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Actes des congrès de la Société

des historiens médiévistes de


l'enseignement supérieur public

Les « réactions païennes » dans le nord de l'Europe au milieu du


XIe siècle
Madame Geneviève Bührer-Thierry

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Bührer-Thierry Geneviève. Les « réactions païennes » dans le nord de l'Europe au milieu du XIe siècle. In: Actes des congrès
de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 33ᵉ congrès, Madrid, 2002. L'expansion
occidentale (XIe - XVe siècles) Formes et conséquences XXXIIIe Congrès de la S.H.M.E.S. pp. 203-214 ;

doi : 10.3406/shmes.2002.1837

http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_2003_act_33_1_1837

Document généré le 04/06/2016


Les « réactions païennes » dans le nord de
VEurope au milieu du Xf siècle

Geneviève Buhrer-Thierry

MoyenEn
Âge
Europe
commecentrale
la forme
et orientale,
privilégiée
la de
christianisation
l'expansion occidentale
apparaît dès: on
le Haut
peut
dire qu'avant toute forme de « colonisation », Pévangélisation et
l'enracinement du christianisme toujours plus loin vers l'est caractérisent
l'expansion occidentale d'abord vers les terres du monde germanique dans
une première vague qui se termine au début du IXe siècle avec l'implantation
définitive du christianisme en Saxe, ensuite vers le monde slave dans un
processus assez long et particulièrement compliqué chez les Slaves du nord
de l'Europe, notamment entre l'Elbe et l'Oder, là où sont établis les
Abodrites et les Liutizes et où alternent du Xe au XIIe siècle des phases de
christianisation et des phases de réaction païenne, alors même que la région
est enclavée dans le monde déjà chrétien de l'empire germanique à l'ouest,
du royaume de Pologne à l'est et même des royaumes Scandinaves au nord1.
Je m'en tiendrai ici à la christianisation comme forme « d'action »
c'est-à-dire de pénétration dans les mœurs religieuses et dans les mentalités
- œuvre sans nul doute de longue haleine - mais aussi, et ce beaucoup plus
rapidement, œuvre de pénétration dans les structures politiques et sociales
avant toute tentative de colonisation systématique ou de « croisade ». Nous
sommes en effet dans une région dont la résistance à la christianisation s'est
finalement soldée par l'appel à la « croisade contre les Wendes » qui s'est
déroulée de 1 136 à 1 147, et par la colonisation systématique de cet espace à

1. On trouvera les meilleures cartes de localisation de cette «enclave» païenne dans


l'ouvrage de J. Petersohn, Der sudliche Ostseeraum im kirchlich-politischen Kràftespiel des
Reichs, Polens und Dàne marks vont 10. bis 13. Jahrhundert. Mission - Kirchenorganisation -
Kultpolitik, Cologne-Vienne, 1979, passim.
204 Geneviève BÛHRER-THIERRY

partir du milieu du XIIe siècle sous la protection du margrave de


Brandebourg Albert l'Ours et du duc de Saxe Henri le Lion. Je me placerai
résolument avant toutes ces entreprises pour essayer de comprendre d'une
part quelles sont les formes que prend la christianisation de cette société
slave et d'autre part quelles sont les formes de résistance - les « réactions » -
qu'elle provoque.
Pour des raisons de cohérence géographique, je parlerai ici seulement
des Abodrites au sens large, c'est-à-dire des populations qui occupent
l'espace compris entre l'Elbe et l'Oder dans la partie la plus septentrionale,
sur lesquelles
XIe-XIIe sièclesnous
: sommes assez bien renseignés par deux sources des

- d'une part la Geste des évêques de Hambourg, rédigée par Adam de


Brème2 dans les années 1060 à la demande de l'archevêque Adalbert en
charge de la mission et de l'organisation ecclésiastique de cet espace ;
- d 'autre part la Chronique des Slaves d'Helmold de Bosau3, rédigée
vers 1 163-1 168, qui reprend en partie des éléments du texte précédent mais
le complète par d'autres informations et permet d'aller plus loin dans la
chronologie. Helmold est un des prêtres au service de l'évêque Gerold
d'Oldenbourg-Liibeck qui tente toujours de christianiser cet espace rebelle
où certains princes sont déjà chrétiens mais sans pouvoir imposer la nouvelle
religion à leur population comme on le verra.
L'œuvre d'évangélisation de la région est liée en effet à l'histoire de la
famille des Nakonides, princes abodrites, chrétiens et alliés des Saxons
depuis le Xe siècle.
Les Abodrites sont depuis longtemps alliés des puissances
occidentales et en premier lieu des Francs dès la fin du VIIIe siècle4. Le
premier prince des Abodrites connu est Nakon, éponyme de sa dynastie, qui
a vécu au milieu du Xe siècle (t vers 965/967), vassal de l'empereur
Otton Ier. Cette famille étend sa domination sur la région et notamment sur
les Wagriens grâce à l'appui du margrave Hermann Billung, mais sans doute
pas au point de pouvoir organiser une politique religieuse de christianisation
continue : ainsi l'évêque d'Oldenbourg5 s'est-il replié à Mecklembourg qui

2. Adam de Brème, Gesta Hammaburgensis Ecclesiae pontificum, B. Schmeidler éd.,


Hanovre-Leipzig, 1917 (A/G// Script, in us. schol. 2). Sur cette œuvre on peut se rapporter à
l'étude classique de l'éditeur du manuscrit, B. Schmeidler, « Zur Entstehung und zum Plan
der hamburgischen Kirchengeschichte Adams von Bremen », Neues Archiv der Gesellschaft
fur altère deutsche Geschichtskunde, 50 (1935), p. 221-228. Par commodité, j'ai utilisé la
traduction de B. Brunet-Jailly parue dans la collection l'Aube des peuples, Gallimard,
1998.
3. Helmold de Bosau, Chronica Slavorum, H. Stoob éd., Darmstadt, 1963.
4. Annales qui dicitur Einhardi, anno 798 - Annales Regni francorum, anno 789 et 798,
Fr. KURZE éd., Hanovre, 1895, p. 84-85 et 102-105.
5. Oldenbourg a été fondé en 968 (et non pas en 948) comme diocèse suffragant de l'église de
Hambourg-Brème. Sur tout ceci, H. Beumann, « Die Grtindung des Bistums Oldenburg und
die Missionspolitik Ottos de Grossen », dans Aus Reichsgeschichte und Nordischer
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est le centre du pouvoir des Nakonides6, seuls princes chrétiens de la région.


À deux reprises, en 983 puis en 10187, on assiste à un soulèvement des
païens qui chassent les princes nakonides lesquels se réfugient alors sur les
terres des Billung et notamment dans la région de Lunebourg : la raison de la
révolte invoquée par Thietmar de Mersebourg, un évêque contemporain des
événements, est « qu'ils revendiquaient de retourner à la liberté des mœurs
des Liutices »8, c'est-à-dire à la fois au paganisme et à une organisation
sociale qui ne connaît pas de princes, hormis d'occasionnels chefs de
guerre9.
Cependant, c'est avec la prise du pouvoir de Gottschalk vers 1043 que
commence une réelle tentative de construire un État princier entre Elbe et
Oder avec l'appui des Billung, du roi des Danois, mais surtout de
l'archevêque de Hambourg-Brème.

Gottschalk et la tentative de construire un Etat princier

Écoutons Adam «de Brème qui a bien connu Gottschalk :

[...] Gottschalk, en homme dont on doit louer la sagesse et le courage, prit


pour épouse la fille du roi des Danois [la fille de Sven Estridsen] et dompta si
bien les Slaves que, le craignant comme un roi {quasi regem), ils lui offrirent
en échange de la paix, un tribut et leur soumission. En ces circonstances, la
paix fut assurée à Hambourg, et le pays slave s'emplit d'églises et de prêtres.
Pieux et craignant Dieu, Gottschalk était en effet un proche de l'archevêque,
et honorait Hambourg comme il l'eût fait d'une mère. Il y venait souvent
pour s'y acquitter de ses vœux. Jamais il n'y eut prince plus puissant ni plus
dévoué à la propagation de la religion chrétienne de ce côté-ci du pays slave.
Car, s'il lui avait été accordé de vivre plus longtemps, il aurait, selon ses
projets, contraints tous les païens à embrasser le christianisme, et il gagna à la
foi presque le tiers de ceux qui, sous son grand-père, étaient autrefois
retombés dans le paganisme. Ainsi donc, sous ce prince, tous les peuples
slaves appartenant au diocèse de Hambourg - Wagriens, Abotrides, Polabes -
cultivèrent la foi chrétienne avec dévotion .

Geschichte. KarlJordan zum 65. Geburtstag, H. Fuhrmann éd., Stuttgart, 1972, p. 54-69, et
J. Petersohn, op. cit., p. 18-22.
6. W. H. Fritze, « Problème der abodritischen Stammes- und Reichverfassung und ihrer
Entwicklung vom Stammesstaat zum Herrschaftsstaat », dans Siedlung und Verfassung der
Slaven zwischen Elbe, Saale und Oder, H. LUDATéd., Giessen, 1960, p. 141-219, ici p. 163.
7. Adam de Brème raconte les deux événements en les mélangeant : II, 42-44.
8. Thietmar de Mersebourg, Chronicon, R. Holtzmann et W. Trillmilch éd., Berlin,
1957, VIII, 5 : libertatem sibimore Liutizio [...] vendicabant.
9. Sur les caractères des Liutices, W. BrûSKE, Untersuchungen zur Geschichte des
Lutizenbundes. Deutsch-wendischen Beziehungen des 10-12. Jahrhunderts, MUnster-Cologne,
1955, et J. Petersohn, op. cit., p. 38-40.
10. Adam de Brème, III, 19-20.
206 Geneviève BÛHRER-THIERRY

L'autorité de Gottschalk est donc établie sur un ensemble de peuples


qui reconnaissent sa supériorité par le versement d'un tribut, mais aussi par
l'ouverture du pays à la Christian isation. Il faut en fait distinguer le centre du
pouvoir de Gottschalk, le pays abodrite au sens étroit dont la « capitale » est
Mecklembourg où Gottschalk a fondé trois monastères, et les peuples soumis
aux Abodrites : notamment les Wagriens et les Polabes qui sont directement
englobés dans la construction politique et religieuse du prince Gottschalk.
Chacun dispose en effet d'un siège episcopal : Oldenbourg pour les
Wagriens, Ratzebourg pour les Polabes, qui sont aussi des forteresses
correspondant à d'anciens centres du pouvoir politique et religieux de
chacun de ces peuples11.
Il semble que, comme en Bohême ou en Pologne, l'évolution politique
vers un État princier se marque par la suppression des nombreux petits
points fortifiés qui quadrillaient l'espace, au profit de forteresses plus
imposantes et nettement moins nombreuses : cette évolution a été bien
montrée par l'archéologie surtout en pays wagrien12. On peut donc y lire une
certaine volonté de « hiérarchisation » du pouvoir qui fonctionne à deux
niveaux : supériorité du pouvoir des Abodrites et de leur prince sur
l'ensemble des peuples de la région, mais aussi réorganisation des pouvoirs
au profit du prince et de ses représentants y compris chez les Abodrites eux-
mêmes.
On constate facilement, grâce au discours d'Adam de Brème qui est
essentiellement tourné vers l'œuvre de christianisation, que cette
réorganisation de l'espace politique est superposée à une organisation
ecclésiastique soutenue par l'archevêque de Hambourg-Brème : en effet, la
création de trois diocèses suffragants de l'église de Hambourg par partition
de l'ancien diocèse unique d'Oldenbourg entre dans le plan de l'archevêque
Adalbert qui vise à la constitution d'un patriarcat coiffant douze diocèses du
nord de l'Empire et dont l'église de Hambourg prendrait bien sûr la tête13.
L'autorité, plus forte que jamais selon Adam de Brème, que
Gottschalk a étendue sur l'ensemble des peuples établis à l'est de l'Elbe
repose donc sur l'alliance à la fois politique et militaire des Nakonides avec
les Saxons - en particulier les Billung - et les Danois ; Gottschalk a passé
quinze ans au service de Cnut le Grand puis de son neveu Sven Edrivsen

1 1. W. H. Fritze, « Problème der abodritischen Stammes- und Reichverfassung », art. cit.,


p. 183.
12. K.W. Struve, «Die slawischen Brugen in Wagrien», Offa, 17/18 (1959/1961), p. 57,
repris par W. Lammers, Geschichte Schleswig-Holstein IV/1, Neumtinster, 1981, p. 97-100.
13. Adam de Brème, III, 33 et III, 59. La création de ce patriarcat qui a occupé l'archevêque
Adalbert jusqu'à la fin de sa vie, mais n'a jamais été réalisé, devait être une compensation
pour l'indépendance des églises du Danemark où le roi réclamait la création d'une province
ecclésiastique. H. Ludat, « Die Patriarcatsidee Adalberts von Bremen und Byzanz », Archiv
fur Kulturgeschichte, 34 (1952), p. 221-246. Sur l'importance du chiffre douze,
H. Fuhrmann, « Provincia constat duodecim episcopatibus », Studia Gratiana, II (1967),
p. 389-404.
LES « REACTIONS PAÏENNES » DANS LE NORD DE L'EUROPE 207

dont il a épousé la fille : tous deux l'ont aidé militairement à récupérer


l'héritage de son père Udo14, et plus largement à étendre sa domination sur
les peuples slaves jusqu'à la Penne1 . Mais c'est surtout l'église de
Hambourg qui lui fournit une partie des cadres de la nouvelle organisation
qu'il entend mettre en place :

L'archevêque, se réjouissant de la création de ces églises, choisit parmi ses


évêques et ses prêtres des hommes sages, qu'il envoya au prince afin qu'ils
fortifient dans la foi les populations récemment converties16.

Les trois sièges d'évêchés doivent donc devenir d'authentiques centres


du pouvoir de Gottschalk, idée renforcée par l'intervention d' Adalbert de
Hambourg contre les prétentions des Billung à détenir la forteresse de
Ratzebourg : un diplôme d'Henri IV rédigé en avril ou mai 106217, sans
doute peu avant la décision d'ériger la forteresse en siège episcopal, prévoit
la donation au duc Ordulf de la place forte, mais l'archevêque qui apparaît
comme intercesseur dans l'acte a bien fait spécifier qu'étaient exclues de
cette donation toutes les terres du Limes Saxonicum qui séparent les
possessions des Billung de la région de Ratzebourg18, ce qui, de ce fait,
interdit au duc de disposer de Ratzebourg comme voie d'accès en pays
abodrite, et surtout Adalbert fait préciser que sont exclues les dîmes qui
devront être versées à l'évêque dans le ressort duquel se situe la forteresse.
Ce diplôme n'a finalement jamais été expédié au destinataire, il est resté
dans les archives du roi salien et il ne fait guère de doute, compte tenu de
l'influence de l'archevêque Adalbert dans les années 1060-1065, qu'il faut y
voir aussi sa volonté délibérée d'entraver l'expansion des Billung en
territoire abodrite. Cette volonté s'explique à la fois par les mauvaises
relations que les Billung entretiennent avec l'église de Brème en général - et
avec l'archevêque Adalbert en particulier19 - mais aussi sans doute par un
dessein proprement politique qui soutient la constitution d'un État princier
chrétien au-delà de l'Elbe.
On voit donc bien ici que ce qui est directement et indissociablement
lié à la christianisation de cet espace, comme c'est le cas dans toute l'Europe
centrale et orientale, c'est la construction d'un État, qui s'appuie sur le

14. Adam de Brème, II, 79, et Helmold de Bosau, 1, 20.


15. En particulier Adam de Brème, III, 22.
16. /ta/., III, 21.
17. D. Henri IV 87, dans A/G//. Die Urkunden der deutschen Kônige und Kaiser VI, Die
Urkunden Heinrichs IV, D. von Gladiss, éd., Berlin, 1941, p. 112-113. Ce diplôme est
conservé en original et on peut en trouver un fac-similé dans W. Lammers, op. cit., pi. 9,
p. 120. Voir aussi K. Jordan, « Die Urkunde Heinrichs IV. fur Herzog Ordulf von Sachsen
vom Jahre 1062 », Archivfur Diplomatik, 9/10 (1963-64), p. 53-66.
1 8. E. ASSMANN, « Salvo Saxoniae limite. Ein Beitrag zum Problem des Limes Saxoniae »,
Zeitschrift der GesellschaftfùrSchleswig-Holsteinische Geschichte, 77 (1953), p. 195-203.
19. Voir par exemple G. GLAESKE, Die Erzbischôfe von Hamburg-Bremen als Reichsfùrsten
(937-1258), Hildesheim, 1952, p. 60-97.
208 Geneviève BÛHRER-THIERRY

modèle ottonien en lieu et place de sociétés plus ou moins hiérarchisées, et


dont la christianisation soutient en fait la volonté d'inventer -ou de
renforcer selon les cas- le caractère centralisé et administratif de l'État
princier. On voit donc se greffer sur les structures sociales et sur
l'organisation de pouvoir préexistantes de nouveaux éléments qui
aboutissent toujours à l'exaltation de la figure du prince et à la mise en place
d'un groupe séparé : le clergé - qui compte toujours une bonne part si ce
n'est la totalité d'étrangers - qui est intégré au nouvel appareil politique et
administratif sur le modèle ottonien ; on assiste donc à une
« occidentalisation » précoce d'une grande partie de l'appareil du pouvoir
qui reste cependant au service d'un prince qui est toujours un prince
« indigène ». En outre, toujours selon le modèle caroligien-ottonien, c'est le
prince qui est en charge de la christianisation de son peuple, ce que
Gottschalk prend à cœur au point de prêcher lui-même en langue slave pour
expliquer les saints mystères à son peuple20. Mais ni la persuasion, ni la
contrainte n'empêchent le déclenchement d'une vaste rébellion contre
l'autorité de Gottschalk qui trouve la mort lors de ce qu'il est convenu
d'appeler la « réaction païenne » de 1066.

Kruto et la réaction païenne

Au printemps 1066, à la diète de Tribur, Adalbert tombe en disgrâce à


l'issue d'une kabbale fomentée par son vieil ennemi l'archevêque Anno de
Cologne. Quelques mois plus tard, le 7 juin 1066, Gottschalk est assassiné à
Lenzen et toute la région se soulève contre les Nakonides. Cette révolte dans
laquelle le prince Gottschalk trouve la mort est présentée par Adam de
Brème et Helmold de Bosau comme une « réaction païenne » parce qu'ils
privilégient le thème du martyr des chrétiens et celui de la destruction des
églises, deux éléments qu'il ne s'agit pas de mettre en doute. Mais l'hostilité
déclarée aux Nakonides n'est pas qu'une hostilité envers l'œuvre de
christianisation : si les opposants à Gottschalk, ceux qui prennent sa
succession, sont des païens déclarés dont la première préoccupation semble
avoir été de mettre à mort tout ce que le pays comptait de chrétiens21, ils
représentent aussi une autre forme de pouvoir c'est-à-dire des primores, des
« chefs de famille », qui ne veulent pas voir le pouvoir de leur groupe
disparaître dans la grande œuvre de Gottschalk qui consiste - idéalement - à
supprimer toutes les formes d'autonomie locale au profit d'une forme

20. Adam de Brème, III, 20. Sur ce modèle du « prince interprète », cf. H. D. Kahl,
« Heidnisches Wendentums und christliche Stammesfiirsten. Ein Blick in die
Auseinandersetzung zwischen Gentil- und Universalreligion im abendlândischen
Hochmittelalter », Archivfur Kulturgeschichte, 44 (1962), p. 72-1 18, et G. Bûhrer-Thierry,
« Étrangers par la foi, étrangers par la langue : les missionaires du monde germanique à la
rencontre des peuples païens », dans L 'Étranger au Moyen Âge, XXXe Congrès de la SHMES
(Gôttingenjuin 1999), Paris, 2000, p. 259-270.
2 1 . Adam de Brème, III, 50-5 1 .
LES « RÉACTIONS PAÏENNES » DANS LE NORD DE L'EUROPE 209

d'organisation politique qui ressemble à un État princier. Ici encore, il est


possible d'interpréter la révolte contre Gottschalk à plusieurs niveaux : d'une
part comme la volonté des chefs des grandes familles de retrouver
entièrement leur vocation naturelle à commander et pas seulement par
délégation du pouvoir princier, d'autre part comme la tentative des peuples
soumis aux Abodrites -notamment les Wagriens- de recouvrer leur
indépendance, enfin comme la volonté de ces peuples slaves de secouer le
joug des Saxons qui apparaissent comme les principaux spoliateurs.
L'enchaînement des événements n'est connu que par Helmold qui
écrit plus de cinquante ans après l'événement : il semble cependant qu'après
l'assassinat de Gottschalk, son fils aîné Butue ait pu temporairement prendre
le pouvoir. Mais les grands protestent contre cette succession avec les
arguments suivants :

À quoi nous sert d'avoir atteint la liberté par les armes en assassinant
Gottschalk si son fils réclame son héritage dans la principauté ? Celui-là nous
pressurera plus durement encore que son père et par l'alliance avec les
Saxons il jettera à nouveau le pays dans le malheur. Ils se conjurèrent donc et
placèrent Kruto à la tête de la principauté, excluant les fils de Gottschalk de
leur héritage22.

Butue part alors chercher de l'aide chez les Billung qui parviennent à
le réinstaller de façon très marginale et très précaire, ce qu' Helmold exprime
par les mots suivants :

Butue ne pouvait pas parvenir à rétablir sa puissance parce que, en tant que
fils d'un père chrétien et en tant qu'ami des ducs (des Billung), il passait aux
yeux de son peuple pour un traître à la liberté .

En fait, avec l'aide du duc Billung et surtout des troupes des


Nordalbingiens qui sont les premiers touchés par les destructions opérées par
Kruto, Butue semble s'être partiellement maintenu comme pouvoir
concurrent de celui de Kruto jusqu'en 1072 où il est massacré, avec tous ses
partisans, dans l'attaque de la forteresse de Pion où ils s'étaient retranchés24.
Quant au second des fils de Gottschalk, Henri, qui n'était encore qu'un
enfant en 1066, il s'est, réfugié au Danemark avec sa mère Sigrid qui a été

22. HELMOLD DE BOSAU, I, 25 : Quid enim proderit nobis occiso Godescalco libertatem armis
attemptasse, si iste hères principatus extiterit ? lam enim plus iste nos affliget quam pater
appositusque populo Saxonum novis provinciam involvet doloribus. Statimque conspirata
manu statuerunt Crutonem in principatum, exclusis fîliis Godescalci, quibus iure debebatur
dominium.
23. Ibid. : At tamen status Buthue semper erat infïrmus nee ad plenum roborari potuit, eo
quod Christiano parente natus et amicus principum apud gentem suam ut proditor libertatis
haberetur.
24. Ibid, 25-26. Sur ce point cf. W. Lammers, op. cit., p. 134-135.
21 0 Geneviève BÛHRER-THIERRY

chassée de la cité de Mecklembourg par les païens, entièrement nue, ce qui


constitue évidemment un affront envers son père le roi des Danois.
Les Abodrites ont donc rejeté à la fois l'alliance des Saxons et celle
des Danois qui représentent les puissances chrétiennes de la région. Ils ont
fait alliance en revanche avec les tribus Liutizes comme le montre leur
participation à la grande fête donnée à Réthra pour le dieu Radegast, en
l'honneur duquel on sacrifie dans une cérémonie solennelle, au mois de
novembre 1066 donc six mois après le début de la révolte, le vieil évêque
Jean de Mecklembourg25 : le fait que ce soit l'évêque attaché au principal
centre du pouvoir de Gottschalk qui soit spécialement épargné en vue de la
manifestation du triomphe final du paganisme n'est sans doute pas un
hasard.
Depuis la première grande révolte des Slaves en 983, il semble que le
sanctuaire de Réthra soit devenu le lieu de rassemblement des peuples slaves
de la région qui n'entendent se soumettre ni à la domination germanique, ni
à la christianisation : rien n'atteste d'une importance aussi grande de ce
sanctuaire auparavant26. Il faut donc en conclure à une identification de plus
en plus forte des païens à leurs idoles, justement par « réaction » à la
tentative de christianisation. Certains auteurs soupçonnent même l'influence
indirecte du christianisme dans l'apparition, finalement assez tardive, de
sanctuaires organisés possédant un véritable « clergé » et des bâtiments27. La
« réaction païenne » ne se solde donc pas seulement par la destruction des
églises et par le massacre des prêtres chrétiens, elle implique aussi une
certaine forme de réorganisation du paganisme lui-même, ce qui constitue
finalement une forme paradoxale d'expansion occidentale vers le monde
slave.
Si on en croit Thietmar de Mersebourg28, les Liutizes du XIe siècle
sont constitués d'une fédération de peuples, connus aussi par Adam de
Brème et Helmold, dont le seul centre politique serait le sanctuaire de Réthra
où se réunit le commune placitum qui est largement associé aux décisions
des priores qu'il faut sans doute interpréter comme les gardiens des
forteresses : contrairement aux Abodrites, ils ne connaissent pas à cette
époque de principauté29. Il est donc très tentant d'interpréter la « réaction

25. Adam de Brème, 111,51.


26. M. Hellmann, « Grundziige der Verfassungsstruktur des Liutizen », dans Siedlung und
Verfassung der Slaven zwischen Elbe, Saale und Oder, H. Ludat éd., Giessen 1 960,
p. 105-113, ici p. 109-110.
27. J. Banaszkiewicz, « Origo et religio : versio germano-slavica ou des manières dont se
construit l'identité communautaire dans le Haut Moyen Âge», dans Clovis. Histoire et
mémoire, M. Rouche dir., t. II : Le baptême de Clovis, son écho à travers l 'histoire, Paris,
1997, p. 315-328.
28. Thietmar, VI, 25 : Unanimi consilio ad placitum suimet necessaria discucientes, in rebus
ejfîciendis omnes concordant. Voir aussi VII, 64 où les Liutizes se retirent du champ de
bataille après une délibération du commune placitum.
29. W. H. Fritze, « Beobachtungen zu Entstehung und Wesen des Lutizenbundes »,
Jahrbuchfurdie Geschichte Mittel- und Ostdeutschlands, 7 (1958), p. 1-38, ici p. 34.
LES « RÉACTIONS PAÏENNES » DANS LE NORD DE L'EUROPE 21 1

païenne » des Abodrites en 1066 et leur alliance avec les Liutizes comme
une manifestation de la volonté des chefs des grandes familles abodrites de
revenir à cette forme d'organisation politique et sociale. Il n'est cependant
pas facile de connaître la nature exacte du pouvoir établi par Kruto sur
l'ensemble des peuples de la région car la « réaction païenne » n'a pas
détruit le « principat » des Abodrites même s'il est raisonnable de penser
qu'elle y a modifié les conditions de l'exercice du pouvoir. Le seul élément
fiable dont on dispose c'est le déplacement du centre de gravité politique de
la région de Mecklembourg vers le pays wagrien d'où Kruto est
probablement originaire : on assiste alors à un mouvement d'expansion des
Wagriens vers l'ouest, dont font essentiellement les frais les populations du
Stormarn et du Holstein dont plus de 600 familles auraient émigré en-deçà
de l'Elbe30, les autres restant tributaires du nouveau prince des Abodrites.
Quant aux Billung, dont on pourrait attendre qu'ils contre-attaquent au
moins pour protéger ces populations installées dans la basse vallé de l'Elbe,
ils semblent avoir été paralysés par les troubles développés au même
moment dans l'empire, la Saxe tout entière étant entrée en rébellion contre
l'empereur Henri IV en 1073, ce qui semble avoir monopolisé toute leur
énergie.

Henri et l'impossible restauration du culte chrétien

En 1093, Henri, le second fils de Gottschalk réfugié avec sa mère au


Danemark depuis 1 066, débarque avec une multitude de bateaux danois sur
les côtes des Wagriens pour reprendre son héritage : il parvient à se
débarrasser de Kruto en le faisant assassiner lors d'un banquet, avec, selon
Helmold, la complicité de son épouse Slavina :

Et Henri prit Slavina pour épouse et obtint la terre et la principauté. Et il


occupa les forteresses qui étaient auparavant à Cruto et se vengea de ses
ennemis31.

Immédiatement, Henri se rend auprès du duc Magnus de Saxe pour lui


faire allégeance et promet la paix à toutes les populations nordalbingiennes
si durement éprouvées sous le règne de Kruto. La riposte ne se fait pas
attendre : les populations slaves « du sud et de l'est » selon Helmold,
entendons les Abodrites et les Polabes, « apprenant qu'était apparu parmi
eux un prince qui voulait les soumettre aux lois chrétiennes et leur imposer

30. Helmold de Bosau, I, 26. Il semble que le souvenir de cet exil ait été particulièrement
durable. Cf. W. Lammers, op. cit., p. 136.
31. Helmold de Bosau, I, 34: Et accepit Heinricus Slavinam in uxorem et obtinuit
principatum et terram. Occupavitque municiones, quas ante habuit Cruto et reddidit hostibus
suis ultionem.
2 12 Geneviève BÛHRER-THIERRY

un tribut »32, se rassemblèrent pour le chasser au profit d'un nouveau


pouvoir païen. Cette conjuration fut cependant battue, avec l'aide du duc
Magnus lui-même et des troupes nordalbingiennes, à la bataille de Schmilau,
près de Ratzebourg.
Ce passage d'Helmold montre ici encore la structure « fédérale » des
populations qui étaient sous le contrôle de Kruto : Henri a pris le pouvoir et
les forteresses de Kruto par la ruse et a confirmé son droit à détenir cette
terre en épousant sa veuve, mais ceci ne vaut que pour le pays wagrien et
pour les Nordalbingiens qui leur sont directement soumis. En revanche, les
Polabes et les Abodrites au sens étroit ne sont pas prêts à reconnaître sa
suprématie qu'il doit conquérir par les armes et avec l'aide des Saxons.
Henri remet de l'ordre dans tout le pays slave, garantit la paix aux
Nordalbingiens qui reconstruisent leurs églises, mais n'impose pas le
christianisme aux populations slaves qui reconnaissent sa domination en lui
payant tribut :

Mais dans tout le pays slave il n'y eut ni église ni prêtre, en-dehors de la
cité (urbs) qu'on appelle maintenant Alt-Lttbeck, parce que c'est là que
résidait le plus souvent Henri avec safamilia .

Malgré son mariage « païen », Henri reste un prince fidèle au


christianisme, mais il n'est pas en mesure d'entraîner l'ensemble de son
peuple, ni même de ses fidèles dans la conversion. Aussi le culte chrétien
reste-t-il cantonné à l'église privée de \afamilia d'Henri, sur le site du Vieux
Lubeck34, une presqu'île à la confluence de la Schwartau et de la Trave dont
Gottschalk et Kruto avaient vu déjà l'intérêt stratégique, mais qui n'avait
jamais été un lieu de résidence princière, ni un centre du pouvoir politique
ou religieux. Il me semble tout à fait remarquable qu'Henri ait choisi pour
résidence principale un lieu neutre, à la jonction géographique des territoires
des Wagriens, des Polabes35 et des Abodrites, au lieu de réinvestir les vieux
centres du pouvoir princier comme Ratzebourg ou Mecklembourg qui
avaient été des sanctuaires païens et des cités épiscopales.

32. Ibid. : Audientes igitur universi Slavorum populi hii videlicet qui habitabant ad orientem
et austrum, quod surrexisset inter eos princeps, qui dicat subiacendum Christianis legibus
ettributa principibus solvenda, vehementer indignita sunt, conveneruntque omnes una
voluntate et eadem sententia, ut pugnarent adversus Heinricum, et statuerunt in locum eius,
qui erat Christicolis obpositus omni tempore.
33. Ibid. : Porro in universa Slavia necdum erat eccelsia vel sacerdos, nisi in urbe tantum
quae nunc Vêtus Lubika dicitur, eo quod Heinricus cumfamilia sua sepius illic moraretur.
34. Sur ce site qui a connu de nombreuses campagnes de fouilles cf. W. Lammers, op. cit.,
p. 108-118, et W. Neugebauer, « Der Stand der Erforschung Alt-LUbeck » dans Vor- und
Fruhformen der europàischen Stadt im Mittelalter, H. Jahnkuhn éd., Gôttingen, 1974,
p. 231.
35. C'est la Trave qui forme la frontière entre les deux peuples selon Adam de Brème, III, 20.
LES « REACTIONS PAÏENNES » DANS LE NORD DE L'EUROPE 213

Au centre de la forteresse d'Alt-Lubeck Henri a fait ériger une église


dont les fondations ont été retrouvées lors des fouilles de 1949. Mais cette
église est destinée à rester une église « privée », ce qui revient à dire que,
même chrétien, Henri n'a pas exercé son pouvoir comme un prince
chrétien36 en raison de la grande résistance de cette société slave à
l'expansion occidentale, au moins dans sa forme religieuse. L'échec final de
la domination d'Henri, pourtant reconnu comme rex Slavorum par de
nombreuses sources contemporaines37, me semble inscrit dans sa sépulture :
en effet, la dépouille du prince des Abodrites a été inhumée, selon la
chronique du monastère38, dans l'église de Saint-Michel de Llinebourg,
fondation des Billung où son propre père avait été élevé. Sans doute Henri
souhaitait-il reposer en terre chrétienne, alors qu'il n'avait pas réussi à
christianiser sa propre terre. Peut-être craignait-il aussi que sa sépulture ne
soit violée par les païens.
Quelques années après la mort d'Henri (1127) et l'assassinat de ses
deux fils, le début de la «croisade des Wendes » (1136) ouvre le pays
abodrite à la colonisation systématique sous l'égide des princes saxons.

On observe dans l'histoire des Nakonides l'incapacité à construire un


État princier autochtone qui soutienne la christianisation dans une région qui
est contrôlée plus ou moins directement par l'empire germanique.
Gottschalk, pas plus qu'Henri, n'ont pu entraîner leurs peuples derrière eux
dans la voie de la conversion contrairement à ce qui se passe quasiment
partout ailleurs à la même époque. Pourquoi ?
En fait, pour profiter pleinement des avantages du baptême collectif à
la suite du prince, il fallait posséder un appareil d'État protégeant des
dangers de la sujétion envers le pays d'où venait la mission39, en
l'occurrence l'empire germanique, comme c'est le cas notamment dans la
Pologne des Piasts ou dans la Hongrie des Arpads. C'est justement ce qui
faisait défaut aux Abodrites, sans doute parce que leur territoire était déjà
englobé dans l'empire germanique lui-même, sous la forme d'une
« marche », c'est-à-dire d'un espace placé sous le contrôle militaire d'une

36. H. D. Kahl, op. cit., p. 110.


37. Voir le détail dans W. Lammers, op. cit., p. 95, et W. H. Fritze, « Problème der
abodritischen Stammes- und Reichsverfassung », op. cit., p. 199, n. 488.
38. Chronicon sancti Michaelis Luneburgensis, L. WEILAND éd., MGH SS XXIII, Leipzig
1925, p. 396 : Occisus est Heinricus rex Sclavorum, cuius corpus delatum Luneburg
sepultumque in ecclesia sancti Michahelis. Figure aussi au Nécrologe du monastère :
Heinricus rex Sclavorum. Si on peut mettre en doute l'information selon laquelle Henri a été
assassiné, dans la mesure où Helmold, qui est contemporain des événements, ne le mentionne
pas, il me semble plausible que le scribe du début du XIIIe siècle devait connaître
l'emplacement des tombes dans l'église principale de son propre monastère.
39. A. Gieysztor, « Les paliers de la pénétration du christianisme en Pologne aux
Xe-XIe siècles », dans Studi in onore A. Fanfani, 1. 1, 1962, p. 327-357, ici p. 338.
214 Geneviève BUHRER-THIERRY

grande famille saxonne, les Billung : alliés des Saxons depuis longtemps
comme on l'a vu, les Nakonides passent aux yeux des chefs des grandes
familles et de leur peuple pour les co-responsables de la spoliation qui
s'exerce par une pression fiscale maximale, entre autres par l'intermédiaire
de la levée de la dîme. Cet aspect du problème était parfaitement connu des
contemporains : ainsi Adam rapporte-t-il les propos du roi des Danois Sven
Estridsen, qui a été un des ses principaux informateurs :

J'ai aussi entendu le très véridique roi des Danois déclarer, en commentant
au fil de la conversation ces événements, que les peuples slaves auraient
certainement pu être convertis depuis longtemps, n'eût été l'avarice des
Saxons. "Ils songent davantage à lever des impôts, m'a-t-il dit, qu'à convertir
les païens". Et ces misérables ne voient pas à quel danger les expose leur
cupidité. Ils ont d'abord troublé, par leur goût du lucre, la chrétienté en pays
slave. Après quoi, par leur cruauté, ils ont poussé à la rébellion ceux dont ils
avaient fait leurs sujets. Et maintenant, sans se soucier du salut des peuples
qui ont voulu croire, ils ne font que les dépouiller. Par un juste décret de
Dieu, nous voyons ainsi triompher de nous des gens dont la Providence a
laissé le cœur s'endurcir, de façon que soit punie par eux notre iniquité40.

Ainsi le roi des Danois explique-t-il la « réaction païenne » de 1 066 et


Helmold place dans la bouche du prince slave Pribislav en 1156 le même
genre de doléances.
La christianisation n'est donc possible que si elle va de pair avec la
construction de l'État indigène lui-même, et le christianisme fournit
généralement le programme idéologique et les cadres de l'ordre nouveau mis
en place par la nouvelle monarchie4 : dans ce mouvement, les « réactions
païennes » - qui ont existé partout, mais avec plus ou moins de succès -
peuvent être comprises aussi comme une protestation contre la mise en place
d'une société centralisée, c'est-à-dire contre le modèle politique exporté par
l'Occident chrétien.

40. Adam de Brème, III, 23.


41. A. Gieysztor, op. cit., p. 347.

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