mouvements féministes.
Dans la même page, une photo représentant une salle d’examen dans les années 1960 où
les candidats sont quasi exclusivement des jeunes filles. Or, aucun questionnement ne porte
sur les progrès de la scolarisation des filles.
· Les figures féminines de premier plan apparaissent comme les grandes perdantes
Au fil des pages des manuels, on peut glaner quelques rares noms comme Rosa Luxembourg
(extrait Rote Fahne Hatier 3ème, p.37), Suzanne Lacore (nommée sous-secrétaire à la protec-
tion de l’enfance en 1936), Simone Veil, Edith Cresson, sont évoqués en collège comme en
lycée encore que le Nathan troisième omet de mentionner que c’est la première fois qu’une
femme devient ministre. L’image de la femme militante ou actrice politique est plus que sous
représentée.
Il est à noter aussi la part infime des témoignages féminins : Emilie Carles, Simone Veil,
Geneviève de Gaulle en troisième. En lycée, aucun texte d’historienne ou de sociologue n’y
figure. Sur huit manuels en lycée, on peut trouver trois textes de Simone de Beauvoir et deux
fois le texte de Rosa Luxembourg critiquant la révolution bolchevique.
Les notations concernant les femmes sont donc éparses dans les manuels. Or, il faut garder
à l’esprit que les élèves ne disposent que d’un manuel et donc qu’une partie infime de ces
informations sur cette question.
L’analyse d’ensemble des manuels reflète, au total, la faible place laissée aux femmes en
tant qu’actrices à part entière des événements historiques dans l’histoire enseignée. Elles
apparaissent à travers des notations brèves, lors de rendez-vous convenus, sans réelle figure
emblématique. Une présence sans continuité, en pointillé, les liens manquants souvent entre
leurs apparitions. Difficile en conséquence de cerner l’évolution de la condition féminine avec
ses luttes, ses acquis et ses reculs ou encore les mutations du travail féminin au cours du XXe
siècle.
L’étude a été réalisée à partir de quatre éditions: en collège (Hatier, Magnard, Belin, Nathan) et en lycée (Bréal, Belin, Magnard et Hatier)
Les programmes ne comportent pas d’incitation à l’enseignement d’une histoire mixte. Les
manuels aggravent, on l’a vu, cette tendance à l’absence des femmes dans l’histoire ensei-
gnée. C’est avec ces programmes et ces manuels qu’il faut inclure la mixité. Mais, quelles
connaissances indispensables sur les femmes au XXe siècle voulons-nous transmettre aux
garçons et aux filles de nos classes ?
On peut retenir quatre points essentiels qui correspondent aux grandes coupures chronologi-
ques des programmes.
- le développement de discours contre les femmes : pendant le conflit, les discours tradi-
tionnels de la femme, mère et épouse et gardienne du foyer sont nombreux. Mais, les dis-
cours contre l’arrière prennent parfois pour cible les femmes, libres, financièrement indépen-
dantes ( coquettes, infidèles et frivoles sont les accusations les plus courantes). Cette ten-
dance se renforce à la fin et dans l’immédiat après-guerre : en janvier 1919, la démobilisation
de la main d’œuvre féminine est officielle. La différence des sexes est accentuée : la mater-
nité est survalorisée et la femme réduite à l’image de mère.
Se développe ainsi une véritable politique familiale, amorce d’un « Etat providence » : allége-
ment des horaires et rémunération des huit semaines de congé de maternité pour les institu-
trices et les « demoiselles » de la poste en 1922, assurance maternité par les lois du 5 et 30
avril 1930, allocations familiales crées en 1934 jusqu’aux 14 ans de l’enfant, versées au père
ou à la mère, etc. Par contre, cette politique ne résout pas les problèmes de garde des enfants
car la femme est pensée au foyer.
Cependant, la réalité est tout autre ; la part des femmes actives augmente entre-deux-guer-
res : en France, le taux d’activité des femmes est de 36% en 1926 ; 42% des femmes mariées
travaillent en 1936. Le tertiaire se féminise : le salaire des femmes remplace la dot dans les
classes moyennes, la scolarisation plus grande des filles, la naissance de métiers perçus
comme conformes à la « nature féminine » tels secrétaire, infirmières ou institutrices. Dans le
monde de l’usine, la part des femmes augmente (1/4 des effectifs de Renault) mais le travail
de la femme est vécu comme une incapacité à pouvoir subvenir aux besoins familiaux par les
maris.
En France, la situation est plus simple ; les femmes restent des mineures aux yeux de la
loi. Sur le plan politique, l’Assemblée nationale vote à plusieurs reprises le droit de vote aux
femmes (1919, 1932, 1935 et 1936) mais le Sénat s’y refuse en invoquant des arguments tels
que la nature des femmes, le fait qu’elles se montreraient plus conservatrices dans leur choix
si elles devaient voter et le fait qu’elles aient en majorité soutenu Hitler en Allemagne. Sur le
plan juridique, les femmes restent des mineures : incapable juridiquement jusqu’en 1938,
obéissance au mari, divorce sous conditions depuis 1884, contrôle de la correspondance, etc.
La Seconde guerre mondiale est marquée par le rôle essentiel des femmes dans les résistan-
ces et une répression particulière à travers le phénomène des tontes. Elle débouche en France
sur l’accession des femmes au droit de vote.
- le rôle des femmes dans les résistances (voir le texte de Malraux dans le dossier qui résume
l’essentiel). Les motivations des résistantes sont diverses : ex. engagement familial (Lucie
Aubrac, Geneviève de Gaulle, etc.) et leur entrée en résistance prend des formes multiples
(fourniture de nourriture ou de planque ou de faux papiers, diffusion de tracts ou d’informa-
tions). Peu manièrent les armes ou dirigèrent un réseau (Marie Madeleine Fourcade et le
réseau Alliance). Cependant, elles sont plus qu’indispensables au fonctionnement des ré-
seaux et sont victimes en grand nombre de la répression ou de la déportation.
A la fin de la guerre, elles ne sont pas reconnues : seules 6 femmes (dont 4 à titre posthume)
sont reconnues compagnons de la Libération contre 1024 hommes. 7,6% des femmes sont
membres de Comités départementaux de Libération.
- l’épuration se marque comme une répression sexuée à travers le phénomène des tontes :
entre 1943 et 1946, 20 000 femmes furent tondues dont la moitié pour la « collaboration
horizontale », moins réelle que révélatrice d’un discours sur les femmes, dont la nature est
- l’accession au vote se fait par l’ordonnance du 21 avril 1944 ; la décision n’est pas motivée
par le combat des féministes mais par la participation des femmes à la Résistance, par le
décalage entre la France et de nombreux autres pays et un vote réputé conservateur , rem-
part contre le communisme. Il est alors inscrit dans la Constitution de 1946 l’égalité entre
hommes et femmes mais la situation juridique de celles-ci est inchangée. Il y a donc contradic-
tion entre le texte constitutionnel et l’application concrète de celui-ci.
Les années 60 constituent une véritable rupture pour la condition des femmes ; elles ouvrent
une période qui met progressivement fin sur le plan juridique à la contradiction entre l’affirma-
tion de l’égalité entre les sexes et une situation inégalitaire.
Après guerre, c’est sur la nécessité de maîtriser son corps et sa fécondité que les combats
féministes insistent (voir le retentissement du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir en
1949). Malgré l’opposition de nombreux milieux (catholiques par ex. qui défendent la méthode
Ogino et les communistes), la loi Neuwirth de 1967 autorise la contraception et la loi Veil
libéralise l’avortement. Les mouvements féministes jouent alors un rôle très important : ils
obtiennent au début des années 70 la parution des décrets d’application de la loi de 1967,
mettent en avant les conditions réelles d’avortement, les problèmes de viol, d’accueil des
femmes battues afin d’obtenir des changements législatifs.
Ces mesures s’inscrivent dans une série de mesures de modification du Code civil : en 1965,
les femmes peuvent librement ouvrir un compte en banque, accepter un emploi ou un enga-
gement artistique, remplacement de l’autorité paternelle par l’autorité parentale en 1970, loi
d’égalité salariale pour travail de valeur égale de 1972, divorce par consentement mutuel et
interdiction de toute discrimination sexiste à l’embauche en 1975, loi Roudy sur l’égalité pro-
fessionnelle en 1983, loi sanctionnant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail en 1992, loi
sur la parité en 1990.
Il y a donc une véritable révolution sociale dès les années 60 qui permettent aux femmes une
meilleure maîtrise de leur vie. Cependant, d’autres inégalités se recomposent :
- dans le monde du travail et de la politique, le nombre de femmes aux postes de respon-
sabilité reste faible : 10% de femmes députées en France en 1997 (Inde 8,8%, Grèce 7,6%,
Suède 42,7%) où le mode de scrutin uninominal joue contre elles.
- les inégalités restent fortes en terme de salaires (une différence de 12% entre hommes
et femmes) ; le travail précaire, les emplois disqualifiés, le chômage touchent davantage les
femmes.
L’égalité reste davantage un objectif qu’une réalité.
Ces différentes entrées qu’offrent les programmes de collège et lycée portant sur le 20ème
siècle ne sont pas limitatives : l’étude de l’Allemagne nazie ou de l’Italie fasciste, de l’Urss, des
grands mouvements artistiques (les femmes sont exclues dans les manuels des champs de la
création), etc. permettent d’entreprendre une histoire mixte.
Exemples :
- Terminale Histoire Géographie, dir. Jacques Bodineau, Foucher, Paris, 1999, p.136 : dans
les pages repères n’apparaît: aucun nom de femme
- BEP Terminale, Chapon j., Corlin M., Lancelot G. «et al », Hachette technique, Paris, 1994,
p.41 : une photographie présente une femme devant un réfrigérateur ouvert avec des pro-
duits de consommation alimentaire (c’est la seule présence de femme dans le film des événe-
ments qui introduit chaque séquence).
Thèmes :
Les événements concernant l’action des femmes dans certains domaines comme la résis-
tance, la vie politique, sont presque toujours ignorés, ou ils font l’objet de dossiers thémati-
ques :
Exemples :
Rien sur les suffragettes (excepté en Bac Pro chez Nathan), et seulement un cliché montrant
une femme qui vote en 1945 et la date de 1944 dans les chronologies.
- Terminale Histoire Géographie, dir. Jacques Bodineau, Foucher, Paris, 1999, p.43 : page
thématique concernant Le travail féminin
p.63 : dossier sur La place de la femme dans la vie publique
Les femmes sont donc peu présentes et leurs rôles dans l’Histoire très faiblement représen-
tés. Il y a manifestement un manque de personnages et d’actes référents pour nos élèves,
filles et garçons.
Comment changer leur représentation, sans se détourner des objectifs pédagogiques indi-
qués dans les programmes ? (En intégrant les femmes, sans dossier spécifique, mais en les
faisant apparaître « naturellement »).
Comment continuer à se servir des manuels ? Comment se servir des documents présents ?
Comment faire avec leurs défauts ? Doit-on critiquer clairement cette représentation de la
femme ? …
Les images sont également susceptibles d’être traitées dans les deux domaines. La lecture
de l’image constitue en effet une séquence à part entière dans le programme de français, et
cela chaque année. Les affiches, les illustrations, les photographies, les documents vidéo
sont autant de supports transdisciplinaires (les arts plastiques peuvent aussi jouer un rôle).
L’apprentissage du « décryptage », de la mise en évidence de la structure et de l’organisation
d’un texte ou d’une image sera réinvesti en histoire, ce qui augmentera la justesse d’analyse.
« Replacer le texte dans son contexte historique», cette phrase, souvent répétée par le pro-
fesseur de français, trouve ici un écho favorable.
Le professeur de LP peut donc assez facilement lier des séquences de français et d’histoire.
En collège et lycée cela nécessite un travail d’équipe particulier, une organisation à plusieurs
du déroulement des séquences. On peut également imaginer des « points de rencontres »
dans les programmes de chaque discipline à différents moments de l’année.
Cet atelier se proposait de réfléchir sur le thème de la visibilité de la femme dans l’histoire
enseignée du XXe siècle.
En introduction un état de lieux de la question à travers les programmes et les manuels scolai-
res a été proposé ainsi qu’une mise au point sur les connaissances indispensables concer-
nant les femmes au XXe siècle à transmettre aux garçons et aux filles.
L’analyse des programmes d’histoire de collège et lycée a permis de souligner combien l’hé-
ritage transmis est dissymétrique, la place réservée aux femmes étant particulièrement ré-
duite. Il est vrai que, dans ces programmes, le politique l’emporte largement sur le social et le
culturel.
Le tour d’horizon des manuels de collège et lycée, illustré par une projection de documents, a
révélé la faible place laissée aux femmes en tant qu’actrices à part entière des événements
historiques dans l’histoire enseignée du XXe siècle. Elles apparaissent à travers de brèves
notations, lors des rendez-vous convenus, sans réelle figure emblématique. Une présence
sans continuité, en pointillé, les liens manquant souvent entre leurs apparitions. La part infime
réservée aux témoignages féminins a été également relevée. Cette analyse a enfin révélé
comment les manuels compensaient ce manque de visibilité en proposant des dossiers spé-
cial femme.
Le même constat a pu être fait à partir des programmes et manuels de LP.
A l’issue de cet exposé, un débat s’est engagé autour du thème pourquoi et surtout comment
rendre plus visible les femmes dans l’histoire enseignée du XXe siècle ?
Dans l’ensemble, les collègues présents ont adhéré à cette démarche, conscients de la né-
cessité de dépasser les représentations antiféministes latentes et convaincus de devoir, pour
cela, changer au préalable «leur propre regard ».
Un collègue a souligné la nécessité de rester vigilant pour éviter le risque d’une dérive mili-
tante. La nécessité d’un changement des programmes a été également évoquée par une
collègue. Michelle Zancarini, maîtresse de conférences à l’IUFM de Lyon, a rappelé à cette
occasion la tentative d’Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme, de rédiger une
circulaire pour infléchir les programmes dans ce sens, et les résistances rencontrées.
Une autre proposition invitait à s’attaquer aux stéréotypes qui sous tendent les représenta-
tions. Il s’agit alors de décoder avec les élèves, les documents présentant des vues conven-
tionnelles dans les manuels, afin qu’ils en prennent conscience.
Le professeur d’histoire peut également s’interroger avec eux sur la rareté des documents, les
omissions qui sont tout autant significatives et révélatrices.
Les manuels n’offrant pas toujours les documents adaptés à une telle démarche, la possibilité
d’utiliser d’autres supports a été évoquée : films, cassettes vidéo (de l’INA), archives loca-
les…