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Introduction
Un souffle de revendications égalitaires entre les sexes émane dans les années 60 de jeunes femmes dont les
mères ont conquis à peine 20 ans plus tôt le droit de vote : elles dénoncent le sort réservé aux femmes et veulent
construire une société qui offre à l’homme comme à la femme un statut égal.
La littérature de jeunesse suit quelques années plus tard ce mouvement, et c’est alors qu’apparaissent les
premières héroïnes qui soulèvent la question de l’injustice que les femmes subissent en tant qu’être féminin. Le
mouvement des femmes a posé le problème de la place de la femme dans le monde économique, social,
politique et culturel, on cherche par conséquent de plus en plus à analyser la position de la petite fille. Figure
emblématique de ce questionnement, Julie, en 1976, bouleverse le monde schématique des écrits pour enfants,
en évoquant les difficultés identitaires d’une petite fille qui cherche à se libérer du rôle sclérosant dans lequel la
société l’enferme.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Aujourd’hui, la société a évolué, et les femmes ont vu un grand nombre de leurs
revendications satisfaites. Toutefois se pose de façon prégnante, en cette ère de parité et de congé paternité, la
question de l’égalité entre les sexes et la nécessité de rompre les stéréotypes féminins comme masculins.
Une fois de plus la littérature de jeunesse participe au mouvement. Martine, petite maman accomplie, n’est pas
pour autant mise au placard : en effet - et c’est bien là que réside toute la complexité - il est bien difficile de
remettre en question les représentations mentales intériorisées.
Le défi est pourtant lancé et un grand nombre d’auteurs de littérature de jeunesse aident aujourd’hui garçons et
filles à sortir de leurs rôles prédéfinis.
Dans un premier temps, les auteurs cherchent à susciter une prise de conscience chez les jeunes lecteurs : les
normes sociales existent et filles et garçons ne reçoivent pas la même éducation.
Ils mettent alors en scène des personnages qui sortent du rôle traditionnellement assigné à leur sexe, s’attaquant
ainsi au mur des préjugés sexistes.
Malheureusement, il nous faut reconnaître la fragilité de cette remise en cause, au sein d’une production
éditoriale qui n’a pas toujours le courage d’oser.
En 1949, dans Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir affirmait : « On ne naît pas femme, on le devient » ; de
la même façon, nous pourrions ajouter « On ne naît pas homme, on le devient ». Car être fille ou garçon, c’est
souvent apprendre à se comporter de certaines façons, c’est se conformer à certaines normes socialement
déterminées.
Un certain nombre d’auteurs jugent aujourd’hui nécessaire d’amener l’enfant à cette réflexion, notamment à
travers des ouvrages didactiques, à la manière de Béatrice Vincent : « L’éducation que nous recevons de la
famille et de la société fabrique aussi nos personnalités de fille et de garçon, malgré nous. La société crée des
modèles de féminité et de virilité. Ces normes sociales ne sont pas forcément faciles à assumer » (Filles =
garçons ? l’égalité des sexes). Il s’agit de faire comprendre à l’enfant combien la société le conditionne et lui
dicte les règles de bonnes conduites convenant à son sexe.
Dans Menu fille ou Menu garçon ?, Thierry Lenain pointe l’active participation de la société à cette
schématisation des rôles : les poupées pour les filles, les fusées pour les garçons, un point c’est tout. Filles et
garçons sont priés d’appartenir à deux mondes séparés et intériorisent ce schéma de pensée : ainsi Bill réalise-t-
il combien les espaces où filles et garçons évoluent dans la cour de récréation sont délimités, les garçons
occupant toute la cour avec leur ballon, et les filles se rassemblant en petits groupes dans les coins (La nouvelle
robe de Bill).
Pour exprimer le conditionnement des sexes par l’éducation, les auteurs de fictions pour la jeunesse ont choisi
de stigmatiser deux « objets » tout à fait représentatifs des normes véhiculées : la robe pour les filles, la verge
pour les garçons. A travers cette vision métonymique des genres féminin et masculin, les auteurs contribuent à
mettre en lumière les normes qui pèsent sur l’éducation des filles et des garçons.
C. Tu seras un homme…
A l’éducation féminine comprenant la douceur, la discrétion et la « sagesse », s’oppose celle du garçon. Un
ingrédient impératif jaillit alors spontanément : la virilité. Le garçon doit devenir un homme accompli avec tout
ce que cela suppose en termes de puissance physique, de pouvoir, de conquêtes (sociales, professionnelles,
amoureuses). Et c’est pour les auteurs de littérature de jeunesse le sexe masculin qui joue le contrepoint de la
robe chez les filles.
Quand la robe est un élément de coercition pour la fille, la verge est pour le garçon l’affirmation de sa
puissance. Pour Max, d’ailleurs, la chose est claire : il y a les « Avec-zizi » et les « Sans-zizi » et « les Avec-
zizi étaient plus forts que les Sans-zizi. Evidemment, puisqu’ils avaient un zizi ! » (Mademoiselle Zazie a-t-elle
un zizi ?). Mais pour Martin, ce sexe est une véritable catastrophe : il craint, avec son « petit zizi » de ne
pouvoir combler Anaïs, pensant que toute son identité se résume à cet élément (Petit zizi).
Car si la fille souffre de son sort, on oublie souvent de se pencher sur le cas du garçon, soumis à des impératifs
parfois bien lourds à porter : être le plus grand, le plus fort, le plus courageux… c’est un travail à plein temps !
L’intériorisation de ces stéréotypes peut rendre malheureux le garçon qui ne se sent pas toujours capable de
relever ces exigences.
Ainsi Gillou aime-t-il Lili qui a « une carrure d’athlète » ; et pourtant il affirme « qu’on a envie de la
protéger « et qu’elle est « une pauvre petite chose fragile » (Lili bouche d’enfer). C’est ici la traditionnelle
représentation de la femme qui occupe l’esprit de Gillou et qui, du coup, le rend malheureux, lui, parce qu’il ne
se sent pas capable de jouer ce rôle de grand protecteur qui lui est dévolu socialement.
Protecteur, le garçon se doit aussi d’être conquérant, comme le montre Anne Fine. En effet Bill, malgré son
apparence de fille, reste en lui un petit garçon, et lorsque les filles complotent afin de laisser le maladif Paul
gagner à la course, lui n’arrive pas à se résoudre à perdre : car si la résignation est le lot des filles, elle n’est
guère celui des garçons, conçus pour gagner.
Mais attention ! Au royaume du mâle, on ne gagne pas n’importe comment : il faut se battre, battre l’autre,
démontrer sa force physique. Sinon, le verdict tombe : de « poule mouillée » à « femmelette », les qualificatifs
ne manquent pas pour souligner l’opprobre que jette sur le genre masculin tout entier celui qui ne se plie pas
aux traditionnels impératifs de virilité. C’est parce que la danse représente des valeurs dites féminines telles que
la grâce, la légèreté et l’expression des sentiments – surtout – que le père de Billy et son frère Tony refusent sa
passion : un garçon fait de la boxe, sport de combat, valeur on ne peut plus masculine (Billy Elliot).
De façon générale, c’est la prohibition des sentiments qui caractérise l’éducation des garçons.
Quand Sidonie (Garçon manqué), Yasmina et Malika (Pas de pitié pour les poupées b.) peuvent pleurer des
larmes de dépit, Frédéric regrette amèrement : « ça ne se fait pas quand on est un garçon. Ou alors seulement le
soir, dans son oreiller, mais pas au milieu de la cour de récréation » (Frédéric ou cent façons d’être un
garçon). On remarquera le ton très dogmatique de l’énonciation, notamment à travers l’emploi du pronom
personnel « on » et de la formule « ça ne se fait pas ».