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internationale situationniste sana de l'ioigrnationsle situationsiste NOTES EDITORIALES SSS @ AMERE VICTOIRE DU SURREALISME, Dans le cadre d'un monde qui n'a pas été essentieilement transformé, le sur- réalisme a réus: tourne contre le dait rien que du renversement de l'ordre social dominant, Mais en méme temps le retard intervenu dans l’action des mas- ses qui s'emploient & ce renversemen’, maintenant et aggravant, avec les autres contradictions du capitalisine évolué, les mémes impuissances de la création cul- turelle, maintient 'aciwalité du surréalis- me et en favorise de multiples répétitions dégradées. Le surréalisme a un caractére indé- passable, dans les conditions de vie qu'il a rencontrées et qui se sont prolongées scandaleusement jusqu’a nous, parce qu’il es: déja, dans son ensemble, un supplé- ment & la pogsie ou & l'art Hiquidés par Te dadaisme, parce que toutes ses ouver- tures sont au-dela de la post-face surré- aliste A l'histoire de l'art, sur les pro- blames d'une vraie vie & construire. De sorte que tout ce qui veut se situer, tech- niquement, aprés le surréalisme retrouve des problémes d'avani (poésie ou théatre dadaistes, recherches formelles dans le style du recueil « Mont-de-Piété »). ‘Ainsi, pour leur plus grande part, les nouveautés picturales sur lesquelles on a attiré l'attention depuis la dernigre guerre sont seulement des détails, isolés et gros- sis, pris — secrétement — dans la masse cohérente des apports surréalistes (Max 3 5 méme cu surrgalisme est pour beaucoup dans le fait , dans se face la plus moderne, 5 do valeurs facticos, mais se sort 8 son et des survivances surréalistes par la Rapport sur le construction des situations. Juin 1957 Emst a l'occasion d’une exposition & Paris au début de 1958 rappelait ce qu'il avait appris 8 Pollock en 1942). Le monde moderne a rattrapé l’avance formelle que le surréalisme avait sur lui. Les manifestations de la nouveauté dans les disciplines qui progressent effective- ment (toutes les ‘echniques scientifiques) prennent une apparence surréaliste : on a fait écrire, en 1955, par un robot de V'Université de Manchester, une let're d'amour qui pouvait passer pour un essai d'écriture automatique d'un surréaliste peu doug. Mais la réalité qui commande cet'e évolution est que, la révolution n’étant pas faite, tout ce qui a constitué pour le surréalisme une marge de liberté Stes’ trouvé recouvert et utilisé par le monde répressif que les surréalistes avaient combattu. L’emploi du magnétophone pour ins- truire des sujets endormis entreprend de réduire la réserve onirique de la vie & des fins utilitaires dérisoires ou répugnan'es. Rien cependant ne constitue un si net retournement des découvertes subversives du surréalisme que l'exploi'ation qui est faite de l'écriture automatique, et des jeux collectifs fondés sur elle, dans la méthode de prospection des idées nom- mée aux Eta's-Unis « brainstorming ». Gérard Lauzun, dans « France-Obser- vateur », en décrit ainsi le fonctionne- men: : «En une séance de durée limitée (dix minutes | heure),un nombre limité de personnes (6 & 15) ont toute liberté démettre des idées, le plus d’idées pos- sibles, bizarres ou pas, sans aucun ris- que de censure. La qualité des idées im- porte peu. I] est absolument interdit de ctiiquer une idée émise par l'un des participants et méme de sourire lorsqu’il a la parole. Chacun a, en outre, le droit le plus absolu, le devoir méme, de piller, eny ajou‘ant du sien, les idées précédem- ment énoncé .). Lrarmée, |'adminis- tration, la police y ont aussi recours. La recherche scientifique elle-méme substitue des séances de brainstorming & ses confé- rences ou a ses « tables rondes ». (...) Un auteur et un produc‘eur de films au C.F.P.I. Il leur faut un titre, Huit per- sonnes en quinze minutes en proposent soixante-dix! Puis, un slogan : cent qua- tre idées en trente-quatre minutes : deux son. retenus. (..) La ragle est la non- pensée, l’illogisme, l'absurdité, le coq-a- lane. La qualité fait place a la quantité. @ (LE BRUIT ET LA FUREUR. On parle beaucoup des jeunes gens furieux, de la colére de la jeunesse au- jourd’hui. On en parle volontiers parce que, des émeutes sans raison des adoles- cents suédois aux proclamations élabo- rées par les « angry young men » anglais qui tenten: de se constituer en mouve- ment littéraire, on retrouve le méme ca- ractére inoffensif en profondeur, une mé- me faiblesse rassurante. Produits d'une époque de décomposition des idées e° des modes d’existence dominants, d'une époque d'immenses victoires contre la nature sans élargissement réel des possi- bilités de la vie quotidienne, réagissant, parfois bru alement, contre la condition qui leur est faite, ces sursauts de la jeu- nesse sont grossiérement contemporains de l'état d’esprit surréaliste. Mais ils son’ dépourvus de ses points d’applica- tion dans la culture et de son espoir révolutionnaire, De sorte que la résigna- tion est le fond sonore de ce négativisme spontané de Ja jeunesse américaine, scan- La méthode a pour but premier d’élimi- ner les diverses barrigres de contrainte sociale, de timidité, d’effro devant la parole qui interdisent souvent 4 certain: individus dans une réunion ou au cours d'un conseil d’administration, de parler, d'avancer des suggestions saugrenues, au milieu desquelles pour'ant un trésor peut étre enloui! Ici, les barriéres levées, on constate que les gens parlent et, surtout, que chacun a quelque chose & dire. (...) Certains managers américains ont d'ail- leurs vite compris l’intérét d’une telle technique sur le plan des relations avec le personnel. Celui qui peut s’exprimer revendique moins. « Organisez-nous des brainstormings! _» commandent-ils alors aux spécialistes : « cela démontrera au personnel que nous faisons cas de ses idées, puisque nous les demandons !» La technique est devenue une ‘hérapeutique contre le virus révolutionnaire. » dinave ou japonaise, Saint-Germain-des- Prés avai: déja été, dans les premiéres années de ’aprés-guerre, un laboratoire de ces comportements (abusivement nom- més existentialistes par les journaux), ce qui explique que les représentants intel- lec'uels de cette génération en France maintenant (Francoise Sagan-Drouet, Robbe-Grillet, Vadim, I'affreux Buffet) soient tous les illustzations outrées, les images d’Epinal de la résigna‘ion. Si cette génération intellectuelle, hors de France, témoigne de plus d’agressi- vité, la conscience qu'elle en prend s'échelonne entre 'imbécillité simple et la satisfaction prématurée d'une révolte trés insuffisante. L’odeur d’ceufs pourris que répand I'idée de Dieu enveloppe les crétins mystiques de la < beat genera- tion » américaine, et n'est méme pas ab- sente des déclarations des « angry young men > (cf. Colin Wilson). Ceux-ci, en général, découvrent avec trente ans de retard un climat mora) subversif oue 4 UAngieterre leur avait complétement ca- ché entre temps, et pensent @tre a la pointe du scandale en se proclamant ré- publicains. « On continue de jouer des pices, écrit Kenneth Tynan, qui sont fondées sur la ridicule idée que les gens craignent et respectent encore la Cou- ronne, |’Empire, |"Eglise, !"Université et Ia Bonne Socié'é ». Ce mot (« on conti- nue de jouer des pisces... ») est révé- lateur du point de vue platement litté- raire de cette équipe des « angry young men >, gui en sont venus &* changer davis, simplemen’, sur quelques conven- tions sociales, sans voir le changement de terrain de toute l’activité culturelle, que Yon observe manifestement dans chaque tendance avant-gardiste du siécle. Les & angry young men » sont méme parti- culi?-ement réactionnaires en ceci qu'ils 5 attribuent une valeur privilégiée, un sens de rachat, & l’exercice de Ja littéra‘ure; cest-&-dire qu’ils se font aujourd’hui les défenseurs d'une mystification qui a éé dénoncée vers 1920 en Europe, et dont la survie est d’une plus grande portée contre-révolutionnaire que celle de la Couronne britannique. Toutes ces rumeurs, ces onomatopées de l'expression révolutionnaire, ont en commun d’ignorer le sens et J’ampleur du surréalisme (dont la réussite artisti- que bourgeoise a été naturellement dé- formante), En fait la continuation du surréalisme serait ]'attitude la plus consé- quente, si rien de nouveau ne parvenait & le remplacer. Mais précisment, la jeu- nesse qui le rallie, parce qu’elle connait Vexigence profonde du surréalisme et ne peut surmonter la contradiction en‘re cette exigence et cette immobilité d'une pseudo-réussite, se réfugie dans les cétés réactionnaires que le surréalisme portait en lui dés sa formation (magie, croyance Aun age d’or qui pcurrait étre ailleurs qu’en avant dans I’histoire). On en vient A se féliciter d’étre encore Ia, si long- temps aprés la bataille, sous l'arc de triomphe du surréalisme ot l'on restera traditionnellement, comme dit figrement Gérard Legrand (« Surréalisme méme », n° 2) + « un pe'it noyau d’étres jeunes cobstinément attachés & entretenir la véri- table flamme du surréalisme... » Un mouvement plus libérateur que le surréalisme de 1924 — auquel Breton promettait de se rallier s'il venait & parai- tre — ne peut pas se constituer facile- ment, parce que son caractére libérateur dépend maintenant de sa mainmise sur Jes moyens matériels supérieurs du monde moderne. Mais les surréalistes de 1958 sont devenus incapables de s’y rallier, et sont méme résolus & le combattre. Ce gui n’enléve rien & la nécessité, pour un mouvement révolutionnaire dans la cul- ture, de reprendre 8 son compte, avec plus d'efficacité, la liberté d’esprit, la lie berté coneréte des moeurs, revendiquées par le surréalisme. Pour nous, le surréalisme a été seule- ment un début d’expérience révolution- naire dans la culture, expérience qui a presque immédiatement tourné court pra- tiquement et théoriquement II s‘agit dale ler plus loin. Pourquoi ne peut-on plus atre surréaliste? Ce n'est pas pour obéir & la sommation, qui est faite en perma- nence & I'« avant-garde », de se disti guer du scandale surréalis e (personne ne se soucie de nous vor adopter une ori- ginalité de tous les ins ants. Et pour cause ; quelle direction neuve nous pro- @ ba LIBERTE POUR QUO! L’évasion dans la littéra‘ure et Tart. la surestimation de l'importance de ces activités définies selon J'ancienne optique bourgeoise, paraissent des conceptions trés répandues dans les Etats ouvriers d'Europe oi, en réaction contre les dé- tournements policiers d'une entreprise de changement réel du monde, les intellec- tuels décus en viennent & manifester une naive indulgence pour les sous-produi's. les redites d'une culture occidentale dé- composée. C'est une illusion paralléle & celle qu’ils redécouvrent au sujet du sys- tame de la démocra‘ie parlementaire, Le jeune écrivain polonais Marek Hlasko, interrogé par « L’Exoress » (du 17 avril 1958), justifie son intention de retour- ner en Pologne oit, d’aprés Jes opinions assurées qu'il a émises, la vie est inte- nable et aucune améliora‘ion n'est possi- ble, par ce stupéfiant motif : « La Po- logne est un pays extraordinaire pour un écrivain, et cela vaut la peine de supporter ‘outes les conséquences pour vivre dans ce pays et l’observer. » poserait-on? Au contraire, la bourgeoisie est préte 4 applaudir toutes les régres- sions qu'il nous plaira de choisir). Si Yon n'est pas surréaliste, c'est pour ne pas s'ennuyer. L’ennui est Ja réalité commune du sur- réalisme vieilli, des jeunes gens furieux et peu renseignés, et de cette rébellion des adolescents confortables qui est sans perspec'ives mais bien éloignée d’étre sans cause. Les situationnistes exécute- ront le jugement que !es loisirs d’aujour- d’hui prononcent contre eux-mémes. LIRE ? DES BETISES. Nous ne regretterons pas le recul du jdanovisme malgré T'intérét stupide que rencontrent en Tchécoslovaquie ou en Pologne les plus misérables aspects de la fin de culture de l'occident : les expressions qui ne sont plus a |"extréme de la décomposition formelle, mais par- venues A la neutralité pure — disons Sagan-Drouet ou les motivations artis- tiques de la revue « Phases ». Mous comprenons la nécessité de revendiquer, contre la doctrine réaliste-socialiste en- core puissante, une liber'é totale d’infor- mation et de création. Mais cette liberté ne peut en aticun cas se confondre avec l’alignement sur la culture « moderne » découver'e maintenant en Europe occi- dentale. Cette culture est historiquement le contraire d'une création : une série de répéti'ions maquillées. Demander la li berté de la création, c'est reconnaitre la nécessité des constructions supérieures du milieu. Dans les Etats ouvriers et ici, la liberté véritable sera la méme, et ses ennemis seront les mémes. LA LUTTE POUR LE CONTROLE DES NOUVELLES TECHNIQUES DE CONDITIONNEMENT. « On peut dorénavant déclencher a coup sir les réactions des hommes dans des directions dé‘erminées a l’avance >, Gcrivait Serge Tchakhotine propos des méthodes d'influence employées sur des collectivités par les révolutionnaires et par les fascistes entre lex deux guerres mondiales (« Le viol des foules par la propagande politique >, Gallimard). Les progrés scientifiques cepuis ont été 6 ants. On a avancé dans l'étude ex- entale des mécanismes du compor- tement ; on a trouvé de nouveaux usa- ges des appareils exisants ; on en a inventé de nouveaux. On fait l’essai, depuis assez longtemps, d'une publicité invisib'e (par introduction dans un dé- roulement cixématographique d'images autcnomes, au vingt-quatrigme de secon- de, sensibles & la rétine mais restant en deca dune perception consciente) — et d'une publicité inaudible (par infra- sons). En 1957 le service de recherche de la Défense nationale du Canada a fait effectuer une étude expérimentale de |’ennui en isolant des suje's dans un environnement aménagé de telle sorte que rien ne pouvait s'y passer (cellule aux murs nus, éclairée sans interruption, meu- blée seulement d'un divan confortable, rigoureusement dépourvue d’odeurs, de brui's, de variations de température). Les chercheurs ont constaté des troubles étendus du comportement, le cerveau étant incapables en {absence des stimuli sensoriels de se maiutenir dans une exci- tation moyenne nécesaire & son fonc- tionnement normal. Ils ont done pu con- clure & J'influence néfaste d'une ambiance ennuyeuse sur le comportement humain, et expliquer par 1a les accidents impré- visibles qui surviennen: dans les travaux monotones, destinés & se multiplier avec Vextension de l’automation. On va plus loin avec le témoignage d'un certain Lajos Ruf, publié dans la presse francaise, et en librairie, au début de 1958. Son récit, suspect & bien des égards, mais ne contenant aucune anti- cipation de détail, décrit le « lavage de cerveau » que lui aurait fait subir la police politique hongroise en 1956. Ruff dit avoir passé six semaines enfermé dans une chambre of iemploi unitaire de moyens qui sont tous amplement connus visait —~ et a finalement réussi — & lui faire perdre toute croyance en sa per- ception du monde extérieur et en sa pro- pre personnalité. Ces moyens étaient : T'ameublement résolument autre de cette 7 pitce close (meubles transparents, lit courbe) ; l'éclairage, avec |’intervention chaque nuit d'un rayon lumineux venu de lextérieur, contre les ‘effets psychiques duquel on l’avait délibérément mis en garde, mais dont il ne pouvait s’abri'er; les procédés de la psychanalyse utilisés par un médecin dans des conversations quotidiexnes; diverses drogues; des mys- tifications élémentaires. réussies & la fa- veur de ces drogues (bien qu'il ait tout lieu de croire qu'il n'a pu sortir depuis des semaines de sa chambre, il lui arrive de s‘éveiller avec des vétements humides et des souliers boueux); des projections de films absurdes ou éroti- ues, confondues avec d’autres scénes qui se produisen: parfois dans la chambre; enfin des visiteurs qui s’adressent & lui comme s'il était un béros de |’aventure — épisode de la Résistance en Hongrie — qu'un auttre cycle de films lui fait voir (des détails se :etrouvent dans ces films et dans les rencontres réelles, il fi- nit par ressentir la fierté de prendre part A cette action). Nous devons reconnaitre 14 un usage répressif d’une construction d’ambiance parvenue a un stace assez complexe. Toutes les découvertes de la recherche scientifique désintéressée ont été jusqu’ici négligées par les artistes libres, et uti- lisées immédiatement par les polices. La publicité invisible ayant soulevé quelque inquiétude aux Etats-Unis, on a rassuré tout le monde en annoncant que les deux premiers slogans diffusés seraient sans danger pour quiconque. Ils influenceront dans ces deux directions : « Conduisez moins vite » — « ALLEZ A L'E- GLISE ». C'est toute la conception humaniste, artistique, juridique, de la personnalité inviolable, inaltérable, qui est condamnée, Nous la voyons s’en aller sans déplaisir. Mais il faut compreadre que nous allons assister, par‘iciper, a une course de vi- tesse entre les artistes libres et la police pour expérimenter et développer l'em- ploi des nouvelles techniques de condi- tionnement, Dans cette course la police a déja un avantage ccnsidérable. De son issue dépend pourtant l’apparition d'en- ironnements passionnants et libératears, ou le renforcement —— scientifiquement contrélable, sans br’che — de I’environ- nement du vieux monde d’oppression et @horreur. Nous parlons d’artistes libres. mais il n'y a pas de liberté ar‘istique possible avant de nous étre emparés des moyens accumulés par le XX° siécle, qui sont pour nous les vrais moyens de la preduction artistique, et qui condamnent ceux qui en sont privés a n’étre pas des artistes de ce temps. Si le contrdle de ces nouveaux moyens n'est pas totale- ment révolutionnatre, nous pouvons é:re entrainés vers l’idéai policé d'une société d'abeilles, La domination de la nature peut étre révolutionnaire ou devenir l'ar- me absolue des forces du passé/ Les situationnistes se placeront au service de Ja nécessixé de l'oubli. La seule force dont ils peuvent attendre quelque chose est ce prolétariat, théoriquement sans. passé, obligé de tout réinventer en per- manence, dont Mars disait qu'il « est révolu‘ionnaire ou n'est rien ». Sera-t-il, de notre temps, ou non? La question est importance pour notre propos : le pro- létariat doit réaliser l'art. @ AVEC ET CONTRE LE CINEMA. Le cinéma est l'art central de notre société, aussi en ce sens que son déve- loppement es! cherché dans un mouve- ment continu d’intégration de nouvelles techniques mécaniques. I] est done, non seulement en tant qu’expression anecdo- tique ou formelle, mais aussi dans son infrastructure matérielle, la meilleure re- présentation d’une époque d’inventions anarchiques juxtaposes (nom articulées, simplement additionnées). Aprés l’écran large, les débuts de la stéréophonie, les tentatives d'images ea relief, les Etats- Unis présentent a I'exposition de Eru- xelles un procédé dit « Circarama », au moyen duquel, comme le rapporte « Le Monde » du 17 avril, « on se trouve au centre du spectacle et on le vit, puisqu’on en fait partie in‘égrante. Quand la voi- ture a bord de laquelle sont fixées les caméras de prises de vues fonce dans le quartier chincis de San-Francisco on éprouve les réflexes et les sensations des passagers de la voiture ». On expéri- 8 mente, par ailleurs, un cinéma odoran’, par les récentes applications des aérosols, et on en attend des effets réalistes sans réplique. Le cinéma se présente ainsi comme un subs.itut passif de l’activité artistique uni- taire qui est maintenant possible. Il ap- porte des pouvoirs inédits & la force réace tionnaire usée du spectacle sans parti- cipation. On ne crain: pas de dire que Yon vit dans le monde que nous con- naissons du fait que l’on ce trouve sans liberté au centre du misérable spectacle, « puisqu’on en fait partie intégran‘e ». La vie n'est pas cela, et les spectateurs ne sont pas encore au monde. Mais ceux qui veulent construire ce monde doivent & la fois combattre dans le cinéma la tendance & constituer ]’anti-construction de situation (la construction d’ambiance de Tesclave, la succession des cathédra- les) et reconnaitre l’intérét des nouvelles applications techniques valables en elles- mémes (stéréophonie, odeurs). Le retard de ]’apparition des sympté- mes modernes de l'art dans le cinéma (par exemple certaines ceuvres formelle- ment destructrices, contemporaines de ce qui est accepté depuis vingt ou tren'e ans dans les arts plastiques ou |’écriture, sont encore rejetées méme dans les ciné- clubs) découle non seulement de ses chaines directement économiques ou far- dées d'idéalismes (censure morale), mais de [importance positive de l'art cinéma- tographique dans la société moderne. Cete importance du cinéma est due aux moyens d’influence supérieurs qu'il met en ceuvre; et entraine nécessairement son contrle accru par la classe dominante. Tl faut done lutter pour s’emparer d'un secteur réellemen: expérimental dans le cinéma, Nous pouvons envisager deux usages distincts du cinéma : d’abord son em- ploi comme forme de propagande dans la période de transition pré-situationniste ; ensuite son emploi direct comme élément constitutif d’une situation réalisée. Le cinéma est ainsi comparable & I’ar- chitecture par son importance actuelle dans la vie de tous, par les limitations qui lui ferment le renouvellement, par Timmense portée que ne peut manquer avoir sa liberté de renouvellement. I] faut tirer parti des aspects progressifs du cinéma industriel, de méme qu’en trouvant une architecture organisée & par- tir de la fonction psychologique de I’'am- biance on peut retirer la perle cachée dans le fumier du fonctionnalisme absolu. @ CONTRIBUTION A UNE DEFINITION SITUATIONNISTE DU JEU. On ne peut échapper & la confusion du vocabulaire et & la confusion pratique qui enveloppent la notion de jeu qu’en la considérant dans son mouvement. Les fonctions sociales primitives du jeu, aprés deux siécles de négation par une idéalisation continue de la production, ne se présentent plus que comme des survivances abatardies, mélées de formes inférieures qui proc3dent directement des nécessités de T'organisation actuelle de cette production. En méme temps, des tendances progressives du jeu apparais- sent, en relation avec le développement méme des forces productives. 9 La nouvelle phase d’affirmation du jeu semble devoir étre caractérisée par la disparition de tout élément de com- pétition, La question de gagner ou de perdre, jusqu’é présent presque insépa- rable de Pactivité ludique, apparatt liée & toutes les autres manifestations de la tension entre individus pour Lappropria- tion des biens, Le sentiment de l’impor- tance du gain dans le jeu, qu'il s’agisse de satisfactions concrétes ou plus sou- vent illusoires, est le mauvais produit d'une mauvaise société, Ce sentiment est naturellement exploité par toutes les for- ces conservatrices qui s’en servent pour masquer la monotonie et I’atrocité des conditions de vie qu’elles imposent. Il suffit de penser & toutes les revendications détournées par le sport de compéition, qui s'impose sous sa forme moderne préci- sément en Grande-Bretagne avec l'essor des manufactures. Non seulement les fou- les s‘identifient & des joueurs profession- nels ou & des clubs, qui assument le mé- me réle mythique que les vede'tes de cinéma vivant et les hommes d’Etat déci- dant & leur place; mais encore la serie infinie des résultats de ces compétitions ne laisse pas de passionner les observa- teurs. La participation directe & un jeu, méme pris parmi ceux qui requiérent un certain exercice intellectuel, est tout aussi peu intéressante dés lors qu'il s’agit d’ac- cepter une compétition, pour elle-méme, dans le cadre de régies fixes. Rien ne montre le mépris contemporain oi est tenue l’idée de jeu comme ce'te outre- cuidante constatation qui ouvre le « Bré- viaire des Echecs > de Tartakower : « Le jeu des Echecs est universellement reconnu comme le rot des jeux ». Lrélément de compétition devra dis- paraitre au profit d'une conception plus réellement collective du jeu : la création commune des ambiances ludiques choi- sies. La distinction centrale qu’il faut dépasser, c’est celle oue I’on établit en- tre le jeu et la vie courante, le jeu étant ‘enu pour une exception isolée et provi- soire. « I] réalise, écrit Johan Huizinga, dans l’imperfection du monde et la con- fusion de la vie, une perfection tempo- raire et limitée ». Le vie courante, condi- tionnée jusqu’ici par le probléme des subsistances, peut étre dominée ration- nellement —- cette possibilité est au coeur de tous les conflits ae notre temps — et le jeu, rompant radicalement avec un temps et un espace ladiques bornés, doit envahir la vie entiére. La perfection ne saurait étre sa fin au moins dans la me- sure oii cette perfection signifie une cons- truction statique opposée a la vie. Mais on peut se proposer de pousser @ sa perfection la belle confusion de la vie. Le baroque, qu’Eugézio d’Ors qual'fiait, pour le limiter définitivement, de « va- cance de l'histoire », le baroque et J'au- dela organisé du baroque tiendront une grande place dans le régne prochain des loisirs. Dans cette perspective historique, le jeu — l'expérimenta'ion permanente de nouveautés Iudiques — n’apparait au- cunement en dehors de Véthique, de la question du sens de la vie. La seule réus- site que l’on puisse concevoir dans le jeu c'est la réussite immédiate de son am- biance, et l’augmentation constante de ses pouvoirs. Alors méme que dans sa coexistence présente avec Jes résidus de la phase de déclin le jeu ne peut s’affran- chir complétement d'un aspect compé- titif, son but doit ére au moins de pro voquer des conditions favorables pour vivre directement. Dans ce sens il est encore lutte et représentation : lutte pour une vie a la mesure du désir, représen- tation concréte d'une telle vie. Le jeu est ressenti comme fictif du fait de son existence marginale par rap- port & l'accablante réalité du travail, mais le travail des situationnistes est pré- cisément la préparation de possibilités ludiques & venir, On peut donc étre tenté de négliger I’Internationale situationniste dans la mesure oft on y reconnaitra aisé- ment quelques aspects d’un grand jeu. « Néanmoins, dit Huizinga, nous avons déja observé que cette notion de « seule- ment jouer » n’exclut nullement la possi- bilité de réaliser ce « seulement jouer > avec une gravité extréme... » Io @ PROBLEMES PRELIMINAIRES A LA CONSTRUCTION DUNE SITUATION, ution de situations commence audeld de I'écroulement 2 de 2 notion de spactace, | ast facile de voir & qual point 2 va iération du vieux mends le principe méme du spectacle: & Movers, comme tes plus valables des utlennaires dacs [a culture ont cherché & briser liden- eur au héros, pour entrafner co La situation est ainsi faite pour ire vécue Le réle du « public’ >, sinon passif du moins doit y diminuer toujours. tandis qu'augmentera la gui ne peuvent éire appelés des acteurs mais, dans un veau de ce terme, des ¢ vivaurs > La conception que nous avons d'une © situation construite » ne se bore pas A un emploi unitairs de moyens artis- tiques concourant a une ambiance, si grandes que puissent étre l'extension spatio-temporelle et la force de cette am- biance. La situation est en méme temps une unité de comportement dans le temps. Elle est faite de gestes contenus dans le décor d'un moment. Ces ges‘es sont le produit du décor et d’eux-mémes. Ils produisent d'autres formes de décor et d'autres gestes. Comment peut-on orien- ter ces forces? On ne va pas se contenter d'essais empiriques d’environnements dont om attendrait des surprises, par provo- cation mécanique. La direction réellement expérimentale de l’activité situationniste est l'établissement, A partir de désirs plus ou moins nettement reconnus, d’un champ d’activité temporaire favorable & ces désirs. Son établissement peut seul entrainer Péclaircissement des désirs pri- mitifs, et l’apparition confuse de nou- veaux désirs dont la racine matérielle sera précisément la nouvelle réalité cons- tituée par les constructions situationnistes. Tl faut done envisager une sorte de psychanalyse & des fins situationnistes, chacun de ceux oui participent A cette aventure devant trouver des désirs précis d’ambiances pour les réaliser, & |'encon- tre des buts poursuivis par les courants issus du freudisme, Chacun doit cher- cher ce qu’il aime, ce qui l'attire (et 1a VW Rapport sur la construction des situations. encore, au contraire de certaines tenta~ tives d’écriture moderne — Leiris par exemple —, ce qui nous importe n’est pas la structure individuelle de notre esprit, ni explication de sa formation, c'est son application possible dans les situations construites). On peut recenser par cette méthode des éléments consti- tutifs des situations a édifier; des projets pour le mouvement de ces éléments. Une telle recherche n’a de sens que pour des individus travaillant pratique- ment dans la direction d'une construction de situations. Ils sont alors tous, soit spontanément soit d'une maniére cons- ciente et organisée, des pré-situationnistes, c’esi-a-dire des individus qui ont ressenti le besoin objectif de cette construction & travers un méme état de manque de la culture, et travers les mémes expressions de la sensibilité expérimen‘ale immédia- tement précédente, Ils sont rapprochés par une spécialisaton et par leur appar- tenance A une méme avant-garde histo- rique dans leur spécialisation. I] est done probable que l'on trouve chez tous un grand nombre de thémes communs du désir situationniste, qui se diversifiera toujours davantage dés son passage a une phase d’activité séelle. La situation construite est forcément collective par sa préparation et son dé- roulement. Cependant il semble, au moins pour la période des expériences pri tives, qu’un individu doive exercer une certaine prééminence pour une situation donnée; en étre Je me'teur en scéne. A partir d'un projet de situation — étudié par une équipe de chercheurs — qui combinerait, par exemple, une réunion émouvante de quelques personnes pour une soirée, i] faudrait sans doute discer- ner en‘re un directeur — ou metteur en scéne : chargé de coordonner les élé- ments préalables de construction du dé- cor, et aussi de prévoir certaines inter- ventions dans les événements (ce demier processus pouvant étre partagé entre plu- sieurs responsables ignorant plus ou moins les plans d’intervention d’autrui) —. des agents directs vivant la situation — ayant participé & la création du pro- jet collectif, ayant travaillé & la compo- sition pratique de l’ambiance —, et quel- ques spectateurs passifs — étrangers au travail de construction — qu'il convien- dra de réduire & U'action. Naturellement le rapport entre le di- recteur et les « viveurs » de la situation ne peut devenir un rapport de spéciali- sations, C’est seulement une subordina- tion momentanée de toute une équipe de situationnistes au responsable d’une ex- périence isolée. Ces perspectives, ou leur vocabulaire provisoire, ne doivent pas donner & croire qu’il s'agirait d'une con- tinuation du théatre. Pirandello et Brecht on fait voir la destruction du spec'acle théatral, et quelques revendications qui sont au-del&. On peut dire que la cons- truction des situations remplacera le théa- tre seulement dans le sens od la construc- tion réelle de la vie a remplacé toujours plus la religion, Visiblement le principal domaine que nous allons remplacer et accomplir est la poésie, qui s'est brilée elle-méme a I’avan’-garde de notre temps, qui a complétement disparu, L’accomplissement rée] de l'individu, également dans l’expérience artistique que découvrent les situationnistes, passe for- cément par Ja domination collective du monde : avant elle, al n’y a pas encore d'individus, mais des ombres hantant les choses qui leur sont anarchiquement don- nées par d’autres. Nous rencontrons, dans des situations occasionnelles, des indivi- dus séparés qui vont au hasard. Leurs émotions divergentes se neutralisent et maintiennent leur solide environnement d’ennui. Nous ruinerons ces conditions en faisant apparaitre en quelques points le signal incendiaire d'un jew supérieur. A notre époque le fonctionnalisme, qui est une expression nécessaire de T'avance technique, cherche a éliminer entigrement le jeu, et les partisans de I’ « industrial design » se plaignent du pourrissement de leur action par la ten- dance de I"homme au jeu. Cette ten- dance, bassement exploitée par le com- merce industriel, remet immédiatement en cause les plus utiles résultats, en exigeant de nouvelles présentations. Nous pensons bien qu'il ne faut pas encourager le re- nouvellement artistique continu de la for- me des frigidaires. Mais le fonctionna- lisme moralisateur n'y peut rien. La seule issue progressive est de libérer ailleurs, et plus largement, la tendance au jeu. Auparavant les indignations naives de la théorie pure de l’industrial design n’em- pécheront pas le fait profond, par exem- ple, que I'automobile individuelle est principalement un jeu idiot, et accessoi- 12 rement un moyen de transport. Contre toujours liés aux politiques de réaction toutes les formes régressives du jeu, qui — il faut soutenir les formes expérimen- sont ses retours & des stade infantiles — tales d’un jeu révolu‘ionnaire, DEFINITIONS situation construite © Moment de la vie, concrétement et délibérément construit par Yorganisation collective d'une ambiance unitaire et d'un jeu d'événements. situationniste Ce gui se rapporte & la théorie ou & Pactivité pratique d’une construction des situations. Celui qui s'emploie A construire des situations. Membre de |’Internationale situationniste. Vocable privé de sens, abusivement forgé par dérivation du terme précédent. Il n’y a pas de situationnisme, ce qui signifierait une doctrine d’interprétation des faits existants, La notion de situationnisme est évidemment congue par les anti-situationnistes. situationni psychogéographie. Etude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affec- tif des individus. psychogéographique Relatif & Ja psychogéographie. Ce qui manifeste I’action directe du milieu géographique sur |'affectivité. psychogéographe Qui recherche et transmet les réalités psychogéographiques. dérive Mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : technique du passage hatif & travers des am- biances variées. Se dit aussi, plus particuliérement, pour désigner la durée d’un exercice continu de cette expérience. wrbanisme unitaire Théorie de l'emploi d'ensemble des arts et techniques concourant & la construction intégrale d'un milieu en liaison dynamique avec des expériences de comportement. dé‘ournement S'emploie par abréviation de la formule : détournement d’élé- ments esthétiques préfabriqués, Intégration de productions ac- tuelles ou passées des arts dans une construction supérieure du milieu. Dans ce sens il ne peut y avoir de peinture ou de musique situationniste, mais un usage situationniste de ces moyens. Dans un sens plus primitif, le détournement a Pintérieur des sphéres eulturelles anciennes est une méthode de propagande, qui témoi- gne de l'usure et de la perte d’importance ds ces sphéres. 13 culture décomposition Refle: et préfiguration, dans chaque moment historique, des pos- sibilités d'organisation de la vie quotidienne ; complexe de l’es- thétique, des sentiments et des moeurs, par lequel une collectivité réagit sur la vie qui lui est objectivement donuée par son écono- mie. (Nous définissons seulement ce terme dars la perspective de la création des valeurs, et non dans celle de leur enseignement). Processus par leque] les formes culturelles tracitionnelles se sont détruites elles-mémes, sous l'effet de 'apparition de moyens supé- rieurs de domination de la nature, permettant et exigeant des constructions culturelles supérieures. On distingue entre une phase active de la décomposition, démolition effective des vieilles superstructures — qui cesse vers 1930 —, et une phase de répétition, qui domine depuis. Le retard dans le passage de la décomposition & des constructions nouvelles est lié au retard dans la liquidation révolutionnaire du capitalisme. 14 FORMULAIRE POUR UN URBANISME NOUVEAU Nous nous ennuyons dans Ja ville, id s de temple dv soleil. Entre les des passantes les dadaistes au- rsient youlu trouver une clef & molette, et les surréalis'es une coupe de cristal, c'est perdu. Nous savons lire sur les cages toutes les promesses, dernier état de la morpholosie. La poésie des affiches a duré vi iy dans la ville, i! faut se fatiguer salement pour découvrir « encore des mystéres sur les pancartes de a vole publique, dernier @at de humour et de la poésic : Bain-Douch Patriarc Machines 4 tran, Zoo Notre-Dame Pharmacie des Sports Alimentation des Martyrs Béton translucide Scierie Main-d'or Centre de récupération fonciionnel.c Ambulance Sainte-Anne Cinquiéme avenue café Rue des Volontaires Prolongée Pension de famille dans le jardin er les viandes Toutes les villes sont géologiques et Von ne peu’ faire trois pas sans rencon- trer des fantémes, armés de tout le pres- tige de leurs légendes. Nous évoluons dans un paysage fermé dont les points de repére nous tirent sans cesse vers ie passé. Certains angles mouvants, cer‘ai- nes perspectives fuyantes nous permettent d'entrevoir d'originales conceptions de Vespace, mais cette vision demeure frag- mentaire. Il faut la chercher sur les liewx magiques des contes du folklore et des écrits surréalistes : chateaux, murs in‘er- minables, petits bars oubliés, caverne du mammou’h, glace des casinos. 15 SIRE, JE SUIS DE L'AUTRE PAYS. Hotel des Etrangers Rue Sauvage Et la piscine de la rue des Fillettes. Et le commissariat de police de la rue du Rendez-vous. La clinique médico-chirur- gicale et le bureau de placement gratuit du quai des Orfévres. Les fleurs artifi- cielles de Ja rue du Soleil. L'hétel des Caves du Cha'eau, le bar de I'Océan et le ca:é du Va et Vient. Lhétel de Epoque. Et l'étrange statue du Docteur Phi- lippe Pinel, bienfaiteur des aliénés, dans les derniers soirs de I’été. Explorer Paris. E* toi oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les consternations de la map- pemonde, échouge au Caves Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géogra- phie, ne partant plus pour I’hacienda of les racines pensent a l'enfant et ot le vin s'achéve en fables de calendrier. Mainte- nant cest joué, L’hacienda, tu ne la ver- ras pas. Elle n’existe pas. JI faut construire Uhacienda. Ces images périmées conservent un petit pouvoir de catalyse, mais il. es! presque impossible de les employer dans un urbanisme symbolique sans les rajeu- nir, en les chargeant d’un sens nouveau. Notre mental hanté par de vieilles ima- ges-clefs est resté trés en artiére des machines perfectionnées. Les diverses tentatives pour intégrer a science mo- deme dans de nouveaux mythes demeu- rent insuffisantes. Depuis, Pabstrait a envahi tous les arts, en particulier Par- chitecture d'aujourd’hui. Le fait plas'i- que A V'état pur, sans anecdote mais ina- nimé, repose l'eeil et le refroidit, Ailleurs se retrouvent d'autres beautés fragmen- taires, et de plus en plus Iointaine la terre des synthéses promises. Chacun hé- site entre le passé vivant dans |'affectif et l'avenir mort dés & présent. Nous ne prolongerons pas les civilisa~ tions mécaniques et I'architecture froide qui ménent & fin de course aux loisirs ennuyés. Nous nous proposons d’inventer de nouveaux décors mouvants. (...) Lrobscurité recule devant ]’éclairage et les saisons devant les salles clima- tisées : la nuit et |’été perdent leurs char- mes, et l’aube disparait. L’homme des villes pense s’éloigner de la réalité cos- mique et ne réve pas plus pour cela. La raison en est évidente : Je réve a son point de départ dans la réalité et se réalise en elle. Le dernier état de Ja technique per- met le con‘act permanent entre l'individu et la réalité cosmique, tout en supprimant ses désagréments. Le plafond de verre laisse voir les étoiles et la pluie. La mai- son mobile tourne avec le soleil. Ses murs A coulisses perme'tent a la végétation d’envahir la vie. Montée sur glissiéres, elle peut s’avancer le matin jusqu’a la mer, pour rentrer Je soir dans la forét. L’architecture est le plus simple moyen Garticuler le temps et Tespace, de mo- duler la réalité, de faire réver.I] ne s’agit pas seulement d’articulation et de modu- lation plastiques, expression d'une beauté passagére, Mais d'une modulation influen- tielle, qui s’inscrit dans la courbe éter- nelle des désirs humains et des progrés dans la réalisation de ces désirs. L’architecture de demain sera donc un moyen de modifier les conceptions actuel- les du temps et de I'espace. Elle sera un moyen de connaissance et un moyen d'agir. Le complexe architectural sera modi- fiable. Son aspect changera en partie ou totalement suivant la volonté de ses ha- bitants. (...) Les collectivités passées offraient aux masses une vérité absolue et des exemples mythiques indiscutables. L’entrée de la notion de relativité dans l’esprit moderne permet de soupconner le e6té EXPERI- MENTAL de la prochaine civilisation, encore que le mot ne me satisfasse pas. Disons plus souple, plus « amusé ». Sur les bases de cette civilisation mobile, |'ar- 16 chitecture sera —~ aut moins & ses débuts d'expérimenter les mille lc modifier la vie, en vue d'une synthése qui ne peut étre que légendaire. “ne maladie mentale a envahi la pla- la banalisation. Chacua est hypno- par la production et le confort — V7 tout-al’égottt, ascenseur, salle de bains, machine & laver. Cet état de fait qui a pris naissance dans une protestation contre la mistre dépasse son but lointain — libération de Vhomme des soucis matériels — pour devenir une image obsédante dans l'im- médiat. Entre amour et le vide-ordure auomatique la jeunesse de tous les pays a fait son choix et préfére le vide- oxdure, Un revirement comple de ’es- prit est devenu indispensable, par la mise en lumiére de déirs oubliés et la créa- tion de désirs entigrement nouveaux, Et par une propagande .ntensive en faveur de ces désirs. Nous avons déja signalé le besoin de construire des situations comme un des désirs de base sur lesquels serait fondée la prochaine civilisation. Ce besoin de création absolue a toujours &é étroite- ment mélé au besoin de jouer avec l'ar- chitecture, le temps et I’espace. (...) Un des plus remarquables précurseurs de l’architecture restera Chirico. I] s'est attaqué aux problémes des absences et des présences & travers le temps et 'es pace. On sait qu'un objet, non remarqué consciemment lors d'une premiére visile, provoque par son absence au cours des visites suivan'es, une impression indéf- nissable : par un redressement cans le temps, l'ebsence de l'objet se fait présen- ce sensible, Mieux: bien cue restant gén ralement indéfinie, Ia qualité de !"impres- sion varie pourtant suivant la nature de Vobjet en'evé et l'importance que le visi- teur lui accorde, pouvant aller de la joie sereine & ['épouvante (peu nous importe que dans ce cas précis le véhicule de Vétat d’ame soi: la mémoire. Je n'ai choisi cet exemple que pour sa commo- dité). Dans la peinture de Chirico (période des Arcades) un espace vide ciée un temps bien rempli. il est aisé de se re- présenter l'avenir que nous réserverons & Je parsils acchitectes, et quelles seront teu's influences sur les foules. Nous ne pouvons aujourd'hui que mépriser un s'acle aui relégue de pareilles maguettes dans de prétendus musées. Cette vision nouvelle du temps et de Mespace qui sera la base théorique des constructions A venir, n'est pas au point et ne le sera jamais entiéremen* avant d'expérimenter les comportements dans des villes réservées & cet effet, od seraient céunis systématiquement, outre les établis- sements indispensables A un minimum de coniort et de sécurité, des batiments chargés d'un grand pouvoir évocateur et influeniel, des 4difices symboliques figurant les désirs, les forces, les événe- ments passés, présents et a venir, Un élargissement rationnel des anciens sys- ‘émes religiewx, des vieux contes et sur~ tout de la psychanalyse au bénéfice de Tarchitecture se fait plus urgent chaque 18 jour, & mesure que di:paraissent les rai- sons de se passionner. En quelque sorte chacun habitera s2 hid sennelie, I] y aura des piéces qui feront réver mieux que des drogues, ct des maisons of l'on ne pourra qu'aimer, D’autres aitireront invincible: ment les voyageui On peut comparer ce proje’ aux jar- dins chinois et japonais en trompe-l’cai! difference q jardins ne sont pour y vivre entiérement — ou au labyrinthe ridicue du Jardin des Piantes & entrée duquel on pei comble de la bétise, Arian Les jeux sont interdits dans Cette vill chémage: labyrinthe, pourrait étre envisagée sous la forme d'une réunion arbitraire de Ce serait chateaux, gro tes. lacs, ete... le sade baroque de lurbanis: déré comme un moyen de connaissance Mais déja cette phase théorique est dé- passée, Nous savons ¢ue l’on peut cons truire un immeuble moderne dans lequel on ne reconnaitrait en rien un chateau médiéval, mais qui garderait et multiplie- rait le pouvoir poétique du Chateau (par la conservation d'un strict minimum de lignes, la transpositicn de certaines au tres, 'emplacement cles ouvertures, la si- tuation topographique, etc.). Les quartiers de cette ville pourraient correspondre aux divers sentiments cata- logués que l'on rencontre par hasard dans la vie courante. Quartier Bizarre — Quartier Heu- reux, plus particuliérement réservé & Phabitation — Quartier Noble et Tra- gique (pour les enfan’s sages) — Quar- tier Historique (musées, écoles). — Quartier Utile (hdpital, magasins d’ou- tillage) — Quartier Sinistre, ete... Et un Asirolaire qui grouperait les espéces végétales selon les relations qu’elles attes- tent avec le rythme stellaire, jardin pla- nétaire comparable & celui que |'astro- nome Thomas se propose de faire établir & Vienne au lieu dit Laaer Berg. Indis- pensable pour donner aux habitants une conscience du cosmique. Peut-tre aussi 19 un Quartier de la Mort, non pour y mou- “ir mais pour y vivre en paix, et ici je pense au Mexique et & un principe de uauté dans innocence qui me devient chaque jour plus cher. Le Quarlier Sinistre, par exemple, remplacerait avantageusement ces trous, bouchss des enfers, que bien des peuples possédaien jadis dans leur capitale : Is symbolisaient les puissances maléfi- ques de la vie. Le Quartier Sinistre nvaurait nul besoin de recéler des dan- gers réels, tels que piéges, oubliettes, ou mines. Il serait "approche compli- quée, affreusement décoré (sifflets stri- dents, cloches d’alarmes, sirénes pério- diques A cadence irréguliére, sculp‘ures monstrususes, mobiles mécaniques & mo- reurs, dits Auto-Mobiles) et peu éclairé la puit, autant que violemment éclairé le jour pay un emploi abusif du phénoméne de réverbération. Au centre, la « Place du Mobile Epouvantable ». La satu- ation du marché par un produit provo- que la baisse de ce produit : "enfant et T'adulte apprendraient par l'exploration du quartier sinistre & ne plus craindre les manifestations angoissantes de la vie, mais & s’en amuser. L'activité principale des habitants sera la DERIVE CONTINUE. Le chan- gement de paysage d’heure en heure sera responsable du dépaysement com- plet. (..) Plus tard, lors de l'inévitable usure des gestes, ce'te dérive quittera en partie Je domaine du vécu pour celui de la re- présentation. (...) Llobjection économique ne résis’e pas au premier coup d'cril. On sait que plus un liew est réservé @ la Liberté de jeu, plus il influe sur le comportement et plus sa force d’atraction est grande. Le pres- tige immense de Monaco, de Las Vegas, en est la preuve. Et Reno, caricature de T'union libre. Pourtant il ne s'agit que de simples jeux d’argen'. Cette premiére ville expérimentale vivrait largement sur un tourisme toléré et contrélé. Les pro- chaines activités et productions d'avant- garde s’y concentreraien: d’elles-mémes. capitale intellectuelle du monde, et serait En quelques années elle deviendrait la partout reconnue comme telle. Gilles Ivain. : i aielenn oe Linternationale lettriste avait adopté en octobre 1953 ce rapport de Gilles Ivain sur l'urbanisme, qui constitua un élément décisif de Ja nouvelle orientation prise alors par l'svant-garde expérimentale, Le présent fexte 2 616 Etabli & portir de deux éiats successifs du manus: crit, comportant de léqares différences de formulation, conservés dans jes archives de I'L, puis devenus les places numéro 103 et numéro 108 des Archives Situationnistes THESES SUR LA REVOLUTION CULTURELLE 1 Le but traditionnel de l’esthétique est de faire sentir, dans la privation et I’absence, certains éléments passés de la vie qui, par une médiation artistique, échapperaient & la confusion des apparences, l’apparence étant alors ce qui subit le régne du temps. Le degré de la réussite esthétique se mesure donc @ une beau'é inséparable de la durée, et tendant méme A une prétention d’éternité. Le but des situationnistes est la participation immédiate A une abondance passionnelle de Ja vie, & travers le changement de moments périssables délibérément aménagés. La réussite de ces moments ne peut étre que leur effet passager. Les situationnistes envisagent l’activité culturelle, du point de vue de la totalité, eomme méthode de construction expérimentale de la vie quotidienne, développable en permanence avec I'extension des loisirs et la disparition de la division du travail (@ commencer par la division du travail artistique). 20 2 Liart peut cesser d’étre un rapport sur les sensations pour deveme une organisation directe de sensations supérieures. I] s'agit de produire nous-mémes, e non des choses qui nous asservissent. 3 Mascolo a raison de dire («Le Communisme ») que la réduction de la journée de travail par le régime de la dictature du prolétariat est « la plus cer‘aine assurance qu'il puisse donner de son authenticité révolutionnaire ». En effet, « si l'homme est une marchandise, s'il es! traité comme une chose, si les rapports généraux des hommes entre eux sont des rapports de chose & chose, c'est qu'il est possible de lui acheter son temps ». Mascolo cependant conclue trop vite que « le temps d’un homme librement employé » est toujours bien employé, et que « l'achat du temps est le seul mal ». Il n'y a pas de liberié dans I’emploi du temps sans la possession des instruments moder- nes de construction de la vie quotidienne. L’usage de tels instruments marquera le saut d'un art révolutionnaire utopique & un art révolutionnaire expérimental. 4 Une association internationale de situationnistes peut étre considérée comme une union des travailleurs d'un secteur avancé de a culture, ou plus exactement comme une union de tous ceux qui revendiquent le droit 4 un travail que les conditions sociales en- travent maintenant; donc comme une tentative d’organisation de révolutionnaires pro- fessionnels dans la culture. 5 Nous sommes séparés pratiquement de la domination réelle des pouvoirs matériels accumulés par notre temps. La révolution communiste n’est pas faite et nous sommes encore dans le cadre de la décomposition des vieilles superstructures culturelles. Hen- ni Lefebvre voit justement que cette contradiction est au centre d'un désaccord spéci- fiquement moderne en're lindividu progressiste et le monde, et appelle romantique- révolutionnaire la tendance culturelle qui sz fonde sur ce désaccord. L’insuffisance de la conception de Lefebvre est de faire de la simple expression du désaccord le critére suffisant d’une action révolutionnaire dans Ja culture. Lefebvre renonce par avance & toute expérience de modification culturelle profonde en se satisfaisant d’un contenu : la conscience du possible-impossible (encore trop lointain), qui peut étre exprimée sous n’importe quelle forme prise dans le cadre de la décomposition. 6 Ceux qui veulent dépasser, dans tous ses aspects, I’ancien ordre établi ne peuvent s’attacher au désordre du présent, méme dans la sphére de la culture. I] faut lutter sans plus attendre, aussi dans la culture, pour l’apparition concré‘e de |’ordre mouvant de l'avenir, C’est sa possibilité, déja présente parmi nous, qui dévalorise toutes les expressions dans les formes culturelles connues. I] faut mener A leur destruction extré- me toutes les formes de pseudo-communication, pour parvenir un jour A une commu- nication réelle directe (dans notre hypothése d'emploi de moyens culturels supérieurs : la situation construite). ia victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans Vaimer. 7 Dans le monde de Ia décomposition nous pouvons faire lessai mais non l'emploi de nos forces. La tache pratique de surmonter notre désaccord avec le monde, c’est- a-dire de surmonter la décomposition par quelques constructions supérieures, n'est pas romantique. Nous serons des ¢ romantiques-révolutionnaires >, au sens de Lefebvre, exactement dans la mesure de notre échec. G.-E. Debord. 21 LES SITUATIONNISTES ET L’AUTOMATION Il est assez étonmant que presque per- sonne, jusqu’a présent, n'ose développer la pensée de l’au'omation jusqu’A ses dernigres conséquences. Par le fait, il n'y a pas de véritables perspectives, On a pluté: l’impression que les ingénieurs, les savants, les sociologues essaient de faire passer |’automation en fraude dans la société. Pour‘ant J'automation est maintenant au centre du probléme de la domination socialiste de la production et de la pré- éminence des loisirs sur le temps de tra- vail. La question de I'automation est la plus chargée de possibili'és positives et négatives. Le but du socialisme est l'abondance: le plus grand nombre de biens au plus grand nombre de gens, ce qui implique statistiquement la réduction jusqu’a l'im- probable des apparitions de l'imprévu, La croissance du nombre des biens ré- duit la valeur de chacun. Ce'te dévalo- risation de tous les biens humains & un stade de neutralité pour ainsi dire par- faite sera le résultat inévitable d'un déve- loppemen: purement scientifique du so- cialisme. I] est regrettable que bien des intellectuels ne dépassent pas cette idée de la reproduction mécanique, et prépa- ren: l'adaptation de l'homme & ce futur incolore et symétrisé. De sorte que les artistes, spécialisés dans la recherche de Tunique, se tournent avec hostilité, en nombre croissant, contre le socialisme. A inverse les politiques du socialisme entretiennent la méfiance contre toutes les manifestations de puissance ou d'ori- ginalité artistiques. Attachés & leurs positions conformis- tes, les uns et les autres font preuve d'une certaine mauvaise humeur envers Pautomation, qui risque de remettre en cause profondément leurs conceptions économiques et culturelles. Il y a, dans toutes les tendances « d'avant-garde » un défaitisme & propos de l’automation ou, au mieux, une sous-estimation des éléments positifs de l'avenir dont les dé- buts de l'automation révélent brusque- ment la proximité. En méme temps les forces réactionnaires font étalage d’un optimisme idiot, Une anecdote est significative. L’an demier dans Ja revue « Quatriéme In- ret le 1268 automatique de lo Ges billes & T'arrivée) aristigues de la dérive se. situent frajets elativement imprévisibles de chaque bille ternationale » Ie militant marxis‘e Livio Maitan rapportait qu'un prétre italien avait déj& avancé V'idée d'une seconde messe hebdomadaire, nécessi*ée par I’ac- croissement du temps libre. Maitan ré- pondait : « L’erreur consiste en ce que Ton estime que l'homme de la société 22 nouvelle sera le méme que dans la pré- sente société, alors qu’en réalité il aura des besoins e: des exigences complétement divers qu’il nous est difficile méme de concevoir ». Mais l’erreur de Maitan est de laisser au vague futur les nou- velles exigences qu’il lui est « difficile méme de concevoir ». Le réle dialectique de T'esprit est d'incliner le possible vers des formes souhaitabies. Maitan oublie que toujours « les éléments d'une société nouvelle se sont formés dans la société ancienne », comme dit le manifeste com- muniste, Des éléments d'une vie nouvelle doivent déjA étre en formation parmi nous — dans le champ de la culture —, # c'est A nous de nous en servir pour passionner le débat. Le socialisme, qui tend a la plus com- late Libération des énergies et des capa- cités qui sont dans chaque individu, sera obligé de voir dans l’automation une tendance an‘i-progressiste en soi, rendue progressiste uniquement par sa relation ‘avec de nouvelles provocations capables dextérioriser les énergies latentes de Vhomme. Si, comme le prétendent les savan's et les techniciens, l’automation est un nouveau moyen de libération de T'homme, elle doit impliquer un dépas- sement des précédentes activités humai- nes. Ceci oblige l’imagination active de Vhomme & dépasser la réalisation de l'automation méme. Oli trouvons-nous de telles perspectives, qui rendraient I"hom- me maitre et non eselave de l’auto- mation? Louis: Salleron explique dans son étu- de sur « L’Automation » que celle-ci & comme presque toujours en matiére de progrés... ajoute plus qu’elle ne remplace ou quelle ne supprime ». Qu’est-ce que Vautomation, en elle-méme, ajoute & la possibilité d'action de l'homme? Nous avons appris qu’elle supprime celui-ci complétement dans son propre domaine. La crise de I'industrialisation est une crise de consommation et de production. La crise de production est plus impor- tante que la crise de consommation, celle- 23 ci étant conditionnée par la premiére. Transposé sur le plan individuel, ceci équivaut & Ja thése qu'il est plus satis- faisant de donner que de recevoir, d’étre capable d'ajouter que de supprimer. L'automation posséde ainsi deux pers- pectives opposées : elle enléve a |’indi- vidu toute possibilité d'ajouter quoi que ce soit de personnel & la production auto- matisée qui est une fixation du progrés, et en méme temps elle économise des énergies humaines massivement libérées des activités reproductives et non = créa- tives. La valeur de l'automation dépend done des projets qui la dépassent, et qui dégagen: de nouvelles énergies humaines sur un plan supérieur. L'activié expérimentale dans la culture, aujourd’hui, & ce champ incomparable. Et Lattitude défaitste ici, la démission devant les possibilités de l'époque, est symptomatique des anciennes avant- gar~ des qui veulent rester, comme I'écrit Ed- gar Morin, « & ronger un os du passé >. Un surréaliste nommé Benayoun dit dans le n° 2 du « Surréalisme méme », der- niére expression de ce mouvement : « Le probléme des loisirs tourmen'e déja les sociologues... On ne. réclamera plus des techniciens, mais des clowns, des chan- teurs de charme, des ballerines, des hom- mes caoutchouc. Une journée de travail pour six de repos : Péquilibre entre le sérieux et le futile, feisif et le laborieux risque fort d’é:xe renversé... le « travail- leur », dans son désceuvrement sera cré- tinisé par une télévision convulsionnaire, cnvahissante, & court d'idées, en quéte de talents ». Ce surréaliste ne voit pas quwune semaine de six jours de repos n’entrainera pas un « renversement de Péquilibre » entre le futile et le sérieux mais un changement de nature du sérieux aussi bien que du futile. Il n’espére que des quiproquos, des retournements ridi- cules du monde donné qu’il congoit, & Timage du surréalisme vieilli, comme une sorte de vaudeville intangible. Pourquoi cet avenir serait-il I’hypertrophie des bassesses du présent? Et pourquoi serait-

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