im
Courtine
Deguy
Escoubas
Lacoue- Labarthe
Lyotard
Marin
Nancy
·Rogozinski
.'EXTRËM EMPORAlr
BELIN
Nous ne revenons pas au sublime, nous en provel}ons plutôt.
La question du sublime nous est transmise en tant que question
de la présentation; celle-ci n'est elle-même rien d'autre que celle
de l'existence - sensible? - comme telle. Il s'agit de quelque
chose qui déborde l'art dans l'art lui-même, ou de quelque chose
qui déborde de l'art et qui met en communication ou en contact
toutes les instances de la présentation : l'histoire, la communauté,
la politique, et jusqu'à la représentation, qui est elle aussi une
de ces instances.
On trouvera ici différents états ou régimes de présentation : le
dire, la comparution, l'offrande, la vérité, la limite, la communi
cation, le monde, la foudre ... Il n'est pas question de les ramener
à l'unité.
lllllll llllllllllllllHlllHlllllll ·
*74492*
1 1 1 111 1 1 1
9 782701 111643
ISBN 2-7011-1164-1
. L'OFFRANDE SUBLIME
aui.
manière très secrète ou très discrèt� de s'offrir. Qu'est-ce
s'offre -daïiS!e sublime --a-ra mgde ? J'essaierai de re:.
7fte.. : . c'est l'offrande ells..mêrp.e, en · tant que des ti.tLde..J�-:.
Mais la mode du su5lim.e a ce privilège supplémentaire,
d'être• très ancienne. Elle· n'est p as moins ancienne que la
traduction de Longin par Boileau, ni que la distinction
exigée par ce dernier entre « le style sublime » et, pris
absolument, « le sublime » . A partir de là, ce qui jadis, sous
les noms de hypsos ou de sublimitas} avait été une catégorie
rhétorique 2 - le discours spécialisé dans les sujets de
1. Il l'est à Paris et chez les théoriciens, qui s'y réfèrent souvent depuis
quelques années (Marin, Derrida, Lyotard, Deleuze, Deguy), aussi bien qu'à Los
Angeles et chez les artistes, lorsque l'un d'eux intitule «The sublime » une
récente exposition et une performance (Michael Kelley, avril 1984 ) . On trouverait
d'autres témoignages à Berlin (Harnacher), Rome ou Tokyo. ( Sans parler de
l'usage du mot «sublime » dans la langue la plus courante!) Pour ce qui est des
textes, ils sont nombreux et èlispersés, et je me contente d'indiquer leurs auteurs,
envers lesquels, sans doute, je reconnaîtrai mal toutes mes dettes. Mais je ne veux
pas ajouter aux leurs une interprétation du sublime. J'essaie plutôt de dégager
ce qu'ils partagent et que l'époque partage dans la mode : ce qui nous offre tous
à une pensée du sublime.
2. Cette formule sommaire adopte la perspective générale de l'étude classique
de Samuel Monk <The Sublime, 193 5 ) reprise à propos de la France par
Th. Litman (Le sublime en France, 197 1 ), tant du point de vue de l'histoire que
de celui des catégories esthétiques. Mon propos n'est ni historique ni esthétique.
37
DU SUBLIME
Y
a- r art dans son destin moâerne, ou comme son destin
moderne.t- art est sans doute lui-même, par excellence, ce
qu1 nous "�rrive ( à nous autres, Occidentaux ), ce qui nous
Offre notre destin ou çe qui dérange notre histoire . Mais
dâns le sublime, l'art lui-même est dérangé, offert .à un.
le
autre estin encore, il a son p rapre-d� sorte
fiors e lui: Le sublime a pat:t-i-€-1.iœ,d'un lieo essentiel, avec
la fin de I' art en tous les sens de 1' expression ce pruu: quoi
�
·
38
L'OFFRANDE· SUBLIME
r:>;��::< :\::�·�:, >:;.:�,< /. <'. .;·..
39
..
DU SUBLIME
. .
l'art qlJ� le subliJ;lle-=�,,-.§�li§ie'.j(ant est le premier à faire droit
à l'esthétique au sein de- ce qu'on peut nommer une
« philosophe première »
__
_
. .
à J!Ytt�.-- c;hg�� (ri_eJ:J.. moins, .<:h�z..J\:3:f1:t, que J::t .destioation
sµ
_ blirne c:le Ja ·raison ·enê�même : la liberté), mais tout se
__
\ .
passe ·aussf et-en. mêm� t�IIlps-, comme si' la prise et la fµ#e
.d�- �s "gpj�t� �xig�aient de la_ philosophie q11 elle pense
__ __
'
40
L'OFFRANDE SUBLIME
�r�filé
; ;Pt �1l�Jpas''tt\."rel�is de l'art., qui se trouverait ainsi à la fois
�'��1;t�: p-p:.e
. ,e,t conservé dans une présentation « vraie » de la
telle pensée du relais, ou de la relève de l'art
��gfliert1,i1�
'�i��J� ph.ifosophie forme la part la plus visible de la pensée
de la fin de l'art. Or l'essentiel se concentre en
!f�r:;:: · .
F,'.f-c
�e�ye d.e ·· 1'art ..
9
.
•..
1!��'.é'.
/
·.�"F�a pensée de
y .
.
ç?nséquent en tant que son· achèvement, que son
_
peliffi
signifie plùtôr-qû1f-y-a-une pensée qui résorbe l'art, et une
autre qaj le dans_ sa destmatto!!_. Cette derruêre est la
pensée du sub · �· L'autre pensée en effet, �Ile de Hegel
- la philosophie -, n� pense pas l'art comme destin ni
·
41
DU SUBLIME
Πtti�� :{t
�
a
��� n
r �-x n � e
�= _!!d'��i tok iLfJ� fo� � ��
lJi��gi_!l._3--JÎOn - c'est elle, la facult_é 4�1�---R.r��e-�!�!!Qn -
joue à trouver une forme en accord avec son libre jeu. Elle.
présente,_ ou e�� -�<:? P.�-8-�l}t�--ç_eci : .C@:g_y_�_._tµi _ UJ?f..e. _!!çç9td
entre k se118-füle (mUltiple, diver_ s,_ par �s�ence) et u11e . ll.lJ.ité
. ..
10. 3• Critique, par. 23 - et par. 23 à 29, le plus souvent, pour tous les
renvois au texte qui suivent.
42
L'OFFRANDE SUBLIME
.
esthétique n'��t autre _que l�_j!!_g_çl� réflexion de
r. �agmation lorsqu'elle « ��hé.��tl�e.� _s_ans_..oo.ncepts » :
c , est-à-dire lorsque le fllOnd�.9._l.!L�e_forme, qui S�J!l�!lifesie_ ,
_
43
DU SUBLIME
..
. ..
44
L'OFFRANDE SUBLIME
45
DU SUBLIME
46
L'OFFRANDE SUBLIME
. 47
DU SUBLIME
..
.
s y admire à 1 occasion de ses objets, et elle tend, comme
..
.. ..
48
L'OFFRANDE SUBLIME
49
DU SUBLIME
� ti
ien, ce gui est la même chose, da..n.L§..Q!Ltmr accor avec
'"F"imagûiat on av c la facülté de la résentation (ou de la
formation . La eaute se e, sans intérêt, sans concept et
Sâns Idée, c'est le simple accord, gui par lm-meme est un
plaisir, de la chose présentée avec la présentation. Telle est
fc
'âu moms, ou telle a tente a'etre la beauté moëlerne ; une
résentation réussie et sans reste, accordée à elle-même. (Au
ond c'est la sub·ectivité en tant que beauféjll"S" a it en
somme du schème à l'état ur ans· e schématisme sans
concepts, cons1 ere our son i re accor avec ui-même, et
ont a i erté se confond avec a sim�le nécessité qu'une
forme soit adé te à sa ro re forme résente bien la
fOiiiïe �u e e est, o soit bien a orme u e e resente. e
lJeau, c est 1 ·gw:.e_.qui se figure accordée à e e-même, .k
ic accord de son contour avec son tracé.
La forme, ou le contour, c'est la limitation, qui est
L
l'affaire au beau : l'zllimt"té, au contraU:e, est l'affaire dU
sublime.
50
L'OFFRANDE SUBLIME
d';
quelque sorte la structure interne de l'illimité. Mais l'infini
n'é uise as l'être de l'illimité, il n'en offre pas, en_quel ue
sorte le-.. moment venta �· i 1 an yse u su, Jme_ oit
.partir, ainsi u'elle 1 c ez ant, e 'iïîimftê, et si elle
doit""emÊÜrter en elle et� l'an yse e a eaute one
âe la limitation il ne faut surtout as qu'elle s'engage..
snn lement comme l'anal se d'une . es 'œ__p.artlQ _Jere e
présentation, gui ser:�if }? g.�tation e .. 1 .._mi.. resque
nnperce tiblé au dêpart, cette erreur de visée s1 souvent
_
_
� S:
commise. P-eut ausser cons1 éra ement, à _ l'arrivée e
·
�__lg,_.,,.pJ:.ésent.a.llQJJ,_1;
ie-Unbë renzhezt · à lieu sï.ti_:_�La·1: ��-- e à imztgJJ.
L'illimité comme tel, c'est ce qui s'enlève au bord de la
limite, c'est ce qui se détache et se soustrait de la limitation
(et donc, de la beauté), par une illimitation coextensive au
bord externe de la limitation. En un sens, rien ne s'enlève
ainsi. Mais s'il est permis de parler de «l'illimité» comme
de «quelque chose » qui s'enlève «quelque part», c'est
parce qu'avec le jugement ou le sentiment du sublime nous
est offerte une saisie, une appréhension de cette illimitation
qui vient s'enlever comme une figure sur un fond, alors qu'à
strictement ·parler c'est toujours seulement la limite qui
enlève une figure sur un fond non délimité. Dans le
sublime, il est question de la figure du fond, de la figure
que fait le fond, mais en tant précisément que cela ne peut
faire une figure, et que pourtant c'est un «enlèvement»,
c'est un tracé illimitant, le long de la figure limitée.
L'illimité commençe au bord externe de la limite : et il
ne fait que commencer, il ne finit jamais. Aussi son 1iifinité
n'est-elle ni celle du simple potentiel d'une progression à
l'infini, ni celle du simple infini actuel (ou de «l'infinité
rassemblée d'un tout», ainsi que le dit Kant, qui se sert à
vrai dire des deux figures ou concepts de l'infini). Mais il
est l'infini d'un commencement (et c'est bien plus que le
contraire d'un achèvement, c'est bien plus que l'inversion
d'une présentation). Aussi n'est-il pas non plus le simple
51
DU SUBLIME
52
L'OFFRANDE SUBLIME
uri�lltati.o.n
iquent seulement son embarras devant la contradictio
wn s- présentation..__ ne présentatiog,
fût-eeïlêgitive ou mdirecte, est toujours une présentation,_
-
et à ce compte elle est toujours, en_,dëmière analyse, direc�
-et -Positive. 1jais la logigue profonde du texte de Kant n'est
pas une lÜgi ue de la présentation, et- ne sUlt pas le f}!_de
ces exp_r.e.sfil.QlS-.l
l llaJ adroites. Il ne ion
indirecte au moyen de que que an ogie ou sym ole il ne
_ et il ne s'agit,
-
15. En ce sens tout ce qui relève chez Kant d'une théorie classique de
l'analogie et du symbole n'appartient pas à la logique profonde dont je parle ici.
16. Cette dernière formule est celle de Lyotard (cl. Le différent), la précédente
renvoie plutôt à Derrida ( « Le parergon », in La vérité en peinture). Elle ne sont
certes pas fausses, et elles commentent rigoureusement, ensemble ou l'une contre
l'autre, le texte de Kant. Je ne cherche pas à les discuter, mais je passe ailleurs,
le long de la présentation, mais à l'écart, et parce qu'elle-même s'écarte aussi
d'elle-même. - Quant à la fonction politique du sublime chez Lyotard, elle
appellerait une autre discussion, sur laquelle je reviendrai ailleurs .
53
.
�\- �-
l�� ::;
u
�
p écisément : à �e certaine
��mité JaquelkJe sublime coriduit ::, . de _la_
. .
à __
·
- Cr.elp_.r_ésentation en général. .,
�
laquelle, incessamment, l'illimité 7�'Tilimite, le long
....
r
)présentatif. En un autre sens, simultané c'e� ,
: 'mitation, une d1ss1pation du bord �
·
�
�dement, un « egandï� » ,dtrKant. _Qu'est-ce qüi �
a lieu dans le déborCiement, gu est-ce qut arrive avec �
.
I'épanchement ? Je l'ai dit, je nommerai cêlaëleI'Ofrrancre:-
.
l . •·
J:-j
.
·
;
Dans Je sublime est donc en . jeu la présentation -
?�
sont précisément que des occasions analogiques pour penser
le sublime. Dans le sublime, il ne s' it as de grandes
figures, mais il s'agit de la granâeur a soUè. La grandêü!
âEso1ue n'est pas 12fus graîîâe _q.UL.ks plûs granëleL
]râïîcleurs . . . : elle désigne plutôt ceci qu)zl y a, absolum�,_
.d� la grandeur. IT-"s;agit êle ma_gnzluâo, dit Kant, et non de_.
uantita a u�ntitas se mesure, la ma nitudo réside
p utôt à la possib · ité e _sure en enera : c est e ait
en sot e a gran eur, c'est le fait que, pour qu'il y ait des
.__ _.,,,
54
L'OFFRANDE SUBLIME
55
DU SUBLIME
]'P
un contour se trace, et ainsi 1me m tip 1c1te, un divers
__amillé vient à êy�__p.tés.ent.� comme une unité. L'unité lui
vi�ntde sa limite - disons, par son bora interne ; mais
qu'il y aït cette unité, · absolument . ou encore ue cela ce
�é fasse un tout cela rovient our e ire tou· ours de
�,_J.e
a même façon, du bor externe, de e èvement illimité e
sublime concerne la totàUié (Clont le concent :
·_général est celui �'unité CI'une mültiQlidté). La totalité.....
d'une forme, d'une 12.ré�entation, ce n'est pas la complétude>
ni la sommation exhaustive de ses parties. C'est au contraire
ce qui se asse là où la forme n'a as de arties (et -af
c�nt, en �ueur, ne re)Qrésente rien), mais se
présente�ublîme a lieu, dit Kant, dans__une..'
« representation de l'illlffilte a laquelle s'ajoute néanmoi!? �
pénsée de s�talité..>>.. (et c'est ,.nourguoi, précise-t-il,_k_,
re
sublime peut être trouvé dans un objet informe aussi bien
e dans une forme). Un.e_..nrésentation n'a lieu que si tout
e reste tout l'illimité" sur le uel elle se détache s' erilève sur
son ord - et du coup. à sa manière, se présente ou bien
s'enlève tout le long �résentation.--
-La totalité sublime n'est pas du tout la totalité de l'infini
conçu comme quelque chose d'autre que les formes finies
et belles (et qui de ce fait donnerait lieu à une esthétique
seconde et spéciale qui serait celle du sublime), et elle n'est
pas non plus la totalité d'un infini qui serait la sommation
de toutes les formes (et qui ferait de l'esthétique du sublime
une esthétique « supérieure » ou « totale 17 » ) . Elle est la
totalité de l'illimité en tant que l'illimité est au-delà (ou en
deçà) de toute forme et de toute somme, en tant qu'il est,
en général, par-delà la limite, c'est-à-dire encore au-delà du
maximum.
17. Kant n'est pas sans indiquer lui-même une direction esthétique combinant
les deux motifs : un genre sublime distinct, en quelque sorte, et ce genre comme
une sorte d'œuvre d'art totale. Il évoque en effet la possibilité d'une
« présentation du sublime » dans les beaux-arts au titre de la « liaison des
beaux-arts en un seul et même produit », et il indique alors trois formes : la
tragédie en vers, le poème didactique, l'oratorio. Il y aurait, bien sûr, beaucoup
à dire. Je me contente, ici, de noter que ce n'est pas exactement le
Gesamtkunstwerk de Wagner. Les trois formes de Kant semblent plus
spécialement aimantées par la poésie comme mode de présentation,
successivement, du destin de la pensée, de la prière, et il ne semble pas s'agir
avant tout d'une présentation « totale » .
56
L'OFFRANDE SUBLIME
!t:,
!;13 /
't:T!J'!i;:�il�idi(é sublime est au-delà du maximum : autant dire
9u'��� ��t au-delà de tout. Tout est petit face au sublime,
�
tpute Jorrne, ',, ',toute figure est petite - mais aussi bien :
eliâ ��, forme, chaque figure est ou peut être le maximum.
Tue mq�ùnum (ou la magnitudo, qui en est la bordure
\, ?
, e1Xte.tne) est là lorsque l'imagination s'est (re)présentée la
8; ;; ; (::hûsej grande ou petite. L'imagination ne peut pas plus :
-
u
n'est us roprement un pouvoir, une ra t, e e re oit
p us , à où e e ne peu pas us. t c est là que le
u • me s e ec1 e : 1magmation peut encore sentir ��
lîiii,ite son impuissance, son incommensurabilité wu:-rapport
· ·
�
):c� · i,'� ,< . a totalité de l'illimité Cette tota11te n'es.Lp.as un objet,_
�{�,;�
.
r
< . de,s . sexes, dont la vérité pour Hegel est dans l'unité de
. l,' enfant. La considération kantienne de l'union est
·
:�:: �:� �� «
: :: � ! !!J ��! ���
·
i'. ; e'ft�:
ti te te � r e
pr d o p m t
c'est-à-dire précisément cela en quoi elle diffère de l'unité,
�ll.fj<'/ cela en quoi elle n'est pas et ne fait pas par elle-même une
unité (hi un objet, ni un sujet) . L'union est plus que la
57
DU SUBLIME
�
Parce u'elle la touche, elle l'excède. Elle se déborde en
toue an a ent oe l'illimité, où unité s e�
ans l'union. L'imagination se déborde, voilà le sublime. Ce
il'est as u'elle imagine au-dela de son maximum
·
�
n'ï a plus rien à im� n a as Bzld ar-delà
fÊinbzldung - et non plus de Bild négatif, ni de Bzl
ae l'absence d e _B . . :Ellfry-- la faculté de la présentatio.n_ne_
présente . rien hors de la limite, puisque la P-résentation est
taëlêlimitation même. - Cependant, elle accède à g;ielque
Fhose, elle touche à guelgue ëhose (ou elle est touê}ïee tt�
uel ue chose) : à l'union, récisément à l'«Idée» de
umon e · imité, qut or e et déborde fa.limite....
Qu'est-ce qui opère l'union ? C'est elle-même, c'est
l'imagination . A la limite, elle accède à elle-même : comme
dans son auto-présentation spéculative. Mais ici, c'est au
revers : ce qu'elle touche d'elle, c'est sa limite, ou elle se
touche comme limite. «L'imagination, écrit Kant, atteint
son maximum, ( et dans l'effort polJ.:l:_ le dépasser elle s'�!?Jme
en elle-même, et ce faisant · est plo11g�e dâns une satisfaction
·
58
\J, c L'OFFRANDE SUBLIME
'çoifi�(.i�,\].:J�ire'figure
tl infigurable(telqui,està saen manière infinie, ne cesserait
,
�'; ' ' >,��s, général, me semble-t-il, le
';,l'.ii' . j
�
<<'riitrfig1.1r�ble »
.',i · · 'ccmcept )dnduit dès qu'on nomme quelque chose comme
ou « l'imprésentable » : on en (re)présente
l�Îln:présentabilité, on l'a donc aligné, par la négative, sur
U:qrdre des choses présentables ) . A la limite, on ne passe
pas; Mais c'est là que tout se passe, c'est là que se joue la
t0ta1ité de l'illimité, comme ce qui enlève l'un contre l'autre
l�s deux bords, externe et interne, de toute figure, les
ajointant et les séparant, délimitant ainsi la limite et
l'tllimitant du même geste.
C'est une opération infiniment subtile, infiniment
ço111plexe, et c'est en même temps le plus simple
tnouvement, le strict battement de la ligne contre elle-même
dans la motion de son tracé : dèux bords en un, l'union
<< niême », il n'en faut pas moins pour toute figure. Chaque
peintre, chaque écrivain, chaque danseur en a le savoir.
C'est la présentation même, mais ce n'est plus la
présentation comme opération d'un (re)présentant
produisant ou exhibant un (re)présenté. C'est la
> pl;ésentation elle-même au point où elle ne peut plus être
.
le simple et libre accord qui se reconnaît lui-même, en quoi
co11siste la beauté : c'est en deçà de cet accord . Mais ce
'
Il. est pas non plus l'union des hétérogènes, pensée déjà trop
romantique, et trop dialectique pour la stricte limite dont il
s�agit ici. L'union à laquelle on touche dans le sublime ne
consiste pas à apparier la grandeur absolue avec la limite
finie : car zl n 'y a rien hors de la limite, rien de présentable
ni d'imprésentable. C'est même cette affirmation, « il n'y a
rien hors de la limite », qui distingue proprement et
absolument une pensée du sublime (et de l'art) d'une
pensée dialectique ( et de l'achèvement de l'art ) . L'union ne
59
DU SUBLIME
60
L'OFFRANDE SUBLIME
C·�.,;i;i.....u...
�]J,�l .u. ma.gJJitudo)
. . .
ent e 'unité. C est-à-dire OiluiuJl
:attem
et sa distension absolue, l'union
•':' ffrf;'.â l�eu dans le sus_p_ens, comme sus12ens . Dans !abeauté,
s��· i! rle l'accord, dans le sublime, il s'agit d'une syncoJ?-e
..
·'.< .Urt présent {je n'insisterai pas plus ici, mais c'est en
·;r ·.· es de temps, sans d� que doit s mteq�réter �
est ettque usul:51Ilne : cela su ose eut-être la
...
.ir
,
> Que l'imagination - c'est-à-dire, au sens actif, la
��ése11tation - touche à la limite, qu'elle s'y évanouisse,
·
61
DU SUBLIME
62
L'OFFRANDE SUBLIME
�
ent . sentir au moment ou a imite est toue ee,
�:;; !�§ ;;; 1 \·;���8,pens de l'élan, dans la tension nsée, ans a
'.1.·$ffi�tlpe> • •... .• . .
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. ; . Il est donc id question de cette émotion sans laguelle,z
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105:'•* ' >(.(onstruits (et �ue eur s stème - te.au ' œuvre
- � est construit) selon la logique q� ·'ai_ ·
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J.i •. �q: o�8 �J �� � b ohil�s� �
·; omme celle de la ·oUissance e la
f�L d ' o ése tati
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osa que de l'esthétigue. Dans son émution,_k
?·M;; s·e
��bs���:�: �:t: u
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r� :1� �� ��� ��e Î::, �����
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63
DU SUBLIME
64
L'OFFRANDE SUBLIME
�lii
rexttêmè : c'est la limite tendue à sa limite, le tr_as.ement_
n'ést plus quantifiable, et qui n'est donc p_lus_tra�
�ë la magnitudô. Tendue à la limite, la limite Cle contour
de la. figure) est tendue à se romP.re, com!Jll!_o.n dit, et elle .
Se rompt en effet, se aivisant à 1 instant entre deux bords,__
rresentation
la. · bordure de la figure et son aébora illimité. La
sublrme, c'est le sentrment__ de cet effort à.
instant de la rupture, c'est 1'gp.agmation encore un _.ins.taot
'Se"nsible à elle-même qui n'est lus elle-même.,__dans._
extrême tension et ans a istension ( « l'épanchement �
�Ou
<<4" înïe » ) . .
bien encore : l'effort est pour toucher à la limite. La
limite est l'effort lui-même, et elle est le toucher. Le toucher
est de lui-même la limite : la limite des images et des mots,
le contact - et avec lui, paradoxalement, l'impossibilité de
toucher .inscrite dans le toucher, parce qu'il est la limite.
Ainsi, le toucher est l'effort, parce qu'il n'est pas un état, .
mais une limite. Il n'est pas un état sensoriel comme les
autres, il n'est ni aussi actif ni aussi passif que les autres.
Si · tous les sens se sentent sentir, comme le veut Aristote
(lequel, par ailleurs, établissait déjà qu'il ne peut y avoir, ni
dans l'eau, ni dans l'air, de contact véritable . . . ) , le toucher
plus que les autres n'a lieu qu'en se touchant. Mais plus que
les autres aussi, il touche ainsi sa limite, lui-même en tant
que limite : il ne s' atteint pas, car on ne touche jamais, en
général, qu'à la limite. Le toucher ne se touche pas, pas en
tout cas comme la vue se voit. )
C'est une présentation, car cela se donne à sentir. Mais
ce-sêntiment est singûlier. Sentiment dëialimite, �
�entiment d'l,lI1e insensibilité, sentiment insensible ·(ap_atheia._
phlegma z.11 �ificatu bon_o1 dit_,Kan.!1._�pe du
s� ais il est aussi bien le sentiment absolu, non-,.
ëleterminé en plaisir ou en peine, mais touchant l'un par
l'autre, touché de l'un dans l'autre. Que le plaisir soit allié
à la peine, cela . ne doit pas se comprendre en termes d'aise
et de malaise, d'agrément et de désagrément combinés dans
un même sujet par une contradiction perverse. Car cette
ambivalence singulière a d'abord trait au fait que le sujet,
en elle, s'évanouit. Aussi ne gagne-t-il pas un plaisir à
travers une peine (ainsi que Kant tend plutôt à le dire) ; il
ne s'acquitte pas de l'une pour avoir l'autre : mais la peine
65
DU SUBLIME
J �
�osophies du su)et, y compris les lus « mtellectualistes >>,
alors le sentiment du sublime s' e ève - ou s'affecte ·
20. De ce sentiment par l'autre, Hegel donne une espèce de figure avec
l'enfant dans le sein de sa mère. Cf. J .-L. Nancy, « Identité et tremblement », in
Hypnoses, 1984.
66
;,.���l:1.��J��Vl �� sentiment. Mais au sentiment exposé du
L'OFFRANDE SUBLIME
..•.•.•..•··..·.•·..· �
:-..:.
;� · · .·· .. · avant et met eyant étymologiguement. 1 of-frande n est
· ·
J ··
. ..
pâs. très différente de l'ob-jed�dle n'installe pas dans_
l'â présence. Ce gui est offert reste à une limite, suspendu
au bord d'un accueil d'une acce tatlon - ui ne eut à son
tour qu'avoir la forme d'une offrande. A la t ·té o rte.,.
f"'"unagination est offerte c'est-à-dire aussi sacrifiée
(aufgeo ljertJ) ainsi que l'écrit Kant 21• L'ima inatiUÔ
sacr ée, c est imagination o erte à sa limite.
L' oîfrande est la presentatlon sublune : elle retire ou elle
suspend les valeurs et les puissances du présent. Ce qui a
67
DU SUBLIME
69
DU SUBLIME
�
ièheffiaîisme aêla raëülté de j�ar conséquent dans ra
mesure où eTiëSUlJordo _la�liberté} l'instrument âe Ta:'
raison et ëleses ldées7_:. » :,.,,.C'est donc la · liberté gui of�
"'
schématisme, ou bien encore, c est la lib:�tise,
ëf gui s'offre dans ce geste mê�, dans son <:< art caché » .
-roffrande sublime n'a p as lieu dans un arrière-monde
reculé, ni celui des <:< Idées », ni celui de quelque
·
70
L'OFFRANDE SUBLIME
t e u «c le r
�ft'i ��r{ï�p1�s�l�:�·;ri����:��J.;:r:I';1�[:!1�
....
71
DU SUBLIME
�
..
72
.)E&�·.·�ilf lçquel elle se retire est lui- même une offrande
L'OFFRANDE SUBLIME
� ��� �� �:S���ff�
C r e
ff e e � � ut rt
�
�·;Xt. a,c:�ueill·.ir l'offrande, ou s o nr a e e 1a 101e)Sûppose
ie o ert ( ouvert ) , l a tot al1te de' la l1b ert e. Ma1s
J;)�r;:
·. .
la
Çe geste trace une limite. Ce n'est pas le contour d'une
figutë de liberté. Mais c'est un contour, c'est un tracé,
· parce que cela provient de la liberté, qui est la liberté de
cortu:nencer, d'entamer, ici ou là, un tracé, une inscription,
non au hasard, mais de manière hasardée, risquée, jouée,
abandonnée.
Abandonnée et pourtant réglée : la syncope ne va pas
s�ns
·
· syntaxe, elle en impose une, et mieux encore, elle en
éSt une elle-même. Dans son battement qui assemble, dans
soh suspens qui rythme et qui enchaîne, la syncope offre sa
syntaxe, une grammaire sublime, à même la langue (ou le
dessin, ou le chant . . . ) . Par conséquent, ce tracé est encore,
. . · ou il est à nouveau de l'art, cette inscription est à nouveau
.•.· •. . du · style, de la poésie : car le geste de la liberté est chaque
. .
73
DU SUBLIME
74
L'OFFRANDE SUBLIME
Jean-Luc NANCY
75
LA VÉRITÉ SUBLIME
1.
Par deux fois, dans les passages de la troisième Critique
il traite du sublime, Kant cite des exemples d'énoncés
rien ne surpasse en sublimité. Des exemples de ce qui
.
97
DU SUBLIME
98
LA VÉRITÉ SUBLIME
. . Langin)
· est comme on sait purement et simplement transcrite
:•· t· ,
l
« sans qu'aucune pensée déterminée,
·:�'�§t..:à�dire de concept, puisse [leur] être adéquate, et que
:�·�t" .>conséquent aucune langue ne peut complètement
·�primer et rendre intelligibles » . A l'inverse des Idées de
��7 r :� d
,
l �:tl: l�����nâ";iir Wo"�i'l� ; m'::fn�
c
�� d
n d
e ; n
J
f.quelque chose qui se trouve au-delà des limites de
_
)
<< d'un objet dont le concept, comme Idée de la raison, ne
99
DU SUBLIME
100
LA VÉRITÉ SUBLIME
.un énoncé . divin : c'est un Dieu qui p arle. Dans les . deux
9�s} �()utefois, cet énoncé n'est p as, malgré l'apparence
gra1Ilmàticale, réellement direct : ce n'est pas de sa propre
V()ÎX que parle le Dieu, sa p arole est rapportée et inscrite
(sur )es Tables, au fronton ou à l'intérieur du temple) .
�nfin dans les deux cas, et cela n'est en rien étranger à ceci,
l'énoncé porte sur la non-représentation du Dieu (le Dieu
�(se » dit imprésentable) : soit sous la forme d'un interdit
â� le . représenter, lui-même entraîné dans une interdiction
;: . g(!llérale . de la représentation ; soit sous la forme d'une
: ��datation d'impossibilité (je suis indévoilable) qui n'est
'.'i· . .pel}t � être qu'une forme plus subtile, sinon plus menaçante,
q
{{ 'interdit; Il va de soi que ces affinités ne sont pas du tout
�
> formelles . Elles relèvent, quelles que soient les différences
} 'énonciation, du contenu même de l'énoncé qui est, chaque --_,/
1
·
1
)ermes kantiens (mais aussi bien pré-kantiens : depuis
cela s'est dit de toutes les manières ) , devant la !
défiriition canonique du sublime : est SJJ.blime Ja_
·
··· •·· prês erita!i.QD ,cJ�. . _ l'l�P.r:���pt a.,bk _. Qµ, _ p lu
s·=:i-lgomeus�ment, ··
__
§�d)�'il _y.JL.4�J:im.P!�§.�nt�ble.
:cliférence
f
Il existe
·
101
DU SUBLIME
2.
Cela, peut-être, change tout. C'est dumoins l'hypothèse,
ici, sur laquelle je me réglerai.
Cette hypothèse, autant l'annoncer ·· d 'emblée, je la forme
à p artir de la délimitation heideggétiehne de · l'esthétique.
Mais non, je dois l'ajouter aussitôt, . · sans une certaine
réticence, c'est-à-dire non sans m'interroger sur elle et non
sans croire à la nécessité, au . moins ..sur un point, d'en
éprouver la rigueur ou la solidité.
Lorsqu'il entreprend, en 1935- 1936, . de déconstruire
l'esthétique, directement ( « L' Origine de. Fœuvre d'art » ) ou
indirectement (le premier cours sur Nietzsche : « La volonté
de puissance en tant qu' art » ) , Heidegger appelle
« esthétique », au sens large, le tout de Ja philosophie de
l'art depuis Platon et Aristote. Le chapitre du Nietzsche
intitulé « Six faits fondamentaux tirés de l'histoire de
.
l'esthétique 6 » est parfaitement clair à cet égard : « Le
terme "esthétique", pour définir la réflexion sur l'art et sur
le beau, est - dit Heidegger - de formation . récente et date
du XVII( siècle. Quant à la chose même que le nom
dénomme pertinemment, soit la manière de questionner
. relativement à l'art ou au beau du point de vue de celui qui
. le produit et de celui qui en jouit, elle est aussi vieille que
la réflexion sur l'art et sur le beau dans la pensée
occidentale. Et c'est déjà en tant qu' esthétique que la
philosophie commence à réfléchir sur l'essence de l'art et du
beau 7• » C'est du reste une telle délimitation qui oriente la
déconstruction vers une interrogation de l'œuvre elle-même,
en son essence 8, à moins bien entendu que ce ne soit
l'inverse . Les choses, de toute façon, sont on ne peut plus
nettes : « Le grand art grec, dit encore Heidegger, reste sans
réflexion pensante et conceptuelle correspondante, laquelle
ne devrait pas avoir nécessairement le sens d'une
esthétique ( . . . ) L'esthétique ne commence chez les Grecs
qu'au moment où le grand art, mais aussi la grande
philosophie qui suit le même cours touchent à leur fin. C'est
à cette époque, celle de Platon et d'Aristote, que sont
frappés, en fonction de la configuration que prend alors la
philosophie, les concepts fondamentaux qui délimiteront à
l'avenir la circonscription de toute interrogation portant sur
102
LA VÉRITÉ SUBLIME
d'art
. [Schein] est le beau. Par le détour de l'iMcx, l'œuvre
passe dans la caractérisation du beau comme
1.·�·;/ . ·tKcpcxv·ÉcrrCXTOV 10•
i·\ Fopération à laquelle se livre Heidegger est ici, je crois,
.j��ativement singulière . En tous cas elle a de quoi
. ��1; ;<Rue le couple conceptuel forme-matière dérive de la
���p e dre et susciter, au moins, une première réserve .
r n
tirie•
·· l'étant, son être-lumineux et visible, dérive à son tour
....
�$�·�/'n'est
..
�
'.R�!(lt(>ll qui a « inventé » le phainesthaz� c'est-à-dire la
Çl' te�mination de la présence par le p araître. Ce qu'a
�;�yenté Platon, en revanche, et c'est en quoi il est
.
103
DU SUBLIME
104
LA VÉRITÉ SUBLIME
(�l.l?de
' }�St donc, dans ces conditions, le sens du coup de
l' op ération ?
i:�' peut•être un indice, et l'occasion d'une conjecture,
�?sdrt que Heidegger réserve à Kant. Précisément .
''(:Outs de la récapitulation qu'il propose de l'histoire
sthétique, le nom de Kant n'est pas une seule fois
Îlté. De même, c'est notable, qu'il n'est pas fait la
,.�e allusion à la problématique du sublime
e
�;1:n, �ê:1e.:��k·: �WüÇ�tf:�Et�fÏ��,�Ti-6st1m���q� -
�çfü'C:·]�if�'Ç!}�s . Jne serait:ce qu' aq titre . de la
eùi;��).. Que Kant n'apparaisse pas dans une telle
tive
laquelle au demeurant se veut simplement
», ne signifie pas qu'il soit soustrait au
. Jrernent de l'esthétique ou qu'on doive lui réserver une
���,:� part : Heidegger aura au contraire multiplifles traits
,__
·-��P,è
g�erne; telle que Hegel l'achève et la ferme, traçant du
�
coup la clôture de l'esthétique tout entière,
: i� ���7 � -dire de la philosophie de l'art dans son ensemble 15
_
·;ff '],3. Jean-Marie Pontevia, Tout a peut-être commencé par la beauté, Bordeaux,
;�illilJll1 Blake and Co, 1985, p. 14-19.
;/.A4; Dans · « L'Origine de I' œuvre d'art », cela vaut essentiellement pour
;;;�)'Imagination comme faculté de l'âme » (p. 82 :
en dériver l'essence de la
'Jp /;f� tung ne permet sans doute pas de la penser avec « une portée suffisante »)
'. �t pour le beau défini simplement comme objet de plaisir (Postface, p . 92 ) .
Jacques Derrida fait remarquer dans « Parergon » (La vérité en peinture, Paris,
Flaiïlmarion, 1978, p. 42 et 54) la proximité de cette réserve avec la réserve
hégélienne : pour Hegel comme pour Heidegger la troisième Critt"que demeure
.ul1e « théorie de la subjectivité et du jugement » .
15. Les deux moments qui succèdent, Wagner et Nietzsche, sont évidemment
•' compris dans cette clôture.
105
DU SUBLIME
(
ait compris l'essentiel » ) , comme si Kant et Schiller, tout au
moins lus d'une certaine manière, avaient quelque chose à
dire - dans le langage même de .1'esthétique qui est
1
106
LA VÉRITE SUBLIME
dire
è çompréhension du beau plus archaïque ( ce qui ne veut
s plus ancienne : elle est, au contraire, en tant que
mprêhension, tout entière à venir) que la compréhension
1'JJ.osophique. Et cette compréhension s'indique d'un mot :
. cheinen.
107
DU SUBLIME
18. Le même texte, dans une première version, fait l'essentiel du quatrième
moment que Heidegger, dans le cours sur Nietzsche, retient au nombre des
moments fondamentaux de l'histoire de l'esthétique, op. cit., p. 82-83 .
19. Op. cit., p. 9 1 .
108
LA VÉRITÉ SUBLIME
)
et prononce la fin de l'art à partir de laquelle
-
� IR ême, comme science, qui est tendue possible.
\çiynce, au sens hégélien du terme, elle s'enlève sur le
;�'1ln.e « vérité de l'étant déjà advenue ». C'est
pi rien n'interdit en principe qu'un mot, sinon le
�( mot », puisse être dit sur la clôture hégélienne « à
e cette vérité de l'étant elle-même, et à propos
. ·.
1 09
DU SUBLIME
·
[Verfalll du grand art dans le sens indiqué. Cette
décadence ne consiste pas en ce que la « qualité »
deviendrait moindre et que le style baisserait, mais en
ce que l'art perd son essence, 1' immédiat rapport à sa
tâche fondamentale qui est de présenter [darstellenI
l'absolu et de l'installer [stellen] comme tel dans le
20
domaine de l'homme historial •
La complicité philosophico-politique est du reste si forte
!].u' après avoir marqué que « l' accomplissement hégélien de
. 1 esthétique trouve sa grandeur en ce qu'elle reconnaît et
p rononce cette fin du grand art », Heidegger répond
- pour Hegel - à l'objection par ce qu'on pourrait appeler
la « survie » de l'art : « Hegel n'a jamais prétendu nier la
possibilité qu'ultérieurement d'autres œuvres d'art soient
encore produites et appréciées . Le fait que de telles œuvres
isolées ne valent pour des œuvres que dans la seule sphère
du goût artistique propre à quelques couches · sociales
[Volksschlichtenl, ne parle en rien contre Hegel mais
p récisément pour lui. Ce fait prouve que l'art a perdu la
21.
J
puissance de l'absolu, sa puissance absolue »
2 . Et c'est une conséquence directe : l' art et la réflexion
r sur l'art sont en exclusion réciproque . Dès qu'apparaît une
\ théorie de l'art, un savoir ou une science, « c'en est fini du
· grand art » . C'est l'axiome fondamental sur lequel repose
toute !'Introduction des Leçons sur !'esthétique et
qu' emblématiserait assez bien, tout compte fait, la figure de
Schiller, cet « homme doué à la fois d'un grand sens
artistique et d'un profond esprit philosophique » qui, en
sacrifiant pour une part son art à la science, « n'a fait que
p ayer ·' son tribut à son époque » . C'est le même axiome ou,
peut-être bien la même naïvetè, w sous-tend toutéîa
mé itatlon hei eggérienne : e gran art est absolument
1 10
LA VÉRITÉ SUBLIME
J:�<·;�.�t�êtique
0
: âàns cette clarté du savoir ils n' avaient besoin d'aucune
» 22 •
' �out prendre Hegel, affirmant que l'art « est loin d'être
· oqe d'expression le plus élevé de la vérité » ou que
peuples ont déposé dans l'art leurs idées les plus
Jês » mais non encore dans « l'élément de la pensée »,
. .
. �iment plus cohérent . Mais c'est précisément cette
:l'ence que refuse Heidegger ( sinon « L'Origine de
N�re d'art » ou le commentaire de Hôlderlin seraient
�ficttlté
•1J.-e · des esthétiques ) . Et c'est un tel refus qui fait toute
. de son opération.
;.�r là s'explique en tout cas le remaniement, lui aussi très
P,rerümt, imprimé à la version hégélienne de la naissance
;f'esthétique ( ou de la fin du grand art ) . Parce que la fin
u
1J�t1:' son telos ou sa destination, est la vérité (mais qu'est-elle
�tre po r Hegel ? ) , il y a deux fins ou deux « morts »
.• l'art : l'ûne se produit au déclin du Ve siècle et voit naître
.. philosophie elle-même ( mais Hegel acceptait encore au
tte de grand art, les « temps dorés du Moyen Age tardif 23 » ) ;
p. 78.
vrai que Heidegger, lui, accepte la cathédrale de Bamberg et même,
probablemient, Dürer (« L'Origine de l'œuvre d'art », op. cit., p. 43 et 79 ) .
111
DU SUBLIME
de
plus « archaïque » et d'une (tout) autre interprétation de
vérité - permet d'enfermer à son tour dans le champ
l'esthétique, c'est-à-dire de la philosophie de l'art. La clôture
�eggérienne de l'esthétique déborde la clôture hêgélienn�
parce qu'ëlîe comprenël la « vérité de l'étant » L.12artir dé..
lagüëllëCëllë-ci s'était tracéë.
La décision se fait donc - si elle peut se faire - sur cette
vérité de l'étant elle-même. Or quelle est cette vérité ? Le
cours sur Nietzsche, mais aussi bien « L'Origine de l' œuvre
d'art » (jusque dans l'énorme travail produit pour soustraire
le concept de Gestalt à toute surdétermination hégélienne 25 ) ,
ne laissent aucun doute à ce sujet : c'est l a vérité eidétique
de l'étant, d'où procède toute la conceptualité esthétique, y
compris la moderne, puisque c'est dès le commencement de
la philosophie que s'organise, moyennant une interprétation
1 12
LA VÉRITÉ SUBLIME
complète avec
.·�t rion plus comprise, selon la grandeur initiale, comme savoir. Heidegger,
:�Y()Î� . une fois de plus récité le déclin de cette première compréhension, note
'
ss,ànt qu « il suffit de savoir que la distinction de matière et de forme émane
iJiain:e de la fabrication de l'ustensile, qu'elle n'a pas été originairement acquise
i del'art au sens strict L . . ) mais n'y a été qu'ultérieurement appliquée ».
fl1Înation eidétique de l'étant est contemporaine de l'interprétation labo
la technè.
Aà. probablement s'explique que tout l'effort de Heidegger depuis le Discours
Ofatk'est-à.-dire depuis l'engagement, en mode nietzschéen, de l'ontologie
entale dans le projet esthético-politique du nazisme) consiste à arracher la
1
àl'Einbtlden, à la formation et à l'imagination par où Heidegger pense, au
d�puis Sein und Zeit, la transcendance du Dasein comme Weltbtldung :
tibh (imagination) du monde. En ce sens, pour paraphraser l'une de ses
é..s·····le Riss Cl' archi-trait) de « L'Origine de l' œuvre d'art » est le négatif, au
. otographique,
· du Btld de Vom Wesen des Grundes. Ce qui est là sollicité,
ment,
·. .. . .
c'est le schématisme kantien, c'est-à-dire l'imagination transcendantale
••• .c9mme technè. D'où l'essai, dans7COrig1rïe"déTCèuvreCfart », pour
,oqer essence e-la technè à la langue, au mythe et à la poésie (Sprache, Sage,
?tüig). L'essence de l'art est la Dichtung parce que la Dichtung atteste que l'art
5·pas simplement l'imagination de l'étant. Il en est la révélation, ce qui est tout
erent.
"l. C'est ce que montre parfaitement l'interprétation de Kant proposée par Éliane
J
<:)ùbas : « Kant ou la simplicité sublime », Po&sie 32, 1985 (ici même p. 77).
1 13
DU SUBLIME
3.
« Rupture complète » est peut-être beaucoup dire.
Mais enfin, un certain dessaisissement kantien de
l' estfiétiq!:!.,e - mais ni ëlans la forme du renoncement . . .
"'"encore moins, dans celle e a énonciation exp 1c1te - fait
�e Kant, selon Heidegger, se soustrait pour une part a. .
2 8 . Cela ne veut surtout pas dire qu'il n'y a pas d'esthétique kantienne. Je me
vois contraint ici - une fois n'est pas coutume - de m'opposer à largument de
Nancy. Celui-ci écrit, dans « L'Offrande sublime » : « ( . . . ) c'est l'esthétique, <:omme
discipline philosophique régionale, qui est récusée dans la pensée de l'art que le
sublime a saisie. Kant est le premier à faire droit à l'esthétique au sein de ce qu'on
peut nommer une philosophie première : mais il est aussi, et pour cette raison
même, le premier à supprimer lesthétique comme partie ou comme domaine dè
la philosophie. Il n'y a pas d'esthétique kantienne, on le sait désormais. Et il n'y
a pas, après Kant, de pensée de l'art (ou du beau) qui ne récuse l'esthétique,
et qui n'interroge dans l'art autre chose que l'art . . . ». - Je ne suis pas sûr tout
d'abord qu'après Kant, il n'y ait pas de pensée de l'art « qui ne récuse l'esthétique,
et qui n'interroge dans l'art autre chos� que l'art » : Schiller, ou Hegel, par exemple,
ne la récusent pas un seul instant, et même la contre-esthétique de Nietzsche,
l'esthétique virile (c'est-à-dire l'esthétique du point de vue du créateur) reste par
définition une esthétique. Cela veut dire qu' « jpterroger dans lart autre chose que
l'art » n'est peut-être pas un critère suffisant : plus Hegel ordonne l'art à la
présentation de la vérité (de l'idée, de !'Esprit, de !'Absolu, etc . ) , plus il affirme
l'autotélie de lart, et plus il voue lesthétique à la saisie de lart en son essence.
Le mouvement est sans doute équivoque si, en raison même de la logique de
l'essence, l'art n'est de cette manière - explicitement - appréhendé que dans sa
fin (te!os et achèvement ) . Mais c'est aussi bien, pour Hegel, la condition de
possibilité de toute esthétique. - Je ne conteste pas par là que « c'est l'esthétique,
comme discipline philosophique régionale, qui est récusée dans la pensée de l' art
que le sublime a saisie » . Je le conteste d'autant moins qu'en ce qui concerne Hegel
on peut difficilement parler de « pensée de l'art que le sublime a saisie » . Je crois
cependant les choses un peu moins simples. Pour Kant en tout cas une telle
récusation, si elle a lieu, est interne à l'esthétique elle-même. Certes le geste de
1 14
LA VÉRITÉ SUBLIME
"-:-
;e� se.,._e..,...·-1-u_..,.su
n-:- -,- . lime, de fait, n'intéresse absolument pas
ger. Même çhez Kant et Schiller. Silence total 9ui,
toujours - chez Heidegger, signifie que c est
entiel » . D'un tel silence on ignore, et pour cause, les
f Je crois cependant, sur le modèle d'autres opérations
�ériennes, qu'il n'est pas trop diffile de les imaginer.
·pensée du sublime, par exemple, est une pensée tardive,
1;;.�l} sein des écoles hellénistiques, pas vraiment ni
�
� �ntiquement grecque, mais contaminée par la latinité - et
�e para-judaïque et chrétienne (ho Hupsos, dès la première
'.)�ora en terre grecque, désigne le Dieu de la Bible : le
,���Haut ) . C'est en outre une pensée qui provient de la
��orique : elle n'atteindra la philosophie, après sa résurgence
i;is' les Temps modernes, que p ar le biais de la poétique
nÇaise ou de l'esthétique anglaise. Elle forme en réalité une
· itiol1 mineure. Elle atteste même en tant que pensée de
µ
xéès, du débordement, de l'outre-beauté, etc., un
ûisement du sens du beau. Il n'y a donc aucun hasard si
� yst revendiquée p ar l'esthétique stricto sensu. C'est contre
apparence qu'elle veut donner, une pensée faible, c'est-à-dire
s·â11s grandeur, précisément.
T.�:,tl,��:'IB�ke�
il\iÇ·� .::... En somme je ne parlerais pas de « récusation » de l'esthétique, mais d'un
*!fi;• • effondrement de l'esthétique : le sublime abîme l'esthétique, en défonce le sol même.
ex��Ï=��)
[j,'. •
;;:�.P:.'._::,,,�J�b!�::,
Et j'ajouterais : que l'esthétique s'effondre, en ce sens, au touché du sublime, ne
e du
rr r xcès
DU SUBLIME
29. Le terrible (das Schrekliche) est, dans la tradition, par exemple Burke, un
mot pour le sublime. Cela vient peut-être de ce que Vasari, ne sachant pas de
quelle façon qualifier la grande statuaire de Michel-Ange, le « Moïse » en particulier,
fit - dit-on le premier - usage (esthétique) de ce mot. Il l'empruntait aussi bien
à la tradition ouverte par Langin.
1 16
LA VÉRITÉ SUBLIME
\de
�sis} du sensible et du supra-sensible et la conformité
e la Gestalt suppose la détermination eidétique
�fl.t. Elle en est même, très explicitement, la vérité 30.
·....
!es.
)l1blimité est la forme qui exprime le rapport de Dieu
�c choses de la nature. On ne peut appeler sublime
�1ljet infini : il est l'absolu en et pour soi, il est saint.
ti}fi11i. au monde ; il est l'Idée qui se manifeste à
J��; 1 sublimité est le phénomène, le rapport de ce sujet
1 17
DU SUBLIME
32. Ainsi par exemple lorsque Hegel condense son interpétation du rapport
( sublime) que la Genèse instaure entre Dieu et sa création dans cette formule :
« Dieu puissant dans le faible. »
3 3 . Op. cit., p. 63 .
1 18
LA VÉRITÉ SUBLIME
1 19
DU SUBLIME
120
LA VÉRITÉ SUBLIME
�s�l:,l� dans
1àis:on
voit bien où se condense la difficulté. La sublimité
la « contradiction des traits », qui signifie
�at:ement), et tout de même présente, le « calme dans
.
fto paradoxon] ».
12 1
DU SUBLIME
122
LA VÉRITÉ SUBLIME
s�).�e'.?
\;(Jette
..Pf:µs
question, qui porte sur la présentation (et non
sur la représentation, au sens tout au moins où
• r:· �!ltend la philosophie de l'art), est sans doute la
1.�l.lestion qui, secrètement et presque silencieusement,
·.��)a philosophie avec la pensée de Kant. C'est justement
i·{;tdsurgit pour la première fois depuis le commencement
!� que�tion qui gronde sous !'Esthétique transcendantale et
�.�: • . i
. tl'effet perturbateur, à l'égard du discours philoso
J .911que, se fait sentir jusque dans la problématique de
,\f�· �:.Plfil
Ji��:i?J'�;. Je voudrais penser ici qu'elle trouve son emblème
·•r,\ dans la formule mystérieuse inscrite dans le temple
d'Isis : «Je s·uis tout ce qui est, qui était et qui sera, et
aucun mortel n'a levé mon voile. » Deuxième cas, donc,
de' sublimité absolue.
123
DU SUBLIME
4.
A la différence de l'énoncé mosaïque, l'énoncé d'Isis n'est
pas un prescriptif mais un constatif. Il dit le MystètË.
lui-même et c'est à ce titre, on le sait, qu'il a toujours ét'�
donné comme le modèle de l'énoncé ésotérique et que dti
reste il a beaucoup circulé, dans cette fin des Lumièrë�
marquée par la mystique maçonnique, de · Hamann à Hege!
ou de Schlegel au Novalis des Disciples à Saïs. Abstractiof.t
faite de la métaphore qui le soutient, c'est, en tant qü�
constatif, un énoncé de vérité : il dit la vérité ou l' essenc%
de la divinité, à savoir qu'elle est indévoilable. Et que Kan�
en donne une interprétation « rationaliste », qu'il le traduise
(Isis veut dire « la mère Nature »), qu'il le traite donc>
comme une sorte de prosopopée de la nature, ne change
rien, fondamentalement, à la vérité énoncée et n'affecte pa�
sa portée mystique. Inscrite au seuil du livre de Segner, ellê
doit remplir le lecteur « d'un frisson sacré, qui doit disposef
l'esprit à une attention solennelle » ; et l'on devine assez<
facilement que c'est là ce qui permet de l'associer,
hyperboliquement, à la Loi biblique : la sentence d'Isis
porte elle aussi sur l'imprésentabilité du méta-physique
entendu comme vérité ou essence de la phusis. Elle fait écho
au phusis kruptesthai phzlei d'Héraclite. Elle présente qu'il
y a de l' imprésentable.
Toutefois, et j'en viens donc à la métaphore, si c'est une
métaphore, l' imprésentable est ici pensé comme l' indévoila
ble, et cela fait une grande différence.
Cela fait une grande différence parce que cette
prosopopée de la nature en totalité ou de l'étant en totalité
(c'est la totalité elle-même qui est indévoilable, c' est-à-dirè
l'unité de tout l'étant : son être) est aussi bien une
prosopopée de la vérité. La sentence d'Isis n'est pas
seulement un énoncé de vérité, c'est un énoncé de vérité · •.
sur la vérité 43, c'est-à-dire sur le jeu du voilement et
dévoilement, de la présentation et de l'indévoilable. Elle
dans la forme, d'autre part bien connue : Moi, la vérité,
je parle. C'est-à-dire en l'occurrence. - mais n'est-ce pas
toujours ainsi dès que parle la vérité ? - : Moi, la vérité,
je dis la vérité sur la vérité. Et c'est pourquoi, sans doute,
cette sentence est absolument sublime. Car c'est une
124
,-')!,' ' • '
LA VÉRITÉ SUBLIME
)
< � .pl)Jrement et simplement contradictoire. L' équiva
n.t��ique, s i l'on veut, d'un oxymore.
tcè en effet que « dire la vérité » ? Par une
�' immémoriale - au moins pour ce dont est
1� mémoire philosophique - et qui ne relève en
., ëiler la vérité. Le dire-vrai, en ce sens, on le sait
ffi: quelconque décision métaphorique, dire la vérité
125
DU SUBLIME
126
LA VÉRITÉ SUBLIME
·,;·1�st. « Ce
q1wert n'est ( ... ) pas circonscrit par l'étant, mais
c'est
�ieu éclairant, qui entoure d'un cercle l'étant, tel
P,ti que nous connaissons à peine 47• »
�% 9ilement du dévoilement, cette réserve de l'éclaircie,
. . .· .
Y
:f:[e�degger, est double : elle est d'une part instabilité
· <lila.nte IVerstellen] : de l'étant « se glisse devant
a,-m >>,,Je voile, le donne pour ce qu'il n'est pas ; et c'est
·�°:rigine de l ' apparence et de l'erreur. Cette première
·.i;�is>· elle . est d'autre part, et surtout - c'est-à-dire
���·tl:"vt:! affecte l'étant dans ce qu' il est (Washeit, quzdditas).
e11ti�llement - refus [Versagenl, et elle affecte alors
..
· ·
�nt dans son être même, dans son « qu' il est » (Dassheit,
dditas) : « L'étant se refuse à nous jusqu'à ce point de
plidté et, en apparence, de pauvreté [Geringste] 9ue
;�fa!lt, nous ne pouvons plus dire : qu'il est. »
us ne. rencontrons nulle part mieux que lorsque, d un
: i Çe refus est très exactement ce qu'énonce la sentence
{Isis : « Nul mortel n'a levé mon voile. » Il est, si l'on
�Ut, la finitude, mais à condition d'entendre la finitude
···
127
DU SUBLIME
128
LA VÉRITÉ SUBLIME
;
�·· ·.:.'
129
DU SUBLIME
de plus,
130
'v\UV)
1
LA VÉRITÉ SUBLIME
�Ou 1a utôt : ce le
·
· Y.
aucune négativité. Et c'est gourq_uo.i_f_�
·r
· '
13 1
DU SUBLIME
. , .
ue J aie
5.
Tout cela, bien entendu, Heidegger le reverse au compte
du beau : la remontée du was ist au dass ist, du « ce qu'est
l'étant » au « que l'étant est » signifie pour lui la remontéè
du beau dans sa détermination philosophique, eidético
esthétique, à une détermination plus originelle du beau.
Encore une fois, cette pensée - elle-même proprement
sublime - du sublime 55 ne veut rien savoir du sublime.
Et pourtant, c'est bien dans la pensée du sublime - une
certaine pensée du sublime - que s'est maintenue la
mémoire, même vague ou à demi oublieuse, d'une
compréhension du beau plus originelle que son interpréta
tion platonicienne à partir de l' ezdos-idéa. C'est même à se
demander si la pensée du sublime - une certaine pensée
du sublime, mais qui pourrait bien être à son tour la pensée
originelle du sublime - ne tient pas sa naissance (voire ·sa
renaissance) du souci de retrouver, ou même tout
simplement de trouver, ce qui est manifestement
irréductible, dans le beau, à son appréhension eidétique : ce
« je-ne-sais-quoi », comme on sait, sans quoi le beau ne
serait que beau, et qui est peut-être en effet, du moins il
me semble, un éclat, une lumière extrême, la brillance même
du paraître : l' ekphanestaton.
C'est, je crois, ce qui se passe dans ce qui est resté pour
dans le traité du pseudo-Longin. A condition toutefois de
nous le coup d'envoi de la pensée du sublime, c'est-à-dire
le lire, non pas comme un ouvrage de rhétorique, de
poétique, voire - on l'a dit - de <� critique » (ce qu'il est
aussi du reste, incontestablement), mais bien comme un
ouvrage philosophique, ou en tout cas illisible sans là
supposition, sous chacun de ses énoncés fondamentaux,
d'une visée philosophique précise, laquelle n'a du reste rien
132
LA VÉRITÉ SUBLIME
' ie génie est le talent (don naturel) qui donne les règles
a l'art. Puisque le talent, comme faculté productive
�nnée de l'artiste, appartient lui-même à la nature, on
. 1pol.lrrait s'exprimer ainsi : le génie est la disposition
innée de l'esprit (ingenium) par laquelle la nature
d_onne les règles à l'art 57•
·
133
DU SUBLIME
134
LA VÉRITÉ SUBLIME
};?
: �fs . qu'est-ce que cela veut dire, plus fondamentale
. . Ceci,
· qui forme le second temps de la
·.ONstration :
])êinosthène la déclaré : dans la vie ordinaire des
hommes, le premier des biens est d'avoir du bonheur ;
i';le j;econd, qui n'est pas inférieur au premier, est de
prendre de sages résolutions ; car, si ce dernier vient à
· · [nânquer, c'en est fait du premier. On en peut dire
.· Jlutant du discours si [l'on met la nature à la place du
bonheur et l'art à la place de la prudence. Il nous faut
reconnaître, et c'est là le point capital, que seul lart
.peut nous apprendre que certaines particularités de
style ont la nature pour unique fondement. Si les
détracteurs de lart veulent, comme je lai dit, avoir
égard à ces considérations, ils ne tiendront plus, je
9. Un peu plus loin (VIII, 1), à propos des cinq sources du sublime, Longin
'sera la même logique : ces cinq sources, expliquera-t-il, « présupposent
e fondement commun le talent oratoire, sans lequel il n'y a absolument
.
» . Plus précisément, il y a un proupokeimènon qui est la dunamis dans le
1e,r; la faculté (Kraft, au sens de Kant) ou le pouvoir de parler. Et c'est cela
çlon. e
C' st la raison pour laquelle, ensuite, il faut distinguer parmi lesdites
ffe'ce s entre celles qui relèvent de la phusis (la disposition à la pensée élevée et
: Hisposition au pathos véhément et enthousiaste) et celles qui relèvent de la
f'1�è : le façonnement des figures ( des schèmata), la diction (phrasis) noble et
g encement (sunthesis) « en vue de la dignité et de l'élévation du style ». La
P,�nsée . de Longin est du reste si ferme sur ce point que, beaucoup plus tard
(�,
.. 1 et 3 ) , l'élément principal de la sunthesis, l'harmonie, pensée sur le
modèle . de l'harmonie musicale comme harmonie du langage, agencement de
rÏl()tS, est dit être innée chez l'homme (c'est d'ailleurs ce qui explique la puissance
·
135
DU SUBLIME
136
LA VÉRITÉ SUBLIME
137
DU SUBLIME
13&
LA VÉRITÉ SUBLIME
•··. �e · la
/silr son trépied) ; du génie de ces poètes s'exhale
faille de Delphes des effluves qui pénètrent
:��;s; successeurs (XIII, 2-4 ) . La transmission et la
·
139
DU SUBLIME
64. CF], p . 47 .
140
LA VÉRITÉ SUBLIME
141
DU SUBLIME
142
LA VÉRITÉ SUBLIME
que
· tî tô phôti autô]. » Car il enchaîne aussitôt,
.
·.
plus rapprochés de nous, grâce à une affinité
· .11aturelle et à leur éclat (dia lamprotèta), se présentent
l()ujours à nous avant les figures dont ils relèguent l'art
dan.s une ombre qui semble le tenir caché (XVII, 2-3 ) .
·
<}2ette
;,�,- ,; ;
143
DU SUBLIME
144
LA VÉRITÉ SUBLIME
145
DU SUBLIME
6.
L'ekphanestaton, une certaine interprétation au moins de
l'ekphanestaton, aura donc fait l'enjeu du sublime. Et
l'ekphanestaton, aura pu faire un tel enjeu parce qu'on aura
quand même su, ici ou là, par l'effet peut-être d'une sorte
d' outre-mémoire de ce qui n'avait jamais été proprement dit
ou pensé, que cette outre-lumière (c'est une traduction pour ·
ek-phanestaton ) est l'étrange clarté de -l'être lui-même, « bien
que souvent l'obscurité l'atteigne », sa nuit sans nuit
éblouissante - comme l'éclair, chez Holderlin en est un
signe ( mais aussi ce qu'il appelle la « sobre clarté » ) . Parce
que donc on aura pensé, ici ou là, que le « grand art »
regarde à celà même, ce qui suppose bien, d'une manière
ou d'une autre, qu'on en soutienne la vue, encore que ce
ne soit peut-être jamais une affaire de simple vision. La
Lichtung, la clairière ou l'éclaircie du paraître, est au-delà de
- toute lumière.
Cela, un penseur contemporain de Heidegger - à sa
manière à lui, en apparence théologico-métaphysique - l'a
exprimé avec une rare vigueur dans un texte que, pour bien
des raisons, Heidegger ne pouvait pas ne pas avoir lu et
avec lequel en tout cas « L'Origine de l' œuvre d'art »
entretient des rapports que je dirai troublants. Je veux
parler de Walter Benjamin et de son essai sur Les Affinités
électives de Goethe. J'arrache à leur contexte · ces qu,elques
phrases où tout est dit. Je les donne simplement à lire, ou
à entendre. Pour finir :
Tout ce qui est essentiellement beau est lié de façon
constante et essentielle au paraître, mais à des degrés
infiniment variés . Cette liaison atteint au plus haut point
partout où la vie est plus manifeste, et précisément ici
[dans le roman de Goethe] sous le double aspect d'un
éclat [Schein] qui triomphe ou qui s'éteint. Car il n'est
aucun vivant, à mesure même ·que sa vie est plus haute,
qui ne soit soustrait au domaine du beau essentiel, et
dans sa stature [Gestalt) se manifeste pour cette raison,
le plus souvent, l' essentiellement beau comme paraître.
Nie belle, beau essentiel, beauté du paraître, ces trois
choses n'en font qu'une.
( . .. )
sans être lui-même paraître, le beau n'est
essentiellement beau qu'aussi longtemps qu'il maintient
son lien au paraître. Ce paraître est son voile, car son
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LA VÉRITÉ SUBLIME
Philippe LAcoUE-LABARTIIB
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