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Gouillard Jean. Contemplation et imagerie sacrée dans le christianisme byzantin. In: École pratique des hautes études, Section
des sciences religieuses. Annuaire. Tome 86, 1977-1978. 1977. pp. 29-50.
doi : 10.3406/ephe.1977.15259
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0002_1977_num_90_86_15259
CONTEMPLATION ET IMAGERIE SACRÉE
DANS LE CHRISTIANISME BYZANTIN
(21) A quatre reprises chez Jean Damascêne (PG 94, col. 1260 A-1261 A
et 1360 B), six fois dans le Parisimus gr. 1115, ff. 255 v -261.
(22) De ecclesiastica hierarchia IV, III, I : PG 3, col. 473 C (trad. M. de
Gandillac, p. 283).
(23) D'après le Parisinus Suppl. gr. 689, f. 111.
(24) Cf. R. Roques, L'Univers dionysien, Paris, 1954, p. 204-209.
(25) Cf. E. Diekamp, Analecta Patristica, Rome, 1938, p. 127-130 ; cf. la
récente étude de St. Gêro, « Hypatius of Ephesus on the cuit of images », dans
Christianity, Judaism and other grecoroman Cuits : Studiesfor Morton Smith,
Leiden, 1975, p. 208-216.
34
(26) Cf., malgré la disparate d'Intention, Evagre, Six centuries, éd. cit., p.
145-147 : « La lumière qui brille dans les temples saints est le symbole de la
science spirituelle ».
(27) Cf. mon article « Hypatios d'Ephèse », Revue des études byzantines, 19,
1961, p. 63-75.
(28) Emphase et exploitation de topoi ; cf. Porphyre, ad Marcellam 19 (éd.
Nauck, p. 287) : « Que l'intellect qui est en toi soit le temple de Dieu », et ci-
dessous, n. 75.
(29) Discrètement, Jean Climaque, gr. 28 : PG 88, col. 1137 B ; crûment
Grégoire le Sinaïte, Capitaper acrostichidem, 43 : PG 150, col. 1252 CD,
qui oppose « prêtres de la grâce » et « ceux qui dès ici-bas hiérarchiquement et
trinement ont célébré en perfection la liturgie au sein de la ténèbre de la théolo
gie » ; cf. Ibid., cap. 112, col. 1277 C.
(30) PG 89, col. 344 AC ; cf. ci-dessous, n. 73.
35
(31) Jean l'Hésychaste apud Kyrillos von Skythopolis (cité ci-dessus n. 18),
p. 209; Luc, ci-dessous, n. 71 ; Vie de s. Cyrille, éd. E. Sargologos,
Bruxelles, 1964, p. 109.
(32) On a utilisé ici la restitution du texte original proposée par G.
Thummel, «Neilos von Ankyra», Byz. Zeitschrift, 71, 1978, p. 10-21.
(33) Hom. 15.2 in Jo. (Montfaucon, 8, 86 B). Ceci pour nuancer l'analyse de
J. Lemaitre, art. citén. 6, col. 1859-1860.
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activité imaginative. Mais on n'en est que plus frappé de retrouver chez
nos « imaginatifs » les déclarations de principes d'Evagre et son langag
e. Leurs porte-parole ressassent ses mises en garde contre toute forme
d'apparition, tout au moins dans l'état de veille, alors même que leur
biographie les dément. Ils font certainement leur la description de l'an-
chorèse de Grégoire de Nazianze, lui-même un « imaginatif » : « obturer
ses sens, faire retour à soi, vivre au-dessus du visible, porter en soi
sans mélange de traits terrestres les manifestations divines tel un miroir
sans tache »34. A tout propos, les spirituels les moins noétiques
prétendront « s'unir intelligiblement aux intelligibles », égaler les anges
(isaggéloi)*5 . Ce jargon ne doit pas tromper, il n'est que l'alibi incons
cientde contemplatifs réconciliés avec l'imagination dans la réalité de
leur quotidien. Suivant un heureux raccourci de I. Hausherr, « l'imagi
nation retrouve tous ses droits sauf un, celui de n'être nommée autre
ment que pour s'entendre condamner w36 . L'iconoclase viscérale des
intellectualistes n'est plus qu'une iconoclase verbale et qui prête le flanc
aux assauts de l'iconographie, encore que les textes tardent à en fournir
la preuve.
Curieusement, les grands florilèges des vm« -ix( siècles, compilés pour
fonder les titres de l'image sacrée, c'est-à-dire avant tout les recueils de
Jean Damascène et du Parisinus graecus 1115, par ailleurs peu regar
dants, n'enregistrent pas un seul témoignage de contemplatif es quali
tés.Tout au plus y accueille-t-on des anecdotes hagiographiques dans
lesquelles est dévolue à l'image une fonction utilitaire : conversion,
guérison, sauvegarde d'un voyageur, etc. Les rares anachorètes du Pré
Spirituel qui possèdent une icône37 n'en attendent pas un appoint pour
leur contemplation. Un Jean Climaque, qui avait à portée de sa solitude
les mosaïques et les icônes de l'église du Sinaï, ne souffle mot de leur
contribution possible à l'oraison. Cette discrétion veut néanmoins être
traitée avec prudence. D'une part, les florilèges retiennent de préféren
ce, et naturellement, les autorités de magistère (évêques et synodes) et
l'usage de la piété, c'est-à-dire la « tradition ». D'autre part, les manuels
de sainteté des écrivains spirituels concernent la discipline personnelle.
Sans nier la nécessité de la grâce, sacramentelle notamment, ils se
proposent essentiellement d'éduquer la liberté de l'ascète aux prises
avec lui-même, à définir la part de son initiative dans l'œuvre intérieure.
II s'agit d'une loi pour ainsi dire de genre littéraire, comme on peut s'en
rendre compte en parcourant la Philocalie, le recueil le plus complet de
textes de cet ordre.
Ainsi, au terme de cette première étape, peut-on constater que la
contemplation, dans ses principes, effectifs (Evagre) ou purement affi
rmés (contemplation figurative de fait), n'appelle pas l'image et même la
décourage. Dans le premier cas, elle aurait dû dresser devant elle un
obstacle, dans le second elle ne pouvait que se montrer accueillante.
II
(38) Sur ce point, E. Kitzinger, « The cuit of images in the âge before
iconoclasm », Dumbarton Oaks Papers, 8, 1954, 83-150.
(39) Parva catechesis, éd. E. Auvray, Paris, 1891, p. 140 (cat. 38). Les
défections, assez nombreuses, de conventuels ne nous concernent pas. Nous ne
retenons (et de même pour les martyrs iconodoules) que les isolés, présumés
contemplatifs du fait de leur genre de vie.
38
III
(62) Antirrh. III, 35, col. 428 C-433, ne recense pas moins de dix titres de
supériorité du crucifix.
(63) Jean Damascene, De imaginibus 1, 19 : PG 94, col. 1249 D.
(64) Nous corrigeons prosomoiounta (« se mettant à la ressemblance ») en
prosomilounta (« conversant ») exigé par la construction et l'usage bien attesté
de l'expression.
(65) Vie de Christodoulos par Jean de Rhodes, citée par Era L. Branouses,
Le dossier hagiographique de s. Christodoulos (en grec), Athènes, 1966, p. 129-
130.
42
(75) Michel Psellos, Chronographie, III 15, éd. Renauld, I, Paris, 1926,
p. 42.
(76) Sur cette affaire, cf. J. Meyendorff, Introduction à l'étude de Grégoire
Palamas, Paris, 1959, p. 56 ss. et, plus récemment, Hans- Veit Beyer,
Nikephoros Gregoras Antirrhetica I, Wien 1976, p. 104-108 (introd.) et pp.
130, 144, 294 (texte). Les anathèmes afférents du Bucarestensis slav., 307, f.
15V-16, sont malheureusement inédits.
(77) Voir notre édition commentée de « Quatre procès de mystiques à
Byzance», Rev. des études byzantines, 36, 1978, p. 19-39.
(78) J. Meyendorff, op. cit., p. 55 ss., et Beyer, op. cit., p. 297-341
(passim).
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loin. Sans aller jusque-là, mais en s'appuyant sur des indices positifs, J.
Meyendorff a proposé une interprétation plus bénigne : « II semble
notamment que les hésychastes ... avaient adopté une attitude réservée
à l'égard de certaines formes contemporaines de la vénération des
images »79 . Ainsi peut-on, tout au moins, estimer que nos hésychastes
ne se distinguent pas par leur ferveur envers les icônes et que leur
conception de la vie contemplative n'y était pas étrangère.
Une telle conduite serait dans la logique des spirituels contemporains
tels que Grégoire le Sinaïte (+ 1346), le théologien d'un néo-
hésychasme abrupt, humanisé par Grégoire Palamas, et les moines
Calliste et Ignace du couvent des Xanthopouloi, plus sensibles aux
applications pratiques du système.
VAcrostiche du Sinaïte colle à Evagre comme un pastiche. En voici
quelques échantillons. « L'intellect, une fois que purifié il a fait retour à
sa dignité originelle, a le regard fixé sur Dieu, et c'est de lui qu'il reçoit
les concepts divins ». A ce degré, « nous nous connaissons tels que Dieu
nous fit », à savoir comme son image. La « mémoire déchirée par la
chute, précipitée dans la composition » recouvre sa « simplicité et son
unicité » natives. Dans l'exercice concomitant de la prière pure, « l'intel
lect est vu et se voit sans forme (anéidéos) ... il est redevenu immatériel
et rayonnant de lumière »80 . Il est le ministre d'une liturgie supérieure à
toutes les liturgies d'ici-bas81 .
La Centurie des Xanthopouloi (2e moitié du xive s.)82 , destinée à un
public plus vaste, est plus édifiante encore. L'Evagre « maudit de Dieu »
d'un Jean Climaque - en l'occurrence, débiteur ingrat - est ici promu
« le divin Evagre »" . Son procès de l'imagination prend des
proportions rarement atteintes. La phantasia est une fonction caduque
de l'âme, limitée à la condition terrestre84 . Et encore, cela ne vaut-il
qu'à terme pour les spirituels. Avouable {euprepès), on la tolérera chez
les commençants, dont c'est la seule ressource pour se débarrasser
d'une imagination malsaine (aprepès)*5. C'est qu'elle n'a place ni
II n'y a pas non plus à faire état des apparitions lumineuses, évidem
ment sensibles, de personnages (Christ, saints, anges) ou d'objets dont
l'hagiographie crédite ses héros. Si elles n'étaient des « miracles », et
donc laissées à la responsabilité divine, elles contreviendraient aux
mises en garde répétées des maîtres spirituels contre toute espèce de
vision « formée ». Interventions divines, parfois très sophistiquées" ,
ordonnées à des fins pratiques (emplacement désigné d'une église,
signalisation en faveur d'un voyageur égaré, révélation du sort d'une
âme, etc.), elles n'ont rien de commun avec l'appréhension directe et
désintéressée du divin poursuivie par le contemplatif comme tel. Elles
relèvent de l'image, dont on sait qu'elles se recommandent à l'occasion.
La lumière qui éblouit et imbibe, à certains moments privilégiés, le
Nouveau Théologien et bien d'autres saints selon les néo-hésychastes,
qui l'identifieront à la lumière de la Transfiguration du Christioo, est
elle aussi physiquement saisie. Les confidences de Syméon ne laissent
aucun doute à ce sujet. Elle obscurcit l'éclat de sa lampeioi ;
« redoutable merveille, que je vois doublement de mes deux yeux, ceux
du corps et ceux de PâmeiO2. Ce nonobstant, elle n'a proprement ni
forme ni visage »103 ; son apparent volume n'est que celui du champ de
son rayonnement, son corps ou sa cellule. Sauf une vision du Christ,
d'ailleurs en gloire et au sein de la Trinité^ f la lumière n'est jamais
anthropomorphe. S'il arrive à Syméon de voir feu son maître spirituel
dans la béatitude, celui-ci se situe en marge de la lumière divine10* .
Tout au plus la lumière épouse-t-elle des formes symboliques et
mouvantes, donc non nécessaires, soleil ou étoile, main ou sein, etc.106 .
C'est toujours Dieu lui-même qui est perçu immédiatement dans le
mystère de sa gloire. On ne saurait s'éloigner plus de la représentation
ressemblante ou de son doublet, l'apparition.
Expérience exceptionnelle et intermittente de fait, la vision de lumiè
re
est proclamée naturelle au «christianisme», dans la signification
(99) Ainsi la lumière à trois visages de la Vie de Jean le Psichaïte, éd. P. Van
den Ven, § 5, p. 111-112.
(100) «Tome hagioritique » : PG 150, col. 1232 C, 1233 C.
(101) Hymnes XXV, 15 (éd. J. Koder, II, p. 256).
(102) Ibld. 60 (p. 258).
(103) Ibid. L, 42 (III, p. 160).
(104) Ibid. XI, 36-39 (I, p. 234).
(105) Catéchèses XXII (éd. Krivochéine, II, p. 372).
(106) Hymnes L, passim (III, p. 158-166) ; « forme sans forme » {ibid., p.
160, 1, 42), c'est assez dire la contingence de telles « matérialisations ».
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doules, stimulés par une conjoncture de salut public, ont présenté des
images une théologie rhétorique ou outrancière que n'a d'ailleurs
jamais entérinée à la lettre la pratique liturgique officielle10? . Les
contemplatifs, eux, emportés par leur expérience singulière, et plus
souvent encore par une routine d'épigones, peuvent ériger l'idéal en
devoir et nécessité, leur conduite de pères spirituels révèle en eux des
hommes du possible et du quotidien. Aussi bien leurs « accès » contemp
latifs même sont-ils jalonnés de récréations discursives : méditation
avec son inévitable « composition de lieu », prière vocale et lecture.
L'aspiration à l'aniconisme peut être dans la logique des analyses, elle
n'est vraiment assouvie que chez quelques « hyperhésychastes » dont on
ne sait pas s'ils ont toujours une existence autre que littéraire. Les
autres, assez nombreux, sans doute, aux meilleurs jours de l'hésychas-
me, la cultivent par intermittences, plus ou moins prolongées, dans leur
solitude. Le grand nombre de ceux qui resteront des apprentis contemp
latifsse tiennent quittes en en faisant profession dans des formules où
les tiennent prisonniers des lectures ou des leçons invariablement ressas
sées.
Jean GOUILLARD.