comédienne
Entretien réalisé par François Justamand
23 mai 2009
La comédienne Gilberte Aubry est une des voix françaises les plus char-
mantes des années 40 et 50. C’est grâce à Jean Davy qu’elle a l’idée de faire
du doublage. C’est en novembre 1946, pour la Paramount, et elle a tout juste
20 ans. Deux ans plus tard, la branche française de la RKO lui confie la
star Shirley Temple qu’elle va adorer doubler. Dans les années 50, elle suit
à la synchro plusieurs actrices connues dont Wanda Hendrix et surtout la
pétillante Piper Laurie. Mais c’est sa rencontre vocale avec Romy Schneider,
notamment pour les Sissi, qui va marquer les mémoires puisque ces films sont
diffusés régulièrement à la télévision.
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Mon père, par un ami commun, m’a obtenu un rendez-vous avec un
comédien de l’Odéon, Pierre Morin, qui a écouté ma scène de L’Épreuve et
m’a dit : « Votre scène est très bonne, il faut vous présenter au Conservatoire
au prochain concours d’entrée. . . » Le bonheur ! Je me suis donc inscrite,
n’ayant jamais mis les pieds dans un cours, et ne connaissant rien d’autre
que ma merveilleuse pièce (rires). Pierre Morin m’a trouvé quelqu’un pour
me donner la réplique. J’étais exactement dans les mêmes conditions que
Janine Darcey dans le film Entrée des artistes avec Louis Jouvet. Quand je
me suis retrouvée sur la grande scène avec mon air timide, ma petite robe à
fleurs et mon bouquet, j’aurais dû plaire au jury. . . Hélas, hélas ! Ce jour-là,
mon meilleur atout, ma douce voix était transformée en voix de mêlécasse,
une laryngite ! (rires). Adieu mes espoirs. . .
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Plus tard, au théâtre, j’ai doublé Juliette Faber dans La Tête des autres
au théâtre de l’Atelier. Sans jamais jouer. Elle, elle avait une santé de fer !
Tout de même, à la fin des représentations, la pièce a été reprise au théâtre
de la Renaissance avec les « doubleurs ». Enfin je montais sur scène au lieu
d’attendre en coulisses. Une anecdote amusante : lorsque le livret de la pièce
est sorti, au lieu d’être illustré des photos des comédiens qui avaient joué
la pièce pendant 3 ans, il l’était par les nôtres, nous, les malheureux petits
remplaçants de la dernière heure ! (rires)
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La Gazette du doublage — Quel a été votre premier grand doublage ?
Gilberte Aubry — C’était pour un film important, Le Signe de la croix
de Cecil B. DeMille, que les Américains avaient remis au goût du jour pendant
la guerre, en 1941, avec un début en couleurs (les bombardiers arrivant sur
Rome qu’ils faisaient flamber), une comparaison entre Hitler et Néron qui
avait incendié Rome, puis on reprenait, en noir et blanc, le vieux film d’avant-
guerre. Je doublais Elissa Landi qui interprétait le rôle d’une jeune chrétienne
promise aux lions. . . Le travail fini, tous ceux qui avaient travaillé pour le film
étaient invités au cinéma Gaumont, place Clichy, pour voir le film monté.
Lorsque je me suis entendue, j’ai failli me trouver mal. Je ne reconnaissais
pas ma voix. En plus je trouvais que je ne « sortais » pas du tout de cette
actrice qui paraissait plus âgée que la voix de seize ans et demi que j’avais
l’air d’avoir. . .
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en plan éloigné et qu’il passait en gros plan sur l’écran. Tout à coup, vous
voyiez les lèvres s’ouvrir, immenses, devant vous. Si le texte n’était pas en
place, catastrophe, il n’y avait pas moyen de tricher. . . Et la pellicule coûtait
cher !
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La Gazette du doublage — Je pense que vous avez encore d’autres
actrices à nous citer ?
Gilberte Aubry — Oui, j’ai doublé une jeune actrice qui a complète-
ment disparu, Wanda Hendrix. Cinq ou six petits films de série B, agréables,
mais qu’on n’a jamais vus. . . J’ai aussi doublé quelques autres jeunes ac-
trices : Betty Lynn dans La Mariée du dimanche, Diana Lynn dans un film
dramatique La Rue de traverse. Là je pense que je ne « sortais » pas bien.
Ensuite, j’ai prêté ma voix aux actrices italiennes. Chez les Kikoïne,
j’ai doublé Delia Scala dans Les Années difficiles, Naples millionnaire, Onze
heures sonnaient. J’ai doublé aussi Anna-Maria Pierangeli dans deux films
tournés en Italie par Léonide Moguy. Dans Demain il sera trop tard, film
écolo avant la lettre, on montrait à de jeunes écoliers la venue au monde d’un
petit veau, ce qui indignait la directrice de l’école, jouée par Mme Gabrielle
Dorziat, venue se doubler pour la version française, et que j’ai été heureuse
de côtoyer là ! Quelle classe ! J’ai aussi doublé des films avec Piper Laurie :
Le Voleur de Tanger, Francis aux courses, Le Fils d’Ali Baba, La Légende
de l’épée magique et Le Fleuve de la dernière chance que j’ai beaucoup aimé
faire. Comme c’était une actrice très spontanée dans son jeu, je n’avais pas
à me retenir.
Je pense aussi à Anna-Maria Ferrero dans Les Deux Vérités. C’était un
film en deux parties. Dans l’une, elle était une ingénue perverse, et dans
l’autre une mignonne jeune fille prise au piège. Naturellement, le rôle de
la mignonne était tenu par moi. (rires). Je dois dire que Le Figaro était
indigné que l’on ait fait ce doublage avec deux voix : « On a doté l’actrice
Anna-Maria Ferrero d’une voix de mégère dans une partie du film, et dans
l’autre d’une voix archangélique ! C’est inadmissible ! » Naturellement, la voix
« archangélique » était la mienne. . . L’autre était celle de Jacqueline Ferrière
qui était très adroite. C’était une très bonne comédienne.
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Gilbert. Il me semble aussi qu’une fois, c’était Claude Péran qui nous avait
dirigés dans un des films de Romy Schneider où il doublait lui-même un rôle.
Jacqueline Ferrière travaillait également chez Willemetz. Elle s’occupait des
distributions et corrigeait même les textes, je crois.
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La Gazette du doublage — Racontez-nous l’anecdote amusante sur
Christine dans lequel vous avez donné la réplique à Alain Delon.
Gilberte Aubry — Alain Delon et Jean-Claude Brialy sont venus se
doubler pour ce film. Brialy, c’était une merveille sur un plateau ! Il parlait
tout le temps, il sortait tous les soirs, il avait toutes les choses du monde à
raconter et il était d’une gentillesse extrême. Delon était un peu en retrait.
Il commençait à affirmer sa personnalité de cinéma et par conséquent il faisait
des caprices. On avait passé une matinée entière à l’attendre – il avait été
mordu par un chien – et il avait fallu une matinée supplémentaire pour la
remplacer. . . Il faut dire que c’était une erreur de distribution : Delon, jeune
premier, éperdument amoureux, timide. . . Ce n’était pas du tout son style !
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Par contre, je n’ai doublé ni Katia ni La Belle et l’Empereur. Au moment
du choix des comédiens pour le doublage de Katia, j’étais en vacances. On
m’a téléphoné pour me demander si j’étais d’accord pour faire ce film et quel
était mon tarif. J’ai répondu que c’était le tarif syndical : double tarif pour
une co-production. On m’a dit alors que l’on me préviendrait des dates du
doublage. Puis je n’ai plus entendu parler de rien. Je suis allée aux nouvelles.
On m’a répondu alors que j’étais trop chère et qu’ils avaient trouvé une
autre comédienne, Janine Freson, pour me remplacer. J’ai eu un choc ! J’ai
beaucoup regretté ce Katia à cause aussi du souvenir de Danielle Darrieux.
Pour La Belle et l’Empereur, c’est un peu différent. Les décideurs m’ont
assuré que pour doubler une actrice allemande aussi importante, il fallait
une actrice française de premier plan ! Nous, les habitués du doublage, nous
n’existions pas. Ils l’ont donc fait doubler par une très bonne actrice française,
charmante aussi, Dany Robin. Techniquement, le doublage était bien fait
mais, quand j’ai vu le film, j’ai été très gênée car je voyais les deux actrices
en surimpression. Je ne voyais plus Romy Schneider et je ne voyais pas non
plus Dany Robin. Ce phénomène était très déplaisant ! À mon avis, ce n’était
pas une bonne idée. D’ailleurs, je ne sais pas si ces films-là sont sortis en
DVD. . . Ils ont eu tort, ils auraient dû me demander de les redoubler ! (rires)
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La Gazette du doublage — Vous nous parlez du nouveau doublage de
Sissi impératrice. Mais, comme vous nous le précisiez, vous avez aussi doublé
tardivement plusieurs films de Romy Schneider antérieurs aux Jeunes Années
d’une reine du fait du succès des Sissi ?
Gilberte Aubry — Oui, à cause du triomphe des films de Romy
Schneider à partir des Jeunes Années d’une reine et surtout des Sissi, le
producteur et distributeur français, René Pignère, s’est mis à faire doubler
les films qu’elle avait tournés à l’âge de 15 ou 16 ans, comme notamment le
premier, Son premier amour . . .
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sœur d’Alice, et aussi dans Peter Pan. Parmi les autres essais qui n’ont pas
fonctionné, j’avais fait celui pour le rôle de Careen, la jeune sœur de Scarlett,
dans Autant en emporte le vent. Et même aussi celui pour Prissy, la petite
servante noire, mais je ne savais pas bien truquer et prendre les accents.
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la tête dans un lavabo (pour l’écho) à appeler d’une voix suave d’outre-tombe
« Georgia, Georgia !. . . » (rires) Je n’ai jamais vu le film et je l’ai beaucoup
regretté ! (rires)
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