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Boris Urbas
Françoise Waquet, L’ordre matériel
du savoir. Comment les savants
e e
travaillent XVI -XXI siècle.
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Référence électronique
Boris Urbas, « Françoise Waquet, L’ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent XVI -XXI siècle. »,
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Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2015, mis en ligne le 08 juillet 2015, consulté le 28 mai 2016. URL : http://
lectures.revues.org/18603
Boris Urbas
Lectures
Françoise Waquet, L’ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent XVIe-XXIe s (...) 3
place, permet de repérer les représentations et les valeurs liées à cet outillage : la défiance de
Bichat (XVIIe) à l’égard du microscope en comparaison à l’observation des tissus à l’œil nu
en anatomie, ou au contraire la préférence de Marey (XIXe) pour la « méthode graphique »
retenant les traces des mouvements en se distanciant de la « défectuosité de nos sens » et de
« l’insuffisance du langage » (p. 232). « L'empire des sens dans le monde du savoir » (p. 240)
s'est donc accru. Le recours à différentes ressources dans une même technique intellectuelle
permet de passer du sensoriel au sensible, tels « la main experte », « l'empathie pour l'objet
étudié », ou le « geste respectueux » (p 241).
4 La troisième partie (« Un ordre raisonné ») s’appuie sur les discours des acteurs sur
ces pratiques. Le chapitre 6 introduit les questions de la surabondance et de l’urgence,
constituant deux constantes majeures du travail scientifique sur l’ensemble de la période
étudiée : Gesner constate en 1540 la « matière infinie » de la masse d’ouvrages qu’il doit
recenser, bien avant l’accroissement de la littérature grise et l’avènement de la big science
(p. 254). Globalement « les ressources documentaires à disposition des chercheurs ont très
considérablement augmenté » (p. 253), conséquence de la division, de l’interdisciplinarité,
du changement d'échelle et de l'ouverture à de nouveaux champs d'investigation (telle
l’archéologie p. 255), et conférant un rôle crucial au bibliographe. Il s’agit aussi d’assumer de
nombreuses correspondances comme en attestent les études sur la République des Lettres (les
3300 lettres de Vossius), ou le quotidien d'un professeur de médecine au début du XIXe, pris
entre la recherche, l'enseignement et les consultations. Le chapitre 7 aborde l’économie de ces
pratiques : les outils constituent donc des réponses à ces contraintes permettant de « maximiser
l'activité de la production et de la transmission des connaissances » (p. 277). Des small
conferences de Margaret Mead aux formations spontanées à l’usage d’un nouvel instrument,
l’oral constitue un moyen rapide et pérenne. L’imprimé, vite adopté par les scientifiques recèle
de nombreuses solutions également, comme les « éléments paratextuels » (p. 283) proposant
des « systèmes de lecture pertinents » (Ibid.) : tables, index, notes, etc. Le déploiement des
revues au XXe s’est accompagné de la création de journaux d’abstracts (Chemical abstracts
en 1895). Le format de l’article scientifique lui-même tend à homogénéiser la lecture par la
prépondérance du format IMRAD (Introduction, Method, Results and Discussion) (p. 293).
Le travail du style d’écriture des travaux vise à offrir au lecteur « l'accès le plus immédiat
et le plus sur au contenu […] » (p. 317). L’usage du graphisme y participe également, des
cartes topographiques aux figures simples comme l’accolade permettant de créer des relations
au sein d'une diversité. L’auteure cite également les technolectes, les nomenclatures dans
la chimie ou le domaine juridique, ou encore l’emploi persistant de métaphores dans le
langage scientifique (descriptions de bruits pulmonaires en médecine). Les outils intellectuels
permettent donc « d'aller vite, simplement et surement […] par rapport à une modalité
précédente ou autre » (p. 323). Ce constat a priori attendu prend ici une nouvelle épaisseur,
l’auteure démontrant que tout cela « fonctionne, et quasiment dans les mêmes termes, tout au
long des cinq siècles étudiés, pour quelque instrument que ce soit, du catalogue-matières de
bibliothèque à la métaphore en passant pêle-mêle par le journal d'abstracts, le graphique, le
format IMRAD ou le portail documentaire » (p. 324).
5 Dans la conclusion, l’image télévisée classique de l’intellectuel parlant devant sa bibliothèque
est confrontée au foisonnement de ces outils, « transhistorique [s] […] en ce qu’ils conjuguent
des ressources nées à des époques diverses, sans compter, et on ne sait toujours trop où les
situer sur l'échelle du temps […] » (p. 328). L’auteure s’interroge sur la relation entre le
renouvellement des outils et celui des « opérations cognitives » (p. 328). Via un parallèle avec
le développement du numérique (les carnets de recherche en ligne par exemple), elle constate
que si les outils ne remettent pas en question les fondements épistémologiques du travail
scientifique, ils transforment le quotidien de la recherche, les « arts de faire » (p. 330). Une telle
« histoire matérielle des idées » (p. 332) conduit à interroger concrètement la place du corps
du chercheur, des outils intellectuels et de sa sensibilité, dans l’objectivité à laquelle il aspire :
« ne résiderait-elle pas davantage dans les méthodes et les idées que dans les outils maniés » ?
(p. 333). En conclusion, et bien au-delà du seul monde scientifique, l’auteure – citant le
physiologiste Alain Berthoz – situe les solutions éprouvées dans le domaine des activités
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Françoise Waquet, L’ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent XVIe-XXIe s (...) 4
cérébrales relevant de la « simplexité », c’est-à-dire permettant « de traiter très rapidement des
informations ou des situations […] sans dénaturer la complexité du réel » (p. 330)4.
6 Cet imposant travail doté d’un index des noms propres et d’une bibliographie thématique,
présente un fort intérêt en histoire et en anthropologie, ainsi que pour tout chercheur en
sciences humaines (information-communication, sociologie) soucieux du rôle des techniques
intellectuelles dans l’accès aux savoirs, l’ordinarité de la recherche5, la communication
entre pairs et la formation aux sciences. Les références proposées permettront au lecteur
d’approfondir (illustrations, documents) des points traités plus succinctement dans l’ouvrage.
Notes
1 Françoise Waquet et Hans Bots, La République des lettres, Paris : Bruxelles, Belin, 1997, 188 p. ;
Françoise Waquet, Les enfants de Socrate : Filiation intellectuelle et transmission du savoir XVIIe-XXIe
siècle, Paris, Editions Albin Michel, 2008, 325 p.
2 Françoise Waquet, Parler comme un livre : L’Oralité et le Savoir, Paris, Albin Michel, 2003, 432 p.
3 L’auteure fait plusieurs fois référence à l’article de Marcel Mauss : « Les techniques du corps », Journal
de psychologie, vol. 32 / 3-4, 1936, p. 365–86.
4 Cité par l’auteure : Alain Berthoz, La simplexité, Paris, Éditions Odile Jacob, 2009, 256 p.
5 Lecture pouvant être complétée par un numéro thématique de la revue « Sciences de la société » :
Muriel Lefebvre (dir.), L’infra-ordinaire de la recherche : Archives, mémoires et patrimoine scientifique,
Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2013, 172 p., (« Sciences de la société », 89).
Référence électronique
Boris Urbas, « Françoise Waquet, L’ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent XVIe-
XXIe siècle. », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2015, mis en ligne le 08 juillet 2015, consulté
le 28 mai 2016. URL : http://lectures.revues.org/18603
À propos du rédacteur
Boris Urbas
Docteur en sciences de l’information et de la communication, chercheur au CIMEOS (EA 4177),
Université de Bourgogne
Droits d’auteur
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