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Upanishad le fleuve des 4000 îles

Moi Nam Kong


(telle une chute grisonnante d'onde)

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Je sais qu'il y a des îles au Sud et de grandes passions cosmopolites
F. Pessoa

Un paravrâjaka (l'ermite entier d'avant) va bientôt s'asseoir au plus près du fleuve pour
voyager dans l'unité des mondes (cool, enfin le job parfait). Ça commence fort : ce que
nous, grecs, pensons « à côté » (para) était là avant, et fondamental. Mais l'habitus
sédentaire est toujours « a little too close for comfort », seule une épopée peut nous agir,
dans ce temps venu où je n'ai plus de guerres.

Les dates sont données : départ dès le guide paru (16 août), arrivée pour la fête des morts
(21 août), ne pas quitter avant la fin de la retraite (5 octobre). Retour, argent et travail ont-
ils consistance dans les U. ?

... et je construis en moi cette image aqueuse...

Savanakhet, Lili Guest-House


Les U. se lisent à voix haute. Ici je donne un peu de voix, et n'ai pas encore ouvert le livre,
merci à Elle qui fait famille partout où elle survient, et ne reste pas. La BG s'écoute,
inductrice, les U. sont réflexives, en travail direct sur l'organe interne depuis tous les
commentaires du fleuve. Le brahman est l'éosinophile de source, devenant intelligible à
Soi, âtman, qui se découvre non corporel. L'étude du Veda m'apporte à la fois joie
cosmique et paix intérieure, mais il ne s'agit ni de paix, ni d'interne, mais d'une action du
Un. Un plaisir intellectuel dans la découverte d'un système, mais ce système est au-delà du
consistant des logiciens, grâce à l'apophatisme de sa grammaire : on semble y donner une
proposition et son contraire sans que cela ne perturbe sa fonction complexe. Le Veda a
perçu, pensé, l'incohérence de tout symbolique et la complétude, il donne corps à nos
« anges », c'est notre compréhension qui en reste toujours en progression, incomplète. La
grammaire apophatique, de proche en proche, nous donne le non-symbolisable d'un ici et
d'un maintenant, et qui se manifeste bien dans le Réel (Lacan).

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She said : in the eye of the storm (…). We are not moving though, it's Mekong drifting our
way sentimentally. C'est sa peau qui m'attirait tant que je ne pouvais résister à la toucher, la
caresser, la mordre. Elle aimait ce pouvoir d'attraction qu'elle disait si bien, doré.
Enlèvement à Savannakhet.

Dans Le Vice-Consul, même si la géographie est déjà très fantaisiste, Marguerite Duras a
un certain souci de vraisemblance : pour descendre jusqu’à Vinh Long, dans la plaine des
Oiseaux, entre deux bras du Mékong (dans la zone de son delta, en bordure de la mer de
Chine), là où se trouvait la concession de la mère de Marguerite Duras, à Prey Nop, la
mendiante longe le lac Tonlé Sap au Cambodge, puis les bords du Mékong. Elle vient donc
de Battambang, à quelques kilomètres du lac. C’est Anne-Marie Stretter qui vient de
Savannakhet. À la fin du Vice-Consul, déjà, les lieux des origines, du chant de la
mendiante, tentent à se confondre. Dans India Song, la mendiante vient elle aussi de
Savannakhet.

Bhuvah est l'espace intermédiaire. Le vent et le souffle-dedans sont bhuvah, le monde là-
haut est souffle-lien. Les chants sont désir, l'U est processus primaire. Chandogya-
upanisad (CU) : chandogya est le chanteur, il chante la mélodie (saman), sa forme, ses
correspondances ; la mélodie dégage des structures mais qui restent mobiles. Que se
déploient membres, parole, souffle, vue, ouïe, force et tous mes sens. De tous les êtres la
terre est l'essence, le rasa. Un couple parole-souffle donne la potentialité de toute
expression, exploration des mots, contact à l'objet du sentiment-essence. Mais ce que l'on
fait, ce que l'on dit avec connaissance est plus efficient. Créer sa vision, et non ré-identifier
l'objet. Percevoir la structure dans son mouvement : sinon ce ne sont que des éclats, des
répétitions, des mots renvoyant à eux-mêmes, des noms. Les U disent un au-delà de la
parole, le non-formulé, le silence ; le brahman est autre que le connu, et au-delà du non-
connu ; les U procèdent du questionnement, elles exigent un mode du regard, une réception
sans obstacle, des explications irrecevables pour des « linguistes linéaires ». Les U sont
une unité sans représentation.

Entre buffle et gecko, enfin entre sommeil et veille, je mets au défi quiconque d'avoir une
représentation « plausible » de ce qui survient quand, dormant dans un bungalow sur la
rive même du fleuve, avance à contre-sens (mais de quoi ? du courant qui « drifte » nos
sentiments – dit elle - quand nous nous croyons immobiles ? de la nuit qui nous menait en
son allure ?) C'est le pauvre bungalow de trois planches sur pilotis sous eau qui navigue, et
nous dedans, nous dedans peut-être, nous qui flottons entre l'interne et l'externe d'une autre
peau, ce bruit qui nous passe semble nous faire reculer, c'est l'aurore bien tassée, ce n'est
plus l'aurore donc, les piroguiers piroguent et nassent, les chutes toujours grondent qu'on
n'entend plus pourtant, eux savent et vont au juste avant, d'énormes prises encore, de moins
en moins de prises, l'eau encore, mais cette saison-ci des pluies bientôt pour eux n'aura plus
que la moiteur qui tua l'explorateur, et la ville. Et la ville. Monte. Loin le fleuve. Gratte un
ciel d'autre. Le fleuve nous trempe, nous tord, nous moite, nous est : la tour nous tremble et
nous vole.

Survient une magnifique russe mais la mienne est plus belle avec sa gueule qu'elle dit de
singe et ses yeux d'eau du Gange au cresson. J'attends un petit mouvement du grand web
qui parvienne jusqu'ici, en la dernière de mes 4000 îles, à m'apporter son message, fut-il

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non nous ne pouvons pas nous revoir, ses réponses sont toujours nice. For sure. Elle: me
donne le temps et la force de l'écrire. Nous resterons hors-connexion. Je pars demain
l'embrasser. Elle attend. Elle demande moi ? Elle résiste la frontière. Je la veux nue de ce
côté, sur cette rive, gauche. Elle me demande. Elle gagne un an. Il faut que j'en perde
quelques dizaines. Ou bien trouver un arrangement du temps, elle est voyageuse, je la veux
muse ; je pourrais ne pas être sa jalouse. Je n'ai jamais autant missé le réseau. Dans la
grange, mais ce n'était pour Fanette que le réseau téléphonique. L'écart se creuse. Vingt-
cinq ans.

Les jeunes Françaises-tu-m'étonnes-école-de-commerce jouent à l'Uno – à rien – ; les


jeunes Russes en couple jouent au dames, silencieusement, c'est sérieux, les dames.
D'ailleurs ils sont sans doute Allemands et jouent au Black Jack, mais tout aussi
concentrés. J'éteins tout, je reviens, reviens-moi.

Tu m'as dit le chemin direct au réel qui ne passe pas par la faille du langage, l'excès ou le
manque du mot. J'ai à peine ouvert les U. encore. Tu es venue. Le premier soir tu as fermé
la porte, mais c'était pour ne pas déranger la famille, pas pour moi qui faisait le hautain ou
le timide face aux deux jeunes femmes en intense conversation, il me semblait que j'aurais
rigolé un monde en m'installant, mais le lendemain tu es venue. Personne ne savait le nom
de l'autre avant que je ne demande, puis tu me repris : Jean-Paul !! Tu hésites sur la
frontière, tu as tous tes visas pourtant.

Tout essayé, pas de réseau, me manques-tu toi, te penses-tu moi ? Que ne peux-tu moi ne
pas exiger ? Que puis-je toi indispensablement te donner ? Que pouvons-nous ne pas
mourir ? Ou te garder toi seul sourire ? Ou te sauver toi seul sourire ? Ou te sourire moi ?
Ou ne pas nous réfléchir et vivre-nous ? Nous sourire tout ? Mais nous savoir ! À la
source ! Au noir !

Nous sommes le reste interactif de cette copie perpétuelle d'information,


transgénérationnelle, qu'est la culture

(de cette seule phrase je ne regrette pas d'avoir trimballé mon labtop jusqu'ici et au delà des
4000 îles)

The engine climbed slowly and firmly the mountain's road. Near the river the beggar was
seventeen. Frog's dhrupad and frog's hunters in rice's crops tonight.

Quand on sort de l'avion et que, jetlagué, impaludé, on ne peut compter les jours qu'à l'état
de remplissage du lave-vaisselle. Assez cool.

On voit très peu de police ou d'armée, au Laos. Mais... il est des villes secrètes : Long

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Tieng (à l'est de la plaine des jarres), located in a valley at 3,100 feet elevation, is a
Laotian military base located in Xiangkhouang Province. During the Laotian Civil War, it
served as a town and airbase operated by the CIA. It was also referred to as Lima Site 98
(LS 98) or Lima Site 20A (LS 20A). In 1962 the CIA first set up a headquarters for Major
General Vang Pao in the Long Tieng valley, which at that time had almost no inhabitants.
By 1964 a 1260m-long runway had been completed and by 1966 Long Cheng was one of
the largest US installations on foreign soil, becoming one of the busiest airports in the
world. At the height of its significance in the late 1960s, the "secret city" of Long Tieng
maintained a population of 40,000 inhabitants, making it the second largest city in Laos at
the time, although it never appeared on maps throughout this period. Long Tieng was often
described as “The Most Secret Place on Earth”. It was surrounded by mountains and on
the northwest side of the runway were karst outcrops several hundred feet high. During the
Secret War, Long Tieng became the largest Hmong settlement in the world, a desultory
metropolis ( a « jungle ») an unpaved, sewerless city of 30,000 where Hmong ran noodle
stands, cobbled shoes, tailored clothes, repaired radios, ran military-jeep taxi services,
and interpreted for American pilots and relief workers. In early January 1972, 19,000
North Vietnamese forces launched a four pronged attack on Long Tieng from but the
10,000 defenders of Long Tieng, a mixture of Hmong, Thai, and Lao, had not been totally
overrun. On February 22, 1975, the final defensive outpost for Long Tieng was defeated,
leading US to begin planning an evacuation. There were almost 50,000 guerillas and
refugees living in and around the city. However, by then, the U.S. had withdrawn all its
civilian and military personnel from Indochina, except for a few Embassy personnel in
Laos and CIA officer in Long Tieng. There were few resources for an evacuation to take
evacuees by plane to Udon Thani, Thailand. Between May 10 to May 14, 1975, between
1,000 and 3,000 Hmong were evacuated. Crowds of civilians surrounded the flights on the
runways, creating a chaotic atmosphere. The evacuation ended with the departure of
Major General Vang Pao. From thousands of fighters and refugees who were left behind,
many made their way overland to Thailand during the next several years, a dangerous
journey that cost many of them their lives. Long Tieng was incorporated into the restricted
Xaisomboun Special Zone in 1994, dissolved on 13 January 2006, and it is now part of
Xiangkhouang Province. The base is still maintained by the Laotian military. The area's
history was documented in the 2008 film The Most Secret Place on Earth.

Certains se targuent d'avoir un emploi du temps. « Emploi : usage, utilisation (d'un objet,
d'un outil, d'un moyen matériel); p. ext., destination, fonction d'une chose". Le temps serait
une chose et aurait une destination ! Rire.

Racheté une deuxième fois le Deville en rentrant, ça devient une habitude, même s'il n'aura
pas le Goncourt pour cette non-psychogéogénéalogie-là, mais peut-être pour Peste et
Choléra. Résurgences et hydrographie, un peu facile, et, oui, Deville, la science du monde
s'en va nécessairement à vau-l'eau (comp. de à vau, avau, var. de à val, aval et de eau). Sur
une ligne de faille de la violence occidentale, Taba-Taba psalmodie. L'auteur tente de s'y
inscrire.
J'ai parlé à côté de la pièce
M. Duras

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Taba-Taba. Deville se trouve une mission, ne tenant pas en place. On apprendra qu'il n'a
jamais pu s'asseoir par terre. Intersections temporelles et lignes d'erre, aventuriers déroulés
à la grande histoire. Quand le touriste, lui, est imposé par le hasard de non-affectation,
Deville tente et provoque leur conjonction, ce qui ne fait aucunement logique, mais donne
bon dos à toute tentation de l'exotisme. Volent les dates, litanie des lieux, quand moi je
flotte, et qu'Elle s'affecte (dans toutes les acceptions de ce mot) à son lieu offert, son lieu
contraint.

Tous avons tous dans le père une vie pré-lazarétale. Moravagine pour lui, Dumas pour moi,
puis la chambre noire des sentiments, partagée par la mère, qui y ajoutera l'interdit de toute
action pouvant mettre en danger le dit lazaret qui s'est imposé. Deville et moi partageons
en outre la même exode du père sur les routes en 1940. Et moi je partage avec son père
Moravagine ! « Les grands fauves libres ! Une vie humaine inattendue ! » La « folie », cet
exutoire, asynchrone des lignes de faille, ce trauma retranché, dépôt en héritage invisible.
Mais lui n'avait pas l'habitude de donner des nouvelles depuis ses voyages, quand je restai
prisonnier du triste cocon. Mais lui se battait son père, quand le mien fut à jamais
recapturé. Mais nos pères, en 1936 (+ 2 pour le mien) s'enthousiasme(nt) pour le
fonctionnement de la radio. On lui offre un poste à lampes qu'il bricole, apprend à
fabriquer un poste à galène ». Une époque où l'on pouvait encore s'auto-établir. Et
l'éparpillement de mai 40. Dix millions de réfugiés soit la quart de la population d'un des
pays les plus peuplés du monde alors. « Le monde à l'envers » des gaulois, le moment (ex)
français.

C'est par les mères qu'il faut se chercher quelque ancêtre voyageur pourtant : l'aïeul
grognant d'Empire à Moscou du côté de la mienne, la petite fille débarquée du Caire dans
la lignée proche de la sienne. Le Caire, 1862. Deville est sédimenté d'Empire, et de canaux.
Et pourfendeur de l'injustice coloniale ; « l'heure est passée des héros solitaires », ceux-la
qui, géographes, ou médecins, ou fous, précédèrent les soldats et les missionnaires... Les
médecins inventèrent le terme de « soudanite », explique Deville, pour cette folie coloniale
du cœur des ténèbres, cette horreur à la Apocalypse Now : autant de colonnes armées, de
fusils, de triques ou de goupillons, qui s'autonomisèrent à la Kurtz... jusqu'en OAS. Dans
un « redoutable amour des armes et de la guerre qui est au fond de tous les hommes » et
dont les circonstances de l'histoire parfois encouragent le réveil... les circonstances... les
affectations... Venant briser « notre propre et majuscule ennui quel que soit le siècle »... et
puis, le terrible ennui des tropiques, aussi, la langueur durassienne du Mékong et du
retour...

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Taba-Taba, quelque chose d'une France de toujours post-guerre, parmi Les passagers du
Roissy-Express de F. Maspero... Minuit... mais en autobiogénéalographie plutôt qu'en
rencontre des indigènes. Optimisme et humour aussi : « à chaque trait d'esprit meurt un
système » (Alain). L'humour est ce trait lancé depuis le corps des anges.

« C'est toujours un peu curieux d'avoir un nom même si c'est bien pratique, qu'on n'a pas
choisi et qu'on doit porter ». Alors, puisqu'on est athée, des fleuves qui nous passivent et
nous avertissent. Pourtant Deville cherche à justifier ce sentiment d' « appartenance à un
peuple » qui le taraude. « Nos soldats » disent les fachos. Peut-être, dit-il, lui,
« l'appartenance à un peuple est-elle seulement la somme des traumatismes communs
transmis de génération en génération ». Mais communs par quoi ? Les livres de l'histoire
écrite ? Les silences et les murmures à peine articulés de nos ascendants ? Une compote de
ces écrits et de ces machouillages ? Sans doute avant l'écriture n'y avait-il pas de frontières,
et ce n'est pas Deville ici qui les déconstruit : il les légitime de nostalgie. Sa force
d'échappement est franchouillarde. Construite. Sa litanie de pseudo-coïncidences – celles
des vies ordinaires – finit par fatiguer. On lui préférera pour le Goncourt le délire
Haenelien, entrelac obligé de séquences de films et de titres d'ouvrages : un délire réflexif,
du second degré, et critiqué. Yersin était génial. Tout le monde ne peut pas yersiner. Ou,
autrement dit : les coïncidences ne font pas le destin ; elles échafaudent, contrefortent. Ni
le seul hasard des affectations : mais l'énergie première de l'intéressé. Sans doute. Le père
Deville, lui, de Castelnaudary ou pas loin, gagnera le maquis, et n'aura pas en seule
nostalgie le soleil d'une recette de cassoulet.

Eux sont orientés là au hasard, le père lui reste à la boussole de la famille, point de sa
chute, et un lycée, surtout. Le Sud ce fut aussi, non loin, Raoul, Jean... Et pour un gamin
vraiment du Nord, voir le soleil, voir les vignes, les montagnes à l'horizon, les chemins-
routes qui sortent du village par un pont. Et plus les murs de briques, les fabriques, les ciels
bas. Le pont de Bouret, T.&G. Le Club. Les plus belles vacances. Pour eux, libres
finalement puisque seuls, puisque tous exilés, il n'y aura pas de retour ; lui obéira à ceux
restés au Nord : la mère requise, le père empêché. Ceux du Sud croient à la victoire,
s'engagent, d'un côté ou de l'autre ; ceux du Nord envahis jardinent « hors politique ». Et
ces héros positifs, aussi, qui seront noyés par la zone grise, qui exaltent leur vie de cette
zone grise même : le consul Bosques du Mexique, le consul Sousa Mendes du Portugal,
Varian Fry. Les « visions hors-sol » des diplomates chères à Deville-en-Empire, mais
l'action en pleine boue de ceux d'entre eux qui osent désobéir à l'ordre.

La carte Michelin et « les plus belles routes du monde » (F. Braudel), celles qui,
secondaires, serpentent dès la sortie des villages, jaunes, blanches. Autant de petits mondes
autarciques qui sortent des plans. Que l' « urbanisme » aujourd'hui détruit et défigure,
centres aseptisés, périphéries d'hypermarchés. Un été à la ferme !! L'odeur enivrante du
Sud ! La « petite bande des quatre », familiale, qui travaille côte-à-côte, chez les Deville ;
le « Club de Bouret, T.&G.», amical, estival, du père. Des miroirs qui feront tain. Février
43 : on envoie vers l'Allemagne la classe 42... Le Deville qui est de la 45 fait du scoutisme
bien catho, et ça lui servira bientôt pour le maquis communiste. Le père en est, de la 42,
rapatrié en douce par ses vieux, la valise bleue refait en train le Toulouse-Roubaix qu'il
avait tenté d'inverser en vélo deux grosses années plus tôt, le grenier, les cheveux longs, le
chat retrouvé, la planque en la ferme glauque du Pas-de-Calais, la copine de la fac
abandonnée sans un mot ni même rien d'autre d'ailleurs, qui le regardait depuis le toit. Il

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faut qu'on le croie un peu passé en Espagne, vous n'y pensez pas, « de la politique !», mais
un grand-père sait s'inventer des histoires, un nouveau nom sur la plaque du vélo, et puis ce
sera tout. Un brouillon, cette vie ? Un reste, une rature ? (ce que le mégissier enlève du
dessus des peaux dont il veut faire du parchemin; rognures de parchemin provenant du
côté du dos et qui servent à faire une bonne colle).

(Valise Plateau-Jusy, maroquiner spécialiste, 70 et 72, rue de l'Aima, Roubaix, Nord)

Il suffit d'une femme du Sud à cette énergie-là, migratoire, exploratrice. L'arrière-grand-


mère du Caire chez Deville, la cousine Mathilde et son prince d'Orient (Wikipedia :
Mathilde Henriette Delattre, née le 10 avril 1871 au Caire, est une artiste peintre et
aquarelliste française). Les nostalgies coloniales s'entremêlent aux racines migratoires,
même si ça ne fait pas excuse, cet impératif qui circule maintenant à rebrousse-poil. Toutes
ces anciennes gares, tous ces anciens ports, et ces routes nouvelles, qui te creusent (A.
Watergutt).

La Révolution Française et sa résolution du problème de la violence : « le droit ne s'installe


pas par le droit ». Robespierre, Staline. L' « action terroriste » illégale de la Résistance. Ce
qui fait un peuple, « la France », pour Deville : ces phrases (de Malraux sur la Résistance
par exemple), ses rivières et monuments, les morts plus nombreux que les vivants, et tous
ceux qui n'ont pu exister peut-être parce que sont morts leurs parents. Ou la Nation, ce
vouloir donner un sens à cette souffrance qui n'en a pas, comme le temps, ces laboratoires
aux mille directions incalculables, ce complexe du vivant-souffrance que l'on voudrait
réduire à un informatif, un linéaire de peuple, quand il n'est que des nappes... qu'il suffit de
dérouler quelques unes des autres directions que nous ne parcourons pas... la fureur, la
chaleur, le surgissement continu du rapide, la symphonie des oiseaux-toujours, la beauté
d'Elle imprévisible surprise, l'extase.

Il y a plus de morts que de vivants et ce sont les morts qui dirigent les vivants
Auguste Comte (1798-1857)

La souffrance, ce lien entre hommes et nations, par les morts prématurées et violentes des
guerres ? La non-venue de ceux qui ne pourront naître dessinerait le peuple, comme le
langage, par ses interdits logiques, structure la langue. Alors aller à la rencontre de ceux
qui ont côtoyé ces non-à-naître, et qu'on appelle nos ancêtres, est manière de s'équilibrer
sur les bords des manques. Pas mal vu, Deville ! Un peuple, à l'école, d'ailleurs, c'était les

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entailles dans la pyramide des âges : les morts de 14, les non-nés de la génération suivante.
Les générations manquantes, disent les démographes. Deville et moi et moi sommes des
fils de la génération manquante. Aller sur la faille, c'est aussi la théorie de Davoine et
Gaudillière sur le traumatisme retranché, ce non-dit des guerres transmissible de génération
en génération, et même, donc, de non-génération en génération. Et quelque part dans la
lignée surgit la folie des incrédules aux Nations, la folie de ceux qui refusent de laisser
panser les failles sanglantes au baume des nations : Taba-Taba.

Depuis 1860 (Mouhot 0) tous les événements sur la planète seraient connectés, écrasement
des zomia, avènement de l'ordre nouveau des états-nations, les frontières deviennent
cicatrices, si on bouge quelque part ça tiraille à côté. Densification européenne du monde,
auparavant les Empires s'ignoraient, ou presque, vivaient en leurs seuls centres. « Tous
ceux-là qui, pour le meilleur et le pire, avaient mis les peuples en contact ». Deville
revendique la vie conjointe, moi celle des babas et autres isolés des cols soufflés au vent, la
force de l'adventice. Autant de reclus plus ou moins volontaires qui seront nouvelles
conditions initiales et, demain, modifieront le grand équilibre instable qui n'attend que ça :
connexions de sphères, oui, mais conditions des failles.

Ce qui a été compris n'existe plus


Paul Eluard
Le miroir d'un moment
in Capitale de la douleur
Gallimard 1926

Souvenirs, et mort « hippocampique ». « Qui j'étais, ce que j'étais, et pourquoi vivre ? » La


plupart oublient l'enfant, d'autres l'écrivent, dit Deville, « vivant derrière une vitre
épaisse ». S'ancrer : par l'errance des ancêtres ? Par ses propres voyages-flottements ? Par
ses actions sur les « nœuds de coïncidences » ? Ou gagner la faille de tout ce qui est « écrit
de logique sur le grondement du monde », pour se préserver à ce flux non linéaire, non
informé ? « Qu'est-ce que c'est la vie ? », se demande la mère, se détachant de celle d'ici,
cet été... Rester au flux, se libérer de tout cet externe, sans chavirer.

Philosophies de l'essence (il existerait un primordial du système : mythes, religions), de la


logique (le système s'auto-suffit : structures et cartésianisme), des vapeurs (les restes, les
failles de la logique, les spectres angéliques : hindouisme et complexité). Ecrire pour
mettre de l'ordre dans la grande énigme du vivant, et pouvoir y mener sa vie , dit en
substance Deville, hanté par ce sentiment récurrent d'être né à la place d'un autre, de n'être
pas né. Cependant que l'enfant, lui, voyage sans peine, vague sur la grande plage sans fin
du complexe, l'adulte court le monde des repères au risque de la saturation, du chaos, de la
bascule, ou de l'ennui. « Jusqu'à quel point on pouvait saturer un cerveau d'informations, de
dates, de noms, de lieux, d'oeuvres, et de théories avant qu'il ne sombre dans le chaos,
incapable d'ordonner... ?». Sacré énergie, Deville, mais... les réponses ? Le cerveau est
limité, machine de Türing ; un jour peut-être l'intelligence artificielle écrira-t-elle, à
condition que la machine soit branchée sur son extérieur, une histoire vraie et non linéaire,
dans laquelle chacun pourra voguer aux frissons de son propre vibratoire.

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« Avoir l'impression que la guerre est finie »... il y a chez Deville (et chez moi, lecteur, et
humain temporaire aussi) comme ce regret de paix, de sédentarité entre deux expansions
des temps, d'ennui quand les lignes de faille n'implosent plus, et qu'alors il faut partir les
labourer. Deville, « victime par méthylation épigénétique » des traumas de guerre», et
voyageur des confettis coloniaux. « Tous les enfants sont précoperniciens puis découvrent
que rien n'est stable, que les continents dérivent, ... »). Goûter, Nain Jaune ! Il y a un
mensonge de l'être contre lequel nous sommes nés pour protester (A. Artaud). Et exutoire à
la Moravagine : il fallait bien déposer Taba-Taba quelque part. On est soulagé, avec lui.

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La Disparition de Joseph Mengele, Olivier Guez, 2017. Bon je suis encore plus seul que
lui dans sa fin, mais ma légende ne repose pas sur l'horreur érigée en dogme... Peron
renvoie Borges de son poste à la bibliothèque municipale pour le promouvoir à l'inspection
nationale des volailles et lapins. Le fascisme veut surpasser l'individualisme et le
collectivisme ; son catéchisme imposé est simple et sanglant, on ne s'y interroge pas sur
l'horreur hypnotique qui tient de lien... Un ordre noir un peu fantôme, mais carburant d'une
Argentine en devenir-sang... L'hôtel Llao Llao (?) à Bariloche. La machine Mengele au
musée Tinguely à Bâle : la famille est l'institution la plus violente (et la plus aimante) qui
soit. Ni l'orchidée ni le papillon n'ont de plan ni de but, pourquoi l'humanité en aurait-elle
un ? La culture est-elle ce plan que les nazis déliraient génétique ? Et individualisme
comme cosmopolitisme tenteraient d'échapper à cet ordre génétique ! Pour les nazis, la
conscience est une instance malade qui entrave l'action, la loi du sang (J. Chapoutot) ; pour
le juif Freud elle protège l'homme d'une pulsion de mort... Des éclipses de conscience :
l'anéantissement dans la première moitié du XXè siècle d'un continent cosmopolite et
cultivé. Les pantins-machinistes qui nous clivent de la pensée. Peut-être un totalitarisme
prochain établira-t-il non plus la mort (comme les monothéismes), le gène et la machine
humaine (comme les nazis et les cognitivistes), mais la pensée en dogme ? La pensée, c'est
notre métissage permanent au corps des anges, tandis que nous croissons et mourrons.
« L'Histoire, elle, par ce roman, irradie la vie de sa lumière noire » (Florent Georgesco)
quand le mal glisse entre nos doigts, mais pas les hommes qui le servent, tel celui qui, se
croyant un avenir absolu au sein du gel nazi de l'humanité, considérait les autres comme
des « vivants de hasard » à détruire ou à améliorer. Guez, lui, se fait pirate de nécessité
dans ces eaux putrides.
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Et pourtant il y eut cet enfant heureux d'être pris en photo, là, quelque part, en négatif
super-enroulé dans le tiroir de bois de la maison de vacances.

On se lisse cœur et peau, gélatine, pour s'isoler du flux de pensées. Heureusement les
cheveux volent au vent. Ne pas rassasier trop vite la faim. La pensée se déploie dans
l'ennui-de-soleil et son vent de plein.

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Au livre de la pensée paresseuse d'écrire.

Attachement et biture-génération. Amour de la nuit, celle de l'endormissement, et celle de


l'antre du réveil, après le mitan de l'angoisse où les autres parlaient assis en rond autour de
vos entrailles tordues, de votre solitude. Pourquoi continuer comme ça, quand tout ce qui le
pouvait a été pensé ? Jambes flageolantes, regard perçant, l'acteur principal est oublié
presque toute une nuit sur une colline. La chose déborde du mot. Les rade plutôt que route,
et, en attendant, le meilleur, c'est un soleil bien ivre, sur la grève.

En renonçant à mettre en avant le mysticisme, l'Eglise aurait anticipé le mouvement de


flétrissement de l'intériorité en espace privé (J.-L. Chrétien). La crypte dégénère en arrière-
boutique.

Un pays voulait en envahir un autre (il était une fois)


Des gens habitaient ces pays
Habiter n'est pas un droit mais une vie
Les vieux croyants devaient leur guerre
(stop)

Exodes
Il n'est qu'un peuple immense
Ils n'ont pas leur terre avec eux mais ils savent leur chemin

Autant Deville m'est sympathique, autant Haenel ne me l'est pas, mystique bobo. Mais,
bon, Tiens ferme ta couronne est un grand livre (c'est mon choix Goncourt et il tiendra
bon), et ne plagie presque pas – sauf tout le début du scénario d'Apocalypse Now – ,
pourquoi ce besoin de littéral entre les échappées mystico-burlesques ? Anyway, ce livre me
rend heureux, Les Renards pâles m'avait stupéfié avec ses chamanes du chaos : j'étais passé
par là, j'avais vu, oui, ces Sénégalais italiens du Sud, Nan gadef ! Puis Je cherche l'Italie
avait fini de m'avertir sur la strate anarcho-mystique du gars. Même si c'est un bobo caviar.
Après tout, « ce qui s'entreprend ici est plus proche du ravissement d'un non-savoir que du
discours universitaire. Le but: rendre possible ce nouveau commencement en le laissant
émettre des signes depuis toutes les traditions » (Ligne de risque). Bref, Tiens ferme ta
couronne est mon goncourable. Odeur réconfort de cette argile des Suds des pleurs, à la
recherche de l'histoire sacrée que cache la comédie de notre vie, dit l'éditeur : le destin de
l'être.
J'aime que les journées soient complètement vides, qu'elles restent à disposition.
Lorsque j'ai un rendez-vous, le désir d'annuler devient d'heure en heure irrésistible ;
car alors la journée entière tend vers ce point qui la comprime, les angles se resserrent ;
il n'est plus possible de penser à autre chose, on n'a plus de solitude, on étouffe.

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Les dix premières minutes d'A.N., donc, puis la voie vers le bardo / Kurtz. Et sans
coïncidence de génération ici, il est plus jeune que moi ou Deville. La lucidité effrayante et
innocente de celui qui parvient à serrer de près la ligne de crépuscule, origine et fin des
choses. Winnicottien. Des spectres qui nous viennent en aide.

La pensée existe hors témoin : pas de représentation, pas de tiers. Population de pensées et
solitude de l'écrivain. Des vies inconnues, des scénarios en exil. Là on recroise Deville :
« si chacun écrivait dix vies, aucune ne serait plus inconnue ». L'écrivain, chamane quel
que soit son degré d'existence aux yeux du monde : ce qu'il entend au cœur du monde ; ce
qui vient quand il écrit. Des mondes en abyme qui modifient l'histoire du monde. Des
rapports pour Deville, une possession par ce réseau, et un daim blanc de la vérité qui fuit
le sacrifice pour Haenel. Un destin criminel dans un flux universel ; et un reste à
l'impérialisme.

Penser avec le film (ce « livre lu pour vous »), tenseur et tordeur de votre pensée. La
catabase d'A.N., et ce secret qui y circule, Dante !! La clarté n'est jamais qu'une étape:
parfaite, insuffisante, à horizon. Qui touche à l'agneau par le secret, l'ouverture du sceau, le
crack cohénien, le rire ; qui touche aux démons par la colère. D'un côté un soldat rit avec
sa mort, sacrifice ; de l'autre, si rien n'existe, nos âmes sont mortes. Vérité émergeant du
complexe, et aussi de l'inessentiel, spectacle, marchandise. A.N. est une sortie de cet
univers, les sceaux rompus de l'Apocalypse. Evidence... biblique ! Pourquoi me faut-il
donc lire les écrivains d'une autre intelligence pour joindre ce que je pressens mais ne sait ?
Sob...

Est-ce que je délirais ? Mon esprit tournait sur lui-même à l'intérieur des noms, voilà tout.
C'est là que je suis heureux.
C'est là qu'ont lieu ces expériences qui vous inondent l'esprit : il n'y a pas d'univers plus étendu.

Il a mis la scène de sexe pour le Goncourt, et un fantastique comique au restaurant de la


rive droite ! Et la scène des bunnies d'A.N. en p.111, orgasme et sacrifice de la femme.

Nous nous réincarnons d'instant en instant : de crime en crime.


Se survivre c'est mourir
C'est stopper la pensée
Qui est toujours ancrée derrière l'horizon de nous-mêmes

Parfois nous ne sommes que le guetteur de ces scènes, qui surviennent sans témoin,
fragments qui explosent seuls dans cet impératif du mal. Kurtz lui glisse sur le fil du rasoir
(entre continu de la violence et réflexivité de l'être). Toute la vie des morts dépend d'une
pensée juste. Les dieux sont la parole de tous les morts dont ils se nourrissent. Parole /
moelle / os ; extase / effacement / dieuil (dieu-deuil). Haenel le kabbaliste, et moi, et moi,
et moi !

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Quelle est sa version ? La longue, bien sûr, celle qui se livre peu-à-peu, incrustations
d'images sur le fleuve, liens nouveaux entre les scènes, désamputation. Seul Willard
passerait là où les buddies se sont échouées, au bord de la rivière (plus d'essence propose
Haenel). Comme seule Duras pouvait être rejointe par sa mendiante. Guerre et Dieu se
métamorphosent par le fleuve, dans un trafic humain qui est aussi cette littérature. Ne pas
s'opposer à l'univers qui flotte en nous. Être la plaie (celle du gibier, la perle secrétée par
l'huître, ces yeux du père – dans Tempest aussi -). Je n'aime pas la chasse et je préfère la
version courte, qui mène à Kurtz sans détours, qui ne quitte pas Kurtz, qui préserve Willard
à sa solitude qui ouvre le temps. Coloniale insensée qui s'impose.

Full fathom five thy father lies,


Of his bones are coral made :
Those are pearls that were his eyes.
Nothing of him that doth fade,
But doth suffer a sea-change
Into something rich and strange.

Nous vivons (donc) sous le joug halluciné d''un mort : il faut garder la vision, ne pas
bouger, mais l'argumenter de la pensée.

Sur Le Rameau d'Or de J.G. Frazer, que lit aussi Corto dans Equatoria (en plein Deville
donc !) et bien sûr également sur la table de Kurtz dans la cella du temple qui brûle. Mais
Deville cherche une logique, un destin, un but dans la culture, et Haenel une mystique qui
nous immerge en plein dans la nature et le réel. La nature est un interminable crime sans
cause, une litanie de mort, dans un refoulé absolu – sauf si on s'émancipe de la génération
– La génération est triage (comme à Auschwitz, Ellis Island, dans les postes de secours
avancés de l'armée ou de l'humanitaire, dans les « dispositifs sécuritaires »). La mort, soit.
Mais sans plus de sang qui coule à l'horizontale (cette haine au quotidien, ces guerres, ces
génocides). Métamorphose. Secret de l'écriture, qui s'accomplit de silence à silence.
Willard emmène le manuscrit de feu Kurtz.

Mais ce livre me rend heureux. Étonnant, le petit Bunel de Hailgehel dira la même chose
depuis la monstrueuse lucarne. Diantre... le niais... J'en redemande. Croise ma pensée. Les
détails, les restes : rien de fantastique ! Comme un décapsuleur rouge dans la poche au
réveil. L'officier de la Wermacht qui pense à l'ouvre-boîte : c'est bien vital pour le proscrit
qu'il protège. Fi des biographies, des vies (hein, Deville !) ; le roman dit leurs restes. Trame
les « détails »-au-monde.

Garder le feu ou ouvrir les cendres ? Nos désirs viennent d'une nuit lointaine, lui dit
absence, elle attente. « On avançait mine de rien d'une île à l'autre. On allait mieux ».
Certains demandent des signes, d'autres recherchent la sagesse, nous nous laissions
entraîner par « un mouvement qui ne s'ordonne à aucune raison dans une lumière qui
toujours se dérobe », et peu importe. A trop garder le feu s'isolent les civilisations. Les

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ténèbres : là où sont fossilisées nos pensées. Les fous en restent témoins, cependant, sur un
chemin indemne, et sans exister dans le reflet. Pensées à restratifier, déstratifier,
entremêler.

Le triangle de Haenel a besoin de la trajectoire Corto-Deville : Sexe des thésardes /


Guerre-folie de Kurtz / Voyage. Dans l'aire, la rive sans fin.

Ah... ce coup porté au cœur du lecteur : p. 261 le narrateur déclare qu'il est aussi l'auteur,
qu'il écrit lui-même ce livre... casse l'ambiance... fin d'extase... dépossession du lecteur...
Mais, ce-faisant, Haenel atteste de la véracité de son dire-sa-vie qu'on aurait pu croire
romanesque.

Le secret et la lumière de l'absence à soi-même (Haenel / Dostoïewski) : par égarement


chez l'errant ; par principe chez la fée. Le pommé et Diane. Quand la fuite se transforme en
voyage, et que ce voyage dure toujours.

Nous craignons nos propres cadavres humains. Mais « un jour il n'y aura plus d'animaux,
les forêts les montagnes, les plaines, glisseront lentement dans la démence, et nous
tremblerons, livrés à la férocité de nos propres mâchoires ».

De longues études, ne jamais s'arrêter d'étudier (le désir)


Un feu entre mort et parole (un baiser)

Et cet impératif (de même nature que celui de la douleur) de revisionner ce soir La Ligne
Rouge, avant de lire le dernier chapitre de son livre. Cinéma et littérature ! Kurtzligator !
Jungle ! Mais la lumière qui sourde de la canopée, la force de la nature, force sans
vengeance, les crânes en la case, une seule force, le mana. Alors, pourquoi la guerre ??
Les soldats s'entraînent, s'accommodent, s'abrutissent à cet absurde. La désertion... du
Paradis ? Il revient à la guerre... Impossible fusion amoureuse, quel retournement sur elle-
même de cette force unique ? Refoulé et peur en dissection de la force, frontières et
mondes maintenant invisibles. Enfin, face à sa propre mort, le calme, l'extase de ce monde
unique et de toujours. Film et boucle du scénario, linéarité plus froide du livre de James
Jones.

Il n'y a pas de pensée sans un certain inconfort. La ligne rouge étroite, le meurtre qui crée
deux forces, la plaie qui unit, limite commune, l'extase et la mort. Il est sur la ligne, il voit
la mort, il est calme. Un autre, traumatisé au combat, a basculé dans le chaos. Un troisième
ne pense pas, « se ruant dans une maison en flammes pour sauver des morts ». « Ce grand
mal... qui n'est pas en toi ni en moi »...

Les noms qui ont parlé, des ancêtres proches ; puis tous ceux dont on s'invente une
mémoire : « la vérité ne fuit point les rois qui l'aiment et qui la cherchent ». « Chaque acte,
en secret, recèle un meurtre » ; Deville ramasse le passé et ses douleurs, Haenel le plaisir

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de celui qui vient, nouveau roi, meurtrier. Les directions sont polaires, les signes sont les
mêmes. Un peuple est forcément passé, restent les éclats personnels et qui tracent le futur,
nous sommes entre, entre nostalgie et sacré : en saudade.

J'aurais voulu lancer ma fièvre sur le globe tout entier ;


j'aurais voulu qu'elle enflammât les villes et détruisit les rapports humains (…)
Le monde visible est un trait imperceptible dans l'infini que la souffrance révèle.

Addendum
Le point irréductible, le point indemne à l'entour du cœur, la suspension du crime, l'extase,
l'absolu, le fou en soi. Il ne tire pas sur le cerf qui lui présente sa couronne. Le décor brûle.
Willard va chercher la couronne. Êtes-vous capables de m'entendre ? Le rire n'amoindrit
pas la quête de vérité. L'exode est la condition humaine.

Blade Runner, 1982 / 2019. D'après Ph. K. Dick (!). La révolte des coloniaux-robots. Avec
le « flap-flap » d'Apocalypse Now dans les locaux de l'Intelligence centrale, les hélicos de
la police urbaine dans la ville asiatique et ses marchands de pho où l'on se réfugie dans une
ambiance bien sûr à la Total Recall mais aussi à la Soleil Vert. Avec un espoir exogène ici :
la « vie nouvelle des colonies » (de l'espace), vantée comme en 1910, l'aventure, le
Nouveau Monde... de l'Amérique, ex-colonie ! L'affect des souvenirs doit permettre de
différencier humains et réplicants... mais... « tous ces moments se perdant dans l'oubli,
comme les hommes dans la pluie ».

Errer en Bubidol, entre chien et loup, entre centres commerciaux et canaux, entre presque
luxe et odeur de jungle, est vie heureuse.

Les sociétés d’Asie du Sud-Est ont régulièrement été touchées par des catastrophes, des
changement brutaux, inattendus et aux effets dévastateurs. Certains sont des cataclysmes,
des catastrophes d’origine naturelle, telle l’éruption du Krakatoa en 1883 ou le tsunami de
2004, d’autres sont liés à des événements d’origine humaine. Dans ce dernier registre, la
chute des capitales occupe une place particulière dans l’écriture de l’histoire de la
région : Angkor en 1431, Vijaya en 1471, Melaka en 1511, Ayutthaya en 1569 puis en
1767, Longvek en 1594, Vientiane en 1827, Hanoi en 1954, Phnom Penh et Saigon en
1975. Malgré leur extrême violence pour les contemporains qui ont vécu ces événements,
et même si beaucoup de ces moments critiques réunissent les conditions d’une rupture de
l’ordre socio-politique, tous ne sont pas considérés comme des ‘cosmodrames’ (Paul Mus),
autrement dit comme une arythmie significative dans la durée des sociétés. Les
cataclysmes paraissent ainsi avoir été minorés tandis que la chute des capitales fut l’objet
d’une cristallisation singulière de la mémoire collective, comme en attestent notamment
les chroniques royales. Parfois même, les cataclysmes et autres anomalies naturelles
(monstres, prodiges, comètes) sont intégrés aux récits comme autant de signes
annonciateurs de la chute (M. Guerin et E. Poisson, Inalco et Paris-Diderot).

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La langueur durassienne du Mékong et du retour, disai-je. Les voix de Duras forment une
espèce de retour, et les racs – je ne sais pas bien comment ça s'écrit, dit-elle – sont parfois
torrents venant des montagnes, parfois estuaires enflés de mer, où l'on joue, se baigne, et
auxquels il faut aussi faire barrage pour survivre. Reste un « bain de désir non
préférentiel » – dit-elle – pour l'homme passif mais averti de la réalité.

J'ai redistribué les destinées (donc les lieux) mais je n'ai rien changé : j'ai agrandi l'écran
(M. Duras, La couleur des mots, 1981). Trois villes, trois films, une enfance. Le poste de
ma mère institutrice, la résidence juste aperçue entre les grilles : j'ai tout reconstruit
pierre par pierre. Sauf la mort, le suicide, inventés : la mort est toujours inventée. Un
jeune homme s'est tué pour elle, c'est arrivé, dans un poste : ma scène primitive passe par
la mort.

Je ne suis pas loin, au vent frais de la rivière sous ce pont de bambous, de la fraîcheur forte
qui se donne au corps de la jeune baigneuse, en face. Ce frais goûtu de l'eau qui monte à sa
peau moite. Forme du vivant, qui passe tout en restant la même ; sa nouveauté est dans la
fréquence qui nous tient à l'image, et pas sa distance.

C'est d'ailleurs, après l'été indien de cette mi-octobre, le retour de l'humidité, mais fraîche
dans cette vieille maison familiale de bord trop tranquille de bras de mer. Là-bas on sue de
toutes ses pores au moindre mouvement du corps ou de l'âme. Le sentiment est bien sûr
liquide.
Il faut que dans le vers chaque mot soit à sa place,
comme s'il y était déjà depuis mille ans,
mais que le lecteur l'entende pour la première fois.
C'est très difficile, mais quand on y parvient, les gens disent:
"C'est de moi qu'il s'agit. C'est comme si c'était moi qui l'avait écrit".
Anna Akmatova

Le terrorisme familial est le plus intense. Je fuis à Savannakhet ; on ne m'a pas demandé
mon avis mais on me rappelle que la mère-tyran va être-peut-être-neutralisée (ma présence
ne ferait que donner quelques semaines d'incertitude de plus). Les passagers de ce bus-là
peu-à-peu vont se modifier, en nombre et en face, mais seront forcément de plus de parole
que ces isolés (qui ne se toisent même pas ; il est vrai que ne pas s'immerger dans son
écran, bientôt, sera suspect de harcèlement de sa voisine, dans le grand bazar
consumériste).

Un poste blanc, soixante personne, une petite fille de huit ans, la colonisation...
Heureusement j'étais reléguée comme indigène – la pauvreté -

Ceci dit François a raison : on peut socialiser n'importe où. Un sourire, une bière. Mais ?
Le porto, en maison de retraite ? On ne peut être dans un temps contraint (école, travail,

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foyer), on nous réduit à la membrane imperméable de notre non-être, « on » qui pourtant
ne s'intéresse à nous que comme sujets, consommateurs, électeurs, spectateurs.

S'excuser c'est renoncer à ne pas prendre le billet de retour. Sale silence. Plus le cahier est
épais plus son papier est de qualité. Ouvrirai-je mon 1kg500 d'Upanishads ? Ou bien
courrai-je vers ma fin de voyage ? Est-ce qu'il m'est possible d'être seul sans espace propre
à se poser, ouvert sur un vaste jardin, tempéré à frais mais ensoleillé ? Ou serais-je capable
plutôt d'écrire sur une table un peu derrière le comptoir, juste en deçà de la gélification de
la rumeur du monde ? Quel est mon voyage-outil ? Et où se cache-t-Elle ? J'ai failli annuler
ce voyage pour cause de mousson familiale ; mais alors jamais on n'existe. Je peux annuler
à tout moment, mais pour ? Épuisons d'abord tous les visas d'ici-bas. Je ne peux
décemment éviter de rencontrer la folle de Savannakhet, qui hante Duras de son mal jaune.
Je la rencontrai. Est-ce qu'elle m'envoûta, est-ce que je la harcelai ? Je l'avais enlevée. Si
j'avais cru en son île, j'eus pu l'enlever. Sa secte, son île, et elle ne voyageait pas exprès –
disait-elle -. Ma mendiante, et c'est bien Elle, pourtant la passionna. En français je l'eus
enlevée.

Mais c'est tout, Calcutta, la mendiante, le poste, toute cette poussière,


la colonie, c'est moi...

On se plaint de la chaleur : mais on peut y vivre sans rien faire. On ne s'en aperçoit,
cependant, que du froid. Douce peau de chaud.

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Un soir où j'avais très faim, et puis un matin où l'on peut laisser la pensée vivre-sourire,
exploratrice pure en beauté, sans plus ces bouffées d'instants de haine. Où est l'Autre,
alors ? Qui est le con, qui est le fondu à ton miroir que je rejette ? Faut-il que le ballon soit
uniquement à moi pour exprimer ? Et pourtant il est des corsaires de l'interne, et qui te
donnent.

Car je ne suis plus Dooley cette fois (en note 1 impérative) mais la grâce. La rive qu'il
glissa, la voir. La guerre qu'il confisqua, y être.

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Qu'on m'explique comment j'en suis arrivé à acheter des bidis à Paris pour aller à Delhi.
L'Inde cajole les cheveux blancs, et Guimet a conservé la main dorée des Bouddhas de
Bamiyan détruits par les Talibans afghans. Une justification ? De l'or, de l'or, whisky on
the rocks très club toujours, les réserves coloniales s'exposent.

Qu'est-ce qu'un « courageux combat contre la maladie » ? Le mal est impératif. On infiltre
la vie qui reste. On combat contre la dépendance. On fait des échappées à la douleur. Mais
peut-on snober l'immobilisation ? Je reviendrai, plus éveillé.

Ô beautés de Marseille…
vous avez une tournure vive et attrayante… vos cheveux… vos yeux noirs et…
ont des regards bien doux. Heureux qui peut vivre près de vous…
Marseille est une ville… dans son port tout hérissé d’une forêt de mâts,
on trouve le Musulman, l’Indien, etc… Marseille est tout l’univers…
André Chénier (1762-1794)

Il y eut des cités utopiques pirates. La « Jungle » de Calais eut pu prendre ville. Les
équipages étaient souvent étrangers : Européens qui rejoignaient les rangs barbaresques.
Les coloniaux qui prirent Alger clament encore leur combat « obligé » contre ceux-ci... «Ils
« s'étaient faits Turcs », de gré ou de force. À Sale (Rabat) et contre l'oppression de classe
qui sévit en Europe... attrait aussi d'une autre religion... et pas loin des zones autonomes
temporaires de l'anarchie : les « communautés intentionnelles » de ces pirates détestent
autant travail qu'autorité... Un combat, un monde. Une zomia, en guerre...

Cette cellule planante, et ville, est extraordinaire. Cité linéaire obligée, mais qui
fonctionne. Prodige (le voyage en avion). Monde tout aussi métis.

L'Inde, c'est l'arbre de mousson. Nous Gangeons, non descendus. Une flèche vers.

Café à Delhi, bière à Bangkok. Voyager est devenu seul désir.

Mékong de Mousson et Temple aux Oiseaux.

Au premier soir d'une ville tout est foiré, au second se lèvent les voiles d'or. Les vallées
secrètes. Shangri-La de nos communs. On pense châteaux gonflables en villes post-
coloniales, de Bobo en Lao, et puis le lendemain un peu au-delà du rien l'espace cette fois
plein se livre. D'une image prépixellée naît une jungle possible. On s'y déploie, voyageur
de soi perméabilisé à ce plateau d'atteinte.

Les Thais très dultes lookent comme des Corto Maltese dans leurs complets noirs.
L'accueil y est whisky-rire. Les jeunes femmes ont été bordélisées US de notre imaginaire.

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La beauté se console à la famille (prohibition).

Seul, on ne se précipite pas sur le faire. Parfois, on pense à deux.

Est-ce qu'on triche encore si on se déconnecte du net ? Est-ce qu'ils voyagent où ne se


livrent qu'une fois le lieu atteint, ceux de MapMe ? Ou bien le voyage est-il toujours cette
autre strate, quels que soient le lieu, le lien et le truchement ? Une équation sans plus de t.

Ont-ils émoussé mon stylo les voisins du ciel ? Nous nous recroiserons souvent, surtout toi,
Elle.

Je ne sais pas où je vais : je suis amoureux du Mékong.

Mégalopoles d'obligation démocratique en Asie : moins impertinentes.

Cette mousson qui sent la première Afrique, et l'extase, et les moustiques ! Comprenne qui
veut, j'arrivai à l'Arche de tout, toutes et ici quand le Mékong a explosé. J'étais arrivé, et
faillis repartir, le voyage était atteinte, total.

A explosé. Puis on se rafraîchit, toute la bourgade, au vent frais de cette eau-là, à la lettre
du soir, quand l'éclair reste de l'autre côté de la frontière. In the third night I saw Ganga in
Thakek, Brother. Because there was no second nigth.

On n'impose pas les affects : le temple fut grandiloquent au lever des oiseaux, pas à celui
du soleil. Il parla. Caspienne. Les photos, sans le son, trichent : une mort sans
vagabondage. Le stupa (VIIè/IXè, style khmer, restaurations importantes) renferme un os
de la poitrine du Bouddha. Le souffle sortit d'une cage. Ces clartés sont dans le fleuve,
quand je les cherchais dans le ciel et l'air, la rive coulant alors dans le mauvais sens ; c'est

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l'eau qui se charrie multicolore depuis les hautes sources. Aurore. Un bleu à la fois plein,
affranchi et caverneux s'impose.

Une aurore à la campagne me fait du bien ;


une aurore à la ville me fait du bien et du mal,
et pour cette raison me fait davantage que du bien.
F. Pessoa

Excellente « muse au chocolat » au menu, après la soupe crème-champignons et baguette.

Ossip Mendelstam, De la poésie (1928), trad. Ch. Mouze


acméisme
« Les mots sont des pierres, voix de la matière autant que matière de la voix »

La rue des Poissonniers est l'Empire sédimenté, Barbès exotise, Paris s'y croît quand plus
rien-France n'existe enfin.

Elle me calcule bien : mais pourquoi tentez-vous encore l'institution ? Je repars donc en
perpétuel voyage, grisé aux fenêtres même sales des trains qui courent le monde.

J'ai déniché à la Halle St-Pierre – esprit de Varian Fry – Le musée imaginaire et Lovecraft,
mais non, Lovelock, bien que l'univers rejoigne la science-fiction.

Aux quais les touristes quakerisés défilent, mais les serveuses ont pour eux les seins qui
pointent commercial, tétons nus et hauts sous leurs pulls de grosse maille.

Malraux ne peut imagine l'art sans... un monde de musées !! Curieux voyageur des
limbes... qui exige de l'oeuvre une fonction perdue... quand l'art est machine à extraire un
peu de pensée. Reste, dit-il, une machine à images, une confrontation de métamorphoses.

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De nos métamorphoses. L'art est immersion sociale et possession. Mais le musée: transport
de ce qui est transportable, théorie d'absences. Observatoire de Parisien plégique.

Quant au sel, il ne fait pas mer comme on le pense. De la Jungle à Cox's Bazar, nouvelle
frontière... et les ghats d'Arles...

Ceux qui touillent dans les chiottes, d'autres dans la marmite, ceux qui tiennent l'échelle. Et
inversement.

L'odeur de fleur de la lèpre : les lauriers roses de Calcutta, sucrés. Phnom-Penh, Saïgon :
y'avait des lépreux dans tous les jardins. Lui mourant d'elle. Elle de la lèpre du cœur

L'occident à perdu Byzance, l'Inde, et se regarde le nombril. Heureusement des fêlures ne


sont pas improbables, et déjà une imperceptible distance au soi orthonormé s'insinue chez
toi, chez moi. Qui peut faire fleuve. En face (cet externe) les monothéistes se préparent à
faire front sacré, dans une violence imposée plutôt que dans celle consentie du sacrifice.

Il n'y a aucune preuve de sa mort : il disparaît. Ne meurt qu'elle, à peine : elle sort du film

Avant le second séjour. Perte du langage, brume partie de l'étranger en pays dit rouge de
l'autrefois. Ici, on pleure pour trois heures de trajet-confort, on refuge en net, clair et précis.
Ivresse de la brume, décalage et perte de tous les voyages. Bonheur blanc. Merci à ceux
qui demandent. Printemps, dedans, dehors, comme les 4000 îles-là-bas feuilles et chiens
domestiques en moins. Paix d'Indochine, retour. Une trace, et non une vacance. Un espace,
et pas une station.

Éloge de la lenteur, le train entre en buvette de la gare. À la télé, Les feux de l'amour, ou
bien le golden boy président. La jeune femme châtain qui ne sait pas bien à qui elle sourit
pétille l'allée centrale de ses yeux bleus; la marche qui s'arrête sur soi est la rentabilité de la
vie, quand tout disparaît à ceux qui courent-pensent.

Il faudra bien aller à Goa. Mais la Polynésie s'invite de partout, sauvage, postes, virus.
C'est maintenant le Kenya qui soudain frappe.

Des motifs horizontaux. Sexualité de ce jeune couple. Lui en centrale d'appels dans le
vide ? Non, tapisserie du séjour. Vérifiée au niveau. Ceux-là sont capables de voter pour le
golden boy. Là où il n'y a rien, entre les destins des nantis et ceux des fragiles. Pauvreté
d'une logique, dans le triché d'une pensée « nationale ».

2014/17, le fugueur en reclus, cancer en ville natale, J.-C. Pirotte a toujours considéré la
vie comme imaginaire. Adolescent trop rêveur, famille étouffante, puis rendu à la route, à
l'écriture, à lui-même (X. Housin). (Moi) je ne sus détester, et m'effaçais, donc, mais
gardais la vocation de la fugue, cette clarté des routes, des sables, des crépuscules, des

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étoiles et des fleuves. No man's land de mon souvenir, où tout et tous vagueront à loisir... à
loisir ! Là où, et quand, « la canicule pénètre maintenant par tous les interstices ». Mort en
sa ville natale, où pourtant il aurait aimé ne jamais remettre les pieds... « L'homme, qui ne
tient pas tellement à survivre, s'abreuve cependant par de minces rasades d'eau de Vichy,
démentant ainsi son étranger (ou habituel) besoin d'être mort. Il s'est vu poète, longtemps,
mais ne s'accommode plus de pareille illusion. Je crois la reconnaître (la mort) mais je me
trompe encore. Elle joue tellement de mauvais tours aux naïfs. Et aux faux poètes qui
prétendent en maîtriser – ou du moins en reconnaître – les approches ». Me réveiller encore
sur la Riviera du songe et du sexe jeune à venir. Elle m'appelle. J'ai encore, Fille d'Égypte,
des secrets qui se jettent du haut de ce que je pourrais être. Toute puissante beauté. Désir.
Érotisme, tu tiens le monde, indomptable ; il n'est pas de pulsion de mort ! Est-ce qu'on
incarne sa blessure primordiale (Joë Bousquet) ou son énergie primordiale ? Le noir de
source est-il survie en soi, ou connexion ? Que sont les « états modifiés » de conscience ?
La certitude est-elle « un repos presque animal » (Wittgenstein) ? Notre incohérence est
chemin, nos rêves et nos expériences y gagnent (Averroes).

« Autorisons-nous l'espace et l'erreur » (Bukowski), s'agissent habituellement les 18 ans.


Puis s' y incorpore une fabrique à souvenirs (d'abord snobée), comme un univers en
engendre un autre au travers d'un trou noir, et que toute mémoire n'est pas effacée. Le
Lethé a une troisième rive. Le reste d'un sacrifice. Par où se fait le retour de quelque sage,
qui sait que l'ordre cosmique est multiple.

Entre-guerre, seins plats, l'homme s'ennuie.

Le mouvement de l'âme parfois se sent illusoire ; mais que survienne cette dilatation,
quand le temps met bas, et dès lors il nous blesse de moins en moins fort à chaque nouvel
effet de traîne (« la vie leur était précieuse. Ils étaient mélancoliques et effrayés » J. Salter).
Un mot, une phrase, un émoi, et le monde est enfin tangible, alors que juste avant on fuyait
la grand-route, on ne tenait plus à tenir debout ; il faut rester plus faible que les passions
sinon on se met à croire à la ligne droite et à être aveugle aux auras. La pensée surgit quand
on fuit, à soi comme aux autres ; mais ceux-ci nous mettent en perce.

Oui, P. Quignard m'est « outrancièrement familier » (Mourir de penser). Yoga de la


« nudité animale et de la langue culturelle ».

On invente le réel, archéologue, à mesure que l'on pense. Épuiser feu-à-feu les
incohérences du monde. Condition papillonnaire.

Il y a d'autres morts aussi, plus inconnus, plus éloignés.


_________________________________________________________________________
Le Mékong fort et souple et de si loin, sans direction, et toujours ; mais côté ville les chiens
boitent et ça pèse. Matin frais, eau boueuse : comme un désespoir qui porte. Pas encore la
langueur de Savannakhet. Eau presque rouge, est le temps, est le toujours.

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Les amants du Gange : il avait été convenu qu'ils devaient rester libres
si l'un ou l'autre venait à devoir mourir

L'avantage du Falang sur le Coréen-de-Masse, c'est de vivre dans son confetti d'Empire : il
sait, il est là par « ... ». Il se tait.

Tous personnages tragiques, sauf la mendiante, au-delà du tragique,


puisqu'elle ne sait rien (d'eux)

Chaque jour l'extase survient : hier matin les oiseaux me chantent au temple, ce soir je suis
à Shangri-La... Grotte passage secret sous la montagne, rizières vertes à croquer-lumière et
le cercle des montagnes qui enserre, mais de juste assez loin, sans oppresser, ce monde qui
communique avec la vallée secrète et se protège de la route... par une rivière souterraine...
ce livre de la collection « rouge et or », des enfants quittent ville et famille pour une vallée
magique via un souterrain...

Et pas (trop) de wifi !! How to say I am dead ?

Demain ici une gare TGV, alimentée par China Power, c'est le second barrage déjà à
Nahim, le patron de la guest-house est un francophone, et sans doute trop pro-Falang
quitta-t-il Vientiane, congédié du parti. Je l'imagine en tunique brune des combattants du
Pathet-Lao. Sa sympathique guest-house est au grand bordel routard de chez soi, bric-à-
brac, un lance-pierre à disposition, café, conseils sur la préparation du poisson aux 4000
îles. Le roi était un despote, protégé des Français, corruption en cercle. Du Laos au
Burkina, soit on a colonisé les plus pauvres, passant après les Britanniques, soit on n'a
vraiment rien fait dans ces états-tampons mais dont on a créé les frontières ; le Routard
propose une stratégie coloniale de développement d'une intelligentsia indigène par
« pôles » : Annamites en Indochine, et tirailleurs sénégalais, le reste asservi, pillé. Même
s'il y avait une sorte de... quoi ? Paternalisme ? Affection ?

Il y a dans le post-exotique du damné post-colonial. Et le regard qui touche à celui de toute


princesse d'ici. Mais ici, contrairement à l'ex-AOF, le vin n'est pas rôti, et la baguette
presque croustillante. On se tient.

Shanti guest-house, Kong Lor. This man from the staff is the first fool of Savannakhet !
Skinhead, and speaking alone in the garden, with a quite-nude dog... qui hurle... dans notre
sueur qui s'écoule... Tropiques fondants engloutissants. Duras : la langueur est, quand la
chaleur n'est plus (j'expérimente a volo). Comme une encre d'ailleurs, saveur du thé lao.
Car rien ne sèche, pourrait dire SouvannaFreud. « Hier il n'a pas plu » est bien une phrase
clef de Barrage sur la Pacifique. « Aujourd'hui il a fait très chaud ». « On sent le souffle
de la pluie qui déjà rafraîchit un peu la véranda ». Car tout cela est récit, qui progresse, qui
vient.

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Just after coffee (and smiles) everything is possible. Now.

Le canard qui a gagné la guerre. Coiiinck ? Démasque la rivière souterraine. Fantômes de


croisement. Faibles lampes croiseuses. Sous le fanal, qui scanne l'eau et la roche. Sans
doute on ne remontait que des blessés et des informateurs. Dans le tunnel noir-rivière entre
les rizières de Kong Lor et la vallée secrète de Natane, sur la pirogue des cachés en lutte,
on semble parfois reculer dans le temps dans ces vecteurs étranges du courant et de la paroi
balayée par le fanal du piroguier. Devillien... Une base est un système étrange de vecteurs.

Deux graines-de-fruits-de-l'arbre-où-grimpent-les-enfants-très-haut. Hélés par la


tisserande, le tout petit a dû m'en céder trois. Petite mandarine pâle à gros noyau et écorce
dure.

S'éloigner un peu, un petit pas-de-côté de la nature était sans doute indispensable à la


première espèce animale, humaine aussi ; mais l'homme de ce berceau dangereux – car
sans scrupules – se cliva trop : c'est là sa capacité à se penser. Sentiment plein d'existence
au monde, ou pensée de plus en plus logique et forcément de plus en plus partielle. Oui
l'encre a ce goût de brûlé, de tanin du thé lao, de reste à l'écriture.

Elle n'existait pas, juste cette petite bande repiquée que l'étudiante laotienne avait
enregistré à la télévision, toute l'équipe avait besoin de l'entendre. Un chant de
Savannhaket (c'est au Laos). Elle nous intrigue

About Tuk-Tuk. I swear, now, to stop travelling, and just to read. May be the right place
will be in Savannhaket. J'attends comme la papaye, suspendue comme inversée, mais
protégée de la chaleur par un plumeau de feuilles vaines.

On ne se perd pas à Kong Lor. J'étais le premier à la grotte. Et le dernier arrivé, de justesse,
à la gare routière de Thakhek ce soir, où autour du dernier chauffeur aussi on m'offre
whisky lao (ambré et délicieux) et zakouskis. Succulent, merci l'ami ! Et ce coucher de
Mékong cette fois offert, lever de molécules en rasa, et toujours depuis l'autre rive, qui
vient nous toucher.

Ici j'oublie mon mal de dos. Effet bénéfique de la lordose thérapeutique du sac-à-dos, me
dira François plus tard. J'aurai aussi une théorie sur le soleil, et une sur l'hypersudation
continue en ce temps de « low season » par touffeur de mousson. Bonne bouffe tout juste
exotique comme il faut et il suffit, et arrosée de vin rouge bien correct souvent italien.
J'allais donc m'éprendre encore plus de solitude, malgré le croisement de quelques routards
anglais ou allemands. C'était sans compter avec la rechute de Savannakhet qui me
renouvellera en désir (et seulement en désir, d'ailleurs). En route vers Joli Guest House.

Savan' me semble d'abord base à vieux routards et expats. Clichés de l'ère coloniale au
premier étage d'un café chic, exposerait-on nos ancêtres semi-nus ? Ils n'avaient pas la

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chance de la photographie, nos Tupi-Carayib de Gaule... Tropiques, diachronie et clichés.
Plaisir intense d'un lemon juice on the rocks. Au soir et en musique live, ce sera
évidemment une bière, il faut être plus rapide que les glaçons des barmaid embauchées de
leur sublimes courbes, garde Thaï, et qui toutes au signal de pas tard quitteront ensemble et
en uniforme encore le café-bar par le taxi qui les attend, contrat fini. Mais j'ai renversé mon
verre pour la dessiner en mon âme, la petite Apsara de jais à l'éternité de soie noire, aux
yeux de tout et aux seins toujours adolescents. Douceur et force gracile. Revenir en plein
envol. Mais... Lili Guest House...

Pour l'heure encore les chiens de Savannhaket m'aboient, et suivent la mendiante, et


Apsara. Tout grillonne dans l'air pourtant toujours trempé du soir, comme des cornes. Ceux
du consulat s'enfument. Je fouille. Muses. Sur ma terrasse, une scène pleine et immobile
d'India Song. Quelques murmures en bas. La maison joue gigantesque, et auberge quiète.

Triste Mans. Corps de novembre, quand encore appelle le soleil. Perdu au plus sombre,
plus rien n'y passe. Mais soudain l'empathie douce de l'inspecteur de police, qui dit la
Jungle au noir, incite à poursuivre cette route. Là. Rappels d'Asie centrale aussi, beauté et
fierté mongoles, à moi qui veut tout dans l'instant, ou bien la dissolution. J'écris ton nom,
nirriti.

Arbre à perruques. De retour du Laos en 2004, j'aurais vu Marguerite Duras sur un


triporteur, venant du rak, allant au trésor public, à Prout-Prout-Plage. Une correspondance
par-delà l'exil, écrit J. Birnbaum. Les enragés de chaque camp s'exaspèrent. Les autres
gardent l'espoir et le silence.

Au café du Sahara, au même moment, même si c'était quelque voyage d'avant, les jeunes
encore bloqués au village sont plantés devant de déprimantes télé-réalités sur des mères
adolescentes au fin fond du Michigan. C'est la friche morale au désert industriel (F.
Noiville). Il n'est pas raisonnable, dans ces conditions, d'être sage. Duras continue sa
protestation auprès de l'administration de ces temps lâches. Il est illusoire d'attendre une fin
de la crise, toute jeunesse le sait, l'avenir c'est maintenant, mieux vaut donc se retirer sur la
frontière, dans la jungle, la montagne, la roche de la côte : désobéir. La voie médiane, que
vous dites normale, moule et génération, est tout aussi grise : mais gelée quand nous

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bouillons. Nous sommes les conquistadors. Vous êtes nos ruines. Rien n'est plus prévu, rien
n'est plus impossible pour la tribu des parias, superbes et déchirants.

Il est plus difficile encore de « construire par ordre ses pensées » (Descartes) que de ranger
ses livres de manière satisfaisante (R.-P. Droit). Bibliothèque, machine à chimères, ou
agencement d'un monde ? Le savoir est indispensable et impossible à la fois : tous les
moyens sont donc bons (cf. Nicolas de Cues).

désynchronisation des voix, collusion passé et présent, les comédiens ne sont présents à
rien sauf à eux-mêmes, comme dans la mort

Mille neuf-cent trente-sept, le père a le premier prix de rédaction en 4è au lycée de


Tourcoing, ce n'est donc plus tout-à-fait l'école de la mère, mais. Ah, Tartarin de
Tarascon ! S'exclamera-t-il parfois sans en dire plus... une date inoubliable ? L'exotisme à
Roubaix... Puis 1940 et l'escapade justement vers ce Sud... Mille neuf-cent quarante-trois
subitement ça se gâte, est-il déjà caché, disparu, effacé dans ce grenier après les étonnants
étés de la guerre et d'une certaine liberté ? Il signe ce livre-là comme malhabilement, il sait
qu'il doit s'appeler Leriche et plus Ledru... Le collectionneur d'Imbéciles, l'auteur (Picq)
photographié par lui-même, Maréchal Éditeurs Liège mai 1943... « La vie s'écoule avec
une monotonie désespérante » mais dans l'humour potache et assez subtil de ce Picq, dans
le monde d'un domestique aux prises avec la science et la fiction de son maître... Le Sud de
Tartarin, puis l'enclos du Nord...

De l'Asie du Fleuve d'avant


Tous le nez dans la carte
Du resto
Faut-il métisser le monde ?
Ou est-ce hypothèse ?
Ils commandent du rouge
Je me souviens de cette Révolution
Que j'aurais voulu connaître
Mannequinat du bisou, contorsion
Seule la quart-asiate
(« Les autres poèmes choisis ont permis de montrer comment des conventions poétiques
pan-indiennes sont réutilisées dans le contexte d'une poésie sramanique dont la valeur
suprême est le détachement du monde et la méditation solitaire », S. Lienhard). Un
sramane ne ruse plus pour remplir ses journées. Korsanvi, Visankor.

En la Bibliothèque des frontières que faire des souvenirs d'enfance ? Guerre et


Cosmopolis, l'Empire implose - scènes de guerre, chirurgie, délires opiacés - puis il
sédimente et en ce temps de «paix» on écrit le Roman migratoire; vient alors, poussée par
l'inflation de la thanatosphère, une nouvelle planète. La plaie est politique, pas humanitaire.

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Sourire de nuit de la belle voisine du bar. A la table voisine, Sophie Marceau, elle,
saprophyte son gars sans relief. « T'es pas assuré » clame l'habitué du zinc ! « T'es pas
assuré ! » Une autre famille (n = 3) paramécie-clone, elle chicos, lui adopté en gros (« je
vous le mets quand-mêêême ?) Le Côte du Rhône chauffe, ou frères poissons si généreux
peut-être. Brahmapoutre et Ganga m'attendent. La force originaire, ce sentiment même de
soi, cet archaïque, ce Ça, ce Dasein, et qui nous rapporte au fleuve. Être là a capacité
d'émergence, cultures, civilisations et autres surabondances ; et reverser le surplus que
nous avons détouré, happé juste en dehors du système, au fleuve d'avant. Les sentiments
sont les « adjoints mentaux de l'homéostasie » (A. Damasio) et son sourire me refait vivre.
Le jivatman, cette âme individuelle de l'hindouisme, est ce contact de la force originaire, le
Ça, le Dasein, aux sentiments qui éclosent en l'agrégat du corps. Frontières mouvantes de
la Nature et de la Culture, ce « surplus d'homéostasie » (?), dans l'énaction (cette friction
du réel à nos contingences somatiques). Je ne me représente pas son sourire : il me meut.
Les seins si légers de la voisine-commerçante. L'esprit tient bien d'un corps.

cette musique, sur les paquebots au milieu de l'Atlantique,


retour des colonies, tous les trois ans

« Parce que nous avons une mission » (Larteguy, Le mal jaune, hideuse couverture
impaludée de la réédition « luxe » cuir de 1972). Rejoindre demain au soir les Lectures
clandestines en Calais ? Légionnaires désabusés du sang (?), mais amoureux des frontières
actives, mouvantes, épaisses.

Bangkok Rangoon Sydney Lahore Calcutta


Calcutta elle meurt

J'ai critiqué les monothéismes avant eux, ayant ressenti l'omniprésence du paradoxe de
l'Inde. Dieu évanescent, famille, nation : que de crimes en tes noms, quand tout est respect
et sacré, et la morale imposée par un invisible ! Petit choc hier soir sur France Cul. : Xavier
Darcos, tronche classique de droite au faux sourire, mais voix latiniste qui milite pour cette
culture polythéiste respectueuse et plus pacifique. Et le romancier gentil Rufin présentant
ce mouvement polythéiste comme une tendance qui émerge. « Tout le monde a les mêmes
idées en même temps » disait le père pour (1) justifier sa position recluse ; (2) dire cette
nappe du monde qui nous contreberce.

Parfum enivrant des matins encore verts de l'orage, matins de tout au soleil pâle.

Le frère et la sœur emménagent côte-à-côte dans la résidence face à la mère – qui évanesce
– J'ai été chercheur comme vous. À chacun sa tribune qui vient.

Semi-réveil après une nuit enfin sans angoisse : il n'est plus question de postuler nulle part.
Cesser cette lutte fausse pour feindre d'être autre. Dès 8 ou 9 ans je fuyais dans l'eau qui
s'écoulait à mon regard, dans l'énergie de l'herbe qui pousse, au silence plein de la
résonance du monde. Que de bonheur dans l'immense libre de la pensée ! Sans frictions

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d'interceptions ! (Danser, cet impossible où il faut entendre un seul rythme, et choisir un
pied)

Jeunes filles jouant dans l'onde, courbes dévoilées, fières, au plaisir complice des regards et
des vagues. On passe de l'émoi et de la peur adolescente des corps à l'attracteur de pleine
beauté. Qui disperse, inflation de chair, la crainte du moi vieillissant.

Un café turc (russe, grec), c'est la terre, la mer, la steppe, le port, l'avenir en voyage, l'écrit
qui nous anticipe dans son rebord tacheté, géographique. Un monde, ou son rêve, non
séparés.

La révolution a eu lieu. Elle a entamé radicalement le siècle.


Khlebnikov : « Je vais dans le Midi, c’est le printemps. »
Une taie d’oreiller dans laquelle il entasse ses manuscrits, poèmes, proses, lettres, feuilles parfois
volées ou envolées, qui accueille aussi son sommeil.
" ... la langue habituelle ne convient pas pour la chose, il va falloir pas à pas en créer une nouvelle."

Mon cours en Ethereum pourrait flamber. Bon, je n'ai jamais tenu de promesse, mais c'est
un rapport à l'idéal qui s'y donne, et pas un château de sable. Un visa pour rebattre les
frontières. Rejouer. Pour l'heure d'accord c'est le purgatoire ! Nocturne Indien, et ses
passages. L'important c'est de chercher.

Calais / Mékong / SOS Méditerranée, aucun délire, je ne fais que noter ce qui parvient à
mes oreilles, même si j'ai bien envie d'en être. LECTURE CLANDESTINE. Veronika
Boutinova, "Putréfiés". Magda de Calais : un homme flotte à la surface de mon corps. Un
noyé, une voix, plus qu'une voix ? Notre illimite des eaux, et c'est moi qu'il appelle... Il faut
nager pour le trouver, j'ai peur et je suis attirée. Esquisse d'un parcours, forcément
commun. Nos corps flottants signalent toujours nos périphéries. Corps morts à la frontière
marine. Le voir. Je veux. N'est pas visible. Trop abîmé. Le calcul, le choix d'être légers. Je
vous répétais le froid la houle le squat Salam la jungle de plastique la bière et les chips
l'avenir trempé. Tu as franchi. Crustacés de Calais. Ethiopie. Des milliards à bouger un
petit doigt. Il faut. Mais toi. Les voix (héros) / son corps / les mots (personnages). Passeurs,
semblants de solution, argent. Puceau d'humanitaire, je suis vivant ! Oublie-moi ou bouge-
toi ! J'ai buté mon frère pour vivre ! (Adam taisait)

C'est exotique
Mais Baltique
M'y voici corps mort
J'avais tout prévu
Frontière trop liquide
Autorités
Africaine en quête ?

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L'Alcazar sent la vieille basket
Nous te transvaserons
Récupérez-moi
Venez me chercher
Jeune fille
Il faut que tu me noies
Cette main que tu me tends
L'homme qui flotte
Faut tenter
Surface des actualités
Cette voix-là n'est pas morte
Compassion tue yeux
(volontaire masqué)
Voilà le bateau
Levier
Tourisme de la mort
Des morts port peur

Cohorte (ouverte) des actants même en parenthèse consolante


Donner à sa voix Compassion Sacrifice
L'horreur potentielle le souffle
Actualités nous protègent de l'inceste migratoire avec la mort même en photos
Tous ces patients fantômes ! - Je chie l'UE forteresse – Ils sont un corps
Corps-à-corps
Passeurs Gardes Encampés tes cercles nos cercles ne sont pas fixes
Absurde Absorbe Travaille
Je vois ta mort sans ton secours
Il y a toujours un amont de ton champ de noyade
Tu es au bon endroit
Tsunami
Survivants
(tous, eux, nous)
Submerge
Penser c'est selon
Coule ou flotte
Je ne quitte pas le point
(jette-là, jette-moi)

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Projet d'exil / mort de la famille
Plaisir liquide Putréfaction Zeina

Vient le marin. Comment on le fait, et pas ce que l'on fait. Naufragés, pas migrants. Les
ponts impossibles des bateaux en bois. Chambres à gaz flottantes, camp du désert. Des
petits moments d'humanité sublime, quelle chance j'ai. Et puis tout ça pour la Porte de la
Chapelle ou la Jungle ?? Non ! On dépasse tous ces clivages (de l'ignorance). Qu'ils
viennent trois minutes à bord, ceux de l'extrême-droite, ils seront sauvés. Comme une
internationale révolutionnaire à la chambre 213 de l'hôpital de Calais, printemps 2016.
Cinquante mille morts recensés en mer depuis 2006. Ça devrait pas exister.

Ah, oui, Mékong. Petite voyageuse calinenda. Mais qui n'attendait plus maintenant, dans
son visa-run, que son île russe du golfe de Thaïlande. Bref j'arrivais sur la fin. I could'nt
help you but... needed you ! A Russian story which looks like a Spanish angel. Deat
Turtle … your shoulders... your arms... Yes, you are also a fantastic swimmer, but I dont
care. Lili Guest House, and then Lili's leaving. Drifting (she said) and sharing (I hoped)
sentiments. She likes me but she is concerned with my personality ; stucked into her magic
iland, she consider I am a tourist, not willing to stay here, still concerned with occidental
life. I dont like islands, indeed. I like to be drifted by you close to the Mekong river.
L'écrire c'est y être, dans tes mots donnés par mon film, mais qui partaient vers ton île.
Need your golden skin. Need your bubled mind.

« We are not moving, its Mekong drifting our way sentimentally », she said. To her
islanders.

Quand on ne sait plus bien, dans cette langueur (moiteur, touffeur, temps long, chaleur,
fleuve), ce qui est du rêve ou de ces conversations entre plusieurs langues. Progression
hydrique, marine, submarine (dans la chaleur elle me refusa sa fleur).

« Violettes », le mot envahit tout le plan, c'est la lumière du delta.


L'image est presque blanche, nacrée

Noyé dans la mousson je progresse vers les îles. Le Temple lui-même s'abreuve à la source
de la montagne : là où descendit Ganga. Toujours, un somasutra (« livre du nectar des
dieux ») irrigue le lingam. Nous disons « gargouille » (« bruit du liquide qui passe dans la
bouche ») en nos cathédrales, mais ce n'est que pour l'eau du ciel, ici la montagne donne le
fleuve, par la route d' Angkor. « Qui collecte l'eau lustrale », précise le musée. Temple-
montagne, temple-route, temple-empire. Les ouvriers y détourent le Bouddha de bois doré
des termitières, m'explique un ermite occidental. Et d'autres magnifiques « petites » cella
effondrées sur elles-mêmes, sur leurs secrets intacts encore, un peu plus haut. Ici, mousson,
mousse et sente, un peu plus haut est presque exploit. Ce matin la Canadienne (ou
Allemande ?) que j'avais sauvée à Pakse a fait ses premiers tours de roue en scooter, et on
ne l'arrêtera plus, moi en vélo lao presque assis, nous nous croisons plusieurs fois encore
sur la route-temple de Vat Phu. Au retour c'est le Lao-Américain à la bonne quarantaine

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revenu pour la première fois au pays depuis 1975, pour se faire soigner les dents, et
voyager en copine Thaïe au passage, que je recroise en bas du grand escalier de pierres
elles aussi effondrées – mais tout en courbes – sur leur pente. Compagnons de tuk-tuk un
jour, tuk-tuk toujours ! Somasutra. « La description du sanctuaire principal devient
complète avec la mention d'un somasûtra, dont la gargouille extérieure paraît décorée d'un
animal malheureusement brisé » (Henri Parmentier, Chef du Service archéologique de
l'Ecole Française d'Extrême-Orient). Il y a eu erreur de casting, je devais être réincarné en
archéologue de l'EFEO, plutôt que de pleurer sur le tragique et l'absurde du CEFEO. A
suivre. Conduire hors des édifices les eaux ayant servi aux libations offertes à la divinité ;
et au Vat Phu, amener les eaux de la montagne-Ganga au ligam sacré. Bouddha en bois a
donc investi la cella de pierre, on le préserve et le détoure, il ne s'en plaint.

On ne pense même plus à sécher, on adopte l'humidité, on progresse, la nuit goutte aussi
sur nous par toutes ses feuilles débordées. Lustral émonctoire. On ne sait plus, comme
Cendrars de Moravagine, entre toutes les eaux, si l'on est de pierre ou de bois. Here,
drunked by the Mekong, inside and outside, on my floating head.

Egotico sapiens des bouts du monde (il veut être admiré d'interne, elle rayonne)
Comptant ses billets il gagne l'embarcadère
Stanger's Monsoon's Song
Elle leur dit : Vientiane passe au format 100.000 kips

Comment imaginer que toute la musique – qui porte et tient aux sentiments plus qu'aux
êtres – folk, rock, etc... - puisse disparaître si l'homme s'éteignait du globe ? Quelle trace ?
Reprendre tous les rêves à neuf ?

Coloniale : dans la torpeur d'après l'effort dans la jungle, tout pastis de merde était
fantastique, un glaçon au poste l'extase absolue. Retraite de Russie : soupe de sang de
cheval. Entre il fallait sauver sa peau. Pour l'opium des uns, les piastres des autres, le
pillage des sans excès. L'Amour est l'armée en marche des excès. Due to the falls, they
resigned to opium in Indochina. Quelque(s) canonnière(s), plus de marchands sur le fleuve.

Une chaloupe s'arrête. Monsieur Stretter est en inspection des postes du Mékong. Il
l'enlève de Savannakhet. Oui. L'emmène. L'emmène pendant 17 ans dans les capitales
asiatiques. On la trouve à Pékin. Et puis à Mandalay. À B...

Time to smile, time to escape. Only abroad am I a beautiful looser.

Cascades horizontales des îles, frontière khmère.


Au cabanon tous ces sons qui ancrent, coqs, bateaux, insectes, geckos, … Les buffles
regardent passer les pirogues. La vie maritime qui s'éveille, vue de l'étage. Rumeur de
pluri-mer, confort d'être minuscule, et de pouvoir penser (F. Pessoa). La vie est une meule,
qui moud l'absence de blé, et donne ce reste actif du désir.

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La musique quand il n'est plus question de s'aimer, merci pour cette sérénité.
L'amour en sport de combat, le voyage en nouvelle plénitude.

But try now to go to Pakse to get some more confort, and choice into my solitudes.
Taxi-boat. Sur la plage de l'enfance, l'odeur diesel des zodiacs, seul échappatoire.
Penne à la sicilienne. The deep voice of Margherita : long way. like a call (but I did'nt have
any house). Lili gives, but don't ask. I need to be called. Le patio italiano de Pakse, l'un de
ces endroits où l'on ne sait plus où l'on est sauf le bien-être, la fraîcheur du soir, la bande
son folk.
Y recroisé le jeune doctorant (anglais ?) avec son vieux père de professeur, et la copine du
fiston embarquée en mission agronomique à Savannaketh, je compris juste – due to my bad
english – que plantes et hommes ont les mêmes pestes.

Ranimé par DBP : I plan a small trip into the Boloven's with the Belgian mafia, then a
flight to LP, the road until DBP, and come-back (if I do'nt stay in the hell, in the hill) by the
Nam Ou as longer as possible. Then flight to BGK and her. Car j'aime toujopurs sa fermeté
russe, qui ne me répond presque plus. Mais le bout du monde en décidera autrement, et le
China Power sur la Nam Ou que je ne naviguerai qu'à l'aller, mais avec la jolie patronne
femme d'affaires de sa guest house. Et surtout comprenant que la Nam Youn qui traversait
le camp retranché se déverse dans le bassin du Mékong et non du fleuve rouge, les
négociations se feront avec l'eau de ce côté-ci, par où tout pouvait s'échapper, passer,
revenir.

Ce matin, après l'apparition matinale de créatures au QG breakfast à routards, qu'on est au-
delà de toute prise de sentiment possible, invitation à la soupe avec les novices du temple –
très contents de pouvoir parler en anglais (sic), et coiffeur des berges. Parfait.

Peut-on ne pas s'inventer l'amour ? Non pas le construire, mais cultiver cette aurore du
premier sentiment ?

Je suis sûre que derrière moi quelqu'un court dans mon sillage. Il y a eu Vinh Long où
passait, mille kilomètres plus bas que Luang-Prabang où le jeune homme était resté, ce
même fleuve commun aux amants. Elle voyagera sur les terres d'Asie pendant dix-sept ans
comme la petite mendiante. Toute les deux sur la route, elles se retrouveront enfin perdues
ensemble à Calcutta ; la petite mendiante chante et crie devant l'ambassade de France, au
bord du Gange, elle vient de Birmanie, de Savannakhet au Laos; folle depuis dix-sept ans.
Elle crie pour la femme de l'ambassadeur de France dans une langue inconnue. Elle hurle
la misère insoutenable qui les révolte. La mendiante de l'enfance s'est enfin retrouvée
perdue quarante ans plus tard à Calcutta. C'est une très grande femme, très maigre,
maigre comme la mort et qui rit et qui court. Elle est pieds nus, elle court après moi pour
me rattraper. Je la reconnais, c'est la folle du poste, le folle de Vinh Long ; pour la
première fois je l'entends, elle parle la nuit, le jour elle dort, et souvent là dans cette
avenue, devant le jardin. Elle court en criant dans une langue que je ne connais pas. La
peur est telle que je ne peux pas appeler. Je dois avoir huit ans. J'ai peuplé toute la ville
de cette mendiante de l'avenue. Toutes les mendiantes des villes, des rizières, celles des

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pistes qui bordaient le Siam, celles des rives du Mékong, je l'en ai peuplée elle qui m'avait
fait peur. Elle est venue de partout. Elle est toujours arrivée à Calcutta, d'où qu'elle soit
venue. Elle a toujours dormi à l'ombre des pommiers canneliers de la cour de récréation.
Toujours ma mère a été là près d'elle, à lui soigner son pied rongé par les vers, plein de
mouches. La petite mendiante marche pour trouver un endroit où se perdre. La mendiante
repartira encore, retournera vers le nord, ailleurs et toujours plus loin. Elle est déjà folle
depuis longtemps, maigre et sans cheveux, sans rien. Après dix-sept ans de marche, elle
s'arrête à Calcutta, là où enfin elle n'a plus de mémoire. Tous savent sauf le lecteur qui se
trouve un peu perdu.

Chez Captain Hook. A Tad Lo tout d'abord, où l'on cuisine Boloven, grande table, une
future écrivaine, un néocouple russo-yankee, c'est la basse saison mais ça circule. Je pars à
pied chez Hook, je reviendrai sur son scooter, je ne sais comment il repartira après la soirée
BeerLao à peine commencée avec moi. Mais d'abord j'aurai tout appris sur le café, mangé
des fourmis pas farouches, sans doute abusé sur l'organic food-E. coli ou salmonelles. Mais
surtout été convaincu par ce gars qui est revenu au village - même si c'est difficile ici
soupire-t-il – qu'il espère développer par l'écotourisme et le café. Arabica, Excelsior,
Robusta. « In my village », ainsi commence-t-il toutes ses phrases, il est fier, ou conscient
simplement de la richesse d'ici, richesse de cette symbiose avec les plantes endémiques,
médicinales ou culinaires, qu'il s'agit de préserver, tout en trouvant des solutions pour
envoyer plus de gamins à l'école lao qui coûte cher, qui est loin. Car ici ressemble aussi à
une réserve ethnique, on paie le ticket d'entrée au gardien bientôt saoul, toujours corrompu.
« Le gouvernement nous donne un nom », dit Hook, et « nous pouvons respecter nos
traditions ». On est au continu des pipes à eau, calumets géants que tous fument dès qu'ils
marchent ou presque. Il faut construire son cercueil de son vivant, rangé sous la case, et
aussi tuer un chien si j'ai bien compris. « In my village »... But you escaped, I argue... Yes,
but I came back ! Hook a étudié en Thaïlande et tout appris sur le café. A young boy from
his house is disabled, quasi mutic, but not deficient, he is speaking with his close relatives
with a kind of LaoSignLanguage (LSL) ! « Im my village », to cure diseases, explains
Hook, as I am now the only visitor, we have three levels, Chamans (using herbs), then
Guru (using magic) and Medium (working with spirits). Hook is fully involved in the
survival of his village, its education (he is teaching English), the development of
ecotourism to allow a better quality of life here. He wants to built a lodge in the forest,
where there is a fantastic overview, close to the holy elephant stone. Et je chevauche
maintenant l'éléphant géant, et ce n'est pas que pour Elle, mais je chevauche pour Elle.
Tout-à-l'heure Hook tuait pour moi les grosses fourmis jaune citron d'une façon qu'il ne les
tuait pas : elle venaient se faire broyer sous ses doigts doux et respectueux. Je ne plaisante
pas. Sous ses caféiers et ses plans de tabac dispersés, croissent toujours nombre de plantes
médicinales et autres herbes utilitaires, herbes à cordage, herbes à soigner, etc... Le café
n'est pas intensif. On le torréfie et on associe les variétés selon son envie, son goût, la
demande, sa connaissance. Les fourmis ont bien le goût de jus de citron. La femme de
Hook est très belle. Ce soir il va s'amuser avec d'autres au bourg.

Il n'y avait pas de bateau, ni l'envie d'affréter. Je retraversais la rivière aux montagnes.
J'étais fatigué, tripes, genou, fièvre. Je glissai. Je n'allai plus vers son île. Je rentrai. J'avais
en la Nam Ou gagné l'eau de la Nam Youn, qui glissait ici, ça me suffisait : elle
m'emmenait doucement à LP pour un petit-déjeûner encore, au chic Café Ban Var Sene. Je
reviendrai en amont, sur le Mékong nord non encore navigué, en TGV. Et peut-être plus tôt
même en slow boat, jusqu'à la frontière Est.

33
Que signifie « changer » ? Qu'est-ce qui nous lie à une espérance ? Quelle révolution ?
Muang Sing (Pavie le traceur de frontières, Salan le mandarin opiomane, Dooley le
lépreux) a disparu du Guide du Routard 2018. Fête des morts. Attapeu y rentrera bientôt, sa
grande vallée au pied de la cordillère que franchit Yersin, sa flore, sa piste Ho Chi Minh,
ses rues ombragées. Amour Paix Joie à Dien Bien Phu. La mendiante a dérivé depuis
Luang Prabang. Aux 4000 îles toutes les rives sont sources. Et puis, tu l'as ressenti, hein,
ce besoin de clim plutôt que le cabanon neuf et sans âme, ou même d'ailleurs vieux et
moisi, et l'envie de bouffe bien occidentalisée, même si la pizza-du-mari-suédois-de-la-
trop-jolie-patronne-femme-d'affaires est la première chose que tu réussis à manger depuis
quelques jours ! Alors tu stoppes ici la rivière. Tu reviendras par Muang Sing, et en TGV
de China Power, « Muang Sing, Muang Sing, personne ne descend, attention au Mékong,
Muang Sing, ... ». Toute révolution, dit A. Badiou, pose une discipline collective qui reste
fidèle au désordre. L'avenir lointain encore, mais certitude, d'un prolétariat international et
nomade.

Because I am a Somasutra. And a Sramanist.

Sorti une serviette à mains propre (quoi que trouée) et prépositionnés deux rouleaux de PQ
pour l'étage. Pfouuuhhh... Acheté 4 cigarillos Cohiba, le vendeur sentant bien que je
croyais que c'était de la daube, mais « depuis 1966 ces puros fumés uniquement jusqu’alors
par Fidel Castro et ses proches (dont le Che qui déclara à Fidel qu’il n'avait jamais rien
fumé de meilleur) sont baptisés Cohiba. Aujourd'hui, Cohiba présente une gamme d’une
douzaine de modèles qui, outre le prestige de la marque, possèdent un point commun : la
fameuse troisième fermentation des feuilles ayant pour but d'éliminer les produits nitrés qui
donnent au cigare un goût de corne brûlée. » Le Bitcoin Cash n'est pas disponible à l'achat
tandis que son cours baisse. Humeur marine, gouttelettes de brume et mer qui claque,
lointaine pourtant.

Je ne sais plus si le jour louche ou couve.

« Donner un sens plus pur aux mots de la tribu », mission que Mallarmé assignait à la
poésie (contre-torsion).

Lisbonne revisitée, Fernando Pessoa, rive gauche du Mékong. Je donne ici les moindres
détails, ceux qui seuls s'incrustent, comme la radiation dorée et douce de sa peau (en)volée.
Il n'y a pas de voyage (p.111) : on se perd à l'aller comme au retour, méditations abstraites
puis fixation de ces sensations ; la poésie seule donne à voir ce qui fut direct là-bas. Nulle
place pour les faubourgs : pour le repos il me manque la santé de l'âme (p. 121) ; pour le
mouvement il me manque quelque chose qui se tient entre l'âme et le corps. Akinésie par
non connexion des différentes chairs, mais qui permet le voyage immobile, d'un
hétéronyme l'autre, d'une hyperreflexivité l'autre. Je sais qu'il y a des îles au Sud et de
grandes passions cosmopolites, je dilate ce rêve, il se dépose. Je comprends selon des
intermittences déconnectées. Pessoa, le Yersin polaire. Il crée des routes et programme son
domaine. Tous deux asexués.

34
Il y a toujours un fleuve de l'enfance dont on ne s'éloignera pas. Quitte à se multiplier,
ensuite, dans ses pensées pour l'atteindre (nous ne sommes qu'un lac où brille la lune
entière ; nous sommes l'écoulement d'où vient et va ce lac, quand nous le contemplons).
Nous sommes infiltrés de cet écoulement, la fuite du temps n'est qu'image. Nous tentons
d'en être la musique, nous aimons cette seule chanson qui nous résonne et que nous
voudrions donner à tous, morts, vivants, errants ou spectres de généalogie, de rencontre. A
tous ceux qui nous sont transparents (le gecko perd sa couleur en mourant, me dit Lili ; et
le Bouddha aussi, au temple où on s'emmène). Il faut perdre sa couleur pour survivre (yasa,
brillance des mourants).
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Oeuvres (1919-1922), traduction Y. Mignot. Tous ouvrent les Upanishads comme une
synthèse asiatique, après leur fécondation aux ermites (aux Sramanes). Khlebnikov (1885-
1922) aussi, dans son voyage au départ colonial, qui deviendra peu-à-peu, plus il vaguera
les rives aux oiseaux de la Caspienne, lui-même errant. Jusqu'à en perdre une jambe de
gangrène lui aussi... (Rimbaud 1854-1891). Car ses transnarrations ouvrent à chaque étape
nouvelle voile, et il vaut mieux être à jeun pour les lire, alors elles emplissent de ce qu'il
recherchait, de ce qu'il produisait ; sans doute fut-il un temps antisémite, risquant un duel
avec Mandelstam... Mais il se modifiait à son zaoum même.
Et « Manifeste des Scythes » ! Car skit est lieu d'errance, ermitage, désert, ce mot russe qui
vient du grec, et joliment traduit par l'ascétère Que K veut fonder. Où il nous donne
rendez-vous. Dans cette Île-Asie, sans frontières (internes), et révolutionnaire. La folie
d'Ungern. La mienne créant les Etats Africains Unis au lycée, cette EAU qui nous parcourt,
et que nous voulons diriger aussi vers le toujours inconnu grandiose solidaire et en paix.
Nomade vers la Caspienne donc, triangulation eurasianiste des Steppes, de l'Inde, de
l'Europe (Aryen-Indien-Caspien), conscience de cette unité insulaire des Asiates, papier
presque Bible et Alcools forts, au rendez-vous sans doute ne vinrent que les oiseaux, et les
lecteurs. Il en appelle maintenant aux conteurs du Manas, qui est aussi épopée des
Kirghizes. Il navigue en Astrakhan dans un peuple de Noé, de l'eau et du ciel des steppes.
Il est encore dans l'Orient colonial, en 1919 qui éclate. Là il veut y recentrer son Empire,
aux principes de tous ses peuples. Autour du Vieux russe, un Hindou, des femmes Tatars et
Cosaques. L'Hindou parle de l'Inde, et de la Chine, où les peuples ne sont pas en paix. Le
rendez-vous est ici, dans le gourbi du vieillard du nord. On rencontre non loin
Krishnamurti (1895-1986) ! Toute la cavalerie asiatique ! Convoquée ! Ici les caravanes
sacralisaient le fleuve à l'eau amenée du Gange, Volga est la fiancée du nord, dans le rite !
Avec Golovanov (Espaces et labyrinthes) on avait déjà été cette jonction-là ; mais K lui vit
une barque-tronc, plantée d'une voile bouleau, et les oiseaux pélicans aux sacs dégorgeant
de leur pêche. Et un chasseur coiffé d'une citrouille attrapant les canards vivants par leurs
pattes. Un rituel Kalmouk maintenant, à Gengis, à Tengri, l'eau-de-vie est lancée trois fois,
au ciel, au feu, et au seuil de la tente. Des chameaux, et déjà des buffles, himalayens, et
l'Inde rêvée des Sramanes. Fin de la colonisation russe des steppes : 1859 ; pour l'heure il
s'agit d'un nième récit de voyage en Orient. Mais, non : car il a donné rendez-vous.
Enfonce-toi en toi-même ! Vers le temple des montagnes ! Une tranquillité de fumée des
steppes, comme depuis cette terrasse de bois d'un sovkoze mongol, 2005. Revenir ?
Retrouver ? Une rame brisée, mais qu'autrefois il utilisa. Vaguer encore.

« Et à côté, des croyances qui ne connaissent pas les temples, parce que le meilleur livre -
les pages blanches - c'est le livre de la nature, parmi les nuages, et la voie de la naissance –

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la mort- c'est la meilleure prière. » Aum ! Un brahmane en prière.

Il meurt en 1922, ses cendre sont transférées à Moscou en 1960... Alternance de marches et
de poèmes.

Slovo, le mot solovéï Rossignol

Première voile, donc, première foudre, des yeux de peintre, à travers tous ceux que les
Moghols faisaient arracher par seaux pour régner à distance, lui touche au monde, loin la
terreur. Il doute et il est triste. Le Coran n'est qu'un livre de vers. Toujours il faut semer des
yeux (lire, dit le traducteur). Le mot est une poupée sonore. Ouvrir. Pas de biographie.
SDF, je m'habillerai comme l'irréligion. Vingt ans de travail de traduction, dit-il.

Sans être fières de ce festin de souris -


un millier gris de pages
nous passons au-dessus du monde
en un cortège de lueurs (…)
pour qu'encore plus révoltés sans aucun pouvoir
les vivants se dirigent d'eux-mêmes

Une foudre, vive et espiègle, nue au fouet ; et un vieillard blanc comme cygne. À Moscou,
boulevard de la Passion,1918, les tirailleurs lettons occupaient les cellules des nonnes. La
sévère colliplaine, la vallée dévouée à la mort. Saint Paul révolutionnaire, icônes sur les
barricades, vent de plomb, et puis le croassement des étoiles, les alouettes en vols d'âmes
défuntes, et la lecture qui froisse ses pages, pourrez-vous me relire ? Au rayon positif de
cette lentille ! Verre incendiaire ! Soeurs jetons-nous toutes ensemble dans les fleuves !
Penseurs attrapez-ça : racine de moins un est signe de joie !

Zaoum, langage « au-delà de l'esprit », outrâme : je suis un Kalmouk – celui qui est resté -
Nous sommes des Kazakhs – me traduit l'interprète alors que l'ancien s'approche, sortant
de sa ger. Ecrire en outrâme entrecoupé de disdacalies. Rythme-rumeur de Maïakovski qui
précède l'actualisation en mots, lire la poésie, langue des dieux, c'est penser ; la langue de

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surface n'est que géométrie. Mallarmé tordait le vers, K autotressait le mot. On mémorisait
le Veda par tressage. Une poésie qui voyage. Poussée de la rime à la surface de la ligne (Y.
Mignot). Çankara Zanguézi : le Gange y clapote doucement, le héros étrange qui nous
parle est fleuve. Le livre : expansion totale de la lettre (Mallarmé) ou de la terre ?

Ici tu galopes tendre comme la canicule


Un rythme donc. Une voiture improbable sur la piste. De l'eau sans danger. Des rires et de
l'avenir (Sénégal 1988, après tant de sommeil déjà). Il eut fallut une opération cruelle, une
guerre civile ; rendre à cette eau de l'avenir en parcourant maintenant le fleuve au plus
calme, d'une seule rive tendue au tout.
L'étendard est tombé des mains mortes
D'une marche coloniale qui se cachait dans les sables éthérés à la seule force juste d'un
vouloir marcher en paix. La vie de K (p.85-86) est... cohénienne... Sirène, Jeanne, jument
libre dans l'espace nouveau... Qui cherche mais par le feu, cette tension qui vise à
l'impossible, ce vouloir libre (voulchevik) ; tous les futuristes sont du côté de la révolution
d'Octobre, la prolétarienne (Y. Mignot).
Ici la belle aube des cygnes rouges
brille avec des ailes nouvelles
Là-bas l'inscription d'un vieux roi
est enfuie sous les sables
La faim des soviets splendides mais Tchevengour (1926-1929) s'édifie pourtant.
ils se hâtent de reteindre la gueule de leur conscience
leur joug qui nous rive
Toi dont la raison coulait
telle une chute grisonnante d'onde
sur la vie pastorale d'une première antiquité
dont en anneaux de jalousie envoûté
un serpent écoutait les nombres
(…)
Je te dis « Tu !»
Tu as scintillé dans l'obscurité

suis revenu à moi


Sramane du Voulchevikstan, le pays des hommes du vouloir-libre
Steppe couverte de stipes
Milliers de morts gémissant sous le voile frais des cendres
nombres sanglotants rapides passent au dessus du pauvre monde

Le grand réveil. Aller voir la nuit avant qu'il ne fasse mer.

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Elle coupe-écrase les légumes du fil-du plat du couteau. Rêve de cette nuit : le tout petit
éléphant noir écrasé sur le foyer brûlant – sans cri – je souhaitais qu'elle l'achève - « In the
village we have to kill dogs » (for a ceremony)...

J'irai en son île la tenter à ce je ne sais quoi que j'ai.

Retour fébrile des Bolovens (quand elle s'ennuie là-bas). J'en suis au cheese-burger...
Simplement déshydraté pensè-je. No. Fever. Malaria ? I didnt care with mosquitoes... Rest
in LP. Still hoping good music in Utopia... LP, Pessoa et la sérénité des lieux connus ;
l'angoisse de la première nuit inconnue, de la première ville, qui ensuite va se donner, en
doux repères, replis de tout. Mais... la maison immobile... perd ses replis avec l'enfance...
cet enfantin du voyageur (childish, child-like).

Pakse Airport : Frère Wang, toge écarlate, lunettes noires de mafiosi. Brother Wang is
coming ! Older Brother smiling, smiling. Big Brother is the boss, in fact. So smiling. More
purple.

Dooley plaignait-admirait les légionnaires et haïssait les moines. Il était en son for intérieur
mission, soldat et guru. Aucune concurrence n'était imaginable. Ni aucune femme.

Il semblait comme figé terre (le Mékong) ce soir-là. Back Home ! A sweet and well
organized way for « tourists » here, as compared to the rough South. Limousines to the
city center – quite – and smily Vilay Vanh GH Vietnamese coach ! As I feel home here –
and so have to leave tomorrow morning – the fool woman from Savannhaket replies me
that she is happy now in her iland. So. Poor lonesome doctor needing someone needing
help. Imodium needed now, post « palu ». La moiteur, la touffeur, la solitude qui égoutte
écrase et vomit ; le voyage qui est certitude. Les tripes qui lâchent, la raison qui gagne. Un
bateau sur la Nam Ou. Ceux de la Nam Youn aussi, même bassin vers le Mékong, étaient
bien déjà sur l'autre ligne de partage (des os). Protéger le delta.

La frimousse décidée de la patronne lao-suédoise. Ses paquets qui inondent deux places du
taxi-brousse. Sa resquille au tiquet sur la pirogue-taxi. Sa tchatche et sa beauté (ça me
vaudra un genou forcé). Le peuple guest-house de l'embarcadère, à qui mains-mains. Deux
ans seulement d'électricité, et demain le TGV (la circulaire sud de Pékin, et la perforante).
Oui, je sais, Pavie passe ici, pour pacifier Phongsaly. Le cheminot des chutes des îles du
Sud, lui, mourut de « dysenterie compliquée ». Ceux de la Nam Youn entendaient-ils
parfois encore les mille chants de la nuit ? Quelque brousse encore en la citadelle
assiégée ? Il fallut reverdir la vallée, arasée. Today Lao and French can be here in perfect
friendship. War is a disease. Only Pakse, 1946. Les saigneurs de la guerre ne se lient pas.
The General will die/dye. Des jeunes éméchés arrivent. La guerre : y être ? L'amour aussi ?

En montagne, il n'y a qu'un glauque sur le fleuve, brumeux en saison des pluies, et deux
copains qui se photographient sur le ponton : la mousson est homosexuelle (hein,

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Dooley!?).

Loperamide & BeerLao : the noise of cicadas is increasing.


Quand revient le goût de l'eau fraîche : diaboliquement bon ! Nam, la grande eau, l'eau
mère (Moi Nam). Moi Nam Kong...

La colonne de secours est bloquée, l'échange aura lieu via le bassin du Mékong ! Glorieux
tous les matins ! Giap chante « le petit vin blanc » au karaoké, moi l'internationale, la
bataille est annulée, non mais ! La mission se poursuit sur la base de secours de LP : les
tongs chinoises taille 44 ont rétréci. Je répète : « les tongs... ». Il n'y a plus d'exemplaires
imprimés du Monde au Ban Vat Sene café... Je trouve enfin mes champignons parfumés au
marché, non loin d'oeufs teints en rose, une mamie me vend ses belles bougies votives, et
café des Bolovens, le tout au prix Falang. Un kmhmu mushroom stew, délicieux, trop vite,
ethnique, j'en avale le petit piment très rouge, qui me purgera définitivement. Milk-shake
tamarin mangue citron, toutes les saveurs du Sud. Gâteau citrouille noix de coco. Vers la
salade de papaye verte et le pad tai. Incredible Asia ! (prononcer |égia|, comme uncle |
Gillorke|) (Eureka). « But-what-is-this-word-|égia|-you-are-always-using », demanderai-je
au bout de mon nième voyage in... Pathétique cette amusie... psychopathologique ?
neurodéveloppementale ?

Nous sommes le reste interactif de cette copie perpétuelle d'information,


transgénérationnelle, qu'est la culture (Eureka)

DBP : cette bagarre d'Empires (Europe contre Chine) qui me perturbe ne me concerne pas.
Je ne suis que dans la sueur, le sang et les larmes de ceux qui périrent d'un côté et firent
périr de l'autre. Votre utopie d'entente est mon avenir. Mais sans doute aussi ne suis-je pas
capable de cette réconciliation des moitiés. Elle : se réfugie dans quelque chose de sa
famille en guerre (half muslim / half orthodox, she said) dans l'artifice de la mer, d'une île,
du soleil toujours, d'un ailleurs quiet and calm, and « normal », she said. So we can't share,
she said, not by egoism, but because I am still in the conflit.

« Il doit y avoir des spectres de bas et de haut niveau. Les personnes possédées par un
esprit de haut niveau seraient tentées par le suicide parce que l'esprit leur montrerait les
beautés de l'au-delà... » (Genyu Sokyu, Au-delà des terres infinies, 2001/2008). Une
explication à tout ce qui est étrange (ou plat, ou triste) ici-bas. Pour une foule de gens donc,
sans la moindre place pour le doute, l'au-delà apparaîtrait comme un système parfaitement
organisé (c'est insuffisant, ça). A voyager le monde, on perd la connaissance de sa structure
parfaite, avec la fatigue ; mais à voyager l'esprit on y remonte alors plus haut (de l'intérêt
d'établir un journal !) La mort, ce passage en la pure vitesse – et donc pure présence – En
quelle bibliothèque ?? (me-suis je trouvé à mon spectre ?)

Coco plus piment, et/ou ce goût des champignons lao parfumés pimentés...

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Bref, les Upanishads ont dérapé sur une peau dorée d'ancienne voyageuse en contrainte, et
sur le guide du routard, pour se transformer en mission tongs-à-bulles-champignons
parfumés. Magie de Savannakhet ! Ce mot seul d'ailleurs, ce son, ce nom sur la carte-
parchemin d'Empire, cette voix d'exil à Paris-Duras-Calcutta-Alcool ! Relire les didascalies
durassiennes. Un coucher de soleil à la coloniale au seul temps qui ne s'arrête pas.

Sur l'écran géant du restaurant-famille des berges du Mékong à LP, sur la proue de la
grande bâtisse d'alors un peu en contrebas peut-être de la salle et de la terrasse, le maître
chinois – ou Khan Mongol – enseigne la patronne, en robe française à rayures bleues et
blanches des années 50/60. Whisky, plat en sauce crême-coco-Mékong, frites, et
profiterolles. La kongaï ado me fait des oeillades de confirmation de sa beauté, tout en
faisant ses devoirs avec sa sœur. L'Empereur protège une femme. Le militaire n'obéit qu'à
demi-accord. Toutes les Guerres et Paix peuvent se projeter sans sous-titres. Vieille Europe
repasse, fatiguée ; je kongaïe.

« Rentrer », après avoir fait le tour du tour ? Dans l'impossible d'oser se poser pour écrire
ce journal ici ! On ne peut dire qu'ailleurs, comme il ne faut jamais lire le livre d'ici sous
peine de ne pas penser ! Graal d'écrire, qui permet de prendre le ticket de retour !

How to find a way of cooperative care ? With its small scale exchanges, while still thinking
global ? How to make empathy still active, as we are away from pain ? Which original way
of no more economical development ? Elle, est attentive aux autres et à elle, mais sans
dieu. Epicurienne et narcissique, locale. Famille non biologique de semblables. « Il faut
aimer Dieu, les autres et soi-même pour être heureux », disait Aimé Duval ; le bonheur
quand ces relations vaudront en émission tant qu'en réception. Savoir être connecté à ce
réseau d'émissions n'est pas égotisme. Ni gnosticisme. Mais action directe, comme celle
que peuvent donner les mots. Surtout quand on traduit, ou plonge dans le poème.

« Va à Ayutthata, old Thai capital, and Sukhotai », she said, as you don't like (my) island.
Better for you. And a chill place. « Better than Angkor in my own opinion ». Le mobilier
de Sukhothai, royaume s'affranchissant de l'empire Khmer, est au musée national de
Bangkok. Puis Sukhothai devient vassal d'Ayutthaya, royaume de Siam. Et les plus jolies
filles, dit-elle. Un million d'habitants aux XVII et XVIIIè siècles. De la défense de sa
citadelle, de sa quête, de son risque, de son visa... mais aussi de dépit de ne plus être
assiégée car je ne viendrai pas. Barrières d'ego des SDF, des voyageurs, des chercheurs.
She escaped from a sure place. I escaped from no place. Exo/endotourism. Nous
cherchions l'endotisme en Exochine. Voyage... (de B. Vian) que je lus en deux jours,
comme en excuse alors, tandis qu'une autre travaillait, 1985.

Comme si n'existaient que des dystopies et leurs sentiments de ruine, pour survivre, post-
exotique ! Dans cette révolution qui a toujours déjà eut lieu, et subvertit tout droit d'auteur.
Un Pessoa post-cataclysmique. Sentir, ne pas penser, un voyage à ne pas penser, à glisser, à
donner l'étape, à flotter.

To the Lady of Savannakhet, with Respect. To all the Free People looking for their own

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basement in the world, in a nice and lovely turtle way. Hope. if. I'll come back in LP, for
sure. By TGV.

FlightFun. Mon bof un jour lointain : « bon, prendre l'avion c'est pas si extraordinaire
quand-même ! » Si.

Visa-runners (« try to fix »??) versus voyageurs pathologiques (« try to go » ??)

On déboula Dooley du chantier du TGV qui survolait-brumes ses montagnes. Quelque


chose de plus en plus flou, de ce là-haut, comme ces frontières qui enfin se délitent,
comme cette langue nouvelle qui étale... pax and love in bejingensis ? For a while...

Folk in Bangkok ! (j'en suis, affamé de frites, à lécher la graisse de phoque dans le ravier).
J'hallucine « Passing through » de Cohen en arrangement Thaï (c'était un folk trad bien
connu précohénien). Petit-déjeuner nappes pas tout à fait blanches à l'Asia Hôtel (blanches,
c'était à l'Indé de Ouaga). On signe tous les traités au petit-déjeuner. Fromage blanc lui
bien frais. Le piment lao passe-explose. Je reviens juste avant 10 heures.

Hubs de métissage, portes du monde : aérogare eurasienne de Moscou, islamoasiate de


Bangkok, etc... Non-lieux des états, épaisseurs vivantes des frontières. Un voyage qui se
boucle en Cabinzero, on the orange road again ! Porté disparu, dead in non-mission, still
floating !

L'Islam est un obscurantisme. Les interdits du monde musulman archaïques, et entravent


toute coopérativité. La langue arabe désagréable, éructante. L'Asie du fleuve d'avant
(bouddhiste) est facile. Souple. Back to nature ! Mais quand on revient d'Asie du Sud-Est,
à l'évidence, non pas biblique, mais géographique, historique, cartographique : le monde
Européano-Moyen-Oriental est un, l'Europe est évidemment en Méditerranée. Des cités,
hydatiques. Des excroissances en mer. Puis d'autres façades, expansives. Quelques sectes
qui s'y donnent d'importance.

Ce vol est plein de vieux rougeauds amorphes de retour de Pataya (au moins n = 3). I
was'nt. Mainly travellers in fact ! Jemedi Yabonmerloh Suraboudabhi. Elles saoûlent même
à la bière mon voisin de droite anxieux en manque. Jeunesse occidentale brisée qui cherche
ses îles, jeunesse musulmane qui veut s'envoler. Jeunesse asiatique ? Déjà dans la voie
marchande. Ou bien gardera ses facettes propres ? Ancêtres, mousson, cette eau qui reste,
même dans les galeries couvertes du métro de Bangkok. Des khlongs qui persistent sous le
béton d'étages. Les ocres d'Air India et de son happy whisky on ice, plutôt que le sableux
terne d'Etihad Airways... On entre l'Asie (maniaco-), on la quitte (dépressif). Exotisme, mal
jaune. Ce qui prend, et quitter ce que l'on aime.

D'un vol l'autre, sans (plus de) but, retour dans cette non-attente et son apparence de
voyage vers, alors qu'il est en.

41
Au deuxième soir et en anglais, elle ose « I am a writer ». A suivre. Je l'attirai dans un
roman, pour sûr, le médecin nomade... ou son image !

Tous ces vols survivent


l'agression du monde
Comme un pleur
De ne pas en être
Mais une main qui se lève
Et saisit le vent
Et sa blessure

Surgira toujours l'Apsara en son image parfaite de peau de lait. Quelque.

Et jeunesse battra froid sa culture, passera presqu'outre, chaque révolution est ce


déchirement-enfin de culture, adolescente. Horde de l'expérience, bijoux grossiers de
famille-femmes, soumission à l'informé. Collectif-coopératif flou mais tendant à la sortie
du système référent.

L'épicanthus est le trait eurasien. Qui passe les religions du livre. « Si proches de nous »,
disaient les coloniaux d'EO, comme les nazis, de l'Inde.

Un foyer, way of live, un Inside ; the South, flowers, eating outside. Maison enfin trouée,
ouverte, le foyer napalme. Villages de repli. Floating markets between villages. Quand on
ne sait pas habiter, tout simplement. On vague ! Le voyage en EO est le même entre-deux
que celui de veille/sommeil, surtout lorsqu'on est muet, surtout lorsque l'on voyage sur la
berge d'un grand fleuve. Je ressens les liens, les litanies, les transports ; mais j'abdique
devant les symptômes égarés, les désirs des seuls, les cris sans foule, les êtres en pièces
sans fleuves. Tous les zaoums, ces langages des interactions plus que des individus, des
possibles plus que des donnés.

Roissy-en Hadj, plein retour en Eurislam, « la personne qui a oublié un Coran dans l'avion
du vol 122FN est priée de se présenter au bureau 124».

Maison de poupée. Isis-les-Bains. Ne pas y rester ? Le voyage, cet extérieur où l'on ne te


regarde pas, bête curieuse ; où tu passes, passant, passeur. Et aucun clan, ni hippie, ni
Russe. Tumeur de la création. « Où repartir ?», demande un touriste (le voyage est une
tumeur angélique). Eh ! L'air léger, clair et goûtu du Touquet ! Et aussi, en mémoire et en
autres prothèses de peau, l'odeur aigre-douce, sueur, moisissures, touffeur tropicale, du sac-
à-dos.

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De tout voyage, même du plus petit,

je reviens comme d'un sommeil rempli de rêves

- dans une torpeur confuse,

les sensations collées les unes aux autres,

- ivre de ce que j'ai vu

(…)

En vérité, à l'aller je me suis perdu en méditations abstraites, regardant sans les voir les paysages

aquatiques que je me réjouissais d'aller contempler, et au retour je me suis perdu dans la fixation de ces

sensations. Je ne serai pas capable de décrire le moindre détail du voyage, le moindre fragment de

visible. J'y ai gagné ces pages, par oubli et par contradiction.

F. Pessoa

Admettons que le mutisme réponde au non-être des sons. Alors le tintement d'une corde
provoque l'être des sons avec un nombre égal ou multiple d'oscillations.

L'être est l'entier des quotients numériques des oscillations (…) Les étoiles sont des
spectres constants créés par le tintement.

V. Khlebnikov

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