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ASCENSION Je he savais pas grimper. Ca les a Un peu enerves» Par Fabrice Drouzy(http://www.liberation fr/auteur/4365-fabri 8 juin 2009 06:52 (mis a jour le 5 janvier 2017 & 18:04) drouzy) Je ne savais pas grimper, ca les a un peu énervés» Nadir Dendoune Nadir Dendoune, premier Franco-Algérien a gravir Everest, assume son manque d’expérience. Retour sur cette extraordinaire aventure. Quand un collégue est venu nous dire qu’une connaissance, fils d’immigré né en Seine-Saint-Denis, avait escaladé I’Everest sans aucune expérience de la montagne et voulait en parler & occasion de la préparation d’un livre, on a haussé les sourcils, un peu incrédule. Comme on ne le connaissait pas, on a cherché son nom sur Google - Nadir Dendoune -, et l'on a découvert que le phénoméne avait également fait Paris-Sydney A VTT, filé Bagdad en 2003 pour devenir bouclier humain, écrit deux livres... Bien, bien, bien. Encore quelques clics, et on découvrait son visage sur le toit du monde : un cliché net, cadré serré, arborant un carton en forme de cceur sur lequel était griffonné au stylo «9-3», le numéro de son département. Aprés une ultime recherche, on a dfi ravaler nos a priori: le 25 mai 2008, Nadir Dendoune était bien devenu le premier Franco-Algérien a gravir l'Everest. Un exploit paradoxalement peu médiatisé pour cette montagne mythique qui aimante chaque saison des centaines d’alpinistes. Car, si ce presque quadragénaire & V'allure adolescente - d'immigré-qui-en-a-marre-des-clichés-sur-la-banlieue - réve de reconnaissance sociale, sa gouaille 93 et ses jugements définitifs sur la communauté des montagnards en font un personnage sympathiquement ingérable, Entretien. Savle Pour étre un aventurier, il faut étre blanc, s’appeler Vincent... J’ai fait 'Everest parce que je voulais aller 1a of on ne mattendait pas. Le rap, a va un moment. Je suis un ancien «caillera» (vol, bagarre), j’ai un peu taté de Fleury-Mérogis, mais rien de bien grave. J’ai quitté la France en 1993, pour un raid en VIT jusqu’a Sydney. Et c'est 1a que ma vie a changé, Un vrai déclic quand on m’a considéré pour la premiere fois comme un Frangais a part entiére, un type normal. J’y suis resté plus de sept ans, et le 9 aofit 2001 j'ai obtenu la nationalité australienne. Je suis le premier Australo-Beur. Aujourd’hui, j'ai trois passeports (francais, algérien, australien) mais pas de vraie identité, c'est un peu triste. LEverest Tout a commencé en 2001, lors d’un passage a Katmandou, l'occasion d’un petit trek jusqu’au camp de base de Annapurna. Un guide m’a demandé en voyant ma forme si que ce soit pour la plus belle montagne du monde et la plus haute. Bien sar, jaurais pu faire le mont Blanc, mais ga ne m’intéressait pas. J’ai ensuite rencontré a Paris un chef d’expédition népalais, et c’est lui qui m’a orienté vers une expédition commerciale et a facilité mon inscription. On s'est revus réguliérement et, chaque fois, je lui disais que j’avais fait un nouveau sommet, pour avoir lair crédible. Je ne me suis jamais vraiment entrainé ; mais en faisant mon footing ‘avais déja fait de l’alpinisme. Et l’idée a fait son chemin. Quitte a souffrir, quotidien, pendant plus de cinq ans, je me disa baver, je vais étre une gross is : «Je vais en baver, je vais en se merde, mais je vais le faire.» Bref, je me prépara ama maniére. Lexne Au départ, je devais partir par la face Nord, cdté Tibet et Chine. Et puis, ily a eu les événements a Lhassa (avant les JO de Pékin), et les expéditions ont été bloquées. J'ai da me rapatrier sur le versant sud-népalais. Seul probléme : il est beaucoup plus cher. J’avais environ 15 000 euros de cété, il en fallait au minimum 20 000, s. Alors, - et j'ai récupéré plus de 3 000 euros. Grace a un sponsor (la CFCI) de derniére minute, la veille du départ, j'avais enfin réuni la somme et jai filé au Vieux Campeur. J’ai expliqué au vendeur ce que j’allais faire, il a commencé a me parler matériel et technique, et moi, je ne connaissais rien. C’était dréle. ais plus tous les frai envoyé un mail a tous mes potes - sans dire of Sur place Arrivé la-bas, j'ai été accueilli comme une merde. Il y avait une vraie haine de la France dans ce groupe d’Anglo-Saxons dirigé par un Ecossais. Pendant sept semaines tente, c'est ca qui a été le plus dur. Mais ca m’a donné la niaque. Mike, un Anglais qui avait déja fait une tentative, me cassait tous les jours sur son blog, IIn’y a qu’a la fin qu’il m’a rendu hommage et que l'on est devenus potes. En fait, tout le i été rejeté par tout le monde. Sept semaines tout seul dans une monde pensait que j’étais une tache, que j’étais trop basané, etc., ete. Comme @habitude. Bon, le fait que je ne sache pas grimper, ga les a aussi un peu énervés sans doute. Linexnérience Je suis monté vers le camp de base avec Henry Todd, un des responsables de Texpédition. Et, pendant la marche, il a commencé a me poser des questions sur mon CY, dont je me rappelais a peine. Il faut dire que j’avais tout bidonné pour arriver la - Mont Blanc, Kilimandjaro, un 8000 métres dont je ne me souviens méme plus du nom... Je devenais tout rouge. Ensuite, il y a eu une série de tests au camp, pour voir comment on se débrouillait. J’ai dit aux autres :«Passez devant, je vous en prie», pour avoir le temps de les observer. Ensuite, je me suis entrainé tout seul sur une petite pente au-dessus du camp. Pour monter, ca allait A peu prés ; mais, en haut, impossible d’enlever le mousqueton. J’avais peur que les gars en bas s’en apercoivent, alors j’essayais de faire le mec cool, qui se balance au bout de sa corde. Finalement, j’ai été voir un sherpa sympa, je lui ai dit que j’avais des trous de mémoire, que je ne m’en sortais pas, et il m’a tout expliqué. Mais ¢a s’est joué A pas grand-chose que je me fasse vraiment démasquer. Le sommet Le dernier jour, sous oxygene, il n’y avait plus que dix heures a tenir, et j i tout donné. Je suis monté avec un sherpa qui a perdu la boule. II n’arrétait pas de m’insulter, de me coller des tartes pour que j’avance. Et la, je me suis dit : «Putain, c’est la Seine-Saint-Denis qui me rattrape, méme ici, sur le toit du monde.» Maintenant, avec le recul, je ne sais pas s'il n’a pas fait ¢a pour éviter que je mendorme en marchant... Je tenais a peine debout. Et le ressaut Hillary (dernier passage technique, a une centaine de métres du sommet), ce que j’ai pu galérer dans ces gros rochers ! Je lai d’ailleurs redescendu sur les fesses. Maintenant, je sais que je ne ferai plus jamais de montagne de ma vie. Petit scarahée On est plus fort qu’on ne le pense finalement. Je ne suis pas une béte physique, mais je suis un putain de pitbull quand je veux quelque chose. Aujourd’hui encore, personne ne me croit vraiment. Heureusement que j'ai un certificat. Cela me vexe un peu, mais i faut dire que je ne suis pas trés classique. Ni dans mon parcours ni dans ma présentation. Le livre Tl m’a fallu du temps pour digérer tout ga. J’ai déja écrit ’quivalent de deux ou trois tomes. II me fallait du recul mais, maintenant, je tiens l’angle : je suis un tocard... sur le papier. Fabrice Drouzy (http://www. liberation fr/auteur/4365-fabrice-drouzy)

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