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de façon lancinante depuis le début de son mandat,


le débat sur la santé mentale du président est relancé
Une Maison Blanche «de feu et de fureur»
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
avec une virulence nouvelle.
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 9 JANVIER 2018

Dans une librairie de New York, 5 janvier 2017. © Reuters

Dans une librairie de New York, 5 janvier 2017. © Reuters Au-delà des petites phrases et des faits, Fire and Fury
Aux États-Unis, un livre événement fait vaciller la (« Le feu et la fureur »), que Mediapart a lu, n’est
présidence. Fire and Fury, que Mediapart a lu, dépeint pas juste le récit d’une présidence cataclysmique où
un pouvoir chaotique, un Trump abruti, les rivalités des bouffons de premier ordre passent leur temps à se
qui minent. Mais il raconte surtout un monde de télé- haïr tout en prétendant diriger la première puissance
réalité, creux, cynique et détestable, où la célébrité, la mondiale.
réussite et l’argent sont les seules boussoles. Le plus fascinant, c’est son caractère de quasi-objet
Fire and Fury est parti pour être le carton de l’année. culturel. Ce livre est un concentré effrayant de ce que
Aux États-Unis, le livre du journaliste Michael Wolff, l’Amérique peut sécréter de plus veule, de plus trash,
sorti ce vendredi 5 janvier, est en tête des ventes sur de plus décérébré. Dans le monde de Donald Trump,
Amazon, en cours de réimpression, indisponible dans seules importent la célébrité, la richesse et l’illusion.
bien des librairies et partout sur Internet. Michael Wolff en décrit les personnages et les drames
C’est déjà un phénomène politique : quelques phrases avec minutie.
assassines de Steve Bannon, l’ancien conseiller spécial Fasciné par les puissants, l’auteur a frayé avec ce
de Donald Trump, ont suffi au président des États-Unis monde-là. Il y a quelques années, Wolff a même fait
pour répudier l’idéologue d’extrême droite qui a joué une apparition dans le pilote d'une émission de télé-
un rôle crucial dans sa campagne. réalité produite par Trump. L'émission s'appelait «
Puis Donald Trump a voulu (en vain) faire interdire Trump Town Girls ». Des « miss » y vendaient des
le livre en se plaignant que les lois anti-diffamation maisons — elle n'a finalement jamais été diffusée.
américaines soient « trop faibles » : un comble pour C’est d'ailleurs parce qu’il a flatté Donald Trump à
ce menteur en série, président d’un pays où la liberté coup de chroniques bienveillantes qu’il a été accepté
d’expression est inscrite dans le premier amendement dans la « West Wing » de la Maison Blanche, l'aile du
de la Constitution. pouvoir. Collaborateur à Vanity Fair et au Hollywood
Reporter, il est connu pour être parfois léger sur les
Décrit dans le livre comme un quasi-illettré,
faits. Dans Fire and Fury, des noms et des détails
incompétent, borné ou idiot, Donald Trump a dû se
sont erronés. Wolff reconnaît que les récits recueillis
fendre ce week-end d’une série de tweets où il se
sont « en conflit les uns les autres » ou « ouvertement
vante d’être« genre, vraiment intelligent », un « génie
faux », mais qu'il n'a pas toujours tranché entre les
très stable » (sic). Cette réaction au-delà de l’étrange
différentes versions des faits « pour laisser le lecteur
prouve à elle seule que l’auteur a touché juste. Abordé
juger ». Il a bel et bien bénéficié d’un accès privilégié
à la Maison Blanche qui lui a permis de rencontrer,

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dit-il, deux cents personnes pendant des mois. Dans Wolff le compare aux catcheurs à la Hulk Hogan,
le chaos général, son accès, autorisé par Trump lui- ces demi-héros si américains. Comme eux, il est un «
même, n'a jamais été révoqué. personnage fictionnel de la vie réelle ». Donald Trump
Pour écrire son histoire, le rusé Wolff a dupé le joue, monte et descend de scène, comme un acteur.
mystificateur en chef. « Cet homme n’arrête jamais d’être Donald Trump
», dit son ancienne éminence grise Steve Bannon.
Cette histoire, c’est celle d’un homme d’affaires
Son personnage, écrit Wolff, mêle « la rage » des
tellement persuadé de perdre qu’il a refusé d’investir
plateaux télé, le télévangéliste, le coach, le vlogueur
dans sa propre campagne. Trump et tous ceux
de Youtube. Un show sans début ni fin, un tourbillon
qui l’entourent n’ont jamais pensé l'emporter. La
infernal. Donald Trump, le vrai, n’existe pas. Ou
campagne devait surtout être une publicité géante
plutôt, il est juste cet homme au centre de la scène.
pour la marque Trump. « Trump, écrit Wolff, serait
l’homme le plus célèbre du monde. Sa fille Ivanka et « Est-ce que Trump est une bonne personne, une
son gendre Jared passeraient du rang d’enfants riches personne intelligente et capable ? demande son ancien
méconnus à celui de célébrités et d’ambassadeurs collaborateur Sam Nunberg, exfiltré de la campagne
de la marque. Steve Bannon deviendrait de facto le pour des posts racistes sur Facebook. Je ne sais même
chef du Tea Party. [La conseillère] Kellyanne Conway pas. Mais je sais que c’est une star. »
deviendrait une star de la télé. » Le général Mike Les femmes qu’il se vantait en 2005 d’attraper « par
Flynn, rattrapé depuis par l’affaire russe, ne pensait la chatte » ne peuvent être autre chose que des «
pas que ses relations tarifées avec la Russie poseraient trophées ». « Son unique vertu politique, c’est d’être
problème puisque Trump, disait-il à ses amis, allait un mâle alpha, se réjouit Bannon, idéologue raciste,
mordre la poussière. sexiste et homophobe. Peut-être le dernier des mâles
L’homme d’affaires new-yorkais est aussi un ancien alpha. Un homme des années 1950, un personnage
héros de la télé-réalité. Pendant des années, il a animé de Mad Men. » Trump, écrit Wolff, « aime dire
sur la chaîne NBC le show « The Apprentice », tourné qu’une des choses qui rend la vie digne d’être vécue
dans la Trump Tower de New York, dont chaque est d’attirer les femmes des amis dans son lit ». Le
émission se concluait par la même scène : un Trump journaliste dépeint un Trump tordu, qui piège ses
en majesté, érigé en modèle de businessman, virant amis en leur proposant des prostituées tandis que leur
d’un « You’re fired » (« vous êtes viré ») tonitruant les épouse écoute à l’autre bout du fil.
candidats au succès. Le président télévisé
Dans Fire and Fury, Trump apparaît fasciné par la
célébrité. « De façon futée, Trump est devenu la star
de son propre reality show, écrit Wolff. Il a fait
sienne une théorie qui le servirait bien pendant sa
campagne présidentielle : il n’y a pas de bien plus
grand que la célébrité. Être célèbre c’est être aimé,
ou au moins flatté. » Trump parle de lui à la troisième
Michael Wolff sur le plateau de NBC, 6 janvier 2017. © Reuters
personne. Il jubile d’« être la personne la plus connue Trump est un boulimique de télévision, plusieurs
du monde ». Enrage quand des personnalités refusent heures par jour. « Il est post-lettré : rien que la
d’apparaître à son investiture. Veut des « stars » télévision. » Il n'y a plus de politique, noyée dans un «
pour porter sa parole – en vain, les personnalités amoncellement d’événements » qu’il jubile de créer en
conservatrices approchées, comme l’animatrice de produisant des tweets ou des confidences ensuite repris
radio Laura Ingraham ou le présentateur de Fox New en boucle sur les chaînes de télévision – décrites en
Tucker Carlson déclineront toutes. complices parfois très consentantes. « Contrevenant à

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la logique de la culture et des médias, Donald Trump trop riche. » L’ancien patron de la banque Goldman
produit sur une base quotidienne un récit étonnant que Sachs Gary Cohn devient son conseiller économique,
l’on ne peut s’empêcher de suivre (…) C’est la nature rejoint par Dina Powell, ancienne responsable du
radicale et transformatrice de la présidence Trump : mécénat de la banque d’affaires.
elle retient l’attention de tous. » Trump lit le monde avec la lunette binaire du chasseur
Donald Trump ne lit jamais. « Il ne parcourt même de primes. Il répète : « J’ai gagné. Je suis le vainqueur.
pas ce qui est écrit. Si c’est imprimé, c’est comme Pas le perdant. » Trump voit le monde comme un
si cela n’existait pas. » Dans son entourage, certains business. Familial, évidemment. Après son élection,
posent des diagnostics : à demi-illettré ? Dyslexique ? la commentatrice d’extrême droite Ann Coulter est la
Victime d’un syndrome d’inattention prononcé ? Les seule à lui dire qu’il ne peut pas « embaucher ses
briefings des services de renseignement l’ennuient. « enfants ». Il passe outre pour sa fille Ivanka, propulsée
Il semble avoir une phobie pour tout ce qui requiert conseillère spéciale – elle se voit déjà un jour à la
expressément son attention », écrit Wolff. Maison Blanche. Il continue à superviser de loin les
Son ancien proche Sam Nunberg raconte à Wolff avoir affaires de la Trump Organization désormais gérée par
échoué à expliquer à Trump plus de quatre articles ses fils.
de la Constitution, avant que Trump ne décroche Le conflit d’intérêts, Trump s’en moque. Il pense
pour de bon. « Il avait gagné la présidentielle, mais même, écrit Wolff, avoir été « élu non pas en dépit,
son cerveau semblait incapable de réaliser les tâches mais à cause de cela : sa connaissance des affaires,
essentielles de son nouveau job [de président], écrit ses connexions, son expérience, sa marque ». Comme
Wolff. Il n’était pas capable de planifier, d’organiser, si la corruption (les casinos en faillite à Atlantic City,
de prêter attention puis de changer de sujet. (…) Il ne les affaires louches à New York, en Russie ou à Mar-
pouvait pas lier la cause et l’effet. » Trump fonctionne a-Lago), qui aurait pu être fatale aux autres, ajoutait
par « obsessions ». Voilà selon Wolff le « problème à son attrait. « Après tout, c’était son programme: je
central » de sa présidence : il « ne traite pas les ferai pour vous ce qu’un businessman coriace ferait
informations de manière conventionnelle. Il ne les pour lui-même. »
traite pas du tout ».
Boursouflé d’orgueil, incapable de « courtoisie », il «
n’écoute personne » mais s’il le fait, c’est le dernier à
parler qui a raison. Wolff s'émerveille presque : « Vous
pouvez lui dire ce que vous voulez, il sait ce qu’il sait,
et si ce que vous dites contredit ce qu’il sait, il ne vous
« Trump : je suis un génie très stable. » CNN, 7 janvier 2017.
croit pas. »
À la fin du livre, Bannon, décrit comme le moins
Trump révère l’argent qui fait, semble-t-il penser,
idiot de la bande pour avoir lu « un livre ou deux
les hommes de qualité. Dans le livre de Wolff, les
», prédit que Trump est déjà fini. Wolff le cite : «
financiers et les fortunés sont partout. Quand il doit
Il y a 33,3 % de chances que l’enquête de Mueller
choisir un chef de cabinet, un poste de conseiller ultra-
conduise à un impeachment, 33,3 % de chances qu’il
stratégique, il pense au milliardaire Tom Barrack,
démissionne [à cause de son incapacité] et 33,3 %
patron du fonds Colony Capital, qui fait partie « de son
qu’il boite jusqu’à la fin de son mandat. » La famille
cabinet informel de promoteurs immobiliers comme
Trump est, affirme Wolff, tétanisée par l'éventuelle
Steven Roth ou Richard Le Frak » et a renfloué son
révélation d'opérations de blanchiment d'argent. Une
gendre Jared, lui-même promoteur. « Il conduirait les
ancienne participante de « The Apprentice » nommée
affaires et Trump vendrait le produit Make America
à la Maison Blanche, la seule Noire dans l'état-major
Great again ». Mais Barrack refuse : « Je suis juste
présidentiel, vient de quitter son poste en menaçant

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de balancer les horreurs qu'elle y a entendues. Une Boite noire


autre accuse Trump de l'avoir agressée et le poursuit Ajout après parution: la participation de Wolff à un
en justice. pilote... de télé-réalité de Donald Trump.
Quant aux fidèles du président, ils continuent à
célébrer la relation « magique » de leur héros avec
ses électeurs. À moins, à moins, que le spectacle ne
commence à fatiguer certains.

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