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poetique et politi du temolgnage que Jacques Derrida The world becomes its language and its language becomes the world. But it is a world ous of control, in flight from ideology, seeking verbal security and finding none beyond that promised by a poetic text, but always a self-unsealing poetic text Murray Krieger, A Reopening of Closure. Organicism Against Inelf [ui] it is the role of art to play the unmasking role ~ the role of revealing the mask as mask, Within discourse itis the literary art that is our lighthouse [..) Tt would sem extravagant to suggest thatthe poem, in the very act of becoming succesfully poetic — that isn constituting itself poetry ~ implicitly consiutes its own poetic, But I would like hereto entertain such an extravagant propos Murray Krieger, Ekphrass. The Illusion of the Nanural Sign Signer, sceller, déceler, desceller. II s'agira ici de cémoignage. Et de la poétique en tant que témoignage — mais de témoignage testamentaire : attestation, festimony, testament. Un poeme peut « témoigner » d’une poétique. I] peut la promettre, il peut y répondre comme & ws ee In ee testamentaire. I le doit méme, il ne peut pas ne pas le faire. Mais non pas en vue dapoliqer un arc rice préalable, ni pour y renvoyer comme 3 une charte écrite ailleurs, ni pour a ses lois comme & une autorité transcendante, mais en promettant lui-méme, dans l’acte de son a la eon d'une poétique. Il s'agirait alors pour le po&me de « constituer sa propre a hears lit Krieger, une poétique qui doit aussi, travers sa généralité, devenir, inventer, ae fe A lire, exemplairement, la signant, la scellant et descellant 4 la fois, la possibilité de ce pokes Cel se produit dans Tévénement méme, dans le comps verbal de sa sngulrté:& el ” ran la fois unt Pi i i : ene unique et itérable d'une signature qui ouvre le corps verbal sur autre chose us dans la rérence qui le pore au-del de lut-méme, vers Vautre ou vers le monde. in témoignage d’amicale reconnaissance, je voudrais done prendre & 1 avec Murray Krieger, un certain risque, celui de « entergin Rh eae aera fee by c . es ant tet je voudrais mecre Vépreuve cette experience du temoignage. ‘Tenan 4 caprcler di fi ae aime habiter, depuis plus de dix ans, prés de Murray Krieger, j'ai choisi de ivenii aus lace le Cekn ll vet anv dete age mes Guia de LG. ine! Ste doa scouts Gal guests i ur le émoignage, Ex notamment su la responsabilité, quand elle engage une signature a singuliére, Hypothése & vérifier : tout témoi i bei ons is ngs ypo wignage responsable engage une expérience poétique horizon de la responsabilité, commen 2 Et pourquoi la question du seatinse™ Sto, re du survivre dans le mot | ek I t dans ta, a penser le secre Sans renoncety loin de la, c dag ala pestion du rémoignage (testimonium) Bee achopper sur la quest ium, de tous les testaments. © 66 diene qe oe fe opposition entre vite et mourr? sur-vivre ‘ASCHENGLORIE inter [...] Niemand seeug fr den Zeugen CENDRES-LA GLOIRE revers [...] Nal ne temoigne pour le emoin. (tr. André du Bouchet) GLOIRE DE CENDRES derritre [...] (cr. Jean-Pierre Lefebvre) ASH-GLORY behind [..] ‘No one bears witness for the witness! (ct. Joachim Neugroschel) Si : oe apeternes ee veer cette résonance poétique & laquelle sur la page, déja, ils entendent roonate, mats devons rappeler que ces mots nous arrivent en allemand. Comme toujours, lidiome Pa araprephes invincible singularité du corps verbal nous introduit déja dans Pénigme du ce pote: Qui sins; parte pylem rans du témoin singulier dont nous parle justement, peut-étre, ot fe désignany ei eet lui-méme, se signifiant lui-méme en parlant 3 Vautre de l'autre, se signant un seul geste ~ sealing and unseaing elf ~ ou encore, pout cet & ala melleure ! ; si peu on oe Garis nousarrivent de surcrot lain d’un potme dont es difile depen, FappOME pas su selon une ef a oty s sE5 et de out son vouli-die posible, qui te € Vexpience de Cela, Ces «chaser ej nls & des dates et & des énements,& Vexistence ou 3 igner mais il ne les nomme pas -_ sont pas seulement des « mots », le poste est seul @ pouvoir le poeme. La possibilité du secret, en tout cas, reste toujouts ouverte cette réserve ina : . inépuissbe. Elle est plus que jams dans le case la pote de Celan quis oS de cyprer de seller et de descller(aling,unseaing) ces wtrenes. Ci de semen, comme Peer Szondiy ami et jectur-interpete de Celan dont ila parse gegen emo ie cgans que tl emoignageépuise ou surtout prouve ce do nv ila partagé au moins ces acs ences 0s We sus ntradusible dans la mesure oi i peut er pale, loin de la languelallemande aura éé justement un témoin privilege Pet se rapporter a des événem lang ropre (et métonymique ~ immense probléme que savoir la Shoah, ce que cei fatal du nom Romande de ce potme aura &¢ présente 4 due je laisse ici suspenda) d's Auachfe Ua langue 2 Taschengorey cst le premier mot du potme, us mot d deriie palleier cece a «eriee innombrable — innombrablement. Innom ee, cin mot double et divisé) idee es sédulre en ainsi avec le nom et la mémoire, jusqu’a la possibil lement mais aussi innommabl existences en ain posible assurée du témoignage », 1 ili assurde du témoignage. Et puisque je viens de sie = po cc une valeur da cee ous aurons 4 nous demander si se. puisqu je viens de pale svc une valeur de ceri, dassuranc, vote de conaisance ncept de témoignage sémoigner de 'anéantissement méme, C qui annihile ou menace de détruire jusqu’s oes veer cou déchillrable. Peurce ep vlan ores eae enna ad aC Tanéancissement, la dsparition vinulle du témoin so cee he ee ee redouble: a peviiae Se adnion da Mega oe Seen ee Ievaradoxale et aporétique. Quand le condition de posse site Sondieitd ae a eset Gecuible le momen Pune infirncnon crdae areas ae ca one une vate shang feasts eee vérité théorique paradoxe, Ia méme matrice paradoxoy Rereame een fe po tne matrie paralowopodque. Car cel event 3 dite qu ee ee moignage, i ne peut pas, gage nest plus assur comme témoignage. oni iii st pa i edo ps de abolarmene au aoolsncet shee contin dan Vande ny arien de fortuit a cela, & pr lu comme tel est celui que ni i pees la 3 propos du secret et del eed eens de Murry Krieger, comment eval antuasaiic oviave: tacegie TEE en * our reprenre ls mou sec ete ge pin wrsyerenes te tewg leur lang ¢ rages out ler epacement mais dabord ee ene ope eee ee lee CEE a en ase Now ‘espacée de cete langue ne se lisse pas question du témoignage intraduisible. Parce qu'l Bee ee er rereae tie marge oma, par exemple une lng mola Se ick sageo al fue done de ne méme pas pouvoir franchir la frontire de la singularité cone Ricedaer un témoi fais que vaudrait un témoignage intraduisible ? Serait-ce un non: i be iy poe oe oie abolument wansparent a caducton? Seve eee Cee race svpmeantit ou menace d'anéantit jusqu’a la posibili de témoigner de se TT se trouve que le potme de Celan a pour tte son propre ncpi i jutemen, il part asser cadulible: Cs Niece cane aertgac daiBou fede rs mots; Cendvelacgloire, Lefebvre aussi, Cibires de cendres, et N Se ee ee ata Cunion, dsbglon, La traduction mat mor est dg cea ntsc a pon ee cre parjure eee le seul de cette arithmétique. Comprabilté de See ens ae eae ti mot este incalculable, plus sirement encore quand Tunité dun mot Pea eee stuns cetpckion Gneende Pinauguration dun nouveau corps. Plus sirement encor eee Haein i fehie son premier mot 2u poéme, quand ce premier mot Ge ryote tae au commencement. En arkhé en o logos. Et si ce Tos fac une huni, pour Jean ic ce fucune amiss de cendree Au commencement fur (le mot) « Aschenglorie », eee “Ce glove descends, cere gli decendre, cee lite qui xc des cendres i ausi de cendre,en cendre ~ et fa gloie, est au moi 1 poe au Tatar ayonnanedu feu © voiel au cena, en pe que je me eeerai méme pas dinterpéter avec vous fa lume est aussi la aul delice un potme av F Ge cee Tumiere est plus ic que cendes, ele devent cendres ‘elle connaissance, Ja vert, Je sone éteine. Mais (cst articulation mobile et insable dees «ais * gui nous importera) les cendres sont aussi de gloire, elles peuvent encore étre re-nommées, chantées, bénies, aimées, si la gloire du re- feu ni a la lumire de la connaissance. L’éclat de la : nom ne s¢ réduit ni au fe gloire, ce n’est pas seulement sairement la clarré du savoir. 3 conviction, il risque de p. s erdre sa valeur : if, SON sens ou son statut de témoi la lumiére de la connaissance et néces: 523 ? Cette limite, je veux bien ’interpréter ce poeme ? Ce sy Sssayer de Peat: pas méme center Jin ou quiil veuille dire, ce potme, ou qu'il témoigne den igue, ° i ptiquem comme toujours. L’elli Qo : me et ce quil nomme ~ llipe Clan ce qui, dens cori cela urea cela, ni méme gu’il nom s doute ici, comme toujours Chez i Touio FS co: poet dans le ine 7 souffle coupé signifier if Une décision, son nom | indique a Cel vie soonna TPH, ele dy » if. . 7, le le poe! no; poem paraitle Pas chirante Ce qui compte, cen est Pas A io msi i res onsabilig lees des motifs de ‘ en tant quecoupure ils doivent étre au cocur d'une réflexion €sponsabilité, le témoignage i nt hous savons d'avance qu'i ene tout, cest [a limite étrange entre ce qu'on peut et ce qu'on ne Pen tie Ce a pian ie temaignage de ce pobme sur le temoignage. Cat ce poeme dit quelque chog determiner ou arr ‘Or dans ce témoignage sur le témoignage, dans ce méta-témoignage appar au témoignage. Il en vm to ia possible et impossible le méta-témoignage, a savoir le témoignage a une certaine limite ren dre dans les parages de cette limite, au passage de cette ligne. Une hy oth; Tentons de nous rendre parag A d’« vagance » nécessaire d, Pothese i t-étre aussi cette ligne d’« extravag aire dont parle M nous guidera : cette ligne est peu! turray Krieger. de faire allusion & quelques motifs qui sont, en quelque sorte, signalés Par ce podme jous venons n : 1 | et dom nous savons d’avance qu’ils se croisent au coeur des questions de la responsabilité, du secret, “ “Oot oan donc ces motifs ? Eh bien, pu exemple le trois, la figure de tout ce qui Se porte au-delj du deux, du duo, du duel, du couple. Or le zrois est nommé deux ‘ois dans la strophe initiale et pris de la strophe finale qui nomme justement les Aschen (Aschenglorie, répétons-le, en un seul mot sur |a remitre Tigne, mais Aschen-glorie, coupé ou rassemblé d’un trait @union sur deux lignes pres de la Ein). Les deux fois, il s’agit d'une triplicité dont s’affectent et le chemin (Weg) et les mains (Handen), les mains nouées (retenons aussi le nocud, le nouage du lien et des mains). Pourquoi ne pa Ce qui import, ce n’est pas ce qu ASCHENGLORIE hinter deinen erschiittert-verknoteten Handen am Dreiweg Citons les traductions frangaise et anglaise ; elles ne sont pas absolument satisfaisantes, mais personne ne doit ici donner de legon a personne, par définition : CENDRES LA GLOIRE revers de tes mains heurtées-nouées pour jamais sur la triple fourche des routes. (A. du Boucher) GLOIRE DE CENDRES derriére tes mains nouées-bouleversées au Trois-chemins. (.-P. Lefebvre) ASH-GLORY behind ‘your shaken-knotted hands om the thee forked road. J. Neugroschel) On pourrait encore traduire ainsi : GLOIRE POUR LES CEN; * tes mains déf RES » derrigre 4 ta fourche der won ne” toutes noudes 524 a 1 ne sus pes satihut de ce « pour les cend a s cendres » ae que de lnglote promise 8 Ts cendie: et sion araduiat come gic, goite de aussi songé, par « gloire aux 1 csv faudait y entendre noi Fane nature morte: la figure d'une a vlement la glorification des cend deere agons de remarquer le gle round enc, d'un fondo d'un omerent de eae Awan mot le reste MOU A Mot, un mo aie poetique de cet inuaduisble «chabongone Ine BE asian cee Wocthe compost ne compos : ; Eile die pao able compos nee dcompose fas Gaulane et sunissant 2 fuicméme, cete fois ek fin ee vos pas rena erase I fis par un étrange trait d'union. U Un eel grat d'union est aussi un acte de mémoi ‘ wat non premite de Auhenglores podtique. Il re-marque en retourl'ineipit, il donne 3 rappeler Aschen- lorie binter euch Dreiweg- Hiatnden. Cendres- la gloire, revers de vous ~ fourche triple, mains. (A. du Boucher) Gloire de cendres derritre vous, mains du Trois-chemins. (e-P. Lefebvre) Ash behind ‘your ree forked ‘hands. (1. Neugrosche!) On pourrait traduire aussi d'une autre maniére : Gloire de cendres derriére vous les mains du triple chemin. de remplacer le « deinen » du deuxiéme vers (« deinen erschiittert- ee mes lee mains tiennes, les mains qui sont les tiennes). Le Te cout cas, ce rest plus simplement le méme, il ne se nin, auquel s'adresse la premiere strophe, Les deux jours une strophe ~ e une apostrophe: Calle-ci, jnataire. Elles se tournent de rent plus d'un dest Fee rerournent, elles se rerournent de Yun Ainsi, « euch » (vous) vient verknotetenlHinden am Dreiweg.. destinataire de lapostrophe s'est pluralist. réduit plus 4 Pétre singulier, masculin ou sttophes rournent, elles se fournent, comme le fat ro en un vers, se towne vers. Les deux strophes apostioP! Tun vers Pautre, elles se dé-tournent de lun vers d'aucres ou de Vune a autre. ao Pourquoi rlever, au moins, cette allusion au 170i 4 ‘agi : (Dreiue-/Hiinden)? Parce que nous 6 cmederons pas, en effet, & buter sur of ne du témoignage possible-impossible, du. cémoignage possible comme isse de chemin (D1 ou de mains jotif du tiers dans la possible. Dans son 925 ; + qui assiste en tiers (terstis). Nous aurions & y regarder crest celui qui impliquer. Testis a un a 2 latin. On _ és Plaute, dans Curculio, i ‘cule ». Il arrive méme que Plaure, 5 ques ur dire « resticule is entier et male, masculin, How. wee erent, ay Ps ye ey hectare i ée du tiers € g ; é une certaine pensée du ter is testis, testes a gardé le sens de testic Peary ep hellocencique d’aucre part Il est vrai qu’en anglais tet ea dy capital phallocei a : ; Sane a it cernant « Religion et supers ce qui pourrait encourager le militanti Son q Dans son Vocabulaire des institutions indo-curaplenns nifier « témoin » en tant que survivant : celui tvion? », Benveniste analyse un mot, superstes qui peut signifier «ermant” ha one, Benvenact mui, ayant été présent puis ayant survécu, joue le 1 Ben stingue superstes et testis. je latine, le témoin (tests), Ft ava comprendre ce que cela PO i is est celui qui assiste en « tiers » (terstis) 4 voit la di et vests, Erymologiquement tests est cene Re eee en are a intrawers et ente conception remonte la période indo-ewropéenne ‘commune... Comme toujours, Benveniste analyse I étymologe en suivant la ligne d'une anamnése généalo gique qui reconduit 2 des institutions, & des moeurs, & des pratiques, 4 des pragmariques, Dans cet Ouvrage précieux mais profondément problématique qui veut donc étre un « vorabulaire. des éau tutions indo-européennes », les mots sont sélectionnés puis mis en réseau en fonction des figures ins- titutionnelles dont ils sont aussi supposés étre, précisément, les témoins. Les mots sémoignent des institutions ; le vocabulaire a#teste un sens institutionnel. Mais a supposer méme qu’il existe avant et hors de ces mots (hypothise peu vraisemblable ou de peu de sens), il est sir en tout cas que le sens nlexiste pas sans ces mots, Cest-i-dire sans ce qui en témoigne, en un sens du témoignage qui reste encore fort énigmatique mais incontournable ici. Si les mots sémoignent d'un usage et d'une prag- matique institutionnelle’, le paradoxe se concentre ici dans l'analyse du mot sestis, terstis, qui atteste, au regard du savoir, donnant ainsi lieu a du savoir supposé, une institution ou une pratique, une onganisation sociale, une « conception », tel est le mot de Benveniste, qui, dil, « remonte a la période in ‘uropéenne commune ». Pour illustrer, en vérité pour établir cette filiation, pour prouver ce fait, Benveniste ajoute : a text sanskrit énoncs : «routes les fois que deux personnes sont en présence, Mitra est A en troisiéme »; ainsi le dieu Mitra est par nature le « témoin ». Mais superter déctit le « témoin » soit comme celui qui « subsisce aurdeld», témoin en méme temps que survivant, soit comme « celui qui se tient sur la chose « qui y est présent. Nous voyons & présent ce que peut et doit signifier théoriquement superstisio, la qualité sperstes. Cee sera | « propriété d'étre présent », en tant que « témoin »4, . “m on Ces énoncés de Benveniste ouvrent t sur un contexte plus large. notamment autour de superstes du su : ¢ du survivant déterminé comme térmoi comme tiers. Le témoin est celui qui aura éé n ° ; présent. Il aura asiseé, émoigne. Chaque fois le motif de la présence, de l'étre et ois ke + de V'étre-présent ou de V’étre-en-prés a de oes déterminations. Dans Le Différend, livre dans lequel la question du témoin joue un gund Theron pnsels Lyotard aborde plusicurs reprises cette quectde ne témoin comme tiers sans t oe phar eee en rvilgiane exemple d’Auschwitz et le débat autour du > n i lena Tides da Dine meuemene on aan le starut du témoignage et de la survivance), il ae oe oe ae a compte un fait indéniable : comme les institutions aus ters, rupert) ne dine 7 aie alee pu représenter ou incarner, la sémantique latine méme l'une parmi d'autres chez « nous » 4 su “ymologico-institutionnelle parmi d'autres ~ ¢t On ne la retrouve pas, par exemple oy ‘allemand TE NOUS puissions dire « nous les Occidentaux. 526 Nous devrions le reconstituer, in, et du testis, terstis déterminé au présent, a la chose dont il Zeugen, bexeugen, Beceugung, Zewgnis, qu'on traduit par témoin, témoigner, témoignage, tient & un four autre réseau mene On aurait du mal a y trouver en particulier icite A la situation du tiers, voire a la présence. Dans la famille de ce qu'on n’osera referer faplement homonymie, il y a dans tous ces mots que nous venons de rencontrer une Pine fondamentale dans le potme de Celan (Zeug, Zeugen, Zeugung). Ailleurs, ils signifient aussi qqcurtence“Ufreation, Fengendrement, et justement la génération ~ a la fois biologique et familiale. Futile Pon crpoigne le mot « témoin » (tersts, testis). dans sa généalogie supposée, nous avons ce Apes © SO aussi le mot Zeugen dans sa généalogie ou sa génération supposce, exc. Si lon tient dont (mei Mju temoin comme fersts superstes, comme tiers survivant, voire comme héritier, gardien, garant comp di yy testament, au fond de ce qui a été et qui a disparu, alors le croisement devient assez er legate Care. dune part, une sémantique généalogique ou générationnelle du Zeugen et, d’autre verigineay antique du fertis superstes. PM Ceoisement d'une filiation vertigineuse, oui, peut-étre. Mais c'est le vertige qui nous tourne la téte, Kige dans Iequel nous allons tourner et nous laisser tetourner, voire sombrer, et non seulement ie verge twves es strophes et apostrophes de Celan, Pp anglas, la racine latine demeure, certes, avec testimony et to testify, attestation, protest, testament. Bil aricule done pour nous les deux thémes de la survie et du témoignage, etc. Mais la famille de ‘ames » et de « bearing witness» est toute autre, Elle ouvre sans doute du cété de la vue (privilége du cemoignage oculaire) et donc vers un autre espace sémantique et poétique dans les derniers mots du potme de Celan en traduction : « No one/bears witness for the /witness. » Enfin, mais nous aurions da commencer par la, le grec ne comporte aucune référence explicite au tiers, a la survivance, 2 la pesenc ou la gnéraion: mars; marr le témoin, qui deviendra le martyr, le rémoin de la foi, implique littéralement aucune de ces valeurs (tiers, survivance, présence, génération). Marturion veut dire, 4 suivre l'usage institutionnel, « témoignage » mais aussi « preuve ». Nous touchons ici 4 une distinction sensible et lourdement problématique : entre le témoignage, Tacte ou lexpérience du témoignage, telle que « nous" » Pentendons, ef, d'autre part, la preuve, autre. ment dit entre le cémoignage ef, d’autre part, la certitude théorico-constative, Cette distinction concep- ruell ext aussi essentielle qu’infranchissable en principe, en droit. Mais la confusion reste en fait toujours ible, rant la limite peut parfois paraitre fragile et facilement traversée, quels que soient d'ailleurs la gue et le mor. Car cela n'est pas réservé au grec marturion:: le latin testimonium — témoignage, ion, attestation — peut en venir & étre entendu comme preuve. Ce n’est done pas la langue qui 3 elle seule, comme le ferait un lexique ou un dictionnaire, peut étre gardienne et garante d'un usage. Un glssement pragmatique d’un sens a l'autre, parfois dans le passage d'une phrase a lautre, peut toujours se produie. Nous devrions nous demander pour quelles raisons nécessaires, non accidentelles, le sens de « preuve» vient contaminer ou faire dériver régulirement le sens de « témoignage ». Car Faxiome que nous devrions respecter, me semble-t-il, quite a le problématiser ensuite, cest que *¢moi- ernest pas prouver, Témoigner est hétérogene & l'administration de la preuve ou 4 lexhibinon d'une pitee 2 conviction. Témoigner en appelle 4 l'acte de foi a Pégard d'une parole assermentée, donc produit elle-méme dans lespace dela oi jurée («je jure de dite ln veite ») out’ une promesse engageant une responsabilité devant la loi, d'une promesse toujours susceptible de trahison, toujours suspendue 2 cette possbilité du parjure, de 'infidélité ou de 'abjuratio Que veut dire « Je témoigne » ? Quiest-ce que je veux dire quand je dis « je témoigne » (car on ne témoigne qu’a la premiére personne) ? Je veux dire non pas « je prouve » mais « je jure que j'ai vu, [zentendu, jai touché, j'ai senti, j'ai été présene ». Telle est la dimension irréductiblement sentible de présence et de la présence passée, de ce que peut vouloir dire « étre présent » et surtout « avoir été tore de c& que cela veut dire dans le témoignage. « Je témoigne » cela veut dire « jaffirme (& et dang n30% Mais en toute bonne foi, sincérement) que cela m'a été ou mest présent, dans lespace 1s deinaenP® Censible, donc), et bien que vous n'y ayiez pas acces, pas le méme accés vous-mémes, pape tinaaires, vous devez: me croire, parce que je m’engage 4 vous dire la vérité, jy suis déja engage, Te due ie vous dis la vérité. Croyez-moi. Vous devez me croire ». oie ws ne Lae du témoignage, lui, le témoin du témoin ne voit pas ce que le remier témoin dit du témoipnns.. 1 Pas Vu et ne le verra jamais. Ce non-accés direct ou immédiat du destinataire a l'objet absence en486 Cest ce qui marque l'absence de ce « témoin du témoin » 2 la chose méme. Cette ot disociabie 4eesentielle. Elle suspend ainsi la parole ou & la marque du témoignage en tant qu'elle Pilsen yak de ce dont elle témoigne : le témoin non his lest pas présent, certes, présentement ‘wil rappelle, il n'y est pas présent sur le mode de la perception, en tant qu'il témoigne, 527 au moment oit il émoigne ; il n'est plus présent, maintenant, 2 ce 4 quoi il dit avoir été présent, & ce qu'il dit avoir percu ; méme s'il dit étre présent, présentement présent, ici maintenant, par ce qu'on appelle la mémoire, la mémoire articulée 4 un langage, 4 son avoir-été présent. Il Il faut bien entendre ce « vous devez me croire ». « Vous devez me croire » n'a pas le sens de la nécessité théorico-épistémique du savoir. II ne se presence pas comme une démonstration probante qui fait qu'on ne peut pas ne pas sousctire 4 la conclusion d’un syllogisme, a 'enchainement d'une argu- mentation, voire ala monstration d’une chose présente. Ici, « vous devez me croire » signifie « croyez-moi parce que je vous le dis, parce que je vous le demande » ou aussi bien « je vous promets de dire la vérité et d'etre fidéle & ma promesse, et je m’engage a étre fidéle ». Dans ce « il faut me croire », le «il faut », qui n'est pas d'ordre théorique mais performativo-pragmatique, est aussi déterminant que le « croire », Au fond, cest peut-étre la seule introduction rigoureuse a la pensée de ce que « croire » peut vouloir dire. Quand je souscris a la conclusion d’un syllogisme ou & I'administration d’une preuve, ce n'est plus un acte de croyance, méme si celui qui conduit la démonstration me demande de « croire » a la vérité de la démonstration. Un mathématicien ou un physicien, un historien comme savant en tant que tel ne me demande pas sérieusement de le croire. Il n’en appelle pas finalement 8 ma croyance, au moment oit il présente ses conclusions. « Qu’est-ce que croire ? », que faisons-nous quand nous croyons (c'est-a-dire tout le temps, et dés que nous entrons en rapport avec l'autre), voil’ l'une des questions dont on ne peut se détourner quand on essaie de penser le témoignage. Malgré les exemples invoqués pour commencer & rendre les choses un peu plus claires, le eémoi- gnage n'est pas de part en part et nécessairement discursif. Il est parfois silencieux. Il doit engager Guelque chose du corps qui n’a pas droit a la parole. On ne doit donc pas dire, ou croire, que le témoignage est tout entier d’ordre discursif, de part en part langagier. Mais on n’appellera pas témoi- nage, en général, quelque chose qui ne soit pas ouvert a ordre du « comme tel », du présent ou de favre présent « comme tel », « en tant que tel », du «as such » ou de ce « as» que Murray Krieger souligne justement : comme la vérité méme, la vérité du mensonge ou du simulacre, fa vérité du masque, dans la phrase citée en exergue (« the role of revealing the mask as mask »). Ce « comme tel » est supposé par le langage, 2 moins qu’il ne suppose de son c6té au moins la possibilité d'une marque, d'une expérience pré-linguistique de la marque ou de la trace « comme telle ». C'est méme [a que s’ouvre tout le probléme redoutable de l'apophantique, du comme tel, de la présence cx du langage. Nous ne 'aborderons pas ici directement pout luirmeme’. Quiconque témoigne (bears witness) n’apporte pas une preuve. C'est quelqu’un dont l'expé- rience, en principe singuliére et irremplacable (méme si elle peut étre recoupée avec d'autres pour devenir preuve, pour devenir probante dans un dispositif de vérification) vient attester, justement, gus auclaue « chose » lui a été présent. Cette « chose » ne lui est plus présente, certes, sur le mode P) le la perception au moment oit l'attestation se produit ; mais elle lui est présente, s'il allegue cette résence, en tant que présentement re-présentée dans la mémoire. En tout cas, méme si, chose rare et improbable, elle était encore contemporaine au moment de attestation, elle serait inaccessible, comme présence percue, aux destinataires du témoignage qui, eux, installés dans ordre du croire, ou appelés & s'y installer, recoivent le témoignage. Le témoin marque ou déclare que quelque chose lui est ou lui a été présent, qui ne lest pas aux destinataires auxquels le témoin est lié par un contrat, un serment, une promesse, par une foi jurée dont la performativité est constitutive du témoi et fait de celui-ci un gage, un engagement. Le parjure méme suppose cette foi jurée quil trahit. Un parjure menace tout témoignage, certes, mais cette menace est itréductible dans la scéne de la foi jurée et de l'attestation. Cette menace structurelle est 4 la fois distincte et inséparable de la fini- tude que tout témoignage suppose aussi. Car tout témoin peut se tromper de bonne foi, il peut avoir une perception finie, erronée, de mille fagons trompeuse de ce dont il parle ; cette finitude-La, qui est aussi irréductible et sans laquelle il n'y aurait pas de place non plus pour le témoignage. est néanmoins autre, dans ses effets, que celle qui oblige a croire et rend toujours possible le men- songe ou le parjure. Il y a donc ici deux effets hétérogenes de la méme finitude, ou deux approches essentiellement différentes de la finitude : celle qui passe par erreur ou ‘hallucination de bonne foi 528 ; pase par la eromperi, le parjure, la mauvaise foi, Les deux doivent toujours ere posible ec lle a Pa cemoignage. : A moment di Trilite meme du mensonge et du parjure (le mensonge étant une espéce de parjure) Mais Ia poss ygnage, sil Y €0 a, Pour nous, ne prend sens que devant la loi, devant la promesse acest Ue Ie ede sens qu’au regard d'une cause: la justice, la vérité comme justice. Nous ou Fengagenr sas de situer ici cette diffculté au moment ot justement nous rencontrons, dans le FO aoe ater ever de facon non fortuite, deux significations hétérogenes : 1. dine part le meme Mot MT ppartient 2 Tespace du croire, de lacte de foi, de engagement et de la signature : et Emig a ieee a nious demander, te-demander : qu'est-ce que crvire veut dire?) et 2. d'autre ia détermination assurée, l'ordre du savoir. C'est coujours l'alternative entre Glauben 2 s aussi d'un débat interminable entre Kant et Hegel. Phenoménologique ou sémantique, cette distinction entre sémoignage et prewve, nous n’irons pas osqu'a dire iuren fait elle existe, au sens fort ct strict de ce mot. Nous n rons pas jusqu’’ dre qu'elle I faite, slidement, actuellement ou présentement. Nous avons affaire ici 8 une fronciére & la fois ante, instable, hermétique et perméable, infranchissable en droit mais franchie en joureuse et inconsis ! ' suTout le probléme tient A ce que le franchissement d'une telle limite conceptuelle est & la foi rit et constamment pratiqué. Mais s'il y a du témoignage et qui réponde proprement, incontesta~ Miement, au nom et aur sens visé par ce nom dans notre « culture », dans le monde dont nous pensons voir, justement, hériter et témoigner, alors ce témoignage ne doit pas essentiellement consister pencver,dconfitmer un savoir, 2 asurer une certitude théorique, un jugement déterminant. II ne peut fiven appeler 3 un acte de foi. : aa léter cette inspection du lexique grec, a cété de marturion, il y a marturia qui veut dite Pour comp! utd faction de déposer son témoignage : cest l'attestation, la déposition d'un témoin. Marturomai, c'est appeler en témoignage, invoquer le témoignage, prendre & témoin. Bel exemple de ce « prendre & temoin », une phrase des Guerres civiles de Vhistorien Appien d’Alexandrie dit ceci : marturamenos emauton tes philotimias, « je me prends moi-méme a témoin de mon zéle, de mon ambition, de mon gott pour les honneurs ». Autre traduction courante : « Je prends ma conscience 4 témoin de mon Ambition. » Quelqu’un témoigne devant les autres, puisqu’il parle, puisqu’il s'adresse aux autres ; mais il prend les autres a témoin de ce qu’il se prend /ui-méme d’abord & témoin, de ce qu’il est assez conscient, présent 4 soi, pour témoigner devant les autres de ce quil témoigne, du fait qu'il temoigne et de ce dont il témoigne d’abord devant soi. Pourquoi cette traduction ? Pourquoi cet exemple ? Parce qu’on y rencontre un des plis irréductibles du témoignage et de la présence, de assistance, de Passistance Jans existence comme présence : c’est le pli de la présence en tant que présence a soi. Un témoin ne peut invoquer avoir été présent a ceci ou cela, avoir assisté & ceci ou cela, avoir fait I’épreuve ou l'expérience de ceci ou de cela, qu’a la condition d’étre et davoir été assez présent @ Lui-méme comme tel, 3 la condition de prétendre en tout cas avoir été assez conscient de lui-méme, assez présent & lui-méme pour savoir de quoi il parle. II n'y a plus de masque ici. Sly en avait encore, les masques seraient exhibés comme masques, dans leur vérité de masques. Je ne peux préiendre apporter un témoignage fiable que si je prétends pouvoir cn témoigner devant moi-méme, sincérement, sans masque et sans voile, si je prétends savoir ce que j'ai vu, entendu ou touché, si je prétends étre le méme qu’hier, si je prétends savoir ce que je sais et vouloir dire ce que je veux dire. Et ainsi révéler ou dévoiler ~ par-dela le masque ou le voile. Dans le témoignage, la présence & soi, condition classique de la responsabilité, doit étre coextensive a la présence & autre chose, a l avoir-été présent 4 autre chose et i la présence a l'autre, par exemple au destinataire du témoignage. C’est a cette condition que le témoin peut répondre, et répondre de lui-méme, étre responsable de son témoignage, comme du serment par lequel il s'y engage et le garantit. Le parjure ou le mensonge comme tels supposent, dans leur concept méme, que le menteur ou le parjure soit assez présent a lui-méme ; il lui faut garder, présent a lui-méme, le-sens ou le sens vrai, dans sa vérité, de ce qu'il dissimule, falsifie ou trahit ; et qu’il puisse donc en garder le secret. Le garder comme tel et la garde de cette sauvegatde est le mouvement de la vérité (veritas, verum, wahr, wabren, qui veut dire garder ; Wahrheit : la vérité). Pac da 2 une des jointures entre les problématiques du secret, de la responsabilité et du témoignage. Het des mensonge ou de parjure sans responsabilité, pas de responsabilité sans présence & soi. Cette présence implien interpret souvent, certes, comme conscience de so A ce titre, le témoignage auprés de Pautre ge tal Ie témoignage auprés de sa propre conscience; celu-ci peut donner iew 4 une phénoméno- jee transcendantale de la conscience. Mais cette présence a soi n'a pas nécessairement la forme ultime de science ou de la conscience de soi. Elle peut prendre d'autres formes d’existence, celle d’un certain 529 en un autre sens) que la valeur de témoi Daseir Je, Pensons au réle ( Jhénoménologique Dacia par peur jouer dans Set se (nen eidepser oI des pusages auch a oe so possible originals ‘concenent nde 3 Foe, voila, dans Sein und Zeit Vaxiome ou idegger annonce la mise en lumiere re, a econo cémoignet a sr Dascin doit pouvort fémoike” i A ease i Tain, Das le début, Heidegger: le du Desrmenologique d'un tel cemoignage (der phitnernan ;phénoménologic d'une expérience qui est elle-méme he ‘Cesta présentation d'une pesencaticas eee i vs MOi- monstracion, lp! Aafcene le bees | a savoir ogique, cest-a-dire consistant en Une presentation. CE .gnage sur un témoignage * ily a la du témoin pour le rémoin, du témoignage pour ic témoignay aan nevenir ici au posme de Celan, oulignons encore cette dou le référence Fa (Bezeugang) dec» a eM euge fir den! Zeugen » comme 3 Tinigmatigue et recurrence Agee rrois ee eae fe la semantique du témoin Be eal dala ole cuit Gat ns pas Cette CO-OCCI c ters, eae Can, Bin qu ce crosement soi eu yi urrence des deux motifs Soi iedela de cet a priori dans la lecture de ce Le poéme nomme le serment et le setment petrifig, is. Tout en motant ce ipitation. Ne pré-interpréto! ‘ble a priori partout oi il peut étte questio a du serment de pierre, du serment deven 1 ‘Autre traduction possible : Autrefois Pontique : ici une goutte sur la palme d'une rame noyée au fond du serment pétifié bruit. Mettons que l'on s'abstienne, comme je voudrais le faire ici, de « commenter » ce po&me. Avant aéme de le faire en tout cas, et quoi que veuille dire le poeme ou son signataire, de quoi qu'il entende TUmoigner, on ne peut pas ne pas reliet @ priori cette figure du serment a celle du cémoignage qui surgit Cea ay a pas de témoignage sans quelque implication de serment (Schuur) et sans foi jutée, ee i distingue un acte de témoignage de la simple transmission de connaissance, de la simple information, i simple constat ou de la seule manifestation d'une vérité théorique prouvée, c'est que quelqu'un s'y engage aupres de quelqu’un, par un serment au moins implicite. Le témoin promet de dire ou de manifester & autrui, son destinataire, quelque chose, une vérité, un sens qui lui a été ou qui lui est de auelguc fagon préent, a ui-méme en tant que témoin ~ seul et iremplacable. Cette singulai€ irtem- Flacable lie la question du témoignage a celle du secret mais aussi 3 calle indisociable, dela mort que rsonne ne peut ni anticiper ni voir venir, ni donner ni recevoir a la place de l'autre. A cette attestation, pern'a d'autre choix que de croire ou de ne pas croire. La vérification ou la transformation en preuve, fa contestation au nom du « savoir » appartiennent a un espace étranger. Elles sont hétérogénes au moment propre du témoignage. L'expérience du témoignage en tant que tel suppose donc le serment. Elle se tient dans l'espace de ce sacramentum. Le méme serment lie le témoin et ses destinataires, exemple, mais ce n'est qu'un exemple, dans la scene judiciaire : « Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». Ce serment (sacramentum) est sacté ; il marque l'acceptation du sacré, l’acquiesce- ment 2 entrée dans un espace saint ou sacré du rapport l'autre. Le parjure implique lui-méme cette sacralisation dans le sacrilége. Le parjure (perjuror) ne commet le parjure (perjury) comme tel que pour sent qu'il garde en mémoire la sacralité du-serment. Le parjure Oe menson "Te masque) n’apparaie sent comme tels (« the role of revealing the mask as mask ») que la oi ils confirment leur appartenance a cette zone de l’expérience sacrale. Dans cette mesure du moins, le parjure (perjuror) demeute fidéle 4c qui wah: ut hommage du sacrilige et du parjute 3 I foi jurée il acre, dans Ia trahison, 1 eeme quil trahie; il le fat sur Pautel de cela méme qu’l profane ainsi D'ou la fois la ruse ex Tinnocence désespérée de qui dirait: «en trahissant, en te trahissant, je renouvelle le serment, je le remets a vif et je lui suis plus fidéle que jamais, j'y suis méme plus fidéle que si je me comportais de fagon objectivement fidele et irréprochable tout en oubliant le sacramentum inaugural ». Pout le secret non partageable du serment ou du parjure, pour ce secret qu'on ne peut méme pas partager avec le partenaire du serment, avec l'alié de Valliance, il n'y a dés lors que du témoignage et de la croyance. Acte de foi sans preuve possible. L’hypothése de la preuve n'a méme plus de sens. Mais d’autre part, restant seul et sans preuve, ce témoignage ne peut pas s‘autoriser d'un tiers ou d'un autre témoignage. Pour ce témoin il n'y a pas d’autre témoin : Tn’y 2 pas de témoin pour le témoin. Il n'y a jamais de témoin pour le témoin, C'est aussi cela, peut-étre, que peut vouloir dire le poe me de Celan. C'est aussi cela us peuvent toujours alléguer, inversement, tous les « révisionnismes » du monde quand ils récusent tous les témoignages sous prétexte que des témoignages ne seront jamais, par définition, des preuves. Que tépondre & une allégation qu'on traduirait ainsi: je peux en témoigner devant ma conscience, je tetas, je te mens, mais ce faisant je te reste fidéle, je suis méme plus fidéle que jamais & nove ftamentum? On ne peut rien objecter, on ne peut rien prouver ni pour ni contre un tel cemoignage i nae langage, & ce « performatif » du témoignage et de la déelaation aera le dite te foi, qu'un autre « performatif » qui consiste & dire ou & faire l’épreuve, parfois + d'un « je te crois », Comment penser cette croyance ? Oi si foi, qui n’a pas nécessairement & prendre les ance ? Oui situer cette foi, qui na Pp: rip ren ues Gri fos ite religicuse ? Cet acte de foi est impliqué partou ol Yon parcipe 2 des le témoignage. Et en vérité dés qu'on ouvre la bouche. Des qu'on ow ; 531 won échange un regard, fiit-ce en silence, un « crois-moi » se trouve déja engagé, qui résonne en Pautre, Aucun mensonge et aucun parjure ne peuvent vaincre cet appel & la croyance ; ils ne peuvent méme que le confirmer ; ils ne peuvent qu’en confirmer l'invincibilité en le _profanane. Je ne peux mentir, parjurer, trahir qu’a promettre, sous serment (implicite ou explicite) de dire ce que je crois tre la vérité, qu’a prétendre étre fidele a ma promesse. : Ce « croire » est-il pensable ? Est-il accessible & 'ordre de la pensée ? Si nous nous sommes référé a Sein und Zeitet & ce qu'il requiert de la Bezeugung, de la phénoménologie de l'attestation, et justement au sujet du pouvoir-étte-soi-méme authentique du Dasein, c'est que, d autre part, Heidegger n'a cessé d'exclure ou en tout cas de dissocier l'ordre de la foi ou de la croyance de celui de la pensée ou de la philosophie. II I’a fait trés souvent, mais en particulier dans un énoncé abrupt, et plus tardif, de Der Spruch des Anaximander’. Cet énoncé exclut radicalement Pordre de la croyance de celui de la pensée en général. Heidegger touche alors & un probléme de traduction. (Je le rappelle car nous sommes aussi pris, ici méme, dans la scéne de la traduction et du témoignage, et de la traduction du poeme de Celan sur le témoignage, d’un potme presque intraduisible et qui témoigne au sujet du témoignage.) Il s'agit justement, pour Heidegger, de la traduction d'un Spruch. Spruch: parole, sentence, arrét, décision, poéme, en tout cas une parole qui n'est pas un énoncé théorique et scientifique, et qui se lie de fagon a la fois singuliére et « performative » 4 de la langue. Or que dit Heidegger dans un passage qui précisément concerne aussi la présence (Anwesen, Présenz), cette présence qui fonde la valeur classique de témoignage, et cette fois la présence comme représentation, dans la « représentation du représenter » (« die Prasenz in der reprasentation des Vorstellens »)? Aprés avoir proposé une traduction pour la sentence d’Anaximandre, Heide er déclare : « La croyance n’a aucune Place dans l’acte de penser » (Der Glaube hat im Denken keinen Platz). Cette phrase est prise dans un argument qu'il faut reconstituer, au moins en partie: « Nous ne pouvons pas prouver (beweisen) scientifiquement la traduction, ni ne devons, en vertu de quelque autorité, lui faire foi [lui faire crédit, la croire, glauben]. La portée de la preuve [sous-entendu “scientifique”] est trop courte (Beweis sgt zu kurz). La croyance n’a aucune place dans Pacte de penser. La traduction ne se laisse repenser [réfléchir, nachdenken| que dans la pensée (im Denken) de la sentence (parole, Spruch: il faut penser le Spruch, cette parole engagée comme poéme, sentence, décision, engagement, pour penser, repenser a partir de [a la possibilité de la traduction et non Pinverse]. Mais la pensée (Das Denken) est le Dichten {le potme, le poétiser, l'acte ou 'opération poétique, le poétique dont parle peut-étre Krieger dans le passage cité en exergue ~ mais les mots “actes” et “opération” ne conviennent pas, il y a [a autre chose que Pactivité d'un sujet, il faudrait peut-étre dire “l’événement”, le “venir” du poétique] de la vérité de l’étre (der Wahrheit des Seins) dans Ventretien [le dialogue, le langage duel] historial des penseurs (in der geschichtlichen Zwiesprache der Denkenden). » Heidegger congédie alors dos a dos la preuve scientifique et la croyance ; ce qui pourrait laisser inser qu’il accrédite dans cette mesure un témoignage non scientifique. Dans ce contexte, le croire de acne est la crédulité qui accrédite autorité, celle qui ferme les yeux pour acquiescer dogma- tiquement a 'autorité (Autorisde est le mot de Heidegger). Heidegger n’en étend pas moins avec Ere et radicalité l’assertion selon laquelle le croire n’a aucune place dans la pensée, Ce croire est-il étranger 8 ce qui dans la pensée méme (en particulier celle qui pense dans la Zwiesprache et se tient en rapport avec le Spruch d’un penseur, dans l'expérience de la traduction pensante) concerne la Bezeugung, V'attes- tation dont parle Sein und Zeit? N’y a-t-il pas une croyance dans le recours 4 Pattestation (Bezeugurg), dans le discours oo la met en ceuvre ? Dans l’expérience de la pensée en général, telle que Heidegger s'y réfere, n’y a-t-il pas une expérience du croire qui ne se réduise pas a cette crédulité ou a cette passivité devant l'autorité que Heidegger exclut ici trop facilement de la pensée ? Et est-ce que l'autorité de quelque « croire »,« faire croire », « demander de croire » ne s‘insinue pas toujours nécessairement dans Finvocation d'une pensée de la vérité de l'étre ? Qu’est-ce qui dans ce qui n'est pas la preuve, tient la place de ce Glauben dans la pensée que Heidegger entend penser au moment méme oi il exclut la croyance ou la foi ? TL «Lever la main droite et dites “je le jure”. » A ces mots doit répondre un témoin, quand il comparait devant un tribunal francais. Quelle que soit la signification de la main levée, elle engage de toute fagon le corps visible dans I'acte du serment. C'est aussi vai de Valliance qu'on porte au doigt. 532 Or «singe» sini es ois dois won léve en prétant serment. Cela n'est peut-étre pas sans Or ort ec Is « Haden i oe Dreiweg- / Handen » qui par deux fois reviennent dans sper de Calan ls sont Pabord ls a en a nocud (knoten, verknoteten). On peut imaginer que wn ng sont ps ns apport Js Tens du serment, pat exemple du serment de pierre 2 im vesteinerten wur. i H Sent parle le poéme Schwur. Ils sont ensuite liés aux meus des mains (ex pate eden) et de la douleur (Schmersknoren) oe micro sensu, déterminé par une culture, le concept Aérité du témoignage implique, disions-nous, elgoe serment, quelque Toi ou foi jurée. Cest la référence au sacramentum, soit 3 Venjey entre ns une contestation. Cet enjeu était confié, pendant la Pontife. « Pontife » n'est pas loin du Pontisches, es parties engeeéss dans un procts ou dai Shicbirie, pendant la procédure dite per sacramentum, au Gannsches Einsimals, dont nous aurons & reparler. Mais cela ne signifie pas nécessairement que, a chaque de dite la verité,coute la vérité rien que la vérité. Cela ne signifie pas nécessairement qs or fase rituellement ce qui s'appelle « témoigner » ou « déposer sous Ia foi du serment » it Eid Seceugen, unter Eid aussagen, ow t0 testify ou 20 bear witness ~ qui a presque toujoutt de soi-méme la ese ester sous fa foi du serment », devant la loi. Non, mais méme quand a scene fest pat vt formalisée par un code institutionnel de la loi positive qui, vous obligerait 3 observer tel ou tel fie, ily 2 dans tout témoignage une implication de serment et de loi. Yaar ton de ladite implication de sermene peut paraitre extraordinaire et abusive, extrave ee ie je la crois légitime, je dirai méme irrécusable. Flle oblige en toute Logie 2 tenir Shaque adresse 2 autrui pour un témoignage. Chaque fois que je parle ou manifeste quelque chose & Suri, je témoigne dans la mesure ol méme si je ne dis pas ou ne monte Ps la vérité, méme sis see ie « masque», je mens, cache ou trahis, cout énoncé implique « je fe 06 la vérité, je te dis ce Gque je pense, je témoigne devant toi de ce dont je rémoigne devant moi, et qui m’est présent & moi-méme thinguligremenc, irremplacablement). Ex je peux roujours te ment Donc je suis devant toi comme devant un juge, devant la foi ou le représentant de la loi. Des que je témoigne, je suis devant toi comme devant la loi mais du coup, toi qui es mon té de mon témoignage, (u €s aussi Emoin, toi qui témoignes : juge et arbitre, juge et partie tour autant que juge ct at reviendrons sur cette possibilité itre ». Nous d ie eet devenir-temoin du juge ou du devenir-juge et arbitre du cémoim He Vai déja avout : je ne tenterai pas d'interprérer ce poeme. Pa témoignage, il fille lever la main et jurer chaque fois, 5 méme ses derniers vers : Niemand zeuge fr den Zeugen. «-nous done de ce poi uo le cte-on? Pourquoi invoqueston s force pot na Pourguotemprunte-on st fore alors meme 6 dune page que aude de out ee Post dye uraie dechilfrer de ce poeme, on ne Sit Py vde quoi finalement il eemoigne? Ce de Mose scr a force, Venerge, lt veres du pobre. Shor dan langue, cet gu aus Ps appetons il Fores pulston, on doit Ie cite, ere eee ec ee, om ond Une nr ory Fm salt gun Ne Si Pa le Jeenier ressor, alors meme pre vie quoi ou pour givin ct POUT quote il témoigne. Car on ne le sait pas, méme si on peut quion ignore de quoi Ou Po Pe Ode fui. On peut «lite», on peut dese? fire, citer et réciter ce Savoir beaucoup et apprendre Boner du moins & paser [a limite aude Ue laquelle interprétation me tout en Fenn bile et son impossible: ty 2 ih une compulsion 2 citer et 2 réciter, & Fencontte Ta fis = pos ee peendre out fait, en yscmuant a Poeure, cis économie de répécer ce qu'on cOmPreNE So re que celle du sens et peut-tere mére Ave elle de la vérité, du Tellpse. une pulssanes Pee tant que masque. La compulsion estate Te désir du « par cczur » tient masque ace de Fintllgiblité ou Weis aasparence di sens. a Knee Tice pas ele dune cxyre, done dun cra secret? En témoignant pour le “emo gage pore cemon le pote dic qui my # Pas Mle temoin pour le témoin personne ne cee Tet im, Cet sane dota indi, we deserion comes, 4 aussi, impli _ment peut-étre, Une rescrip ‘on interdictive : personne ne témoigne en fait pour le témoin, per- ctement Pees mais abord parce que personne ne le doit, Personne ne Te peut, car il ne le Que faison: me ? Et pourg 933

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