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intro :
CHAPITRE PREMIER
priorités et perspectives
PRIORITES ET PERSPECTIVES
déclencher une catastrophe humanitaire. Leurs mises en
garde ont été ignorées par Washington et n'ont guère retenu
l'intérêt des médias. Un groupe de travail américain officiel
et de haut niveau a conclu que le recours à des armes de
destruction massive (ADM) dans des attentats sur le terri-
toire des États-Unis était un scénario “ vraisemblable ”, et le
serait plus encore en cas de guerre avec l'Irak. De nombreux
experts et agences de renseignement ont tenu le même
langage, ajoutant que l'agressivité générale de Washington
- pas seulement à l'égard de l'Irak - aggravait les menaces à
long terme du terrorisme international et de la prolifération
des ADM. On est resté sourd à leurs avertissements.
En septembre 2002, l'administration Bush rendit publique
sa Stratégie de sécurité nationale. Elle donnait aux États-
Unis le droit de recourir à la force pour éliminer tout ce qu'ils
verraient comme un défi à leur hégémonie mondiale, laquelle
devait être permanente. Ce nouveau grand dessein suscita de
graves inquiétudes dans le monde entier, y compris chez les
élites américaines sensibles à la politique étrangère. Le
même mois commença une propagande offensive qui présen-
tait Saddam Hussein comme une menace imminente pour les
Etats-Unis. Elle insinuait qu'il était responsable des atrocités
du 11 septembre et en préparait de nouvelles. Lancée a
l'ouverture de la période électorale des législatives de mi-
mandat, cette campagne réussit brillamment à faire basculer
les esprits. Elle eut tôt fait de détacher l'opinion publique
américaine du reste de l'opinion mondiale et aida les diri-
geants de Washington à atteindre leurs buts électoraux, puis
à faire de l'Irak le banc d'essai de la nouvelle doctrine qu'ils
venaient d'annoncer: recours à la force à volonté.
Le président Bush et ses collaborateurs sabotèrent aussi
les efforts internationaux pour atténuer les menaces d'une
gravité reconnue pesant sur l'environnement, sous des
prétextes qui dissimulaient mal leur allégeance a un secteur
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Le territoire ennemi
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PRIORITÉS ET PERSPECTIVES
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PRIORITÉS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE 2
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Imposer l'hégémonie
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(DOMINER LE MONDE OU SAUVER...)
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L'état de droit
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LA GRANDE STRATÉGIE...
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LA GRANDESTRATÉGIE IMPÉRIALE
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DOMINER LE MONDE, OU SAUVER LA PLANÈtE
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L'ignorance intentionnelle
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LA GRANDE...
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LA GRANDE STRATÉGIE IMPÉRIALE
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CHAPITRE 3
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Le Timor-Oriental et le Kosovo
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Le besoin de colonisation
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LE NOUVEAU...
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C'est dans leur propre intérêt que les États-Unis pro-
fessent la doctrine de Monroe. L'intégrité des autres pays des
Amériques est un effet secondaire, pas une fin. Même si cela
paraît relever du pur égoïsme, l'auteur de la doctrine n'avait
aucune motivation plus élevée ou plus généreuse en la
déclarant24.
La doctrine ne pouvait pas encore être mise en oeuvre
pleinement en raison du rapport de forces mondial, mais
Wilson a tout de même instauré par la force la domination
américaine dans les Caraibes, laissant un terrible héritage
qui persiste jusqu'à nos jours, et a réussi à s'étendre un peu
au-delà : il a chassé l'ennemi britannique du Venezuela
pétrolier et soutenu un dictateur cruel et corrompu, Juan
Vicente Gomez, qui a ouvert le pays aux compagnies
américaines. Les politiques de la porte ouverte et du libre
échange ont été instaurées de la manière habituelle : on a
fait pression sur le Venezuela pour qu'il n'accorde pas de
concessions aux Britanniques, tout en continuant à exiger
- et à obtenir - des droits américains sur le pétrole au
Moyen-Orient, où les Britanniques et les Français
menaient le jeu. En 1928, le Venezuela était devenu le
premier exportateur de pétrole du monde, avec les compa
gnies américaines aux commandes. Une histoire qui trans
paraît encore dans les unes des journaux de 2003: une
immense pauvreté dans un pays riche en ressources et en
potentialités, lesquelles rapportent des fortunes considé
rables aux investisseurs étrangers et à une étroite frange de
la population.
Le rayon d'action de la puissance américaine était encore
limité du temps de Wilson, mais, comme le président
William Howard Taft en avait eu la prescience, “ le jour
n'est pas très éloigné [où] l'ensemble de l'hémisphère sera à
nous physiquement, comme, en vertu de la supériorité de
notre race, il est déjà à nous moralement ”. Les Latino
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Américains peuvent ne pas comprendre, ajoutait l'adminis
tration Wilson, mais c'est parce que “ ce sont de sales
gosses qui exercent tous les droits et privilèges des adultes ”
et qui ont besoin “ d'une main ferme, d'une main autori
taire ”. Sans négliger, toutefois, la méthode douce : il pour
rait être utile de “ les flatter un peu et de les laisser croire
que vous les adorez ”, conseillait le secrétaire d'État John
Foster Dulles au président Eisenhower 25.
II y a des sales gosses partout. Pour Wilson, les Philippins
étaient “ des enfants [qui] doivent obéir, comme les
personnes sous tutelle ” - ceux du moins qui avaient
survécu à la libération qu'il avait réclamée en vantant son
altruisme. Son département d'État considérait aussi les
Italiens comme “ des enfants [qui] doivent être [dirigés] et
assistés plus que toute autre nation ou presque ”. II était
donc bien normal de voir ses successeurs soutenir avec
enthousiasme la “ belle et jeune révolution ” fasciste de
Mussolini qui écrasait la menace démocratique chez les
Italiens, lesquels “ aspirent à un pouvoir fort et aiment [...]
être gouvernés de façon théâtrale ”. L'analyse fut maintenue
tout au long des années 1930 et rétablie immédiatement
après la guerre. Tandis que les États-Unis entreprenaient de
miner la démocratie italienne en 1948 en privant d'alimen
tation des affamés*, en restaurant la police fasciste et en
menaçant de faire pis, le responsable du bureau italien du
département d'État expliquait que les politiques devaient
* Le 20 mars 1948, le secrétaire d'État George Marshall annonce que
les aides économiques à l'Italie seront retirées en cas de victoire électo
rale de la gauche. Le 3 avril, le plan Marshall est voté par le Congrès, et
la Démocratie chrétienne italienne prend pour slogan : “ Le pain que tu
manges est fait à 50 % de farine américaine. ” Le 18 avril, elle obtient la
majorité absolue aux élections et exclut la gauche du gouvernement.
(NdT.)
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être conçues pour que “ même le Wop* le plus borné sente
que le vent tourne ”. Les Haïtiens n'étaient “ guère plus que
des sauvages primitifs ”, à en croire Franklin Delano Roose
velt, qui affirmait avoir récrit la Constitution haïtienne
pendant l'occupation militaire de Wilson - afin de permettre
aux compagnies américaines de faire main basse sur les
terres et les ressources de l'île, dont le Parlement récalcitrant
avait été dispersé par les marines. Quand l'administration
Eisenhower, en 1959, chercha à renverser le régime castriste
fraîchement établi à Cuba, le chef de la CIA Allen Dulles
regretta qu'“ il n'y [eût] à Cuba aucune opposition à Castro
qui fût capable d'agir ”, notamment parce que, “ dans ces
pays primitifs où le soleil brille, les exigences des habitants
étaient bien inférieures à celles des peuples des sociétés
avancées ” ; ainsi, ils ne sentaient pas combien ils
souffraient 26.
Le besoin de discipline a été énergiquement répété année
après année. On peut citer un autre cas d'intérêt contem
porain : lorsque, en Iran, un gouvernement parlementaire
conservateur a cherché à prendre le contrôle de ses ressources
naturelles, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont monté un
coup d'État militaire pour installer un régime docile qui s'est
maintenu par la terreur pendant vingt-cinq ans. Coup d'État
qui a envoyé un message de grande portée, énoncé par la
rédaction du New York Times: “ Les pays sous-développés
riches en ressources ont maintenant une leçon de choses sur
ce qu'il en a coûté à un des leurs d'entrer dans la folie
furieuse du nationalisme fanatique. [...] L'expérience de
l'Iran [pourrait] renforcer la position de dirigeants raison
nables et lucides [ailleurs], qui auront une claire compréhen
sion des principes du comportement décent. ”
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et félicite le fascisme d'avoir “ fait jaillir l'ordre du chaos, la
discipline de la licence et la solvabilité de la faillite ”. En
1939, Roosevelt continue à considérer le fascisme italien
comme “ d'une grande portée pour le monde, [même s'il]
reste au stade expérimental ”.
En 1938, Roosevelt et son proche confident Sumner
Welles approuvent les accords hitlériens de Munich qui
démembrent la Tchécoslovaquie. Welles estimait, on l'a dit,
qu'ils “ offraient aux pays du monde l'occasion d'instaurer
un nouvel ordre mondial fondé sur la justice et sur le droit ”,
où les nazis, ces modérés, joueraient un rôle dirigeant. En
avril 1941, George Kennan écrit du consulat de Berlin, où il
est en poste, que les dirigeants du Reich ne souhaitent nulle
ment “ voir d'autres peuples souffrir sous la domination
allemande ”, sont “ très attentifs à ce que leurs nouveaux
sujets soient heureux sous leur gouvernement ”, et font
“ d'importantes concessions ” pour atteindre cet aimable
résultat.
Le monde des affaires était, lui aussi, absolument enthou
siasmé par le fascisme européen. D'où un boom de l'inves
tissement en Italie fasciste. “ Les Wops se déwopisent ”,
écrivait la revue Fortune en 1934. Après l'accession de
Hitler au pouvoir, un semblable boom de l'investissement
s'est produit en Allemagne pour des raisons du même
ordre : la menace des “ masses ” avait été contenue, et un
climat de stabilité propice aux affaires s'était instauré.
Jusqu'à l'éclatement de la guerre en 1939, écrit Scott
Newton, la Grande-Bretagne était encore plus favorable à
Hitler, pour des raisons profondément ancrées dans les rela
tions industrielles, commerciales et financières anglo
allemandes et du fait d'une “ politique d'autopréservation
de l'establishment britannique ” face à la montée des pres
sions populaires démocratiques 32.
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Heures dangereuses
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Les raisons précises de ces inquiétudes méritent d'être
examinées de près, mais une concentration trop exclusive
sur l'actualité pourrait nous induire en erreur. Nous les
remettrons en perspective de façon plus réaliste en nous
demandant pourquoi la crise des missiles de Cuba a été une
heure si “ dangereuse ”. Les réponses sont directement
pertinentes pour les périls d'aujourd'hui.
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HEURES DANGEREUSES
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partie d'une alliance militaire hostile dirigée par la première
superpuissance du monde, et une fois en 1918 par la Grande
Bretagne, les États-Unis et leurs alliés. II aurait pu constater
aussi, bien sûr, que la Russie ne menaçait nullement d'envahir
la Turquie, et ne menait contre les Turcs aucune campagne
terroriste, aucune guerre économique de grande ampleur, ni
même une quelconque réplique en miniature des crimes que
l'administration Kennedy commettait à la même époque
contre Cuba.
Néanmoins, l'histoire n'a retenu que le “ moment
Stevenson ”. Le Martien aurait certainement compris que
cet écart reflétait le rapport de forces mondial. II se serait
probablement souvenu aussi d'un principe qui doit être
proche d'un universel historique de la culture intellectuelle
nous sommes “ bons ” (qui que nous soyons) et ils sont
“ mauvais ” s'ils nous gênent ; l'asymétrie radicale est donc
tout à fait sensée, dans le cadre de la doctrine établie.
Les arêtes de cette asymétrie se font encore plus tran
chantes quand nous voyons par quel argument on a parfois
cherché à l'estomper : le crime des Russes à Cuba était,
a-t-on dit, de dissimuler, tandis que les États-Unis entou
raient la Russie d'armes offensives effroyables tout à fait
ouvertement. C'est vrai. Non seulement la puissance hégé
monique n'a pas besoin de cacher ses intentions, mais elle
préfère les annoncer haut et fort pour “ maintenir sa crédibi
lité ”. La subordination du système idéologique à la puis
sance garantit que la quasi-totalité de ses exactions
- terrorisme international (comme à Cuba), agression
ouverte (comme au Sud-Vietnam à la même époque), parti
cipation à d'immenses massacres pour détruire le seul parti
politique de masse (comme au Sud-Vietnam et en Indo
nésie), etc. - seront soit refoulées dans l'oubli, soit reformu
lées sous le signe de l'autodéfense légitime, ou du projet
bien intentionné qui peut-être aura dérape 6.
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Défi réussi
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après coup) ou en Irak (on l'a reconnu aussi quand les faux
prétextes se sont effondrés).
L'indignation que suscite le défi ne date pas d'hier dans
l'histoire américaine. Il y a deux cents ans, Thomas
Jefferson condamna durement la France pour l' “ esprit de
défi ” dont elle faisait preuve en gardant La Nouvelle
Orléans, qu'il convoitait. Le “ caractère ” de la France,
souligna-t-il, est “ en position d'éternelle friction avec le
nôtre, qui, malgré son amour de la paix et de l'enrichisse
ment, est noble ”. Le “ défi ” français “ [nous impose de]
nous unir à la flotte et à la nation britanniques ”, conclut-il
- renversement des alliances antérieures nées de la contribu
tion capitale de la France à l'indépendance des colonies,
libérées de la domination de Londres 40. Grâce à la lutte de
libération de Haïti, qui n'a reçu aucune aide et a été presque
universellement combattue, le défi français s'est vite
évanoui, mais les principes directeurs sont toujours là pour
distinguer l'ami de l'ennemi.
Principes directeurs
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moment où le gouvernement des États-Unis atteignit son
objectif le Nicaragua avait “ le statut peu enviable de pays le
plus pauvre de l'hémisphère occidental ”. L'un des éléments
du triomphe, poursuit Walker, fut un nombre de morts qui,
proportionnellement à la population, équivaudrait à 2,25 mil
lions de personnes aux Etats-Unis. L'historien Thomas
Carothers, ancien haut responsable du département d'État
sous Reagan, a observé que les pertes du Nicaragua, “ par
rapport à la population, ont été nettement plus élevées que le
nombre d'Américains tués pendant la guerre de Sécession et
toutes les guerres du me siècle réunies 58 ”.
La destruction du Nicaragua n'était pas une affaire
mineure. Les progrès du pays au début des années 1980 lui
avaient valu les éloges de la Banque mondiale et d'autres
agences internationales, qui les jugeaient “ remarquables ”
et “ propres à créer une base solide pour un développement
socio-économique à long terme ” (Banque interaméricaine
de développement). Dans le secteur de la santé, il avait enre
gistré “ l'un des reculs les plus spectaculaires de la mortalité
infantile dans le monde en développement ” (UNICEF,
1986). Le véritable cancer que craignaient les reaganiens
était donc sérieux. La transformation “ remarquable ” du
Nicaragua aurait pu métastaser, se muer en “ révolution sans
frontières ” au sens du discours que l'on avait reformulé à
des fins de propagande. II était donc tout à fait logique, du
point de vue de Washington, d'éradiquer ce “ virus ” avant
qu'il ne puisse en “ infecter d'autres ”, qu'il faudrait
“ vacciner ” à leur tour par la terreur et la répression59
Pas plus que Cuba le Nicaragua n'a réagi à l'agression
terroriste en bombardant les États-Unis, en tentant d'assas
siner leurs gouvernants ou par d'autres mesures de ce genre,
lesquelles, nous dit-on solennellement, relèvent de l'éthique
la plus exigeante lorsqu'elles émanent de nos dirigeants. II a
préféré s'adresser à la Cour internationale de justice. C'est
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CHAPITRE 5
Le noeud irakien
Le scénario international
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pervers de la civilisation elle-même ”, ce “ retour de la
barbarie à l'époque moderne ” (George Shultz) 1.
Des questions cruciales auraient dû être aussitôt posées.
Qu'est-ce qui caractérise le terrorisme ? En quoi se
distingue-t-il de l'agression, ou de la résistance ? Les
réponses qu'on leur a données en pratique sont révélatrices,
mais les questions elles-mêmes n'ont jamais fait l'objet d'un
débat public. On s'en est tenu à une définition commode : le
terrorisme est ce que nos dirigeants appellent ainsi. Défini
tion toujours valable pour la guerre redéclarée 2.
Dans les années 1980, les deux foyers principaux de la
“ guerre contre la terreur ” ont été l'Amérique centrale et la
région Moyen-Orient-Méditerranée. En Amérique centrale,
nous l'avons dit, la guerre contre la terreur s'est instanta
nément muée en guerre terroriste barbare, saluée comme un
grand succès et effacée de l'histoire. Au Moyen-Orient, nous
allons le voir, les chefs de Washington et leurs associés
locaux se sont également rendus responsables de crimes
dépassant de très loin tout ce qu'on a pu reprocher à leurs
ennemis officiels. Les faits sont ici particulièrement instruc
tifs, car la propagande des premiers a tant gonflé le “ terro
risme de détail ” qu'ils combattaient qu'elle en a fait, au
milieu des années 1980, le sujet phare de l'actualité - exploit
vraiment impressionnant.
Tournons-nous vers d'autres cieux : sous Reagan, l'allié
sud-africain de Washington a été le premier responsable des
plus de 1,5 million de morts et 60 milliards de dollars de
dégâts matériels qui ont frappé les ex-colonies portugaises de
l'Angola et du Mozambique, récemment libérées. Selon une
étude de l'UNICEF, respectivement 850 000 et 150 000 nour
rissons et jeunes enfants sont morts dans ces deux pays
pendant la seule année 1988: les progrès accomplis au cours
des premiers temps de l'indépendance ont été inversés, essen
tiellement par l'arme du “ terrorisme de masse ”. Sans parler
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Après le retrait des Russes, les organisations terroristes
recrutées, armées et entraînées par les États-Unis et leurs
alliés (dont Al-Qaida et autres djihadi) ont réorienté leurs
efforts : elles ont mis le feu au conflit indo-pakistanais par
“ une offensive terroriste sans précédent en Inde en mars
1993 ”, puis, l'incendie progressant, ont conduit plusieurs
fois la région tout au bord de la guerre nucléaire dans les
années qui ont suivi. Un mois avant les attentats en Inde, des
groupes apparentés avaient bien failli faire sauter le World
Trade Center en suivant une “ recette enseignée par les
manuels de la CIA ”. L'enquête sur la préparation de cet
attentat a mené à des partisans du cheikh Omar Abdel
Rahman, qu'on avait aidé à entrer aux États-Unis et qui, sur
leur territoire, était protégé par la CIA5. Nul besoin de pour
suivre la liste des conséquences dans le monde entier.
Autre élément familier, en partie du moins . les dirigeants
actuels ont longtemps soutenu Saddam Hussein, ce qu'on
explique souvent par leur obsession de l'Iran. Cette poli
tique a été poursuivie sans changement après la capitulation
des Iraniens dans la guerre Irak-Iran - en raison de “ notre
devoir de soutien aux exportateurs américains ”, expliqua au
début de l'année 1990 le département d'État, qui ajouta la
rengaine habituelle en pareil cas : aider Saddam ferait
progresser le respect des droits de l'homme, la stabilité
régionale et la paix. En octobre 1989, longtemps après la fin
de la guerre contre l'Iran et plus d'un an après le gazage des
Kurdes par Saddam, le président Bush I publia une directive
de sécurité nationale déclarant : “ Des relations normales
entre les États-Unis et l'Irak favoriseraient nos intérêts à
long terme et renforceraient la stabilité, tant dans le Golfe
qu'au Moyen-Orient. ” Peu après, il saisit l'occasion de
l'invasion du Panama pour lever l'interdiction de consentir
des prêts à l'Irak.
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que, au lendemain d'une victoire électorale de ce gangster à
base de fraude et de violence, il prit l'avion pour Panama
afin de le féliciter d'avoir “ donné le coup d'envoi du
processus démocratique ”. Puis, n'étant plus utile pour la
guerre des contras ni pour d'autres entreprises, Noriega fut
transféré dans la catégorie des “ méchants ” - même si ses
pires crimes étaient derrière lui, comme pour Saddam. Une
invasion eut lieu et il fut enlevé dans les locaux de l'ambas
sade du Vatican au cours de l'opération “ Juste Cause ”,
avec les conséquences déjà signalées 7.
Certains de ces dirigeants égalaient sans difficulté
Saddam Hussein en matière de terreur interne. Ceausescu en
est un exemple instructif. Sous son régime, la population
vivait dans l'effroi de ses redoutables forces de sécurité,
connues pour leurs tortures et leur barbarie. Une semaine
après son renversement dans une révolte populaire inat
tendue en décembre 1989, le Washington Post expliquait
qu'il avait “ détruit le tissu économique, intellectuel et artis
tique de la Roumanie ” et que son “ bilan sur le plan des
droits de l'homme ” était atroce.
Le président Bush II ne mentait pas quand, faisant une
“ apparition à la Kennedy ” dans le square de la Libération à
Bucarest, il a félicité la “ nation qui, il y ajuste douze ans, a
déposé son propre dirigeant implacable, Nicolae Ceau
sescu ”. Ce fut une scène spectaculaire. “ Sous une pluie
froide qui zébrait son imperméable noir, la tête découverte,
Bush lança : "Vous connaissez la différence entre le bien et
le mal, car vous avez vu le visage du mal. Le peuple de
Roumanie comprend qu'on ne peut ni ménager ni ignorer
les dictateurs agressifs : il faut toujours les combattre" ”8.
Le président, tout comme ses admirateurs, a omis de
rappeler comment, au juste, son père et ses propres collabo
rateurs avaient honoré ce précepte - qu'il fallait “ toujours
combattre ” les tyrans implacables du style Ceausescu. La
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LE NOEUD IRAKIEN
Le scénario intérieur
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LE NOEUD IRAKIEN
Alors que s'estompaient les premières menaces libyennes,
une autre encore plus dangereuse apparut : une base aérienne
dans l'île de Grenade que les Russes pouvaient utiliser pour
nous bombarder. Heureusement, notre président vint à la
rescousse en un rien de temps. Après avoir rejeté les offres
de règlement pacifique aux conditions américaines,
Washington fit débarquer 6 000 soldats des troupes d'élite,
qui parvinrent à venir à bout de la résistance de quelques
dizaines de maçons cubains entre deux âges munis d'armes
légères. Enfin, nous étions “ debout ”, proclama l'intrépide
cow-boy de la Maison-Blanche 14
Mais on n'en avait pas fini avec les menaces. Très vite,
les Nicaraguayens se profilèrent à l'horizon, à deux jours de
voiture seulement de Harlingen, Texas, leurs exemplaires de
Mein Kampf à la main. Par chance, notre commandant en
chef, se souvenant de la fermeté de Churchill face aux nazis,
refusa de capituler et réussit à repousser ces hordes agres
sives, malgré les armes qu'elles recevaient d'un Kadhafi
bien décidé à “ expulser l'Amérique du monde 15 ”.
Lorsque la Maison-Blanche, en 1986, chercha à s'assurer
le soutien du Congrès pour intensifier ses attaques contre le
Nicaragua, la menace libyenne fut ressuscitée : des provoca-
tions américaines meurtrières dans le golfe de Syrte furent
suivies par le bombardement de la Libye à l'heure des actua-
lités télévisées, qui fit des dizaines de victimes sans aucun
prétexte crédible. Explication officielle : l'article 51 de la
Charte des Nations unies nous donnait le droit de recourir à
la force “ par autodéfense contre une future agression ”. Ce
fut peut-être la première formulation explicite de la doctrine
de la, K guerre préventive ” - et la fin de tous les espoirs d'un
ordre mondial fondé sur le droit si on la prenait au sérieux.
Ce qu'on fit. Le chroniqueur du New York Times Anthony
Lewis, se faisant juriste, félicita l'administration Reagan de
s'être appuyée sur “ un argument de droit, selon lequel la
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se sont vite montrés à la hauteur de leur réputation, comme
l'ont relevé les services spécialisés des États-Unis 17.
Tout au long de l'affaire, les raisonnements juridiques ont
respecté un principe énoncé par l'éminent homme d'État
israélien Abba Eban : pour “ déterminer la base juridique ”
d'une action qu'on a l'intention d'accomplir, “ on peut
remonter de l'action souhaitée à la justification à trouver 18 ”.
Le scénario a été suivi avec grand soin quand les mêmes
éléments, à peu de chose près, ont repris le pouvoir politique
grâce à l'élection de 2000. En 1981, ils avaient associé
augmentation massive des dépenses militaires et réductions
d'impôts en faisant un calcul clair : “ La montée de
l'hystérie sur le déficit qui allait s'ensuivre créerait de fortes
pressions pour la réduction des dépenses [sociales] fédé
rales, donc donnerait peut-être à l'administration les moyens
d'atteindre son objectif : revenir sur le New Deal. ” Bush II
a repris ce modèle, instaurant des réductions d'impôts qui
bénéficient dans leur écrasante majorité aux très riches et
“ la plus forte augmentation des dépenses fédérales depuis
vingt ans19 ”, essentiellement dans le secteur militaire, donc
indirectement dans les technologies de pointe.
Les déficits de l'État rendent nécessaire la “ discipline
budgétaire ”, qui se traduit par des coupes sombres dans les
services rendus à la population. Les économistes de l'admi
nistration Bush eux-mêmes estiment à 44 000 milliards de
dollars les factures que le gouvernement ne pourra pas
payer. Leur étude devait être incluse dans le rapport annuel
sur le budget publié en février 2003, mais elle en a été
retirée. Peut-être parce qu'elle prévoyait que, pour combler
le gouffre, il faudrait une augmentation considérable des
impôts et que Bush essayait de faire adopter une nouvelle
réduction d'impôts, profitant essentiellement aux riches,
toujours. “ Le président Bush travaille fiévreusement à
aggraver le piège budgétaire ”, ont observé les économistes
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Risques insignifiants
Ceux qui ont décidé la guerre contre l'Irak savaient fort
bien qu'elle risquait d'aggraver la prolifération des ADM et
du terrorisme, mais ces risques leur ont paru insignifiants
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l'ont dit : les cibles potentielles de l'aventurisme américain
“ savent qu'on ne peut tenir en respect les États-Unis que par
la dissuasion ”, et d'abord par les armes de destruction mas
sive (Kenneth Waltz). Vue sous cet angle, “ la politique amé
ricaine stimule la prolifération verticale d'armes nucléaires et
leur diffusion d'un pays à l'autre ”. Et elle renforce le terro
risme : “ Nul ne sera surpris de voir [...] des États faibles et
des individus désespérés [...] se déchaîner contre les États
Unis, perçus comme l'agent ou le symbole de leur souf
france ”, et, si rien n'est fait pour résoudre leurs problèmes,
réagir probablement par les moyens à leur portée, dont le ter
rorisme. Les services secrets américains ont ajouté que
l'K aggravation de la stagnation économique ” provoquée par
la version de la mondialisation chère à Washington aurait
probablement des effets comparables 22.
Ces avertissements n'étaient pas nouveaux. On avait
compris depuis un certain temps que les puissances indus
trielles allaient probablement perdre leur quasi-monopole
de la violence, pour ne conserver qu'une immense supério
rité. Bien avant le 11 septembre, des études techniques
avaient conclu qu' “ une tentative bien conçue pour intro
duire clandestinement des armes de destruction massive sur
le territoire des États-Unis aurait des chances de succès de
90 % au moins ”. C'est devenu “ le talon d'Achille de
l'Amérique ”, estimait une étude qui passait en revue, sous
ce titre, les multiples options offertes aux terroristes. Un
rapport du groupe de travail du Council on Foreign Rela
tions en ajouta d'autres. L'imminence du danger était
évidente depuis l'attentat manqué contre le World Trade
Center en 1993: mieux préparé, il aurait pu tuer des
dizaines de milliers de personnes, ont expliqué les ingé
nieurs qui ont construit les tours 29.
On avait aussi prévu qu'une attaque contre l'Irak risquait
de stimuler la prolifération sur un mode plus direct. Selon
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Bush, dont la “ droiture morale ” dérive du “ zèle évangé
lique ”, comme le prouve ce que nous en disent ses
conseillers en relations publiques 5O.
II y a bien d'autres exemples. Lorsque Gerhard Schröder
a osé prendre la position de l'écrasante majorité des Alle
mands aux élections de 2002, il a été vertement condamné
pour son manque de fermeté scandaleux, nouvelle illustra
tion d'un grave problème (“ le gouvernement vit dans la
peur de ses électeurs ”) que l'Allemagne doit surmonter si
elle veut se faire accepter dans le monde civilisés'
Le cas de la Turquie est particulièrement révélateur.
Comme d'autres peuples de la région, les Turcs méprisaient
Saddam Hussein mais ne le craignaient pas. Et ils étaient
massivement hostiles à la guerre : en janvier 2003, à
l'apogée des efforts visant à rallier les dirigeants, sinon la
population, à l'entreprise de Washington, environ 90 % des
Turcs s'y opposaient. Le gouvernement élu a agi conformé
ment à la volonté du peuple. Cela prouve qu'il manque de
“ légitimité démocratique ”, avons nous-lu, le jour où les
sondages ont été publiés, dans une analyse de l'ex-ambassa
deur américain en Turquie Morton Abramowitz, aujourd'hui
éminent homme d'État et commentateur. Il y a dix ans,
expliqua-t-il, “ la quasi-totalité de la Turquie, comme
aujourd'hui, était contre tout engagement dans une guerre
en Irak ”. Mais il y avait “ une remarquable exception ” : le
président Turgut Ôzal, vrai démocrate qui “ a passé outre à
la préférence prononcée de ses compatriotes pour la non
participation à la guerre du Golfe ”. Hélas, le gouvernement
actuel, “ sur la participation à une nouvelle guerre en Irak,
suit le peuple ”, au lieu de succomber aux intenses pressions
de Washington. “ Malheureusement pour les États-Unis ”,
regrettait Abramowitz, “ il n'y a en vue aucun vrai démo
crate ” tel que celui qui régnait dix ans plus tôt52.
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La guerre terrestre a été gênée parce que la Turquie n'a
pas accepté son rôle de pays d'accueil des forces du front
nord, pour des raisons politiques là encore. Son gouverne
ment a été trop faible face au sentiment antiguerre .
Les présupposés sont limpides : les gouvernements forts
se moquent de leur peuple et “ acceptent le rôle ” que leur
assigne le maître du monde ; les gouvernements faibles
cèdent à la volonté de 95 % de leur population.
Le stratège du Pentagone Paul Wolfowitz a formulé clai
rement le point crucial. Lui aussi a réprimandé le gouverne
ment turc pour son inconduite, mais il a ensuite condamné
l'armée. Elle n'a pas joué, a-t-il dit, “ le rôle dirigeant fort
que nous aurions attendu ”, mais a fait preuve de faiblesse
en laissant le gouvernement respecter l'opinion publique
quasi unanime. Il fallait donc à présent, selon lui, que la
Turquie se lève et dise : “ Nous avons fait une erreur. [...]
Voyons maintenant comment nous pouvons aider le mieux
possible les Américains. ” La position de Wolfowitz est
particulièrement instructive parce qu'on voit en lui le grand
visionnaire de la croisade pour démocratiser le Moyen
Orien56.
Les déclarations sur la Vieille et la Nouvelle Europe, et
l'hystérie qui allait souvent de pair, donnent d'utiles leçons
sur ce qu'on pense aujourd'hui de la démocratie dans les
élites politiques et intellectuelles. L'antipathie pour la
démocratie n'est pas une nouveauté. Elle est traditionnelle,
pour des raisons évidentes, chez ceux qui ont leur part de
pouvoir et de privilège. Mais il est rare de la voir sous un
éclairage aussi cru. C'est peut-être l'une des raisons pour
lesquelles les adversaires de l'administration Bush issus de
l'establishment ont si peu parlé de son discours sur la démo
cratisation, qu'accompagnaient des démonstrations specta
culaires de mépris pour la démocratie - mépris qui, de toute
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maintenir “ l'ordre fondamental de [...] sociétés tout à fait
antidémocratiques ” et à éviter “ les changements à base
populiste ”. Carothers admet qu'il existe une critique de
gauche de l'approche reaganienne, mais il la rejette, en
raison de son “ point faible permanent ” : elle ne propose
aucune alternative. Laisser à la population un rôle majeur
dans la gestion de ses affaires n'est pas une solution envisa
geable, même pour l'écarter. Carothers ne dit rien non plus
des efforts déployés pendant cette période pour combattre la
menace d'une démocratie plus réelle là où elle est apparue 58
Les populations concernées sont bien conscientes de la
nature de la démocratie qu'on leur apporte. On a souvent
observé que, tandis que la démocratie formelle s'étendait en
Amérique latine, la désillusion vis-à-vis de la démocratie
augmentait L'une des raisons a été soulignée il y a quelques
années par l'expert argentin en sciences politiques Atilio
Boron : la nouvelle vague de démocratisation en Amérique
latine a coïncidé avec les réformes économiques néolibérales,
qui affaiblissent la démocratie réelle. 59. Le système de Bretton
Woods, instauré après guerre, reposait sur le contrôle des
mouvements de capitaux et sur une relative fixité des taux de
change, non seulement parce qu'il y avait des bénéfices
économiques à en attendre, lesquels se sont effectivement
concrétisés, mais aussi afin d'offrir un espace aux gouverne
ments pour la mise en oeuvre de politiques social-démocrates
très populaires. On avait compris à l'époque que le type de
libéralisation financière qui a ouvert l'ère néolibérale dans les
années 1970 réduit les possibilités de choix démocratiques en
transférant les décisions entre les mains d'un “ sénat virtuel ”
d'investisseurs et de prêteurs 60. Les gouvernements sont
aujourd'hui confrontés à “ un "inextricable problème de
double mandant", opposant les intérêts des électeurs à ceux
des agents de change et managers des fonds spéculatifs "qui
mènent un référendum permanent" sur la politique écono-
192
inique et financière des pays tant développés qu'en dévelop-
pement ” - et la concurrence est très inégale.
“ Les forces du marché financier mondial ne menacent
rien de moins que l'expérience démocratique d'autogouver
nement ”, a dit, il y a soixante-dix ans, John Maynard
Keynes. Le secrétaire général de l'Organisation des États
américains, chaud partisan de la mondialisation néolibérale,
a ouvert la session annuelle de 2003 par cette mise en
garde : la libre circulation du capital, “ aspect le plus indé
sirable de la mondialisation” - en fait, sa caractéristique
clé -, est le “ plus grand obstacle ” à la gouvernance démo
cratique, exactement comme Keynes l'avait prédit61. Ces
peurs remontent à Adam Smith. Le seul passage de La
Richesse des nations où il emploie l'expression “ main invi
sible ” se trouve dans une analyse des effets négatifs de
l'investissement étranger, que l'Angleterre ne devait pas
craindre, estimait-il, parce qu'une “ main invisible ” incite
rait les investisseurs à garder leurs capitaux dans leur pays.
Il en va de même d'autres composantes de la politique
néolibérale : la privatisation, par exemple, réduit le champ
des possibilités de choix démocratique, le cas de la libérali
sation des “ services ”, qui a suscité une opposition popu
laire énorme, étant particulièrement spectaculaire. Même en
termes étroitement économiques, les plans de privatisation
ont été imposés avec fort peu de preuves empiriques ou de
bases théoriques solides, voire pas du tout 62.
La désillusion à l'égard de la démocratie formelle s'est
manifestée clairement aux États-Unis aussi, et elle s'est accen
tuée pendant la période néolibérale. Il y a eu beaucoup de bruit
autour de l'“ élection volée ” de novembre 2000, et on s'est
étonné que la chose n'ait guère intéressé les Américains. Des
enquêtes d'opinion suggèrent les raisons probables de cette
attitude: à la veille de l'élection, les trois quarts de la popu
lation la considéraient comme un jeu auquel participaient les
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cette option soit exclue des programmes électoraux au motif
qu'elle est “ politiquement impossible ”, quoi qu'en pense
la population.
Les “ réalités du capitalisme moderne ”, telles qu'on les
connaissait dans des régions soumises de longue date au
contrôle occidental, ont été importées dans une grande partie
de l'Europe de l'Est quand ses économies ont été “ latino
américanisées ”. Les raisons sont discutées mais les faits
essentiels de la catastrophe économique et sociale ne le sont
pas. Bien que leur échelle soit incertaine, les effets démo
graphiques en donnent une indication. Le Programme des
Nations unies pour le développement estime à 10 millions
de personnes la surmortalité masculine pendant les années
1990, soit à peu près autant que la purge de Staline soixante
ans plus tôt, si ces chiffres sont réalistes. “ La Russie paraît
être le premier pays à connaître une baisse aussi prononcée
des naissances par rapport aux décès pour des raisons autres
que la guerre, la famine ou la maladie ”, écrit David Powell.
La crise démographique est attribuée en partie à l'écroule
ment du système de santé russe, dû aux réformes de marché.
L'effondrement général a été si terrible que même le mons
trueux Staline laisse un souvenir assez favorable. Plus de la
moitié des Russes “ estiment que le rôle de Staline dans
l'histoire russe a été positif, un tiers seulement n'est pas
d'accord ”, ont indiqué des sondages début 2003 4. Les plans
des administrateurs américains en Irak semblent à peu près
les mêmes que ceux qui ont été mis en ooeuvre en Russie, et
qui ont conduit ailleurs à des résultats désastreux avec une
belle uniformité.
Sur la construction européenne, l'attitude de Washington
a toujours été complexe. Comme celles qui l'avaient
précédée, l'administration Kennedy incitait vivement à
l'unité de l'Europe, tout en redoutant un peu que celle-ci ne
décide de suivre sa propre voie. L'éminent diplomate David
Bruce était alors l'un des grands avocats de l'unification
européenne, mais - réserve caractéristique - il voyait se
profiler des “ dangers ” si l'Europe “ partait de son côté, en
cherchant à jouer un rôle indépendant des États-Unis ” 5
Les principes de base ont été bien formulés par Henry
Kissinger dans son discours sur “ l'année de l'Europe ” en
1973. Le système mondial, a-t-il dit, doit reposer sur l'idée
suivante : “ les États-Unis ont des intérêts et des responsabi
lités mondiales ” tandis que leurs alliés n'ont que “ des inté
rêts régionaux ”. Les États-Unis doivent “ se soucier
davantage de l'ordre général que de la gestion de chaque
entreprise régionale ”6. L'Europe ne doit pas suivre sa
propre voie autour de son noyau industriel et financier
franco-allemand - autre raison de l'inquiétude que suscite la
“ Vieille Europe ”, tout à fait indépendamment de la réti
cence de ses gouvernements à obéir aux ordres de
Washington sur la guerre contre l'Irak.
Ces principes restent en vigueur même si le contexte a
changé. Outre leur contribution potentielle au sabotage des
systèmes de “ marché social ” d'Europe occidentale, on
attend des pays de l'Est qu'ils soient le “ cheval de Troie ”
des intérêts américains, compromettant ainsi toute dérive de
l'Europe vers l'acquisition d'un rôle mondial indépendant.
En 1973, la domination planétaire des États-Unis s'était
affaiblie, comparée à son apogée de l'immédiat après-guerre.
L'une des mesures de ce recul est la part de la richesse mon
diale qu'ils contrôlaient alors, tombée, selon les estimations,
d'environ 50 % à moitié moins quand l'économie mondiale
était passée à un ordre “ tripolaire ”, avec trois centres de
pouvoir majeurs : l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie,
autour du Japon. Cette structure s'est encore modifiée
depuis, avec notamment la montée en puissance des
“ tigres ” d'Asie orientale et l'entrée de la Chine dans le
système mondial en qualité d'acteur majeur. L'inquiétude
205
fondamentale que suscite la perspective d'une Europe indé-
pendante s'étend aussi à l'Asie, sous des formes nouvelles.
Les États-Unis étaient déjà la plus grande puissance
économique du monde, et de loin, longtemps avant la
Seconde Guerre mondiale, mais pas un acteur central dans
sa gestion. La guerre a changé cette situation. Les puis-
sances rivales ont été soit dévastées, soit gravement affai-
blies, tandis que les États-Unis ont considérablement
progressé. Leur production industrielle a presque quadruplé
dans le cadre de l'économie semi-dirigée. En 1945, les
États-Unis ne jouissaient pas seulement d'une domination
économique écrasante, mais aussi d'une position incompa-
rable en termes de sécurité. Ils contrôlaient l'hémisphère
occidental, les deux océans qui l'entourent et l'essentiel des
territoires qui les bordent. Leurs planificateurs sont vite
passés à l'organisation du système mondial, en fonction de
plans déjà élaborés pour satisfaire les “ besoins des États
Unis dans un monde où ils se proposent de détenir un
pouvoir incontesté ” tout en limitant la souveraineté de ceux
qui pourraient les défier 7.
Le nouvel ordre mondial consistait à pousser le plus loin
possible la subordination aux besoins de l'économie améri
caine et la soumission au contrôle politique des États-Unis.
La mainmise des empires coloniaux, en particulier celle du
britannique, devait être démantelée, tandis que Washington
étendrait ses propres systèmes régionaux en Amérique latine
et dans le Pacifique, en vertu d'un principe qu'explique Abe
Fortas : “ Ce qui était bon pour nous était bon pour le
monde. ” Cette sollicitude altruiste n'était guère appréciée
par le Foreign Office à Londres. Ses dirigeants compre
naient la situation : Washington, guidé par “ l'impérialisme
économique des intérêts d'affaires américains, tente de nous
mettre hors jeu ”. Mais ils n'y pouvaient pas grand-chose.
Les Américains, expliqua le ministre des Affaires étrangères
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bien plus séduisants que les Frogs*, que Truman détestait
particulièrement, sans parler des Wops. Et ils n'apparte-
naient sûrement pas à la même espèce que les Japs, pure
vermine à écraser, du moins quand ils sont devenus des
ennemis ; avant cette date, les Etats-Unis étaient ambiva-
lents sur les ravages japonais en Asie, du moment que les
intérêts économiques américains étaient protégés.
Les premières victimes du fascisme japonais et de ses
prédécesseurs - la Chine et les colonies japonaises de Corée
et de Formose (Taiwan) - n'ont pas assisté à la conférence
de paix de San Francisco et on ne leur a accordé aucune
attention sérieuse. Les Coréens et les Chinois n'ont reçu
aucune réparation de la part du Japon, pas plus que les
Philippines, absentes elles aussi de la conférence. Le secré-
taire d'État Dulles condamna les “ préjugés affectifs ” des
Philippins qui les empêchaient de comprendre pourquoi ils
ne recevraient aucune compensation pour la terrible épreuve
qu'ils avaient subie. Initialement, le Japon devait payer des
réparations, mais seulement aux États-Unis et aux autres
puissances coloniales, alors que la guerre avait été une
guerre d'agression japonaise en Asie tout au long des années
1930 etn'était devenue une guerre de l'Occident, sous
direction américaine, contre les Nippons qu'après Pearl
Harbor. Le Japon devait aussi rembourser aux États-Unis les
coûts de l'occupation. Quant à ses victimes asiatiques, il
leur paierait des “ indemnités ” sous forme d'exportations
deproduits manufacturés japonais fabriqués avec les
Matières premières d'Asie du Sud-Est, élément clé des
accords, lesquels, en fait, reconstruisaient un système
proche du “ Nouvel Ordre asiatique ” que le Japon avait
tenté de bâtir par la conquête et qu'il obtenait à présent sous
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rêts à ceux qui leur ont à leur avis porté tort et se trouvent
aux États-Unis ”. L'administration Bush est la première à
recommander l'annulation des décisions de justice qui font
respecter l'ATCA. C'est “ une lâche tentative de protéger
les coupables de violations des droits de l'homme aux
dépens des victimes ”, observe le directeur général de
Human Rights Watch, Kenneth Roth 15- notamment quand
les coupables sont des firmes énergétiques, pourrait ajouter
un esprit caustique.
L'ordre tripolaire qui a pris forme à partir du début des
années 1970 s'est affermi depuis, et avec lui les inquiétudes
des stratèges américains sur une possible volonté non seule
ment de l'Europe mais aussi de l'Asie de s'orienter vers plus
d'indépendance. Du point de vue de l'histoire de longue
durée, ce ne serait guère surprenant. Au XVIIIe siècle, la
Chine et l'Inde étaient des centres industriels et commer-
ciaux majeurs. L'Asie orientale était très en avance sur
l'Europe pour la santé publique, et probablement pour le
raffinement de ses systèmes de marché. L'espérance de
vie était peut-être plus élevée au Japon qu'en Europe. L'Angle-
terre essayait de rattraper son retard dans les textiles et
d'autres produits manufacturés en empruntant à l'Inde, par
des méthodes qu'on appelle aujourd'hui de la piraterie et qui
sont interdites dans les accords de commerce internationaux
imposés par les États riches sous le prétexte cynique du
“ libre-échange ” ; les États-Unis ont aussi recouru massi-
vement aux mêmes procédés, comme les autres États qui se
sont développés. Au milieu du XIXe siècle encore, des obser-
vateurs britanniques affamaient que le fer indien était aussi
bon ou meilleur que celui de Grande-Bretagne, et bien
moins cher. La colonisation et la libéralisation forcée ont
rendu l'Inde entièrement dépendante de la Grande-Bretagne.
Elle n'a renoué avec la croissance et mis fin à ses famines
meurtrières qu'après l'indépendance. La Chine n'a été
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CHAPITRE 7
Chaudron de colères
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Ces préoccupations se sont exprimées, de façon plus
détournée, dans la résolution 687 du Conseil de sécurité,
dont Bush et Blair ont fait un usage sélectif dans leurs
efforts pour donner à leur invasion de l'Irak un fondement
presque légal. Ni cette résolution ni aucune autre
ne les autorisait à faire la guerre, mais la 687 exigeait, effective
ment, l'élimination des ADM et des systèmes balistiques
irakiens - comme étape vers “ l'établissement au Moyen
Orient d'une zone exempte d'armes de destruction massive
et de tous missiles vecteurs ” (article 14). Le renseignement
américain et d'autres sources estiment qu'Israël possède
plusieurs centaines d'armes nucléaires et a mis au point des
armes chimiques et biologiques.
Il est d'usage dans les commentaires aux États-Unis
d'ignorer l'article 14, mais pas ailleurs. L'Irak, par
exemple, a demandé au Conseil de sécurité de le mettre en
oeuvre. Ses motivations n'enlèvent rien à l'importance du
problème. Les inquiétudes du général Butler ne sont pas à
négliger. Incontestablement, la puissance militaire d'Israël
va continuer à “ inspirer à d'autres nations ” l'idée de se
doter d'ADM - même à l'Irak, peut-être, si on lui laisse un
minimum d'indépendance.
Le problème qu'aborde l'article 14 avait déjà été posé à la
veille de la première guerre du Golfe. Après avoir envahi le
Koweït en 1990, l'Irak a proposé de se retirer dans le cadre
d'un règlement régional plus large, et a formulé plusieurs
suggestions. De hauts responsables américains les ont fait
connaître par des fuites dans la presse car ils les jugeaient
“ sérieuses ” et “ négociables ”. On ne peut pas savoir si elles
l'étaient ou non, car les États-Unis les ont immédiatement
rejetées, à en croire le seul journaliste qui ait effectué une
enquête approfondie sur le sujet, Knut Royce, de Newsday. Il
n'est pas sans intérêt de rappeler que, dans les derniers
sondages avant les bombardements, deux Américains sur
trois se prononçaient pour une conférence sur le conflit
israélo-arabe si cette initiative conduisait au retrait de l'Irak 3.
Le chiffre aurait sûrement été encore plus élevé si l'opinion
publique avait su que l'Irak venait de faire une proposition en
ce sens, rejetée par Washington. Une guerre dévastatrice et un
après-guerre encore plus destructeur auraient pu être évités,
des centaines de milliers de vies sauvées, et cela aurait peut
être posé les bases d'un renversement de la dictature de
Saddam. Peut-être aurait-on fait progresser l'élimination des
ADM et des systèmes balistiques dans la région et ailleurs,
voire chez les grandes puissances, qui violent depuis trente
ans l'engagement qu'elles ont pris, dans le cadre du traité de
non-prolifération des armes nucléaires, de négocier de bonne
foi pour éliminer leur arsenal atomique. Autant d'enjeux qui
n'ont rien de secondaire.
Bien au-delà des ADM, les capacités militaires d'Israël
sont considérées dans la région comme “ extrêmement
dangereuses ”. Même s'il est un tout petit pays, Israël a
choisi de devenir, de fait, une base militaire et technolo
gique offshore des États-Unis, ce qui lui a permis de se doter
de forces armées très avancées. Le noyau dur de son
économie est un secteur industriel “ high-tech ” lié au mili
taire, en étroite relation avec l'économie américaine. Il n'est
donc guère surprenant que le pays se soit mis à ressembler à
son patron à d'autres égards. “ Israël est à présent le
deuxième pays du monde occidental, après les Etats-Unis,
pour l'amplitude des écarts de revenus, de fortunes, de
capital, d'éducation, de consommation, et pour l'étendue de
la pauvreté ”, conclut une enquête parlementaire de la
Knesset. Son système d'État providence, naguère excellent,
s'est érodé, et ses valeurs socioculturelles ont aussi considé
rablement changé 4
Comme son patron, Israël a une armée disproportionnée
comparée à celles de sociétés similaires. Le chef de la
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En Israël, la grande presse a publié la carte, et souvent fait
le rapprochement avec les bantoustans d'Afrique du Sud d'il
y a quarante ans. L'expérience sud-africaine, expliquent des
commentateurs respectés, a été très sérieusement étudiée
dans les hautes sphères militaires et politiques au cours des
années 1970 et 1980, et aujourd'hui c'est le modèle. Tout
au long des années Reagan, Israël, comme les États-Unis, a
vu dans l'Afrique du Sud un allié précieux.
Après l'échec de Camp David 2000, les négociations ont
continué. Elles ont conduit à des rencontres de haut niveau
(mais officieuses) à Taba (Égypte), en janvier 2001. Il
semble qu'à cette occasion des progrès considérables aient
été faits, même si les problèmes territoriaux majeurs demeu
raient, sous des formes moins extrêmes. Un bon compte
rendu des négociations de Taba est disponible dans un
rapport de l'observateur de l'Union européenne Miguel
Moratinos, qui a été approuvé par les deux parties. Sur les
désaccords fondamentaux, le fossé a été réduit, à défaut
d'être entièrement comblé. Pour la Cisjordanie, il y a eu
accord de principe sur la base du consensus international
éprouvé, la frontière internationalement reconnue avec des
“ ajustements mineurs et mutuels ”, désormais pas si
mineurs que cela en raison des programmes de colonisation
et d'infrastructure israéliens soutenus par les États-Unis,
programmes qui, on l'a dit, avaient connu une expansion
rapide tandis que le processus d'Oslo suivait son cours large
ment prévisible. Les négociateurs palestiniens de Taba ont
accepté l'intégration à Israël des colonies post-Oslo établies
autour de la ville de Jérusalem, considérablement étendue,
mais ils ont réclamé un échange territorial sur la base du “ un
contre un ” - avec le soutien de certains faucons israéliens,
heureux de se voir offrir une occasion de transférer des
Arabes israéliens hors du pays et d'atténuer ainsi le
“ problème démographique ” tant redouté : trop de non juifs
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Immédiatement après la visite de Colin Powell en Israël
pour discuter de la feuille de route avec le Premier ministre
Sharon, celui-ci a fait savoir à la presse que, lorsque le mur
continuerait au sud de Qalqilya, il tournerait loin à l'est pour
englober les colonies israéliennes d'Ariel et d'Emmanuel : il
séparerait donc en partie l'enclave palestinienne du nord de
celle du centre par un saillant de colonies et d'infrastruc
tures israéliennes, comme dans le plan Clinton-Barak à
Camp David. On ne peut douter que la seconde extension,
plus importante, du territoire israélien prévue par le plan
Clinton-Barak, qui sépare l'enclave du centre de celle du
sud, sera aussi intégrée de facto à Israël d'une façon ou
d'une autre. Et il est fort probable aussi que les localités
israéliennes qui resteront hors du mur conserveront leur
statut actuel de parties intégrantes d'Israël de facto, reliées à
son territoire par de vastes infrastructures, protégées par les
Forces de défense et libres de s'étendre sur le territoire qui
leur est alloué tant qu'un ordre contraire ne sera pas tombé
d'en haut.
La très informée Sara Roy de l'université Harvard écrit
- sur la base de sources internes - que la Banque mondiale
“ estime à environ 232 000 personnes vivant dans 72 locali-
tés la population touchée ” par la première phase, septen-
trionale, de la construction du mur, “ dont 140 000 vivent à
l'est du mur mais se trouvent de fait encerclées par son tracé
sinueux ” ; achevé, “ il pourrait isoler jusqu'à 250 000 ou
300 000 Palestiniens ” et annexer “ jusqu'à 10 % de la Cis
jordanie à Israël ”. Sara Roy suggère aussi que “ l'objectif
du mur [pourrait être] de délimiter et d'encercler les 42%
(ou moins) de la Cisjordanie que Sharon s'est dit prêt à
céder à un État palestinien ”. Si c'est le cas, celui-ci a peut
être à l'esprit un plan proche de celui qu'il a proposé en
1992: le centre de gravité de la classe politique s'est
déplacé si loin vers le pôle nationaliste extrémiste que ce qui
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humiliant. À l'époque, cette tactique s'était révélée plutôt
payante, comme par le passé 56.
En décembre 1982, après un débordement de terrorisme
et d'atrocités de la part des colons et des Forces de défense
dans les territoires - débordement qui choqua même des
faucons en Israël -, un éminent spécialiste universitaire
israélien des questions militaires a souligné les risques, pour
la société israélienne, d'une situation où 750 000 jeunes qui
ont servi dans les Forces de défense “ savent que la tâche de
l'armée n'est pas seulement de défendre l'État sur le champ
de bataille contre une armée étrangère, mais aussi de priver
de leurs droits des innocents pour l'unique raison que ce
sont des Araboushim vivant dans des territoires que Dieu
nous a promis ”. Le principe de base avait été formulé dans
les premières années de l'occupation par Moshe Dayan.
Israël, avait-il suggéré, devait dire aux Palestiniens des terri
toires : “ "Nous n'avons pas de solution. Vous continuerez à
vivre comme des chiens, et tous ceux qui veulent s'en aller
peuvent le faire." Et nous verrons bien où cela nous
mènera56. ” Mais les Palestiniens sont restés, en samidin*,
subissant et ripostant peu.
Avec la seconde Intifada, ce fut différent. Cette fois, les
ordres d'écraser implacablement les Palestiniens et de leur
apprendre “ à ne pas relever la tête ” ont déclenché une
escalade de la violence, et elle a débordé en Israël, qui a
perdu l'importante immunité aux représailles venues de
l'intérieur des territoires dont il bénéficiait depuis plus de
trente ans d'occupation militaire. Faisant écho aux inquié
tudes exprimées vingt ans plus tôt, un éditorial du plus
grand quotidien d'Israël en conclut
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CHAPITRE 8
Terrorisme et justice
quelques vérités premières
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