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Auteur : Jean LECLERCQ.
Dans le latin profane, exercitium désigne donc une action qui exige effort, en deux
domaines principaux : celui de l'oeuvre à faire, — et il traduit alors les termes grecs
γυμνασία et ἄσϰησις —, et celui de la réflexion : il équivaut surtout à ἀδολεσχία.
Dans le premier sens, on l'applique aux athlètes, aux acteurs, aux danseurs, aux
soldats surtout. Très tôt, le mot revêt une nuance militaire : il sert à désigner la
marche, l'équitation, l'exercice en campagne (exercitium campestre), le port d'armes
(armatura), bref toute forme du militare exercitium. Dans le second sens, il sert à
désigner les arts, — médecine, musique, poésie, éloquence —, puis l'habileté qu'on
y acquiert, l'effort pour s'y entraîner, c'est-à-dire l'étude, et même l'école. En ses
deux sens, le mot donne naissance à des dérivés comme exercitor, exercitator
(maître, entraîneur), exercitatorius (ce qui sert à l'entraînement).
Sur ces mots et leurs sens dans la latinité ancienne, des témoignages sont cités et
classés dans le Thesaurus linguae latinae, t. 5, 2, fasc. 9, Leipzig, 1939, col. 1367-
1400 ; pour exercitium en particulier, col. 1384-1387 ; pour la latinité chrétienne
ancienne, quelques témoignages dans A. Blaise, Dictionnaire latin-français des
auteurs chrétiens, Strasbourg, 1954, p. 327-328.
2° Sens chrétiens.
— Dès le 3e siècle, saint Cyprien, parlant du Christ qui s'est plié aux épreuves de la
vie humaine, écrit : « Christi adventu, qui exercitio et exemplo hominis fungeretur »
(Quod idola dii non sint 12, PL 4, 579, et éd. G. Hartel, CSEL 3, 1, 1868, p. 29).
D'autres auteurs chrétiens utilisent exercitium en son sens général. Mais le mot
garde souvent sa résonance militaire, spécialement lorsqu'il est appliqué au martyre,
à toute forme de lutte contre l'oisiveté et tous les vices ; il devient alors synonyme
d'ascèse. Le texte latin de 1 Tim. 4, 7-8, dut avoir, sur ce point, de l'influence. Saint
Paul avait écrit : « Exerce autem teipsum ad pietatem. Nam corporalis exercitatio ad
modicum utilis 1904 est, pietas autem ad omnia utilis est ». Ce texte fut, pour une
part, à l'origine d'une distinction, qui sera souvent émise plus tard, entre les
« exercices corporels », c'est-à-dire surtout les pratiques de mortification, et les
« exercices spirituels », c'est-à-dire les activités de prière, autrement dit les
« exercices de piété ». Ainsi l'Ambrosiaster marque la différence entre l'exercitium
corporale et la pietas, et il définit le premier : « Corporis autem exercitium nihil aliud
quam canis frena sunt » (In Ep. 1 ad Tim. 4, PL 17, 473d-474b). Le mot
« exercices » fait fortune dans le vocabulaire monastique : dans la traduction de
l'Historia monachorum (laquelle devait avoir tant d'influence par l'intermédiaire des
recueils de Vitae Patrum), on parle des monachorum exercitia (29, PL 21, 455c), des
« exercices spirituels » (exercitia spiritualia, 7, 410d), des « exercices de vie
spirituelle » (spiritalis vitae exercitia, 29, 453d), des « exercices de piété » (pietatis
exercitia, prol., 387 et 390) ; Cassien parle des exercitia virtutum (Conlatio XXI, 15,
1, éd. M. Petschenig, CSEL 13, 1886, p. 590 ; PL 49, 1190d = gesta virtutum).
Studium, servant à traduire ἄσϰησις, comme exercitatio, est l'équivalent de ce
dernier mot : on parle de spiritualia studia, virtutum studia, salutaria studia, studium
continentiae, etc (des textes sont cités dans L. Th. A. Lorié, Spiritual Terminology in
the Latin Translations of the Vita Antonii, Nimègue, 1955, p. 70-71 et 98-99). Quant
au mot exercitium, il est surtout associé à ce qui est particulièrement difficile et
pénible : les jeûnes, les veilles, les durae crucis exercitia, comme dira saint Césaire
d'Arles (Sermo 197, 1, éd. G. Morin, t. 1, Maredsous, 1937, p. 753).
Plus encore qu'à propos d'un effort d'ascèse corporelle, on l'emploie pour désigner
l'application de l'esprit, et spécialement cet effort de répétition, de mémoire et de
réflexion qu'est la meditatio (sur le sens de ce mot, cf J. Leclercq, L'amour des
lettres et le désir de Dieu, Paris, 1957, p. 19-23 et 72-73). Ce sens n'était pas
inconnu des grammairiens anciens ; « exercitium est meditatio », avait écrit Servius
(In Vergilii Aeneidos lib. IV commentarii, vers 171, éd. G. Thilo, Leipzig, 1881, p.
494, 5), et saint Isidore, à son tour, formulera la même équivalence : « exercitium
dicitur, hoc est meditatio » (Origines seu Etymologiae XV, 2, 30, PL 82, 539a). En
faveur du succès de ce mot, avec cette acception, joua, dans les milieux chrétiens,
l'influence des anciennes versions bibliques latines. Exercere, exercitare et
exercitatio y traduisaient, surtout dans les psautiers, ἀδoλεσχεῖν, qui est un
hébraïsme correspondant à suḥ, plus souvent à siḥ. Saint Augustin disait
d'ἀδολεσχεῖν : « ad animi exercitationem pertinet… Videtur mihi significare animi
affectum studiosissime aliquid cogitantis cum delectatione cogitationis »
(Quaestiones in Heptateuchum 1, 69, PL 34, 565d, et éd. J. Zycha, CSEL 28, 2,
1895, p. 35-36 ; dans le même sens, In ps. 118, 6, 4, CC 40, p. 1681), et ailleurs :
« Exercetur quippe in justificationibus Dei laetus, et quodam modo garrulus, qui
mandata ejus quae diligit, et cogitandi et operandi delectatione custodit » (In ps. 118,
14, 4, p. 1710). C'est en ce sens que exercere était appliqué, dans les anciennes
versions latines du psautier, aux mystères de Dieu, à sa loi : il équivalait à « penser,
proclamer, répéter pour s'en pénétrer », c'est-à-dire à meditari et à loqui, la
mémorisation impliquant un effort réitéré des lèvres, qui redisent et « mâchonnent »
le texte sacré. Ceci se vérifie, en particulier, dans le psautier romain et dans le
gallican, qui est de saint Jérôme. Toutefois, quand Jérôme établit, plus tard, sa
traduction du psautier 1905 Juxta Hebraeos, il élimina cette signification et le mot
exercere lui-même, pour lui substituer meditari ou loqui.
Des témoignages peuvent être trouvés dans le texte et l'apparat critique des
psaumes 54, 3 ; 68, 13 ; 76, 4, 7 et 13 ; 118, 15, 23, 27, 48, 78, dans les éditions de
R. Weber, Le Psautier romain et les autres anciens psautiers latins, Rome, 1953, et
H. de Sainte-Marie, Sancti Hieronymi Psalterium iuxta Hebraeos, Rome, 1954, coll.
Collectanea biblica latina 10 et 11. Bien qu'il ne fût pas dans la Bible avec cette
signification, exercitium la revêtait à la faveur de formes verbales apparentées. Pour
commenter le mot meditabitur du ps. 1, 2, l'Ambrosiaster écrira : « In Dei lege
exercitium facit » (Quaestiones Veteris et Novi Testamenti 110, 9, PL 35, 2331c, et
éd. A. Souter, GSEL 50, 1908, p. 275.)
Dès les premiers siècles, le mot exercitium avait acquis droit de cité dans le langage
des chrétiens pour désigner l'effort qu'exige la vie spirituelle dans les deux domaines
de l'action (au sens ancien du terme : la pratique des vertus) et de la contemplation,
autrement dit : de l'ascèse et de la mystique.
sans être l'un des plus fréquents du vocabulaire de la spiritualité, le mot exercitium
reste traditionnel. On le trouve à toutes les époques, employé pour désigner soit
l'ensemble des pratiques entre lesquelles doit être partagée la journée : dans sa
Regula Complutensis, saint Fructueux de Braga † 651 parle des exercitia spiritualia
(1, PL 87, 1099), — soit la pratique d'une vertu particulière : saint Colomban † 615
parle des humilitatis verae exercitia (Ep. 2, 5, éd. G. S. M. Walker, Sancti Columbani
opera, Dublin, 1957, p. 16, 2). La lettre, par laquelle Louis le pieux notifiait à
l'archevêque Magnus de Sens les décrets portés par le concile d'Aix de 816 au sujet
des chanoines et des moniales, mentionne les spiritalia exercitia (MGH Concilia aevi
karolini, t. 1, 1906, p. 461-462). Dans les Constitutions promulguées pour l'ermitage
de Camaldoli entre 1080 et 1085, le bienheureux Rodolphe appelle manualia
exercitia les travaux que l'on fait aux champs ou, en tout cas, « hors des cellules »,
et qui pourraient nuire à la « tranquillité érémitique » (ch. 33, éd. Mittarelli-Costadoni,
Annales camaldulenses, t. 3, Venise, 1758, p. 527). L'auteur anonyme des Octo
puncta perfectionis assequendae fait de la pureté du coeur le plus important des
« exercices spirituels » (PL 184, 1181d-1182c). A la fin du 11e siècle, Hariulf de
Saint-Riquier distingue de l'ermitage, « où l'athlète courageux se livre au combat
singulier », le monastère, où l'ensemble des moines, comme dans un camp
retranché (castra caelestis exercitii), se livrent aux divina exercitia (Vita Madelgisili,
n. 5 et 7, éd. J. Mabillon, Acta sanctorum ordinis Benedicti, t. 6, Venise, 1738, p.
550-551). Ici, le mot gardait quelque chose de sa signification militaire primitive ;
c'est aussi le cas en d'autres textes, par exemple dans le premier des Sermones
super Cantica de saint Bernard :
« Sed et in quotidianis exercitiis et bellis, quae nulla hora pie in Christo viventibus
desunt a carne, a mundo, a diabolo, sicut militiam esse vitam hominis super terram
incessanter experimini in vobismetipsis, quotidiana necesse est cantica pro
assecutis victoriis innovari » (Super Cantica 1, 9, PL 183, 788d ; éd. J. Leclercq, C.-
H. Talbot, H.-M. Rochais, Sancti Bernardi opera, t. 1, Rome, 1957, p. 7, 5-8 ; sur la
fidélité du vocabulaire de ce passage, et d'autres semblables, au vocabulaire
monastique ancien, cf Ch. Mohrmann, Observations sur la langue et le style de saint
Bernard, dans S. Bernardi opera, t. 2, 1958, p. XXVIII-XXIX).
En somme, dans le haut moyen âge, le mot « exercice » a été conservé dans le
vocabulaire de la spiritualité, souvent avec les nuances qu'il tenait de ses origines
profanes et patristiques. Mais il n'a jamais revêtu une importance égale à celle de
termes issus de l'Écriture sainte et, en particulier, de meditatio.
2° « Manières de procéder ».
Beaucoup d'auteurs observent que l'Esprit Saint 1909 meut l'âme et qu'il la veut
docile, passive. Beaucoup aussi n'hésitent pas à dire qu'il convient d'adopter un
certain ordre dans les lectures, les méditations, les oraisons, les examens de
conscience et en particulier dans les examens de confession. « In meditationibus
ordo servandus est », conclut Denys le chartreux, résumant la tradition médiévale
(De meditatione, art. 4, Opera, t. 41, Tournai, 1912, p. 75-77). Cet ordo signifie qu'un
sujet de méditation doit être choisi au préalable et qu'on ne peut procéder à
l'aventure dans la manière de s'acquitter de cet exercice ; les auteurs suggèrent avis
et recommandations, mettent en garde contre les déviations, les illusions, les
dangers, dans le seul but d'ailleurs de mieux disposer l'âme à la conduite de l'Esprit.
Ces « manières de procéder » se feront plus ou moins précises, elles seront plus ou
moins variées selon la diversité même des auteurs et la catégorie de leurs lecteurs.
Aussi bien, pouvons-nous parler d'«°oraison sans méthode » chez un Paul
Giustiniani, mais tout de même décrire sa « méthode qui ne connaît pas de
méthode » (cf J. Leclercq, La vie érémitique d'après la doctrine du bienheureux Paul
Giustiniani, Paris, 1955, p. 105 svv).
1. Au 13e siècle.
— Il semble nécessaire de rappeler dès l'abord trois auteurs qui, s'ils n'emploient à
peu près jamais l'expression que nous recherchons, n'en ont pas moins exercé une
influence considérable sur l'ensemble des traités médiévaux qui ont parlé des
exercices spirituels : saint Edmond de Cantorbéry, Guillaume d'Auvergne et
Guillaume Peyraut. — Edmond d'Abingdon † 1240, dans son Spéculum Ecclesiae,
expose trois modes de contemplation et plus particulièrement « materiam et modum
cogitandi de Deo in sua humanitate » (ch. 27, éd. Magna bibliotheca Patrum, t. 5,
Paris, 1654, col. 785c). Pour plus de détails voir DS, t. 4, col. 293-295. — La
Rhetorica divina (Opera, Venise, 1591, p. 322-388) de Guillaume d'Auvergne †
1249, évêque de Paris, est un traité de la prière, qui offre de multiples prescriptions
pratiques et de nombreuses et très belles formules de prière. Gerson le conseillait et
l'utilisait beaucoup. Voir J. Lingenheim, L'art de prier. Essai sur la Rhétorique divine
de Guillaume d'Auvergne, Lyon, 1934. — Le Speculum religiosorum du dominicain
Guillaume Peyraut († vers 1270) a longtemps été connu sous le nom de Humbert de
Romans (Maxima bibliotheca Patrum, t. 25, Lyon, 1677). Le 6e livre (p. 732-753)
concerne la vie contemplative et les moyens qui y disposent : oratio, lectio,
meditatio, contemplatio ; la description s'appuie sur l'autorité de saint Augustin, de
saint Bernard, de Guillaume de Saint-Thierry, de Richard de Saint-Victor. Les
conseils et les méthodes du Speculum ont été mis à profit aussi bien par les moines
que par les auteurs spirituels postérieurs.
1910 1° Le chartreux Hugues de Balma, qui écrit dans la seconde moitié du siècle,
emploie volontiers, dans sa Mystica theologia, l'expression exercitium spirituale et
exercitia spiritualia. « Par oraisons secrètes et aultres exercitacions espirituelles »
(d'après une traduction française du 15e siècle, qui force un peu le sens, « tam
orationi interiori quam etiam spirituali quodam exercitio »), « celui qui aime
fidèlement doit aider les autres à parvenir à la connaissance de la vérité » (ch. 2,
part. 2, Opera S. Bonaventurae, t. 8, Paris, Vivès, 1866, p. 18). L'exercitium se
confond avec l'élan de l'âme, avec l'activité de la vie spirituelle, en laquelle chaque
faculté est tendue vers Dieu, avec la contemplation (« mens per ardentius exercitium
ad superna extenditur », ch. 3, part. 1, p. 22b ; « diuturno aspirationum ardentium
exercitio (mens) elevata », 22b ; « se exercere in osculo pedis et manus, ad osculum
oris », 21b, 22b, 27b, etc). S'il semble que ces amoris exercitia soient réservés à la
voie unitive, Hugues recommande aux « simples » et aux laïcs des industriae, qui
sont des modes de prier, des pratiques, des « méthodes » d'oraison affective et
aspirative (27b). Ces industriae, fort communes chez les auteurs spirituels
médiévaux, concernent l'attitude du corps, le lieu et le moment des exercitia
spiritualia (ch. 3, part 3). Il convient de fixer un moment pour l'oraison, hora debita et
tempore congruo, de préférence la nuit, et de remplir exactement ce temps prévu,
dont on ne s'excusera pas aisément. Il n'y a qu'un pas pour transformer ce spirituale
exercitium en « l'heure d'oraison ». La septième et dernière industrie se préoccupe
d'un « ordre stable » dans la vie spirituelle : régler le nombre des prières, des
psaumes, des hymnes à réciter, en prévoir la succession, à moins que la charité ou
l'obéissance n'y contreviennent. Cet ordonnancement (felix exercitium) en facilitera
l'habitude et l'aptitude (habilitation, consuetum exercitium ; ch. 3, part. 3, p. 39a).
2° Chez David d'Augsbourg † 1272 nous trouvons les formules « bonarum actionum
humilis exercitatio » (De exterioris et interioris hominis compositione, Quaracchi,
1899, p. 41), « corporalis exercitatio » (p. 65, 80, 87, 162, 163), « sublimia virtutum
exercitia » (p. 331). Cet exercice s'entend de la pratique des vertus, des
observances extérieures ou des exercices corporels. L'expression exercitia
spiritualia a, par contre, un sens très large : « quae vel obedientia jusserit, vel caritas
fraterna requirit, vel devotionis studio apta sint, vel cujuslibet alterius virtutis » (liv. 3,
ch. 20, p. 205). Et parmi les « sept exercices utiles au progrès spirituel » David
énumère toutes sortes d'attitudes intérieures dont seule la dernière inclut les
exercices monastiques ordinaires, méditation, lecture, attention aux biens spirituels,
contemplation (ch. 26, p. 213). Quoi qu'il en soit, l'auteur décrit les exercices de la
vie religieuse du novice, confession, messe, lecture, etc ; il indique la manière de
s'en acquitter (disciplina), et il recommande au novice qui est sur les chemins ou se
dévoue à l'hôpital de se fixer des moments pour prier et méditer (liv. 1, ch. 23, p. 31).
David expose longuement « trois modes de prier », ce qui suppose que chacun
prévoit des temps de prière et une manière de prier (liv. 3, ch. 53-59, p. 296-333) ; il
parle enfin de « prières spéciales » ou de dévotion, que certains récitent « à jours ou
heures déterminés », — il ne faut d'ailleurs pas en abuser (ch. 62, p. 337-338). Voir
DS, t. 3, col. 42-44.
2. Au 14e siècle.
— 1° Sans doute l'ouvrage qui nous intéresse davantage au 14e siècle est celui du
1912 franciscain Jean de Cauli (Caulibus), Meditationes vitae Christi. Composées à
la fin du 13e siècle ou au début du 14e, elles reflètent l'esprit bonaventurien, et plus
encore peut-être la pensée de saint Bernard. Le préambule, les chapitres 45 à 54 et
la conclusion donnent la clé et l'intention de l'auteur : la vie du Christ sera le thème
central et préféré inter spiritualis exercitii studia (Opéra S. Bonaveriturae, t. 12, Paris,
1868, prooemium, p. 510a) ; ces sujets de méditation et de considération « doivent
être uniquement notre occupation, notre repos, notre nourriture, notre étude » (ch.
99, p. 628b) ; répartissez ces sujets pour chaque jour de la semaine et « choisissez
une heure tranquille pour méditer » (ch. 100, p. 629a) ; vous repasserez en votre
esprit les scènes méditées, de préférence la nuit, comme le suggère saint Bernard
(ch. 36, p. 556-557 ; cf Cantica 86, PL 183, 1196b). En fait, Jean de Cauli, à la suite
des auteurs qu'il pille, entend par exercitia les exercices de la vie active et ceux de la
vie contemplative (ch. 45, p. 566a, 570b, 580b, etc), y compris l'examen de
conscience, la méditation et la contemplation, ou les diverses observances
religieuses. On sait l'influence que les Meditationes pseudo-bonaventuriennes
exerceront pendant le moyen âge et au delà ; elles contribueront, pour une part sans
doute importante, à familiariser les chrétiens à la considération régulière et
« méthodique » des scènes de la vie du Christ. Voir trad. P. Bayart, Méditations sur
la vie du Christ, Paris, 1958 ; DS, t. 1, col. 1848-1853.
C'est à la fin du 13e siècle que le bienheureux Raymond Lutte † 1315 compose son
Art de contemplation et le Livre de l'ami et de l'aimé, qui font suite à son roman
Blanquerna. Cet Art veut être une méthode de contemplation : « Comme l'art et la
manière (manera) aident en ces matières (pour élever l'âme à contempler Dieu)..,
Blanquerna fit un livre sur la contemplation par art et le divisa en douze parties… »
(prologue). Il développe les dispositions extérieures et intérieures pour contempler.
Sa « manière » est fondée sur l'activité des puissances de l'âme, au point que J. de
Guibert n'a pas hésité à y retrouver une des sources des méthodes ignatiennes (Voir
bibliographie). On n'y rencontre pas l'expression exercices spirituels.
2° Richard Rolle de Hampole † 1349 semble à peu près aussi laconique. On relève
tout au plus quelques allusions à l'exercice de la prière et de l'oraison à travers 1913
son Incendium amoris (éd. M. Deanesly, Manchester, 1915) : Dieu, après la
tempête, donne la « sérénité des saints désirs » pour s'exercer virilement dans les
larmes, la méditation et l'oraison (ch. 14, p. 183 ; cf ch. 31, p. 235) ; méditation et
oraison sont comptées au nombre des exercices de la vie solitaire (ch. 20, p. 203-
204) ; « après les gémissements amers et après les exercices des oeuvres
spirituelles, l'âme est appelée à sentir la douceur de la contemplation » (spiritualium
operum exercitia, ch. 22, p. 208) ; les spiritualia charismata guident l'âme dans ces
exercices (ch. 26, p. 219), qui doivent se poursuivre pendant de longues années si
l'on veut parvenir au divin amour. On retrouve l'emploi des mêmes expressions dans
le De emendatione vitae de Richard (Paris, 1510). Pour parvenir à la contemplation,
il faut s'exercer progressivement sur différents thèmes ; autant d'états spirituels,
autant d'exercices différents et de sujets différents (ch. 8 De meditatione). La pureté
de coeur (ch. 10) s'obtient par l'exercice de la lectio, de l'oratio et de la meditatio.
C'est par une longue exercitatio spiritualium operum qu'on parvient à la
contemplation. O nobilis et mira exercitatio ! (ch. 12 De contemplatione Dei).
3° II est important de faire une place à part au bienheureux Henri Suso † 1366 et
aux dominicaines des couvents rhénans. Le Livret de l'éternelle sagesse (1328) et
l'Horologium sapientiae (1334) présentent des sujets de méditations sur la passion,
qui sont de véritables exercices méthodiques : veniae, méditations sur un thème
proposé, prières vocales et oraisons jaculatoires, etc. « La méditation de toute la
passion suivant cette méthode, écrit B. Lavaud, est un des meilleurs exercices
spirituels qui se puissent concevoir » (introduction à la traduction de l'Œuvre
mystique de Henri Suso, t. 1, Paris, 1946, p. 21) ; elle sera en effet de plus en plus
commune. C'est dans l'Horologium que nous retrouvons la vieille expression du
prologue du traducteur latin de l'Historia monachorum, que le moyen âge semblait
avoir oubliée : exercitium pietatis, exercitia pietatis (éd. Denifle-Richstätter, Turin,
1929, p. 48, 267, 268). Voir supra, col. 1904.
Suso déplore l'abandon des exercices spirituels des anciens (p. 48) et insiste pour
qu'ils soient repris : « Frappe deux fois la pierre (Nombres 20, 11), c'est-à-dire par le
souvenir intérieur (Suso vient de parler de la memoria passionis) et par l'activité
corporelle : exerce-toi à la piété (cf 1 Tim. 4, 8) en étendant les mains, en levant les
yeux vers le crucifix, en te frappant la poitrine ou en faisant de dévotes génuflexions
ou d'autres semblables pratiques de piété (pietatis officia), jusqu'à ce que viennent
d'abondantes larmes… » (1e partie, ch. 14, p. 147-148).
1914 Ces nombreuses pratiques que Suso recommande étaient fort en honneur
chez les dominicaines, comme en fait foi la Chronique de Töss : veniae, exercices et
pratiques de dévotion, récitation et répétition multipliée de prières vocales,
méditation quotidienne de la passion, salutations empressées à la sainte Face, etc.
C'est bien ici le climat des Meditationes vitae Christi de Jean Cauli et des exercices
dévotionnels de sainte Gertrude. Voir art. ÉLISABETH STAGEL, DS, t. 4, col. 588-
589, et la bibliographie, notamment J. Ancelet-Hustache, La vie mystique d'un
monastère de dominicaines au moyen âge, Paris, 1928, p. 44-45, 54, 135, etc.
Les mises en garde de Jean Tauler † 1361 à propos des exercices et des pratiques
de dévotion, adressées également à des religieuses dominicaines, n'ont certes pas
diminué ces pratiques ; sans doute ont-elles aidé à les intérioriser davantage.
Tauler se moque de « ceux qui font leurs exercices d'une manière grossière et
aveugle : ils vont se coucher et s'endorment ; au matin, ils recommencent » ! Aux
autres il conseille : « Lorsque tu auras trouvé une forme de prière, qui, plus que
toute autre, te plaise et excite ta dévotion, fût-ce même la considération de tes
péchés et de tes défauts, ou quoi que ce soit, garde cette manière de prier et donne-
lui tes préférences » (Sermon du lundi avant l'ascension, t. 1, p 316-317). Tauler
insiste beaucoup sur la distinction entre « prière intérieure » et « prière extérieure » ;
il semble bien ne vouloir déconseiller ou même proscrire cette dernière que
lorsqu'elle est devenue purement machinale et « empêche le coeur de prier »
(Sermon du 5e dimanche après la Trinité, t. 2, p. 199-202).
Tauler, comme Suso, parlera de « l'exercice de la sainte passion » (Sermon du 13e
dimanche après la Trinité, t. 2, p. 336) ; il loue également « l'aimable exercice de
piété » envers le Saint-Sacrement, habituel dans les monastères rhénans (Sermon
pour l'exaltation de la croix, t. 3, p. 38, 40). L'exercice de la méditation faite après
matines, la nuit, doit porter sur la vie de Notre-Seigneur, « point par point », sur la
passion surtout, jusqu'à ce que l'on ait acquis, en écartant toute multiplicité,
l'habitude de l'exercice du recueillement sans image, dans le fond de l'âme (Sermon
du 17e dimanche après la Trinité, t. 3, p. 123-125). Tauler explique, « pour le bon
emploi de la journée », quels exercices faire et dans quel esprit : « Les pratiques
consistent en jeûnes, veilles et silence » ; « après matines, demeurez dans le choeur
environ le temps d'une messe chantée » ; suit la manière d'employer ce temps en
méditation et la recommandation de « l'exercice des saintes et adorables plaies »,
qu'il faut faire « avec application intérieure » (t. 3, p. 249-256).
Rapprochons des sermons de Tauler les Institutiones, qui sont dans l'esprit du
maître. Les exercices 1915 ne sont qu'un support vers l'union. « Tous les autres
exercices, comme la contemplation, la méditation, l'oraison, les inclinations, les
jeûnes, les veilles doivent être rapportés à cette fin qu'est l'union amoureuse avec
Dieu » (ch. 25). C'est par l'exercitium amoris, c'est-à-dire par « la considération de la
majesté divine et de sa fidélité, de notre petitesse et de notre infidélité », que nous
nous y préparons, surtout si cet exercitium est fait dans la seule vue « de l'honneur
de Dieu » (ch. 9). Hélas ! que de chrétiens se bornent à un accomplissement
machinal de pratiques et ne « se préoccupent pas plus d'union à Dieu que du sultan
d'Ègypte » (ch. 28) ! Enfin, si les continua pietatis exercitia disposent à la
contemplation (ch. 16) et s'il est bon d'avoir des règles pratiques quotidiennes,
demeure la liberté de l'Esprit : « Deum absque certo modo sequi oportet » (ch. 33).
3. Au 15e siècle.
2° Dans l'oeuvre de Jean Gerson † 1429, on pourrait utilement distinguer les écrits
latins, spéculatifs ou destinés aux doctes, et les écrits français destinés aux
« simples gens » Les textes originaux français ne sont pas tous publiés ou restent
assez difficiles d'accès. A leur défaut, force est bien de recourir à l'édition d'Ellies du
Pin, rien moins que sûre (t. 3, Anvers, 1706). C'est dans les écrits latins que nous
trouvons souvent l'expression exercitia spiritualia accompagnée d'un essai de
systématisation, et d'abondants exemples ou thèmes d'exercices.
Comme ses devanciers, — et Gerson s'appuie volontiers sur saint Bernard, les
victorins, Guillaume d'Auvergne, saint Bonaventure et les pseudo-Bonaventure,
Henri Suso et bien d'autres, en même temps que sur l'expérience —, le chancelier
de Paris entend volontiers par « exercices spirituels » et « exercices corporels
tendant à la spiritualité » les veilles, les larmes, les jeûnes, les disciplines, les prières
dévotionnelles, la méditation, etc (Tractatus pro devotis simplicibus qualiter se in
suis exercitiis… debent, t. 3, col. 606a ; cf La montaigne de contemplacion, ch. 17,
éd. P. Pascal, Paris, 1943, p. 61). « S'adonner aux exercices spirituels » demande
« qu'on sache l'Écriture, qu'on ait un bon directeur, un conseiller fidèle, expert, dévot
et discret, craignant Dieu » (col. 616a) ; ces « exercices des personnes dévotes »
doivent se faire de préférence en privé (col. 698cd). Une personne occupée à des
fonctions extérieures ne pourra pas toujours vaquer aux exercices spirituels ; il lui
suffit d'offrir ses travaux pour elle et pour les autres, et de prévoir « le recours à
Dieu » « en des moments qui lui seront plus favorables » (col. 607a).
Les « exercices spirituels », on le voit, sont entrés dans la vie même du chrétien.
Tous les règlements de vie, toutes les « journées chrétiennes » comportent
désormais des pratiques de ce genre.
4° On peut, à bon droit, rapprocher des règlements dressés pour les laïcs par Pierre
d'Ailly et Jean Gerson l'Opéra a ben vivere que saint Antonin de Florence † 1459
composa pour sa dirigée, Lucrèce Tornabuoni, mère de Laurent Médicis le
magnifique et grand-mère de Léon X. A juste titre, la traductrice française l'intitule
Une règle de vie au 15e siècle (Paris, 1921). Cette règle enserre, en effet, la journée
dans un étroit réseau d'exercices de piété et ressemble fort aux manuels médiévaux
composés pour les chrétiens de toute profession. L'Introduction à la vie dévote de
saint François de Sales s'avérera plus souple et moins minutieuse, mais toutes ces
« journées du chrétien » s'ingénieront à accompagner pas à pas le fidèle du lever au
coucher : prières vocales, gestes religieux, lectures et conversations spirituelles,
oraisons jaculatoires et examens de conscience, méditation, vigilance aux devoirs
domestiques, garde des sens, etc. Voir bibliographie, DS, t 1, col. 726. Le moraliste
qu'est saint Antonin n'omettra pas de rappeler l'obligation des « opéra spiritualia » le
dimanche : « prière, méditation, audition des choses divines, lecture, aumône, etc »
(Summa sacrae theologiae, 2e partie, tit. 9, ch. 7, Venise, 1582, fol. 311r).
5° C'est sans doute chez les chartreux du 15e siècle que nous rencontrons
l'évolution la plus nette sur le thème des « exercices spirituels ». Certes, Henri de
Balnea (vers 1430) dans son Speculum spiritualium (Paris, 1510) ne nous redit
guère autre chose que Guignes, Suso et Gérard Zerbolt, auxquels il emprunte sa
liste d'exercices spirituels (5e partie, ch. 7, f. 112b) et son insistance sur la passion
du Christ (il propose un septénaire, ch. 21, f. 126b-131b), Et il faut en dire à peu près
autant de Vincent d'Aggspach † 1464 qui reprend le vocabulaire et la doctrine de
Guillaume de Saint-Thierry dans son Dialogus de institutions et exercitiis cellae ;
aussi, la distinction entre exercitia corporalia et exercitia spiritualia y est-elle
constante. Voir l'analyse donnée, DS, t. 3, col. 851.
Qui s'étonnerait de retrouver la doctrine de Jean Hagen dans les traités que son
confrère Denys le chartreux † 1471 consacre à la vie érémitique (De vita et fine
solitarii, De laude et commendatione vitae solitariae, etc) ? Même distinction des
exercitia corporalia (parfois corporales exercitationes) et des exercitia spiritualia,
énumération équivalente des uns et des autres, même but aussi, même
recommandation de respecter les temps marqués, même éloge des « saints
exercices de la cellule » (De laude, art. 22 titre, Opera omnia, t. 38, Tournai, 1909, p.
356) et de l'exercitium par excellence qu'est la vie solitaire (« O cella, spiritualis
exercitii mirabilis officina°», art. 32, p. 371C' ; « exercitium cellae coelique… idem
est », De vita, lib. 1, art. 26, ibidem, p. 292B). A peine relevons-nous quelques
distinctions et précisions.
Denys ajoute que certains exercices, corporels et spirituels, sont communs à tous,
d'autres sont libres et surérogatoires (De vita, lib. l, art. 21, p. 286A ; De laude, art.
22, p. 356D). De toute manière, ces « moyens » (media, De laude, art. 10, p. 339)
sont « ordonnés » à « la garde du coeur » (De laude, art. 16, p. 348B), « ad pietatis
profectum », « ad virtutem » (De vita, lib. 1, art. 11, p. 276C et A'), à la purification
des facultés (De fonte lucis ac semitis vitae, art. 22, t. 41, 1912, p. 126), en définitive
à la contemplation (De vita, lib. 2, prooemium, t. 38, p. 301B) et « à
l'accomplissement du précepte de l'amour de Dieu » (De laude, art. 35, p. 377A ; cf
De vita inclusarum, art. 4, t. 38, p. 390A' ; De perfectione caritatis, art. 3, t. 41, p.
352A).
Denys insiste à maintes reprises sur l'ordre à garder dans les exercices et
notamment dans la méditation (De meditatione, art. 4, t. 41, p. 74 ; « successive ac
ordinate », dit-il des exercices de vertus, équivalant ici aux exercices spirituelles art.
7, p. 81B'). Il propose des thèmes de méditations (De meditatione, art. 4, 8, 10-12, p.
75-77, 81-88 ; De vita inclusarum, art. 16, p. 402-403, etc), une journée-type de
recluse (De vita inclusarum, art. 10, p. 396-397), de l'examen du matin à celui du
soir, etc.
Denys utilise fréquemment, et c'est sans doute l'un des premiers auteurs à le faire,
l'expression « exercices de dévotion » ou « exercices dévotionnels ». Dans le De
contemplatione, le devotionale viae purgativae exercitium englobe l'ensemble des
prières, examens, méditations et autres exercices de la voie purgative. Sur le
chemin de la contemplation une des « industries » recommandées est de ne rien
changer aux « exercices dévotionnels habituels », qu'on éprouve ou non de la
consolation (De fonte, art. 25, p. 131C'). La question est précisée dans le De
contemplatione (lib. 1, art. 24, p. 162-163) : les exercices habituels de dévotion
disposent à la contemplation ; quelle doit y être l'attitude du corps, où les faire, et, s'il
y a lassitude (« in uno aliquo devotionis seu contemplationis exercitio »), peut-on
s'employer à un autre « exercice dévotionnel » ? Quels sont en définitive ces
« exercices extérieurs et intérieurs de dévotion » ? tout simplement les exercices
spirituels déjà signalés.
6° Henri Harphius (Herp) † 1477 ne rentre guère dans ce courant des exercitia
spiritualia, l'expression est fort rare dans sa Theologia mystica (Rome, 1586). Il lui
arrive, en passant, de reprendre la distinction de 1921 Guillaume de Saint-Thierry
commentant 1 Tim. 4, 8, et d'énumérer les exercitia corporalia et les spiritualia (lib. 3,
pars 4, ch. 26, p. 774-775).
4. Conclusion.
Il serait tout aussi aisé de relever chez le bénédictin Louis de Blois † 1566 un certain
nombre de « pieux exercices » : exercice « pour se mettre en présence de Dieu »
(L'institution spirituelle, ch. 10 et 11, trad. de Wisques, coll. Pax, t. 1, Paris-
Maredsous, p. 149-157), formules d'aspirations (ch. 4, p. 101-104), etc. L'abbé de
Liessies distingue communément les exercices religieux extérieurs et les exercices
spirituels proprement dits (ch. 5, p. 106-107) ; il expose la « variété des exercices »
spirituels ou de piété et des « pratiques de dévotion » dans Le miroir de l'âme (t. 2,
ch. 10, § 6, p. 86-87), lorsqu'il décrit l'exercice de recueillement (p. 76-92). Cf DS, t.
1, col. 1730-1738.
Les Exercitia theologiae mysticae seu exercitia quaedam pia… (Cologne, 1548) de
Nicolas Eschius † 1578 s'apparentent à la Dévotion moderne et à la spiritualité
ignatienne ; ils ont été longuement décrits (DS, t. 4, col. 1060-1066).
Le livret de saint Ignace de Loyola, Exercitia spiritualia, qui paraît à Rome la même
année, muni d'une bulle d'approbation de Paul III, fait entrer définitivement dans la
tradition de l'Église et dans la vie chrétienne la dénomination de plus en plus
courante d'exercices spirituels, appliqués à tous les exercices qui nous conduisent à
Dieu. L'acception traditionnelle des quatre exercices monastiques, la distinction des
exercices corporels d'avec les spirituels, l'ordonnancement de ces exercices dans la
journée des moines et des fidèles, la « méthodisation » de ces exercices
(méditation, examen, etc) proposés aux commençants et à la foule des chrétiens,
tout cela y est repris et schématisé. Voir infra, col. 1931-1933.
2) En même temps et peu à peu, on l'a vu, l'expression « exercices spirituels » était
appliquée, sinon restreinte, à quelques exercices de piété : examen de conscience,
méditation, confession de dévotion, action de grâces après la communion, récitation
du rosaire, visite au Saint-Sacrement, etc. Des méthodes pour bien s'en acquitter
furent précisées. Il est arrivé, — comme il arrivera toujours —, que ces méthodes se
dégradent en « pratiques » !
On voit qu'ici le terme ne désigne plus une activité de méditation mais des
phénomènes proprement mystiques.
3° Gérard Zerbolt de Zutphen † 1398, frère de la Vie commune, a laissé deux traités
spirituels, De reformatione virium animae (Homo quidam) et De spiritualibus
ascensionibus (Beatus vir), présentations successives du même système spirituel ;
le second, mieux élaboré, nous suffira. C'est un exposé méthodique et complet du
progrès spirituel de l'âme, depuis l'état de péché jusqu'au retour à l'innocence
originelle antérieure au péché et jusqu'au sommet de l'oraison, celui-ci étant décrit
non d'après Ruysbroeck et sa mystique trinitaire, mais d'après saint Augustin cité
tout au long dans un passage des Confessions. A cette contemplation « per
speculum in aenigmate » on arrive par l'humanité du Christ (c. 45). Le progrès de
l'âme se fait en trois ascensions successives au moyen d'exercices savamment
gradués. « Ascensiones in corde debes disponere : modum et exercitia quibus te vis
in anteriora extendere » (c. 1). Il faut combiner « opera et exercitia » suivant les avis
d'un guide expérimenté (c. 9 et 51). Gérard fournit le plan, le mode et la matière des
exercices. Place est faite aux « exercitationes corporales », mais secondaire et
subordonnée. Quant aux exercices spirituels, à défaut d'une définition précise, voici
une description : « Sunt autem tria ista : lectio, meditatio, oratio. His tribus innititur et
perficitur omne spirituale exercitium » (c. 43). Il y faut inclure l'examen de
conscience, dont la méthode est décrite en trois degrés, le dernier étant à peu près
ce qu'on appellera plus tard l'examen particulier. Pour tous ces exercices, l'auteur
fournit des thèmes gradués et détaillés : péché, fins dernières, bienfaits de Dieu,
vertus et vices, plus abondamment sur la vie et la passion du Christ. Notons la
distribution septénaire des « particules » de la passion du Christ, adaptée par
Florent Radewijns aux sept jours de la semaine. Il attire l'attention, éveille la
réflexion, provoque les affections, ponctuant ses aperçus ramassés de cogita..,
attende.., mirare.., et autres rappels du même genre répétés presque à chaque
ligne. Il s'agit donc bien d'une méthode d'oraison attentive et appliquée. Par les
précisions, l'ampleur, la gradation qu'il apporte, Gérard Zerbolt marque une étape
dans l'évolution du terme.
4°Les Frères de la vie commune, formés par maître Florent, s'adonnent avec zèle
aux « exercices ». Les statuts de la maison de Zwolle rangent sous ce terme tous
les moyens de perfection : prière, méditation, lecture, travail des mains, veilles et
jeûnes, les « exercitationes » (entendons mortifications et humiliations imposées) et,
reprenant la formule de David d'Augsbourg, « composition de l'homme extérieur et
intérieur », pour arriver « directa via ad caritatem Dei, ad gustum aeternae
Sapientiae » (Jacobus Traiecti, Narratio de inchoatione domus clericorum in Zwollis,
éd. M. Schoengen, Amsterdam, 1908, p. 241). Dans ses Dialogues des novices,
Thomas a Kempis a reproduit des extraits des Exercices de Lubbertus Berneri et de
Jean Kessel, le cuisinier, décédés l'un et l'autre en 1398 (Opera, t. 7, p. 260-267 et
303). Nous trouvons des consignes qu'ils se donnent à eux-mêmes et des dévots
exercices assignés aux différentes 1926 heures de la journée. Gerlac Peters † 1411,
vrai mystique dans le sillage de Ruysbroeck, avait rédigé pour lui-même un
Breviloquium pro danda occasione spiritualis exercitii, qui est lui aussi un livret de
résolutions ascétiques. On constate donc que le mot continue de s'employer en des
sens généraux.
Ce sommaire est détaillé par Thomas a Kempis dans les douze chapitres du Libellus
spiritualis exercitii (avant 1441 ; éd. Delaissé, p. 465-488 ; éd. Pohl, t. 2, p. 329-355).
Au début, cette déclaration : « C'est la coutume chez les bons religieux d'avoir des
exercices dévots pour s'exciter chaque jour au progrès 1928 spirituel et à l'amour de
la vertu » (ch. 1, 2). Telle est la fin des exercices. Thomas ne distingue plus ici,
comme faisaient Gérard Zerbolt et d'autres en s'inspirant de la « Lettre d'Or » et des
Pères, le scopos et la fin, la pureté du coeur et la charité ; lui-même le fera plus loin.
En quoi consistent ces exercices, le chapitre 1 le décrit rapidement : veiller sur ses
pensées et ses mouvements intérieurs, lutter contre la dissipation du coeur par la
prière, la lecture, la méditation (v. 5), noter progrès ou reculs dans un « libellus » (v.
14). Relevons encore ce conseil : « Chaque jour, insère dans tes exercices un article
sur la passion du Christ » (ch. 4, v. 54).
2° Jean Busch, † après 1479 (cf DS, t. 1, col. 1983-1984), ami personnel de Thomas
a Kempis, mérite une mention. Grand réformateur de monastères, il a répandu en
différentes régions de Germanie les principes et les pratiques de Windesheim.
Quelques-unes de ses lettres ont été éditées où il propose des méthodes et des
exercices, telle son Epistola ad priorem augustinentium Magdeburg de diversis
exercitiis (éd. D. J. M, Wüstenhoff, De kleinere geschriften van Johannes Busch,
Gand-La Haye, 1890, p. 77-80) sur les « exercitia intellectum et affectum fratrum
juniorum ad cognitionem et amorem Dei incitantia », et celle qu'il adresse à un
chanoine de Windesheim, Guillaume (p. 73-77). Dans l'une et l'autre nous trouvons
des thèmes gradués de méditation ; il recommande spécialement « certa exercitia »
sur la vie et les mystères du Christ. De lui-même il raconte qu'il avait chaque jour
des exercices spéciaux, deux ou trois « fercula » ; si l'un ne lui plaisait pas, il pouvait
en prendre un autre (De reformatione monasteriorum, lib. 1, c. 2, éd. K. Grube, p.
397).
Cette échelle n'est pas une « scala realis » où l'ordre des concepts suit l'ordre réel
des choses (lib. 3, c. 9, p. 280). « Mon échelle rationnelle (scala autem rationalis
mea) l'emporte sur tous les autres instruments, puisqu'elle les comprend tous. Elle
est dite rationnelle ou intérieure parce que tous ses degrés sont en nous » (lib. 4, c.
1, p. 281), c'est-à-dire qu'elle invite à une succession d'actes des trois facultés,
mémoire, intelligence et volonté, en quinze degrés, non compris les actes
préparatoires et de conclusion. « A qui s'exerce à cette échelle (exercitanti se in
scala), Dieu donnera de savourer combien il est doux » (c. 3, p. 282). Cette échelle
aura des partisans chaleureux parmi les derniers représentants de la Dévotion
moderne (cf P. Debongnie, Jean Mombaer, Louvain, 1928, ch. 10, p. 206-226).
Arrivé en France, l'auteur prépara une nouvelle édition pour laquelle il rédigea une
introduction générale, Invitatorium ad exercitia pietatis (tit. 1, Paris, 1510). C'est une
dissertation fortement charpentée en quinze corollaires suivis d'une série
d'objections avec leurs réfutations. Il s'agit de démontrer l'excellence et le primat des
exercices spirituels sur tous les autres exercitia ou exercitationes. Les deux mots
sont pris à peu près indifféremment. La pièce centrale est empruntée à saint
Bonaventure qui distingue quatre « religiosorum exercitia » et les range dans l'ordre
de valeur décroissante :
Parmi les « exercitationes » de la vie religieuse, la meilleure est celle qui est plus
enracinée dans la charité et qui enflamme davantage le coeur (affectus), mais elle le
sera dans la mesure même où elle se fonde sur des « vivis conceptibus
intellectualibus » (correl. 5 et 6, p. 5-7). C'est à quoi est destiné tout le gros ouvrage
« pro administranda materia et exercitationis occasione » (tit. 39 (38) :
Phylocaumarium, prologue, p. 724).
L'Eruditorium exercitiorum (tit. 2 (1) de l'éd. princeps) s'ouvre par cette profession de
foi : le manque de toute « exercitatio » et la décadence de la religion proviennent du
manque de formation première, c'est-à-dire que les jeunes religieux ne sont pas
formés aux exercices intérieurs, à la prière mentale et à la dévotion. Ils se contentent
des observances extérieures. Ce n'est pas en cela que consiste le règne de Dieu ni
la perfection, c'est dans les exercices intérieurs qu'elle réside (Milan, 1603, p. 29-
30). La célébration de l'office divin ne suffit pas à elle-même, il y faut joindre
l'exercice intérieur ; c'est pourquoi Jean Mombaer a composé l'« exercitii modus, cui
nomen est chyropsalterium » (tit. 5 (4), p. 163). Pour la communion aussi il est
expédient d'avoir un « manuale quoddam exercitium » ; et voici un exercice en forme
d'échelles, « scalare quoddam exercitium », où l'on pourra faire un choix et s'exercer
(tit. 6 (5), p. 199).
Qui se décide à lutter sérieusement contre ses vices s'y exercera assidûment au
moyen des septaines, « jugiter exercendum septenas » (tit. 18 (17) : Destructorium
vitiorum, c. 4, p. 385), en s'appliquant méthodiquement de jour en jour de la semaine
et d'heure en heure de l'office, par l'exercice de la mémoire, de la méditation et de la
prière, contre les sept péchés capitaux.
Quant à la méditation, pour qu'elle soit salutaire, il y faut fixer son esprit à des
« points déterminés ». « De punctis determinatis necessariis meditanti » (tit. 20 (19) :
Meditatorium, c. 4, § 2, p. 416). Le Rosetum les présente sous deux formes, les
rosaires et l'Échelle de méditation empruntée telle quelle à Wessel Gansfort. Il s'en
explique.
Pourquoi des rosaires, c'est-à-dire des points disposés en cinq dizains ? Pour qu'on
puisse s'y exercer de façon plus assidue, « crebrius in his exercitaremur » (ibidem) ;
si on répugne à méditer ces points, que du moins on les récite en manière de rosaire
avec des Ave et que par ce moyen on se dispose à la méditation. « O heureuse
pratique, ô exercitation sacrée ! » (ibidem, p. 417). « Ah, rendons hommage à Marie
au moyen de ce petit exercice, hoc exercitiolo » (tit. 24 : De Virgine Matre, c. 3, p.
551). L'Échelle de méditation « se recommande principalement par ceci qu'elle
comprend et réunit presque tous les exercices des saints répandus dans l'Écriture.. ;
qui s'applique à ce seul exercice rassemble tous les genres d'exercices » (tit. 20
(19) : Scala meditatoria, c. 1, p. 419).
Par ces textes cueillis çà et là et par tout l'ensemble du Rosetum, dernier ouvrage
important qu'ait produit la Dévotion moderne, il apparaît bien que par l'estime
croissante et dominante des exercices de la vie intérieure qui animent toute la
journée, toute la semaine, toute l'année du moine, on en vient à resserrer à peu près
complètement le mot exercice, même sans qualificatif, au sens d'exercice spirituel,
de prière réglée, de méditation méthodique sur des thèmes ou « points » déterminés
d'avance. Notons cependant que le Rosetum maintient la liberté pour l'âme
intérieure de s'affranchir 1931 de la méthode quand le souffle de l'Esprit l'attire en
d'autres directions (c. 8, p. 428-429). Cf P. Debongnie, Jean Mombaer, cité plus
haut.
Par son Exercitatorium, Cisneros fait la transition entre la Dévotion moderne des
Pays-Bas et le rénovateur des exercices, Ignace de Loyola.
Les considérations sur les mystères du Christ, rangées dans l'ordre de l'histoire
évangélique et distribuées par semaines, le maintien même de ce terme qui
correspond mal au cadre adopté, trahissent une dépendance générale par rapport
au septénaire hebdomadaire que l'Exercitatorio de Cisneros empruntait à Mombaer,
lui-même écho fidèle d'une tradition bien établie dans son milieu et parmi les maîtres
spirituels. Ignace a pu lire le premier, Jean Chanones connaissait les oeuvres de
Mombaer et de Gérard Zerbolt ; on peut penser qu'il forma son pénitent aux
méthodes en honneur à Montserrat. Par ce canal, la tradition des exercices spirituels
comme les pratiquait la Devotio moderna atteignait le retraitant de Manrèse.
Parmi les exercices spirituels proposés par saint Ignace, il faut encore signaler les
« applications des sens » (cf DS, t. 1, col. 810-811, 822-826) et les 2e et 3e
« manières de prier » (n. 249-260). Dès la 2e annotation, Ignace met l'exercitant,
pour la marche générale et particulière des Exercices, sous la direction immédiate,
continue et discrète du directeur. Avec Florent Radewijns et ses disciples, les
exercices spirituels prévus, expliqués et commentés, restaient des exercices que
chacun utilisait à son gré. Aussi n'était-il guère question que de conseil à prendre, de
plan général d'exercices à soumettre au jugement et à la décision d'un guide
spirituel. Saint Ignace inaugure ce qu'on appellera désormais la « retraite », soit une
période de temps déterminé, pendant laquelle, dans le cadre d'exercices spéciaux,
« la créature sera seule avec son Créateur ». Aussi, pour atteindre ce but, le choix,
la progression, en bref l'adaptation de ces exercices par « celui qui les donne », doit
se régler sur la capacité 1933 de chacun et l'appel de la grâce. Il est demandé à
« celui qui les reçoit » une docilité totale (11e annotation), d'ailleurs active et
généreuse (5e annotation).
De tout ce matériau qui lui provenait en bonne partie de la tradition, Ignace a fait une
synthèse nouvelle. Tout y est commandé par le but précis qu'il propose dès le titre
général : « Amener l'homme à se vaincre lui-même de façon qu'il puisse faire choix
d'un état de vie, dans une volonté dégagée de toute inclination déréglée ». Les
Ascensions spirituelles de Gérard Zerbolt organisaient déjà l'ensemble des exercices
en vue d'un but à atteindre, mais ce but était celui de toute vie intérieure, la pureté
de coeur et l'amour de Dieu, et c'était l'oeuvre d'une vie fervente. Ignace veut
entraîner à cette purification et à cet amour, en vue d'un choix décisif où toute vie
prendra sa direction et son élan pour la plus grande gloire de Dieu. Instrument d'une
efficacité sans pareille, les Ejercicios espirituales de saint Ignace ont été recueillis
par sa postérité et adoptés par l'Église. Après lui, le terme « exercices spirituels »
reçoit une signification nouvelle qui éclipse les autres sans les abolir.
H. Watrigant, Quelques promoteurs de la méditation méthodique au 15e siècle, coll.
Bibliothèque des Exercices 59, Enghien (Belgique), 1919. — P. Debongnie, Jean
Mombaer, Louvain-Toulouse, 1928. — H. Rahner, Ignatius von Loyola und das
geschichtliche Werden seiner Frömmigkeit, Gratz, 1947. — J. Lewis, Le rôle de
l'élection dans les Exercices spirituels de saint Ignace, dans Sciences
ecclésiastiques, t. 2, 1949, p. 109-128, traite in obliquo du sens du mot « exercices
spirituels » après saint Ignace. — Directoria Exercitiorum spiritualium (1540-1599),
éd. I. Iparraguirre, coll. Monumenta historica Societatis Jesu, Rome, 1955 : évolution
du mot au temps de saint Ignace et chez ses premiers commentateurs. — G. M.
Colombás, Un reformador benedictino, Garcia Jiménez de Cisneros, Montserrat,
1955, ch. 7, p. 229-283. — M. Smits van Waesberghe, Origine et développement
des Exercices spirituels avant saint Ignace, RAM, t. 33, 1957, p. 264-272. — M.
Alamo, art. CISNEROS, DS, t. 2, col. 910-921. — P. Debongnie, art. DÉVOTION
MODERNE, DS, t. 3, col. 727-747.
« L'ensemble du culte que l'Église rend à Dieu, écrivait Pie XII, dans l'encyclique
Mediator Dei du 20 novembre 1947 (AAS, t. 39, 1947, p. 530 ; traduction dans la
Documentation catholique, t. 45, col. 202), doit être à la fois intérieur et extérieur ».
Extérieur, car il émane d'une Église visible, il est fait pour une collectivité dont les
membres ne peuvent communiquer que par des signes visibles. Mais son « élément
essentiel » est intérieur, car l'âme du culte et son but, c'est l'union au Christ. « Sans
quoi, la religion devient assurément un formalisme inconsistant et vide » (p. 531 et
col. 203). Certes, « c'est de la vertu divine et non de la nôtre que (les actes
sacramentels et liturgiques) tirent leur efficacité », néanmoins, « l'oeuvre
rédemptrice, indépendante en soi de notre volonté, requiert notre effort intérieur,
pour pouvoir nous conduire au salut éternel » (p. 533-534 et col. 204-205).
Pie XII avait souligné un peu plus haut la nécessité des exercices de piété pour
contrôler, soutenir et vivifier la vie spirituelle. Relisons ce texte, parallèle à ceux qui
furent déjà cités à l'article DÉVOTIONS (DS, t. 3, col. 751-758).
Après avoir rappelé ces vérités essentielles et après avoir situé dans l'ensemble de
la vie chrétienne l'ascèse et la prière personnelle, Pie XII insistait sur le devoir, qui
incombe aux prêtres comme aux laïcs, de susciter et de développer une vie de
prière personnelle, solide et profonde. L'Église n'a d'ailleurs jamais cessé de
rappeler aux clercs et aux fidèles les exigences pratiqués de cette vie. Nous nous
contenterons de relever quelques-uns des très nombreux documents du magistère,
parmi les plus récents et les plus significatifs, concernant l'oraison, l'examen de
conscience, la confession, la lecture spirituelle, etc. Les documents qui regardent les
exercices spirituels de retraite seront étudiés à l'article RETRAITES SPIRITUELLES.
La législation des exercices de piété des moines et des religieux a été établie pour
chaque ordre ou congrégation dans les règles, constitutions, coutumiers et
directoires propres à chacun d'eux. Cette législation fait l'objet d'approbations
particulières de la part du Saint-Siège ; aussi est-elle traitée dans les articles
consacrés à ces ordres et congrégations comme aussi aux articles COUTUMIERS,
DIRECTOIRES, MONACHISME, etc. Nous envisageons ici les exercices de piété 1.
des clercs, et 2. des laïcs.
1. CLERCS
Le Code de Droit canonique, dans la partie qui traite des droits et des devoirs des
clercs (lib. II, pars 1, c. 108-486), leur enjoint, comme première obligation, de
« mener une vie intérieure et extérieure plus sainte que celle des laïcs et de servir à
ceux-ci d'exemple (excellere in exemplum) par leur vertu et la rectitude de leurs
actions » (c. 124). Les termes de ce canon rappellent l'exhortation que le concile de
Trente adressait à tous les clercs (session 22, De reformatione, c. 1) : « Rien
n'instruit davantage et ne porte plus continuellement 1935 les hommes à la piété et
au culte de Dieu que la vie et l'exemple de ceux qui sont consacrés au saint
ministère » (Mansi, t. 33, col. 133). Cette exhortation générale sera fréquemment
reprise, soit par les papes dans leurs constitutions ou leurs encycliques (le cardinal
Pierre Gasparri, dans les Fontes du Code, n'en cite pas moins de 27, depuis Sixte V
en 1586 jusqu'à Benoît XV), soit par de nombreux conciles particuliers, provinciaux
ou diocésains.
De façon plus précise encore, dans ses instructions aux visiteurs diocésains, saint
Charles recommande la diffusion de la méthode de l'examen particulier selon saint
Ignace et la Pratica dell'orazione mentale de Mathias Bellintani, capucin (ibidem, t. 1,
p. 558 ; cf DS, t. 1, col. 1356).
Pour les séminaristes, les règles sont encore plus nettes (Institutiones ad universum
seminarii regimen pertinentes, ibidem, t. 2, p. 859-878). Le règlement du séminaire
devait comporter, tous les matins, une demi-heure d'oraison, puis matines et prime
de l'office de la Vierge et la messe ; au cours de la journée, les autres « petites
heures », le rosaire ou le chapelet, suivant l'avis du confesseur, une récollection de
l'oraison dans l'après-midi, et un quart d'heure d'examen de conscience dans la
soirée. Les clercs ayant reçu les ordres devaient se confesser tous les huit jours ; les
autres, les premiers et troisièmes dimanches du mois et les jours de fête (pars 3, c.
2, p. 875).
Ces décisions eurent un retentissement considérable ; non seulement elles
contribuèrent pour une grande part à la réforme du clergé dans l'archidiocèse de
Milan, mais leur influence s'exerça à travers l'Italie et l'Europe.
« En 1566, Pie V avait songé à tenir un concile national de tous les évêques d'Italie.
Quand il eut connaissance des Actes du premier concile de Milan (1565), il jugea
son projet inutile. La confirmation des décrets vaudra une approbation de la curie.
Ainsi, selon le mot de I. Pogiani, la réforme romaine devenait fille de la milanaise »
(P. Broutin, Les deux grands évêques de la réforme catholique, NRT, t. 75, 1953, p.
291).
— Pour ce qui est des conciles provinciaux et diocésains, dès 1579, à Melun,
l'archevêque d'Aix, Alexandre Canigiani, fit connaître la législation borroméenne.
Dans ce concile, il est demandé explicitement aux prêtres « de ne jamais célébrer le
saint sacrifice sans un examen de conscience préalable, des prières et des
méditations » (cf L. Odespung de la Meschinière, Concilia novissima Galliae, Paris,
1646, p. 94). Tout un ensemble de règles pour les séminaires (Leges collegii
seminarii) y furent également adoptées ; le chapitre 2 de ces Leges traite « de iis
quae ad pietatem spectant » et prévoit pour les séminaristes la confession
mensuelle, un quart d'heure d'examen de conscience chaque soir, après les litanies
récitées en commun, une lecture spirituelle quotidienne et une formation à l'oraison
et à la méditation (« genus orandi et meditandi », p. 102).
Plus détaillé encore, Le Pastoral du diocèse de Limoges, édité en 1689 sur l'ordre de
l'évêque Louis d'Urfé, donne un « emploi du temps-type ».
— Dans les conciles du 18e siècle, cependant, les prescriptions concernant les
exercices de piété des prêtres resteront habituellement assez vagues ; on
recommandera vivement de consacrer « un certain temps » chaque jour à l'oraison
mentale et d'examiner sa conscience, sans plus de précisions. Quelques conciles
néanmoins reprendront les décrets de Milan ou ceux de Malines (1652).
Le 3 février 1768, l'évêque d'Ypres, Félix de Wavrans, adresse à son clergé une
lettre pastorale dans laquelle il recommande « l'exercice de l'oraison mentale
quotidienne » : « Qu'ils s'y exercent sagement et méthodiquement, pour pouvoir
exhorter et entraîner ensuite leurs fidèles dans cette voie ». C'est la meilleure
préparation à la célébration du saint sacrifice (ibidem, t. 10, p. 601 et 633).
Collectio lacensis, t. 3, col 31 (Baltimore, 1829), 127 (Oregon, 1848), 650 (Québec,
1854), 711-712 (Québec, 1868), 751 (« oratio mentalis, sine qua vix possunt
salvari » ; Halifax, 1857), 786 (Suisse, 1850), 877 (Tuam, Irlande, 1858), 941
(Westminster, 1852), 1045 (Australie, 1844), 1210 (Cincinnati, 1858) ; — t. 4, col.
128 (Reims, 1849), 762 (Bordeaux, 1859), 903 (Sens, 1850), 989 (Aix, 1850), 1067
(Toulouse, 1850) ; — t. 5, col. 56 (Gran, Hongrie, 1858), 194 (Vienne, 1858), 378
(Cologne, 1860), 422 (Prague, 1860), 674 (Kalocza, Hongrie, 1863), 899 (Utrecht,
1865) ; — t. 6, col. 48 et 52 (Urbino, 1859), 199 (Ravenne, 1855), 544 et 546
(Bogota, 1868), 624 (Sou-Tchéou, 1803), 659 (Pondichéry, 1844), 755 (Ombrie,
1849), etc.
Certains conciles demandent une demi-heure (vg t. 3, col. 1045) ; d'autres même
une heure (t. 6, col. 544). Pour renforcer leurs prescriptions, les législateurs citent
parfois tel Père de 1938 l'Église ou tel auteur spirituel : saint Jérôme (Ep. ad
Heliodorum, t. 3, col. 877 ; Ep. ad Nepotianum, t. 5, col. 900), saint Pierre
Chrysologue (Sermo 26, de fideli dispensatore, t. 5, col. 899), Gerson (Tractatulus
consolatorius de meditatione 7, t. 5, col. 423), le pseudo-Bonaventure ou Gilbert de
Tournai (Pharetra IV, 26 ; ibidem), saint Laurent Justinien (De casto connubio 22 ;
De oratione 10 ; ibidem).
L'examen de conscience est moins souvent imposé que l'oraison, mais de nombreux
conciles le prescrivent (cf t. 3, col. 650, 1045 ; t. 4, col. 128 ; t. 5, col. 674, 900 ; t. 6,
col. 624, etc).
4° La confession.
En effet, la plupart des constitutions religieuses approuvées aux 16e et 17e siècles
imposaient la confession hebdomadaire. Certaines demandaient même davantage
aux prêtres : deux fois par semaine ou plus souvent, dans les constitutions des
clercs réguliers des Écoles Pies, des camaldules, des jésuites des lazaristes, etc.
Les constitutions des « Pii operarii », approuvées en 1612, prévoyaient « que les
prêtres, s'ils ne se confessent pas tous les jours, le fassent au moins plusieurs fois
par semaine ». Même prescription dans les constitutions des théatins, et pour les
membres de l'Oratoire de saint Philippe Néri. Cf P. Henrard, La confession
fréquente, dans Revue des communautés religieuses, t. 5, 1929, p. 154-156.
La rigueur des règles milanaises n'était pas universelle, il s'en fallait de beaucoup.
Il semble que cette relative divergence se soit maintenue au cours des 18e et 19e
siècles.
Alors que la majorité des décrets conciliaires particuliers d'Italie demandent aux
prêtres la confession hebdomadaire à un confesseur habituel et aux séminaristes la
confession bi-mensuelle (vg Urbino, 1859 ; Ravenne, 1855 ; conférence des
évêques de Sicile, 1850 ; dans Collectio lacensis, t. 6, col. 52, 199, 815), la plupart
des conciles non italiens ne précisent pas la fréquence et emploient de préférence
les termes : frequenter, sedulo, diligenter, crebrius, etc (cf t. 3, col. 650, 1210 ; t. 4,
col. 985 et 989 ; t. 5, col. 54 et 56, 377, 674, 1141 [Wurtzbourg, 1848], etc). Les
conciles de Vienne (1858), Prague (1860), Kalocza (1863) fixent comme minimum la
confession mensuelle (t. 5, col. 170, 421, 653). Celui d'Utrecht (1865) demande « la
confession hebdomadaire ou tout au moins deux fois par mois » (t. 5, col. 898) ; de
même le concile de Toulouse de 1850, (t. 4, col. 1067).
5° Saint Pie X.
— Dans l'exhortation Haerent animo que Pie X adressait, le 4 août 1908, au clergé
du monde entier, il établissait un lien étroit entre l'examen de conscience quotidien et
le sacrement de pénitence. Après avoir rappelé le conseil de saint Jean
Chrysostome (Expos. in ps. 4, 8 ; Cf DS, supra, col. 1808) et la règle du pseudo-
Bernard (Meditationes piissimae 5 ; cf DS, supra, col. 1814), le pape ajoute : « Il est
d'expérience que celui qui se livre fréquemment à un sévère examen de ses
pensées, de ses paroles, de ses actions, a plus de force pour détester et fuir le mal
en même temps que plus de zèle et d'ardeur pour le bien ».
A l'opposé, l'incurie et l'abandon de soi-même « en arrivent parfois au point de faire
même négliger le sacrement de pénitence… Il n'est pas rare de trouver un prêtre qui
presse les autres de laver sans retard par le rite sacramentel les souillures de leur
âme, et qui s'en acquitte lui-même avec une telle indolence qu'il attend des mois
entiers pour le faire » (ASS, t. 41, 1908, p. 572 ; trad. dans Mgr Pierre Veuillot, Notre
sacerdoce, t. 1, Paris, 1954, p. 121-122).
— Depuis 1904 (encyclique Arduum sane munus, 19 mars), une commission avait
été instituée pour préparer la composition du nouveau Code. En cette matière de la
vie spirituelle du clergé, on peut dire que tous les éléments existaient ; il suffisait de
les reprendre, de les grouper, de les codifier. Voir É. Jombart, art. CODE, DS, t 2,
col. 1012-1022.
— Benoît XV, dans son encyclique Humani generis sur la prédication de la parole de
Dieu (15 juin 1917, AAS, t. 9, 1917, p. 305-317), insistait sur la nécessité de l'esprit
d'oraison pour une prédication efficace :
« La grâce de Dieu ne s'obtient point par l'art et le zèle, mais par la prière. Celui
donc qui s'adonne peu ou point à l'oraison dépense en vain et son travail et sa
peine, puisque cela ne lui profite en rien, ni pour lui-même ni pour ses auditeurs » (p.
314 ; trad. Veuillot, t. 1, p. 174). Benoît XV reviendra fréquemment sur ce thème, en
particulier dans ses différentes allocutions aux prédicateurs de carême (cf AAS, t.
10, 1918, p. 92-97 ; t. 11, 1919, p. 111-118 ; t. 12, 1920, p. 61 ; t. 13, 1921, p. 93),
ainsi que dans sa lettre apostolique Maximum illud du 30 novembre 1919, sur la
propagation de la foi (t. 11, p. 440-455).
De tous les enseignements de Pie XI, le plus important devait être, selon sa propre
attestation (cf lettre apostolique du 18 janvier 1939, AAS, t. 34, 1942, p. 252-264),
l'encyclique Ad catholici sacerdotii fastigium, du 20 décembre 1935, sur la dignité du
sacerdoce (t. 28, 1936, p. 5-53). Le pape y insiste sur la nécessité pour les prêtres
d'une intense vie de prière et d'une délicate 1942 pureté de conscience ; il affirme
que la première de toutes les vertus sacerdotales, est une piété solide, ferme, sûre :
« sans elle, les autres dons comptent peu ; avec elle, même si ces dons ne sont pas
exceptionnels, on peut accomplir des merveilles ». Mais Pie XI ne fixe aucune règle,
s'en tenant à celles du Code.
Pour retrouver des prescriptions nettes, il faudra attendre Pie XII. Sans doute, en
1948 déjà, dans l'exhortation qu'il adressait au clergé indigène (28 juin, AAS, t. 40,
1948, p. 374), il avait dit : « Ménagez-vous chaque jour un temps pour la méditation
des vérités éternelles et la prière, vous attachant à une lecture régulière de l'Écriture
sainte et des auteurs spirituels ; le soir.., examinez soigneusement votre vie » (trad.
Veuillot, t. 2, p. 141-142). Mais c'est dans son exhortation Menti Nostrae, au clergé
du monde entier, le 23 septembre 1950, sur la sainteté de la vie sacerdotale, qu'il
devait préciser l'importance de la fidélité quotidienne aux exercices de piété fixés par
le Code. « Pour nous inciter chaque jour avec plus d'ardeur à atteindre la sainteté,
l'Église nous recommande avec instance, outre la célébration de la messe et la
récitation de l'office divin, d'autres exercices de piété » (AAS, t. 42, 1950, p. 671 ;
trad. Veuillot, t. 2, p. 190) :
Pie XII reprend alors ce qu'il avait déjà dit dans l'encyclique Mystici Corporis (AAS, t.
35, 1943, p. 235) : « La confession fréquente augmente la vraie connaissance de
soi, favorise l'humilité chrétienne, tend à déraciner les mauvaises habitudes, combat
la négligence spirituelle et la tiédeur, purifie la conscience, fortifie la volonté, se prête
à la direction spirituelle et, par l'effet propre du sacrement, augmente la grâce »
(AAS, p. 674 ; trad. Veuillot, p. 193-194).
1943 « En entrant dans la vie spirituelle et en y progressant, n'ayez pas une trop
grande confiance en vous-même, mais, avec humilité et simplicité, recevez le
conseil et demandez l'aide de ceux qui, avec une sage discrétion, peuvent… vous
diriger vers une perfection chaque jour plus accomplie… Sans ces prudents
directeurs de conscience, il est très difficile de répondre comme on le doit aux
impulsions de l'Esprit Saint et de la grâce divine » (AAS, p. 674 ; trad. Veuillot, p.
194).
Cette exhortation paraît être, parmi tous les documents pontificaux des siècles
derniers, le plus précis et le plus fondé en motivations spirituelles profondes.
A plusieurs reprises, S. S. Jean XXIII est revenu sur ces prescriptions de la vie de
prière du clergé. A l'occasion du centenaire de la mort de saint Jean-Marie Vianney,
le pape adressait au clergé du monde entier son encyclique Sacerdotii nostri
primordia (1er août 1959 ; AAS, t. 51, 1959, p. 545-579), dans laquelle il proposait le
curé d'Ars comme modèle des vertus sacerdotales et insistait particulièrement sur la
nécessité d'une vie intérieure personnelle profonde, base indispensable de toute
action apostolique. La lecture de la Bible est proposée aux prêtres comme
« nourriture quotidienne ». Dans le même sens, le discours aux aumôniers d'Action
catholique italienne, le 7 juillet 1959 (Documentation catholique, t. 56, 1959, col.
1049-1052) ; la lettre de la Congrégation des Séminaires et Universités, du 5 juin
1959, aux évêques, sur la formation des clercs (ibidem, col. 1051-1060) : la
formation et les vertus intérieures sont les « sources éternelles d'où l'apostolat tire
toute sa noblesse et sa fécondité surnaturelles » (col. 1058).
A l'occasion du synode romain (24-31 janvier 1960), le pape adressa trois allocutions
aux prêtres et une aux séminaristes (AAS, t. 52, 1960, p. 201 svv). Il y rappelait que
la prière devait être pour eux « une nourriture délicieuse, savoureuse et substantielle
de l'esprit, en même temps qu'une source perpétuelle de courage, de réconfort au
milieu des difficultés et parfois des amertumes de la vie et du ministère sacerdotal et
pastoral » (AAS, p. 234 ; Documentation catholique, t. 57, 1960, col. 268).
« Que votre prière, dit le pape aux séminaristes, soit continuelle, recueillie et
profonde. Qu'elle soit votre aliment… Le psautier est une source très précieuse de
prière. Il devra un jour vous être familier et devenir la pensée de vos pensées, la
substance vivante de votre vie consacrée… Méditez chaque psaume pour en
découvrir les beautés cachées et acquérir ainsi un sens de Dieu et de l'Église sûr ;
reposez-vous dans cette méditation ; élevez-vous des psaumes jusqu'à la
contemplation des choses célestes, et, par eux, sachez apprécier avec mesure et
exactitude les choses de la terre, de la culture et de l'histoire, ainsi que les
événements quotidiens… C'est maintenant que vous devez devenir des hommes de
prière » (AAS, p. 275-276 ; Documentation.., col. 286).
2. LAICS
Dans l'encyclique Mediator Dei, Pie XII, après avoir rappelé que « l'Église
recommande très vivement au clergé et aux religieux un certain nombre de pieux
exercices », ajoutait : « Nous voulons, à présent, que même le peuple chrétien ne
soit pas exclu de ces derniers. Ce sont pour ne parler que des principaux : la
méditation des choses spirituelles, l'examen de conscience attentif permettant de se
mieux connaître, les retraites fermées instituées pour réfléchir plus profondément sur
les vérités éternelles, les ferventes visites au Saint-Sacrement et ces spéciales
prières de supplication en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, entre
lesquelles excelle, comme chacun sait, le rosaire ».
Ce rappel de la nécessité des exercices de piété est relativement fréquent dans les
documents du magistère ; mais c'est la première fois, semble-t-il, que nous trouvons
une énumération aussi complète se rapportant aux laïcs.
Nous ne dirons rien ici des retraites spirituelles pour les laïcs, renvoyant à l'article qui
leur sera consacré. Nous soulignons cependant, en passant, l'importance des
documents du magistère sur ce point. Si le bref Romanus Pontifex de Paul V (23 mai
1606), accordant une indulgence plénière aux religieux qui feraient une retraite
annuelle de dix jours, peut avoir aidé l'insertion de cet exercice dans les constitutions
religieuses (Bullarium romanum, t. 11, Turin, 1867, p. 315-318), d'autres documents
concernant les laïcs furent tout aussi déterminants. Citons, par exemple, l'indulgence
plénière accordée aux laïcs faisant une retraite de huit jours (Alexandre VII, 12
octobre 1657 et 11 juin 1659, ibidem, p. 302 et 472), et surtout l'encyclique
Quemadmodum nihil de Benoît XIV (16 décembre 1746) sur l'oraison mentale faite
au cours des missions paroissiales (Benedicti XIV.., bullarium, t. 2, Prato, 1846, p.
150-151).
1° Généralités.
Le quatrième concile de Milan (1576) rappelait cette consigne (en citant le 4e concile
d'Orléans) et enjoignait aux curés d'organiser matin et soir des prières en commun
pour leurs paroissiens, soit à l'église, soit en famille, soit au travail, dans les ateliers
ou aux champs (cf Acta Ecclesiae mediolanensis, t. 1, p. 105 ; trois ans plus tard, le
5e concile de Milan insistait sur les prières avant le travail, avant et après les repas,
p. 175).
Trois mois plus tard, le 9 avril, le pape disait aux étudiants de la Sorbonne : « Restez
des hommes de prière, d'une prière quotidienne, personnelle et fervente » (AAS, t.
45, 1953, p. 276 ; Documentation catholique, t. 50, col. 522). Citons encore
l'allocution à la fédération mondiale des jeunesses féminines (3 avril 1956) : « La
prière quotidienne et prolongée, seule voie qui conduise en présence de Dieu…
N'espérez pas exercer d'apostolat digne de ce nom, si vous n'acceptez d'abord cette
exigence élémentaire et dont la tradition chrétienne n'a cessé de souligner
l'importance » (AAS, t. 48, 1956, p. 274 ; Documentation.., t. 53, col. 519).
3) Prière en famille. — Nous avons noté plus haut l'exhortation du concile de Milan
(1576) à ce sujet. Elle fut reprise par plusieurs autres synodes. Soulignons, par
exemple, les consignes données soit par le concile de Prague de 1605 (Concilia
Germaniae, t. 8, p. 742), soit par les Règlements synodaux de la Rochelle en 1710,
demandant aux parents « d'être bien exacts à la prière du matin et du soir, qui se
fera en commun par toute la famille assemblée » (Ordonnances et règlements
synodaux.., Paris, 1780, p. 174), soit enfin par le concile de Kalocza (Hongrie) de
1863, qui rappelle aux fidèles leur devoir de prier matin et soir, avant et après les
repas, en famille, et de s'adonner à des lectures pieuses, ainsi qu'à des pratiques de
dévotion à l'égard de la Vierge et des saints patrons (Collectio lacensis, t. 5, col.
696).
Dans les allocutions de Pie XII nous relevons plusieurs conseils identiques.
Déjà en 1940 (le 10 avril), s'adressant aux jeunes époux, le pape développe ce
thème (Allocutions.., t. 1, p. 82-83). En 1946 1943, il y revient dans son allocution
aux prédicateurs de carême (AAS, t. 35, p. 105-116), et le 16 août 1950, dans sa
lettre au congrès des catholiques allemands de Passau (Ihr findet euch), il écrit :
« Nous disons aux familles de la ville et de la campagne : Restez fidèles à la
tradition de la prière au foyer domestiqué. Bénie de Dieu, cette prière fortifie la loi,
augmente la crainte de Dieu et la confiance en la Providence, elle accroît le respect
mutuel et l'amour, et remplit l'âme de courage au temps de l'épreuve » (AAS, t. 52,
1950, p. 733).
2° Recommandations particulières.
Léon XIII, de 1883 à 1901, n'écrivit pas moins de quatorze encycliques ou lettres
apostoliques sur le sujet (extraits groupés dans Notre-Dame, coll. Les
enseignements pontificaux, Paris-Tournai, 1957, p. 77-149).
Benoît XV, à son tour, affirmait que « cet exercice était, merveilleusement propre à
nourrir la piété et à exciter les âmes à la pratique des vertus » (enc. Fausto
appetente die, 29 juin 1921, AAS, t. 13, 1921, p. 334 ; Notre-Dame, p. 187).
Pie XII est revenu plusieurs fois sur l'excellence de cette pratique (à de jeunes
époux, 16 octobre 1940, Allocutions.., t. 1, p. 177-183 ; et dans sa lettre du 31 juillet
1946 à l'archevêque de Manille, AAS, t. 38, 1946, p. 418-419 ; Notre-Dame, p. 268).
Le 15 septembre 1951, l'encyclique Ingruentium malorum présentait le rosaire
comme la plus belle prière, la plus adaptée, la plus fructueuse ; et le pape demandait
aux évêques de veiller à ce que sa récitation soit « de plus en plus estimée et
répandue », avant tout « au sein des familles » (AAS, t. 43, 1951, p. 579-580 ; Notre-
Dame, p. 327-333).
Semblable désir devait être exprimé par Jean XXIII, dans sa lettre du 28 septembre
1960 au cardinal-vicaire de Rome, souhaitant que les fidèles sachent faire de cette
1947 prière, « la plus simple et la plus accessible », « une école de vraie perfection,
en contemplant dans un recueillement intime les enseignements qui irradient de la
vie du Christ et de Marie » (Osservatore romano, 30 septembre ; Documentation
catholique, t. 57, 1960, col. 1249-1252).
3) Confession fréquente. — Pie XII, nous l'avons noté, cite, parmi les pratiques de
dévotion privée et les exercices de piété des fidèles comme du clergé, la pratique de
la confession fréquente. Dans l'encyclique Mystici corporis (29 juin 1943), il
recommande fortement « ce pieux usage introduit par l'Église sous l'impulsion du
Saint-Esprit » (AAS, t. 35, 1943, p. 235). Dans Mediator Dei, le 20 novembre 1947, il
blâme les opinions erronées et « funestes à la vie spirituelle », selon lesquelles « il
ne faut pas faire tant de cas de la confession fréquente des fautes vénielles ».
« Nous insistons de nouveau pour que vous rappeliez à la sérieuse méditation et à
la docile observation de vos fidèles… les très graves paroles dont Nous Nous
sommes servi » (AAS, t. 39, 1947, p. 585 ; Documentation catholique, t. 45, 1948,
col. 244).
Sans doute, aux 16e et 17e siècles, bien des Conciles la conseillent surtout aux
grandes fêtes. Tels Constance en 1609, Bois-le-Duc en 1612, Sion en 1626
(Concilia Germaniae, t. 8, p. 863, et t. 9, p. 210 et 383). Narbonne en 1609 (Concilia
novissima Galliae, p. 587) ou Cologne en 1662 (Concilia Germaniae, t. 9, p. 976)
précisent quatre ou cinq fois par an et, en plus, deux fois pendant le carême (cf
aussi Brixen, 1603, et Constance, 1609, ibidem, t. 8, p. 545 et 863). Osnabruck,
1628, et Paderborn, 1688 (t. 9, p. 453, et t. 10, p. 157), la conseillent aux fêtes du
Christ et de la Vierge et pendant le carême. Cologne en 1662 (t. 9, p. 976) fait une
différence entre les enfants qui doivent se confesser plus souvent, et les adultes. Le
concile de Reims, en 1583, dit frequenter (Concilia novissima Galliae, p. 232).
Aux 18e et 19e siècles, c'est le mot frequenter que l'on rencontre le plus
habituellement : par exemple, Avignon, 1725 (Mansi, t. 37, col. 323), Utrecht II, 1763
(Mansi, t. 38, col. 729), Bourges, 1850 (Collectio lacensis, t. 4, col. 1116),
Westminster, 1852 (saepe, t. 3, col. 934), Ravenne, 1855 (t. 6, col. 158), Venise,
1859 (t. 6, col. 333), Prague, 1868 (t. 5, col. 511), etc. En 1850, le synode plénier
d'Irlande dira « le plus souvent possible » (t. 3, col. 782).
Un siècle plus tard, le concile de Kalocza de 1863 comporte, dans ses décrets, un
chapitre (tit. 6, ch. 9) 1948 pour motiver la confession fréquente des fidèles : elle
purifie l'âme, elle favorise le renouvellement fréquent d'un véritable ferme propos,
elle accroît l'horreur du péché, elle rend le coeur plus prompt aux motions de la
grâce, elle permet de mieux connaître les passions dominantes et les affections
déréglées, elle provoque une plus grande fidélité au devoir d'état, elle rend l'âme
plus forte contre ses ennemis, elle affermit la volonté et augmente la grâce de la
persévérance. Aussi le clergé est-il exhorté à instruire les fidèles, à les inciter à la
confession fréquente et à leur en faciliter la pratique (Collectio lacensis, t. 5, col.
706-707). Il faudra attendre l'encyclique Mystici Corporis de Pie XII pour retrouver
dans un document du magistère semblable motivation (cf AAS, t. 35, 1943, p. 235 ;
cf supra, col. 1942.
Depuis la parution du Code, à maintes reprises, les papes ont rappelé les bienfaits
et les exigences de la dévotion eucharistique (cf DS, t. 4, col. 1637). Le 3 juin 1932,
Pie XI accordait dix ans d'indulgence pour chaque visite, à charge de prier aux
intentions du pape, et une indulgence plénière une fois par semaine à ceux qui
auront fait cette visite chaque jour, se seront confessés et auront communié au
moins une fois (AAS, t. 24, 1932, p. 231-232). Pie XII recommanda vivement cette
pratique, en particulier dans l'encyclique Mediator Dei. Dans son discours du 22
septembre 1956, au congrès international de pastorale liturgique à Assise (AAS, t.
48, 1956, p. 722-723 ; Documentation catholique, t. 53, 1956, col. 1296-1297), il
attirait l'attention sur la « tendance… d'une moindre estime pour la présence et
l'action du Christ au tabernacle » :
Toute piété véritable doit être à la fois personnelle et communautaire. Sans doute,
on peut prier isolément ou en groupe, mais ces deux formes de prière doivent se
compléter l'une l'autre. Publique ou privée, toute prière chrétienne est
essentiellement catholique. « Un chrétien n'est chrétien et n'agit en chrétien que par
le lien qui le rattache à tous ses frères, en le rattachant au Christ… Ce qui suscite sa
prière et qui la fait prière chrétienne est aussi, par conséquent, ce qui la fait
universelle, catholique, publique, unie à toutes les prières chrétiennes » (É. Mersch,
Morale et Corps mystique, 3e éd., t. 1, Bruxelles-Paris, 1949, p. 131-132).
3. Vie spirituelle du laïc. — Au niveau où nous nous sommes placés il y aurait moins
à chercher des traités sur les divers exercices de piété, qu'à utiliser d'une part des
biographies de chrétiens et de chrétiennes exemplaires dans leur vie spirituelle,
familiale, sociale et professionnelle, et d'autre part des revues de formation
spirituelle pour des laïcs engagés dans l'action catholique. Des congrès et des
sessions de toute sorte ont également abordé la question.
Charles SCHMERBER.
Article complet :
93 pages