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Bührer-Thierry Geneviève. Les « réactions païennes » dans le nord de l'Europe au milieu du XIe siècle. In: Actes des congrès
de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 33ᵉ congrès, Madrid, 2002. L'expansion
occidentale (XIe - XVe siècles) Formes et conséquences XXXIIIe Congrès de la S.H.M.E.S. pp. 203-214 ;
doi : 10.3406/shmes.2002.1837
http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_2003_act_33_1_1837
Geneviève Buhrer-Thierry
MoyenEn
Âge
Europe
commecentrale
la forme
et orientale,
privilégiée
la de
christianisation
l'expansion occidentale
apparaît dès: on
le Haut
peut
dire qu'avant toute forme de « colonisation », Pévangélisation et
l'enracinement du christianisme toujours plus loin vers l'est caractérisent
l'expansion occidentale d'abord vers les terres du monde germanique dans
une première vague qui se termine au début du IXe siècle avec l'implantation
définitive du christianisme en Saxe, ensuite vers le monde slave dans un
processus assez long et particulièrement compliqué chez les Slaves du nord
de l'Europe, notamment entre l'Elbe et l'Oder, là où sont établis les
Abodrites et les Liutizes et où alternent du Xe au XIIe siècle des phases de
christianisation et des phases de réaction païenne, alors même que la région
est enclavée dans le monde déjà chrétien de l'empire germanique à l'ouest,
du royaume de Pologne à l'est et même des royaumes Scandinaves au nord1.
Je m'en tiendrai ici à la christianisation comme forme « d'action »
c'est-à-dire de pénétration dans les mœurs religieuses et dans les mentalités
- œuvre sans nul doute de longue haleine - mais aussi, et ce beaucoup plus
rapidement, œuvre de pénétration dans les structures politiques et sociales
avant toute tentative de colonisation systématique ou de « croisade ». Nous
sommes en effet dans une région dont la résistance à la christianisation s'est
finalement soldée par l'appel à la « croisade contre les Wendes » qui s'est
déroulée de 1 136 à 1 147, et par la colonisation systématique de cet espace à
Geschichte. KarlJordan zum 65. Geburtstag, H. Fuhrmann éd., Stuttgart, 1972, p. 54-69, et
J. Petersohn, op. cit., p. 18-22.
6. W. H. Fritze, « Problème der abodritischen Stammes- und Reichverfassung und ihrer
Entwicklung vom Stammesstaat zum Herrschaftsstaat », dans Siedlung und Verfassung der
Slaven zwischen Elbe, Saale und Oder, H. LUDATéd., Giessen, 1960, p. 141-219, ici p. 163.
7. Adam de Brème raconte les deux événements en les mélangeant : II, 42-44.
8. Thietmar de Mersebourg, Chronicon, R. Holtzmann et W. Trillmilch éd., Berlin,
1957, VIII, 5 : libertatem sibimore Liutizio [...] vendicabant.
9. Sur les caractères des Liutices, W. BrûSKE, Untersuchungen zur Geschichte des
Lutizenbundes. Deutsch-wendischen Beziehungen des 10-12. Jahrhunderts, MUnster-Cologne,
1955, et J. Petersohn, op. cit., p. 38-40.
10. Adam de Brème, III, 19-20.
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20. Adam de Brème, III, 20. Sur ce modèle du « prince interprète », cf. H. D. Kahl,
« Heidnisches Wendentums und christliche Stammesfiirsten. Ein Blick in die
Auseinandersetzung zwischen Gentil- und Universalreligion im abendlândischen
Hochmittelalter », Archivfur Kulturgeschichte, 44 (1962), p. 72-1 18, et G. Bûhrer-Thierry,
« Étrangers par la foi, étrangers par la langue : les missionaires du monde germanique à la
rencontre des peuples païens », dans L 'Étranger au Moyen Âge, XXXe Congrès de la SHMES
(Gôttingenjuin 1999), Paris, 2000, p. 259-270.
2 1 . Adam de Brème, III, 50-5 1 .
LES « RÉACTIONS PAÏENNES » DANS LE NORD DE L'EUROPE 209
À quoi nous sert d'avoir atteint la liberté par les armes en assassinant
Gottschalk si son fils réclame son héritage dans la principauté ? Celui-là nous
pressurera plus durement encore que son père et par l'alliance avec les
Saxons il jettera à nouveau le pays dans le malheur. Ils se conjurèrent donc et
placèrent Kruto à la tête de la principauté, excluant les fils de Gottschalk de
leur héritage22.
Butue part alors chercher de l'aide chez les Billung qui parviennent à
le réinstaller de façon très marginale et très précaire, ce qu' Helmold exprime
par les mots suivants :
Butue ne pouvait pas parvenir à rétablir sa puissance parce que, en tant que
fils d'un père chrétien et en tant qu'ami des ducs (des Billung), il passait aux
yeux de son peuple pour un traître à la liberté .
22. HELMOLD DE BOSAU, I, 25 : Quid enim proderit nobis occiso Godescalco libertatem armis
attemptasse, si iste hères principatus extiterit ? lam enim plus iste nos affliget quam pater
appositusque populo Saxonum novis provinciam involvet doloribus. Statimque conspirata
manu statuerunt Crutonem in principatum, exclusis fîliis Godescalci, quibus iure debebatur
dominium.
23. Ibid. : At tamen status Buthue semper erat infïrmus nee ad plenum roborari potuit, eo
quod Christiano parente natus et amicus principum apud gentem suam ut proditor libertatis
haberetur.
24. Ibid, 25-26. Sur ce point cf. W. Lammers, op. cit., p. 134-135.
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païenne » des Abodrites en 1066 et leur alliance avec les Liutizes comme
une manifestation de la volonté des chefs des grandes familles abodrites de
revenir à cette forme d'organisation politique et sociale. Il n'est cependant
pas facile de connaître la nature exacte du pouvoir établi par Kruto sur
l'ensemble des peuples de la région car la « réaction païenne » n'a pas
détruit le « principat » des Abodrites même s'il est raisonnable de penser
qu'elle y a modifié les conditions de l'exercice du pouvoir. Le seul élément
fiable dont on dispose c'est le déplacement du centre de gravité politique de
la région de Mecklembourg vers le pays wagrien d'où Kruto est
probablement originaire : on assiste alors à un mouvement d'expansion des
Wagriens vers l'ouest, dont font essentiellement les frais les populations du
Stormarn et du Holstein dont plus de 600 familles auraient émigré en-deçà
de l'Elbe30, les autres restant tributaires du nouveau prince des Abodrites.
Quant aux Billung, dont on pourrait attendre qu'ils contre-attaquent au
moins pour protéger ces populations installées dans la basse vallé de l'Elbe,
ils semblent avoir été paralysés par les troubles développés au même
moment dans l'empire, la Saxe tout entière étant entrée en rébellion contre
l'empereur Henri IV en 1073, ce qui semble avoir monopolisé toute leur
énergie.
30. Helmold de Bosau, I, 26. Il semble que le souvenir de cet exil ait été particulièrement
durable. Cf. W. Lammers, op. cit., p. 136.
31. Helmold de Bosau, I, 34: Et accepit Heinricus Slavinam in uxorem et obtinuit
principatum et terram. Occupavitque municiones, quas ante habuit Cruto et reddidit hostibus
suis ultionem.
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Mais dans tout le pays slave il n'y eut ni église ni prêtre, en-dehors de la
cité (urbs) qu'on appelle maintenant Alt-Lttbeck, parce que c'est là que
résidait le plus souvent Henri avec safamilia .
32. Ibid. : Audientes igitur universi Slavorum populi hii videlicet qui habitabant ad orientem
et austrum, quod surrexisset inter eos princeps, qui dicat subiacendum Christianis legibus
ettributa principibus solvenda, vehementer indignita sunt, conveneruntque omnes una
voluntate et eadem sententia, ut pugnarent adversus Heinricum, et statuerunt in locum eius,
qui erat Christicolis obpositus omni tempore.
33. Ibid. : Porro in universa Slavia necdum erat eccelsia vel sacerdos, nisi in urbe tantum
quae nunc Vêtus Lubika dicitur, eo quod Heinricus cumfamilia sua sepius illic moraretur.
34. Sur ce site qui a connu de nombreuses campagnes de fouilles cf. W. Lammers, op. cit.,
p. 108-118, et W. Neugebauer, « Der Stand der Erforschung Alt-LUbeck » dans Vor- und
Fruhformen der europàischen Stadt im Mittelalter, H. Jahnkuhn éd., Gôttingen, 1974,
p. 231.
35. C'est la Trave qui forme la frontière entre les deux peuples selon Adam de Brème, III, 20.
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grande famille saxonne, les Billung : alliés des Saxons depuis longtemps
comme on l'a vu, les Nakonides passent aux yeux des chefs des grandes
familles et de leur peuple pour les co-responsables de la spoliation qui
s'exerce par une pression fiscale maximale, entre autres par l'intermédiaire
de la levée de la dîme. Cet aspect du problème était parfaitement connu des
contemporains : ainsi Adam rapporte-t-il les propos du roi des Danois Sven
Estridsen, qui a été un des ses principaux informateurs :
J'ai aussi entendu le très véridique roi des Danois déclarer, en commentant
au fil de la conversation ces événements, que les peuples slaves auraient
certainement pu être convertis depuis longtemps, n'eût été l'avarice des
Saxons. "Ils songent davantage à lever des impôts, m'a-t-il dit, qu'à convertir
les païens". Et ces misérables ne voient pas à quel danger les expose leur
cupidité. Ils ont d'abord troublé, par leur goût du lucre, la chrétienté en pays
slave. Après quoi, par leur cruauté, ils ont poussé à la rébellion ceux dont ils
avaient fait leurs sujets. Et maintenant, sans se soucier du salut des peuples
qui ont voulu croire, ils ne font que les dépouiller. Par un juste décret de
Dieu, nous voyons ainsi triompher de nous des gens dont la Providence a
laissé le cœur s'endurcir, de façon que soit punie par eux notre iniquité40.