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d'Extrême-Orient
Fussman Gérard. Bernard Sergent : Genèse de l'Inde. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 85, 1998. pp.
476-485;
doi : 10.3406/befeo.1998.2580
http://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1998_num_85_1_2580
védiques et brahmaniques pouvant expliquer l'iconographie des images hindoues les plus
anciennement connues avec des aperçus très pénétrants sur le symbolisme des nombres, sur la
relation existant entre Rudra et Šiva, sur l'importance du concept de Purusa, etc. Vient ensuite
un excellent catalogue commenté des représentations. Il ne s'agit pas d'un simple répertoire
d'images. Celles-ci sont classées, religieusement et géographiquement, très finement décrites,
bien commentées, souvent redatées et mises en rapport les unes avec les autres. Mme
Srinivasan montre de façon tout à fait convaincante qu'il ne faut pas chercher l'explication des
images à têtes et paires de bras multiples dans un lointain héritage harappéen. Il s'agit d'un
héritage védique dont elle retrouve les traces, à chaque fois modifiées, dans les Bràhmana, les
Upanisad, l'Épopée et les Âgama. Il y a là non seulement une histoire des formes, mais aussi
une histoire du culte et des concepts s 'appuyant sur une connaissance des objets et de la
bibliographie véritablement exceptionnelle '. Le lecteur choisira donc soit d'expliquer les
formes à partir des textes, comme le fait Mme Srinivasan, soit d'accentuer le décalage parfois
perceptible entre textes et formes pour définir et dater, grâce à des images qui furent et sont
parfois encore des objets de culte, des conceptions religieuses que l'idéologie brahmanique fait
explicitement siennes à partir des Puràna seulement. Il est désormais impensable de parler
d'hindouisme ancien sans consulter ce livre. Traitant apparemment d'iconographie, Many
Heads, Arms and Eyes est surtout et peut-être d'abord un très beau livre d'histoire de l'art et
d'histoire des religions, magnifiquement pensé et magnifiquement écrit.
Gérard FUSSMAN
Bernard SERGENT, Genèse de l'Inde, Paris, Payot, Bibliothèque scientifique, 1997, 584 p.
Le compte rendu qui va suivre pourra paraître un peu long. Mais le livre de M. Sergent est
lui-même long, touche à de nombreux sujets et traite de plus de dix mille années d'histoire du
sous-continent indien sans s'interdire les échappées vers l'Afrique, l'Indochine et surtout
l'Asie centrale et le Proche-Orient. Je ne crois pas qu'il fasse date. Je pense même qu'il sera
vite oublié. Mais l'ample vision de son auteur, son courage, son incontestable érudition, en
font un livre dont on ne peut rendre compte en quelques lignes. Le danger est en effet que le
lecteur non spécialiste (et ce livre aborde tant de points divers que nous sommes tous, à
certains moments, des non-spécialistes), impressionné par tant d'assurance et de science dont il
ne peut déceler ni les lacunes ni les approximations, ne croie les problèmes résolus. Au moins
dispose-t-il d'un point de comparaison, le compte rendu du séminaire que j'ai consacré à ce
même sujet en 1988-1989 et qui est, de l'aveu même de M. Sergent (p. 152), en partie à
l'origine de son livre 2. Il y verra qu'abordant des questions fort complexes, j'avais pris soin de
m'entourer de spécialistes et que j'étais resté fort prudent dans mes formulations. M. Sergent
ne s'est pas entouré de tant de précautions.
Pourtant, résumées en quelques lignes, les thèses de son livre n'ont rien de très
révolutionnaire ni de très choquant. L'Inde a été peuplée de populations de langue dravidienne
1. J'ajouterais cependant quelques titres à cette très belle bibliographie de onze pages à typographie
serrée : la publication définitive de Surkh Kotal (Schlumberger-Le Berre-Fussman, Surkh Kotal en Bactriane,
Paris 1983), à laquelle il convient de renvoyer plutôt qu'à mon article de Mathurâ, the Cultural Heritage, et
surtout D. Schlumberger, « Coiffures féminines similaires à Rome et dans l'Inde », Mélanges Piganiol, Paris
1966, p. 587-595, paru en anglais sous le titre de « The Didarganj Chauri-Bearer, A View-Point », Lalit Kalà,
23, 1988, 9-14, qui aurait dû être cité p. 304 note 1.
2. « L'entrée des Àryas en Inde », Annuaire du Collège de France 1988-1989, p. 514-530. Il s'agit d'un
séminaire et non d'un « colloque » comme indiqué par M. Sergent, qui est coutumier de pareilles
approximations, souvent plus graves. Le lecteur un peu au fait de la transcription des langues orientales en verra
de fort étonnantes dans le tableau de la convention « internationalisée » {sic) des pages 12-13.
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parlé par moins d'un tiers des Afghans ; les villes parlent surtout persan. Il est répandu
principalement dans les zones montagneuses de l'est du pays et déborde sur le Pakistan. Des
innombrables langues iraniennes du Pamir, qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer, l'une, le
yagnâbî, est l'unique survivant d'un parler sogdien ; (sic) un dernier parler, l'ormurî, est parlé
à la fois en Afghanistan au sud de Kaboul, au Pakistan à peu près à la même latitude et
jusqu'en Inde proprement dite » (p. 28 avec référence à Vendryès et Benveniste, Les langues
du monde, 1952, p. 25-35). <Des Iraniens> « suivaient d'ailleurs de près les Indiens, on Га
signalé plus haut pour des raisons linguistiques : une des tribus combattues par Sudâs était
celle des Paktha, dont le nom rappelle de près celui des Pakhtun, c'est-à-dire des Afghans »
(p. 241, avec quatre références). En lisant moins vite Les langues du monde, en utilisant le
tome Iranistik du Handbuch der Orientalistik (I, IV, 1, paru en 1958) et I. M. Oranskij, Les
langues iraniennes, Paris 1977, M. Sergent aurait dû et pu écrire à peu près ceci.
La langue appelée pastô à Kandahar, paxtô à Peshawar, est l'une des langues officielles de
l'Afghanistan. C'est essentiellement la langue des tribus dites afghanes, ou pathanes, ou
pachtounes (pashtun). En 1976 elle était parlée par environ 20 millions de personnes, moitié en
Afghanistan, surtout dans ses provinces méridionales et orientales, moitié dans le Nord-ouest
du Pakistan et à Karachi. Depuis 1978, il y a sans doute beaucoup plus de locuteurs du pastô
au Pakistan qu'en Afghanistan. Cette langue a des affinités avec le bactrien et les dialectes du
Pamir, c'est pourquoi on la croit originaire du nord-est de l'Afghanistan actuel. L'étymologie
de pašt-б proposée à la fois par Tedesco et Morgenstierne < pars- permet de rapprocher ce mot
du nom d'une antique tribu d'Iran oriental, les Parsioi. Mais il s'agit d'un nom fort courant :
c'est aussi le nom des Perses et celui d'une tribu indo-aryenne, les Paršu, dont le chef
s'appellait Páršava. Des considérations phonétiques interdisent de rapprocher pastô/paxtô de
Rg-Veda Paktha et du nom de la Paktuikë connu d'Hérodote. Le yaghnobi (sic), qui prolonge
le sogdien, n'est pas un dialecte pamirien. Ceux-ci sont au nombre de dix, nombre que l'on
peut réduire à quatre en tenant compte de la proximité dialectale. L'ormuri, qui n'est pas non
plus une langue pamirienne, était vers 1960 mourant à Baraki-Barak, près de Caboul, le seul
village d'Afghanistan où on le parlât encore. On ne sait pas combien d'Ormurs parlent encore
cette langue à Kanigram au Pakistan. On trouve (trouvait ?) ailleurs en Afghanistan et jusqu'à
la frontière indo-pakistanaise (Jallandar au Panjab indien) des Ormurs qui depuis des
générations ont complètement oublié l'ormuri. Cette diffusion, réduite à quelques groupes
d'individus, ne doit pas faire illusion : la région d'origine de l'ormuri est probablement la
région de Caboul. Kanigram étant un toponyme darde, l'arrivée d'Ormurs doit y être
relativement récente. La présence ancienne de langues dardes, du pastô et de langues
indoaryennes (hindkô, panjabi) dans ces territoires interdit de supposer une grande extension de
l'ormuri dans ce qui est aujourd'hui le Pakistan et a fortiori en République indienne.
Autre exemple, également choisi pour ses contradictions internes et parce qu'il vient à
l'appui d'une des thèses majeures du livre. « ... l'influence du mundâ paraît avoir été
supérieure à celle du dravidien sur le plus vieil indien, et un trait frappant est que les Indo-
Ârya, découvrant l'éléphant — a priori dans la civilisation de l'Indus, où il est bien attesté — ,
ont emprunté son nom, non pas au dravidien, mais à une langue austro-asiatique, certainement
un rameau du munda... <Mais> l'influence du munda sur le sanskrit védique était tout de
même.. .faible — et, vu l'âge respectif des attestations des langues (le védique très
anciennement, le munda, seulement au XIXe siècle !), finalement très discutable » (p. 136-
137). « ...L'éléphant... apparaît dans le Rg-Veda comme bête sauvage (mrga) à main (hastin) :
on voit que les Indiens rg védiques connaissaient à peine les animaux de la plaine du Gange...
L'ignorance de l'éléphant domestique, qui existait dans l'Indus harappéen, et celle du riz,
connu dans l'extrême-sud de la civilisation de l'Indus, attestent que ces Indiens-là sont arrivés
en Inde après la chute de la civilisation de l'Indus » (p. 241).
La consultation de deux dictionnaires (anglais-sanskrit et KEWA de Mayrhofer auquel il
renvoie souvent) aurait permis à M. Sergent de voir que le sanskrit possède une vingtaine de
mots pour désigner l'éléphant, dont beaucoup sont descriptifs (« celui qui a comme un
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bras/une main; celui qui boit deux fois »). Les textes les plus anciens, dès le Rg-Veda, ne
connaissent que des termes créés à partir de mots d'origine indo-européenne : hastin-, nâga-,
ibha-, dvipa-, kara-, karabha-, karenu-, etc.1 Les mots austro-asiatiques auxquels M. Sergent
fait allusion apparaissent plusieurs centaines d'années après hastin- et nâga- et leur etymologie
est discutée : ce sont gaja-, d'origine austro-asiatique ou dravidienne, avec des descendants en
hindi et gujarati et mataňga-, màtanga-, d'origine austro-asiatique restituée, sans descendant
moderne dans les langues indo-aryennes. Tous ces mots, sans exception aucune, désignent
aussi bien l'éléphant domestique ou de guerre que l'éléphant sauvage, facilement domestiqué.
Quant au nom du riz, aussi curieux que cela puisse paraître, il est incontestablement
indoiranien (Fussman, Atlas linguistique des parlers dardes et kafirs, t. П, p. 262). Bref, aucun des
deux paragraphes — contradictoires — de M. Sergent ne correspond à la réalité. Les
conclusions qu'il en tire ne sont pas davantage fondées.
Je pourrais multiplier ce type de réécriture. M. Sergent néglige les nuances des textes qu'il
cite. Un « possibly » devient « précisément » comme dans le passage suivant: « Au débouché
de <la passe> de Bolan se trouve Pirak, le plus ancien site attribuable à des Indo-Ârya en Inde,
et une des dix tribus que doit affronter Sudâs se nomme les Bhalanases (en fait Bhalánás, qui
est déjà un pluriel, G. F.), nom qui évoque précisément cette passe de Bolan. Phénomène
intéressant : ces Bhalanases peuvent être les gens de Pirak qui, eux, connaissaient le riz. Leurs
adversaires l'ignoraient encore... » (p. 242). Le mot « environ » saute, ce qui lui fait recopier
sans sourciller que Г aňgula de Kautilya mesure 17,86 millimètres (p. 1 13) : cette fois-ci le mot
« précisément » est implicite.
Le raisonnement surprend aussi. Ce qui paraît tellement évident à M. Sergent qu'il lui
suffit de l'énoncer ne me paraît pas toujours aller de soi. En voici deux exemples caricaturaux,
mais aux conséquences importantes. « Les données d'ordre religieux confirment entièrement
cette provenance <proche-orientale> des fondateurs de la culture néolithique du Béloutchistan.
Mehrgarh a fourni, dans ses couches les plus anciennes et les suivantes, un nombre
considérable de statuettes féminines puis, à partir du -VIe millénaire, des figurines de bovidés
(en l'espèce, de zébu) 2. Or le couple (divin) formé par une femme et un taureau est le thème
iconographique dominant, on l'a dit, de toutes les cultures du Proche-Orient depuis le -Xe
millénaire ... Il caractérise de même tout le Béloutchistan jusqu'à l'Indus, alors qu'il est absent
des cultures préhistoriques indiennes appartenant à d'autres traditions culturelles » (p. 147).
« Les masses d'armes <bactriennes> en pierre, en forme de long bâton renflé (les
« sceptres » d'autres auteurs) rappellent les massues indo-iraniennes... <En effet> plusieurs des
masses bactriennes ont une extrémité terminée en biseau, et l'une est en forme de sabot
d'animal. Or en iranien (langue qui n'existe pas, G. F.), la massue se dit gurzi gâvyânî,
« massue à tête de bœuf», et on connaît la description d'un objet correspondant à cette
dénomination dans le temple parsi du Feu de Wadiaji, près de Bombay » (p. 162). Ces
arguments laissent tellement rêveur qu'il n'est pas besoin de les commenter. Je me contenterai
donc de signaler au lecteur qui n'a jamais vu et encore moins manié ces objets que ceux-ci sont
nécessairement des pièces d'apparat et peuvent difficilement ^tre utilisés comme armes:
1. hastin-, « qui a <un nez pareil> à un bras », création métaphorique de date indienne à partir d'un mot
indo-européen, est attesté dès le Rg-Veda. La plupart des noms i-a contemporains de l'éléphant en dérivent.
Nàga-, création métaphorique indienne à partir du nom probablement indo-européen du serpent, est attesté
depuis les Brâhmanas ; seul le cinghalais a conservé trace de ce mot. Ibha-, apparenté aux mots grec et latin
désignant l'ivoire (commune origine africaine ?), est attesté depuis le Nirukta (c. Ve siècle av. J.-C.) et conservé
en cinghalais seulement. Dvipa-, création descriptive indienne (« celui qui boit deux fois »), attesté depuis le
Mahàbhàrata, n'a aucun descendant moderne. Kara-, karabha-, d'origine discutée, sont peut-être dérivés du
nom i-a de la main ; ils sont attestés un peu plus tard et conservés dans ce sens en cinghalais seulement.
Karenu-, peut-être apparenté aux précédents, est attesté depuis le Mahàbhàrata et conservé en cinghalais.
2. Donc des figurines tout à fait séparées, même chronologiquement, et dont la signification cultuelle est au
mieux hypothétique, G. F.
On sait que des documents de Mitanni gardent trace de mots et noms propres indo-aryens,
dont ceux de la fameuse triade dumézilienne : Mitra-Varuna, Indra, les Nâsatya. Ceci est
assuré depuis longtemps, même si le traitement qu'en fait M. Sergent est largement biaisé
(infra). Mais personne jusqu'à lui n'avait osé en tirer la conclusion suivante : « <Ces>
parallélismes... ont une portée essentielle pour l'histoire de l'Inde et de ses textes : les hymnes
du Rg-Veda ont été composés à la même époque que les conquêtes des maryannu- indo-ârya
dans le Proche-Orient. Par elles, les hymnes du Rg-Veda, en tout cas les plus anciens d'entre
eux, sont datés : la séparation entre ces Indiens et ceux qui partaient à la conquête de l'Inde
remontent (sic) (au moins) au -XVIIF siècle, c'est de cette époque qu'il faut dater les premiers
hymnes védiques » (p. 208, repris sous une autre forme p. 218). Si les hymnes védiques étaient
nécessairement contemporains des formules qui y sont employées, ils seraient encore bien plus
anciens, puisqu'on y trouve des formules de date indo-européenne ! Or cette datation des
hymnes, qui n'est pas davantage justifiée bien qu'elle vieillisse le Rg-Veda d'au moins 500 ans
par rapport aux dates (très hypothétiques, il est vrai) communément admises, est capitale pour
la thèse de M. Sergent : elle lui permet de déclarer que les Indo-Aryens sont à peu près
contemporains de la civilisation de la Bactriane-Margiane et de la fin de la civilisation
harappéenne '. Autrement ses hypothèses, qui sont le cœur et la nouveauté du livre, se
heurteraient à une impossibilité chronologique. Cela n'empêche d'ailleurs pas M. Sergent de
se contredire légèrement quelques pages plus loin : « Les Indiens du Proche-Orient témoignent
d'un état théologique intermédiaire entre la théologie iranienne et la théologie védique »
(p. 211).
Lorsque M. Sergent argumente davantage, et fort heureusement c'est souvent le cas, sa
manière de conduire la discussion est au moins ambiguë. Il résume de façon détaillée, et avec
des formules approbatives, des articles et ouvrages qui vont dans le sens de ses thèses, mais
qui sont généralement contestés, Mlle Homburger et les Upadhyaya pour les rapprochements
entre langues africaines et langues dravidiennes, M. Menges, que le titre de son article « le
nostratique oriental : l'altaïque et le dravidien » suffit à déconsidérer aux yeux de tout linguiste
comparatiste 2, M. A. Parpola, etc. Puis à la fin de ce très long résumé, il indique en quelques
mots que ces travaux sont peut-être contestables. Mais le bien est fait : tous les faits invoqués,
même à tort, vont à l'appui de sa thèse. Ainsi les rapprochements contraires à toute méthode
entre quelques traits d'un hypothétique dravidien restitué remontant au premier millénaire
av. J.-C. et quelques mots de dialectes africains contemporains sont-ils précédés d'une phrase
pour le moins élogieuse (« les points communs relevés par Lilias Homburger et ses
successeurs sont en effet frappants et d'une qualité qui exclut le hasard », p. 52), puis
longuement cités (p. 52-57), complétés par des parallèles culturels (la musique, la forme de
l'habitation) et entrecoupés de formules d'approbation (« correspondances séduisantes »,
p. 56). Deux phrases, écrites comme en passant, viennent bien suggérer au lecteur que la
méthode même est sujette à caution (p. 54), mais en Europe seulement (« c'est sans doute
l'une des raisons de la méfiance pour ces travaux de ce côté-ci de la Méditerranée », p. 57).
L'impression première subsiste : il doit bien y avoir du vrai dans ces rapprochements qui, en
outre, confirment les résultats déclarés incontestables de l'« anthropologie biologique » et du
« calcul multivarié » des dimensions crâniennes. Je me suis toujours méfié des conclusions
historiques des « anthropologues physiques » car les caractéristiques physiques d'un groupe
humain donné peuvent évoluer très rapidement sauf s'il s'agit d'un isolât. Mais ce n'est pas là
1. M. Sergent a aussi oublié que le serment mentionnant Mitra-Varuna, Indra et les Nàsatya, qui seul
évoque — mais de très loin — les hymnes védiques, est, de son propre aveu, daté de с 1325 avant notre ère,
soit du XIVe siècle, pas du XVIIIe siècle.
2. Je dois avouer que je n'ai pas lu M. Menges : je ne connais ni l'ouralo-altaïque ni le dravidien. Mais si
j'en crois les passages que cite M. Sergent, M. Menges commet d'énormes erreurs de méthode et utilise de
travers les données du burushaski. J'en déduis soit que M. Menges écrit des énormités, soit que M. Sergent les
lui attribue.
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Comptes rendus 481
1. C'est évidemment à dessein que je n'emploie pas ici le mot « russe », ou « ouzbek » ou « tadjik ». La
situation a changé, et ce sont d'autres parallèles que l'on mettrait aujourd'hui en valeur.
2. J. Gonda, Change and Continuity in Indian Religion, Disputationes Rheno-Trajectinae IX, Amsterdam
1965, réimpression Delhi 1997, soit 484 pages expressément consacrées à ce sujet. D. Srinivasan, « Unhinging
Šiva from the Indus Civilization », JRAS 1984, 77-89.
3. Voir mon résumé dans Y Annuaire du Collège de France 1988-89, p. 518-519.
suffit de lire les textes originaux, à l'aide des traductions de Geldner et de Renou, pour
s'apercevoir qu'ils témoignent de conceptions religieuses qui, pour être de lointaine origine
indo-européenne, n'en coïncident pas pour autant avec le système de croyances
indoeuropéennes que restituait G. Dumézil. Celui-ci en était d'ailleurs parfaitement conscient, plus
en tout cas que M. Sergent ; il savait qu'il procédait, grâce à la méthode comparative, au
repérage d'éléments archaïques dont les Indiens, dès l'époque du Rg-Veda, ne comprenaient
plus véritablement la signification. Quoi qu'il en soit, peut-on pousser le respect du maître
disparu juqu'à dissimuler des informations importantes, comme dans le passage qui suit ? « En
1945, Dumézil a montré que les six Entités soumises à Ahura Mazdâ se répartissaient sur les
trois fonctions. Et Xsathra Vairya est l'Entité qui répond exactement à la place occupée ... par
le dieu de la guerre.. .<La valeur guerrière du terme> subsiste cependant, d'après l'analyse
qu'en a faite Benveniste, dans un passage célèbre des Gâthâ, ce que l'on appelle la "Plainte de
l'âme du bœuf, vigoureuse protestation de Zarathuštra contre le sacrifice animal... » (p. 265).
Depuis 1945, plusieurs traductions et commentaires des Gâthd ont paru. Il est désormais
impossible de croire à l'existence d'un système ternaire de six Entités : elles sont bien plus
nombreuses que cela, et bien moins ordonnées. La « Plainte de l'âme du bœuf» est un texte
célèbre et difficile. Que M. Sergent ne connaisse pas toutes les interprétations qui en ont été
proposées est admissible. Mais puisqu'il remercie p. 15 M. J. Kellens, on s'attendrait à ce qu'il
ait au moins consulté la traduction et le commentaire que celui-ci en a donnés1. Il y aurait vu
que, contrairement à l'interprétation d'É. Benveniste, ce texte pourrait bien être une
justification religieuse du sacrifice du bœuf. Que M. Sergent préfère l'interprétation de
G. Dumézil et celle, légèrement différente, d'É. Benveniste à celle de M. Kellens est légitime.
Mais alors, qu'il le dise et se justifie. Sinon, quelle confiance peut-on faire à des
démonstrations qui s'appuient sur la dissimulation consciente des données qui les nient ?
Nos études n'ayant guère de portée pratique et valant plus par le raisonnement et la
méthode qui les sous-tendent que par leur résultat, je pourrais m'arrêter là et dire que les
défauts du livre rendent ses conclusions nulles et non avenues. Mais la culture très réelle de
M. Sergent et sa vision neuve des faits ont pu le mener à des intuitions qui, exposées avec plus
de rigueur, seraient tout à fait séduisantes. Examinons donc celles de ses grandes thèses sur
lesquelles mes connaissances me permettent d'avoir un avis.
L'une des thèses de M. Sergent est que la civilisation harappéenne ne doit rien à l'Inde
dravidienne et qu'on ne peut prouver que la langue des Harappéens ait été une langue
dravidienne. Depuis les découvertes de M. Jarrige à Mehrgarh et les études de M. Elfenbein
sur le brahui, ces conclusions sont tout à fait légitimes. Mais elles sont un peu forcées : on ne
peut pas prouver que la langue des Harappéens ait été une langue dravidienne, mais on ne peut
pas non plus prouver le contraire car de cette langue, nous ne savons rien. Reprenons la-
conclusion de M. Sergent. « En somme et en conclusion : Г la langue dominante de l'Indus, si
elle était dravidienne, n'est certainement pas l'ancêtre d'une des langues dravidiennes
actuelles, la civilisation dravidienne la plus anciennement discernable par l'archéologie ne
devant à peu près rien à celle de l'Indus ; 2° cette langue de l'Indus est vraisemblablement à
l'origine de certains phénomènes phonétiques de l'Inde, à savoir l'existence des consonnes
rétroflexes; 3° elle peut à la rigueur avoir été la langue ancestrale des Burušo ; 4° on a
certainement parlé dravidien dans la partie méridionale du territoire de l'Indus, où la présence
dravidienne paraît s'être fortement exprimée sur le plan religieux. Ces Dravidiens-là ne sont
donc pas les ancêtres directs des Dravidiens actuels ; ils ont été submergés par les conquérants
indo-ârya, et leurs descendants sont inclus dans les habitants actuels du nord-ouest du
subcontinent indien » (p. 140).
1. J. Kellens et E. Pirart, Les textes vieil-avestiques, I, Wiesbaden 1988, 107-110 ; III, Wiesbaden 1991,
29-41. J. Kellens, « Qui est Gaus Tašan? », Proceedings of the Second Conference of Iranian Studies, Roma
1995, 347-357.
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Comptes rendus 483
On remarquera que le raisonnement qui sous-tend le 1° ferait nier que les Canadiens
parlent des langues (fort) apparentées à l'anglais et au français parce qu'au XVIIe siècle leurs
cabanes de rondins et leurs vêtements de peau de bête n'évoquaient en rien les belles maisons
et les vêtements de soie de Londres et Paris. Le même argument, d'ailleurs, permettrait aussi
de réfuter la principale thèse de M. Sergent, l'identité linguistique et ethnique de la population
bactro-margienne et des Indo-aryens, puisque l'on peut considérer que la civilisation matérielle
de ces derniers était moins avancée que celle des premiers {infra). En ce qui concerne le 2° et
le 3°, comment peut-on attribuer de tels effets à une langue dont M. Sergent lui-même dit
qu'on n'en connaît pas la nature ? Quant au 4°, il repose sur une confusion inconsciente entre
langue et race. Qu'elle soit générale n'est pas une excuse. J'ajouterai, pour l'amusement des
indianistes, que la preuve que l'on a parlé dravidien au sud du territoire de l'Indus est donnée
par l'existence de toponymes en °nagar, °pali et °kot dans le Sindh (sic, p. 50) et du nom de
rivière Kali Sindh au Malwa (sic, p. 52) l.
La deuxième grande thèse est l'attribution de la civilisation bactro-margienne aux Aryens,
plus précisément aux Indo-aryens. M. Sergent s'appuie sur une grande masse de parallèles
archéologiques, les uns (en général iraniens) empruntés à des archéologues contemporains,
d'autres (en général plus anciens, indo-européens) de son invention (au bon sens du terme). Je
ne discuterai pas la validité de ces parallèles. Tous ne sont pas aussi étonnants que celui cité
plus haut (les masses d'armes de pierre). Quelques-uns le sont pourtant. Admettons que tous
ces parallèles soient fondés. Comment expliquera- t-on que les archéologues de renom, par
exemple MM. Jarrige et Francfort, qui les connaissaient, ou les védisants qui s'intéressent à
ces problèmes, par exemple MM. Witzel et Falk, n'en aient pas tiré les conclusions qu'en tire
M. Sergent ? La réponse est simple. Il y a d'abord des difficultés chronologiques qui tiennent à
l'écart entre les dates supposées de la civilisation bactro-margienne et celles de la composition
des hymnes du Rg-Veda. Le caractère hypothétique et parfois fort variable de ces datations
n'enlève rien à la difficulté chronologique, sauf à penser avec le seul M. Sergent (supra) que
1800 ans avant notre ère, l'essentiel du Rg-Veda était déjà composé. L'autre difficulté est une
application du principe ancien que les arbres ne doivent pas cacher la forêt. La multitude de
parallèles invoqués par M. Sergent ne peut aller contre le fait que le Rg-Veda et l'archéologie
indienne nous donnent de la civilisation matérielle des Indo-aryens (je devrais dire : des
locuteurs de langues indo-aryennes) une image d'ensemble très différente de celle que les
archéologues restituent pour la civilisation bactro-margienne. Cette dernière est une
civilisation urbaine, pacifique, utilisant largement le bronze, reposant sur une agriculture
sophistiquée artificiellement irriguée et où le culte se rend dans des temples construits. Le Rg-
Veda évoque un peuple de pasteurs et de guerriers tenant en piètre estime l'agriculture,
ignorant ou méprisant les villes, utilisant le bronze surtout pour les armes et pratiquant des
cultes aniconiques de plein air. Même en tenant compte du caractère métaphorique ou
nostalgique de certains hymnes védiques, même en soulignant que des textes d'inspiration
religieuse ne sont pas des descriptions de la vie matérielle réelle, on ne peut concilier ces deux
images, sauf à invoquer une régression spectaculaire que M. Sergent, ajuste titre, nierait. Cette
régression aurait d'ailleurs ceci de particulier qu'elle nous ramènerait à des temps antérieurs à
la civilisation bactro-margienne puisque les données matérielles du Rg-Veda ne diffèrent guère
de celles de l'Avesta. L'impossibilité est patente : les porteurs de la civilisation bactro-
margienne ont probablement vécu en contact avec des populations pré-védiques de langue
indo-aryenne ; on peut même supposer, sans preuves mais sans scandale, qu'ils parlaient une
langue indo-européenne ; mais il est impossible d'affirmer que ce sont les ancêtres des Indiens
1. Ce qui n'ôte rien au fait que l'on peut raisonnablement estimer, mais pour de tout autres raisons, que
l'on a parlé dravidien au sud de l'Indus.
védiques. N'étant pas moi-même védisant, je me contenterai de renvoyer sur ce point à l'article
ancien, bien qu'il vienne de paraître, de M. H. Falk \
J'accorde très volontiers à M. Sergent, et à G. Dumézil que le plus souvent il résume, que
la religion védique soit riche en éléments d'origine indo-européenne. Je ne le chicanerai pas
sur le détail des faits ou des interprétations proposées. Mais son exposé n'indique pas assez à
quel point cette religion a été réorganisée au cours de sa longue histoire pré-indienne et
indienne. M. Sergent ne semble d'ailleurs pas connaître les études, parfois anciennes, de
M. Heestermann ou de M. Falk montrant qu'il y a des courants divers et parfois opposés dans
ce qu'on appelle le védisme, ou s'il les connaît, il ne les utilise pas. Le chapitre qu'il consacre
à « la formation d'une culture » est en fait une liste de noms de dieux et de cérémonies. On est
très loin des principes énoncés par G. Dumézil en 1947 : « il faut étudier les dieux les uns par
rapport aux autres, repérer et interpréter leurs groupements habituels, c'est-à-dire dessiner les
limites de leurs domaines respectifs, avant d'entreprendre la monographie de chacun
d'eux 2 » . Quant aux deux découvertes du chapitre, l'origine indo-européenne de la déesse Sri
comparée à Aphrodite et celle de Šiva comparé à Dionysos (p. 319-324), elles n'ont pas de
force probante car, comme l'a enseigné plusieurs fois G. Dumézil lui-même 3, le repérage d'un
même phénomène dans deux sociétés héritières des croyances indo-européennes, mais
éloignées (par exemple Rome et l'Inde), est une présomption d'origine commune ; mais cette
communauté d'origine peut être tenue pour démontrée seulement si l'on peut alléguer
l'existence d'un phénomène analogue dans une troisième société, apparentée mais éloignée
(par exemple chez les Germains ou les Scandinaves). Je n'ai pas d'opinion établie sur Sri. Il
me semble que les rapprochements faits avec Aphrodite (belle déesse de l'amour et de la
volupté, sortie de l'eau) admettent aussi une explication par l'analogie. Pour reprendre les
termes mêmes de G. Dumézil, Sri n'apparaît pas dans les mêmes groupements qu'Aphrodite.
Je puis me tromper, n'étant pas spécialiste en ce domaine. Je ne suis pas non plus spécialiste
du shivaïsme. Mais on a tant écrit ces dernières années sur Šiva et sur le tantrisme (ce qui n'est
pas du tout la même chose) que je puis me permettre de dire à M. Sergent que quatre pages
(321-324), dont l'une remplie par un hymne de sa composition (sic), c'est peu pour un sujet si
discuté, et depuis si longtemps. Car contrairement à ce qu'écrit M. Sergent 4, la bibliographie
du sujet est immense puisque les Grecs donnaient le nom de Dionysos à un dieu indien, par
exemple Arrien, L'Inde, VII, citant Mégasthène. Il n'est pas un historien de l'Inde ancienne qui
n'ait commenté ce passage. En fait, il y a trois problèmes. Quel est le nom indien du dieu que
les historiens d'Alexandre, puis Mégasthène appellent Dionysos ? Šiva serait un bon candidat
si Mégasthène ne lui attribuait pas des caractéristiques non attestées pour Šiva et si le culte de
Šiva n'était pas caractérisé par des traits fort importants que Mégasthène ne semble pas
connaître. Deuxième problème : le culte de Šiva est-il un culte dionysiaque ? Tout dépend de
ce que l'on définit comme culte dionysiaque et de l'importance que les historiens des religions
indiennes accordent à la danse et aux rites tantriques dans le shivaïsme. Pour l'instant, c'est
encore affaire d'opinion, mais l'on a beaucoup travaillé depuis quelques années sur le
shivaïsme et je connais peu d'indianistes qui feraient de l'érotisme, de l'ivresse, de la danse et
de la transgression, l'essentiel du shivaïsme. Enfin, il y a le problème tout différent du rapport
de Šiva à Rudra, de sa présence ou non dans le système de croyances védique et, plus loin dans
1. Harry Falk, « The Purpose of Rg-Vedic Ritual », Inside the Texts, Beyond the Texts, New Approaches to
the Study of the Vedas, Proceedings of the International Vedic Workshop, Harvard University, June 1989, edited
by Michael Witzel, Department of Sanskrit and Indian Studies, Harvard University, Cambridge (USA) 1997,
69-88.
2. Tarpeia, Paris, 1947, p. 11.
3. Par exemple Jupiter, Mars, Quirinus, Paris 1941, p. 30. Par la suite, on peut le regretter, il a pu arriver à
G. Dumézil de se départir de cette rigueur méthodologique.
4. « La ressemblance entre ces dieux a déjà fait l'objet d'au moins un article scientifique mais fort rapide
(W. Kirfel, « Šiva und Dionysos », Zeitschrift fur Ethnologie, 1953), et d'un livre riche mais hélas fantastique
(A. Danielou, Shiva et Dionysos, 1979) » (p. 321).
BEFEO 85 (1998)
Comptes rendus 485
le temps, de son origine indo-européenne ou non. Je dirai simplement que pour l'instant ni les
caractéristiques du Rudra védique, ni les plus anciennes attestations connues du culte shivaïque
(phallusAingas de pierre (c'est important) avec ou sans tête attestés sans doute depuis le IIIe
siècle avant notre ère ; représentations du dieu nu, avec ou sans taureau, sur les monnaies
kouchanes) n'incitent au rapprochement avec Dionysos. Mais j'accorderai volontiers à
M. Sergent que des témoignages plus tardifs ont pu conserver des archaïsmes plus probants. Ils
ne seraient cependant pas décisifs puisque, sans la confirmation par des faits provenant d'une
troisième société de langue indo-européenne {supra), ils pourraient s'expliquer par l'analogie
typologique nécessaire (puisque c'est une question de définition) qu'ont entre eux les cultes
dionysiaques dont le monde indo-européen n'a pas l'exclusivité.
Je crains donc fort que le livre de M. Sergent ne fasse pas époque. Je l'utiliserai comme
mine de faits et de références car M. Sergent a lu nombre d'ouvrages dont je ne connaissais pas
l'existence. On peut probablement aussi faire son profit de certaines de ses intuitions. Mais je
déconseillerai au non-spécialiste de lui faire trop confiance. Il lui faudra toujours vérifier que
M. Sergent a résumé sans distorsion majeure les ouvrages qu'il utilise, puis chercher à savoir si
les passages allégués ne sont pas aujourd'hui dépassés ou contredits. La disposition des notes
ne l'y aidera pas : les éditions Payot conservent le plus détestable système qui soit. La
numérotation des notes recommence à chaque chapitre, toutes les notes sont regroupées en fin
d'ouvrage et il n'y a même pas de titre courant permettant de savoir rapidement de quel
chapitre relève un ensemble de notes. Quant à l'index, il est carrément inutilisable. On n'y
trouve par exemple ni Afghan, ni Pashto ou pastô, ni Ormuri. Bolan y est uniquement le nom
d'une rivière. Par contre on y mentionne Fred Zimmermann et Guy Deleurance dont les noms
apparaissent une fois seulement dans la Genèse de l'Inde, p. 400, dans un passage où
M. Sergent déclare qu'il ne saurait écrire leurs livres '. Quant au fait que M. Zimmermann se
prénomme Francis (correctement dans la bibliographie) et que M. Deleurance est
probablement M. Deleury (pas dans la bibliographie), la faute n'en incombe pas à la rédactrice
de l'index mais, comme trop souvent, à M. Sergent.
Il faut dire aussi que vouloir écrire seul un livre embrassant tant de disciplines, tant
d'années, tant de faits, tient du pari impossible. Il n'est déjà pas simple pour le spécialiste de se
tenir au courant de tout ce qui s'écrit dans son petit domaine. Mais quel savant, même
d'exception, pourrait à la fois connaître la méthodologie et les derniers résultats de disciplines
aussi variées que l'anthropologie physique, la linguistique, l'histoire et la sociologie des
religions, être capable de parler aussi bien des langues mon-khmères, des langues dravidiennes
et de Г indo-iranien, et savoir à quel auteur de quelle discipline il peut a priori faire davantage
confiance ? Je crois que, dès que l'on veut traiter un sujet un peu vaste ou qui nécessite des
approches variées, on ne peut plus travailler ni écrire seul. Les livres s'écriront peut-être sous
la direction d'un maître ď œuvre, mais en tout cas à plusieurs mains parce qu'en sciences
humaines comme en physique, comme en biologie, comme en astronomie, un seul cerveau, si
extraordinaire soit-il, ne peut plus maîtriser l'ensemble des méthodes et l'ensemble des
données.
Gérard FUSSMAN
1. M. Deleurance (toujours sic) est aussi cité p. 405 (note 1 de l'introduction), mais l'index ne renvoie pas
à ce passage.