et les évangiles
Alexandre Jannée naquit vers –130, devint grand-prêtre & roi de Judée en –103
et mourut en –76. Il était le fils de Yôhanan Hyrkanus (Jean Hyrcan), le petit-fils
de Shimé°on Makabî (Simon Macchabée) et l’arrière-petit-fils de Mathathias ben
Hashmônây qui dirigea l’insurrection anti-Séleucide de –167 et qui aboutira à l’in-
dépendance de la Judée en –152. Ce roi est déconsidéré dans le Talmud, présenté com-
me un simple benêt et dans Flavius Josèphe. Il n’était pas un homme facile, mais ce fut
un grand roi ; il est d’ailleurs malheureux que la guerre civile qui éclata sous son règne
empêchât la Judée d’accéder au statut de grande puissance qui aurait pu concurrencer
Rome pour la possession du Moyen-Orient.
Alexandre Jannée a une réputation de grande cruauté, las des révoltes, il fit empri-
sonner 800 insurgés et les fera crucifier le même jour, appliquant sans état d’âme, la
peine que prévoit le Rouleau du Temple trouvé à Qumran pour la trahison. En effet,
des Juifs s’étaient alliés au roi Séleucide de Damas et lui avaient proposé la couronne de
Judée, s’il les débarrassait de Jannée.
La vie d’Alexandre Jannée ne semble faite que de batailles, de guerres et de révoltes
durement réprimées. Si cette partie de la vie d’Alexandre Jannée est connue, les
manuscrits de Qumran ont montré que ce roi était aussi un maître spirituel essénien.
Vous ne lirez pas cela dans les papiers des qumranologues, parce qu’ils s’obstinent à
refuser une comparaison systématique des aspects politiques de ces manuscrits et de
l’œuvre de Flavius Josèphe.
Le texte trouvé à Qumran et qui sera intitulé Hôdayôth, contient de nombreux
aspects autobiographiques qui peuvent se résumer comme suit : l’auteur du texte a été
rejeté par son père, exilé de sa patrie, emprisonné, a connu une révolte de ses disciples,
a fait une chute (soit une dépression, soit une chute réelle) et enfin, il y décrit sa plongée
dans la maladie qui le mènera probablement à la mort.
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2 stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles
Flavius Josèphe dit d’Alexandre Jannée que son père Jean Hyrcan ne le supportait
pas dès sa naissance, il l’envoya en exil en Galilée. À la mort de son père, son frère le
fera emprisonner ; libéré par la veuve de son frère qu’il épousera, Jannée deviendra en
–103 grand-prêtre et roi de Judée ; en –96, il sera contesté par une partie de ses sujets
qui entreront en révolte complète ; pendant ses campagnes contre les Nabatéens, il fera
une chute dans un précipice et sera presque capturé par Obédas, roi de Pétra ; finale-
ment, il tombera malade d’une fièvre quarte qui l’emportera au bout de trois ans.
Comme on le voit les passages autobiographiques des Hôdayôth sont conformes à la
vie d’Alexandre Jannée : rejet de leur père, exil, emprisonnement, révolte à leur encon-
tre, chute, maladie due à la fièvre. Et donc, l’auteur des Hôdayôth ne peut avoir été que
le roi de Judée Alexandre Jannée.
Le grand nombre de fragments (issus de neuf manuscrits) témoignèrent de la pop-
ularité de l’œuvre auprès des Esséniens, ce qui fait d’Alexandre Jannée un essénien.
Cette identification permet de mieux comprendre la présence d’une prière en faveur
de ce roi retrouvée parmi les fragments des manuscrits de Qumran, il s’agit de 4Q448,
colonne B, lignes 1–9 :
Lève-toi, ô Saint, en faveur du roi Jonathan [Alexandre Jannée] et de l’ensemble de
ton peuple, Israël, qui est (dispersé) par les quatre vents du ciel. Puissent-ils avoir
tous la paix et celle-ci être sur votre royaume et que votre nom soit béni.
Yannây (Jannée) est la forme araméenne de Yônathan (Jonathan) et non de Yôhanan
(Jean) comme on le croit souvent.
Les légendes hostiles que les pharisiens ont colportées à son sujet sont de simples
calomnies : il est donc vraisemblable que l’égorgement des enfants et des épouses des
800 pharisiens crucifiés est une invention ; et quant à sa mort due à une ivresse, cela
l’est certainement tout autant.
L’essénisme de Yannay oblige aussi à repenser les esséniens. En effet, les esséniens
sont bien les assidéens des Livres des Macchabées ; quant à l’utilisation de ce nom
d’esséniens au lieu de celui d’assidéens par Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe,
c’est probablement parce que ce nom d’Assidéens était trop suspect auprès des lecteurs
romains de ces deux auteurs. Cette identification montre aussi que les Esséniens ont
plus que certainement participé à la grande révolte contre les Romains (ils n’étaient
pas des pacifistes) et qu’ils doivent être identifiés aux sicaires du mouvement fondé par
Judah le Galiléen.
Nous allons maintenant analyser quatre allusions à Alexandre Jannée contenues
dans les évangiles ; quatre allusions qui confirment que Jésus était non seulement un
essénien, mais qu’il fut en outre un descendant de ce roi, et donc que Jésus fut un
messie fils d’Aaron et non un messie fils de David.
En effet, plusieurs passages des évangiles dépeignent un Jésus avec des caractéris-
tiques aaronides : il pardonne les péchés comme le grand-prêtre le jour de Yom Kip-
stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles 3
pour ; il consacre le pain et le vin comme un qohen essénien ; il est consacré à sa nais-
sance comme le sont les kohanîm ; l’auteur de l’Épître aux Hébreux décrit Jésus sous la
forme d’un grand-prêtre. Il est toujours au Temple et jamais au sanhédrin comme cela
devrait être le cas d’un rabbin davidide. Les pharisiens contestent systématiquement
la messianité de Jésus, or les pharisiens attendent un Messie Fils de David... comment
expliquer cette hostilité, si ce n’est pas par les origines aaronides de Jésus.
toujours pensé qu’on voulait le faire roi à cause de son ascendance davidide, plusieurs
fois affirmée dans les évangiles ; mais, être le descendant direct du grand Alexandre
Jannée était peut-être encore plus prestigieux pour les Juifs de cette époque. Rappelons
que quand Agrippa, un petit-fils d’Hérode et de son épouse Maryamné l’Hasmonéenne
devient roi de Judée en 38, il est immédiatement acclamé comme Roi de tous les Juifs
à Alexandrie, tant le prestige de cette famille était immense.
Malheureusement, d’après Flavius Josèphe, Alexandre Jannée n’a eu que deux fils :
Hyrcan II et Aristobule II ; on ignore le nom hébreu de Hyrcan (Hyrcan ou Yôhanan),
mais d’après les pièces de monnaie le nom hébreu d’Aristobule II semble avoir été
Yehûdah.
Hyrcan II ne semble pas avoir eu de fils, mais Aristobule II en a eu deux : Yôna-
than Alexandre et Antigone II Mathathias. La descendance de Mathathias est incon-
nue, mais Yônathan Alexandre a eu un fils Aristobule III et une fille Maryamne l’Has-
monéenne.
Une descendance de Jannée postérieure au règne d’Hérode ne pouvait être que
secrète. En effet, le faible Hyrcan II, simple créature d’Antipater et ensuite d’Hérode, n’a
pas été assassiné ; mais tous les autres l’ont été : Aristobule II, empoisonné par Pompée
en –49 ; Yônathan Alexandre, décapité par Scipion en –49 ; Antigone II Mathathias
décapité par Marc-Antoine en –37 ; Aristobule III noyé par Hérode en –35, à l’âge de 17
ans.
Certains estiment qu’Ezéchias, qui commanda une insurrection en Galilée en –47 et
qui sera décapité par Hérode pour cela, pourrait avoir été un descendant d’Alexandre
Jannée, ou en tout cas un hasmonéen. Les descendants de cet Ezéchias sont Judah le
Galiléen qui commanda l’insurrection anti-recensement de 6 ; ses fils Simon le Sicaire
et Jacques le Sicaire seront exécutés en 48 par Tibère Alexandre ; son petit-fils Mena-
hem prendra le contrôle de la révolte de 66 et sera exécuté par les zélotes (pharisiens
appartenant à l’école de Beth Shammay ; notons que certains historiens font de Judah le
Galiléen un fils de David, on se demande alors les raisons de l’opposition des zélotes à
sa personne qui attendaient justement un Messie fils de David ; par contre, cette oppo-
sition est compréhensible si Menahem est un hasmonéen : en effet, les pharisiens vou-
laient se débarrasser de cette turbulente famille qui s’était accaparée la grande-prêtrise,
normalement apanage des descendants de Tsadôq ce qu’ils n’étaient pas, et la royauté,
normalement apanage des descendants de David, ce qu’ils n’étaient pas non plus.) Le
dernier descendant officiel sera Éléazar ben Yaïr qui s’est suicidé alors que les Romains
allaient pénétrer dans Massada en 73.
Face au silence de Flavius Josèphe sur l’ascendance hasmonéenne d’Ézéchias, nous
en sommes réduits aux hypothèses : enfant d’une autre épouse inconnue de Jannée ;
beau-fils d’Alexandre Jannée, mais on ne sait pas si Jannée a eu des filles ; descendant
du frère de Jannée, mais on ignore jusqu’à son nom même si on suspecte qu’il se soit
stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles 5
appelé Absalom ; Flavius Josèphe mentionne aussi des descendants mâles d’un frère
de Jean Hyrcan, mais on ignore tout d’eux. Ce silence de Flavius Josèphe sur l’ascen-
dance hasmonéenne d’Ézéchias pourrait avoir une autre origine, lui-même dit que sa
mère était une hasmonéenne, mais se garde bien de préciser les liens de sa mère avec
la famille hasmonéenne qu’il dit s’être éteinte avec la mort d’Aristobule III. On sait
qu’il y eut un grand-prêtre du nom de Joseph Elem qui pourrait avoir été le grand-
père de Flavius Josèphe ; or, par le Talmud, on sait qu’il quitta Jérusalem pour exercer
des fonctions de juges à Sephoris en Galilée ; peut-être est-ce là que son père épousa
cette princesse hasmonéenne qui serait une descendante d’Ézéchias, ce qu’il ne pouvait
avouer dans ses ouvrages tant la famille de Judah le Galiléen était haïe par les Romains.
Même si on ne connaît pas la manière dont Jésus descend d’Alexandre Jannée, on
peut inférer que cette ascendance devait être tenue secrète à cause des risques. En
effet, les hasmonéens conservaient un prestige immense auprès des Juifs, leur seule
existence était une menace pour le pouvoir de la dynastie hérodienne d’abord, et des
Romains ensuite. Bien des Juifs pouvaient être tentés de suivre quelqu’un de la famille
de Judah Macchabée qui les avait délivrés de l’oppression séleucide 150 ans plus tôt.
En faveur d’une ascendance par Ézéchias plaident les origines galiléennes de Jésus.
Mais dans la difficulté de déterminer les liens exacts entre cette famille et Jannée, nous
préférons écarter cette hypothèse.
En faveur d’une ascendance par Antigone II Mathathias, plaide d’abord le nom de
Mathathias, en effet un des petits-fils du Jannée de la généalogie de Jésus s’appelait
Mathathias ; mais aussi, qu’au moment de son arrestation, un compagnon de Jésus
coupe l’oreille du serviteur du grand-prêtre comme Antigone II Mathathias l’avait fait
sur Hyrcan II afin qu’il ne puisse plus redevenir grand-prêtre.
En faveur d’une ascendance par Aristobule III, plaide le poisson avec le statère ; en
effet, Aristobule III sera noyé par ordre d’Hérode, le poisson pourrait indiquer la ré-
surgence de la dynastie hasmonéenne à travers l’action de Jésus. Par contre, Aristob-
ule III n’avait que 17 ans au moment de son assassinat, et il serait étonnant qu’il ait fait
un mariage secret, et s’il avait fait un mariage officiel, il est probable qu’Hérode aurait
fait assassiner cette femme et le ou les enfants qu’elle pouvait avoir eus.
Notre préférence va à un descendant inconnu d’Antigone Mathathias qui serait né
vers –50, qui avait donc 13 ans à la mort de son père en –37 ; trop jeune pour constituer
une menace, il aurait vécu caché et se serait marié, il aurait eu alors au moins un fils
Joseph, le père de Jésus. Élyahû et Yosef, devant les risques, auraient dissimulé leur
identité, connue seulement de quelques-uns. Jésus aurait été le premier à revendiquer
ses origines hasmonéenne et aurait été exécuté pour cette raison, d’autant plus que les
fragments d’Egerton montrent que Jésus refusait de payer le tribut aux Romains et que
d’après les évangiles il organisa une insurrection au Temple contre Qaïphe qui avait
autorisé les marchands normalement installés sur le Mont des Oliviers à faire leurs
6 stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles
affaires dans l’enceinte même du Temple. Ces marchands furent chassés du Temple
par Simon Macchabée en –152. Des affirmations de Jésus que les marchands souillent
la maison de son père ne s’entendraient pas de son père divin, mais bien de ses pères
humains qui furent grands-prêtres du Temple.
C’est donc dans la généalogie de Jésus que nous trouvons la première allusion à
Alexandre Jannée.
interprétation astrologique ou chrétienne, mais telle quelle ce texte n’a pas d’aspects
astrologiques ou chrétiens.
Devant l’impossibilité de faire coller les interprétations précédentes à la parabole,
nous proposons une interprétation alternative :
Parabole des Sept Esprits Commentaire
Lorsque l’esprit impur Les idées pharisiennes.
est sorti Jannée a supprimé les traditions pharisi-
ennes.
d’un homme, donc de la Judée.
il va par des lieux arides, les pharisiens se sont réfugiés en Syrie,
cherchant du repos, et il n’en trouve point. les pharisiens sont pourchassés par Jannée.
Alors il dit : « Je retournerai dans ma mai- Salomé Alexandra autorise les insurgés à
son d’où je suis sorti » rentrer en Judée
— et, quand il arrive, donc quand les pharisiens se réinstallent en
Judée
il la trouve vide, les traditions orales pharisiennes ne sont
plus appliquées,
balayée le Temple a été purifié de leurs traditions
d’hommes
et ornée. Salomé Alexandra meurt, Hyrcan est chas-
sé, et Aristobule II rétablit les usages sad-
ducéens en –66.
Il s’en va et il prend avec lui sept autres Il va demander de l’aide aux nations
esprits étrangères, ce qui désigne l’alliance d’Hyr-
can et d’Hérode, et des Nabatéens et finale-
ment des Romains qui soutiendront Hyrcan
et les pharisiens.
plus méchants que lui ; Ce sont les Romains.
ils entrent dans la maison Pompée profane le Temple en –63.
s’y établissent les Romains occupent la Judée et décident
de tout.
et la dernière condition de cet homme est la Judée est partiellement occupée et soumise
pire que la première. à Hérode à cause des pharisiens révoltés.
Il en sera de même pour cette génération Ce passage étant absent chez Luc, il est pos-
méchante sible d’y voir une glose de Matthieu ; sinon,
cette génération, celle de Jésus donc, est
méchante parce qu’elle refuse de se révolter
contre Rome malgré l’oppression qu’elle sub-
it de la part de l’occupant romain.
stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles 9
On ne sait pas exactement ce qui a mené à la révolte des pharisiens ; mais une révolte
de cette intensité ne peut avoir que des raisons fiscales, c’est pourquoi la condition de
cet homme, de la Judée donc, est pire que la première. Les pharisiens en se révoltant
contre Jannée sont maintenant accablés d’impôts.
On peut faire ce que l’on veut, tourner le texte comme on veut et excepter de le
réécrire dans sa totalité, notre interprétation est conforme au texte, et est un soutient
total aux décisions antipharisiennes de Jannée.
Aucun historien, du moins à notre connaissance, n’a remarqué que les fêtes qui sont
établies dans le Rouleau du Temple trouvé à Qumran, impliquaient plus d’impôts. En
effet, ces fêtes sont simplement des impôts nouveaux : il est probable que les guerres de
Jannée coûtaient très cher, et le souverain n’avait que les taxes pour les financer.
Si nous suivons la chronologie évangélique, Jean Baptiste est mort depuis quelques
jours, quelques semaines au pire, quels changements ont bien pu se produire pour que
soudainement les violents s’emparent du royaume et que cessent les prophètes. Ce texte
est parfaitement incohérent, quand Jésus parle, on a l’impression qu’entre la mort de
Jean et lui, il s’est écoulé des dizaines d’années.
10 stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles
Notons que si Matthieu dit Jean Baptiste, Luc dit simplement Jean. Ce qui fait trois
possibilités : le premier Jean étant effectivement Jean Baptiste, le second ne pouvant
être que Jean Hyrcan et le troisième serait une erreur pour Yannây, ce nom est la forme
araméenne de Yônathan mais a parfois été pris pour la forme araméenne de Yôhanan.
Pour des raisons de cohérence, Jean le Baptiste est exclu ; dans la mesure où Yannây
s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de Jean Hyrcan, nous penserions plutôt que le
Jean en question est bien le roi Alexandre Jannée. Nous n’excluons néanmoins pas que
ce soit Jean Hyrcan puisque Flavius Josèphe le considère comme un prophète et même
comme étant le prophète comme Moïse, puisqu’Hyrcan comme Moïse cumulaient
prophétie, grande-prêtrise et souveraineté sur le peuple, alors qu’il ne dit rien de tel au
sujet de Jannée, mais peut-être ne le peut-il pas si les sicaires sont bien les successeurs
de la garde jannéenne et au sein de laquelle son souvenir restait vif. Quant au royaume
dont s’emparent les violents, c’est assez clairement le royaume de Judée dont se sont
emparés les Romains.
L’original devait être ainsi :
La loi et les prophètes ont subsisté jusqu’à Jannée ; depuis lors, le royaume [de
Judée] est forcé, chacun use de violence pour y entrer (s’en emparer).
Ceux qui veulent s’en emparer sont les pharisiens, les Romains, Hérode, etc.
L’idée qu’il a été retiré par Matthieu ne peut-être exclue, la parabole fait un peu
trop clairement allusion à Alexandre Jannée ; or, ce dernier restait l’idole du judaïsme
nationaliste, et donc un modèle pour de nombreux révolutionnaires juifs hostiles aux
Romains.
Voyons ce que dit Flavius Josèphe à son propos (Antiquités Juives §§ 372–383), en
particulier sur la révolte qu’il dut subir et sur la répression contre ses ennemis :
Cependant Alexandre vit ses compatriotes se révolter contre lui ; le peuple se
souleva pendant la fête (des Tabernacles) ; comme le roi était devant l’autel, sur
le point de sacrifier, il fut assailli de citrons : c’est, en effet, la coutume chez les
Juifs que le jour de la fête des Tabernacles chacun porte un thyrse composé de
rameaux de palmiers et de citrons ; c’est ce que nous avons déjà exposé ailleurs. Ils
l’injurièrent, lui reprochant d’être issu de captifs, et indigne de l’honneur d’offrir
les sacrifices. Alexandre, irrité, en massacra environ six mille ; puis il entoura
l’autel et le sanctuaire jusqu’au chaperon d’une barrière de bois que les prêtres
seuls avaient le droit de franchir, et il empêcha ainsi l’accès du peuple jusqu’à lui.
Il entretint, en outre, des mercenaires de Pisidie et de Cilicie ; il ne se servait pas,
en effet, de Syriens, étant en guerre avec eux. Après avoir vaincu les populations
arabes de Moab et de Galaad, qu’il contraignit à payer un tribut, il détruisit de
fond en comble Amathonte, sans que Théodore osât l’attaquer. Mais ayant en-
gagé le combat contre Obédas, roi des Arabes, il tomba dans une embuscade, en
un lieu escarpé et d’accès difficile ; précipité par un encombrement de chameaux
dans un ravin profond, près de Garada, bourg de la Gaulanitide, il s’en tira à
grand-peine, et s’enfuit de là à Jérusalem. Cet échec lui ayant attiré l’hostilité du
peuple, il le combattit pendant six ans et ne tua pas moins de cinquante mille
Juifs. Il pria alors ses compatriotes de mettre un terme à leur malveillance à son
égard ; mais leur haine, au contraire, n’avait fait que croître à la suite de tout ce qui
s’était passé ; comme il leur demandait ce qu’ils voulaient, ils répondirent d’une
seule voix : « Ta mort » et envoyèrent des députés à Démétrius l’Intempestif pour
solliciter son alliance.
Démétrius avec son armée, grossie de ceux qui l’avaient appelé, vint camp-
er aux environs de la ville de Sichem. Alexandre, à la tête de dix mille deux
cents mercenaires et d’environ vingt mille Juifs de son parti, vint à sa rencontre.
Démétrius avait trois mille hommes de cavalerie et quarante mille d’infanterie.
Les deux adversaires firent chacun des tentatives pour essayer de provoquer la
défection, l’un, des mercenaires d’Alexandre en leur qualité de Grecs, l’autre, des
Juifs qui s’étaient joints à Démétrius. Ils ne purent réussir ni l’un ni l’autre, et
durent engager le combat. Démétrius fut vainqueur ; tous les mercenaires d’Al-
exandre périrent, donnant un bel exemple de fidélité et de courage ; beaucoup de
soldats de Démétrius furent aussi tués.
12 stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles
IIIe serviteur
don 1 talent 1 mine 5 talents
utilisation du don enterré enterré dilapidé
gains rien rien perte
récompense jeté dehors jeté dehors exécuté
Quelle est la bonne version ? Nous pensons que c’est celle conservée par l’Évangile
des Nazaréens ; en effet, il existe au sein du judaïsme à l’époque de Jésus trois écoles :
celle des esséniens ou assidéens à laquelle appartenait Alexandre Jannée et Jésus, celle
des sadducéens et celle des pharisiens. Si les esséniens correspondent sans l’ombre d’un
doute au Ier serviteur, c’est-à-dire : ceux qui multiplient les révélations tirées de la To-
rah ; il est plus malaisé, par contre, de deviner quel serviteur correspond aux pharisiens
et quel serviteur correspond aux sadducéens : celui qui enterre la parole et celui qui
dilapide. Le serviteur qui enterre la parole pourrait viser les sadducéens et celui qui
dilapide les pharisiens puisque ces derniers sont appelés dans les manuscrits de Qum-
ran : les chercheurs de choses légères ou halaqôth (notons le jeu de mots entre halaqôth
[ ]חלקותet halakôth [ ]הלכותou décisions rabbiniques) : ils dilapident la sagesse de
la Torah. Mais on pourrait tout autant dire que le serviteur qui enterre la parole, c’est
le pharisien et le serviteur qui dilapide la parole serait une allusion aux sadducéens
corrompus.
Autre interprétation possible : ceux qui luttent contre les Romains, ce sont ceux qui
font fructifier l’héritage d’Israël ; ceux qui s’abstiennent, ce sont ceux qui enterrent la
parole ; quant aux maudits qui collaborent avec les Romains, ce sont ceux qui dilapi-
dent leur héritage.
Nous ne savons que conclure des détails que donne Luc sur le terrible personnage :
a-t-il compris que la parabole vise les collaborateurs des Romains et veut-il charger les
pharisiens ? Matthieu a-t-il supprimé les détails afin de masquer l’allusion à Jannée ?
C’est possible ! mais en l’absence d’un original hébreu, nous ne saurons jamais si c’est
une insertion de Luc ou une suppression de Matthieu.
Conclusion
Comme nous l’avons vu, les évangiles contiennent au moins quatre allusions à Alex-
andre Jannée, comme ancêtre de Jésus et comme défenseur féroce de la loi et la Judée.
Ces passages ont été édulcorés, c’est ainsi que Jannée est devenu un descendant de
Zorobabel, le royaume de Judée est devenu le royaume des cieux ou de Dieu, etc.
Le Jésus de l’histoire s’inscrit dans la lutte entre kohens et rabbins, entre le temple et
le sanhédrin, entre descendants d’Aaron et descendants de David.
D’autres passages comportent des allusions très hostiles aux pharisiens : Ils viennent
à vous avec un vêtement de brebis, mais ce sont des loups ravissants. Qui vient avec un
14 stephan hoebeeck • le roi alexandre jannée & les évangiles
vêtement de brebis ? Les pharisiens car ils sont vêtus de laine, opposés au kohens qui
sont vêtus de lin. S’élargissent vos phylactères, s’allongent vos tsitsith ! Un seul Juif porte
des phylactères rectangulaires, c’est le grand-prêtre ; les autres Juifs quand ils prient
portent de petites boîtes cubiques sur la tête. Les phylactères qui s’élargissent sont une
accusation de Jésus contre les pharisiens qui ambitionnent d’être des grands-prêtres.
Quant aux tsitsith qui s’allongent, cela signifie que les écoles juives se distinguaient
peut-être par cela : plusieurs nœuds et fils pendants pour les pharisiens (c’est d’ailleurs
encore le cas aujourd’hui) ; fils tressés et courts pour les esséniens.
Une question que bien des gens se poseront, c’est : avait-il raison de s’opposer aussi
durement aux pharisiens ! Nous dirions qu’il avait ses raisons historiques et familia-
les ; mais qu’aujourd’hui, cette guerre entre pharisiens qui deviendront les Juifs d’aujo-
urd’hui et assidéens qui deviendront les chrétiens et les musulmans doit être enterrée.
— Stephan Hoebeeck