Déjà parus
@ L'Harmattan, 1999
ISBN: 2-7384-7751-8
Maxime JOaS
Bon. basson
Cb. contrebasse
C.D.M.C. Centre de Documentation de la Musique
Contemporaine
CI.. clarinette
CI. B. . clarinette basse
C.I.RE.M. Centre International de Recherches en
Esthétique Musicale
C.S. . contre-sujet
Cymb. Susp. cymbale suspendue
FI.. flûte
G. FI. grande flûte
Gr.C. grosse CaIsse
Htb. . hautbois
I.RC.A.M. Institut de Recherche et de Coordination
Acoustique Musique
M.C. mouvement contraire
M.D. mouvement droit
M.R. mouvement rétrograde
Pte. CI. petite clarinette
Pte. FI. petite flûte
P.U.F. . Presses Universitaires de France
R.I.M.F. Revue Internationale de Musique Française
RM.C. rétrograde du mouvement contraire
S.A.C.E.M. Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs
de Musique
Timb. timbale
Trb. trombone
Trp. trompette
Vcl. violoncelle
VI.. violon
Xylo. xylophone
PREFACE
9
diverses propriétés du son, aussi bien au niveau mélodico-
harmonique qu'à celui des timbres et des variations
dynamiques, agit sur notre mémoire et notre appréhension de la
durée. L'œuvre d'Henri Dutilleux résiste avec bonheur et
puissance à cette domination d'une combinatoire de type
mécaniste qui a trop longtemps régné sur l'écriture musicale,
notamment au cours des années cinquante et soixante, et il
convient en conséquence de révéler, à partir de chaque cas de
figure que représentent ses partitions successives, comment se
propage le mouvement des sons dans le temps, sur quelle
modalité de progression intrinsèque elles se fondent. Certes,
pour ce faire, Maxime JOaS est nécessairement amené à traiter
séparement les diverses composantes du phénomène musical
mais, loin d'en rester là, ses analyses lui permettent de
démontrer les enjeux essentiels d'une telle démarche qui, à
partir des données techniques qu'il serait pour le moins
imprudent voire dangereux de négliger, vise la saisie de
catégories temporelles basées sur des notions aussi cruciales
pour le devenir de l'art musical que celles d'instant, de
directionnalité, de statisme et de silence. La musicologie n'étant
pas un domaine séparé d'autres disciplines de pensée, Maxime
JOaS confronte dès lors ses observations à des champs de
réflexion plus généraux, et ses références à Proust, Jankélévitch,
Bachelard ou Brelet ne peuvent que nous confirmer dans la
conviction selon laquelle l'œuvre d'Henri Dutileux, par delà les
dogmes et mots d'ordre restrictifs qui ont proliféré tout au long
de ces dernières décennies, demeure un des témoignages les
plus riches, les plus secrets aussi, de la création musicale
contemporaine.
Jean-Yves BOSSEUR
10
INTRODUCTION
1
Cf. BOUCOURECHLIEV, André, « Le temps musical », Dire la musique,
Paris,~erve, 1995,pp. 199-200.
2
Ibid., p. 199.
11
compositionnelle au pnnClpe générique que l'on dénomme
« temps musical».
12
ne peut saisir totalement à la première audition» 1. Certaines de
ses compositions s'inscrivent tout particulièrement dans cette
optique; ce sont ces œuvres caractéristiques qui nous guideront
dans notre approche. Avec Métaboles (1965), c'est à une
interprétation de la nature et de ses éternelles métamorphoses
que se livre le compositeur. Dans cette œuvre qui fait intervenir
le processus de croissance progressive (terme défini dans la
troisième partie de ce présent livre), Henri Dutilleux vise à
redéfinir le principe de variation, au point de rendre
méconnaissable son matériau mélodique d'origine, et aborde
partiellement les problèmes liés à la perception d'indices
structurels par la mémoire (notons la présence d'éléments
unificateurs à la fin de chaque section de l'œuvre et d'idées
motiviques traitées sous forme de réminiscences). En outre, le
Quatuor Ainsi la nuit, créé en 1977, peut apparaître comme un
point d'ancrage. En effet, le concept de mémoire développé à
partir de Métaboles, demeure totalement maîtrisé dans cette
œuvre qui porte à son paroxysme les procédés d'anticipation, de
dérivation ou de rappel. Avec Mystère de l'instant, créé en 1989
(nous n'aborderons que ce qui concerne ses implications
esthétiques), l'approche du phénomène temporel est
reconsidérée, de telle sorte que le projet de l' œuvre consiste en
une tentative de fixation des éléments qui ne reviendront pas
par la suite. Pour reprendre une définition d'Etienne Souriau,
« l'instant prend une valeur esthétique de son caractère à la fois
irremplaçable et voué à une inéluctable disparition »2.
Cependant, et Henri Dutilleux le reconnaît, cette évanescence
des facettes de son matériau n'est pas sans induire certaines
formes de reprises qui donnent à l' œuvre son unité. Enfin, la
dernière œuvre à ce jour d'Henri Dutilleux (The Shadows of
Time), donnée en création mondiale le 9 octobre 1997 à Boston
par l'Orchestre de Seiji Ozawa, est marquée par l'empreinte de
l'inexorabilité du temps.
1
DUTILLEux, Henri (entretiens avec Claude GLAYMAN), Mystère et
mémoire des sons, Paris, Actes Sud, édition revue et augmentée, 26 novembre
1997, pp. 101-102.
2 SOURIAU, Etienne, Vocabulaire d'Esthétique, Paris, P.U.F., 1990, p. 892.
13
Tenter de cerner l'organisation du temps musical dans
l'œuvre d'Henri Dutilleux, tel est l'objet de cet ouvrage. Pour
cela, nous avons voulu éviter une présentation linéaire des
œuvres et le choix que nous avons opéré répond à plusieurs
critères: d'abord celui de ne retenir principalement qu'une
œuvre par décennie à partir de 1960; ensuite, celui d'étayer
notre réflexion esthétique par un argumentaire analytique que
nous souhaitons le plus précis possible. De ce fait, nous avons
orienté notre présentation autour de trois grands points. Le
premier découle de l'idée suivante: «la dialectique entre
Rythme, Timbre et Forme est le mode d'existence
contemporain du temps musical» 1. De cette thèse de François
Nicolas, traitée de pair avec les préoccupations temporelles
d'Olivier Messiaen que nous trouvons théorisées dans son
Traité de rythme, de couleur, et d'ornithologie, nous avons
retenu différents concepts appliquables au langage d'Henri
Dutilleux, à savoir que l'organisation temporelle de ses œuvres
peut se déduire d'une trajectoire mélodico-harmonique et
trouver sa raison d'être dans des phénomènes de structuration
de la forme par le traitement du timbre. Le second point est lié
au mode de perception de l'œuvre. Les compositions d'Henri
Dutilleux proposent plusieurs facettes du temps musical: si le
parcours de Métaboles s'inscrit dans une linéarité circulaire,
celui du Quatuor Ainsi la nuit décrit davantage un état de
statisme, de suspension (première rupture de cette linéarité);
avec Mystère de l'instant, ce sont les notions de discontinuité et
d'interruption qui sont mises en évidence. Enfin, et ce sera
notre troisième point, nous aborderons l'œuvre d'Henri
Dutilleux à la lueur de la démarche proustienne, c'est-à-dire du
point de vue de la mémoire, et nous reviendrons sur les
procédés structurels qui définissent l'évolution du matériau
musical, afin de placer l'accent sur l'organisation formelle du
discours. The Shadows of Time constituera le point
d'aboutissement de ce livre.
1
NICOLAS, François, «Visages du temps: rythme, timbre et forme»,
Entretemps, avril 1986, n° 1, p. 35.
14
PREMIERE PARTIE
Une démarche créatrice indissociable
de la perception du temps musical
15
qui existent entre le paramètre du timbre et la perception de la
forme; les types de traduction du mouvement (c'est-à-dire les
variations de débit temporel ou les phases de paroxysme). Nous
allons démontrer comment chacun de ces traitements, incarné
dans les épisodes de Métaboles, Ainsi la nuit ou même The
Shadows of Time, apparaît comme un vecteur de temporalité.
Portons d'abord notre attention sur Métaboles, divisée en cinq
séquences - « Incantatoire », « Linéaire », « Obsessionnel »,
« Torpide» et « Flamboyant» -qui peuvent définir un modèle
de temps « mélodico-harmonique ».
16
PREMIER CHAPITRE
Une appréhension du temps en fonction
des hauteurs et des durées
Présentation mélodico-harmonique
. '"'
f;'
. ........-
I I Il I I Il I I2 I3 I
1
Accords et agrégats ont dans ce cas une valeur synonyme.
2
Les instruments transpositeurs seront notés en sons réels au cours de ce livre.
17
Ces accords de base sont complétés au début de l'œuvre par des
impacts appoggiaturés des cordes accompagnées du xylophone,
du célesta et de la harpe. Ceux-ci font entendre des doublures
enrichies et des résonances complexes qui ont la valeur de
réseaux sonores projetés. Cette assise harmonique est également
renforcée par une pédale sur mi qui confinne la polarité de cette
note. Donnée aux contrebasses, celle-ci s'interrompt lors des
impacts des autres pupitres de cordes dans la première page.
Prolongée lors d'une première phase d'augmentation, elle
préfigure une section d'émancipation de l'accord I. La
caractéristique principale de la pédale dans la première page est
d'établir un rapport de durées. En effet, la toute première durée
de cette pédale, présentée dans l'exemple 2, correspond
quasiment à deux mesures. La deuxième durée équivaut à la
première sans la ronde de départ. Ce procédé d'élimination
rythmique se prolonge au début de la seconde page. La valeur
restante est équivalente à la durée suivante (exemple 2).
18
Ex.3 : ibid, mesure 6, p. 2" Il' (sans lefa).
~: "
... '-' '-
~f b ;-
I + Il accord complexe
19
suivante est un condensé du matériau harmonique des accords
12 (do, fa, sib) et 13 (fa# et so/#), enrichi par quelques notes
« étrangères». La résonance 15' de cet impact noté 15 est
essentiellement construite sur la base de 12. Cependant, les
quatre notes qui caractérisent 12 (do, fa, sib et mi) sont ici
agencées différemment (cf infta, exemple 6). Ces nouveaux
complexes quelque peu différents de ceux de la première page
constituent de nouveaux soubassements harmoniques qui
serviront à leur tour de modèles harmoniques. Le réseau
d'impacts de plus en plus resserré au chiffre 4 est élaboré autour
d'harmonies qui se rejoignent (cf. infta, exemple 7).
.
~L
)~
'-"'
v'
of'
20
.
16 16' 17 IT 18 18' 19 19'
21
ornementale sert de fondement à la modification de tous les
autres paramètres.
,t ",~
~~ .~
22
traitée très justement comme une appoggiature. Dans la
deuxième cellule, elle disparaît au profit de l'affinnation du sib
comme dominante du mi (si l'on s'inscrit dans la perspective
bartokienne). Alors que ce phénomène est également
perceptible dans The Shadows of Time (le sol# et le do#
affmnés dans l'œuvre ont la même fonction), le contexte est
sensiblement différent dans l' œuvre intitulée Timbres, Espace,
Mouvement. Si la première partie s'achève sur un ré, tandis que
l'œuvre se termine par l'affinnation du la#, les événements
sonores se nouent autour d'un son pivot, le sol#, qui parcourt la
composition. Les fusées interprétées par la petite harmonie à la
page 4 d'« Incantatoire» font entendre les douze sons du total
chromatique. Raphaël Brunner! y voit la présence d'une série,
ce qui ne nous semble pas être le cas. La technique utilisée par
Henri Dutilleux est toujours fondée sur la projection des notes
des harmonies principales, si bien que la transformation
motivique de cette page est due à une expansion interne de la
cellule ornementale. Effectivement, les notes égrenées par les
flûtes appartiennent autant aux accords I et Il qu'aux accords 12
et I3 (exemple 10).
~.
Ex. 10 : ibid.; chime 1 (mesure 4), p. 4, flûtes. t" ,
~
i i'
~ -b --- "--"-
o Reproduitavec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.
23
(la seconde étant présentée au chiffre 6), Henri Dutilleux
élabore un discours caractérisé par des strates constituées de
fusées aux flûtes, tour à tour en mouvement droit et en
mouvement rétrograde qui alternent avec la présence du triton
(traité comme une figure d'appel), ainsi qu'avec la formule de
première clarinette, qui reproduit le do en appoggiature,
associée aux trémolos de la deuxième clarinette (exemple Il).
Le cor anglais, qui apparaît peu avant le chiffre 2, fait entendre
une figure qui est essentiellement tirée de l'accord 13
(exemple 12).
'-~ '-,---
Ex. 12 : ibid., chiffre 1 (mesure 6), p. 4, cor anglais.
.
~~
~~
({:)Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.
24
ininterrompu (du fait des relais et des tuilages), bien que
fi'agmenté, crée une tension dynamique fondée également sur
l'accélération rythmique!.
:3'
~.!"
4~~ -,
...
. :-,
~_T Tr
1
25