POURQUOI HIROSHIMA?
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Barthélémy Courmont
Pourquoi Hiroshima?
La décision d’utiliser la bombe atomique
Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce
soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
L’Harmattan, 2007
ISBN : 978-2-922844-44-3
BARTHÉLÉMY COURMONT
POURQUOI
HIROSHIMA?
La décision d’utiliser
la bombe atomique
Collection Raoul-Dandurand
L’Harmattan
5-7, rue de l’École Polytechnique
75005 Paris France
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La Chaire Raoul-Dandurand
en études stratégiques et diplomatiques
www.dandurand.uqam.ca
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À mes parents
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REMERCIEMENTS
10 POURQUOI HIROSHIMA ?
Qu’ils soient tous remerciés pour leurs conseils précieux, leurs enseignements
rigoureux et leur soutien tant technique que moral.
Enfin, il m’aurait été impossible de terminer cette thèse de science politique sans
le soutien de mon épouse, Jen Ping, et de ma belle-famille qui, en m’hébergeant
pendant plusieurs mois en Nouvelle-Zélande, me permit d’apporter dans les meil-
leures conditions une touche finale à la rédaction.
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Partie 1
LES ACTEURS AU CŒUR DE LA DÉCISION
12 POURQUOI HIROSHIMA ?
3. LE CHOIX DE LA CIBLE......................................................................131
3.1 La première défaite militaire du Japon...................................................133
3.1.1 Pourquoi Hiroshima ?..................................................................134
3.1.2 Préparer la population japonaise à la défaite.................................149
3.1.3 Préparer l’occupation...................................................................152
3.2 Le souvenir de Pearl Harbor .................................................................155
3.2.1 La rhétorique de l’infamie ...........................................................156
3.2.2 Un peuple de guerriers ! ..............................................................163
3.2.3 La peur des kamikazes .................................................................167
3.3 La piste de la différence raciale..............................................................170
3.3.1 La haine suscitée par les Japonais.................................................173
3.3.2 Le traitement des prisonniers de guerre .......................................176
3.3.3 Le traitement des civils japonais aux États-Unis ...........................183
Partie 2
LE DEUXIÈME NIVEAU DE LA DÉCISION
14 POURQUOI HIROSHIMA ?
PRÉFACE
–––––––––
1. En décembre 1944, selon un sondage, 13 % des Américains étaient favorables à un génocide du
peuple japonais.
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16 POURQUOI HIROSHIMA ?
MONIQUE CHEMILLIER-GENDREAU
Paris, 23 Décembre 2005
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AVANT-PROPOS
–––––––––
2. Lire à ce sujet Tadatoshi Akiba, « Message From Hiroshima », Japan Quarterly, octobre-décembre
1987.
3. Son témoignage en japonais a été traduit en anglais puis retranscrit par l’auteur en français. Les
termes utilisés ne sont donc peut-être pas exactement les mêmes.
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18 POURQUOI HIROSHIMA ?
–––––––––
4. Lucien Poirier, Des stratégies nucléaires, Bruxelles, Complexe, 1988, p. 9.
5. H. G. Wells, The World Set Free, London, Scribners, 1926, p. 35. Dans cet ouvrage, les citations
provenant de textes anglais ont été systématiquement traduites en français par l’auteur, hormis celles
dont la référence en français a été notée.
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INTRODUCTION
HIROSHIMA, SOIXANTE ANS
Tant que cette force terrible, que sont les passions hu-
maines, n’est pas réglée et dirigée d’une manière conve-
nable, il ne peut pas y avoir de civilisation, il ne peut
même pas y avoir de vie possible pour les êtres humains.
KOU HOUNG MING, L’esprit du peuple chinois
–––––––––
6. Certains historiens considèrent que l’héritage d’Hiroshima appartient à la mémoire collective uni-
verselle et qu’il ne doit pas se limiter à l’histoire japonaise. Lire, à ce sujet, Mitsuo Okamoto, « The
A-Bomb Dome as World Heritage », Japan Quarterly, juillet-septembre 1997.
7. Il convient dès lors de s’interroger sur la période inaugurée par l’utilisation de la bombe atomique,
notamment en ce qui concerne sa pérennité. Doit-on considérer que l’ère du nucléaire, commencée
en 1945, a pris fin ? Et, si oui, à la suite de quel événement ? De nombreux intellectuels estiment
que les attentats de New York et de Washington du 11 septembre 2001 ont mis fin à l’invulné-
rabilité des États-Unis, invulnérabilité dont l’arme nucléaire était la meilleure garantie. Cette
explication semble plus pertinente que celle qui consiste à considérer que la période en question n’a
été marquée que par la Guerre froide et qu’elle a pris donc fin au début des années 1990. Or, la
stratégie nucléaire des États-Unis n’a pas été soumise, à cette occasion, à de profonds boulever-
sements, tandis que les évolutions post-11 septembre ouvrent une nouvelle ère du nucléaire, qui ne
repose pas sur les éléments déjà perceptibles en 1945 et qui se sont prolongés avec l’équilibre de la
terreur. Nous reviendrons, dans la conclusion, sur les éléments permettant de considérer que la
période de l’invulnérabilité américaine est comprise entre 1945 et 2001.
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20 POURQUOI HIROSHIMA ?
comme une arme de paix que comme le plus formidable engin de guerre jamais
pensé et utilisé.
Si tous reconnaissent le caractère épouvantablement destructeur de la bombe
atomique, les observateurs (notons ici que ce terme rassemble tant les historiens
que les juristes, les personnalités politiques, les journalistes ou les philosophes)
se montrent en revanche très partagés sur l’interprétation à donner à son
utilisation. S’agit-il d’un acte de barbarie injustifié, voire même de terrorisme
d’État8, étant donné que la guerre touchait à sa fin, avec ou sans Hiroshima ?
Est-ce un crime de guerre ? Un crime contre l’humanité ? S’agit-il au contraire
d’un choix politique qui permit de sauver des vies humaines ? Est-ce le révélateur
du degré ultime de violence des États, qui cherchent à asseoir leur supériorité
par des actions militaires fortes ? S’agit-il, enfin, d’un mal nécessaire, sans lequel
l’utilisation d’armes nucléaires encore plus destructrices aurait été possible ?
Cette dernière interrogation, si l’on considère que la destruction d’Hiroshima et
celle de Nagasaki, advenue trois jours plus tard, ne font partie que d’un seul et
même événement, est indiscutablement la plus intéressante. Depuis 60 ans,
Hiroshima sert de repère pour comprendre les conséquences de l’utilisation de
l’arme nucléaire, tant sur un plan politique qu’en ce qui concerne les effets dus
à l’explosion et aux radiations.
Immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et dans un
contexte fortement imprégné de luttes idéologiques, de nombreux intellectuels
se sont préoccupés de l’avenir de l’humanité dans un monde nucléaire où les
relations internationales étaient totalement bouleversées. Ces préoccupations
portaient sur deux points : la survie du monde et la domination des puissances
nucléaires sur les autres États. Le bombardement d’Hiroshima serait donc le
point de départ d’une nouvelle ère des relations internationales, plutôt que la fin
de la Seconde Guerre mondiale.
Le 6 août 1945, à 8 h 15, heure d’Hiroshima, la bombe Little Boy fut
larguée depuis le bombardier B-29 surnommé Enola Gay. Un immense nuage
monta de la ville en bouillonnant. En l’espace de deux minutes, il atteignit la
hauteur du vol d’Enola Gay en prenant la forme d’un « gigantesque cham-
pignon9 ». Ce qui était alors perçu comme un phénomène exceptionnel de par
son caractère inédit allait bientôt s’imposer dans l’imaginaire collectif sous
l’appellation de « champignon nucléaire ». La surface terrestre ressembla à un
tonneau de goudron en ébullition. Le mitrailleur de queue de l’avion se retrouva
au premier plan pour observer le spectacle. Il vit tout de l’explosion. Il eut
l’impression d’un immense soleil surgissant de la terre, puis s’élevant progres-
sivement vers les nuages. Il ne put que murmurer : « Mon Dieu ! Qu’avons-nous
–––––––––
8. La notion de terrorisme d’État n’est pas à comprendre ici au sens le plus commun. Il se rapporte à
une action de terreur, orchestrée par l’État, visant à anéantir la volonté de résistance de l’adversaire.
Lire, à ce propos, Éric Cobast, La terreur, une passion moderne, Paris, Sirey, 2004, p. 47 :
« Les 150 000 morts à Hiroshima en août 1945, les 300 000 tués sous les bombardements de
Tokyo quelques mois plus tôt, furent bien aussi des victimes du terrorisme : il s’agissait pour l’état-
major américain de paralyser la défense japonaise et d’accélérer la reddition de l’adversaire. »
9. Michael Amrine, « The Day the Sun Rose Twice », Washington Post Book Week, 18 juillet 1965.
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Introduction 21
–––––––––
10. Cité dans Dan Kurzman, Day of the Bomb: Countdown to Hiroshima, New York, McGraw-Hill,
1986, p. 412.
11. Albert Camus, « Éditorial de Combat », Combat, 8 août 1945, repris dans Albert Camus, Actuelles I:
Écrits politiques, Paris, Gallimard, 1950.
12. George Orwell, « La bombe atomique et vous », Tribune, 19 octobre 1945, cité dans George
Orwell, Essais, articles, lettres, volume IV (1945-1950), Paris, Éditions Ivréa, 2001, p. 13-17.
13. Ibid., p. 17.
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22 POURQUOI HIROSHIMA ?
inquiétante pour notre époque... Que notre méditation ne perde pas de vue
ceci : une époque de l’histoire de l’humanité caractérisée par l’atome14.
Heidegger estimait ainsi que les questions soulevées par l’arme nucléaire
devaient mobiliser l’ensemble de l’opinion publique et ne pas être l’apanage des
experts et des dirigeants. Cette « ère de l’atome » devait dès lors être perçue
comme une prise de conscience à l’échelle de l’humanité et être caractérisée par
un engagement accru et continu des citoyens dans la préservation de leur envi-
ronnement.
Poussant plus loin la réflexion, Jean-Paul Sartre remarquait, dès octobre
1945, que l’homme était mort dès lors qu’il était en mesure d’assurer sa propre
destruction :
Il fallait qu’un jour l’humanité fût mise en possession de sa mort. Jusqu’ici,
elle poursuivait une vie qui lui venait on ne sait d’où et n’avait même pas le
pouvoir de refuser son propre suicide, faute de disposer de moyens qui lui
eussent permis de l’accomplir... Après la mort de Dieu, voici qu’on annonce
la mort de l’homme. Désormais ma liberté est plus pure15.
Carl Jaspers notait, pour sa part, en 1957 que « la bombe atomique est un
événement absolument nouveau. Car elle conduit l’humanité à la possibilité de
se détruire totalement elle-même16 ». Ces remarques soulevèrent la question de
l’apocalypse offerte à l’Homme, la bombe atomique étant l’instrument de mort
de masse le plus abouti et celui par lequel l’humanité toute entière pouvait dis-
paraître. Avec l’atome sous son contrôle, l’Homme devenait ainsi un apprenti
sorcier pouvant instantanément mettre fin au monde dans lequel il évoluait. Ce
suicide collectif « ne sélectionnera[it] pas un vainqueur et un vaincu, mais effa-
cera[it] notre espèce de la Terre dans un Armaggedon ne laissant derrière lui
aucun poète pour le chanter17 ». De là naquit le principe d’une guerre sans vain-
queur, ainsi que, par enchaînement d’idée, de la guerre improbable et de l’équi-
libre de la terreur qui caractérisèrent la Guerre froide.
Avec ce nouveau moyen destructeur, il devenait également nécessaire de
redéfinir la guerre, qui devenait un moyen non seulement de poursuivre un but
politique, mais aussi de détruire en un éclair toute capacité de résistance de
l’adversaire. La guerre serait-elle possible si l’esprit de conquête venait à dispa-
raître, l’objet de la convoitise des puissants étant réduit en cendres ? De même,
comment envisager la victoire sur les ruines d’un monde totalement obscurci par
le feu nucléaire ? Le 12 août 1945, soit seulement trois jours après la destruction
de Nagasaki, l’écrivain Denis de Rougemont écrivait, depuis Lake George, ces
quelques lignes sur ce qu’il estimait être l’avenir de la guerre :
–––––––––
14. Martin Heidegger, Der Satz vom grund, Pfullingen, Neske, 1957, p. 92.
15. Jean-Paul Sartre, Situations III, Paris, Gallimard, 1945, p. 68.
16. Pour l’édition en français, lire Carl Jaspers, La bombe atomique et l’avenir de l’homme, Paris, Buchet-
Chastel, 1963.
17. Lucien Poirier, Des stratégies nucléaires, Bruxelles, Complexe, 1988, p. 41.
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Introduction 23
Ces intellectuels étaient tous d’accord sur le fait que le monde était entré,
en 1945, dans une ère nouvelle, dans laquelle l’Homme devenait maître de son
propre destin, mais abandonnait cette maîtrise entre les mains de quelques-uns.
–––––––––
18. Denis de Rougemont, Lettres sur la bombe atomique, Paris, Editions de la différence, 1991, p. 26.
19. J.F.C. Fuller, dans Le Figaro, 26 avril 1946.
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24 POURQUOI HIROSHIMA ?
–––––––––
20. Lire Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Éditions de minuit, 1992.
21. Les Jacqueries, qui ensanglantèrent de nombreuses régions, marquent le moment où le seigneur ne
fut plus capable d’assurer la protection du paysan. Les révoltes paysannes sont justifiées par cette
rupture dans le contrat liant le maître à l’esclave.
22. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, tome VI, leçon 57, Paris, Hermann, 1842, p. 291.
23. Ibid., p. 242.
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Introduction 25
Cette paix annoncée par Auguste Comte fut bien évidemment de courte
durée : les deux guerres mondiales successives, qui furent les conflits les plus
meurtriers de l’Histoire, vinrent contredire les prophéties du philosophe. En fait,
si les progrès techniques permirent de limiter les conflits, ce ne fut que pour une
période limitée dans le temps, avant qu’un retournement ne s’opère et ne vienne
intensifier la violence entre les nations. Au milieu du XIXe siècle, le niveau tech-
nique des grandes puissances occidentales pouvait rendre difficile, voire quasi
impossible, une guerre en Europe, vu les dommages irréparables qu’elle risquait
de provoquer. Mais, quelques décennies plus tard, c’est justement cette tech-
nique qui offrit aux puissances européennes la possibilité de se détruire mutuel-
lement, et qui ouvrit la voie à toutes les formes de xénophobie et d’exaltation de
la domination sur l’autre. Après une période qui favorisa, comme l’avait prédit
Comte, la domination des civilisations moins avancées et l’idée d’un ordre
universel duquel la guerre serait progressivement exclue, les rivalités entre les
grandes puissances reprirent le dessus. La technique offrit alors une capacité de
destruction sans précédent.
Doit-on cependant considérer que l’avènement de l’ère nucléaire fut la con-
firmation de la thèse défendue, plus d’un siècle plus tôt, par Auguste Comte ?
La capacité de destruction, parvenue à un niveau tel qu’elle ne pouvait permettre
une utilisation infondée, fut effectivement la meilleure garantie d’absence de
conflit majeur durant la période dite de Guerre froide. La guerre devenait im-
probable dès lors qu’elle supposait des dommages irréparables, à la fois pour le
vainqueur et le vaincu. Il convient d’ailleurs de noter ici que cette guerre im-
probable ne fut pas la conséquence directe d’Hiroshima, mais plutôt du premier
essai nucléaire soviétique en 1949. En effet, comme nous le verrons plus loin, la
stratégie américaine entre 1945 et 1949 n’excluait pas, au besoin, l’utilisation de
l’arme nucléaire aux côtés des armes conventionnelles. Ainsi, la période dite de
« dissuasion » ne fut officiellement proclamée qu’au moment où le monopole
nucléaire fut brisé24. En tout état de cause, la puissance de destruction de l’arme
nucléaire fut la meilleure garantie de son non-emploi, y compris dans un con-
texte marqué par des luttes idéologiques profondes. Dans ces conditions, nous
pouvons considérer que l’arme nucléaire conforta la thèse de Comte.
Deux éléments viennent cependant contredire cette thèse. D’une part, si
l’arme nucléaire permit d’éviter un conflit majeur, elle n’empêcha pas l’émer-
gence, et même la multiplication, de conflits de basse intensité, éparpillés, mais
provoquant au moins autant de victimes qu’auparavant. Ainsi, la deuxième moitié
du XXe siècle fut marquée par un tel nombre de conflits et de pertes
humaines que le qualificatif de « paix » pour désigner la période de la Guerre
froide semble peu approprié. Alvin et Heidi Toffler notent que, « au cours des
2 340 semaines qui se sont écoulées entre 1945 et 1990, la Terre n’a connu au
grand maximum que trois semaines sans guerre. Parler de ces années comme de
–––––––––
24. Nous verrons cependant dans quelle mesure l’idée de la dissuasion a pu être pensée au moment où
les États-Unis, qui étaient le seul pays en possession de la capacité nucléaire, en envisageaient
l’utilisation contre le Japon.