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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
. Géostratégie
. Pensée maritime
La stratégie américaine ne se laisse pas facilement
. Pensée aérienne
décrypter. L’observateur est souvent étourdi par la
. Profils d'auteurs profusion des opinions, des déclarations, des rapports,
. Outils du chercheur qui donnent l’image d’une juxtaposition de services et
. BISE d’intérêts qui poursuivent des objectifs concurrents,
sinon antagonistes. Les rivalités entre les armées
. Bibliographie stratégique
atteignent aux États-Unis une intensité inégalée, au
point qu’un commentateur, mi-sérieux, mi-ironique, a
Publications de référence pu dire que l’ennemi principal de l’US Navy n’avait
jamais été la marine soviétique mais plutôt l’US Air
Stratégique
Force. Les erreurs de l’une sont dénoncées par l’autre
sans guère de considération pour un intérêt commun.
Histoire Militaire et Stratégie
Hervé Coutau-Bégarie
Président de
l’Institut de Stratégie Comparée
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stratégiques
Dossiers :
INTRODUCTION
. Théorie de la stratégie
. Cultures stratégiques
. Histoire militaire
. Géostratégie
Depuis 1945, le rapport entre la guerre et la stratégie est inversé. La stratégie
ne se situe plus uniquement dans la guerre. Celle-ci est devenue un des
. Pensée maritime
modes, de moins en moins utilisé par les pays "développés", d’une stratégie
. Pensée aérienne qualifiée de totale ou d’intégrale. Pour le général Beaufre, la stratégie totale
. Profils d'auteurs est "chargée de concevoir la conduite de la guerre totale. Son rôle est de
. Outils du chercheur
définir la mission propre et la combinaison des diverses stratégies générales,
. BISE
politique, économique, diplomatique et militaire" 1. Considérant à juste titre
que cette définition était encore trop liée à celle de guerre, Lucien Poirier a
. Bibliographie stratégique
proposé le concept de stratégie intégrale. "Théorie et pratique de la
manœuvre de l’ensemble des forces de toute nature, actuelles et potentielles,
Publications de référence résultant de l’activité nationale, elle a pour but d’accomplir l’ensemble des fins
définies par la politique générale". Elle se décompose en trois stratégies
Stratégique générales, économique, culturelle et militaire 2. Notons que ces trois stratégies
générales correspondent à ce que certains politistes considèrent comme les
Histoire Militaire et Stratégie
trois articulations de la politique. Talcott Parsons avait discerné trois axes dans
Correspondance de Napoléon la domination politique de l’Empire romain : un axe militaire, un axe culturel,
RIHM un axe économique. Reprenant ce schéma, Dominique Colas estime qu’il peut
servir à analyser de façon universelle la domination politique en tant qu’elle
est toujours une action utilisant certains moyens et organisant des rapports
sociaux. La politique est articulée et elle articule. Elle occupe une place dans
différents types de pratiques ou de processus et, en même temps, sa place lui
est donnée par différentes pratiques, différents processus : modes de
production, modes de destruction et modes de communication 3. Ils
correspondent aux trois stratégies générales, économique, militaire et
culturelle.
________
Notes:
2 Lucien Poirier, Stratégie théorique II, Paris, Economica, 1987, pp. 113-116.
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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
Correspondance de Napoléon sur ces années cruciales où avaient été définies les grandes options vis-à-vis
de l’extérieur. On va rechercher certaines études des années 1945-1949. On
RIHM
interroge à nouveau George Kennan, Robert Strausz-Hupé, Dean Acheson13.
La référence à l’histoire oblige même à remonter à la seconde décennie du
XIX e siècle, lorsqu’un "nouvel ordre mondial", arrêté au Congrès de Vienne,
avait mis un terme aux guerres napoléoniennes14. Même si la compétition
entre les puissances continue, la crainte d’une domination globale par la force
semble avoir disparu, et avec elle, au fond, la première caractéristique de la
politique internationale au XXe siècle. Les Américains ont toujours aimé utiliser
des expressions-clés, des concepts significatifs d’une vision du monde et du
rôle de leur pays. Le "nouvel ordre mondial" préconisé par George Bush au
moment de la guerre du Golfe est le plus connu de ces concepts d’après-
Guerre froide. Il n’est pas le seul. D’autres sont apparus, dans la même
mouvance d’un "internationalisme triomphant" ou dans celle, bien connue, de
l’isolationnisme : thèse et antithèse. L’administration Clinton semble avoir
recherché une sorte de synthèse en avançant la notion d’"élargissement".
Les États-Unis sont naturellement triomphants pour les analystes qui s’étaient
spécialisés dans l’étude de la menace soviétique et plus généralement pour
ceux qui considèrent la dimension militaire comme le fondement ultime de la
puissance. Il en a été de même pour l’administration Bush, qui avait un intérêt
politique évident à engranger les bénéfices de la "victoire" mais dont les
conceptions fondamentales insistaient aussi sur le rôle de commandant en
chef du Président15. Pour ceux qui sont davantage sensibles aux aspects
économiques de la puissance et qui font des comparaisons avec le Japon et
l’Allemagne, le triomphe des États-Unis paraît plus modeste. D’une manière
générale, l’option internationaliste triomphante est celle de la continuité dans
la politique étrangère, mais avec cette caractéristique, pour certaines variantes
du moins, que l’instant est à saisir, que l’Amérique doit profiter au maximum
de sa position actuelle d’unique superpuissance.
En fait, il n’y avait rien de très nouveau dans le nouvel ordre mondial de
George Bush. Le secrétaire d’État James Baker n’a pas donné de contenu
véritable au concept en dehors d’un souci constant de la "stabilité" 18. Il y a,
dans la responsabilisation des États-Unis, une continuité certaine avec la
pratique de la Guerre froide mais la clé du nouvel ordre mondial semble bien
n’être que le maintien du statu quo. C’est la vision d’un monde qui n’aurait
pas réellement changé. Les dangers évoqués sont l’instabilité et l’incertitude19.
L’Amérique deviendrait alors le principal gardien de la stabilité et de l’ordre,
contre tout État menaçant la tranquillité du système international 20. Il y
aurait un leadership global, qui agirait dans le cadre d’une réponse collective.
Les États-Unis seraient en quelque sorte le catalyseur, la conscience des
démocraties.
avec eux mais, en attendant, c’est l’"instant unipolaire" 29. Si les États-Unis
sont prééminents, c’est parce qu’ils sont le seul pays dont les atouts soient à
la fois militaires, diplomatiques, politiques et économiques. Cela leur permet
d’être le joueur décisif dans n’importe quel conflit partout dans le monde. La
guerre du Golfe, comme celle de Corée, a été l’occasion d’un pseudo-
multilatéralisme. En réalité, les États-Unis ont réagi seuls mais, pour sacrifier
à l’autel de la sécurité collective, ils ont recruté des alliés et ont cherché à
obtenir l’aval du Conseil de sécurité. L’Amérique, comme la Grande-Bretagne
auparavant, est une nation commerçante, maritime, échangiste, qui a besoin
d’un environnement mondial ouvert et stable. Si elle abdique et que le monde
se peuple de Saddams Husseins, son économie sera gravement atteinte. Les
engagements extérieurs sont une charge mais aussi une nécessité. La stabilité
internationale n’est jamais donnée. Si l’Amérique la veut, elle devra la créer
car personne ne le fera à sa place.
droit international 34. Pour Joseph Nye, les États-Unis ne doivent pas être les
gendarmes du monde si l’on précise "à eux seuls". Les États-Unis doivent
prendre la tête de la communauté internationale car le monde est confronté
aujourd’hui à des problèmes transnationaux. "Gérer l’interdépendance", voilà
la principale raison pour laquelle l’Amérique doit s’employer à assurer le
leadership mondial et en faire le noyau de sa politique étrangère.
Dans son effort de réflexion sur le rôle mondial des États-Unis après la Guerre
froide, la revue Orbis est allée rechercher la pensée de son père fondateur,
Robert Strausz-Hupé36. En 1957, celui-ci avait repris, pour la première
livraison d’Orbis, le thème de sa dissertation doctorale parue en 1945 :
"l’équilibre de demain" 37. Strausz-Hupé écrivait sans ambage qu’il s’agissait
pour les États-Unis d’unifier le globe sous leur leadership en l’espace d’une
génération. L’établissement de cet ordre universel était devenu la seule
alternative à l’anarchie. Pour lui, l’État-nation était une odieuse invention de
l’idéologie française et "la force la plus rétrograde du vingtième siècle". Elle
n’avait produit que violences et dictatures. Strausz-Hupé se faisait l’apôtre
d’un fédéralisme mondial. Il voyait l’histoire du XXe siècle comme celle d’une
lutte entre le "pouvoir fédératif" et le nationalisme en tant que principes
organisateurs de la politique mondiale. Les États-Unis étaient les seuls vrais
dépositaires du principe de la puissance fédérative. En 1957, Strausz-Hupé
prévoyait que, dans leur duel avec l’URSS, les États-Unis l’emporteraient
grâce à la supériorité de leur système. Le rêve américain allait devenir
universel. Le pouvoir fédératif américain consistait déjà en trois éléments : son
centre, les États-Unis eux-mêmes, avec son contrôle de facto sur l’hémisphère
occidental et la région du Pacifique ; ensuite l’alliance euro-américaine ; enfin
le leadership à l’ONU. L’OTAN, où Strausz-Hupé fut ambassadeur, représentait
pour lui le noyau du processus fédératif mondial38. La mission du peuple
américain était d’"enterrer" les États-nations. Ainsi s’accomplirait le nouvel
ordre mondial, novus orbis terrarum 39.
Il est étonnant que Strausz-Hupé, qui a fui les nazis et les a combattus, ne
puisse s’empêcher de leur emprunter la nécessité d’une représentation
globale, une Weltanschauung, pour que l’Amérique puisse exercer sa poussée
impérialiste au dehors. Il ne s’est pas contenté de l’internationalisme libéral de
Franklin Roosevelt. Il a fallu qu’il articule une vision géopolitique. Pour Robert
Strausz-Hupé, l’esprit d’ouverture et d’accueil des Américains les rend aptes à
devenir les architectes d’un empire sans impérialisme. La culture anglo-
saxonne peut servir de pont idéal entre les anciennes cultures et la nouvelle
culture mondiale qui doit émerger 40. L’idée d’un fédéralisme mondial a été
reprise par Strobe Talbott dans le magazine Time 41. Pour lui aussi, d’ici une
centaine d’années, la nationalité telle que nous la connaissons sera devenue
"obsolète" ; tous les États reconnaîtront une seule autorité globale. Pour lui
aussi, l’OTAN a été l’expérience la plus ambitieuse, la plus durable et la plus
réussie de sécurité collective et de dilution des souverainetés nationales. Les
institutions financières multilatérales, GATT et FMI, sont pour lui les "proto-
ministères" du commerce, des finances et du développement d’un monde
unifié42. Le fédéralisme mondial n’est pas encore, cependant, le concept le
plus surprenant de l’internationalisme triomphant de l’après-Guerre froide.
LE NÉO-ISOLATIONNISME
Dans l’histoire des États-Unis, l’isolationnisme n’a jamais signifié une volonté
d’isolement total du reste du monde. Les relations économiques avec l’outre-
mer devaient être poursuivies. C’est sur le plan politique que les
isolationnistes préconisaient le détachement. Rejetant la sécurité collective et
les alliances nécessaires au maintien de l’équilibre des forces, l’isolationnisme
résidait essentiellement dans une volonté de non engagement, un refus de
faire des promesses en matière de sécurité qui puissent enlever à l’Amérique
Pour Ted Galen Carpenter, directeur d’études au Cato Institute, les États-Unis
ont besoin d’une stratégie indépendante, libérée des engagements de sécurité
obsolètes, coûteux et dangereux 52. Ils ne doivent plus porter, comme le géant
Atlas dans la mythologie, le poids du monde sur leurs épaules. Il faut définir
avec plus de précision les intérêts vitaux et s’abstenir du réflexe
interventionniste. Les conflits locaux en Europe, comme celui dans l’ex-
Yougoslavie, ne menacent pas les intérêts américains et ne valent pas la peine
de risquer des vies américaines. Le système des alliances est dépassé. L’OTAN
a vécu 53. Il faut cependant garder un certain rôle, même une activité certaine
dans les domaines économique, culturel et diplomatique. Mais vouloir
maintenir une présence militaire significative en Europe réduit à un sens
étroitement militaire l’influence américaine et, de plus, est choquant pour les
Européens, qui partagent un même héritage démocratique et culturel. Le
Japon exerce bien une influence sans passer par l’instrument militaire. En fait,
les valeurs américaines sont en elles-mêmes une source d’influence
considérable. Il faut revenir aux paroles de John Quincy Adams : "L’Amérique
souhaite la liberté et l’indépendance pour tous mais elle n’en est le champion
Robert W. Tucker adopte une position similaire. Les raisons qui ont poussé
l’Amérique à jouer un si grand rôle pendant un demi-siècle ne sont plus
valides. Dans le monde de l’après-Guerre froide, la sécurité des États-Unis, au
sens étroit comme au sens large, n’est plus vraiment menacée56. Le
leadership américain ne survivra pas à la Guerre froide. Il serait beaucoup plus
compliqué pour les États-Unis - et aussi moins attrayant pour la nation
américaine - d’assurer l’ordre que de défendre la liberté. Et le reste du monde
ne manquerait pas de se défier du nouveau gendarme du monde, avec un
sentiment mêlé d’ingratitude et de ressentiment.
Au XIX e siècle, l’isolationnisme fut, pour les États-Unis, une stratégie réaliste
Les variations sur le thème sont nombreuses. David M. Abshire a prôné une
"stratégie agile", c’est-à-dire une nouvelle souplesse, une capacité à agir
rapidement pour tirer parti des nouvelles opportunités ou à se retirer tout
aussi rapidement devant de nouveaux dangers, le tout en fonction d’une vision
à long terme, ce qu’implique à lui seul le mot "stratégie" 83. Une stratégie agile
prendrait des éléments à toutes les grandes écoles de pensée des relations
internationales. Le réalisme fournirait les fondements. Le courant idéaliste, si
lié à la démocratie américaine, apporterait sa pierre, l’école institutionnelle
aussi.
démocratie et du marché91.
La sécurité économique
Anthony Lake a été jusqu’à déclarer que les intérêts américains exigeraient
parfois de nouer des liens d’amitié avec des États non démocratiques et même
de les défendre, pour des raisons de "bénéfice mutuel". Comme l’avait dit le
président Calvin Coolidge dans les années 1920, "the business of America is
business" 98. La puissance économique de l’Europe et du Japon ne leur confère
pas encore une puissance militaire comparable à celle des États-Unis mais elle
les autorise à tendre vers une plus grande influence politique, avec la
possibilité d’arriver à des positions autonomes en matière de sécurité. Nous
sommes entrés dans une nouvelle ère de sécurité, où la puissance
économique pourrait assurer une plus grande influence politique. Sans la force
modératrice exercée par la Guerre froide et par le besoin de la protection
américaine, les conflits de politique commerciale et industrielle pourraient
devenir plus prononcés 99. Or l’économie américaine ne se distingue plus
suffisamment par les proportions de son marché intérieur et le caractère
avancé de ses technologies pour que la politique étrangère en tire
avantage 100. Si l’on assiste à l’émergence d’une tripolarité économique, il sera
donc dans l’intérêt des États-Unis d’intégrer au maximum les questions de
géoéconomie dans un contexte géopolitique plus vaste, où ils conservent
encore les meilleures cartes101. Pour cela, il faut pousser au maximum à
l’intégration de la communauté internationale, à un système commercial global
et ouvert. Les États-Unis, selon le secrétaire d’État-adjoint Strobe Talbott,
devront veiller à ce que les groupements régionaux ne contrecarrent pas ces
objectifs qui expriment l’intérêt supérieur des États-Unis 102.
________
Notes:
12 Robert E. Hunter, “Starting at Zero : U.S. Foreign Policy for the 1990s”,
The Washington Quarterly, vol. 15, 1992-1, pp. 27-29.
13 George F. Kennan, “America and the Russian Future”, Foreign Affairs, avril
1951, extraits reproduits dans Foreign Affairs, vol. 69, 1990-2, pp. 157-166.
82 “Perry Calls for “Very Selective Use” of Military Force”, USIS, 1 er avril
1994 ; “Peacekeeping Directive Designed to Impose More Discipline”, USIS,
9 mai 1994.
83 David M. Abshire, “U.S. Global Policy : Toward an Agile Strategy”, The
Washington Quarterly, vol. 19, 1996-2, pp. 41-61.
84 James Baker, “Democracy and American Diplomacy”, discours devant le
World Affairs Council, Dallas, Texas, 30 mars 1990 (S. P. Huntington, art. cit.,
p. 7).
85 Warren Christopher, “Economy, Defense, Democracy to be U.S. Policy
Pillars”, USIS, 14 janvier 1993, p. 7.
86 Michael W. Doyle, “An International Liberal Community”, Rethinking…,
pp. 318-331.
87 Anthony Lake, “L’engagement des États-Unis à l’étranger : une nécessité”,
discours prononcé le 21 septembre 1993 à la Johns Hopkins’ School of
Advanced International Studies, USIS, 1993, pp. 39-41.
88 Carl Gershman, “Freedom Remains the Touchstone”, America’s Purpose…,
p. 38.
89 A. Lake, art. cit., p. 41.
90 Larry Diamond, “Promoting Democracy”, Foreign Policy, n° 87, été 1992,
pp. 25-31.
91 A. Lake, art. cit., p. 42. Voir l’analyse critique de Jacques Decornoy, “La
chevauchée américaine pour la direction du monde”, Le Monde diplomatique,
novembre 1993, pp. 8-9.
92 T. L. Deibel, art. cit., p. 99.
93 Stephen J. Solarz, “Of Victory and Deficits”, America’s Purpose…, pp. 90-
92.
94 C. Fred Bergsten, “The Primacy of Economics”, Foreign Policy, n° 87, été
1992, pp. 3-7.
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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
Stratégique
Histoire Militaire et Stratégie
La stratégie américaine de sécurité se fixe trois objectifs : renforcer la sécurité
Correspondance de Napoléon des États-Unis en dissuadant tout agresseur, promouvoir la prospérité
RIHM intérieure en ouvrant les marchés extérieurs et encourager la démocratie dans
le monde. Le caractère "intégral" de cette stratégie ressort non seulement de
l’imbrication des trois dimensions militaire, économique et culturelle mais aussi
de l’effacement, souligné par le président Clinton, de la distinction entre les
politiques intérieure et extérieure108. C’est ceci qui donne le ton et la mesure
de l’engagement : la stratégie américaine est valable pour le monde entier.
Pour Bill Clinton, l’"objectif chéri" des États-Unis est "un monde plus sûr où la
démocratie et les marchés libres ne connaissent pas de frontières" 109. La
recherche d’une plus grande communauté d’États démocratiques n’est pas une
fin en soi, elle est l’élément principal d’un système international plus favorable
à la sécurité et à la prospérité des États-Unis. Le soutien à la démocratie et
aux droits de l’homme n’est qu’une considération parmi d’autres et n’empêche
pas que la Chine soit vue comme un partenaire commercial. De plus, la
stratégie de l’engagement et de l’élargissement est sélective : elle concerne
d’abord les zones présentant quelque intérêt pour les États-Unis 110.
Quoi qu’il en soit, la stratégie nationale de sécurité se base sur la BUR pour
définir les tâches des forces armées. Il y a là un paradoxe qui amène le
niveau proprement politique à se trouver encore une fois escamoté. C’est la
restructuration des forces qui devrait être fonction de la définition de la
stratégie nationale. Les tâches assignées aux forces armées sont au nombre
de cinq118. La première consiste à dissuader et défaire une agression dans
Pour la Maison Blanche, il n’est pas sage de spécifier à l’avance toutes les
limitations que les États-Unis placeront quant à l’usage de leurs forces. Les
déclarations imprudentes du Département d’État sur l’absence d’intérêts
américains en Corée en 1950 sont toujours présentes à la mémoire. Il faut
cependant être aussi clair que possible sur un certain nombre de points. Il y a
trois catégories d’intérêts nationaux : les intérêts vitaux, comme ceux qui ont
suscité l’opération Desert Shield-Desert Storm dans le golfe Persique ; les
intérêts importants mais non vitaux (Haïti) ; les intérêts humanitaires
(Rwanda) 122. Pour le sénateur Bob Dole, les vies américaines ne doivent être
risquées que pour les intérêts vitaux 123. Un critère, approuvé par Bob Dole,
pourrait être de s’engager seulement dans les situations où les États-Unis
peuvent promouvoir à la fois leurs intérêts nationaux et leurs idéaux. La
définition des uns comme des autres n’est évidemment pas chose aisée. On
peut néanmoins suggérer que ce qui est fondamental concerne les liens avec
les puissances majeures, donc avec l’Europe et l’Asie orientale 124. Quant aux
conditions précises d’usage de la force, elles restent influencées par la
"doctrine Weinberger" 125. La mission est-elle clairement définie et réalisable ?
Y a-t-il une stratégie de sortie ? Si la force doit être utilisée, il faudra des
moyens permettant d’atteindre les objectifs de façon décisive. Il faudra être
en harmonie avec les objectifs politiques. Le soutien de l’opinion publique sera
nécessaire.
Voici donc le projet politique pour lequel doivent concourir toutes les
composantes de la stratégie américaine 136. Comme l’a écrit Eliot Cohen, il n’y
a, et il ne peut y avoir de projet global pour la politique étrangère américaine
si ce n’est la promotion, au niveau mondial, d’un ordre ouvert en matière de
commerce et de communication 137. La notion d’élargissement s’applique à cet
objectif. Une étude de vocabulaire consacrée à ce qu’en dit la Maison Blanche
montrerait que l’expression "libre marché" (free market) est autant présente
que celle de "démocratie", si bien que les deux finissent par être constamment
associées sous le terme market democracies. Un objectif éminemment
politique est ainsi raccroché, voire assimilé à un objectif économique138. La
Maison Blanche précise qu’il ne s’agit pas d’une croisade pour la démocratie
mais d’un engagement pragmatique à soutenir et consolider les démocraties
de marché là où les intérêts stratégiques américains sont les plus concernés.
Comme l’a écrit Bob Dole, la tradition américaine consiste à combiner intérêts
et idéaux 139. Cela s’applique donc aux États représentants de grands enjeux
économiques, à ceux situés en un endroit critique, à ceux dotés d’armes
nucléaires, à ceux pouvant générer des flots de réfugiés. Sont importants : la
Russie, l’Ukraine, l’Europe centrale et orientale, la région Asie-Pacifique, le
continent américain, l’Afrique du Sud. L’économie semble prendre le pas sur la
politique, tant la dimension du "marché" préoccupe les dirigeants américains.
Au fil du discours, market democracies devient facilement market economies.
Les entreprises privées sont vues comme "des alliés naturels" à cet égard 140.
américains sont les plus engagés. L’Europe n’y échappe évidemment pas. Au
sein de l’OTAN, la dépendance des Européens envers les renseignements
américains est énorme. La solidarité joue fort peu à ce niveau. Pour le général
Odom, "les capacités américaines peuvent soutenir la cohésion des alliances et
rendre les équilibres régionaux plus aisés" 141. La prédominance américaine
dans le domaine du renseignement s’appuie sur une maîtrise de l’espace.
Celle-ci est jugée indispensable au maintien du leadership global des États-
Unis 142. D’autre part, l’Agence américaine d’information (U.S. Information
Agency) poursuit plus que jamais, malgré les restrictions budgétaires de
l’après-Guerre froide, ses campagnes de promotion de la bienveillante
puissance américaine, en diffusant on ne peut plus généreusement brochures,
documents officiels, ouvrages, etc. Quantité de décideurs et d’universitaires
européens ont ainsi à leur disposition une information distillée, pré-emballée,
dont ils ont parfois bien du mal à trouver l’équivalent au niveau national ou
européen. Contrairement à l’Union européenne, les États-Unis diffusent un
point de vue unique à propos de toutes les dimensions de la politique
étrangère et de sécurité. Ils ne manquent d’ailleurs pas de souligner à
l’occasion les faiblesses et les incohérences de l’Union européenne en face de
la superbe machine que représente l’OTAN, où la prédominance américaine
fait la différence143.
________
Notes:
108 Ibid., p. I.
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Dossiers :
. Théorie de la stratégie
Stratégique
Deux "concepts stratégiques" s’appliquent aux trois stratégies militaires, en
Histoire Militaire et Stratégie temps
de paix comme en temps de guerre. Le premier est la présence outre-
Correspondance de Napoléon mer : elle n’a pas pour but de soulager des alliés qui ne feraient pas leur
RIHM devoir mais de soutenir les intérêts américains fondamentaux. Cette présence
permet de garder disponible et prête l’infrastructure mise en place depuis
1945, ce qui indique bien la volonté de continuité, malgré la fin de la menace
soviétique. Le deuxième concept est la projection de la puissance, capable
d’exercer une fonction dissuasive essentielle. Son importance croît en
proportion de la réduction de la présence outre-mer. Ces deux concepts
stratégiques sont d’origine maritime. La stratégie maritime, définie à la fin du
XIX e siècle par l’amiral Mahan, demeure le premier fondement historique et
culturel de la stratégie nationale des États-Unis 146.
d’être face à l’armée en insistant sur l’approche différente qui doit caractériser
les "conflits de faible intensité" et en portant un intérêt particulier au tiers
monde173. Il n’empêche que la structure des forces prévue dans la Bottom-Up
Review (BUR) n’aborde pas vraiment le changement de nature de la guerre
dans l’après-Guerre froide et qu’à bien des égards l’approche américaine reste
la même. Les conflits sont vus comme "militaires" lorsque les forces armées
sont utilisées au combat et comme "politiques" lorsque la diplomatie supplante
la force armée. Les Américains auraient encore trop tendance à réduire les
nouveaux types de conflit à de la contre-insurrection. La dichotomie entre les
grandes guerres où il s’agit de défaire un ennemi clairement identifié et les
petites guerres plus ambiguës caractérise toujours la culture stratégique
américaine. Malgré les hommages rendus à Clausewitz ces dernières années,
les Américains continueraient à voir la guerre non comme une extension de la
politique mais comme le résultat de sa faillite. Lorsqu’ils utilisent leurs forces
armées comme un instrument de leur politique étrangère, ils appellent cela
des "opérations autres que la guerre"174.
Pour le professeur Steven Metz, de l’US Army War College, Clausewitz ne doit
plus être le saint patron des stratèges américains, en ce sens que la stratégie
opérationnelle classique et toute la culture qu’elle induit doivent céder la
première place à une autre approche, basée sur la prévention-dissuasion
(deterrence) du conflit sans qu’il y ait guerre. Les forces armées américaines
devraient devenir plus sophistiquées, surtout en matière de psychologie
culturelle. Le renseignement est l’élément vital qui permettra de prévenir un
conflit. Il faudra connaître et comprendre la psychologie d’une énorme
quantité de terroristes et d’opposants potentiels. Sun Zi sera à cet égard plus
utile que Clausewitz. C’est lui qui doit devenir la première référence des
stratèges américains 175. Sun Zi connaît un regain d’intérêt pour une autre
raison : sa subtilité pourrait valoriser le rôle stratégique potentiel des
nouvelles technologies de l’information. Il faut, à ce sujet, distinguer
l’Information War qui ne désigne que l’utilisation à la guerre de ces nouvelles
technologies, celles-ci servant alors de simples multiplicateurs de forces, de
l’Information Warfare, qui peut constituer une stratégie militaire en soi. Elle
consiste à essayer d’influencer des hommes et leurs décisions, à utiliser
l’information pour créer une telle confusion chez l’adversaire que, comme
dirait Sun Zi, sa stratégie serait défaite avant que ses premières forces soient
déployées ou que ses premiers coups soient tirés176. Dans ce domaine
essentiel, la culture stratégique américaine devra aussi s’adapter et résister à
la tentation d’utiliser les nouvelles technologies comme de simples
multiplicateurs de force.
600 navires 179. Aujourd’hui, le contrôle des mers ne doit plus être la priorité
de la Navy : il est donné, on n’a plus à s’en soucier. La marine va se focaliser
sur les zones littorales des océans, les zones proches des terres. Elle va être
redessinée pour devenir un instrument de gestion des crises et pour soutenir
les forces qui opéreront sur la terre des zones littorales. Ce fut le rôle de la
Royal Navy pendant près d’un siècle après la défaite de Napoléon et après les
deux guerres mondiales. Ce fut aussi celui de l’US Navy après la seconde.
Alors même que ses concepts stratégiques, son entraînement, sa tactique, ses
armes étaient fonction d’un éventuel conflit sur mer avec la flotte soviétique,
son rôle quotidien fut de projeter son effet moral et d’influencer les
événements dans le tiers monde. Le livre blanc From the Sea est sans
précédent en ce sens qu’il définit explicitement les opérations littorales pour
contenir des crises ou soutenir les forces terrestres dans des "petites
guerres", comme la tâche première des marines dans le proche avenir. Jamais
auparavant une grande marine n’avait relégué le contrôle des mers et la
préparation d’une grande guerre sur mer au rang de considérations
secondaires. La raison en est qu’aujourd’hui, pour la première fois depuis des
siècles, la flotte la plus puissante du monde n’a pas de compétiteur effectif ni
prévisible en haute mer.
From the Sea marque donc la fin du courant dominant de la pensée navale
depuis la fin du XVI e siècle, la fin de cette stratégie navale codifiée au
tournant de ce siècle par Corbett, Colomb et Mahan. Dans la mesure où la
stratégie navale était uniquement préoccupée du combat pour le contrôle des
communications maritimes, il s’ensuit qu’une fois celui-ci résolu, la stratégie
navale pure prend fin. La flotte victorieuse a rempli sa mission navale et peut
désormais tourner son attention vers d’autres objectifs, c’est-à-dire contribuer
à des opérations combinées avec les forces terrestres. Dans ce domaine, la
marine revendique une part aussi large que possible 180. Tout l’héritage de
Mahan n’a cependant pas disparu. La stratégie navale n’est qu’une partie
seulement de la stratégie maritime des États-Unis. La disponibilité des forces
navales et leur souplesse d’utilisation comme instrument de la politique
continuent d’assurer des missions essentielles, de donner un signal ou de
dissuader181. Mahan avait souligné ces avantages des forces navales. Selon
lui, la stratégie maritime était aussi nécessaire en temps de paix qu’en temps
de guerre, tout simplement pour fonder, soutenir et augmenter la puissance
des États-Unis 182.
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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
. Cultures stratégiques
. Histoire militaire PARTICULARITÉS RÉGIONALES D’UNE STRATÉGIE
. Géostratégie GLOBALE
. Pensée maritime
Dans la vision globale des États-Unis, l’Europe, à laquelle est associée
. Pensée aérienne
l’Eurasie, fait l’objet d’une "approche régionale intégrée" , avant mais au
. Profils d'auteurs même titre que quatre autres régions du monde : l’Asie orientale-Pacifique,
. Outils du chercheur l’hémisphère occidental, le Moyen-Orient/Asie du sud et du sud-ouest,
. BISE l’Afrique. Face à ces cinq ensembles, les États-Unis se posent comme la
"puissance globale originale", c’est-à-dire unique. Ils développent pour chaque
. Bibliographie stratégique
région du monde ce qu’ils appellent une stratégie, qui consiste à intégrer la
défense et la promotion de leurs intérêts culturels, économiques et militaires.
Publications de référence La Maison Blanche a exposé cette stratégie intégrale, censée selon elle
représenter les objectifs généraux et la "poussée" (thrust) des États-Unis,
Stratégique plutôt qu’une liste exhaustive de leurs politiques et de leurs intérêts198. Voilà
Histoire Militaire et Stratégie qui nous éclaire quelque peu sur la conception américaine de la stratégie :
celle-ci donne un sens général , elle indique une direction où la force peut
Correspondance de Napoléon
s’exercer.
RIHM
américaine en Europe est jugée nécessaire aux alentours de 100 000 hommes,
niveau suffisant pour "préserver l’influence des États-Unis et leur leadership
dans l’OTAN". A l’égard de l’Europe centrale et orientale, le Partenariat pour la
paix lancé par l’OTAN en janvier 1994 est censé prolonger la "stratégie
d’intégration européenne" pratiquée par l’OTAN depuis plus de quarante ans en
Europe occidentale. Le Partenariat n’est qu’une étape préparatoire à
l’expansion de l’OTAN vers l’est, à laquelle aucun pays non membre de l’OTAN
ne pourra opposer son veto. Pour amadouer la Russie et laisser quand même
un petit rôle à une autre institution que l’OTAN, les États-Unis se sont
engagés à renforcer quelque peu l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE) dans ses missions "soft" de prévention des
conflits et de maintien de la paix.
Comme l’a dit Warren Christopher, l’OTAN est vraiment "au cœur de la
stratégie européenne" des États-Unis 206. L’engagement des États-Unis dans
l’OTAN n’est pas une question d’altruisme ; c’est un intérêt américain vital,
selon le secrétaire adjoint à la Défense Walter Slocombe 207. L’approche
américaine de la sécurité en Europe se déploie dans six directions dont les
principales concernent l’OTAN. Il y a d’abord l’admission de nouveaux
membres dans l’Alliance atlantique. Cet objectif est prioritaire car il justifie le
maintien de l’OTAN en lui donnant un nouveau souffle. Il faudra ensuite
chercher à établir une coopération plus étroite entre l’OTAN et la Russie. Le
troisième objectif est la bonne coopération entre l’OTAN et les pays du
Partenariat pour la paix. Le quatrième concerne l’intégration croissante et
l’élargissement de l’Union européenne : les deux processus "complètent la
croissance des autres institutions et l’élargissement de l’OTAN". Les deux
dernières directions, les moins importantes, consistent d’une part à accroître
les liens entre les États-Unis et l’Union européenne, d’autre part à renforcer
l’OSCE 208. L’acceptation par leurs alliés européens du principe de
l’élargissement de l’OTAN est considérée par les Américains comme une
grande victoire diplomatique. Ils applaudissent au rapprochement opéré par la
France, et notamment à son acceptation de construire une identité européenne
de sécurité et de défense au sein de l’OTAN. Il y a là "une appréciation plus
sérieuse des limites à propos de ce que l’Europe peut faire elle-même" et,
ajoute Alexander Vershbow, conseiller du président Clinton, "en même temps,
il y a des raisons de se demander si la théorie d’une identité européenne de
sécurité et de défense au sein de l’OTAN deviendra une réalité dans la
pratique" 209.
Ce qui plaît aux Américains dans l’évolution de l’Europe, c’est qu’elle est
beaucoup plus ouverte aux entreprises américaines et plus favorable au
système commercial multilatéral qu’il y a une dizaine d’années. En 1994,
l’association des industriels américains a souligné que l’Europe était le
principal marché pour les investissements américains à l’étranger et qu’elle le
resterait "indéfiniment" 226. La mise en place du marché unique a été pour eux
extrêmement positive. Cela justifie de reconnaître l’Union européenne comme
une force non seulement économique mais politique. De toute façon, l’Union
doit encore prouver qu’elle est une force politique. Les États-Unis le savent.
Pour eux, l’Union doit s’élargir vers l’est pour y introduire l’économie de
marché, de façon à ce que se constitue le plus vaste marché européen
possible 227. Peu importe la dilution de l’Europe politique qui pourrait en
résulter. Les Américains ne croient pas vraiment en une Europe politique.
L’Union économique et monétaire européenne (UEM) leur cause cependant du
souci. Bien qu’il s’agisse d’un développement économique, certains voient les
avantages politiques que l’Union européenne pourrait en retirer, à commencer
par une position renforcée lors des négociations commerciales 228. Le positif
l’emporte néanmoins pour d’autres économistes, dans la mesure où l’UEM
aurait pour résultat d’accroître les échanges commerciaux entre l’Europe et les
États-Unis, même si c’est au prix de l’affermissement d’un bloc européen en la
matière 229.
Selon Leslie Gelb, ancien correspondant du New York Times devenu président
du Council on Foreign Relations de New York, la superpuissance américaine
est de plus en plus une superpuissance sans cause ou sans politique
étrangère, étant donné l’importance croissante des organisations non
gouvernementales et spécialement du monde des affaires face à
l’administration fédérale. "Au cours de l’histoire des relations diplomatiques,
les gouvernements, avec leurs ministres des Affaires étrangères, ont dominé
le paysage stratégique. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui. (…) Les
femmes et les hommes d’affaires ne conduisent plus seulement leurs affaires,
ils sont impliqués dans presque tous les aspects de nos intérêts nationaux à
l’étranger" 237. S’il fallait citer la force principale qui a émergé sur la scène
mondiale depuis la fin de la Guerre froide, a écrit David Abshire, ce devrait
être le pouvoir exorbitant des marchés financiers mondiaux, des marchés qui
sont aujourd’hui largement au-delà du contrôle des banques centrales et des
gouvernements238. Loin de s’en inquiéter, les responsables de l’administration
Clinton semblent s’en réjouir. Pour le directeur du Policy Planning Staff au
Département d’État, James Steinberg, le rôle croissant des acteurs non
gouvernementaux, et notamment des hommes d’affaires, est largement positif
car il contribue à pénétrer les sociétés civiles étrangères par-dessus la tête
des États-nations, dont le rôle s’étiole de plus en plus239. La stratégie
culturelle et la stratégie économique des États-Unis se rejoignent. La mise en
place d’une culture globale de l’information dominée par les réseaux
américains va de pair avec l’ouverture des marchés. Cela doit permettre aux
entreprises américaines de toucher directement les consommateurs européens
sans passer par des négociations commerciales avec la Commission
européenne 240. Ici se place le projet d’un marché commun transatlantique.
Le TAFTA est en fait la pièce principale d’un projet plus vaste d’Union
atlantique, dont Charles A. Kupchan a tracé l’esquisse la plus complète 245.
L’Union européenne et l’OTAN fusionneraient dans une Union atlantique.
L’Union européenne abandonnerait ses aspirations fédérales en faveur d’une
extension de son marché unique vers l’est et vers l’ouest. En abandonnant ses
rêves de monnaie unique et de banque centrale, elle s’intégrera mieux à
l’économie globale. L’OTAN serait la branche armée de l’Union atlantique et
deviendrait une organisation de sécurité collective, ouverte aux nouvelles
démocraties d’Europe centrale. L’Union européenne ne peut espérer se doter
d’une Politique étrangère et de sécurité commune en même temps qu’elle
s’élargit à vingt, peut-être trente États. Le projet d’une Europe fédérale ne
peut se réaliser qu’au détriment de son élargissement. De même
l’élargissement de l’OTAN ne se ferait pas en étendant les garanties de l’Article
V du traité de Washington. Il est fort douteux que le Sénat américain ratifie la
promesse de défendre les pays d’Europe centrale et orientale. Les dirigeants
occidentaux, américains comme européens, doivent revoir leurs ambitions à la
baisse et resserrer les rangs en traitant désormais les questions de
géopolitique et de géoéconomie dans un cadre commun : l’Union atlantique.
Celle-ci serait d’abord un marché unique. Les États-Unis seraient le pivot
d’une économie globale intégrée qui comprendrait l’Union européenne, les
pays du NAFTA et ceux de la zone économique Asie-Pacifique (APEC). L’idée
d’une Europe fédérale sans les États-Unis est insupportable. Un concert
informel des principales puissances forgerait le consensus au sein de l’Union
atlantique. Le Parlement européen s’élargirait en un Parlement atlantique.
Celui-ci se chargerait notamment d’harmoniser les politiques sociales et de
développer des lois et règlements pour l’Union. Tous les types de contact
seraient promus entre les deux rives de l’Atlantique, qu’ils soient
économiques, religieux, culturels, etc. Enfin, l’Union atlantique serait le moteur
de la libéralisation globale des échanges. Face à un tel bloc, les autres régions
du monde seraient bien forcées d’ouvrir leur marché pour pouvoir accéder à
celui de l’Union atlantique. La marche géopolitique vers la régionalisation
céderait la place à la marche géoéconomique vers la globalisation.
L’émergence d’une entité politique européenne est vue comme une menace
pour les intérêts américains par Samuel Huntington. Il considère que les
États-Unis doivent limiter la nouvelle puissance allemande en encourageant
l’implication de l’Allemagne dans l’OTAN et les autres organisations
internationales, travailler avec le Royaume-Uni et la France pour restreindre le
________
Notes:
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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
. Pensée maritime
La stratégie intégrale des États-Unis en Europe ne peut être vraiment
comprise en fonction de la seule conjoncture des années 1990. Elle repose sur
. Pensée aérienne
certains fondements ancrés dans une plus longue durée. Il faut remonter à
. Profils d'auteurs 1945 pour découvrir que la stratégie de l’après-Guerre froide découle de
. Outils du chercheur l’expérience américaine des deux guerres mondiales. Cette expérience a été
. BISE synthétisée dans une conception géopolitique particulière qui, forgée dans les
années 1940, s’impose toujours aux dirigeants américains. La mondialisation
. Bibliographie stratégique
de l’économie, si elle caractérise les années 1990, s’inscrit en fait dans le
cadre d’une stratégie poursuivie par les États-Unis depuis la crise de 1929, où
Publications de référence l’Europe est considérée comme un débouché vital pour les produits américains.
Enfin la stratégie américaine repose sur des fondements culturels propres à la
Stratégique
société américaine et à son système de valeurs. Il existe au fond plusieurs
méthodes pour aborder la stratégie américaine dans la longue durée. Chacune
Histoire Militaire et Stratégie
privilégie une explication particulière en fonction d’une des disciplines voisines
Correspondance de Napoléon tant de l’histoire que des études stratégiques : les relations internationales, la
FONDEMENTS DIPLOMATIQUES
commun. Celui-ci ne devait pas aller trop loin sur le plan politique.
Suffisamment puissant pour contrer l’autonomie des États-nations, il ne devait
pas s’ériger lui-même en une force politique susceptible de traiter d’égal à
égal avec les États-Unis. En somme la construction européenne a été
soutenue dès ses origines par les États-Unis dans la mesure où l’entreprise
était essentiellement d’ordre économique. Encore la politique agricole
commune a-t-elle amené Washington à se poser de sérieuses questions.
Chaque fois que l’Europe prétendait, surtout par la voix de Paris, se définir
politiquement, les sourcils américains se fronçaient.
Le cas d’Henry Kissinger est intéressant car il a souvent été appelé "le plus
européen" des diplomates américains. Né à Fürth en Allemagne, puis
naturalisé américain, il a toujours éprouvé un sentiment de supériorité
intellectuelle "européenne" sur son nouvel environnement. A l’université de
Harvard, il avait présenté en 1954 une thèse de doctorat remarquée sur
l’histoire diplomatique de l’Europe entre 1812 et 1822 263. Jointes à son
expérience personnelle d’émigré juif ayant fui le nazisme, ses études avaient
conféré à Henry Kissinger une connaissance de l’histoire et un sens du
tragique qu’il considérera toujours comme des qualités "européennes" par
opposition à l’innocence et à l’inexpérience américaines 264. Lorsqu’il était
professeur à Harvard, Henry Kissinger avait plaidé pour que les États-Unis
fassent preuve de plus de compréhension à l’égard de l’Europe. En 1965, dans
un essai sur l’état des relations transatlantiques, il mit le doigt sur la cause
fondamentale des malentendus entre l’Europe et les États-Unis. D’après lui,
les Américains pensaient qu’en politique la bonne volonté et une dose
suffisante d’expertise pouvaient résoudre tous les problèmes. "Quant aux
Européens, disait-il, ils vivent sur un continent couvert de ruines attestant la
faillibilité des prévisions humaines" 265. Il estimait que les mémoires des alliés
européens devaient être prises en compte par les États-Unis. Il comprenait la
volonté d’"indépendance" du général De Gaulle et s’opposait aux efforts des
administrations Kennedy et Johnson visant à empêcher la réalisation du
programme nucléaire français. D’après lui, les Américains avaient trop
longtemps cherché, pour renforcer l’OTAN, à rendre leur position dominante
psychologiquement plus acceptable pour les Européens. Ils n’étaient pas
suffisamment sensibles aux prérequis psychologiques d’une consultation réelle.
rendaient compte que l’Amérique avait intérêt à avoir à ses côtés une Europe
plus autonome et plus responsable mais ils se révélaient, en fin de compte,
incapables de suivre ce que cette analyse leur suggérait. A la fin, les
dirigeants américains confrontés à une Europe dynamique n’ont ni la volonté
ni la capacité de ménager une transition élégante avec la position
d’hégémonie qui est la leur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le
désir de garder les revenants-bons d’un pouvoir sans égal vient régulièrement
saper la finesse de leur jugement.
FONDEMENTS GÉOPOLITIQUES
Rimland et c’est là que se sont livrées les batailles décisives. Mackinder avait
dit : "Celui qui contrôle l’Europe de l’est domine la terre centrale ; celui qui
domine la terre centrale domine l’île mondiale ; celui qui domine l’île mondiale
domine le monde". Spykman reprenait : "Celui qui contrôle l’anneau des
terres domine l’Eurasie ; celui qui domine l’Eurasie contrôle les destinées du
monde" 278. Spykman précisa aussi quelle stratégie les États-Unis devraient
adopter après la fin des hostilités. Ils devraient s’opposer à la création d’une
sorte de fédération des États européens rassemblant vainqueurs et vaincus.
Cela affaiblirait la position des États-Unis. Ceux-ci avaient par contre intérêt à
pratiquer la politique séculaire de la Grande-Bretagne, consistant à "équilibrer"
les États européens, abaissant les grands, renforçant les petits, afin qu’aucun
ne domine les autres 279.
Comme l’a remarqué l’économiste Robert Gilpin, "ce que nous appelons
aujourd’hui l’interdépendance économique internationale va tellement à
l’encontre de ce que l’humanité a généralement connu que seuls des
bouleversements extraordinaires et des circonstances radicalement nouvelles
ont pu conduire à sa mise en place et à son triomphe sur les autres modes
d’échange économique" 286. En fait plusieurs historiens et sociologues ont
constaté que le capitalisme international n’avait connu que deux âges d’or : la
période qui a suivi les guerres napoléoniennes et celle qui a suivi les deux
guerres mondiales 287. Dans les deux cas, une puissance prépondérante a pris
en charge les problèmes sécuritaires d’autres États afin qu’ils ne ressentent
point le besoin de poursuivre des politiques autarciques et qu’ils ne forment
pas des blocs commerciaux cherchant à améliorer leur position relative. Cette
sorte de suspension de la politique internationale par l’hégémonie est sans
doute le but principal de la politique extérieure des États-Unis depuis 1945. Il
s’est agi non seulement de résister à la menace soviétique mais surtout
d’essayer d’imposer une vision économique spécifique à un monde récalcitrant.
Cette politique a d’abord été subie par les deux principales puissances
d’Europe et d’Asie que les États-Unis avaient vaincues : l’Allemagne et le
Japon, qui ont pu développer ainsi, sans trop se soucier de leur défense, leur
puissance économique. Au-delà, c’est toute l’Europe occidentale qui a été
concernée par l’hégémonie américaine. Quant à la menace soviétique, qui était
réelle mais exagérée, elle était brandie pour justifier un engagement en
Europe aux yeux d’une opinion publique et d’un Congrès aux tendances
toujours isolationnistes288.
les frontières nationales, pour répondre aux forces du marché. Les rédacteurs
du NSC-68 liaient néanmoins l’ordre économique international à la rivalité
avec l’Union soviétique. D’abord, les nations qui tomberaient sous l’influence
soviétique ne contribueraient certainement pas à édifier cet ordre économique
international. Ensuite, l’échec de la mise en place de celui-ci pourrait amener
au pouvoir en Europe des régimes de gauche qui verraient l’Union soviétique
avec plus de sympathie. Une politique de réarmement présentait l’avantage de
répondre aux deux défis. A court terme, les rédacteurs du NSC-68
entretenaient la confusion entre les motivations politico-militaires et les
motivations économiques, afin d’obtenir l’assentiment du Congrès. Ils tenaient
cependant à garder à l’esprit la distinction, "pour des objectifs stratégiques à
long terme" 291. Les dirigeants américains craignaient par-dessus tout que
l’Europe, dont la position économique s’était détériorée par rapport à l’avant-
guerre, ne s’isole de l’économie américaine et qu’elle n’organise le commerce
avec ses colonies ou ex-colonies d’Asie et d’Afrique d’une manière bilatérale
qui découragerait la pénétration américaine dans ces régions. En 1947, les
importations de produits américains en Europe avaient déjà décliné par
manque de moyens pour financer les achats et le contrôle de l’économie était
en passe de s’intensifier. C’est dans ce contexte que fut lancé le plan Marshall.
Celui-ci permit aux Européens de continuer à acheter américain. Mais pour
convaincre le Congrès, il fallut brandir la menace soviétique, en l’exagérant
quelque peu. Les dirigeants américains soutinrent les efforts d’intégration
européenne pour accroître l’efficacité des nouveaux investissements et,
surtout, pour que cette intégration serve d’étape intermédiaire à la
participation des Européens à une économie mondiale ouverte. La construction
européenne légitimait aussi l’objectif américain, controversé à l’époque, de
restauration industrielle de l’Allemagne, indispensable pour la participation
future de l’Europe à une économie mondiale ouverte.
Il semble que les rédacteurs du NSC-68 aient été influencés par la pensée de
John Maynard Keynes et qu’ils aient vu les dépenses militaires comme un
moyen de stimuler l’activité économique292. La logique du NSC-68 était
simple. Pour résoudre le problème du capitalisme mondial et les difficultés de
créer une économie mondiale ouverte, un expédient à court terme consistait à
tout subordonner à la riposte au défi militaire soviétique. Certaines voix
s’opposèrent à cette stratégie, notamment celle de George Kennan, qui n’était
pas des moindres. Mais la guerre de Corée vint donner une puissante
justification aux orientations du NSC-68. La politique de réarmement prit tout
son sens dans le contexte tendu des années cinquante. Elle biaisa toutefois la
politique étrangère américaine pour des générations en la militarisant.
L’héritage du NSC-68 a pesé sur les administrations Kennedy et Carter
La stratégie intégrale mise en place dans les années cinquante est toujours
valable. Selon des experts de la RAND Corporation, elle a tellement bien réussi
aux États-Unis qu’il serait folie d’en changer 295. Cinquante ans avant Bill
Clinton, le secrétaire d’État James Byrnes soulignait déjà que, pour les États-
Unis, la politique internationale était inséparable de la politique intérieure et
que les relations extérieures affectaient l’emploi aux États-Unis. D’après cette
équation, plus faible est la croissance économique américaine, plus l’Amérique
doit poursuivre avec énergie la stabilisation du monde. Le sénateur républicain
Richard Lugar l’a dit très clairement en juillet 1993 lorsqu’il en a appelé à un
leadership américain pour revitaliser l’OTAN. Selon lui, la capacité américaine
d’exporter sur les marchés extérieurs dépend du degré de stabilité et de
sécurité dans l’environnement international, que seuls la puissance et le
leadership des États-Unis peuvent assurer.
L’OTAN joue le premier rôle dans cette stratégie 296. Un rapport récent du
Pentagone confirme qu’"un aspect souvent ignoré de l’importance de l’Europe
pour la sécurité nationale des États-Unis est le bénéfice économique énorme
que les Américains retirent de leur relation de coopération avec cette région
prospère et dynamique" 297. Les liens développés avec les alliés à l’intérieur
de la "zone de stabilité" défendue par l’OTAN génèrent des emplois pour les
travailleurs américains, des investissements et des profits pour le monde
américain des affaires 298. On est tenté de dire qu’avec la disparition de la
menace soviétique, les dirigeants américains se sentent obligés de recourir
publiquement à de tels arguments ou qu’ils se sentent tenus, enfin, de dire
toute la vérité. On comprend toute l’importance de l’extension vers l’est de la
"zone de stabilité" et donc de l’OTAN : il s’agit là d’un "investissement de
sécurité" susceptible de rapporter les mêmes bénéfices économiques. Pour les
Américains, l’OTAN est une de ces institutions de coopération globale et
régionale qu’il faut revitaliser au même titre que le Fonds monétaire
international, la Banque mondiale ou l’OCDE, car elle assure également, ainsi
que l’a dit Warren Christopher, la continuité de ce "mouvement historique vers
des sociétés ouvertes et des marchés ouverts" 299. Le Pentagone affirme, dans
un rapport largement diffusé auprès du public spécialisé européen, qu’une
OTAN préservée et renforcée continuera à être le vecteur principal du
leadership américain sur l’Europe300. Si les États-Unis restent engagés en
Europe, c’est qu’ils en tirent d’énormes bénéfices en tant que leader. Pour le
général Joulwan, cela aide les États-Unis "à imprimer une direction aux
événements pour qu’ils rencontrent les objectifs nationaux américains" 301.
Pour le général Shalikashvili, le leadership "nous a donné l’influence pour
redessiner l’ordre économique mondial d’une manière convenant à nos propres
système et nécessités économiques" 302. En exerçant notre puissance militaire
en Europe au travers de l’OTAN, confiait un jour un diplomate américain, nous
sommes capables "de dicter aux Européens ce que nous voulons dans toute
une série de domaines : le commerce, l’agriculture, le Golfe, n’importe
quoi" 303.
Le débat sur le rôle des États-Unis dans l’après-Guerre froide a tourné autour
de généralités sur l’unipolarité, l’isolement ou l’engagement. Pour Benjamin C.
Schwarz, ces discussions passent à côté de l’essentiel. Les Américains doivent,
comme l’avait fait George Kennan dans les années cinquante, faire face au
dilemme inhérent à la définition de leur prospérité en termes de sécurité
FONDEMENTS CULTURELS
________
Notes:
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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
Correspondance de Napoléon progresser la démocratie dans le monde. Mais une stratégie culturelle
transparaît derrière les puissants moyens mis à la disposition de l’Agence
RIHM
américaine d’information. Les nouvelles technologies de la communication et
de l’information offrent à cet égard des possibilités accrues.
Les Européens, et spécialement leurs forces armées, ont l’habitude depuis les
années 1940 de suivre attentivement les évolutions de la stratégie militaire
américaine. Ils sont peut-être moins nombreux à percevoir l’imbrication des
intérêts militaires et économiques des États-Unis sur le vieux continent. Les
fondements de la stratégie intégrale des États-Unis remontent eux aussi aux
années 1940 et ils combinent des motivations diplomatiques, géopolitiques et
économiques qui ont pris un tel aspect de permanence et de limitation des
choix qu’elles définissent une véritable culture stratégique américaine. Les
dirigeants américains, en cette fin de millénaire, font constamment référence à
l’après-1945, dont ils entendent bien prolonger les avantages retirés par les
États-Unis. Les continuités l’emportent donc sur les ruptures, malgré la chute
du Mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique. La stratégie militaire
américaine le proclame officiellement 317. C’est aussi l’avis de Bob Dole : la fin
de la Guerre froide n’a pas changé les intérêts centraux de l’Amérique318. Les
intérêts domestiques qui se sont constitués autour du système d’endiguement
à la fin des années 1940 restent dominants aux États-Unis. L’endiguement
s’adressait non seulement à l’ennemi mais aussi aux alliés. Il était de plus
doublé d’un autre système, celui de l’hégémonie, qui donnait aux États-Unis
des moyens de pression sur leurs concurrents économiques. Les deux
systèmes sont toujours en place319. Les Européens ne parviennent pas à
imposer des alternatives car ils comptent en leur sein des forces favorables au
statu quo qui paralysent constamment celles qui voudraient aller de l’avant.
Alors qu’il n’y a plus de menace soviétique, la dépendance des Européens vis-
à-vis des États-Unis en matière de sécurité relève d’un anachronisme patent.
L’inertie en est la cause mais de puissantes motivations de politique intérieure
y contribuent aussi. Si l’énorme industrie américaine des armements a intérêt
à ce que l’OTAN subsiste telle quelle et se trouve de nouvelles missions, la
pression qui s’exerce en Europe va plutôt dans le sens d’une réduction des
dépenses militaires car, plus qu’aux États-Unis, celles-ci entrent en
concurrence avec les dépenses sociales. La présence militaire des États-Unis
en Europe permet à la plupart des pays européens de limiter leurs forces
armées. Aux yeux de nombreux gouvernements, ceci vaut bien de laisser aux
Américains le leadership dans l’OTAN. Seuls les États-Unis, pense-t-on
également, sont assez puissants pour jouer un rôle de balancier interne en
Europe. Et comme c’est une puissance non continentale, elle ne suscite pas la
crainte d’une domination militaire 321. Ces arguments sont sans doute
pertinents mais il faut alors expliquer clairement quelles en sont les
conséquences et oser dire que la première de celles-ci en est l’incapacité de
l’Union européenne à exister stratégiquement et politiquement. Loin de
diminuer, l’influence américaine en Europe n’a fait, au contraire, que
s’accroître depuis la fin de la Guerre froide, de l’aveu même de John
Kornblum, un des meilleurs spécialistes des questions européennes au
département d’État322. A la veille de prendre ses fonctions comme secrétaire
d’État, Madeleine Albright a remercié son prédécesseur et le président Clinton
d’avoir, par leurs efforts, établi sur du solide le leadership américain en
Europe323. John Kornblum a précisé sa pensée le 8 octobre 1996 : "Au cours
des trois dernières années, nous avons mis en place une stratégie d’action qui
nous permettra d’imprimer une direction à ces événements plus que jamais
auparavant. Pour cela nous utiliserons les grandes ressources de nos relations
traditionnelles. Le rôle des États-Unis sera central" 324.
________
Notes:
29 octobre 1996, p. 5.
325 Pierre Birnbaum, La fin du politique, Paris, Seuil, 1975 ; nouvelle édition
augmentée d’une postface, Hachette-Pluriel, 1995.
326 Denis Lacorne, L’invention de la république : le modèle américain, Paris,
Hachette, 1991.
327 Lucien Poirier, La crise des fondements, Paris, ISC-économica, 1994,
p. 122.
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stratégiques
Dossiers :
. Théorie de la stratégie
. Géostratégie
. Pensée maritime
Deux documents officiels américains sont d’un intérêt fondamental. Le premier
. Pensée aérienne est diffusé par la Maison Blanche : A National Security Strategy of
. Profils d'auteurs Engagement and Enlargement, Washington, D.C., Government Printing Office
. Outils du chercheur (GPO), février 1995. Le second émane du Président des chefs d’état-major :
National Military Strategy of the United States of America. A Strategy of
. BISE
Flexible and Selective Engagement, Washington, D.C., GPO, février 1995. On
. Bibliographie stratégique ajoutera un important rapport du Pentagone sur les directions à donner à la
réforme des forces armées : Directions for Defense. Report of the Commission
Publications de référence on Roles and Missions of the Armed Forces, Washington, D.C., GPO, 1995. Les
discours et conférences de presse des membres de l’administration et des
hauts responsables militaires sont diffusés à partir des ambassades
Stratégique
américaines par l’U.S. Information Agency.
Histoire Militaire et Stratégie
Correspondance de Napoléon Plusieurs ouvrages sont déjà parus sur les nouvelles orientations de la
RIHM politique étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide mais il s’agit
davantage d’analyses prescriptives que descriptives. On retiendra James
Chace, The Consequences of the Peace. The New Internationalism and
American Foreign Policy, New York, Oxford University Press, 1992, et plus
encore Rethinking America’s Security. Beyond Cold War to New World Order,
sous la dir. de Graham Allison et Gregory F. Treverton, New York, Norton,
1992. L’essai de Joseph S. Nye, Jr., Bound to Lead :The Changing Nature of
American Power, New York, Basic Books, 1990, reste intéressant. À propos des
nouvelles relations avec la Russie, il faut consulter le kremlinologue américain
le plus chevronné Raymond L. Garthoff, The Great Transition. American-Soviet
Relations and the End of the Cold War, Washington, D.C., The Brookings
Institution, 1994. Les changements stratégiques et la nouvelle "révolution
militaire" sont abordés par le général William E. Odom, America’s Military
Revolution : Strategy and Structure after the Cold War, Washington, D.C.,
American University Press, 1993. Eliot Cohen a donné un point de vue
différent dans la revue Commentary (novembre 1994) : "What to do about
National Defense". Le regard porté par Alain Joxe sur la guerre du Golfe,
L’Amérique mercenaire, Stock, 1992, reste intéressant pour éveiller la
sensibilité critique des Européens vis-à-vis de la superpuissance américaine.
La place de l’Europe dans la politique étrangère américaine depuis 1945 a fait
l’objet d’un excellent ouvrage de John Lamberton Harper, American Visions of
Europe. Franklin D. Roosevelt, George F. Kennan, and Dean G. Acheson,
Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
Parmi les articles de revues les plus importants de ces dernières années, on
retiendra d’abord un numéro spécial du Journal of Strategic Studies sur
l’avenir de l’OTAN (vol. 17, n° 4, décembre 1994) et singulièrement la