Vous êtes sur la page 1sur 3

Le propre d'un coup de tête est de passer.

«La demande des adolescents est


croissante, mais on peut la canaliser en les faisant patienter, atteste le Dr Patrick Bui,
président de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens. Nous ne
sommes pas des prestataires de services; nous devons freiner ces jeunes en plein
doute sur leur image.» Psychanalyste spécialiste de l'adolescence, Annie Birraux
observe: «Un ado a un besoin impérieux que ses angoisses liées au corps disparaissent
le plus vite possible. La frustration n'est plus au goût du jour.» Elle est cependant
omniprésente: «Entre 15 et 19 ans, environ 30% des filles se trouvent trop grosses et
20% seulement s'estiment séduisantes», constate Marie Choquet, épidémiologiste à
l'Inserm.
Elles ne sont pas les seules. Selon une récente enquête menée par le magazine anglais
Sneak auprès de 2 000 jeunes âgés de 15 ans en moyenne, un quart des garçons
britanniques envisageraient volontiers d'avoir recours à la chirurgie esthétique pour
ressembler à leurs idoles. Et 84% sont convaincus qu'un coup de bistouri améliorerait
leur vie. C'est justement là que le bât blesse. «La chirurgie esthétique crée une illusion,
prévient le psychanalyste Gérard Le Gouès, qui a écrit un livre sur le sujet (Un désir
dans la peau, Hachette). L'adolescent croit qu'une opération lui permettra d'aller mieux
parce qu'il attribue son malaise aux modifications que subit son corps. Mais son
problème est ailleurs.» D'une telle confusion naissent de fréquentes déceptions,
rarement évoquées. «S'il existe en France 4% d'échecs chirurgicaux au sens propre,
poursuit-il, il y a près de 40% de déçus.» La conséquence d'attentes
disproportionnées.

Noémie est jolie, élancée, sans fard ni artifice vestimentaire. Pourtant, cette future
bachelière se trouve «moche». Il y a deux ans, elle pensait avoir trouvé le remède: une
liposuccion intégrale, du ventre aux genoux, en passant par les hanches et les cuisses.
Elle avait 15 ans et les douces rondeurs de l'âge. Son père, médecin, le lui avait
conseillé: «Je n'y aurais jamais pensé toute seule.» Elle se sent mieux dans sa peau
depuis, mais ne s'aime guère plus. «Sur la plage, j'ai gardé l'habitude de me cacher
derrière mon paréo», confie-t-elle.

«Le danger est de croire que la solution se trouve hors de soi, en devenant comme
ceux qu'on idolâtre, indique Gérard Le Gouès. La jeune fille qui juge sa poitrine trop

1
petite croit qu'une nouvelle paire de seins lui permettra de devenir plus femme. Mais
seul un suivi psychologique lui permettra de comprendre d'où vient son sentiment d'un
manque de féminité. Il ne suffit pas de payer pour être.»

Mais il y a aussi les ratages, qui frappent sans discrimination d'âge. «Un jeune patient
est forcément moins bien préparé à un mauvais résultat, insiste le Dr Jean-Luc Roffé.
Sur les 2 500 praticiens, 700 seulement sont diplômés et reconnus par l'ordre des
médecins.» Natacha voulait en finir avec une poitrine imposante qui lui tombait sur le
ventre depuis sa puberté. Alors, pour ses 18 ans, sa mère a cédé, «mais on ne s'est
pas trop renseigné sur le chirurgien». Une négligence que celle-ci ne se pardonnera
jamais. L'opération a tourné au carnage. Le médecin, lui, s'est volatilisé, privant la
jeune fille du suivi nécessaire. Aujourd'hui en dépression, Natacha souffre toujours
physiquement des suites de cette opération désastreuse. Sa poitrine déformée
ressemble à «deux tomates écrasées», raconte sa mère, qui a déposé une plainte
devant le Conseil de l'ordre pour grave manquement à l'éthique.

Fortement recommandé pour les jeunes adultes, l'accord parental est obligatoire pour
les mineurs. Alors, quand un jeune a recours à la chirurgie esthétique, c'est souvent
une affaire de famille. Parfois, juste un fantasme parental. «Il faut fréquemment
modérer leur volonté d'avoir des enfants parfaits, souligne le Dr François Petit. Des
parents tenaient à ce que je recolle les oreilles de leur fille de 7 ans. Mais la petite a
fini par me dire qu'elle les aimait beaucoup ainsi, et que c'était à eux de faire décoller
les leurs.» Dédramatisé, presque à la mode, l'acte chirurgical semble être, pour
certains parents, le moyen de prémunir leurs enfants des souffrances qu'ils ont eux-
mêmes connues dans la cour de l'école. Mais, en projetant ainsi leurs propres
angoisses, ils courent le risque de faire naître le malaise. Et de se le voir reprocher par
la suite. C'est ce qui est arrivé à Marie, à qui sa fille a un jour rétorqué: «Si tu étais
complexée, ce n'est pas mon cas, alors cesse de reporter tes obsessions sur moi.» Des
trois filles de Marie, aucune n'a échappé au bistouri. «La première a été opérée à 12
ans pour une petite masse graisseuse à l'intérieur de la cuisse, puis encore à 17.»
Même motif, même opération pour la benjamine, 14 ans aujourd'hui. La cadette a eu le
loisir d'attendre ses 19 ans. «La chirurgie esthétique, c'est mon dada, confesse Marie,
au régime depuis toujours. Alors je reconnais que j'ai un peu abusé de mon autorité

2
parentale. Mais je ne les ai pas forcées, juste fortement conseillées.» En prétendant
leur épargner de souffrir de leurs défauts physiques, Marie a interdit à ses filles de
rencontrer leur propre identité. «Se confronter à ses complexes, conclut Gérard Le
Gouès, c'est aussi la possibilité de se rendre compte qu'on n'a pas besoin d'être parfait
pour être aimable.»

Vous aimerez peut-être aussi