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Contribution à l’étude des corrélations existant entre les


caractéristiques géotechniques et géologiques d’une
formation meuble
A C ontribution to the Study o f the Correlations Existing between the Geotechnical and
Geological Characteristics o f a Soft Deposit

J. RO U SSE A U , Ingénieur à la société Bearnaise, Poitiers (Vienne), France


G . M O N E K , Ingénieur à la société Bearnaise, Poitiers (Vienne), France
R. A C H A IN , Ingénieur à la société Bearnaise, Poitiers (Vienne), France

SOM MAIRE SUMM ARY


Il existe un certain nombre de relations entre les caractéris­ Some relations exist between the geotechnical characteristics
tiques géotechniques (en particulier les caractéristiques physiques) (particularly physical characteristics) and the geological charac­
et les caractéristiques géologiques (condition de genèse) des teristics (mode of formation) of soft deposits. This fact is
formations meubles. Ce fait est illustré par un exemple (argile illustrated by an example (decalcified clay) chosen from the
de décalcification) choisi dans la région poitevine (France). Poitiers region (France).
Parmi un certain nombre de mesures effectuées en laboratoire Amongst a number of measurements performed in the
et in situ; les limites d’Atterberg; la teneur en eau et le module laboratory as well as in situ, the Atterberg limits, the water
pressiométrique ont permis de mettre schématiquement en évi­ content, and the pressiometric modulus have schematically
dence le parallélisme existant entre les observations géologiques brought out the parallels existing between geological and geo­
et géotechniques. Ces corrélations font l’objet d'une étude en technical observations. These correlations are the subject of a
vue de leur utilisation pratique, en ce qui concerne la rationali­ study to determine their practical application in regard to the
sation des reconnaissances et des éludes de sols de fondation. rationalization of subsurface investigations and studies of founda­
tion soils.

l o r s q u e l ’o n é t u d i e un sédiment meuble, du point de vue correspond une certaine granulométrie de matériaux trans­
de ses possibilités d ’utilisation comme assise de fondation, il portés.
est généralement admis que la méthode rationnelle d’étude La sélection minéralogique et morphologique est déter­
consiste à réaliser un certain nombre d’essais mécaniques minée surtout par la solubilité des matériaux, en même
dont les résultats sont exploités à l’aide de formules mathé­ temps que par leur résistance à l’usure. Le plus souvent, la
matiques, théoriques ou empiriques. Dans bien des cas, cela composition minéralogique prédétermine les caractéristiques
conduit le technicien à s’écarter par trop de la réalité des morphologiques des grains. Le quartz par exemple ne donne
phénomènes naturels, et nous avons pensé qu’il pouvait être jamais que des grains à tendance sphérique, alors que les
utile de présenter ici un plaidoyer en faveur de l’utilisation micas se présentent toujours en paillettes. On conçoit donc
simultanée des méthodes de raisonnement du géologue et du bien l’importance des facteurs minéralogiques.
géotechnicien. La sélection effectuée par le vent est comparable, à peu de
chose près, à celle opérée par l’eau.
GÉNÉRALITÉS Après sédimentation, l’évolution diagénétique du milieu
U n terrain meuble est composé de particules ou de grains provoque une modification continuelle de ses constituants,
formant un milieu discontinu, éventuellement imprégné aussi bien dans leur taille, dans leur forme que dans leur
d’eau. Le comportement mécanique d ’un tel milieu dépend nature. De ce point de vue, il convient donc de prendre
de quatre termes principaux: taille des grains ou particules très nettement conscience que l’étude d’un sédiment à un
(granulométrie), forme de ces grains (morphoscopie), instant donné ne permet que d’apprécier les qualités qu’il
nature minéralogique et milieu interstitiel. possède à un stade particulier de son évolution.
Dans le sol, taille, forme et constitution minéralogique La méthode d’étude d’un terrain de fondation doit donc
des grains et particules sont impliquées, à l’origine, par la permettre de connaître l’histoire du matériau, ses caractéris­
nature de la roche mère qui a donné naissance à ces élé­ tiques actuelles, ainsi que la vitesse et la nature de ses
ments, par leur mode de transport et par leurs conditions modifications prévisibles en fonction des sollicitations nou­
de dépôt. velles auxquelles on le soumet.
Les agents de transport les plus importants sont l’eau et De tout cela, il nous est apparu que géologie et mécanique
le vent. Dans les deux cas, il se produit un triage dès le des sols devaient être indissolublement liées dans tout raison­
départ, ou bien pendant le transport (triage granulométrique, nement pratique, tendant à apporter des conclusions au sujet
minéralogique ou morphologique). Dans le cas de transport d’un sol de fondation. Pour préciser notre pensée et pour
par eau, il est bien connu qu’à chaque régime d’écoulement illustrer en premier lieu ces considérations générales, nous

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estimons nécessaire de détailler quelque peu un exemple
concret, choisi dans la région de Poitiers (France).

EX EM PL E

Situation géologique générale


Les terrains constituant les plateaux de la région poitevine
peuvent être divisés en deux grands ensembles: masse cal­
caire formant substratum et formations meubles superfi­
cielles.
Le substratum est formé par des couches calcaires du
Bajocien, du Bathonien et du Callovien (jurassique). Ce
calcaire est parcouru par un réseau de fissurations (dia-
clases) très important. Les eaux d’infiltration cheminent dans
les fissures et par leur action dissolvante les élargissent pro­
gressivement, réalisant ainsi des gouffres et cavernes sou­
terraines, des dolines et entonnoirs de dissolution superficiels.
Ces dolines et entonnoirs de dissolution correspondent à des
cavités pouvant atteindre plusieurs dizaine de mètres de
profondeur.
C ’est sur une “surface d’érosion calcaire” ainsi préparée
et souvent profondément entaillée que les formations
meubles se sont ultérieurement accumulées en grande masse.
Nous distinguons dans ces formations meubles deux faciès
principaux: les argiles de décalcification et les argiles et
sables sidérolithiques.
Les argiles de décalcification proviennent de l’altération f ig . 1. Schéma général d’une poche de décalcification.
sur place des calcaires jurassiques. Ces argiles occupent les
poches de décalcification formées dans le calcaire, poches Cette zone est souvent remaniée et l’on y rencontre des
dont la profondeur peut atteindre 10 à 15 mètres. matériaux sablo-Iimoneux apportés ultérieurement. Dans ce
Les argiles et sables sidérolithiques constituent une masse cas, on ne peut plus parler d’éléments de décalcification
argilo-sableuse très hétérogène, abandonnée par des cours classique, car d’autres facteurs ont joué postérieurement et
d ’eau venant du Massif Central, dans les dépressions superfi­ ont modifié les caractéristiques de la masse.
cielles et dans les cavités karstiques (superficielles et souter­ L ’ensemble des zones A-B peut atteindre plus de 2
raines) du calcaire jurassique, vraisemblablement au début mètres d’épaisseur. Chacune d’elles correspond à une étape
de l’époque tertiaire. Ces matériaux sont très différents des de la transformation chimique (décalcification) et physique
argiles de décalcification. Masses de couleurs très variables de la masse calcaire. Leur individualisation géologique cor­
(rouge vif, jaune, vert ou blanc), ces dépôts sidérolithiques respond à une très nette différenciation des caractéristiques
peuvent souvent renfermer des lentilles d ’argile kaolinique physiques et par conséquent des caractéristiques méca­
ou montmorillonitique, et les comportements opposés de ces niques des matériaux prélevés dans les différentes zones.
deux matériaux, du point de vue géotechnique, posent de
nombreux problèmes. Mesures effectuées
L ’exemple choisi est celui d ’une poche de dissolution
Définition de l'exemple classique. Cent cinquante échantillons, appartenant aux
L ’argile de décalcification est toujours plus homogène différentes zones B, C et D, définies ci-dessus et prélevées
que les formations sidérolithiques et de ce fait, elle se prête dans une dizaine de cuvettes identiques entre elles, ont fait
mieux à une comparaison générale. Comme nous l’avons l’objet des mesures systématiques suivantes en laboratoire:
indiqué plus haut, les argiles de décalcification remplissent teneur en eau, densités sèches et apparentes, limites d’Atter-
des cavités (poches de décalcification) superficielles du berg et compressibilité cedométrique.
substratum, et c’est le cas d'une telle cavité que nous nous Nous avons déterminé en place, au moyen de 65 essais
proposons d’examiner. au pressiomètre Louis Ménard, le module de déformation
Le passage du calcaire à l’argile est progressif et l’on pressiométrique E et la pression limite correspondante.
constate dans chaque cas un véritable zonage, toujours iden­ Dans la suite, et pour ne pas surcharger ce bref exposé,
tique pour des poches de décalcification non-remaniées nous nous bornerons à utiliser seulement les limites d’Atter-
(fig. 1). Une première zone (A ) correspond à un ramollis­ berg, la teneur en eau et le module de déformation pressio­
sement du calcaire qui devient friable, blanc, humide au métrique.
toucher et dans lequel les éléments argileux n’apparaissent
pas encore. Dans la deuxième zòne, on observe la présence Résultats obtenus
de blocs de calcaire très décomposés (zone B ), friables, Il a d ’abord été vérifié que pour un même matériau les
mélangés à une argile de couleur brunâtre. L ’argile contient chiffres déduits des essais présentaient des dispersions rela­
également des éléments calcareux invisibles à l’œil nu (dosage tivement faibles (conditions d’expérience). La fréquence de
calcimétrique). Cette zòne passe progressivement à une argile répétition de ces chiffres a été soigneusement étudiée et pour
brun foncé, avec taches de minéralisation (Fe,M g) sans chacune des zones géologiques, des bornes supérieures et
éléments calcaires (zòne C ). Enfin, la zòne centrale de la inférieures ont été déterminées.
poche (zòne D ) est occupée par un matériau argileux brun Les limites d’Atterberg sont évidemment apparues comme
clair, jaune ou verdâtre, également sans éléments calcaires. très fidèles et caractéristiques d ’une même argile. La limite

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T A H L lîA L ' I. R É S U LT A T S O Ü T K K U S T A H L K A l’ 11. C O R R É L A T IO N

Zòne B ZoneC Zone I) Zone B ZòneC Zone 1)

IVi. 65-75 85-95 45-65 wi-w 34-35.5 57-51) 27.5-25)


W\> 24-34 40-50 15-30 E 55-80 165-193 5)4-120
I\‘ 40-45 40-52 30-40
w 31-34.5 28-36 17.5-36
E 55-80 165-15)3 5)4-120 Il y aurait ici matière à la présentation d’une étude très
détaillée sur les rapports des caractéristiques mécaniques et
de liquidité a été choisie comme critère principal de discré- physiques d ’un sol, mais ce n ’est pas notre propos.
mination. Les chiffres obtenus sont groupés dans le tableau I. Ce que nous voulons mettre en évidence, ce sont les en­
seignements que l’on peut déjà tirer d’un tel exemple: dans
Examen des résultats l’étude des formations géologiques, il y a relation étroite
On remarquera que les limites de liquidité permettent d’in­ entre les observations géologiques et les observations géo­
dividualiser les zones, ainsi que nous l’avons déjà indiqué. techniques. Ces relations sont réciproques.
Les maxima correspondent à la zòne C et ceci est explicable: La reconnaissance géologique préalable de la zone super­
La limite de liquidité est liée à la surface spécifique du ficielle permet d’avoir une idée de la structure du sous-sol et
matériau et par conséquent aux caractéristiques granulo- d’indiquer surtout s’il peut se présenter des problèmes parti­
métriques et morphoscopiques de ses constituants. culiers en profondeur.
Elle est également fonction de nombreux facteurs d’ordre En conséquence, si nous décelons des indices d ’argile
chimique. Parmi ceux-ci nous retiendrons les interactions sidérolithique en surface, nous saurons qu’en profondeur, il
entre les éléments solides et le liquide baignant (capacité faut s’attendre à une certaine hétérogénéité. Par contre,
d ’absorption, subordonnée à la nature minéralogique des pour des argiles superficielles de décalcification, nous sau­
grains), et les forces de liaison entre les ions interfoliaires rons que seule la zone B peut entraîner des difficultés.
qui déterminent la résistance à l’expansion (gonflement) des La méthode pourra donc être adaptée: II suffira de véri­
matériaux phylliteux. fier la présence de chacune des zones, au moyen d’un ou plu­
Dans le cas qui nous intéresse, en zòne B, la fraction argi­ sieurs sondages suivant le cas, et de contrôler la valeur des
leuse renferme encore de nombreux éléments calcareux non limites d’Atterberg. Il conviendra ensuite de mesurer la
visibles à l’œil nu. Ces éléments, du fait de leurs caractéris­ teneur en eau et l’indice des vides ou la densité apparente,
tiques cristallographiques (système rhomboédrique), ne don­ puis de se reporter à un tableau de caractéristiques méca­
nent morphologiquement que des grains à tendance ovoïde. niques repères.
De ce fait même, à égalité pratique de dimension, la Le nombre d’essais pourra être réduit au m inim um et l’on
surface spécifique se trouve diminuée et la quantité d’eau évitera par la même occasion l’erreur qui consiste à utiliser
nécessaire au mouillage du granulai est donc inférieure à sans précaution la zone C, comme assise de fondation.
celle que l’on doit employer pour porter à un même degré
de liquidité un milieu à grains plats, tel que celui de la
zòne C. DISCUSSION
La limite de liquidité de la zòne B est par conséquent Nous n ’avons pas l’intention de proposer une cartographie
inférieure à celle de la zòne C, et l’on pourra dire d’une géotechnique des sites, mais nous pensons que le mode de
autre manière que pour une même teneur en eau naturelle, raisonnement, utilisé à propos de l’exemple, peut être
les matériaux de la zòne B (où w est proche de wL seront étendu à des horizons géologiques de plus grandes dimensions.
plus plastiques que les argiles qui les surmontent (zòne C ). Nous signalerons à ce sujet que sur une étendue de
En zòne D, le matériau est remanié et il a pu être mélangé 10,000 km.ca., nous avons pu vérifier qu’une argile noire
à des apports sablonneux et limoneux. Les sables sont le continentale, attribuable à la base de l’étage Cénomanien
plus souvent constitués par des grains de quartz à tendance (Crétacé supérieur), possédait strictement les mêmes limites
nettement sphérique et de ce fait la limite de liquidité est d’Atterberg: 54 < wTj < 57; 29.5 < / P < 30.5.
abaissée dans de fortes proportions. Nous avons pu, de la même manière, distinguer les
A celte explication de variation de la limite de liquidité, il argiles du sidérolithique des argiles de décalcification et sub­
faudrait ajouter l’influence secondaire de la nature chimique diviser pétrographiquement ce sidérolithique en utilisant au
du matériau et ce, notamment au point de vue absorption départ les seules limites d ’Atterberg. Les analyses minéralo-
interfoliaire (nulle dans le cas de la calcite). giques, auxquelles nous avons procédé ensuite, nous ont
Les différences de plasticité ainsi mises en évidence se permis de confirmer ces subdivisions.
trouvent confirmées par la variation du module de déforma­ Dans de tels cas, après étude géologique et établissement
tion pressiométrique suivant les zones. Nous préciserons à d’un étalonnage, il nous paraît possible d ’étudier rapidement
ce sujet que l’essai au pressiomètre créant un champ de con­ et rationnellement un site donné, sans avoir à recourir
trainte à tendance déviatorique, il n ’a jamais pu être con­ systématiquement à un trop grand nombre d’essais méca­
staté en cours de mesure une augmentation notable de la niques, coûteux et souvent abstraits.
pression interstitielle du milieu. De ce fait, c’est le facteur de Pour un sable, il est évidemment nécessaire d’adopter
lubrification des grains et particules qui modifiant le pro­ d’autres critères.
cessus de fluage intervient directement pour minorer ou Nous nous attachons actuellement à définir le matériau
majorer ce module de déformation. Alors que dans le cas par son faciès granulométrique, son indice morphoscopiquc
de la compression œdométrique, c’est une relation avec et ses diverses densités sèches (critiques et limites). Ces
l’indice de plasticité qu’il faut rechercher, il semble que notions sont reliables à des concepts purement mécaniques,
dans l’expansion sous pression d ’une cavité cylindrique, il en même temps qu’à des méthodes de la sédimentométrie.
soit nécessaire d’envisager pour les milieux argileux, une Le raisonnement reste parallèle à celui que nous avons
corrélation approximative avec wr — w (tableau II). esquisse à propos des argiles.

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de notre part, mais plutôt d ’un parti pris de retour aux
c o n c lu s io n sources de la géologie sédimentaire qui, nous le pensons,
Cet essai de rationalisation pourra paraître par trop dénué peut améliorer les méthodes d ’approche des phénomènes
de chiffres et de mathématiques. Il ne s’agit pas là d’un refus réels en matière d’étude de fondation.

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