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Kerbrat-Orecchioni Catherine. Où en sont les actes de langage ?. In: L'Information Grammaticale, N. 66, 1995. pp. 5-12.
doi : 10.3406/igram.1995.3041
http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1995_num_66_1_3041
Catherine KERBRAT-ORECCHIONI
La théorie des actes de langage constitue comme chacun même des unités non verbales comme la pause, ou la
sait le noyau dur de la pragmatique linguistique. Si l'on réaction mimo-gestuelle @) ; et que l'on rencontre
prend donc dans cette acception restreinte le terme aujourd'hui dans la littérature des « actes conversationnels »
« pragmatique », on peut se demander à quoi ressemble (Dore 1979), des « actes illocutoires coopératifs »
aujourd'hui, plus de trente ans après la parution de How (Hancher 1979), des « actes de gestion de la
to do things with words, ce noyau durC>. C'est à cette conversation » (McLaughlin 1984), et divers « actes de composition
question que je vais ici tenter de répondre, en brodant textuelle » (Gùlich et Kotschi 1987)...
autour de l'idée suivante : si tout le monde admet
actuellement que dire, c'est aussi faire, et qu'il existe bien Cet élargissement quelque peu désordonné du paradigme
quelque chose qui ressemble à des actes de langage de ce que l'on avait coutume d'admettre comme des
(actes accomplis au moyen de l'enonciation d'un énoncé), actes de langage n'a fait en réalité qu'exacerber cette
la façon d'appréhender ces actes s'est sensiblement question, qui dès ses origines a fragilisé la notion de
speech act : un acte de langage, c'est quoi au juste ? une
enrichie, diversifiée, complexifiée depuis les premières suite linguistique dotée d'une certaine valeur illocutoire
propositions d'Austin, et les incertitudes en la matière se sont
multipliées d'autant, occasionnant dans le petit monde (ou force illocutionnaire) ; mais encore ? une séquence
qui prétend opérer sur le destinataire un certain type de
des pragmaticiens d'assez vifs débats, dont on trouvera
ici quelques échos. transformation... Mais ces transformations que visent, et
généralement opèrent, les actes de langage, peuvent
être de nature extrêmement diverse (et concerner par
1. D'UN POINT DE VUE PARADIGMATIQUE : exemple le système des obligations conversationnelles
PROBLÈMES D'INVENTAIRE ET DE dans lequel se trouvent engagés les interlocuteurs, mais
CLASSIFICATION DES ACTES DE LANGAGE aussi plus discrètement leur état cognitif ou leurs
A chacun sa liste, et sa taxinomie : si la plus célèbre est dispositions affectives). Ironiser, présupposer, réguler
sans doute « la classification raisonnée des actes illocu- (autant de comportement verbaux potentiellement «
toires en certaines catégories ou types fondamentaux » agissants », et soumis à certaines conditions de réussite),
que propose Searle dans le premier chapitre de Sens et sont-ce des actes de langage ? En fait, il faut bien
expression <2), elle n'est pas pour autant la seule sur le reconnaître que personne n'est aujourd'hui en mesure de
marché : on a pu dénombrer une vingtaine de propositions répondre à cette question des critères qui font ou non,
allant dans le même sens... Situation aggravée du fait d'une séquence verbale d'un certain type, un speech
que sur les typologies élaborées dans le cadre de act; question à multiples facettes - j'en retiendrai ici
l'approche « classique » sont venues rapidement se deux:
greffer des considérations émanant d'une tout autre 1.1. Problème des relations existant entre les actes
perspective, celle de l'analyse des conversations - illocutoires (construits dans et par la théorie) et les verbes
considérations certes légitimes, mais qui n'ont fait qu'ajouter à la illocutoires (fournis par la langue naturelle).
confusion : c'est ainsi par exemple que Labov et Fanshel
(1977) envisagent une catégorie particulière d'actes De tous côtés on nous le dit et répète : pas question de
« métalinguistiques » (tels que « initier », « interrompre », faire coïncider la liste des actes de langage avec celle
« continuer », « répéter », « renforcer », « achever », des termes qui les décrivent dans une langue donnée ;
etc.) ; que Sinclair et Coulthard (1975) ajoutent aux c'est là une « confusion persistante » que Searle reproche
canoniques directifs, informatifs et interrogatifs, des actes plus à Austin (1982 : 48-9), Leech à Austin et Searle (1983 :
inédits comme les « répliques », les « commentaires », 174-5), et Grunig à l'ensemble des pragmaticiens (1979 :
les « évaluations », les « méta-assertions », ainsi que 14-5) - Leech parlant à ce sujet de la « Performative
diverses unités à fonction phatique ou régulatrice, et Fallacy », et Grunig des « pièges et illusions de la pragma-
3. Dans la lignée de Sinclair et Coulthard, Heddesheimer et Roussel
1 . En 1984 déjà, le n° 8-1 de Journal of Pragmatics faisait le point sur (1 986) distinguent onze sortes d'actes dont les « préfaces », le « bornage »,
la question des « Speech acts after speech act theory ». la « focalisation », les phatiques, et les régulateurs (accomplissant un acte
2. Classication reprise et affinée dans Searle et Venderveken (1985). d'« intégration »).
primaire non littéral (1982 : 84-5). 23. Encore un point commun avec les autres tropes...
ou non exister dans telle ou telle société), 32. Voir par exemple celles de Verschueren (1985, 1989) ou de
indépendamment des verbes qui les décrivent dans telle ou telle Vanderveken (1988).
langue naturelle ? 33. Passage traduit par nous.