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2018. 01. 24. Astrophysique.

Les ondes gravitationnelles primées par le Nobel | Courrier international

Astrophysique. Les ondes gravitationnelles primées par le Nobel

En fusionnant, deux trous noirs situés à plus d’un milliard d’années-lumière de notre planète ont apporté, en 2016, la preuve de l’existence d’ondes
gravitationnelles, cent ans après qu’Albert Einstein a prédit leur existence. Cette découverte vaut le prix Nobel de Physique 2017 à Rainer Weiss,
Barry C. Barish et Kip S. Thorne, trois chercheurs américains qui ont contribué à cette détection.

[Article initialement publié en février 2016]

Deux trous noirs font la ronde à une centaine de kilomètres l’un de l’autre. Leur masse équivaut respectivement à 36 fois et à 29 fois celle du Soleil. Leur danse orbitale s’accélère,
atteignant presque la vitesse de la lumière, et voilà qu’à peine 1 kilomètre les sépare. 

Leurs horizons des événements – le point de non-retour [au-delà duquel rien ne peut sortir d’un trou noir] – se touchent. S’ensuit une violente secousse. En un instant, des quintillions
[1030] et des quintillions de kilogrammes changent de forme pour ne plus former qu’un seul trou noir. Puis tout redevient calme. 

La masse de ce nouveau trou noir n’est toutefois pas égale à la somme des deux premiers : l’équivalent de trois masses solaires a été converti en énergie sous forme d’ondes
gravitationnelles, des perturbations semblables à des vagues à la surface de l’eau, capables d’étirer et de compresser l’espace – et donc toute chose – sur leur chemin.

C’était il y a 1,3 milliard d’années

En un cinquième de seconde, lors de leur coalescence, ces deux trous noirs ont libéré cinquante fois plus d’énergie que l’ensemble des ondes lumineuses, des ondes radio, des rayons X
et des rayons gamma émis dans l’Univers.

Et 1,3 milliard d’années plus tard, en septembre 2015, sur une petite planète orbitant autour d’un insignifiant soleil jaune, dans les murs de l’Advanced Laser Interferometer GravitationAl-
wave Observatory (Ligo), les instruments des chercheurs ont détecté une infime partie de ces perturbations.

Le phénomène, baptisé GW150914 par ses découvreurs du Ligo, a été annoncé au reste du monde le 11 février : il s’agit des premières ondes gravitationnelles directement observées par
des scientifiques.
 

Ce succès est l’aboutissement de près d’un siècle de travail et l’ouverture d’une nouvelle fenêtre sur l’Univers, une fenêtre qui pourrait permettre aux chercheurs de se pencher sur des
événements jusque-là inaccessibles, peut-être même jusqu’au big bang.

Le concept d’onde gravitationnelle est issu de la théorie de la relativité générale, l’œuvre majeure d’Albert Einstein sur la gravitation, présentée il y a presque exactement cent ans. D’après
cette théorie, la masse d’un objet déforme l’espace et le temps qui l’entourent [la théorie introduit la notion d’espace-temps où l’espace en trois dimensions et le temps doivent être
perçus comme une seule entité].

Accélération, ondulations

La gravitation est la conséquence de cette déformation : les objets se déplacent le long de courbes de l’espace-temps déformé par une masse [c’est ainsi que la Terre suit un chemin
elliptique autour du Soleil]. L’idée est simple, mais les équations qui permettent de la corroborer par des preuves mathématiques sont incroyablement complexes à résoudre.

C’est seulement en s’appuyant sur certaines approximations que l’on peut imaginer trouver des solutions. Et c’est sur la base d’une de ces approximations qu’Einstein a prédit que toute
accélération d’une masse provoquerait des ondulations de l’espace-temps.

Einstein n’était pas entièrement convaincu par cette idée. Il a lui-même longtemps oscillé, se rétractant, reconsidérant sa théorie, refaisant ses calculs et trouvant autant d’arguments
favorables que contradictoires. Mais, pendant qu’Einstein et ses successeurs trituraient leurs formules mathématiques, la physique expérimentale se saisissait du problème et partait à
la recherche de ces ondes théoriques. L’objectif des chercheurs : surprendre les ondes gravitationnelles en flagrant délit de déformation de la matière.

Tout le problème consistait alors à trouver le moyen de détecter un changement de dimension relevant du millième de proton [lui-même inférieur à 10-15 mètre] dans un dispositif de
plusieurs kilomètres de long. La communauté scientifique dispose déjà depuis des années de preuves indirectes de l’existence de ces ondes gravitationnelles, notamment grâce aux
mesures des ondes radio émises par des couples de pulsars, des étoiles mortes orbitant l’une autour de l’autre et émettant des ondes gravitationnelles à mesure qu’elles se
rapprochent. Mais ces indices sont restés ambigus jusqu’à la construction de l’interféromètre Ligo.  

https://www.courrierinternational.com/article/astrophysique-les-ondes-gravitationnelles-primees-par-le-nobel 1/2
2018. 01. 24. Astrophysique. Les ondes gravitationnelles primées par le Nobel | Courrier international
Un équipement sensible et puissant

L’interféromètre est un dispositif de mesure dans lequel un faisceau laser est divisé en deux. Chaque moitié est envoyée le long d’un bras, les deux bras étant de même longueur et
formant un angle droit.
Chacune est ensuite réfléchie par un miroir situé au bout du bras, puis recombinée avec sa moitié au niveau d’un détecteur.

S’il n’y a pas de perturbation, les deux moitiés du faisceau [voyageant exactement à la même vitesse] arrivent au détecteur au même moment. Mais si des ondes gravitationnelles
passaient par là, elles viendraient alternativement compresser et étirer le chemin des demi-faisceaux.

En déformant ainsi l’espace, les ondes gravitationnelles modifient la distance effectivement parcourue par les deux moitiés du faisceau. Leur recomposition en un seul rayon se fait
donc avec un très léger décalage de temps au niveau du détecteur. La forme de cette interférence contient toutes sortes d’informations sur l’origine de l’onde, notamment les masses
impliquées et leur distance.
 

Les chercheurs ont dû faire preuve d’infinies précautions pour s’assurer qu’ils avaient bien affaire à des ondes gravitationnelles. L’interféromètre Ligo désigne en réalité deux sites, l’un en
Louisiane, l’autre dans l’Etat de Washington. Seul un phénomène observé quasi simultanément sur les deux sites peut potentiellement être une onde gravitationnelle.

En outre, dans chaque bras de chaque interféromètre, presque tous les éléments sont suspendus de manière à être isolés des mouvements sismiques ou des vibrations créées par
la circulation.

Allongement des distances, amplification du signal

Pour que les mesures soient le plus précises possible, chaque bras mesure 4 kilomètres de long et chaque moitié de faisceau lumineux est réfléchie une centaine de fois entre les
miroirs situés aux extrémités : cet allongement des distances permet d’amplifier le plus petit décalage au niveau du détecteur.

Reste qu’entre son ouverture en 2002 et sa fermeture pour travaux de modernisation en 2010, le Ligo n’a pas détecté la moindre onde gravitationnelle.

Il y a six ans, ces travaux ont permis de doubler le nombre de miroirs utilisés, de les suspendre encore plus délicatement et de multiplier par 75 la puissance du faisceau lumineux. C’est
ainsi qu’est né l’Advanced Ligo, un instrument quatre fois plus sensible que son prédécesseur. Et les résultats ne se sont pas fait attendre.

En provenance du Sud

Les chercheurs en étaient encore aux observations préliminaires et n’avaient pas encore officiellement lancé la phase de test que GW150914 s’est manifesté, d’abord sur le site de
Louisiane, puis un centième de seconde plus tard sur celui de Washington. Une différence qui indique que le phénomène provenait de l’hémisphère Sud.

Depuis, les scientifiques ont fait et refait leurs calculs. Dans la revue Physical Review Letters, où ils publient leurs travaux, ils déclarent que la probabilité que ce signal [qui correspond
aux prédictions] ne soit qu’un coup de chance [et non une onde gravitationnelle] est infinitésimale.

Nul doute que d’autres découvertes suivront rapidement, d’autant que les chercheurs n’ont pas encore fini d’analyser les données collectées depuis quatre mois dans le cadre des
travaux préparatoires. Toutes ces informations pourraient contenir la trace d’un ou deux phénomènes aussi remarquables que GW150914.

Bienvenue dans une nouvelle ère

Ainsi, nous entrons aujourd’hui dans l’ère de l’astronomie gravitationnelle. Les chercheurs du Ligo seront bientôt rejoints par ceux du Virgo, un interféromètre d’ondes gravitationnelles
situé en Italie. Un autre site est en cours de construction au Japon, et il est question d’en ouvrir un en Inde [l’interféromètre Geo600 en Allemagne fait également partie du réseau de
détecteurs internationaux d’ondes gravitationnelles]. Encore plus ambitieux, le projet eLisa (Evolved Laser Interferometer Space Antenna) prévoit d’en construire un dans l’espace. Les
premières pièces sont déjà prêtes.

Ensemble, ces instruments formeront un nouveau type de télescope permettant aux astronomes de localiser la source des ondes gravitationnelles et de dessiner une nouvelle carte de
l’Univers. Avec le temps, les progrès technologiques permettront aux chercheurs de détecter des ondes de plus basse fréquence issues de masses plus importantes.

A terme, ils devraient être en mesure de scruter les 380 000 premières années après le big bang, soit une période complètement inaccessible à tout autre télescope existant.

Le véritable défi consistera toutefois à réfuter la théorie d’Einstein. Si de nombreux aspects de la théorie de la relativité générale ont été confirmés avec le temps, celle-ci reste
néanmoins incomplète, notamment parce qu’elle est incompatible avec l’autre grande théorie physique du XXe siècle, à savoir la mécanique quantique.  

En quête d’une théorie globale

De nombreux physiciens pensent que c’est dans des environnements extrêmes – comme ceux d’où proviennent les ondes gravitationnelles – qu’ils trouveront les premiers indices
permettant d’invalider la théorie de la relativité et d’en imaginer une autre plus globale.

Les ondes gravitationnelles, dont Einstein doutait tellement, ont apporté la preuve directe de l’existence de trous noirs – dont le physicien n’était pas convaincu – et pourraient un jour
permettre aux scientifiques d’apercevoir le big bang, un phénomène que sa théorie était incapable de décrire, ce qu’il reconnaissait. En prédisant l’existence des ondes gravitationnelles,
Einstein a peut-être prédit la réfutation de sa propre théorie.

https://www.courrierinternational.com/article/astrophysique-les-ondes-gravitationnelles-primees-par-le-nobel 2/2

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