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INTRODUCTION XV

lutte contre ses ministres et contre lui, s'appuient sur


le secours d'êtres divins, yazatas, démons ou anges',
comme aussi sur la bénédiction de leurs protecteurs
particuliers, génies domestiques, dieux locaux ou mar
tyrs'. — Chrétiens et Syriens adorent également « une
divinité unique, toute puissante, éternelle, universelle,
ineffable3 » et très sainte. La Trinité que prêche
l'Église rappelle les triades chères aux théologiens de
laChaldée'ctde l'Egypte: l'une et les autres expriment
la richesse infinie de l'Être ineffable. Cet Être a un
vicaire — que Philon et les chrétiens appellent le Verbe
— ici Shou ou Mardouk 5, là Jésus. Jésus a été conçu,
comme Apollon
Persée ou
et Hermès,
Horus, Romulus
dans le sein
et Rémus,
d'une ilvierge
a, dans
•;

son enfance, miraculeusement échappé à la mort1 ; il


' Plutarque: de Iside. 46; Arnobe, IV, 12; Lactance : Insl. div.,
II.9,13;ps.-Iamblique : de Myst., III, 31; Cumont, 184 et 305-307 :
article An9élolo9ie dans le Dictionnaire de théologie catholique;
Hild : les Démons ; Zeller : Philosophie der Griechen, V, 188.
2 Cf. notre Chrislianisation des foules, 3" éd., 1907, Paris ;
Lucius : Vie Anfân9e des Ileili9enkulls. Tubingen, 1904, et, quant
à l'influence des légendes païennes surles légendes chrétiennes,
Delehaye : op. laud.
3 Cumont, 161, 157. 250. Cf. le texte de Maxime de Madaure,
vers 390, P. L. 33, 82 (et 315). Pour le stoïcien Boethus [Zeller,
III, 1. 554], Dieu est transcendant au monde [n" s. av. J.-C.].
* Cf. infra p. 35, 55, 105.
6 Cf. infra p. 41, 108.
0 La remarque est de saint Justin : première Apol. 21-22 [Pauti-
gny, 42-46]. — Cf. Celse, dans Origène : contra Celsum, 1,37. — Iloltz-
mann : Lehrbuch der neulestamentiichen Thcolo9ie, 1 (1897), 409.
7 Gunkel: Zum reli9ions9eschichtlichen Verstândniss des neuen
Testaments. Gottingen, 1903, p. 09.
b
XVI LE PASSÉ CHRETIEN

est mort et il est ressuscité, comme Osiris et comme


Adonis ; pour les chrétiens comme pour les mystes
d'Attis, sa résurrection est le gage de la nôtre '. La
résurrection de Jésus et la résurrection de Tammouz
marquent également le début du printemps 2 ; comme
Osiris et Dionysos, Jésus est par excellence le Sau
veur3; et la misère humaine qu'il a détruite, Chré
tiens et Orphiques s entendent là-dessus, était la consé
quence d'une très ancienne faute4. On sait du reste que
l'idée d'une révolte des hommes contre les dieux est
commune aux Egyptiens, aux Chaldéens5 et aux Juifs ;
que les fidèles de Iahvé et les adorateurs de Thot attri
buent la création du monde au prononcé d'une toule-
puissante parole ; que l'angélologie, la démonologie et
l'eschatologie d'Israël présentent des points de contact
très particuliers avec les doctrines de Babylone et de la
Perse G. Et l'on sait encore que Iahvé le Très-Haut recruta
des prosélytes parmi toutes les nations païennes, sur
tout, semble-t-il, parmi les mystes de Sabazius etd'At-

' Ci.infra; Cumont, 69-73, iil. Gunkel; Zumreli9ions9eschicht.


Versl, 81.
* Gunkel, p. 79.
3 Cf. Wendland : Zeilschrift fur neutest. Wiss., V. 1904, 355.
Comparer surtout à cet égard Jésus et Mithra.
' Cf. infra p. 128.
5 Les Chaldéens et les Juifs, peut-être même les Egyptiens,
connaissent un déluge vengeur du ciel.
Les points de contact de l'histoire de la tour de Babel et de
l'histoire des Titans sont relevés depuis longtemps [Philon : de
confusione lin9uarwm, I, 405. Mangey d'après Tauchnitz. — Voir
Odyssée, XI, 315, et Genèse, 11. Jules Martin : Philon, 27].
" Voir l'histoire de l'époque syncrétisle.
INTltODUCTION XVII

tis ; que beaucoup de Juifs, à la suite d'Hermippc,


d'AristobouIe et de Philon, tentèrent d'accorder la sa
gesse de Moïse et la sagesse de la Grèce ; et que le
Gnosticisme enfin exprime avec ampleur un grand tra
vail de conciliation judéo-païenne.
Le Judéo-Christianisme se présente donc au regard
sous les traits d'un syncrétisme'.
L'historien ni le théologien ne peuvent s'en montrer
surpris. Les âmes qui embrassaient la « bonne nou
velle » avaient été façonnées par une longue tradition
religieuse. Le monde était très vieux lorsqu'il enten
dit prêcher les apôtres ; si vieux, que beaucoup croyaient
sa fin toute proche. Les apôtres refoulaient ,certaines
tendances, ils en exaltaient certaines autres. On ne
peut pas envisager leur action indépendamment des
forces qui la secondèrent ou des réactions qu'elle pro
voqua. Pour comprendre les unes et les autres, l'histo
rien doit les rattacher à ces traditions et à ces tendan
ces du monde païen et du monde juif2. Il est vrai de dire
que, en un sens, le Christianisme est sorti de terre.

' Cf. Hcrmann Gunkel : Zum reli9ions9eschichtlichen Verslând-


niss des neuen Testaments Gôtlingen, 1903 ; Clemen : Die reli-
9ions9eschichtliche Melhode in der Theolo9ie. Giessen, 1001: Geff-
cken : Aus der Werdezeit des Christentums . Leipzig, 1001 ;
llarnack : Ausbreitun9 des Christentums, 2" Édition, 1000. Noter
un mot curieux de saint Basile sur l'utilité de comparer les reli
gions, rappelé dans Max Millier : Essais sur l'hisl. des reli9ions,
3° éd., p. xix.
" VA. lorsqu'il n'y a pas coïncidence de mouvements sponta
nés et distincts, c'est donc que l'un copie l'autre. Le fait s'explique
historiquement avec plus d'aisance encore.
XVIII LE PASSE CHRETIEN

Est-ce à dire qu'il ne soit pas descendu du ciel ? La


lutte doctrinale du Christianisme contre le Gnosticisme
montre qu'ils ne sont pas identiques. Pareillement, la
guerre de l'État romain contre l'Eglise chrétienne
prouve que les conditions de la vie dans l'empire ne
sulfisent pas à expliquer la nature de la vie chrétienne
dans l'Église. Le Christianisme est une doctrine enve
loppée dans une histoire très particulière : cela ne se
retrouve nulle part ailleurs. Tous les rites, toutes les
croyances qui lui sont communs avec les religions
païennes sont mêlés ici d'inepties et d'obscénités ; ils
s'organisent, là, pour former la doctrine la plus haute,
la plus pure et tout ensemble la plus logique et la plus
une qu'on ait constatée jamais'. L'Eglise catholique a
rejeté le fidéisme exaspéré qui inspire les doctrines de
Luther et de Calvin,,de Baïus et de Jansénius et main
tenu que la nature humaine, dans son état actuel, est
capable de quelque bien, que la loi de Dieu est gravée
dans la conscience, que Dieu peut même donner un
secours surnaturel aux païens indépendamment des
sacrements ecclésiastiques : « l'identité des instincts
religieux (naturels) auxquels les diverses religions doi-

' De Broglie : Problèmes et conclusions de l'histoire des reli9ions.


Paris, 4° éd., p. 292. « Rassembler tout ce qu'il y a de bon dans
les diverses religions ne serait rien, si ces divers éléments
n'étaient associés ensemble avec ordre et unité, s'ils ne formaient
qu'un chaos et non une harmonie. Si, en effet, les éléments des
diverses religions étaient ainsi assemblés pêle-mêle, l'œuvre for
mée de la sorte serait incohérente et pleine de contradictions... »,
p. 292, Cf. p. 2G0.
INTRODUCTION XIX

vent nécessairement s'adapter » explique certaines


des coïncidences qu'on a dites1. Saint Paul enseigne,
enfin, que « Dieu a envoyé sen Fils lorsque est venue
la plénitude des temps » , 6'te Si ?,lfkv xà rskfyupjx
xoO joivo\i, â^azéiTEtÀEv 6 0eo; Tov otiv aûToû [Galales.
iv 4] ; il indique par là qu'il y a eu une préparation
particulière à l'œuvre de Jésus et de ses disciples. Les
chrétiens l'ont entendue de bonne heure de l'œuvre
d'unification politique et économique accomplie du
dehors par les Romains. N'y a-t-il pas eu une évolution
intérieure des sentiments et des croyances analogue
à la première ? Les faits ne l'indiquent ils pas très clai
rement? Est-il sûr que la pensée de l'Apôtre ne déborde
pas l'interprétation traditionnelle ? Il se pourrait que la
plus vieille théologie ne s'accommodât pas moins bien
que la critique la plus récente du syncrétisme que
l'on a constaté d'abord.
Mais l'étude des traditions religieuses des Juifs et
des Païens qui confluent dans le Christianisme montre
qu'il convient d'en diviser l'histoire en deux époques :
elles sont séparées l'une de l'autre par les conquêtes
d'Alexandre. La seconde est caractérisée par une agita-

' De Broglic : op. laud., 219, 271,273, 284. « Choisissons un...


exemple, celui des fêtes d'Osiris, d'Adonis et d'Attys, dont la res
semblance est si grande avec la fête de Pùques, puisqu'il s'agit
d'un Dieu mort et ressuscité... Nous retrouvons... dans les
profondeurs du cœur humain le lien qui rattache ces fêtes, si
diverses sous d'autres rapports, la folie désordonnée et furieuse
des pleureuses d'Adonis et la noble folie des amants du cruci
fié. °
6.
XX LE PASSE CHRETIEN

tion profonde des âmes et par l'apparition de ces


tendances conciliatrices dont on a parlé déjà : je
l'appelle Yépoque syncrétiste. — La première comprend
ces longues périodes où, de la nuit qui couvre le reste
du monde, émergent seules à la lumière de l'histoire
les civilisations d'Egypte, de Chaldée et de Grèce : je
l'appelle l'époque orientale. Les religions païennes et
la religion juive divergent : celles-là sont pénétrées
jusqu'aux moelles par cette essentielle irréligion qu'est
la magie, elles s'inspirent de cette croyance que Dieu
est dépendant de l'homme ; celle-ci se révolte tenace-
ment et finit par s'évader de cette ambiance folle : elle
enseigne que la fidélité à Iahvé est la condition du
salut '.

II

Comme on a coutume de faire un bloc de toute


l'époque païenne anté-chrétienne et de l'opposerà
celle qui voit se dérouler la vie de l'Église, on a
aussi l'habitude de distinguer, au sein de l'époque
chrétienne, deux périodes, le moyen âge et les temps
' Voici les titres des six chapitres de chacune des deux
époques. I. L'époque orientale : 1. Les religionségyptiennes; 2. Les
religions sémitiques; 3. Les religions aryennes; 4. La religion
juive : A. Moise ; 5. La religion juive : B. les Prophètes; 6. La
religion juive : C. l'Eglise d'Israël. Dans cette troisième édition,
je développe les quelques pages consacrées à ces problèmes dans
les deux premières. — II. L'époque syncrétiste : 1. La révolution
religieuse; 2. Jésus de Nazareth; 3. Saint Pierre et les Apôtres :
4. Saint Paul; 5. Saint Jean; 6. Saint Irénée.
INTRODUCTION XXI

modernes, séparées l'une de l'autre par la Renaissance.


De ces deux idées également traditionnelles, il se
pourrait que la seconde eût la valeur de la première.
On date la Renaissance des xv° et xvie siècles. On y
discerne un renouveau de l'esprit païen. On y rattache
la naissance de l'art, la naissance de la science,
la mort de la foi. — Cette théorie, où se reflètent
l'enthousiasme naïf des humanistes ' et l'étroilesse des
anciens historiens de l'art, pouvait raisonnablement
obtenir quelque crédit au temps où l'on considérait le
« moyen âge » comme une époque de superstition,
d'ignorance et de barbarie. 11 y aura bientôt un siècle
qu'un mouvement de recherches, que le Romantisme
prépara et dont, chez nous, l'École des Chartes fut le
centre2 en a fait pour jamais justice. Il n'importe ;
l'accoutumance est plus forte... Il est inexact de

' Dans une intéressante brochure [Qu'est-ce que le moyen


â9e ': Paris, Bloud]. M. Kurth a bien dégagé la valeur de l'idée
du moyen âge au point de vue de l'apologétique anti-chré
tienne. Je crois qu'il aurait pu dépasser l'Historia Medii sevi a
temporibus Constantini Ma9ni ad Constanlinopolim a Turcis cap
tant deducta de Christophe Keller (Cellarius), léna. 1688 et remon
ter jusqu'à l'humanisme et. particulièrement, jusqu'aux Historia-
rum ab inclinatione romani imperii Decades du pieux Flavio
Biondo, [-f-1463] ; c'est vraimentla première histoire du moyen âge.
[ P. Monnier : Le Quattrocento, I, Paris, 1901, 263; Voigt, trad.
ïlal. Valbusa : Il Risor9imento dell'anlichilà classica, II, Firenze.
1890.83; A. Masius ; Flavio Biondo, sein Leben und seine Werke.
Leipzig, 1879; P. Buchholz : Die QuelU-n der Historiarum Decades
des FI. Biondus. Naunburg, 1881]. — L'influence humaniste a été
perpétuée jusqu'à nos jours par les historiens de la littérature
française.
* L'Ecole des Chartes a été fondée en 1821.
XXII LE PASSE CHRETIEN
dater du xve et du xvi" siècle le renouveau de l'esprit
païen : la philosophie aristotélicienne et le droitromain
ont-ils jamais été plus passionément étudiés qu'aux
xne, xme et xive siècles : nous connaissons Siger de
Brabant' ctlrnerius2, les Averroïstes et les Glossa-
teurs. Il est inexact de dater du xve et du xvî2 siècle
la naissance de l'art : nous avons appris à admirer l'art
du xne, du xme et du xive ; et nous savons que l'art ita
lien du xv° siècle dérive en ligne droite d'un mouve
ment contemporain de Frédéric H3; nous connaissons
la cathédrale de Chartres et la chaire de Pise. Il est
inexact de dater du xve et du xvie siècle la naissance de
la science : la recherche scientifique n'a jamais été plus
ardente ni plus féconde qu'aux xne, xme et xive siècles;
et peut-être l'esprit réactionnaire du xvie, sous prétexte
de revenir à Aristote, a-t-il souvent méconnu d'admi
rables découvertes des physiciens scolastiques : nous
connaissons les deux Jordan et Albert de Saxe 4. Il est

' Mandonnet : Si9er de Brabant et l'Averroisme latin au


X1II° siècle. Fribourg en Suisse, 1899.
• Cf. l'œuvre entière de H. Fitting.
3 E. Bertaux : L'art dans l'Italie méridionale de la fin de l'empire
romain à la conquête de Charles d'Anjou. Paris, 1901 ; Maie : L'art
reli9ieux du XIII' siècle en France, Paris, 1899 ; Histoire de l'art
publiée sous la direction de André Michel.
4 P. Duhem : Les Ori9ines de la Statique. Paris, 1905-190G.
2 vol. ; Etudes sur Léonard de Vinci. Ceux qu'il a lus et ceux qui
l'ont lu. Première. série. Paris, 1906. — Parmi les réactionnaires
maladroits du xvi° siècle, on peut citer Giovanni Battista Benc-
detti et surtout Guido Ubaldo marquis del Monte. — Noter une
observation de Camille Enlart touchant l'histoire de l'hygiène
[Histoire de VArt... André Michel, I, 2, (1905), p. 480] : ce n'est pas
INTRODUCTION XX11I

inexact de dater du xv° et du xvie siècle la mort de la


foi : c'est un fidéisme très profond et très sincère qui
triomphe avec la Réforme prolestante dans une moitié
de l'Europe ; et l'on aurait mauvaise grâce à contester
l'éclat de la civilisation chrétienne dans les pays
demeurés catholiques : nous comprenons la solidarité
de l'œuvre de Luther et de l'œuvre de Trente '.
Ce qu'on aperçoit en belle lumière, c'est donc l'unité
de cette période que limitent la Révolution grégo
rienne etla Révolution française [xie-xvme siècles]. Les
chrétientés d'occident sont alors, seulement alors, à
peu près indépendantes des autres régions du globe.
Sauvées des seigneurs par les moines, elles se réorga
nisent à l'abri d'une papauté monastique et rétablis
sent l'ancien empire. Et cette restauration sociale
s'accompagne d'une admirable renaissance intellec
tuelle; on retrouve les Anciens dans les écoles de
Chartres, de Paris et de Bologne : saint Thomas refait
Aristotc, Jean de Salisbury est le précurseur de Pétrar
que. Et nous voyons tous les jours, sous nos yeux,
l'ancien régime social se démolir et s'abolir le souve
nir des Romains et des Grecs : la révolution machi
niste et l'unification du monde bouleversent la situa
tion économique et la situation intellectuelle. Qui sait
si l'antiquité gréco-romaine ne survivra pas seule-

seulement dans l'histoire des sciences que la « Renaissance » a


été un « recul ».
' Il y aurait, je crois, une intéressante et opportune étude à
tenter sur les idées communes à Luther et au concile de Trente.
XXIV LE PASSE CHRETIEN

ment 'dans la mesure où, intégrée parle Christia


nisme, elle sera sauvée par lui et en lui ' ?. L'époque
occidentale [xi"-xvm° siècles1 est caractérisée par l'iso
lement des pays occidentaux par rapport au reste du
monde et par l'influence prépondérante qu'exerce sur
leur vie et sur leur pensée la tradition gréco-latine,
héritière des traditions orientales.
L'époque méditerranéenne sépare de l'époque occi
dentale l'époque syncrétiste et les relie l'une à l'autre.
Dans le cadre méditerranéen qu'a forgé la conquête
romaine et que disloque de plus en plus la pesée
barbare [me-xie siècles], le Christianisme se répand
peu à peu, puis il évolue curieusement et s'ache
mine vers des destinées nouvelles. Il pénètre d'abord
la société et la pensée antiques ; puis, il disparaît
des régions où triomphe l'Islam, s'étiole partout où
domine Byzance, se concentre et s'enracine par
tout où les Germains s'établissent; il se détourne de
l'Orient, qui mène aux déserts, et s'installe aux
bords des Océans, qui conduisent aux extrémités du
monde. Seulement, quand il quitte l'empire qui l'a vu
naître, il traverse d'abord une crise effrayante et
semble se dissoudre au milieu de l'anarchie endé
mique des Barbares qui l'ont accueilli : l'effort des
Francs n'a pas obtenu long succès; le désordre
social a partout reparu; la pensée spéculative est

' Comme \c Mithriacisme est perse, le Christianisme est grec.


Voir la remarque de Harnack dans Mission und Ausbreitun9, \\-,
271.
INTRODUCTION XXV

morte. Avec l'Église, c'est la civilisation même qui


paraît frappée pour jamais '.

' Voici les titres des six et des neuf chapitres de ces deux
parties. III. L'époque méditerranéenne : 1. La chrétienté romaine :
la vie chrétienne ; 2. La chrétienté romaine : la pensée chré
tienne ; 3. La marche à l'ouest : le Christianisme et les- Byzan
tins ; 4. La marche à l'ouest : le Christianisme et les Germains :
5. La chrétienté franque : l'organisation impériale ; 6. La chré
tienté franque : la désorganisation seigneuriale. — IV. L'époque
occidentale : 1. La chrétienté féodale : la restauration. Saint
Grégoire Vil et saint Bernard: 2. La chrétienté féodale : l'orga
nisation. Innocent III et saint François ; 3. La chrétienté féodale :
les progrès. Saint Louis et saint Thomas; 4. La guerre à l'Eglise:
la désorganisation. Les papes d'Avignon; 5. La guerre à l'Eglise:
la crise. Le schisme d'Occident: 6. La guerre à l'Eglise : nou
velle crise. La papauté princiêre; 7. La chrétienté monar
chique : le concile de Trente; 8. La chrétienté monarchique :1a
vie chrétienne ; 9. La chrétienté monarchique : la pensée chré
tienne.
Deux mots sur la méthode suivie dans cette synthèse de l'his
toire religieuse ancienne. Dois-je m 'excuser, d'abord, d'avoir
souvent travaillé « de seconde main » ? « On le fait par néces
sité, quand les documents sont trop nombreux pour être tous
lus : mais on ne le dit pas, par crainte du scandale *. » Nécessité
fait loi : la synthèse historique ne se fera jamais, ou elle sera
faite par des travailleurs qui n'auront pas lu tous les textes. 11
ne faut pas qu'un scrupule de probité scientifique empêche d'ac
complir une œuvre urgente. J'ajoute que, si l'on ose parler seule
ment de ce qu'on connaît bien, la question est précisément de
savoir si, pour bien connaître et pour juger avec compétence la
vie religieuse des hommes, il n'est pas indispensable de procéder
par rapprochements**. Penser, au fond, c'est comparer. — Je me
suis imposé la règle de n'utiliser que des travaux de « première

* Ch.-V. Langlois et Ch. Seignobos : Introduction aux études historiques,


3' toi., Paris, 1905, p. 198. — Cf. P. Guiraud : Fustet de Coulant/es, Paris,
1896, p. 104.
** Glotz : Solidarité de la famille dans le droit criminel en G^èce, p. vu-i\
Cf. les remarques de Wiedemaun dans l'Archiv fur neliyionswisscnsclwft
190ii, 481 ; les travaux deFrazer, de Kcinach, cie.
XXVI LE PASSÉ CHRÉTIEN

main » ; ils sont heureusement en grand nombre, souvent de pre


mier ordre. Je les ai contrôlés les uns par les autres, recourant
moi-même aux textes le plus souvent possible. Un hébraïsant
éminent a bien voulu revoir ce que j'ai écrit touchant Israël ; qu'il
me permette de lui dire ici ma reconnaissance. Je tiens à m'ac-
quitter aussi envers mes autres collaborateurs, involontaires
ceux-là ; sans eux, mon travail n'eut pas été possible. Je prie
seulementqu'on ne les rende pas responsables, en aucune manière,
de ce qui est ici écrit. Et je me plais à espérer que leur multipli
cité même aura garanti l'objectivité de mes conclusions. — J'ai
tâché d'éviter les généralité vagues autant que les détails minu
tieux, de classer les événements aussi objectivement que possible,
selon leur rapport de dépendance réel : je me suis efforcé de «les
remettre dans leur chaîne et de les considérer dans leur suite »
[A. Sorel]. Mes maîtres m'ont enseigné le culte du fait, et je
tâche de l'enseigner à mon tour. Je vois souvent qu'on invoque
l'histoire sans que, d'abord, on se soit donné la peine d'en fixer la
physionomie. La méthode exige que la description des faits pré
cède la recherche des causes. — Afin de ne pas donner dans
l'abstrait, j'ai voulu ne pas considérer séparément le développe
ment religieux, moral, philosophique, scientifique, littéraire, artis
tique, etc., et j'ai tâché de tenir compte du développement social*
qui les conditionne dans une large mesure ; envisager solidaire
ment l'œuvre totale de quelques générations successives afin de
reconstituer la physionomie de la vie religieuse qu'elles ont réelle
ment vécue : c'est à quoi tendait mon effort.

* Nous appelons de nos vœux une histoire synthétique du développement éco


nomique et social des peuples méditerranéens et occidentaux.

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