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Síntese da história do campo literário francês do século XVII ao início do século XX, centrada nas representações forjadas pelos escritores a propósito de seu métier.
Síntese da história do campo literário francês do século XVII ao início do século XX, centrada nas representações forjadas pelos escritores a propósito de seu métier.
Síntese da história do campo literário francês do século XVII ao início do século XX, centrada nas representações forjadas pelos escritores a propósito de seu métier.
JEAN M. GOULEMOT et DANIEL OSTER
A GENS DE LETTRES,
ECRIVAINS ET BOHEMES
Limaginaire littéraire
1630-1900
MinerveINTRODUCTION
Ceci n’est pas une histoire des écrivains et moins encore des
intellectuels, ni méme, bien sGr, une histoire litéraire. Le serait-
elle qu'elle demeurerait incomplate et bien éloignée de ce que
Yon en attend ordinairement. Peu de chronologie, nombre de
noms manquant a I'appel, un panorama arbitraire et riche
d'absences. Ceci n’est pas non plus une histoire du livre ni méme
un état des lieux pour tenter de comprendre comment se produi-
sent les ceuvres littéraires. On pourrait multiplier les dénégations
et peu a peu réduire Vimportance du propos tenu jusqu’a lui
dénier le droit d’étre. L'excés de modestie serait ici aussi faux que
affirmation sire de soi. Entre toutes les réflexions qui actuelle-
ment se ménent sur l'histoire du champ culturel, la naissance de
Yécrivain et de la litérature, l'histoire du livre et de la lecture, cet
essai a sa place propre. Et c'est elle qu'il faut tenter d'indiquer.
En premier lieu il privilégie deux époques : le XVIII¢ siécle
et la deuxiéme moitié du XIX¢, posés comme deux moments fon-
damentaux de l'archéologie du discours de la modernité litéraire
et intellectuelle. Il se propose ensuite de mettre en rapport des
travaux qui trop souvent s'ignorent et d’en saisir le point de
convergence, en montrant, par exemple, comment la montée de
Vimprimé a partir de 1700 modifie non seulement les formes de la
lecture, mais aussi la pratique de I’écriture, et, par suite, la
conscience que l’écrivain et ’écrivant ont de leur rdle. Une tenta-
tive est ainsi amorcée de mettre en valeur des articulations
jusqu’ici ignorées : du statut des écrivains, des procédures de légi-
timation, institutionnelles ou non, des ccuvres, avec limage que
7le public en retire et avec celles que les écrivains, selon leur
situation dans le champ culturel, reconnaissent. Il s'agit de faire
coincider les diverses réalités qui voisinent avec les imaginaires
véhiculés, les déclarations des uns et des autres, de retrouver, en
un mot, une unité en les confondant et de donner un sens a ces
systémes apparemment éclatés et contradictoires.
En ce qui conceme le XVIII¢ siécle on a tenté de mesurer
continuités, nostalgies et ruptures d’avec le siécle de Louis XIV,
qui a marqué la - naissance de l’écrivain ». Continuité dans les
procédures de légitimation de V’écriture, dans le systéme acadé-
mique qui s'tend a travers les académies de province, accentua-
tion du controle sur les écrivains, la production et la diffusion de
leurs ceuvres. Mais aussi rupture dans les pratiques littéraires, les
images que l’écrivain se fait de lui-méme, de ses fonctions et des
pouvoirs de Pécriture en se posant comme philosophe. Un
monde nait, qui deviendra plus tard celui des intellectuels, dans
Jeque! au philosophe de type nouveau sont reconnus une univer-
sell leoenp tence oie droit illimité d'intervention dans les
la cité. L’écrivain se veut juge, gui
sume e Gone earn Ieee seul capable
menacé comme Socrate lui-
gston appelle éclairés, et qui
1 ge publique, il vit
Scsietineoe les déchirements tout ausit bien ae
prcjuges science aveugle. Quand il écrit, il se croit éloigné des
Carnes at Commun, instalé dans une extérionté pbilosopbigue
Bien cdr we Petsonnage de Tingénu ou du huron. Innocere
Or trompeuse : le philosophe écrivain sait jouer des armesdifférences de génération, les oppositions de points de vue, les
" antagonismes plus radicaux encore sont bien réels pour qui tente
"de prendre en charge la continuité du siécle et la complexité des
- iindividualités. Sans pour autant tomber dans I’'anecdote. Avec
Rousseau se fait jour une légitimation de l’écriture qui ne tient
€videmment pas a son seul caractére ni méme l'exclusion dont
- illest la victime. Fonder la vérité de ce que l'on dit sur sa vocation
malheureuse, sa marginalité, son ego ou la rigueur morale de sa
- vie, voila qui représente l'archéologie d'un discours actuel sur
Pécriture.
Un examen attentif de l'état de la république des lettres au
XVII sidcle, éloigné de toute idée a priori et de la vision tradi-
tionnelle des Lumiéres, montre l'importance des affrontements et
des luttes intestines. Non pas seulement entre les philosophes et
leurs adversaires, ni méme entre Rousseau et ses anciens amis,
mais entre les écrivains nantis et les pauvres héres qui hantent les
cabarets et vivent d’expédients dont la pornographic, le courtage,
le pamphlet ordurier contre le couple royal ne sont pas les
moindres. Ce n'est point encore la bohéme au sens moderne du
terme ; le milieu social, les pratiques qui lui sont propres, les
valeurs qui s'y attachent ne sont pas celles qu’imposera le XIX
siécle. Il y a IA pourtant l'apparition de clivages spécifiques que le
développement du monde littéraire, de la presse et l’émergence
de nouveaux publics confirmeront. .
Avec le XIX€ siécle se déploie l'extraordinaire témoignage,
toujours lucide et souvent implacable, de !homme de lettres sur
lui-méme. Quelques' titres lui sont consacrées au XVIII¢ siécle,
une bibliothéque entigre au XIX®. L’homme de lettres s'est doré-
navant fait ethnologue pour saisir et exhiber sa différence. Son
discours s’adresse désormais a lui-méme, a ses pairs, au lecteur
enfin, qu’on le juge bourgeois ou qu’on le veuille peuple.
Une telle profusion a valeur de symptéme. Elle temoigne
dentrée d'une perte, vraie ou illusoire, de repéres. La nostalgie
d'un ordre littéraire, d'une dignité perdue des hommes de lettres
sert ici de toile de fond. L’écrivain du XIX siécle ne cesse de se
plaindre amérement — qu'il en vive ou qu'il en piatisse - du des-
potisme journalistique et de la littérature industrielle. Rien ne va
2plus : la littérature est avilie par le commerce, soumise aux lois du
marché, au trongonnage du feuilleton et de la périodicité du jour-
nal, Tout n’est pourtant pas perdu, et quelques esprits s’en remet-
tent a cette culture que Venseignement républicain fiche a la
pointe du sabre des hussards de la République.
Lessentiel, c'est de dire sa différence : pour le boheme
davec artiste arrivé et d’avec le bourgeois, pour l’écrivain en
place d'avec le bohéme et le bourgeois, selon les mécanismes pas
toujours simples de la distinction, pour le bourgeois enfin de se
rincer Vimaginaire 4 peu de frais. La misére, les lieux interdits du
Paris bohéme, les filles faciles, 'hOpital, ’écriture comme assomp-
tion, a admirer les pieds au chaud dans les pantoufles. Se sentant
rarement coupable, souvent fier de lui et se voulant exemplaire
du Golgotha de la littérature, le bohéme ne cesse de se prendre
pour l’objet et le sujet de son ceuvre. Et le voila qui s'exhibe
comme face cachée du verbe et servant d’un rituel mansardier et
déambulatoire qui est comme la preuve de l'authenticité de son
écriture, en méme temps qu'il réclame la reconnaissance des insti-
tutions littéraires. La situation est paradoxale : le malheur, la phti-
sie, la vérole, stigmates de l'art, a condition bien sir quis s'écri-
vent, sont montrés comme autant de mérites a la reconnaissance
publique.
Si le XIX€ siécle est taxinomiste 4 outrance, on aurait pour-
tant tort de le prendre au pied de la lettre et du classement, tant il
est vrai aussi que cette bohéme fascinante et dénigrée croise sans
cesse dans ses déambulations diurnes et nocturnes la littérature
reconnue. Plus on s’en écarte, plus elle se différencie et plus elle
semble la part commune. A preuve les Goncourt qui, dans leur
Journal, marquent en méme temps leur refus en s’en prenant - a
ces démoralisateurs +, et se complaisent a raconter leurs ren-
contres avec la bohéme au café, au claque, dans les antichambres
des éditeurs, belle preuve d'une communauté bien réelle de la
bouteille, du livre et du lit.
Comme au XVIII¢ siécle, la boh@me du Second Empire se
prend au sérieux. Elle se veut, dans la majorité des cas, plus
papiste que les écrivains en place, plus litéraire et académique
que nature. Chez elle pas le moindre désir de révolution ou de
10ordre, fat-il artistique. On est loin de Hugo et d'une
plus apparente que réelle, des hommes des Lumiéres. Il
de lentes évolutions, de patients déplacements pour que
in fasse croire 4 opinion, méme s'il appartient aux institu-
littéraires les plus conservatrices, qu'il est dangereux, « irré-
frondeur, esprit libre, passionné, émigré social ». Datons de
vVallés cet étonnant retournement de la bohéme littéraire.
D’oa des images, imprécises comme une photo tremblée, des
des hommes de lettres. A premigre vue un puzzle contra-
dictoire. La paresse de celui qui chasse des chiméres et baye aux
corneilles y voisine avec une autre image de l'artiste au travail,
"plein de sérieux et d’abnégation, sorte de Prométhée en lutte
contre le temps. opposition ici est en fait une complémentarité
car limagerie de "homme de lettres joue sur tous les tableaux. En
méme temps qu'elle prétend refuser I'anecdote, le futile du parti-
culier pour s'en remettre 4 l'ceuvre, et 4 elle seule, elle s'enlise
dans lexhibition de l'intime des écrivains, dont la presse se fait
Vinterpréte. De la vie a la mort. Les journaux sont remplis des
mille détails inutiles qui font une vie et dont on finit par faire croi-
re quills font aussi une ceuvre. Avec une prédilection pour les
nécrologies. Les chroniqueurs ont la passion des enterrements des
chers confréres. On fait le compte des présents : quelques amis,
un chien mouillé et voila pour le poéte maudit, l'absence ici insi-
nue Texcellence, la radicale modernité incomprise. A lopposé, la
foule, une ville, un peuple en deuil comme pour Victor Hugo, et
est la preuve de l'absolu de la gloire. Dans le cérémonial de la
mort, l'intime se fait public et le public intime (il a nom Iindi-
cible), en un bel exemple de réconciliation imaginaire.
Dans cet essai qui embrasse des siécles d’imagerie littéraire,
on aura reconnu des idées recues mises 2 mal et des discours mis
au goat du jour, devenus nos contemporains. Car ce qui
aujourd’hui constitue l'image de l’écrivain comme un rebelle, un.
opposant par nature, un marginal par obligation et écriture, vient
de loin. On s’en doutait peut-étre. On en trouvera les preuves.
Sans qu’il faille oublier sur ces discours anciens le travail de V'his-
toire. La volonté archéologique, ici manifeste, est aussi une volon-
cueté de mieux saisir, au-dela des apparences, la réalité du présent.
Ce qui montre qu’on peut en prenant les détours du passé,
proche ou lointain, tenter de comprendre ce que nous appelons
avec beaucoup de révérence, comme si elle datait seulement
hier, la modernité?.
1. Il s'agit d'un essai bien évidemment incomplet. On pourra nous faire
reproche davoir tenu pour peu la Révolution. Dans le domaine qui est ic le
notre, panthéonisation, r6le déterminant attribué aux idées, elle a apporté
des confirmations évidentes ; pour le reste elle a marqué des regressions tout
aussi évidentes : retour a loralité, intervention journalistique moins
+ littéraire «.. Sur tous ces on verra, sous la direction de Jean-Claude
Bonnet, La Carmagnole des Muses : 'bomme de lettres et l'artiste dans la
Révolution, A. Colin, 1989, et l'Ecrivain devant la Révolution (1780-1800),
textes réunis par Jean Sgard, université de Grenoble, 1990,
Si un lecteur songeait a nous en faire grief, nous revendiquons T'intérét
tout particulier que nous portons aux minores des XVIII et XIX° siécles.
Mais aussi notre plaisir 4 lire, citer et commenter Denis Diderot et le Journal
des Goncourt.
12IL
NAISSANCE DE L’ECRIVAIN
Le classicisme, si cette esthétique existe vraiment, ailleurs
que dans les manuels scolaires et notre mémoire classificatrice
des faits culturels, s'installe en triomphateur, 2 en croire nos
découpages, a partir des années 1660. Oublions les différences
Age, de statut méme. Corneille est l'ainé et Boileau écrit l'Art
postique bien apres la bataille. S'il y a eu classicisme ce fut, avant
détre un corps de doctrine, une pratique d’écriture commune et
une idéologie partagée du métier d’écrivain. Qu’on évite de céder
aux illusions apparentes : la distraction de La Fontaine, son govt
pour un genre jugé mineur (ce qui ne 'empéche pas d’avoir écrit
une imitation d’Ovide dans Adonis, dédié 4 Fouquet, une élégie,
Elégie aux nymphes de Vaux [1661], une tragédie lyrique, Astrée
[1682)...) ne prouvent en rien sa rupture d’avec un ordre qui
siimpose a tous. On aurait bien du mal, par ailleurs, a trouver une
école qui regrouperait les quatre grands : Moliére, Boileau, Racine
et La Fontaine, a 'avénement de Louis XIV.
Sill y a une communauté de perspectives, elle demeure suffi-
samment vague pour que chacun I'interpréte 4 sa fagon. Une
méme finalité est donnée a la littérature : instruire en amusant ; il
existe un recours obligé a la raison et une méme volonté de
peindre la nature humaine. C'est beaucoup et c’est peu. Une ana-
lyse en profondeur de ce qu'il faut entendre par bienséance, par
vraisemblance, montre des différences et un accord sur un mini-
mum fort réduit. Et pourtant toutes les ceuvres, gageons que cela
ne tient pas 4 la seule mise en perspective obligée, au recul, a la
mythification de la mise au tombeau, ont un air de famille, parce
30.quielles participent, comme on I’a dit, d'une « ordonnance réflé-
chie », et quill leur a bien fallu, bon gré mal gré, se plier aux
théoriciens, a ce public et 2 cet ordre nouveaux qu’impose le
régne de Louis XIV.
Et pourtant, répétons-le aprés Sartre, c'est au XIX sicle que
Ja linérature — poésie, fictions romanesques ou théatrales - a pris
une place prééminente dans le champ culturel. Jamais un écrivain
nfavait auparavant connu — méme Voltaire, pourtant « maitre a
penser de l'Europe - ~ le degré de célébrité qu’atteint Victor
Hugo. Lors de ses funérailles, la France entire se recucillit, et il
n'y eut pas de voix discordante dans le concert unanime et récon-
cilié d’éloges et de regrets. Mais on ne peut comprendre ce statut
conquis, cette image acceptée, épousée méme, si, comme le
remarque Alain Viala, on n’admet pas aussi que, dés le XVIIe
siécle, ont pris forme « les bases sociales et mentales nécessaires,
et que des cette époque le domaine litéraire a eommencé a se
distinguer au sein du champ culturel! «, devenu lui aussi dans son
ensemble autonome. Rappelons-le, la formule mal comprise dat-
elle choquer, la littérature au sens od nous lentendons, l’écrivain
au sens oi il se pense et oi I'imaginaire public le constitue, ont
Pris naissance a l'époque classique. Nous devons a Louis XIV et
son temps un peu plus que des victoires et des défaites, des ors
et des marbres, des parcs et des chateaux.
Dientrée une remarque générale. C'est au XVII siécle que Ia
culture ~ et par suite la litérature — sont devenues affaires d’Etat,
Cest-a-dire domaine presque réservé de 'Etat monarchique. Et
constatons d’abord la mise en place du réseau académique déja
€voqué, son acceptation admirative assez rapidement par l'opi-
nion qui, cessant vite d’en rire, eut hate de s'y intégrer : beaux
esprits, notables provinciaux, érudits locaux, poétes débutants
voulurent y trouver place. L’admission académique parisienne
bien sir, mais aussi provinciale, apparaissant comme la preuve
tangible de l'appartenance au monde savant : monde des lettrés
ou des littérateurs. Daniel Roche? a montré comment le mouve-
1. Alain Viala, op. cit, p. 7. ‘ : ‘i
2. Daniel Roche, Le Siecle des Lumiéres en province : académies et acadé-
iciens provinciauix, EHESS, La Haye-Paris, Mouton, 1978.
31ment académique s’officialise (il y eut jusqu’a 70 académies pri-
vées qui, pour la plupart, passérent sous controle de l'ftat), par
son extension en province grace aux lettres patentes obtenues du
roi mais aussi par un alignement général sur le modéle acadé-
mique parisien. Le fait centralisateur, ici subtilement organisé en
jeux de miroir, est patent. Ce sont dailleurs, le plus souvent, les
académiciens parisiens qui fondent ou animent les académies de
province a la fagon d'officiers royaux de la culture : Pellisson est
un bel exemple d’activisme académique puisqu’il est présent a
Paris, bien sir, mais aussi 4 Castres, 4 Toulouse, a Soissons, tandis
que Segrais est actif 4 Caen, et Ménage a Angers.
Un deuxiéme trait est 4 souligner : la spécificité enfin recon-
nue et proclamée du littéraire, défini comme une activité propre
et autonome dans ce mouvement d’extension académique. Si les
lettrés — entendons ceux qui s'intéressent a la culture tout autant
scientifique que philosophique ou littéraire — sont le plus souvent
a lorigine des créations académiques, si leur présence est effecti-
‘vement primordiale dans la plupart des créations académiques, si
leur tendance domine les cercles pré-académiques ou les pre-
miéres académies elles-mémes et se montre assez forte pour que
les premiéres réunions embrassent l'ensemble des activités du
savoir, le mouvement tend peu a peu a la spécialisation. Il existe
donc assez t6t des cercles strictement littéraires d'une part, et de
Vautre des cercles de lettrés, od l'on débat aussi bien de l'histoire
que des sciences ou de la philosophie. Aussi, I'Académie frangai-
se est trés largement dominée par les littérateurs et tente d'impo-
ser son hégémonie a toutes les autres réunions savantes. En vain :
les mathématiciens se réunissent autour du pére Mersenne et for-
ment le noyau fondateur de l'Académie des sciences. Méme
volonté de séparation et d’autonomie chez les peintres qui, instal-
lés dans Académie de saint Luc, boudent l’Académie royale.
En régle générale, 4 partir de 1650, la tradition d’humanisme
‘entre dans Pre de la spéciali-
‘ont constitué leur domaine
nt le contréle d'une langue
Jes utilisateurs, les gardiens et les
bien dire, en leur offrant des lieuxociabilité, d’échange intellectuel, une reconnaissance sociale
que légitiment le rite académique et le pouvoir politique
s son réle de mécéne protecteur. Alain Viala a raison de souli-
er que dans le clientélisme, le service est premier alors que
le mécénat, c'est l'art qui commande. Le mécénat privé et
i le mécénat d’Etat qui s'instaure modifient non seulement
statut du littérateur, mais aussi l'imaginaire de sa fonction et de
position sociale. La dédicace a tel ou tel grand de ce monde,
devient une pratique courante, instaure une logique de la
ssance réciproque. Elle produit une légitimation double :
esprit du dédicataire, au-dela de sa richesse et de son pou-
politique, de l’écrivain, en deca ou au-dela de l'esprit, a qui
donne en retour un statut social. Sans insister ici sur le méca-
sme qui occulte le rapport d’argent soustendant la pratique
icataire, retenons que la gratification accordée par le grand est
invitation générale 4 considérer le travail littéraire avec atten-
on et admiration méme.
Ce qui ne veut pas dire que le clientélisme ne continue pas a
sxister avec son cortége d’humiliations, de contraintes, de travaux
circonstance et de platitudes, mais avec ses avantages bien
: Taccés a la bibliothéque du + patron + quand elle existe
a celles de Mazarin ou de Colbert), le travail souvent
ger et un revenu régulier. Le clientélisme assure, somme toute,
relative tranquillité, méme s'il faut parfois servir les intéréts
ondains de son maitre la plume a la main : Naudé, Bertaut par-
activement a la rédaction de mazarinades ; Pellisson et
Fontaine défendirent Fouquet. II fallait faire preuve souvent de
eaucoup de souplesse pour éviter la disgrace ou la chute, et de
mal de duplicité pour ménager un éventuel retournement de
tion, surtout en une période aussi troublée que les années
1640 et 1650. Les ronds de jambe du courtisan deviennent chez le
r souplesse d’échine et prudences d’écriture.
On pourrait trouver trace de toute une littérature qui explici-
et exalte la relation d’échange instaurée par le mécénat. Car les
‘exploits du mécéne — ainsi s’en est-il convaincu — ne sont rien
sans l'éloge. Et cest la un fait essentiel dans le débat du sabre et
- de la plume of elle a réussi a imposer sa présence comme ampli-
33opinion + qu'il cherche a fasciner, un relief nouveau, une légiti-
mation nouvelle.
On a pu dans ce domaine avancer une hypothese liturgique.
Par la littérature — comme moyen d’atteindre a la beauté, a la
nature humaine, jugées ailleurs incertaines et imprécises -, le
pouvoir détourne en la laicisant une des fonctions de l’Eglise. En
sacralisant, en ritualisant la litérature, il se donne la maitrise du
temps, I’'accés médiatisé a l’invisible : ici la beauté. C’est dire com-
bien la littérature a gagné de cette prise en charge par la poli-
tique. On serait méme tenté d’écrire qu'il fallait que l'Etat absolu-
tiste existat pour qu’advint la littérature. Non la pratique spéci-
fique de lécriture, soumise 4 des normes propres, mais ce systé-
me de légitimation et de promotion dont elle tire sa valeur recon-
nue.
Il restait aux auteurs, la littérature ayant affirmé sa spécificité
et son prestige, 4 obtenir la reconnaissance de leurs droits.
Mouvement double : ils prennent possession de leur ceuvre par
leur nom et revendiquent le droit de jouir des profits qui décou-
lent de sa vente. On connait la longue histoire du partage entre
les droits de léditeur — alors libraire-imprimeur - et ceux de
Yauteur, Tout au long du XVII¢ et du XVIII¢ siécle, diverses
affaires le prouvent ~ on se battra, guerre de tranchées, bastions
de résistance, lentes progressions en terrain découvert, pour obte-
nir la reconnaissance et le respect de la paternité littéraire. La
lutte est menée contre les faussaires et les plagiaires au nom du
droit de cette paternité. Texte d’un auteur, texte 4 un auteur
comme I’on a dit. La revendication des écrivains vise a établir un
lien de nécessité d’un constat a l'autre. Non sans mal. Les
libraires-éditeurs achetaient un manuscrit pour une somme forfai-
taire et le modifiaient selon ce qu’ils imaginaient étre l’attente du
"public. Le privilége d'imprimer et de vendre protégeait les droits
de V’éditeur contre ses confréres peu scrupuleux, mais pouvait-on
en dire autant des droits de l'auteur, totalement ignorés par cette
pratique ? Le pouvoir dailleurs favorisait les libraires-imprimeurs
contre les littérateurs. Les droits d’auteurs, s'ils commencent a
exister, représentent un fait minoritaire. Il y a méme nombre
dautcurs qui nc touchent rien de la publication de leurs ouvrages
35(es amateurs fortunés ou les débutants). Les autres se divisent en
besogneux, véritablement tacherons, dont le succés et Jes revenus
sont faibles; en auteurs a succés moyen (300 2 1 000 livres pour
une ceuvre ; ainsi Racine, auteur débutant, obtient-il 348 livres
pour La Thébaide), et enfin les auteurs a grand succés : Corneille
touche 2 000 livres pour Aftila, 2 000 livres pour Tite et Bérénice,
Chapelain obtient 3 000 livres pour La Pucelle.
Sous la dignité acquise, inscrite dans l'institution, que de dis-
parités ! Le thédtre est ainsi mieux rémunéré que le roman, et le
roman que la poésie. Le forfait est, selon le succés de l'ceuvre,
juste ou injuste, et cela sans possibilité de recours. Pour qu'on
puisse mesurer ce que ces chiffres signifient réellement, indi-
quons que les trimardeurs de l'écriture ont des revenus égaux a
ceux des cochers ou des laquais, les auteurs 4 succés moyen les
mémes rentrées que lartisanat de luxe, et les auteurs a grand suc
cés des émoluments semblables 4 ceux des précepteurs, des
secrétaires et des huissiers. On comprendra 4 la lecture de telles
équivalences limportance des biens symboliques.
Tout au long du XVII¢ siécle donc, le marché de la littérature
— de sa valeur marchande comme de ses valeurs symboliques —
ne cesse de s’élargir. Le champ littéraire se structure. A travers les
recueils collectifs, les périodiques on se fait connaitre et on
siinforme de la production. En 1611 le libraire J. Richer crée le
premier périodique, Le Mercure frangoys ; en 1631 Théophraste
Renaudot fonde la Gazette ; en 1655 Loret publie La Muse histo-
rique ; en 1666, avec la fondation de l'Académie des sciences,
apparait le Journal des scavans ; en 1672 Le Mercure galant ; en
1686 enfin la Bibliothéque universelle et historique est lancée par
Leclerc. L’exil des intellectuels protestants, a la suite de la révoca-
tion de l’édit de Nantes, favorise la multiplication de la presse : ce
sont les Nouvelles de la république des lettres de Pierre Bayle,
V'Histoire de la vie et des ouvrages des savants de Basnage de
Bauval. A ces périodiques il faut ajouter les salons qui créent de
nouveaux publics et brouillent en la diversifiant l'image de lécri-
vain, amateur ou professionnel, érudit ou mondain.
Nait-on ou devient-on écrivain ? Il est vrai que la littérature
n’a pas sa place sans le cursus scolaire : elle est d'un apprentissa-
36ge totalement - parascolaire » ; d’od la vogue des -Bibliothéques +
qui commencent a constituer une mémoire littéraire d’exemples
et répertorie ce qui se fait. Les académies elles-mémes donnent
des conférences et les dictionnaires proposent aux futurs écri-
vains ou aux écrivains confirmés un modéle de langue écrite,
strictement codifiée : les ouvrages de rhétorique se multiplient.
Sans en avoir I’air, avec un je ne sais quoi de nonchalance, on
apprend ainsi le métier d’écrire.
Les instances de consécration littéraire existent donc en cette
deuxiéme moitié du XVII¢ siécle. On distingue une hiérarchie des
genres. On reconnait une hiérarchie des pouvoirs de légitimation.
On classe les styles. On pense des profils de carri@re ; on y nour-
rit un imaginaire de la littérature et du littéraire ; on y réve de
r ite, de succés et de reconnaissance ; on reconnait un cursus
m du littérateur pour qui traite la littérature en profession-
Et pourtant, au regard superficiel de Pobservateur contempo-
s'offre une autre ordonnance. Rien ne transparait de ces
eux, de ces parcours ambitieux et calculés sous les draperies
théatre! ou du débat religieux, car tout un imaginaire de la lit-
Parnasse, dignité de V’écrivain) vient occulter les straté-
gies mises en ceuvre.
Ainsi, Pécrivain est n€é et avec lui la littérature. Car nul ne
doit ignorer qu'une époque peut produire des fictions roma-
ques ou théatrales, pratiquer le conte oral ou le récit écrit,
mprimé méme sans qu'il y ait pour autant littérature. Et sans
‘intervienne dans un tel manque la notion de qualité. Pour qu'il
y ait littérature il faut avant tout qu'une production écrite soit
econnue comme primordiale dans le champ culturel, valorisée
e telle, acceptée et dignifiée par une opinion et des institu-
tions de légitimation. La méme remarque vaut pour les vitraux
des cathédrales ou les bisons des grottes d’Altamira : que nous
ions aujourd'hui qu’elles sont des ceuvres d’art n’a rien a voir a
ire. Le chasseur qui marquait d'une empreinte ocre et noire
parois de sa grotte, l’'artisan qui dessinait et montait les vitraux
1. Voir Raymond Picard, op. ctt.
37des cathédrales n'avaient pas conscience d’exercer une activité
originale qui avait nom art, investi socialement de valeurs dis-
tinctes. L’art pictural n’était pas encore né, dans la mesure od il
est aussi une activité particulier, sentie comme autonome, légiti-
mée par des instances spécifiques reconnues et admises. La litté-
rature, écrivain existent autant ou plus peut-étre par leur statut
que par leurs contenus ou leurs pratiques. Et c'est a Age clas-
sique qu'ils ont acquis ce statut.
Le nom d’écrivain devient donc au XVII¢ siécle un embléme.
Non sans mal : les littérateurs doivent lutter pour vaincre et
convaincre. Avant d’étre gens de lettres, ils doivent étre ironique-
ment pour une société mondaine qui ne les apprécie guére —
« Jean de lettres » comme on dit « Jean de la Lune + ou « Jean de
Nivelle » =, et se démarquer, peu a peu, d'une valorisation négati-
ve attachée au terme de poete, galvaudé, ridiculisé méme, tout
autant qu’a celui de savant.
Ecrivain, auteur se chargent de dignité : le premier s'adjoi-
gnant la valorisation esthétique. Mais rien n'est encore vraiment
acquis. Sans croire, comme Alain Viala, que la raison essentielle
en est la présence importante d'une noblesse qui pratique les
lettres ou les contréle, et leur donne une dignité extérieure a la
pratique littéraire elle-méme!. Effet de brouillage donc, mais aussi
ancrage a partir duquel la voie est tracée.
On aurait tort, ceci admis, de réduire le milieu littéraire aux
académies et de faire d’elles l'instrument privilégié de sa légitima-
tion. Car si les académies se multiplient : des sciences, de médeci-
ne, de peinture, de Paris\et de province, en un réseau serré et
minutieux, elles ne recouvrent pas la totalité du milieu. Nul ne
peut douter qu’elles regroupent une part importante des littéra-
teurs (et des lettrés) et de ce que, anachronisme aidant, nous
appellerions l'intelligentsia, mais elles ne sont pas tout. La volonté
royale d'unification et de contréle n’a pas réussi a tout régenter.
Il est bien évident, par exemple, que Port-Royal constitue un
1. Alain Viala, op. cit.
38milieu litéraire hétérogéne, étranger, avec des pratiques et une
idéologie propres. Le mot d’ordre « instruire - commun 4 toute la
littérature de Age classique y prend un sens particulier. Il est évi-
dent aussi que Pascal dans les Provinciales (1656) se situe en
marge des courants dominants et des modéles d’écriture. On sait
par les Pensées qu'il a revendiqué, au nom d'un discours de la
vérité, le refus des normes rhétoriques. « La vraie Eloquence se
moque de l’éloquence. » La foi qui anime, le coeur qui s'engage
révélent la vérité d'un style et d'une écriture au-dela des noms et
des apprentissages. Derritre homme de lettres, selon Pascal, il
faut trouver l'homme. « Quand on voit le style naturel, on est tout
étonné et ravi, car on s’attendait de voir un auteur, et on trouve
un homme », affirme encore Pascal, qui semble croire que le
naturel n'est pas un artifice.
Quels que fussent les recours dont il usait, V'engagement reli-
gieux aux cétés de Port-Royal produisit un homme de lettres éloi-
gné tout aussi bien de l’académicien soumis que du burlesque
indépendant. L’idéologie de |'écriture qu’il fomentait était tout
aussi étrangére au ludique qu’a l'esprit académique. Ces mes-
sicurs de Port-Royal — les Solitaires comme on les appelle — sont
loignés des modéles mondains comme des poétes de cabaret.
Levés t6t, couchés t6t, astreints a la méditation et a la priére, ils
consacraient pourtant une bonne part de leur temps « a une acti-
vité littéraire, le plus souvent de caractére religieux ou philoso-
phique! +. Ils comparent Epictéte 4 Montaigne, commentent
Sophocle, pratiquent la controverse, la méditation spirituelle, rédi-
gent des manuels scolaires qui seront La Logique et La
Grammaire de Port-Royal, Le Jardin des racines grecques de
Lancelot ; ils traduisent Phédre, Térence, Plaute, Cicéron, Virgile,
Publient la Vie des Peres du désert d’Arnaud d’Andilly. Racine y
\era son Abrégé de l'histoire de Port-Royal, Nicole ses Essais
de morale et Le Nain de Tillemont a partir de 1690 l’Histoire des
7S romains et, a partir de 1693, les Mémoires pour servir a
1. Georges Mongrédien, La Vie littéraire au XVIP siécle, Taillandier, 1947,
175. Ce live, eli sur le plan de Ia méthode, nen constiue pas moins
lune mine d'informations tout 2 fait remarquable.Ubistoire ecclésiastique des six premiers siécles. En quantité
Voeuvre de Port-Royal est immense. En qualité aussi. Elle ne se
voulait pas littérature. Elle se refusait, de par sa nature méme, a
entrer dans ce champ culturel, a participer 4 ’autonomisation du
littéraire dont il a éé traité. Et pourtant il ne parait pas insensé
@avancer qu'elle met en place,-a l’extréme opposé des habitués
des cabarets, des chantres de la Muse avinée, un modéle ascé-
tique de la pratique littéraire et son rattachement étroit 4 une
croyance ou une idéologie qui la dépassent.
Port-Royal, sans pécher pour autant par anachronisme,
annonce une pratique militante de l’écriture, si 'on osait la formu-
le. La vie des messieurs de Port-Royal montre une forme d’intel-
lectuels et d’écrivains organiques qui prendra, au cours des
temps, des formes variées et connaitra des fortunes diverses. Elle
est le pendant nécessaire d'une norme imposée : l'autre d’un
ordre mondain.
Ty a donc l'Académie et les académiciens, il y a Port-Royal,
il y a aussi les salons. Pour ces demiers, le développement est
intense de 1650 a 1680. Les « ruelles », comme I’on dit, se multi-
plient. Mme de Sablé, Mlle de Montpensier, Mlle de Scudéry
eurent un salon. Salons de femmes donc oi les hommes fréquen-
tent, soupirent et composent. Autres lieux et autres formes de
légitimation et de consécration de Iécriture. Ici on est précieux.
Cest-a-dire qu'on s'y dépouille encore et un peu plus des restes
de la rudesse archaique. Les poétes - symboles du raffinement —
y jouent un réle essentiel. Praticiens du langage, ils servent de
tout leur savoir le travail d’épuration de la langue et rejoignent,
par ce biais, en l’exagérant, le travail académique, en méme
temps quiils le trahissent par le culte des périphrases et le gout de
la pointe. L’essentiel de leur apport est peut-étre de séparer
autant que faire se peut la langue littéraire du langage usuel, et
de construire, de ce fait, la littérature comme une activité langa-
gitre spécifique. En rupture avec les réalités encore rudes de leur
temps, les précieux se font galants a l'excés, livrés au service
amoureux, mondanisant la Muse au gré des caprices des dames
du lieu, se livrant avec ivresse aux mille détours de la psycholo-
gie de la séduction.
40On s'est moqué un peu vite de la préciosité qu'on a réduite
& quelques périphrases excessives, 4 quelques hypertrophies du
sentiment amoureux. La préciosité est bien évidemment plus que
cela. Elle représente un mouvement contradictoire de refus et
d'acceptation de l'ordre qu'impose dans la littérature et la langue
VBtat absolutiste. De refus parce que la préciosité privilégie contre
Vépuration d'un Vaugelas ou du dictionnaire académique une
langue inventive, en continuelle transformation, opérant librement
Par transfert et métaphorisation. D’acceptation aussi parce que la
langue dite culturelle se coupe un peu plus encore de la langue
parlée, jugée vulgaire, inférieure, d’usage commun. D’acceptation
encore par ce refus absolu des termes bas ou provinciaux qui fai-
saient la richesse du vocabulaire d'un Rabelais. Dans la perspecti-
ve adoptée par Bakhtine, la préciosité, par ailleurs rebelle, partici-
pe paradoxalement a la mise en ordre de l'ordre classique!.
On a tort, on I’a dit, d’imaginer des mondes étanches : les
précieuses sont aussi femmes de cour pour la plupart, et
Chapelain, Conrart, Godeau, Pellisson, académiciens en titre, fré-
quentent en assidus chez Mlle de Scudéry. Il y avait des pré-
cieuses moins aristocrates et plus bourgeoises, ce qui prouve le
mélange, les échanges, la circulation des idées et des hommes,
Fincertitude des lieux de légitimation qui ne parviennent ni a se
cumuler ni a s'exclure. Nous savons que l'on prépare dans la
douceur feutrée de certains salons les candidatures académiques,
et qu'on y cabale pour ou contre tel ou tel candidat. Le pédant, si
longtemps dénoncé dans les salons, est un héte apprécié des
hétels précieux. Il y régne un pédantisme qui oblige a parler pour
1. Mikhail Bakhtine, L'@uvre de Rabelais et la culture popullaire au Moyen
Age, trad. fr. Gallimard, 1970. Il est indéniable que la préciosité a accentué le
livage entre une langue jugée basse, vulgaire, et, par suite, frappée d'inter-
dit, et une languc artificicllement élégante, totalement coupée de la langue
‘communément pariée et volontiers métaphorique. La préciosité, rebelle
Vordre lexical imposé par Vaugelas, accentue par ailleurs la séparation entre
culture commune et culture des élites. On verra sur_ce point Jean M.
Goulemot, » Démons et merveilles et philosophie a l'Age classique », in
Annales (E.S.C.) n° 6, nov.—déc. 1980, et Carolyn C. Lougee, Le Paradis des
femmes (Women, salons and social stratification in seventeenth century
France), Princeton, 1976.
41un cercle restreint d'initiés et qui parfois rejoint l'univers des vrais
savants : a preuve la correspondance fort savante entre Mile de
Scudéry et une niéce de Descartes. Les échanges sont complexes,
4 tel point que Racine ne sera pas toujours insensible 4 une cer-
taine psychologie amoureuse des ruelles, tandis que Moliére, au
contraire, sen prendra avec violence aux pédants et aux pré-
cieuses. Qui’ils 'aient voulu ou non, la préciosité a marqué
Vimage et l’écriture des gens de lettres : en leur imposant une
reconnaissance mondaine, en les séparant plus nettement qu’ils
n/auraient peut-étre voulu de la verdeur et de la grossiéreté des
écrivains indépendants. Le salon précieux exclut le cabaret. Mais
il constitue lui aussi un autre des marges de l'espace littéraire en
offrant des modéles de comportement et d’écriture littéraire. La
présence attentive des précieuses a signifié peut-étre lémergence
de cet autre garant de l'écriture : un public minoritaire, se diffé-
renciant fortement de la masse des lecteurs!.
Plus on approche de la fin du siécle et plus la situation de
Thomme de lettres semble étre celle d’un professionnel dépen-
dant pour parts trés inégales du public et du mécénat institution-
nel ou privé. C'est dire qu’il lui est dorénavant impossible de se
penser en dehors de ses lecteurs et des procés institutionnels de
legitimation de ses productions. Et ceci malgré ses marges rési-
duelles et les divisions de opinion partagée par des zones de
distinction : le grand public, les amateurs, les connaisscurs, les
beaux esprits ; les jugements divergents portés par la littérature
sur elle-méme : ceux des académiciens et des autres ; ceux liés
aux conflits des générations : les cornéliens contre les raciniens,
ou aux disparités de revenus : les nantis pensionnés, auteurs 2
suceés, et les autres. Ce qui n'empéche que tous peuvent éprou-
ver un jour ou Vautre le mépris aristocratique. Bautru, poate chéri
de Richelieu, fut battu par les gens du duc de Montbazon,
Boisrobert fut menacé d'étre éurllé, et on sait que Montausie,
rrenasa Moliére, que Boileau fut maltraité par le duc de Nevers.
1a Bruyére souffrit sa vie durant de sa condition servile. C'est dire
1. Voir Pierre Bourdieu, ic
Editions de Minuit aangiet 24 Distinction : critique sociale du jugemens,
42combien demeurait fragile et incertain ce statut, apparemment
gagné matériellement et symboliquement, d’homme de lettres.
La bastonnade infligée par les sbires du chevalier de Rohan
en 1726 a Voltaire, auteur reconnu et riche bourgeois, rappelle
que rien n’est alors jamais acquis 4 l’écrivain, ni sa gloire ni méme
son statut. Les biens matériels sont pour lui aussi éphéméres que
les symboliques. A la différence du bouffon qui avait droit de tout
dire, 'écrivain est soumis au devoir de réserve. Les indépendants
sont pourchassés quand la bigoterie du grand roi devient une
reégle de gouvernement, et ceci malgré la protection que leur
accorde le prince de Condé.
On s'abuserait donc en confondant la naissance de Técrivain,
la valorisation de l'acte d’écrire avec un quelconque triomphe. Le
mouvement de reconnaissance existe, il est important, mais com-
bien dépendant d’enjeux sociaux qui le dépassent et peuvent
contredire et mettre en bréche toute une ordonnance du champ
culturel lui-méme. Sans parler ici des crises internes qu'il subit :
Cotin contre Boileau, Boileau contre Chapelain.
Pucelain veut rimer, et c'est la sa folie,
Mais bien que ses durs vers, d’épithétes enflés,
Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés,
Lui-méme s'applaudit et, d'un esprit tranquille
Prend le pas, au Parnasse, au-dessus de Virgile.
Goileau, Satire VII.)
Le monde littéraire ne cesse pendant tout le régne de Louis
XIV de se déchirer, au gré d’alliances changeantes et de recours
incessants au bras séculier. On en vient pour bien peu de chose a
Finvective, aux railleries et a la bastonnade. Le pouvoir contrélait
les élections académiques : en 1683 le roi suspendit l’élection de
La Fontaine. L’affaire la plus retentissante fut celle de Furetiére
qui, académicien depuis 1662, voulut publier en 1684 son propre
dictionnaire en allant contre le privilége académique. Il y eut pro-
cés de I'Académie contre un de ses membres, accusations mul-
tiples, querelles publiques, factums en chaine. Furetiere fut
condamné, et un arrét du Conseil lui fit défense pour son diction-
naire de « l'imprimer, vendre et débiter », sous peine de 3 000
livres d’amende. L'Académie procéda ensuite 4 son exclusion. Le
4BDictionnaire de Furetiére parut en 1690, quatre ans avant celui
de l’Académie. De cette affaire, riche en rebondissements, to
rons la tres relative homogénéité du corps constitué des gens