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Résumé
Foucault historien ? On le croyait philosophe. Paradoxe ? François Dosse montre en quoi M. Foucault a permis quelques
avances conceptuelles et a ouvert des voies nouvelles à un territoire élargi de l'historien, il discerne néanmoins les limites d'une
oeuvre qui s'est essentiellement attachée à l'envers de notre histoire.
Abstract
Foucault confronted with history. Foucault a historian ? He was thought to be a philosopher. A paradox ? François Dosse shows
how M. Foucault has made possible a few conceptual advances and opened new ways to the enlarged field of the historian.
However he points out the limits of a work which has been essentially devoted to the reverse side of history.
Dosse François. Foucault face à l'histoire. In: Espaces Temps, 30, 1985. Cet obscur objet de l'histoire. 2. A la recherche du
temps social. pp. 4-22;
doi : 10.3406/espat.1985.3262
http://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1985_num_30_1_3262
Francois Posse
Foucault historien ? On le
croyait philosophe. Paradoxe ?
François Dosse montre en quoi
M, Foucault a permis quelques
AVANCES CONCEPTUELLES ET A
OUVERT DES VOIES NOUVELLES À UN
TERRITOIRE ÉLARGI DE l'hISTO"
RIEN, IL DISCERNE NÉANMOINS LES
LIMITES D'UNE OEUVRE QUI S'EST
ESSENTIELLEMENT ATTACHÉE À l'EN"
VERS DE NOTRE HISTOIRE,
La mort vient juste d'arracher Michel Foucault à son chantier de fouilles. Sa parole
était devenue depuis près de vingt ans celle de la conscience d'une génération, à laquelle
j'appartiens, la génération de Mai 68. Il a su être le dénominateur commun entre notre
volonté de lutte et notre rejet de modèles existants. Rétif à toute étiquette, il prenait un
malin plaisir à traquer l'envers de notre savoir dans les marges de notre histoire, chez
ceux dont l'expression a été muselée, interdite. Il a su incarner la résistance sous toutes
ses formes à toutes les institutions coercitives. Il ne s'agit pas là, dans une réflexion
sur M. Foucault confronté à l'histoire, d'écrire une hagiographie mais de suivre pas à pas
le cheminement d'une pensée qui a ébranlé des préjugés, des vérités toutes faites, des
pensées prêtes à consommer. Nous verrons que son travail n'est pas exempt de faiblesses au
regard de la méthode historienne, mais il n'en reste pas moins le "fouilleur de bas-fonds"
de notre civilisation, à la manière de Nietzsche.
EspacesTemps 30/1985.
Foucault face à l'histoire.
Baudelaire: "Je hais le mouvement qui déplace les lignes" convient tout à
fait au travail de M. Foucault à condition de la renverser en: "J'aime le
mouvement qui déplace les lignes". Cette dialectique que revendique
M. Foucault dans sa philosophie entre passé-présent et devenir le conduit
tout droit à l'histoire pour confronter les universalités en vigueur à leur
procès d'émergence historique.
politique dans les marges, les extrémités du système. Mais dans un tel
schéma toute libération est réasservie dans son enchaînement logique aux
dispositifs du pouvoir. La trilogie foucaldienne mise en place dans
Surveiller et punir, corps/discours/pouvoir, fonctionne en ses extrémités.
Corps et pouvoir se renvoient comme l'Etre et le non-Etre, la liberté fait
face à la contrainte, le désir à la loi, la révolte à l'Etat, le multiple
au rassemblé, le schizophrène au paranoïaque. L'asservissement
inéluctable de l'être passe par un tiers terme, et non par un rapport de force;
c'est le discours, ou encore la discursivité appartenant au champ du
pouvoir.
Surveiller et punir.
Le corps du condamné se trouve pris entre des signifiances diverses des dispositifs du
pouvoir. De l'expiation de son crime au temps du châtiment-spectacle avec ses supplices
publics à la correction par la peine de prison du condamné placé au centre du panoptique, le
processus reste circulaire entre la majoration du savoir qu'incarnent les Lumières et la
majoration du pouvoir par l'extension des champs disciplinaires.- M. Foucault procède à
l'historicisation de la procédure carcérale en étudiant les conditions d'apparition de la
prison, mais aussi au-delà de celle-ci, d'un système d'enfermement qui inscrit sa positivité
à tous les niveaux de la réalité sociale, à l'école comme à l'usine, comme à la caserne; un
nouvel espace de visibilité naît à la fin du 18ème siècle. C'est un système global qui se
met en place et s'inscrit dans le réel des rapports concrets, mais M. Foucault ne l'assigne
jamais à un sujet décideur, à un système de causalités. La pratique de l'enfermement semble
s'imposer de l'extérieur et ne trouver de justification que postérieure; elle est à
l'intersection d'un ordre du discours particulier. Nous assistons à l'avènement de la
société moderne que M. Weber voyait déjà fondée sur l'autodiscipline du sujet. Or,
M. Foucault s'attache à repérer les pouvoirs de normalisation à l'oeuvre dans la société. On
passe d'une société juridico-discursive où la règle, la loi, est énoncée par le pouvoir qui
fonctionne de façon uniforme, à une société fondée sur la discipline, sur des normes
disciplinaires. Le corps du criminel subit de ce fait des supplices pour rétablir le pouvoir
du prince momentanément atteint. Le supplice a une fonction plus politique que judiciaire.
Le corps est au coeur du dispositif du pouvoir: "Le corps interrogé dans le supplice
constitue le point d'application du châtiment et le lieu d'extorsion de la
vérité" (|lO|, p.46). Ce cérémonial permet de reconstituer la souveraineté un instant atteinte
du souverain.
Avec la crise de la souveraineté royale, le droit de punir devient autre; il n'est plus
le moyen de réactiver la figure du prince, mais de défendre la société. Cette approche
nouvelle correspond au moment où l'illégal isme passe du crime contre le corps au
détournement des biens. On découvre alors un système judiciaire où le pouvoir disciplinaire
tend à se rendre invisible. Le corps social quant à lui doit devenir transparent, accessible
au regard dans ses moindres recoins pour y être surveillé. C'est la mise en place d'un
système disciplinaire avec la multiplication des prisons, des collèges ou encore des
casernes: "Ce qui se dessine, c'est |...| un quadrillage pénal plus serré du corps
social" (|10|, p. 80). L'omniprésence du pouvoir, qui peut à tout moment punir n'importe
quelle infraction, se substitue à un pouvoir impuissant qui manifestait par l'éclat des
supplices corporels sa volonté de puissance et d'un contrôle impossible. Le pouvoir fixe
alors la population dans des institutions où il est plus aisé de les contrôler; c'est le
grand renfermement qui touche d'abord les couches sociales marginales, les vagabonds, les
mendiants, les fous, mais qui concerne aussi les enfants entrant au collège, où le modèle du
couvent s'impose, et les soldats qui passent du vagabondage à la sédentarisation dans les
casernes. Le modèle de cette nouvelle société disciplinaire nous est donné par Bentham et
son panoptique, devenu dans les années 1830-1840 le modèle de construction des prisons. On
constate avec la mise en place de cette société disciplinaire un glissement de l'axe
d'individualisation vers le bas de la société. Dans le système féodal, l'individualisation
était maximale au sommet, là où s'exerçait le pouvoir, dans le corps même du souverain; au
contraire dans la société disciplinaire, la visibilité devant permettre la connaissance des
faits et gestes de toute une population, l'individualisation est alors descendante, le
Foucault face à l'histoire. 15
pouvoir devenant anonyme, simple machine fonctionnelle. H. Foucault, en décrivant les effets
concrets des nouvelles normes du pouvoir, renverse la démarche classique du rejet du pouvoir
dans l'ordre du négatif: "En fait, le pouvoir produit; il produit du réel" (|lO|, p. 196).
M. Foucault a donc soumis les pratiques punitives à son étude en
faisant apparaître la logique interne de celles-ci dans leurs ruptures
successives, dans leurs régularités et discontinuités. Son objet trouve
pour l'essentiel ses propres fondements en lui-même. Certes, il met en
place ces relations entre pratiques discursives et non discursives dont il
avait élaboré le programme en 1969 dans L'archéologie du savoir, mais il
ne s'agit pas pour autant d'une étude précise des conditions historiques,
des institutions et idéologies prescrivant les pratiques punitives.
L'essentiel se situe au niveau des règles internes des formations
discursives, et M. Foucault, s'il fait parfois appel aux pratiques non
discursives, refuse toute vision synthétique, toute structure totalisante.
Il admet d'ailleurs dans un dialogue avec les historiens 33 ! que sa
démarche est différente de celle des historiens dans la mesure où son
1
objectif n'est pas de procéder a une analyse globale de la société: "Mon
thème général, ce n'est pas la société, c'est le discours
Vrai/Faux" (|32|, p. 55). M. Foucault réintroduit l'analyse empirique,
cette fois non au niveau de l'événementiel des positivistes du
19ème siècle, mais à celui d'un événementiel discursif: "J'essaie de
travailler dans le sens d'une evenementalisation" (|10|, p. 43). Le champ
du social n'est pas présent dans la grille d'analyse de M. Foucault et
c'est l'essentiel de ce que lui reproche l'historien J. Léonard |32|. Il
relève dans l'étude de M. Foucault un usage abondant de verbes
pronominaux et du pronom personnel "on". Il est question de pouvoir, de
stratégie, de technique, de tactique, "mais on ne sait pas quels sont les
acteurs: pouvoir de qui? stratégie de qui?" (|32|, p. 14). M. Foucault ne
cite qu'allusivement l'héritage religieux dans l'entreprise de dressage
des corps et de conditionnement. Là encore, les institutions ne sont pas
mises en valeur dans leurs fonctions et les diverses catégories sociales
sont laissées au vestiaire. J. Léonard trouve que le lecteur de
M. Foucault est plongé dans un univers kafkaien: "Le vocabulaire de la
géométrie désertifie la société des hommes; il n'est question que
d'espaces, de lignes, de cadres, de segments, de
dispositions " (|32|, p. 15). Mais M. Foucault répond à ce réquisitoire que là
n'est pas son sujet. Il ne s'agit ni d'une étude sur la société française,
ni sur la délinquance au I8ème siècle ou au 19ème siècle, ni de l'histoire
des prisons entre 1760 et 1840, mais "d'un chapitre dans l'histoire de la
raison punitive" (|32|, p. 33). La praxis sociale, les divers aspects des
pratiques non discursives ne jouent donc pas un rôle signifiant dans la
pensée de M. Foucault. A la base de cette discontinuité entre discours et
réel, il y a le refus de toute rationalisation possible, la croyance dans
l'aléatoire, la singularité de l'événement, perçu comme hasard, décroché
de toute intention ou destination initiale.
des hommes libres. Le partage est ici entre la modération et l'incontinence, entre l'hubris
et la diké, beaucoup plus qu'entre tel ou tel type de sexualité.
Gommer ses plaisirs est un moyen de se constituer et de rester un homme libre, c'est
éviter de devenir leur esclave. Le mariage en Grèce ne lie pas sexuellement les deux
conjoints dans une relation monogame. La réflexion sur le mariage est liée à une réflexion
sur la maisonnée, l'oîkos. Ce qui nous est apparu comme le signe d'un libéralisme
particulièrement avancé dans le monde antique, l'amour des garçons, est au contraire l'objet
central de la réflexion sur les aphrodisia. Au contraire, "c'est à son propos qu'ils ont
formulé l'exigence des austérités les plus rigoureuses" (|l6|, p. 269). L'activité sexuelle,
objet de réflexion éthique, se fonde sur une esthétique de l'existence pour une minorité de
la population grecque, les adultes masculins libres. Dans le troisième volume de l'histoire
de la sexualité, Le souci de soi, M. Foucault met en valeur une inflexion de la réflexion
éthique vers une intensification des codes liée à une crise de la subjectivation dans le
monde romain. Le christianisme pourra reprendre toute une éthique en vigueur lors des deux
premiers siècles de notre ère, même si celle-ci ne se donne pas comme un code prescriptif.
Nous assistons à une "problématisation plus intense des aphrodisia" (|l7|, p. 53) qui se
traduit par une méfiance vis-à-vis des dangers liés à l'usage des plaisirs, par une
valorisation du mariage liée cette fois à des obligations conjugales plus rigoureuses. Cette
éthique plus austère ne prend pas sa source dans une intensification du code moral, mais
dans l'attention croissante portée à soi-même, dans une intensification du rapport à soi.
L'élite romaine doit se conformer à tout un rituel d'ascèse du corps et de l'esprit.
H. Foucault, qui en reste pour l'essentiel à l'étude des variations des pratiques
discursives, évoque néanmoins, à propos de l'évolution de l'éthique à Rome les changements
dans la pratique matrimoniale et les modifications dans les règles du jeu politique.
Contrairement au monde grec, le mariage qui n'était qu'acte privé devient acte public et la
législation s'en empare. Le déclin des cités-Etats remplacées par les monarchies
hellénistiques puis par l'Empire romain n'a pas éteint la vie politique locale. Cependant
les conditions d'exercice du pouvoir se sont modifiées, elles se sont complexif iées.
L'administration est devenue omnipotente, à la dimension d'un Empire très étendu et les
charges attribuées donnent un pouvoir certain, mais, à la discrétion du prince, elles sont
révocables. Dans ce jeu politique, la situation de la classe dirigeante devient plus
précaire. La marge de manoeuvre entre l'exercice réel du pouvoir et son rôle en tant que
courroie de transmission d'une machine administrative impulsée d'ailleurs devient difficile
à définir. La précarité des positions de pouvoir conduit à une déstabilisation de soi qui
rend nécessaire un renforcement du code ascétique. La nouvelle stylistique de l'existence se
traduit surtout dans une doctrine du monopole sexuel à l'intérieur du mariage, qui est
encore en vigueur de nos jours. La relation sexuelle se finalise comme acte procréatif dans
le cadre de l'éthique d'une existence purement conjugale. Dans cette évolution, l'amour des
garçons se poursuit dans les faits mais recule dans l'intérêt qu'on lui porte au profit de
la relation maritale: "L'attachement pédérastique se trouvera en fait
disqualifié" (|17|, p. 230).
Au travers de ces inflexions de la morale sexuelle dans la société
antique, M. Foucault veut démontrer que ce n'est pas l'accentuation des
interdits qui se trouve à la base des modifications qu'il a pu repérer,
mais le développement d'une esthétique de soi. Dans cette évolution,
l'acte sexuel tend à s'apparenter au mal, sans être encore, comme il
sera perçu à l'ère chrétienne, substantiellement le mal. Quant à l'amour
des garçons, s'il devient périphérique, il n'est pas encore dénoncé comme
acte contre nature.
Il manque encore une pièce essentielle du dispositif moral de
l'Occident que veut pourfendre M. Foucault, la patristique chrétienne:
Les aveux de la chair |18|. Sa disparition n'empêchera pas la parution
de celle-ci.
Foucault face à l'histoire. 19
De l'archéologie à la généalogie.
Ce que l'histoire de la pensée retiendra, notre dette vis-à-vis de
M. Foucault, se situe dans le déplacement d'un certain nombre de valeurs
qui semblaient établies pour toujours et qu'il a réussi à déstabiliser en
les problematisant. On ne peut plus penser notre monde après M. Foucault
comme avant. Le rationalisme cartésien du 17ème siècle, le siècle des
Lumières étaient pour l'Occident les deux grandes étapes constitutives du
règne de la raison, du progrès, de l'avènement des libertés. M. Foucault
a pris à revers cette certitude en mettant en valeur le caractère illusoire
du cogito cartésien, et en faisant apparaître derrière la société
juridico-politique qui se met en place à l'ère moderne, derrière les
libertés, les droits de l'homme, une société disciplinaire, un contrôle
plus affiné sur les individus, un pouvoir plus efficace, ramifié jusque
dans les marges du corps social. M. Foucault met en rapport le progrès
des Lumières, l'affirmation des libertés avec son double, réalité occulte,
souterraine, la grand renfermement des déviants, des délinquants, mais
aussi des ouvriers, des écoliers, des soldats. Le pouvoir se dévoile sous
son visage répressif derrière son discours libérateur. Même si M. Foucault
n'a pas assigné à ce pouvoir un lieu central, une classe dirigeante
spécifiée, son analyse permet de saisir le mode de fonctionnement de ses
divers dispositifs dans une cohérence globale qui recouvre toute une
société. Son herméneutique aura permis de découvrir l'envers des
Lumières grâce à la restitution des pratiques discursives.
M. Foucault aura joué un rôle déterminant quant à l'historicisation
de nos modes de pensée. Les disciplines scientifiques qui constituent
aujourd'hui le prisme à partir desquelles nous étudions l'histoire de la
pensée déforment notre regard et peuvent conduire à l'anachronisme. Le
mérite de M. Foucault est d'avoir situé spatialement et temporellement les
pratiques discursives pour mieux en comprendre la relativité. Aux
cohérences solidement établies de la raison occidentale, M. Foucault
oppose le rire du philosophe, se tenant à la lisière du sérieux et du
non-sérieux. Le mot même d'archéologie lui est venu d'une plaisanterie.
Sa mise en question de nos valeurs tient du jeu d'un sophiste des temps
modernes. Toute son oeuvre est imprégnée de son esprit caustique,
destructeur et fécond à. la fois. Ses multiples renversements nous ont
permis de mieux comprendre les dimensions occultes d'une histoire
occidentale qui affirmait ses valeurs conquérantes. Le fou se loge à
l'intérieur du discours sur la raison, le prisonnier à l'intérieur des
droits de l'homme et des libertés, l'affirmation de la sexualité à
l'intérieur des institutions coercitives. M. Foucault nous aura appris que
tout est enjeu de pouvoir, le langage comme le corps sont pris en charge
dans des dispositifs de légitimation de pouvoir. L'appareil judiciaire et
l'appareil médical se disputent le fou. Un criminel comme P. Rivière est
à l'entrecroisement d'une multiplicité de discours d'origine et de fonction
différentes qui s'affrontent sur un même cas, qui leur sert de prétexte
pour gagner une position de pouvoir, une légitimation sur le caractère
scientifique de leur prise de position.
M. Foucault a permis d'ouvrir des champs d'investigation nouveaux
à l'historien comme au philosophe. Dans leur livre récent, M. Foucault:
un parcours philosophique |28|, H.-L. Dreyfus et P. Rabinow montrent que
M. Foucault â été fortement influencé par le structuralisme et
l'herméneutique tout en trouvant sa propre voie par delà ces deux méthodes. Le
véritable sous-titre de Les mots et les choses devait être "une archéologie
du structuralisme" et M. Foucault projetait d'écrire une archéologie de
l'herméneutique. Il a défini une méthode, l'archéologie qui se donne
20 François Posse
comme une troisième voie possible permettant d'éviter les écueils des deux
premières. Voulant rompre avec toute forme d'humanisme, d'anthropologie,
M. Foucault a renoncé à la démarché herméneutique qui se donne pour
objet d'énoncer la signification profonde, le sens caché sous les
apparences. Il suspend de ce fait la prétention des sciences humaines à
découvrir le sens, la vérité. L'archéologue doit se contenter du domaine
des choses dites, saisir le comment à l'intérieur des formations
discursives. L'archéologie sera plus descriptive qu'analytique.
M. Foucault rejoint ici le positivisme en se donnant pour seul horizon le
descriptif de l'espace dans lequel le discours se produit. En renonçant à
la recherche d'un sens caché, en donnant au niveau discursif une large
autonomie, M. Foucault semble donc adopter la méthode structuraliste. Là
encore, il échappe à cette école en se situant aux limites du discours et
en affirmant que les relations discursives ne sont pas internes au
discours. L'archéologie doit en effet, pour restituer les pratiques
discursives, prendre en compte la matérialité des discours, des énoncés,
et d'abord au niveau institutionnel. D'où la rencontre féconde de
M. Foucault avec l'histoire. Il n'en reste pas moins très proche du
structuralisme, en tout cas de sa variante holistique, car le niveau
discursif reste doté d'une autonomie, d'une priorité qui fait des règles
énonciatives le critère de vérité essentiel. L'archéologue est donc à la
fois à l'intérieur et à l'extérieur du discours qu'il étudie. Il ne prend
pas les énoncés au sérieux mais se contente de les resituer dans un
champ, un système de relations. Il s'inscrit donc en dehors d'un horizon
d'intelligibilité, hors de l'histoire, de toute téléologie et s'appuie sur
une méthode qui se donne comme transparente et a-historique, comme les
concepts phénoménologiques, autour des notions de système, analyse,
fonction énonciative, règle, épistémé... H.-L. Dreyfus et P. Rabinow
saisissent une évolution dans la pensée de M. Foucault et distinguent
deux périodes.
Les années I960 sont marquées par le succès du structuralisme, et
les travaux de M. Foucault de cette époque en portent la marque,
cherchant à privilégier l'autonomie des discours, à en décrire les règles.
C'est l'époque de L'histoire de la folie (1961), de Naissance de la
clinique (1963), de Les mots et les choses (1966), de L'archéologie du
savoir (1969). Puis, avec les années Î970, un infléchissement des
recherches de M. Foucault est sensible. Il s'intéresse moins aux discours,
il renonce à sa position de détachement. Il s'oriente vers l' exploitation
des modalités de fonctionnement des pratiques sociales dans lesquelles il
se trouve lui-même pris. Il décide d'en construire la généalogie. C'est le
sens du programme de sa chaire d'Histoire de la Pensée au Collège de
France qu'il définit dans L'ordre du discours (1971), de l'étude sur la
naissance de la prison, Surveiller et punir (1975), et L'histoire de la
sexualité (1976 et 1984). M. Foucault donne une nouvelle direction a ses
recherches. Il entend décrire les rapports entre le pouvoir, le savoir et
le corps. En tant que généalogiste, il rejette tout autant tout sens
supra-historique, tout évolutionnisme pour chercher à restituer les
stratégies de domination dans l'espace. Il découvre alors une localisation
essentielle du pouvoir dans la technologie politique du corps ou le
bio-pouvoir.
Il y a incontestablement une inflexion vers une approche
généalogique. Mais, y a-t-il rupture epistemologique interne entre la démarche
archéologique et généalogique? M. Foucault semble au contraire voir une
continuité à l'oeuvre depuis ses premiers travaux à partir de la
construction d'une généalogie qui a recouvert trois axes: une ontologie de
nous-mêmes dans notre rapport à la vérité, une ontologie de nous-mêmes
dans nos rapports au champ du pouvoir et une ontologie historique de
Foucault face à l'histoire. 21
Bibliographie et références.
Oeuvres de H. Foucault.
|l| Maladie mentale et psychologie, Puf, 1954, rééd. 1966.
|2| Folie et déraison, histoire de la folie à l'âge classique, Pion, 1961, rééd. Gallimard, 1972.
1 31 Naissance de la clinique, Puf, 1963.
A- 1 Raymond Roussel, Gallimard, 1963.
|5| Les mots et les choses, Gallimard, 1966.
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Autres références.
|24| L. Althusser, Pour Marx, Maspéro, 1969.
1 251 J. P. Aron, R. Kempf, Le pénis et la démoralisation de l'Occident, Grasset, 1978.
1 261 R. Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire, Gallimard, 1938.
|27| F. Dosse, "L'histoire en miettes: des Annales militantes aux Annales triomphantes",
EspacesTemps n° 29, 1985.
28 1 H.-L. Dreyfus, P. Rabinow, M. Foucault, un parcours philosophique, Gallimard, 1984.
| 29 G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Hachette, 1981.
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