Manuel de linguistique
Sommaire
Introduction
1. Introduction
2. Les schémas prédicatifs
3. Prédicats et arguments
4. Représentation de la phrase
5. Définition de la phrase simple
5.1. Forme morphologique des prédicats
5.2. Forme morphologique des arguments
6. Ambiguïtés catégorielles
6.1. Les différents types de verbes
6. 2. Les différents types de noms
6. 3. Les différents types d’adjectifs
6. 4. Les différents types de prépositions
7. Élaboration de classes ou constructions idiosyncratiques
8. Figement
9. Eléments lexicaux hors prédication
10. Phrases simples et phrases complexes
11. Schémas prédicatifs du second ordre
Conclusion
1. Un domaine d’arguments
2. Un sens associé
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6.5. Restructurations
6.5.1. Les verbes symétriques
6.5.2. Les verbes causatifs de sentiments
6.5.3. Constructions croisées
6.5.4. Alternance entre datif et accusatif
6.5.5. Verbes causatifs, verbes pronominaux et verbes neutres : casser, (se) casser
6.5.6. Verbes causatifs et neutres : cuire
6.5.7. Autres permutations
7. Arguments propositionnels : les complétives
7.1. Procédures de subordination
7.1.1. Phrase affirmative
7.1.2. Tête de complétive
7.2. Phrase interrogative
7.2.1. Interrogation totale
7.2.2. Interrogation partielle
7.3. Modifications dans les complétives
7.3.1. Complétives affirmatives
7.3.2. Complétives interrogatives
Conclusion
8. Détermination des prédicats nominaux
8.1. Déterminants induits par la nature du prédicat
8.2. Déterminants dépendant de contraintes aspectuelles
9. Etude d’une classe sémantique d’action : les prédicats de <coups>
9.1. Schéma d’arguments
9.2. Conjugaison de ces prédicats
9.3. Déterminants
9.4. Propriétés aspectuelles
9.5. Prédicats appropriés
9.6. Constructions événementielles
9.7. Constitution du dictionnaire des <coups>
9.8. Autres emplois des prédicats de <coups>
Conclusion
1. Problèmes morphologiques
2. Fonctions syntaxiques des prépositions simples
2.1. Une fonction primaire : indicateurs d’arguments
2.2. Indicateurs d’arguments dans des phrases réduites : génitifs subjectifs et objectifs
3. Compléments circonstanciels ou propositions circonstancielles ?
4. Prépositions prédicatives
5. Locutions prépositives
5.1. Un problème de terminologie
5.2. Variations morphologiques
5.3. Locutions prépositives introduisant des arguments
5.4. Prédicats du second ordre
6. Prépositions formants d’adjectivaux
7. Prépositions comme variantes non actualisées de verbes
8. Dégroupement des emplois
9. Autres fonctions syntaxiques des locutions prépositives
9.1. Introducteurs locatifs
9.2. Introducteurs temporels
9.3. Introducteurs thématiques
9.4. Réductions de propositions principales d’énonciation
9
Chapitre 10 : Le figement
1. Propriétés générales
1.1. Polylexicalité
1.2. Non-compositionnalité et opacité sémantique
1.3. Blocage des propriétés de restructuration
1.4. Non-actualisation des éléments
1.5. Portée du figement
1.6. Degré de figement
1.7. Blocage des paradigmes synonymiques
1.8. Non-insertion
1.9. Défigement
1.10. Etymologie
2. Les verbes figés
2.1. Figement total.
2.2. Variations dans le cadre du figement
2.3. Les compléments ne forment pas de classes
2.4. Les « compléments » ne sont pas actualisés
2.5. Blocage des transformations
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Chapitre 11 : Les événements
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1. Classes de prédicats
2. Définition linguistique des événements : paramètres d’analyse
2.1. Nature du verbe support
2.2. Un lieu
2.2.1. Compléments de lieu
2.2.2. Thématisation du lieu
2.2.3. Lieu affecté par l’événement
2.3. Un temps
2.4. Humains affectés
2.5. Un témoin
2.5.1. Témoin humain
2.5.2. Témoin « mécanique »
2.6. Les opérateurs appropriés
2.7. Le causatif
2.8. Probabilité
2.9. Le mode de perception
2.10. Le domaine
3. Essai de classification
3.1. Les événements comme hyperclasse
3.2. Les événements fortuits
3.2.1. Evénements fortuits ponctuels
3.2.2. Evénements fortuits duratifs
3.2.3. Diversité des événements fortuits
3.3. Les événements "créés
3.3.1. Description
3.3.2. Essai de classement
3.3.3. Importance du point de vue du témoin
3.4. Les événements cycliques
4. Constructions événementielles verbales
Conclusion
Conclusion
1. Examen critique
1.1. Les adverbes : circonstants ou arguments ?
1.2. Les adverbes sont-ils invariables ?
1.3. Adverbes et autres catégories
1.3.1. Adverbes et déterminants
1.3.2. Adverbes et pronoms
1.3.3. Adverbes et adjectifs
1.3.4. Adverbes et locutions conjonctives ou prépositives
1.4. Morphologie
2. Complexité syntactico-sémantique des adverbes
2.1. Emplois hors de la phrase simple
2.2. Pronoms phrastiques
2.3. Modifieurs de phrases : introducteurs de transformations
2.4. Emplois prédicatifs
2.5. Portée de l’adverbe : les adverbes appropriés
2.6. Actualisateurs de prédicats
2.7. Indicateurs d’intensité
2.8. Modalisateurs d’expressions de quantité
2.9. Les adverbes circonstanciels
3. Adverbes complexes
3.1. Equivalents des adverbes en -ment
3.2. Autres formations
4. Adverbes figés
4.1. Extension du figement
4.2. Mécanismes du figement
Conclusion
1. Analyse classique
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1. L’expression de la finalité
1.1. Propriétés communes
1.1.1. Noms prédicatifs
1.1.2. Topicalisations communes
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Introduction
Ce manuel a un double objectif : d’une part, celui de présenter une description des
mécanismes du français contemporain et, d’autre part, de proposer une méthode d’analyse de
la langue destinée au traitement automatique, vu du côté de la linguistique. Ce dernier
explique les limites que nous avons fixées à cet ouvrage. On ne trouvera ni description de la
langue orale (phonétique ou phonologie) ni histoire de la langue ni, à plus forte raison, une
histoire des théories grammaticales. Ce manuel est destiné aux étudiants de linguistique, à
ceux d’informatique qui se spécialisent dans le traitement automatique des langues ainsi
qu’aux professionnels de ce domaine.
Cet ouvrage ne nécessite pas une connaissance préalable du fonctionnement de la
langue. Il présente les mécanismes qui sont en jeu d’une façon méthodique, progressive et
claire, nous l’espérons, en évitant toute terminologie inutilement obscure et en gardant, autant
qu’il est possible, la métalangue habituelle. Il utilise les néologismes inévitables, en les
expliquant à la fois théoriquement et pratiquement. Il se veut homogène sur le plan théorique,
avec le souci constant de rendre les descriptions explicites et reproductibles, conditions
nécessaires au traitement automatique. Il postule, à la suite de Zellig Harris, que l’unité
minimale d’analyse est la phrase et non le mot, encore moins le morphème. Cette position
théorique a bien des avantages.
Les mots isolés sont presque tous polysémiques, ils prennent leur sens en contexte.
Cette observation exclut qu’on puisse étudier le lexique indépendamment de la syntaxe. C’est
ce qui avait poussé Maurice Gross à parler de lexique-grammaire. Les mots prennent leur
sens dans le cadre de la phrase, c’est-à-dire d’un schéma prédicatif constitué d’un prédicat et
de ses arguments (sujet et compléments) : Cet enfant feuillette une revue. Il est vain de
demander hors de tout contexte ce que signifie un prédicat, le verbe défendre, par exemple.
En revanche, si l’on précise la nature du complément, le sens devient évident et il diffère
selon les emplois : défendre les opprimés, défendre un point de vue, défendre une place forte,
défendre à qq de sortir. La classe sémantique des arguments détermine donc l’interprétation
du prédicat. Inversement, certains prédicats permettent d’interpréter le sens d’un argument
polysémique. Ainsi le mot toit a une interprétation différente selon que le verbe est réparer
(réparer un toit) ou posséder (posséder un toit = un logement). Une description rigoureuse de
la nature sémantique de ces arguments, en termes de classes d’objets, permet donc de
déterminer le sens du prédicat. En effet, il est rare d’observer une interprétation multiple pour
un prédicat muni de la suite la plus longue de ses arguments.
Chaque schéma prédicatif est, en outre, caractérisé par une actualisation qui lui est
propre : conjugaison du prédicat et détermination des arguments. Enfin, chaque schéma
prédicatif possède un certain nombre de restructurations possibles : passivation,
pronominalisation, interrogation, mise en évidence, etc. Nous appelons emploi un schéma
prédicatif muni de l’ensemble des propriétés que nous venons de dégager. Toutes ces
propriétés doivent être compatibles entre elles : un prédicat détermine la nature de ses
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arguments et les possibilités de restructurations ; le choix d’un temps donné a des incidences
sur la nature de la détermination des arguments et sur la sélection des adverbes, etc. Un
emploi est donc le lieu qui intègre le lexique, la syntaxe et la sémantique. Ces instances ne
peuvent pas être étudiées de façon autonome. En conséquence, deux emplois distincts d’une
même racine prédicative auront des propriétés différentes, comme on le voit à la fin du
chapitre 2. Décrire une langue c’est faire le recensement organisé de l’ensemble des emplois
qu’elle comporte.
Ces observations mettent en lumière le fait que le comportement syntactico-sémantique
des mots dans la phrase l’emporte sur leur statut de catégories grammaticales. Ces dernières
peuvent avoir des rôles très différents selon leur environnement, comme on le voit en détail
au chapitre 1. Les mêmes outils théoriques permettent de décrire les phrases complexes. Nous
analysons les connecteurs qui relient deux phrases comme des prédicats du second ordre, dont
les arguments sont respectivement la principale et la subordonnée circonstancielle, comme
par exemple pour les constructions suivantes du substantif raison : Paul a échoué, en raison
de son incompétence ; L’incompétence de Paul est la raison de son échec.
Une autre propriété des langues naturelles est la non-compositionnalité d’un très grand
nombre de séquences de mots : cette caractéristique affecte toutes les catégories
grammaticales et toutes les fonctions syntaxiques. Une description systématique, telle que
nous la proposons dans ce manuel, montre que le figement est un phénomène massif qui
couvre une part importante de la surface d’un texte. Il s’agit cependant d’un phénomène
scalaire, car toutes les suites ne sont pas figées au même degré. Le phénomène doit donc être
décrit à l’aide de facteurs constants qui permettent de mettre en évidence le degré de
figement. Ce faisant, on voit qu’inversement un très grand nombre de suites appelées
communément « locutions » ne sont pas figées. Fondées sur des paramètres constants, les
descriptions que nous proposons pour les éléments lexicaux, peuvent être collationnées dans
un dictionnaire électronique dont la structuration sera précisée dans la conclusion.
Ce manuel est structuré de la façon suivante. Le premier chapitre traite de la définition
de la phrase simple et de ses composants, en mettant l’accent sur les ambiguïtés syntaxiques
des catégories grammaticales. Le chapitre 2 présente la notion centrale d’emploi, qui décrit
l’ensemble hiérarchisé des propriétés qui définissent les phrases simples, construites autour
des prédicats du premier ordre. Le chapitre 3 énumère les propriétés qui caractérisent les
prédicats verbaux. Le chapitre 4 explique la notion de classes d’objets, qui permet de
déterminer avec précision le sens des arguments, condition nécessaire à l’interprétation du
prédicat. Les chapitres 5 et 6 exposent l’ensemble des propriétés des nominaux et des
adjectivaux. Le chapitre 7 décrit la syntaxe des prépositions, dont certaines ont des emplois
prédicatifs. Les chapitres 8 et 9 détaillent les procédés d’actualisation des phrases simples :
conjugaison des prédicats (en mettant l’accent, en particulier, sur les verbes supports qui
conjuguent les prédicats nominaux) et détermination des arguments, en insistant sur leur
typologie. Les analyses qui précèdent présentent les propriétés qui caractérisent les
constructions libres, celles qui sont déterminées par les possibilités combinatoires des
prédicats. Le chapitre 10 est consacré au figement, qui affecte toutes les catégories et qui est
une des caractéristiques les plus importantes des langues naturelles.
En plus de leurs propriétés morpho-syntaxiques, les prédicats peuvent être décrits en
fonction de leur classe sémantique : les chapitres 11 à 13 décrivent respectivement les
événements, les actions et les états, en mettant l’accent sur les propriétés, de toutes natures,
qui caractérisent ces différents types de procès. Le chapitre 14 détaille les très nombreux
emplois des adverbes et en propose une classification qui illustre la diversité de leur statut.
Les deux derniers chapitres décrivent dans le détail les subordonnées circonstancielles. Au
chapitre 15, les connecteurs sont analysés comme des prédicats du second ordre. L’accent est
mis sur l’ensemble des reformulations dont peuvent faire l’objet les « locutions » qui
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Chapitre 1
La phrase simple
1. Introduction
Un des objectifs que nous fixons à la recherche linguistique, telle que nous la décrivons
dans ce livre, est de permettre une analyse automatique de textes. Cela implique un degré de
couverture des faits linguistiques suffisant, que seul peut apporter un dictionnaire électronique
construit à cet effet. Tous les mots du texte doivent bien entendu être reconnus
morphologiquement, mais aussi décrits quant à leurs propriétés combinatoires, c’est-à-dire
syntaxiques, et leur signification en contexte. Cet objectif exige également que soient prises
en compte les suites figées, dont les éléments constitutifs n’ont pas d’autonomie, et que soit
levée la polysémie, inhérente à presque tous les mots de la langue.
La définition de la notion de texte est loin d’être simple. Il n’y a pas de raison d’imposer
au texte une taille déterminée, la limite inférieure étant cependant la phrase simple.
Indépendamment de ce problème de taille, on doit mettre l’accent sur un caractère
fondamental des textes : il ne peut s’agir en aucun cas d’une liste de mots indépendants les
uns des autres, qu’on aurait tirés au hasard dans un lexique. Un texte est une construction
complexe qui encode un message à l’intention d’un destinataire. Cette constatation a fait
l’objet d’une multitude de développements variés, mettant l’accent sur le destinataire ou sur
le message lui-même, etc. (R. Jakobson 1973). Mais, quelle que soit la complexité interne
d’un texte, on admettra qu’il constitue un ensemble organisé et non une séquence aléatoire de
mots.
Cet ensemble organisé pose cependant d’autres problèmes. A l’aide de quels outils peut-
on rendre compte de cette structure ? Une façon naïve d’y répondre consisterait à dire que la
solution est lexicale, c’est-à-dire qu’il suffit de connaître le sens des mots du texte. Si l’on se
place du point de vue d’un lecteur humain, la connaissance qu’il a de la langue lui permet de
comprendre le message de façon quasi immédiate, sans un détour par les exercices d’école
qu’on appelle analyse logique ou grammaticale. Mais la question est évidemment bien plus
compliquée si l’on aborde le sujet du point de vue du traitement automatique. La solution
naïve envisagée à l’instant consiste à prendre les mots un par un et à construire ainsi le sens.
Mais cette démarche représente une difficulté majeure. Comme tous les mots isolés sont
polysémiques, et certains des dizaines de fois, on imagine le nombre exponentiel de chemins
qu’il faudrait envisager pour trouver le sens du texte.
Cette proposition de solution, qui met de façon indifférenciée tous les mots sur le même
plan, est donc coûteuse et crée pour ainsi dire des pistes inutiles. Elle revient de plus à définir
les mots exclusivement par leur sens. Cette erreur est généralement commise quand on
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demande à un élève la signification d’un verbe : abattre par exemple. Une telle demande ne
peut recevoir de réponse satisfaisante, car ce prédicat a une dizaine de sens différents et toute
réponse consisterait à sélectionner arbitrairement celui d’entre eux qui vient le plus
spontanément à l’esprit. En revanche, si nous fournissons un argument, par exemple, abattre
un arbre, abattre un avion, abattre un homme, alors la question peut recevoir une réponse
appropriée, illustrée par l’indication d’un synonyme : couper un arbre, descendre un avion,
tuer un homme. Cela signifie impérativement que la description d’un élément lexical ne peut
se faire sur le seul plan sémantique et que ses propriétés de construction, c’est-à-dire sa
syntaxe, font partie intégrante de sa définition.
En fait, les textes ne sont pas constitués de mots interchangeables comme le seraient les
briques d’un mur, mais ils forment entre eux des structures élémentaires, qui sont à la base de
tout discours. Ces structures élémentaires, nous les appelons des schémas prédicatifs : un
schéma prédicatif est constitué d’un prédicat accompagné de ses arguments, notions que nous
définissons dans la section suivante. Dès qu’un schéma prédicatif a été reconnu à un endroit
du texte, on se trouve devant une sélection de mots qui ensemble forment une unité, excluant
toutes les autres lectures possibles de ces mots, s’ils s’inséraient dans d’autres schémas. Nous
pouvons donc déduire que la première étape de toute analyse d’un texte est la mise en
évidence de l’ensemble des schémas prédicatifs.
3. Prédicats et arguments
Si, pour des raisons de clarté, on ne prend en compte dans un premier temps que les
mots simples, on constate qu’un schéma prédicatif ne peut pas être constitué de n’importe
quelle séquence de mots. Une suite comme un article un stylo ne constitue pas une phrase, et
n’est donc pas le lieu d’une assertion ni une suite de deux adjectifs comme obscur long, sans
parler d’une suite de mots de liaison. Un substantif comme article peut évidemment figurer
dans un schéma d’arguments, mais on ne voit pas quel environnement on pourrait lui attribuer
en propre, car la combinatoire est très ouverte. Mais, si l’on considère une unité lexicale
comme rédiger, on voit que son environnement se laisse déterminer avec précision. A gauche
s’adjoint un substantif désignant un humain et à droite un substantif comme article,
rédaction, roman, conte ou, plus généralement, tout substantif appartenant à une classe
sémantique qu’on pourrait appeler <textes>. On peut donc déduire que les mots article et
rédiger font partie de deux ensembles fonctionnellement différents mais complémentaires. Le
second délimite parmi l’ensemble des substantifs deux sous-ensembles sémantiques : la classe
des humains et celle des <textes> (ou des <écrits>), alors que le premier ne détermine aucun
environnement sémantiquement contraint mais ouvre des perspectives combinatoires très
lâches et non systématisables. On peut non seulement écrire un article mais encore le lire,
l’aimer, le connaître, le désapprouver, le déchiffrer, l’envoyer à un ami, le publier, le critiquer,
le recenser, etc. Un mot comme écrire aurait le même type d’environnements que rédiger
avec peut-être un substantif supplémentaire dans sa sphère d’influence : avec un stylo.
Nous appelons des mots comme rédiger ou écrire des prédicats et arguments des mots
comme article et stylo. A la suite de Z. Harris 1976, nous définissions un prédicat comme un
mot qui opère une sélection déterminée parmi les mots du lexique pour établir avec eux un
schéma formant la base d’une assertion. Nous appelons arguments les éléments lexicaux ainsi
sélectionnés par les prédicats. Les arguments peuvent être des mots qui n’exercent eux-
mêmes aucune contrainte sur d’autres mots (ce que Harris 1976 appelle des arguments
élémentaires) ou d’autres prédicats, comme courage et, dans ce cas, ils ont une double
fonction : celle d’arguments par rapport au prédicat de la phrase enchâssante et, en même
temps, celle de prédicats par rapport à leurs propres arguments, formant ainsi avec eux une
phrase dont le rôle syntaxique est de nature argumentale, ce qui est le cas de : Je connais son
25
4. Représentation de la phrase
Cette autonomie est illustrée aussi par la pronominalisation, qui n’est possible que si
l’on est en mesure de délimiter les objets pour calculer la portée de l’anaphore : J’ai donné le
briquet à mon voisin de palier : Je le lui ai donné. L’effacement possible des compléments est
ùun autre argument qui va dans le même sens de la liberté syntaxique du complément par
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rapport au prédicat : Il est en train de balayer (la cour). Un assez grand nombre d’insertions,
de nature diverse, sont possibles entre le sujet et le prédicat. Cette propriété est partagée par
les compléments, ce qui les autonomise du prédicat tout autant que le sujet :
En outre, le découpage binaire (SN + SV) privilégie parmi les arguments le sujet, en lui
accordant un rang supérieur à celui des objets, ce qui est visualisé par sa place dans l’arbre.
Or, comme beaucoup d’études l’ont montré et comme nous le verrons plus loin à propos des
emplois du verbe abattre, les informations apportées par les compléments sont plus
importantes que celles fournies par le sujet : détermination de l’emploi en cas de polysémie,
possibilité de passivation, indication du figement, possibilité d’effacement d’un objet avec ou
sans modification de l’interprétation du prédicat, place de la négation, etc. (cf. Chap. 4).
Le terme même de groupe verbal semble impliquer que seuls les verbes sont des
prédicats. Or, tout le monde admet maintenant qu’il existe des prédicats adjectivaux et des
prédicats nominaux, sans oublier les emplois prédicatifs de certaines prépositions. Pour ne
parler que des substantifs (cf. Chap. 5), la notion de groupe verbal est inadéquate, puisque le
verbe qui figure dans ces constructions n’y joue aucun rôle prédicatif. Dans une phrase
comme : Paul a fait un sourire à Anne, c’est le substantif sourire qui sélectionne les deux
arguments humains ; le verbe faire ne fait qu’inscrire ce prédicat nominal dans le temps
(Chap. 8). L’effacement de cette indication temporelle s’observe dans une suite comme le
sourire de Paul à Anne, qui conserve le schéma prédicatif de la phrase précédente, à
l’exception de son actualisation. Et cette analyse ne s’applique pas seulement au substantif
sourire du fait qu’il existe une forme verbale associée Paul a souri à Anne, elle convient aussi
à un substantif prédicatif sans lien morphologique avec un verbe : Paul a fait un signe à Anne.
En revanche, il n’existe aucun moyen syntaxique similaire permettant de justifier une
entité comme la notion de groupe verbal. Le seul test se trouve dans les phrases coordonnées
mettant en jeu l’adverbe aussi : Paul a raté son train et moi aussi. Dans cette phrase, moi est
la forme tonique du pronom et représente le sujet, l’adverbe aussi est un coordonnant ; ce qui
est effacé pour éviter la redondance, c’est la suite rater (mon) train, représentant le prédicat
selon la conception binaire de la phrase. Mais ce critère est de bien moindre poids que ceux
qui délimitent les arguments.
La notion de groupe verbal pourrait s’appliquer aux verbes figés plutôt qu’aux
constructions libres. Dans ces structures « gelées », les substantifs à droite du verbe ne sont
pas de vrais objets mais forment avec lui une séquence soudée et l’ensemble porte un sens
global inanalysable en sous-séquences syntaxiques. On ne peut pas affirmer que dans boire la
tasse (avaler de l’eau involontairement en nageant), le substantif tasse soit un vrai
complément de boire. Dans le cas des figés, la notion de groupe verbal se justifierait donc
mieux, encore que certaines propriétés (comme l’insertion) soient communes aux
constructions libres et figées : Il observera vraisemblablement le comportement de son
adversaire ; Il boira vraisemblablement la tasse lui aussi.
L’opposition thème/rhème est souvent illustrée par l’observation qu’une prédication
« dit quelque chose » d’un « sujet ». Mais une prédication ne met pas seulement en jeu un
sujet, elle est aussi caractérisée par l’existence des objets. Par exemple, si le verbe lire est
défini par le fait d’avoir comme sujet un substantif humain, il est clair qu’il est défini de
façon encore plus précise par la nature de son complément, qui désigne un élément de la
classe des <textes> (roman, poème, article) ou des <supports d’écriture> (livre, journal,
magazine).
27
Nous partons de l’idée que les phrases simples sont les constituants fondamentaux des
textes, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elles se présentent toujours sous la forme
canonique qu’elles ont dans les dictionnaires électroniques ni qu’il n’y a pas d’autres
éléments de structuration du texte, comme les connecteurs, par exemple. La réalité d’une
structuration d’un texte en phrases est mise en évidence par le fait que toutes les
combinaisons de mots ne sont pas possibles. La description des phrases simples repose en
première analyse sur trois propriétés des prédicats : ils correspondent à plusieurs catégories
grammaticales, ils ont des arguments et ils sont soumis au temps.
Notons d’abord qu’une phrase simple, au sens technique où nous l’entendons ici, ne
comprend qu’un seul prédicat. Toute phrase dans un texte réel comportant plus d’un prédicat
est une phrase complexe. Les prédicats d’une phrase simple peuvent correspondre à quatre
types morphologiques différents, si on laisse de côté certains adverbes, qui fonctionnent
comme prédicats du premier ordre, c’est-à-dire ceux dont les arguments sont des substantifs
élémentaires : Cet homme est bien ; la sortie est tout près.
Il y a tout d’abord les verbes prédicatifs, notion sur laquelle nous ne nous étendons pas,
puisque la tradition grammaticale les a identifiés à la notion même de prédicat. Nous nous
contentons d’un exemple : Cet homme respecte les autres où homme et autres sont
respectivement le sujet et l’objet du prédicat verbal respecter. Dans une phrase, qui peut être
considérée comme synonyme : Cet homme a le respect des autres, il est clair que le terme qui
sélectionne le sujet et le complément, c’est le substantif respect et non le verbe avoir, comme
nous l’avons vu avec faire un sourire ci-dessus. Nous verrons plus loin que ce verbe
« conjugue » en réalité le prédicat nominal respect. Nous développons ailleurs (Chap. 5) les
propriétés des constructions nominales. Nous signalons simplement que le substantif respect
n’est en aucune façon un complément du verbe avoir, comme c’est le cas dans la phrase : Cet
homme a une voiture.
Il existe ensuite des phrases dont le prédicat est un adjectif : Cet homme est respectueux
des autres. Ici, le verbe être joue le même rôle qu’avoir dans l’exemple précédent. Il inscrit
l’adjectif respectueux dans le temps. Enfin, certaines prépositions ont la possibilité de générer
des arguments et non pas seulement de les introduire, rôle qui leur est habituellement attribué.
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Ainsi dans la phrase : Cet homme est contre les autres, c’est la préposition contre qui est le
noyau de la phrase et le verbe être inscrit ce prédicat dans le temps : Cet homme (est, était,
sera) contre les autres.
On observera que l’actualisation des prédicats, c’est-à-dire leur conjugaison, peut être
effacée, comme nous l’avons vu avec le sourire de Paul à Anne plus haut. Cela revient pour
un prédicat verbal à être réduit à l’infinitif : Respecter les autres, cela s’apprend, à
l’effacement du verbe support pour les prédicats nominaux : Le respect des autres, cela
s’apprend, adjectivaux : être respectueux des autres, cela s’apprend et prépositionnel :
Contre les autres depuis toujours, Paul n’a jamais réussi à se socialiser. Le recensement des
phrases simples, qui est à la base de tout traitement automatique, implique l’inventaire de tous
les prédicats et leur description systématique. On verra plus loin que chaque type
morphologique de prédicats du premier ordre génère des propriétés syntaxiques spécifiques,
qui doivent faire l’objet de dictionnaires différents.
Les arguments d’un prédicat peuvent être soit des substantifs soit des phrases :
On peut se demander si les arguments ne peuvent pas, dans certains cas, être de
forme adverbiale : On remettra la cérémonie à plus tard. Le groupe à plus tard dépend
directement du verbe remettre : il est donc raisonnable de le considérer comme un
argument. Mais, comme ce groupe peut permuter avec des compléments du type :
remettre à vendredi prochain, on pourrait considérer plus tard comme une forme
pronominale, au même titre que à cette époque peut être remplacée par alors. Ce
problème mériterait une analyse plus approfondie.
Nous verrons au Chap. 4 que les arguments sont susceptibles d’un certain nombre de
modifications. Ils peuvent être pronominalisés, mis en évidence, etc. Quand on a affaire un
prédicat nominal (Chap.5), les arguments prennent parfois une forme adjectivale : la réponse
de la France, la réponse française. Comme un prédicat est défini par le nombre et la nature
sémantique de ses arguments, l’identification de ces derniers est indispensable à la
reconnaissance et à l’analyse du prédicat. Nous tirons la conclusion que le premier des
objectifs d’un traitement automatique des textes est la reconnaissance des phrases, que nous
considérons comme les unités minimales d’analyse et non les mots ou les morphèmes,
contrairement à la tradition saussurienne.
La reconnaissance des arguments dans un texte se fera par comparaison avec leur
description exhaustive telle qu’elle figure dans le dictionnaire électronique (Cf. Conclusion
générale). Un dictionnaire de ce type doit recenser systématiquement toutes les formes
prédicatives (verbe, nom, adjectif, préposition) et argumentales (substantif ou phrase), tout en
notant pour chacune d’elles l’ensemble des propriétés qui les caractérisent : suite la plus
longue, nature sémantique des arguments et actualisation. L’ensemble, ainsi décrit dans le
dictionnaire, est susceptible de subir un certain nombre de modifications (réductions,
transformations, restructurations) au moment de l’insertion dans un texte (cf. Chap. 4). Ces
modifications doivent faire l’objet, elles aussi, d’une description reproductible. Toutes ces
informations feront l’objet des chapitres qui suivent.
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6. Ambiguïtés catégorielles
Il est assez facile, dans un texte donné, d’identifier une forme verbale quelconque
indépendamment de son emploi, du fait d’une morphologie spécifique. Cette indication n’est
cependant pas suffisante à la reconnaissance automatique de la structure de la phrase. En
effet, une « partie de discours » ne détermine pas automatiquement une fonction. Il convient
donc d’établir un classement des verbes qui tienne compte de leurs propriétés syntaxiques et
sémantiques, c’est-à-dire de leur rôle dans la phrase. De ce point de vue, il existe au moins six
types de verbes différents.
Il y a d’abord les verbes prédicatifs traditionnels, autrement dits distributionnels qui, par
définition, sélectionnent des classes d’arguments. Un verbe comme annoter requiert un sujet
humain et un complément appartenant à la classe des <textes>. De même, le verbe élaguer
exige dans le contexte de droite un complément appartenant à la classe des <arbres>. Ces
verbes ne méritent pas ici de développements théoriques particuliers, dans la mesure où ils
ont fait l’objet, dans la tradition grammaticale, d’études innombrables et ont été de facto
identifiés à la fonction prédicative.
Un deuxième type de verbes est représenté par les « locutions verbales » ou les « verbes
figés ». Ces formes ne sélectionnent pas elles-mêmes de véritables classes d'arguments. Dans
casser sa pipe ou prendre le taureau par les cornes, les substantifs pipe et taureau ne peuvent
pas être considérés comme de vrais compléments des verbes casser et prendre. La relation
entre verbes et substantifs n’est pas ici de nature combinatoire, comme c’est le cas avec les
verbes distributionnels. C’est l’ensemble constitué par le verbe et son « complément »,
fonctionnant comme une unité, qui doit être considéré comme de nature prédicative et peut à
l’occasion avoir des arguments comme dans : Le conférencier a traîné le président dans la
boue, où le schéma d’arguments est le suivant : traîner dans la boue (conférencier, président).
30
Tout comme pour les verbes, l’attribution d’un élément lexical à la classe des noms ne
permet pas de lui assigner une fonction dans la phrase. Le rôle qu’on lui reconnaît
traditionnellement de référer à des objets du monde concret constitue une information, certes
importante mais largement incomplète, comme c’est le cas chaque fois qu’on identifie une
classe entière à l’une de ses propriétés prototypiques. L’indexation morphologique
automatique n’est utile que si elle est accompagnée de l’établissement de la fonction
syntaxique de l’élément dans la phrase ou le texte. Or, la catégorie du substantif correspond à
des réalités linguistiques très différentes.
31
Tout ce que nous venons de dire milite pour un traitement intégré du lexique, de la
syntaxe et de la sémantique.
Les observations que nous avons faites plus haut concernant l’identification d’une
classe entière à l’un de ses emplois prototypiques sont illustrées, de façon presque
caricaturale, par la description que l’on fait habituellement des adjectifs. Nous ne donnons ici
que quelques exemples pour mettre en évidence l’hétérogénéité de cette catégorie. Le fait que
le plus grand nombre des adjectifs réfèrent à des qualités ne doit pas exclure les autres
emplois, qui sont nombreux. Si nous laissons de côté les adjectifs « déterminatifs », comme
les démonstratifs, les possessifs, les indéfinis, etc., qui font partie de la classe des
déterminants, nous distinguons différents problèmes d’analyse :
a) des problèmes de délimitations de catégories, puisque les mêmes mots doivent figurer dans
des dictionnaires différents :
Les adjectifs peuvent figurer, comme les autres catégories grammaticales, dans des
suites figées. Dans ce cas, leur signification est opaque et les règles syntaxiques habituelles ne
s’appliquent pas. Ces suites doivent être recensées comme telles dans un dictionnaire :
Un grand nombre d’adjectifs se trouvent dans des suites qu’on ne peut pas qualifier de
figées et qui pourtant n’ont pas la fonction habituelle des adjectifs, celle d’attribuer une
propriété ou une qualité à un substantif : ils désignent des éléments d’un paradigme qui
recense les variétés possibles d’une entité. Ainsi la notion de forêt se prête à diverses
classifications, dont rendent compte les groupes d’adjectifs suivants indiquant l’emplacement
géographique : forêt amazonienne, forêt appalachienne, forêt landaise ; la formation : forêt
primaire, forêt secondaire, le type de forêt : forêt tropicale, forêt vierge, etc. Nous appellerons
ces adjectifs des adjectifs classifieurs. (Cf. Chap.5, §2.1.).
Nous avons dit plus haut que nous ne prenons pas en compte les adjectifs déterminatifs :
ce, mon, quelque. Certains adjectifs anaphoriques ne font pas partie de cette classe mais ne
sont pas prédicatifs non plus. C’est le cas de tel : Une telle attitude est intolérable. On voit ici
encore qu’une grammaire destinée au traitement automatique doit se défaire de la tradition
qui simplifie la réalité linguistique en réduisant les catégories à tel ou tel de leurs emplois.
Les prépositions, elles non plus, n’ont pas de comportement syntaxique unitaire. Elles
ont trois emplois différents, dont deux sont bien connus. Tout d’abord une préposition peut
être un indicateur d’arguments, c’est-à-dire introduire un complément dans le cas de verbes
33
transitifs indirects : penser à N, compter sur N, aller vers N, rivaliser avec N. Comme on a
affaire ici à la fonction traditionnellement attribuée à la préposition, nous ne nous étendrons
pas sur cet emploi.
Le deuxième emploi, moins généralement admis, est de nature prédicative. Si l’adjectif
opposé à : Paul est opposé à ce projet est évidemment un prédicat, il faut en dire autant de la
préposition contre : Paul est contre ce projet où contre a exactement les mêmes arguments
que l’adjectif opposé à. On peut analyser de la même façon un grand nombre de prépositions
locatives ou temporelles. Dans : Ton livre est sur la table, le prédicat est la préposition sur,
dont les arguments sont respectivement livre et table. Il est dans la cohérence de notre
démarche d’analyser : Paul m’a téléphoné avant mon départ comme : Le fait que Paul m’ait
téléphoné a eu lieu avant mon départ, où le schéma d’arguments serait le suivant : avant
(téléphoner, départ). Le prédicat avant est ici actualisé par le verbe support d’occurrence
avoir lieu.
Il y a enfin un troisième emploi qui n’a pas fait l’objet d’études approfondies. Il existe
des suites composées d’une préposition et d’un substantif qui ont une syntaxe d’adjectifs : à
la mode, de travers, à l’aise (cf. Chap.6). Dans ce cas, la préposition peut être considérée
comme un « translateur » (L. Tesnière 1959), qui permet de former des adjectifs composés.
8. Figement
Les structures que nous avons envisagées jusqu’à présent mettent en jeu des mots
simples dans les positions (argumentales ou prédicatives) de la phrase que nous avons
décrites. Nous pouvons donc associer des formes syntaxiques aux éléments simples du
34
lexique. Par exemple, nous pouvons dresser des ensembles de phrases à prédicats verbaux
ayant en commun des propriétés définitionnelles. On arrive ainsi à quelques dizaines de
milliers d’entrées, si on prend en compte en même temps la nature des arguments.
Mais on s’aperçoit très vite que les phrases simples ne sont pas limitées à des structures
dont la tête prédicative est un mot simple. Au contraire, les formes prédicatives complexes
(polylexicales) sont les plus nombreuses, qu’il s’agisse de verbes, de noms et d’adjectifs
prédicatifs. Nous pensons à l’immense masse des constructions figées, qui restent en partie à
recenser et dont les variations internes sont très amples (Chap. 11). Prenons quelques
exemples qui mettent en jeu des têtes verbales. Dans la phrase : Paul a cassé sa pipe, on sent
intuitivement deux lectures différentes, dont l’une sera dite compositionnelle et dans laquelle
le verbe a la même interprétation que dans : Paul a cassé la vitre. Mais il existe une autre
interprétation, approximativement synonyme de mourir, dans laquelle il est difficile
d’affirmer que pipe est le complément d’objet de casser, et dont le sens global est donc
indépendant de celui des éléments lexicaux qui la constituent. Nous dirons que la séquence
casser (sa) pipe est un verbe figé et que, malgré le substantif pipe, nous sommes en présence
d’un verbe intransitif.
Un autre exemple de verbe figé est illustré par la phrase : Paul a traîné Jean dans la
boue, où il est possible également de déceler une double lecture. L’une est d’interprétation
littérale : boue pourrait permuter avec des mots comme vase, sable, gadoue et traîner être
remplacé par un autre causatif de mouvement tirer ou allonger. On reconnaît ici la lecture
compositionnelle ou régulière. Mais dans l’autre interprétation, traîner dans la boue signifie
calomnier et l’on constate que les éléments constitutifs n’ont eux-mêmes aucun rapport de
signification avec celle de l’ensemble. Nous sommes là encore en présence d’un verbe figé.
Mais à la différence de l’exemple précédent, la suite prédicative traîner dans la boue est une
construction transitive ayant comme objet direct un substantif humain.
Les exemples que nous venons de prendre mettent en jeu des verbes. Mais le
phénomène concerne aussi les autres formes prédicatives. Ainsi, à côté de prédicats nominaux
simples : Paul m’a fait un (signe, geste), on peut avoir : Paul m’a fait un (pied de nez, appel
du pied), dont le sens global n’est pas non plus déductible de celui des éléments constitutifs.
De même, à côté d’adjectifs simples comme dans : Cet outil est proche de Paul, on aura : Cet
outil est à portée de main de Paul où à portée de main de est un adjectif composé figé ayant
un argument-objet humain. On peut montrer que cette suite a toutes les propriétés des
adjectifs : elle peut être attribut, épithète, être pronominalisée par le et non par y, comme ce
serait le cas s’il s’agissait d’un groupe prépositionnel en à N. Le figement peut s’appliquer
aussi aux prépositions prédicatives, comme dans l’exemple suivant : La statue est (sur le, au-
dessus du) buffet ; Paul est (avec le, en faveur du) candidat des Verts.
L’ampleur du phénomène est mise en lumière par les effectifs concernés. Face à environ
12 000 verbes simples, on a recensé près de 35 000 verbes figés (M. Gross 1986). Si on
évalue à environ 70.000 les noms simples du français, des recensements systématiques ont
fourni près de 200.000 noms composés, correspondant à plus de 700 moules de formation (M.
Mathieu-Colas 1996). On est donc en présence d’un fait massif, qui doit être considéré
comme une propriété définitionnelle des langues naturelles et qui a totalement échappé à la
tradition grammaticale. Nous renvoyons au Chap.11, où nous analyserons plus amplement le
phénomène du figement et où nous montrerons qu’il affecte toutes les catégories
grammaticales classiques, quel que soit leur statut syntaxique.
Si l’on associe à chaque phrase son schéma prédicatif, il est plus facile de mettre en
évidence les autres éléments de la phrase contribuant à son interprétation, comme la
35
A la distinction que nous avons faite plus haut entre phrases simples et phrases
complexes correspond, en outre, celle existant entre prédicats du premier et du second ordre.
Par là, nous entendons que ces phrases complexes contiennent la plupart du temps un élément
prédicatif qui relie deux arguments de nature phrastique, c’est-à-dire contenant eux-mêmes un
élément prédicatif. On a longtemps négligé la très grande variété de formation des phrases
complexes à partir des connecteurs exprimant des relations entre des événements, des actions,
des états, etc. Voici un échantillon du type de phrases auxquelles nous pensons (Cf. Chap. 15
et 16) :
Conclusion
L'état actuel du traitement automatique des langues naturelles n’est pas tel qu'on puisse
parler de systèmes de compréhension de textes qui seraient à même de réaliser des tâches
complexes. Il est clair que le traitement automatique dépend étroitement du degré de
couverture dont le système dispose. Cette exigence est fonction de la résolution d’un certain
nombre de tâches difficiles et de longue haleine. La reconnaissance des unités lexicales
implique qu’on ait fait le recensement des toutes les suites figées ou du moins des catégories
composées. Sur cette base, il faut dresser la liste de tous les prédicats du premier ordre pour
être en mesure de reconnaître les phrases simples, qui constituent les unités minimales
d’analyse des textes. C’est dans le cadre des schémas d’arguments que se fait la
désambiguïsation des éléments lexicaux, dont on sait que, pris isolément, ils sont presque tous
polysémiques. La reconnaissance des schémas d’arguments permet, d’autre part, d’isoler les
prédicats du second ordre ainsi que tous les éléments lexicaux qui n’appartiennent pas à la
phrase simple et qui doivent faire l’objet d’une description spécifique.
Lectures
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37
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Grammaires
Dictionnaires de linguistique
Chapitre 2
Nous avons vu au chapitre précédent qu’une phrase simple correspond à une structure
composée d’un prédicat, de forme morphologique variable, qui génère des arguments,
représentés par des substantifs ou des phrases. Nous allons approfondir ici les propriétés
générales de ce type de structure, en montrant qu’à chaque schéma sont associées des
propriétés spécifiques. Nous appelons emploi de prédicat ou emploi prédicatif un schéma
prédicatif donné et l’ensemble des propriétés qui lui sont rattachées. Nous verrons à la fin de
ce chapitre que le traitement automatique n’est pas une affaire de mots, ni même de séquence
de mots mais d’emplois. On reconnaît, on génère, on traduit automatiquement des emplois.
Un emploi est décrit à l’aide des paramètres suivants : un schéma d’arguments, un sens
associé, une forme morphologique, une actualisation, un système aspectuel, des
restructurations et un domaine.
1. Un domaine d’arguments
Que le prédicat soit verbal, nominal ou adjectival, un emploi prédicatif est d’abord
défini par son domaine d’arguments. Nous allons présenter l’outil qui nous permettra de
décrire les arguments de façon précise et reproductible. Faisons une première observation.
Soit le verbe conduire dans Paul conduit une Peugeot. Si nous remplaçons le mot
Peugeot par Citroën, Audi ou BMW, nous constatons que le verbe garde la même
interprétation. Si nous substituons à ces termes des noms communs comme berline, break,
cabriolet, coupé, limousine, le sens du verbe reste encore constant, tout comme si nous
intégrons des termes plus généraux comme voiture ou automobile. Convenons de ranger tous
ces substantifs dans une classe hyperonyme que nous appellerons <moyen de transport
routier individuel>, où les crochets délimitent une classe sémantique. Tous les éléments de
cette classe déclenchent une seule et même interprétation du verbe conduire.
Si maintenant nous remplaçons dans la phrase ci-dessus le substantif Peugeot ou tout
autre élément de la classe des <moyens de transport routiers> par un mot comme hêtre : Le
jardinier a conduit ce hêtre, alors il y a une rupture de signification, le verbe signifie à présent
« tailler d’une certaine façon » et cette seconde interprétation sera identique pour chêne,
sapin, tilleul, un ensemble de lexèmes que l’on peut regrouper sous le terme générique
d’<arbre>. Une substitution dans une position argumentale peut donc correspondre à deux
situations différentes. Ou bien la signification du prédicat reste inchangée et le nouveau
substantif appartient à la même classe sémantique ou alors le sens du prédicat change et le
substantif relève d’une classe sémantique différente. Ces classes sémantiques nous les
appelons des classes d’objets (Chap. 8).
Une classe d’objets est un ensemble de substantifs qui, dans une position argumentale
donnée, détermine le sens d’un prédicat. Ces classes peuvent être soit des hyperclasses :
<humains>, <animaux>, <végétaux>, <concrets>, < locatifs> et <noms de temps>, soit des
sous-ensembles : les <moyens de transports routiers>, les <arbres>, les <relations de
parenté>, les <aliments>, les <habitations>, les <lieux de culte>, etc. Nous verrons au
40
Chap. 8 une description systématique de ces classes et nous montrerons le rôle fondamental
qu’elles jouent dans le traitement automatique. On trouvera ici, à titre d’illustration, un
exemple de description d’un verbe polysémique à l’aide de classes (N0 correspond au sujet et
N1 à l’objet) :
2. Un sens associé
mât (arbre de trinquet), un élément d’un moteur (arbre de transmission), une filiation (arbre
généalogique), un élément d’un navire (arbre d’hélice). Notre analyse repose sur
l’observation empirique que deux emplois polysémiques d’un même prédicat ne peuvent pas
avoir les mêmes classes sémantiques dans leurs positions argumentales. Dès qu’on passe
d’une classe argumentale à une autre, le sens du prédicat change.
Il est maintenant admis qu’un prédicat ne correspond pas seulement à un verbe mais
qu’il existe des prédicats nominaux et adjectivaux, à quoi il faut ajouter des prépositions et
certains adverbes. Certaines racines prédicatives ont trois réalisations morphologiques :
verbale, nominale et adjectivale, comme respect-, par exemple : Luc respecte les lois, Luc a le
respect des lois, Luc est respectueux des lois. D’autres n’en ont que deux : verbe et nom : Luc
veut réussir, Luc a la volonté de réussir ; verbe et adjectif : Paul ennuie tout le monde, Paul
est ennuyeux pour tout le monde ; nom et adjectif : Luc a de la volonté, Luc est volontaire.
Enfin, certains prédicats n’ont qu’une seule forme. On peut les appeler des prédicats
autonomes : Luc coupe du bois ; Luc donne un coup à Paul ; Luc est volontaire pour ce
travail. Un dictionnaire électronique doit signaler la possibilité de ces changements
morphologiques. Dans la traduction automatique, le système est contraint quelquefois de
recourir à cette information, puisque les langues connaissent des trous morphologiques. Pour
que l’on puisse parler de variantes morphologiques d’un prédicat, plusieurs conditions
doivent être remplies :
C’est le cas de la racine respect- que nous venons de voir mais non des mots peur et
peureux où, malgré une racine commune évidente, les arguments sont différents : Luc a peur
du noir ; *Luc est peureux du noir. De même couper n’a rien à voir avec (donner) un coup.
La présence simultanée des trois formes du prédicat mérite quelques commentaires. Il ne
s’agit pas de redondance. Nous verrons plus loin que l’expression du temps et de l’aspect n’y
est pas la même. Le niveau de langue entre aussi en ligne de compte : avoir le respect des lois
et être respectueux des lois semblent être d’un niveau plus soutenu que la forme verbale
respecter les lois.
Si l’on revient au verbe abattre, on observe que les différents emplois se comportent de
façon différente par rapport à la nominalisation. Tout d’abord, il existe des emplois qui n’ont
pas de forme nominale, c’est le cas des phrases 2, 3, 4, 6, pour lesquelles seules la forme
verbale est possible. Dans les phrases 1, 7, 8, il existe, à côté de la forme verbale, un
substantif dérivé en – age : l’abattage d’un arbre, l’abattage du minerai, l’abattage d’une
génisse. Enfin, la phrase 5 est caractérisée par l’existence d’une forme nominale en – ment :
l’abattement de la population. La description que nous venons de faire montre, à elle seule
déjà, la nécessité de disjoindre pour chaque prédicat polysémique les différents emplois
autonomes qui les caractérisent.
4. Une actualisation
Nous avons vu, au chapitre précédent, qu’une des propriétés définitionnelles d’un
prédicat est sa possible insertion dans le temps. Ce fait est connu depuis toujours pour les
verbes. Très tôt les grammairiens ont mis au point des tables de conjugaison, peut-être sur le
42
modèle des flexions casuelles des noms. A l’heure actuelle des ouvrages comme le
Bescherelle sont d’une utilisation courante, bien au-delà du milieu scolaire.
La découverte de l’actualisation des prédicats nominaux, en revanche, est un chapitre
récent dans les grammaires. Le fait qu’il existe des verbes d’un type particulier dont le rôle
consiste à inscrire les prédicats nominaux dans le temps remonte aux années 60. Les
promoteurs en sont P. von Polenz (1963) en Allemagne et Z .S. Harris (1964) aux USA. Cette
question représente pour le traitement automatique une telle importance que nous lui
consacrerons un chapitre particulier (Chap. 7).
L’actualisation des prédicats nominaux présente par rapport à celle des verbes de
grandes différences. Entre le sémantisme d’un verbe et sa conjugaison, il n’y a pas de
corrélation évidente : une même conjugaison en – ir/issant, par exemple, s’applique à des
verbes de mouvement (alunir), de cris (mugir), de couleur (jaunir). En revanche, pour
conjuguer les prédicats nominaux, il faut connaître leur sémantisme. On verra plus loin que
les actions, les événements et les états ne prennent pas les mêmes supports et qu’à l’intérieur
de chacun de ces groupes, il faut créer des sous-ensembles, correspondant à des classes
déterminées de prédicats nominaux. Ainsi les prédicats de <bruits vocaux> prennent pousser,
les prédicats de <combats> mener ou livrer. Les emplois de abattage que nous venons de voir
prennent tous le support procéder à, car il s’agit de prédicats techniques. Mais souvent la
différence des emplois d’un même prédicat est soulignée par des supports distincts. En voici
un exemple mettant en jeu le substantif regard. Ce substantif, comme on le verra plus loin
(§8), peut désigner une propriété physique, le support est alors avoir : Paul a un regard terne.
Il peut s’agir aussi d’un prédicat de « comportement à l’égard d’autrui », il aura un autre
emploi de avoir, impliquant un adjectif de comportement : Paul a eu un regard (amical,
dédaigneux) pour Jean. Le mot peut désigner une perception active, le choix est alors entre
plusieurs supports : Paul a jeté un regard rapide dans cette direction ; Paul a porté son
regard dans cette direction. A cela peuvent s’ajouter des indications aspectuelles : fixer son
regard sur, poser son regard sur. On a ici une seconde raison de décrire les prédicats en
termes d’emplois et non dans le cadre d’un lexème.
5. Un système aspectuel
Un emploi est ensuite défini par son aspect. Selon que le prédicat implique ou non une
durée, on est en présence de prédicats ponctuels ou duratifs. Leurs propriétés sont différentes.
Si l’itérativité est commune aux deux types, seuls les prédicats de durée ont un inchoatif, un
progressif et un terminatif (Cf. Chap. 7). Ainsi le quatrième emploi du verbe abattre
représente-t-il un prédicat ponctuel, c’est-à-dire sans durée du point de vue linguistique. Sont
donc exclues des phrases comme *Le policier (a commencé, continue, finit) d’abattre le
fugitif. Un des critères linguistiques généralement utilisé est l’incompatibilité avec un
complément de temps en pendant N : *Le policier a abattu le fugitif pendant dix minutes.
L’idée est claire, il est impossible de subdiviser un fait qui n’a pas de durée. Cette analyse
vaut aussi pour la phrase 2. En revanche, abattre un mur ou une construction en général peut
être considéré comme un prédicat duratif. La durée est soulignée par des constructions
comme la suivante : Les ouvriers ont mis deux jours pour abattre ce mur. D’où des phrases
comme : On est en train d’abattre le mur ; On vient de finir d’abattre ce mur.
L’emploi psychologique de abattre désigne non une action mais une causation : Cette
nouvelle nous a plongés dans un profond abattement. L’interprétation durative est évidente et
l’emploi génère un état résultatif, ce qui n’est pas le cas des autres emplois que nous venons
de voir : Nous sommes abattus. L’aspect ne doit donc pas être considéré comme une propriété
d’une racine prédicative donnée mais de chacun de ses emplois particuliers. Nous avons
examiné plus haut les termes peur et peureux et nous les avons analysés comme relevant de
43
deux emplois différents de la racine. Notre argument était que les deux opérateurs n’ont pas le
même domaine d’arguments. Il y a une raison supplémentaire de procéder à une telle
séparation : ils ont deux aspects différents. Alors que peur désigne un sentiment et est
caractérisé de ce fait par un aspect à la fois ponctuel et duratif, l’adjectif peureux désigne un
trait de caractère et n’a donc qu’un aspect duratif.
L’aspect dans des langues comme le français (à la différence, semble-t-il, des langues
slaves, où il est le fait de la morphologie) est réparti sur tous les éléments de la phrase. Il y a
de ce fait des problèmes de compatibilité aspectuelle très complexes à décrire si l’on veut
traiter les faits de façon automatique. Un même prédicat nominal n’a pas les mêmes
déterminants selon l’aspect véhiculé par son verbe support. Le prédicat bêtise peut représenter
soit un semelfactif soit un itératif. Le déterminant est alors soit le numéral un soit un pluriel :
Luc a fait une (seule) bêtise ; Luc a fait (des, quelques, trois, d’autres) bêtises. Avec le
support faire, il ne semble pas y avoir de restrictions sur les déterminants au pluriel. Mais si
l’on utilise une variante itérative de faire comme multiplier, alors seul l’article les est
possible : Luc a multiplié (*des, *ces, *quelques, les) bêtises.
6. Des restructurations
Les transformations sont elles aussi fonction des emplois. Une règle de grammaire assez
générale prévoit que les verbes intransitifs avec la préposition de (N) pronominalisent ce
complément à l’aide du pronom en : Paul se souvient de ce fait, Paul s’en souvient. Cette
règle ne s’applique pas à des modaux comme tenter de, essayer de, qui prennent le pronom
le ou les démonstratifs ça ou cela : Il a tenté de se sauver par la fenêtre ; (*Il en a tenté. Il l’a
tenté), de se sauver par la fenêtre ; Il a tenté (ça, cela).
Que les transformations soient fonction des emplois est clairement mis en évidence par
l’exemple suivant. Soit le verbe louer, qui a comme compléments possibles une foule de
substantifs, dont par exemple voiture, qui appartient à la classe des <moyens de transports>,
mais aussi maison ou appartement, qui relèvent de la classe des <habitations>. On ne voit
pas bien a priori si l’on a affaire, dans ces deux cas, à un ou plusieurs emplois. En fait, il
s’agit de deux emplois différents, comme le montrent les propriétés suivantes. Avec un
complément de la classe des <habitations>, le verbe est associé à des formes nominales, ce
qui n’est pas le cas des autres emplois. Celui qui donne en location est un logeur (non un
loueur) et celui qui prend en location est un locataire. Le prix d’une location est un loyer.
L’habitation louée s’appelle une location (Paul est en location). De même, la traduction en
allemand de notre emploi est spécifique. Louer (donner en location) se traduit par vermieten
et prendre en location se dit mieten. Le logeur se traduit par Vermieter, le locataire par Mieter
et le loyer par Miete. Ces traductions ne s’appliquent à aucun des autres sens du verbe. On
voit donc qu’on est en droit d’affirmer que l’emploi de louer que l’on vient de décrire a des
propriétés qui lui sont spécifiques.
7. Un domaine
Un emploi est en partie déterminé par le domaine dont il relève. Ce fait est
systématiquement utilisé dans les différents systèmes de traduction automatique, qui notent le
type de vocabulaire (chimie, droit, médecine) comme contribuant à déterminer le choix de
telle traduction parmi d’autres possibles. Les différents emplois du verbe abattre que nous
avons vus plus haut relèvent chacun d’un domaine différent. L’exemple 1 appartient à la
sylviculture ; le second au domaine militaire, la troisième aux travaux publics, le quatrième à
la criminologie, le sixième aux jeux de sociétés, le septième au domaine des mines et le
dernier à la boucherie. Seul le cinquième (Cette nouvelle nous a abattus) relève de la langue
44
Les paramètres que nous venons d’énumérer nous ont permis de définir avec rigueur la
notion d’emploi qui est, à nos yeux, un des concepts les plus importants de la linguistique.
Toute entrée lexicale devrait correspondre non à un lexème mais à un emploi et comprendre
toutes les informations qui lui sont corrélées. Notre position consiste à affirmer que le sens
n’est pas premier ni « isolable » mais qu’il est en connexion avec bien d’autres propriétés
d’une structure phrastique. Dès lors qu’un prédicat a un nombre déterminé de significations, il
a inévitablement autant de séries de propriétés différentes, qui forment non pas des
caractéristiques isolées mais sont dans un état d’interdépendance. Nous voudrions illustrer les
analyses qui précèdent par un exemple précis qui met en jeu le substantif regard, réduit par
bien des dictionnaires à son rôle de prédicat de perception, mais qui a bien d’autres emplois.
Dans cet emploi, le schéma d’argument est caractérisé par un sujet humain et un
complément humain, concret ou locatif. Le support jeter a différentes variantes : balancer,
lancer, envoyer, filer. Les prépositions sont locatives : vers, en direction de. Si le complément
est concret alors la préposition est essentiellement sur. Les déterminants sont les indéfinis un,
des suivis facultativement d’une modifieur. Sont interdits le ou peut-être le possessif : Paul a
jeté (*le, ?son) regard sur ce texte. Dans le paradigme de regards on trouve d’autres
substantifs, dont certains sont figés : œil : jeter un œil (à, sur) N ; jeter les yeux (*à, vers,
sur) N ; jeter un coup d’œil (à, sur) N. Les adjectifs appropriés sont souvent de nature
locative : en biais, en coin, en coulisse, oblique, furtif. Le support peut normalement être
effacé : le regard de Paul sur Jean. Les supports possibles dans cet emploi impliquent
souvent une action rapide : jeter un regard rapide sur ce texte. Enfin, cet emploi est associé à
la forme verbale : Paul m’a regardé en coin.
*Paul a un regard
Paul a un regard terne
regard : ardent, étincelant, brûlant, terne, vide, fuyant, mobile, vitreux mais non en coin, en
biais. Le déterminant de regard est un ou le au singulier : Paul a (le, un) regard vif. Le pluriel
est interdit : *Paul a les regards vifs. Aspectuellement, il y a une interprétation momentanée
ou habituelle : Paul a un regard terne (ce matin, habituellement). Le substantif regard peut
être remplacé par le substantif œil : Paul a l’œil (vif, terne), le pluriel est moins bon : Paul a
les yeux vifs, l’indéfini serait meilleur : Paul a des yeux vifs. Le support peut être effacé : le
regard (vif, terne) de Paul. Il n’y a pas de montée de l’adjectif : *Paul est (terne, vif) (de, du)
regard. La construction impersonnelle est possible : Il y a (de la vivacité, de la mobilité, du
feu) dans le regard de Paul. Enfin, il n’y a pas de verbe regarder associé.
Le substantif regard désigne une propriété de Paul. Elle est moins physique que dans :
Paul a les jambes arquées, du fait peut-être que les yeux peuvent traduire des sentiments, un
état d’esprit, certaines facultés, comme la présence d’esprit. Au 17 e siècle, on appelait les
yeux, le « miroir de l’âme ». Regard n’a rien à voir ici avec le substantif vue : Paul a une vue
perçante.
Le substantif regard n’est pas interprété comme un prédicat de perception dans : Paul a
eu un regard (amical, dédaigneux) pour Jean, mais de comportement à l’égard d’autrui. Le
sujet est humain de même que le complément (qui pourrait aussi désigner une activité
humaine). Ce complément est introduit par la préposition pour. Deux autres supports peuvent
figurer dans cet emploi : accorder, concéder. La préposition est alors à : Paul lui a accordé
un regard attentif. Le déterminant est indéfini : Paul a eu un regard amical pour Jean. Le
pluriel n’est pas très clair : Paul a eu des regards amicaux pour Jean. Le défini est
impossible : *Paul a eu le regard (amical) pour Jean ; le possessif est impossible aussi :
*Paul a eu son regard amical pour Jean
Un modifieur est obligatoire, sauf à la forme négative : Paul n’a même pas eu un regard
pour Jean. Mais il s’agit peut-être d’une suite figée. Regard peut difficilement être remplacé
par œil : l’œil dédaigneux de Paul pour Jean. L’adjectif est de nature comportementale :
amical, attentif, dédaigneux, hautain mais non descriptif fixe, fuyant, mobile, acéré, vif,
perçant. Il existe une construction impersonnelle : il y a eu un regard dédaigneux pour Jean
de la part de Paul. On observe aussi une autre thématisation : J’ai eu droit à un regard
dédaigneux de sa part. Enfin, le substantif a une construction verbale parallèle : Paul a
regardé Jean dédaigneusement. Dans ce cas, regarder n’est pas un prédicat de perception
mais de comportement, interprétation qui est encore accentuée par certains adverbiaux
« Monsieur de Trailles me regarda d'un air poliment insultant et se disposait à s'en aller
(Balzac, Gobseck).
9. Conclusion
Nous venons de montrer que la notion de polysémie est inadéquate pour rendre compte
du fonctionnement de la plupart des prédicats, car ce terme se situe sur le seul plan de la
signification, alors que, comme nous l’avons montré dans les exemples précédents, tous les
niveaux de la description linguistique sont interconnectés : lexique, syntaxe, sémantique. La
notion d’emploi que nous venons de développer montre clairement que chaque schéma
prédicatif incarne une signification spécifique et que cette signification est corrélée
étroitement à un ensemble de propriétés syntaxiques, morphologiques et pragmatiques, qui
font partie de sa définition linguistique globale. Dès lors qu’on a sélectionné un emploi de
prédicat, on a déterminé ipso facto un ensemble de propriétés linguistiques, qui caractérisent
cet emploi par opposition à tous les autres schémas que ce prédicat peut avoir. Il n’est pas
46
facile de mémoriser, pour un emploi donné, l’ensemble des propriétés que nous venons de
signaler. Toutes ces informations doivent cependant figurer dans un dictionnaire électronique.
L’emploi est donc l’unité structurelle de base de la langue, qu’un traitement automatique doit
pouvoir reconnaître et éventuellement générer.
Nous venons de définir la notion d’emploi. Nous avons ainsi mis au point les
paramètres qui permettent de décrire les phrases simples comme des ensembles, en intégrant
la totalité de leurs propriétés. Dans les chapitres qui suivent, nous reprenons
systématiquement chacun de ces paramètres, en mettant l’accent sur la nature morphologique
des prédicats et de leurs schémas d’arguments (Chap. 3, 5, 6, 7) et la description sémantique
des arguments (Chap. 4). Après quoi, nous traitons de l’actualisation des phrases en étudiant
la conjugaison des prédicats (Chap. 8) et la détermination des substantifs (Chap.9).
Lectures
Anscombre, J.Cl., 2004, "La notion de polysémie dans le cadre de la théorie des
stéréotypes", Verbum, XXVI, n° 1, p.55-64.
Blanco, X. et Buvet, P.-A., (éds.), 2009, Les représentations des structures prédicats-
arguments, Langages n°176, Larousse, Paris.
Gross, G., 1990, "Désambiguïser dans un lexique-grammaire", Actes du Colloque Semantica :
Les modèles sémantiques pour le traitement automatique du langage, Paris, EC2, 1990.
Gross, G. et Clas, A., 1997, " Les classes d’objets et la désambiguïsation des synonymes",
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Gross, G., 1999, " La notion d’emploi dans le traitement automatique", La pensée et la
langue, Krakow, Wydawnictwo Naukowe AP, p.24-35.
François, J., 2007, Pour une cartographie de la polysémie verbale, Peeters, Leuven-Paris.
Habert, B., Illouz G. et Folch H., « Dégrouper les sens : pourquoi, comment ? », JADT, 7es
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Harris, Z.S., 1964, « The Elementary Transformations », in Papers in Structural and
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Kleiber, G., 1999, Problèmes de sémantique : la polysémie en question. Sens et structures.
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Von Polenz, P., 1963, Funktionsverben im heutigen Deutsch, Wirkendes Wort, Beiheft 5
Düsseldorf.
47
Chapitre 3
2. Délimitation morphologique
Un prédicat verbal, comme tout prédicat, est défini par deux types de propriétés : son
rôle de générateur d’arguments et son inscription dans le temps. Ce chapitre est consacré à la
première de ces propriétés. La seconde sera examinée au Chap. 7, qui traite de l’actualisation
des prédicats. La détection d’un verbe donné implique la reconnaissance préalable de sa
délimitation morphologique. Si la reconnaissance d’une forme verbale est aisée, l’extension
morphologique qu’elle peut revêtir n’est pas simple à déterminer, car elle ne correspond pas
toujours à un seul lexème. Un verbe peut représenter, entre autres :
Dans d’autres langues, comme l’anglais et l’allemand, il existe des verbes à particules
séparables comme : abhauen, wegfahren pour l’allemand ou give up, go away pour l’anglais.
La reconnaissance automatique des unités verbales passe par l’indication de ces informations
dans un dictionnaire électronique.
48
Nous analysons dans la première partie de ce chapitre les propriétés caractéristiques des
arguments d’un verbe. Nous mettons d’abord au point des critères permettant de distinguer les
circonstants des arguments et nous présenterons ensuite les différentes formes que peuvent
prendre ces derniers.
Un prédicat ouvre un ensemble de positions argumentales qui lui sont propres et qui
représentent des classes sémantiques déterminées. Ces classes dépendent de la nature du
prédicat. Ainsi le verbe déchiffrer sélectionne deux arguments : un sujet humain et un objet
appartenant à la classe des <textes>. Le verbe lire en sélectionne trois : Paul lit un roman à
son fils. Nous examinerons ici le problème de la reconnaissance des arguments et de leur
délimitation et nous verrons, au Chap.8, un outil théorique permettant de rendre compte de la
compatibilité sémantique entre prédicats et arguments.
Une difficulté maintes fois évoquée consiste à déterminer, pour un prédicat donné, le
nombre exact de ses arguments, ce que l’on désigne souvent comme la suite la plus longue.
Cela pose l’épineux problème de la distinction entre arguments et circonstants. Du point de
vue sémantique et théorique, on peut dire qu’un groupe nominal est un argument s’il figure
dans la portée stricte du prédicat. Ainsi, l’indication du prix fait partie de la définition du
verbe vendre, qui a donc, en plus du sujet, trois arguments-objets : la chose vendue, la
personne à qui l’on vend et le prix de vente : Paul a vendu sa voiture à Jean pour dix mille
euros. En cela, vendre diffère de donner qui n’en a que deux, le complément désignant le prix
étant exclu : Paul a donné sa voiture à Jean.
49
Comme il n’est pas aisé de déterminer si un groupe nominal relève ou non de la portée
du verbe, on peut recourir à des propriétés formelles. Observons d’abord que circonstants et
arguments ont des propriétés communes comme l’extraction : On observe cette coutume en
France, C’est en France qu’on observe cette coutume ; Jean a parlé à Paul, C’est à Jean que
Paul a parlé. Cette propriété est intéressante, car elle pose le problème de la relation des
circonstants avec le prédicat de la phrase. Nous reviendrons sur ce point.
Examinons maintenant certaines propriétés de position. Un complément d’objet figure
après le prédicat dans la phrase simple et ne peut être déplacé en position frontale que s’il est
repris par un pronom (détachement) : Paul a relu ce texte ; *Ce texte, Paul a relu ; Ce texte,
Paul l’a relu. Un complément circonstanciel, en revanche, peut être déplacé au début de la
phrase sans autre modification : Il pleut souvent, à Paris ; A Paris, il pleut souvent. On dira
que à Paris est un complément circonstanciel de lieu. En revanche, dans la phrase : Paul va
souvent à Paris, le complément à Paris, qui est traditionnellement analysé comme un
circonstanciel de lieu également, n’est cependant pas déplaçable : *A Paris, Paul va souvent,
sauf s’il est repris par un pronom : A Paris, Paul y va souvent. Nous considérons donc ici la
suite à Paris non comme un complément circonstanciel mais comme un argument du prédicat
aller. Cette observation mérite cependant une observation annexe : les compléments d’objets
seconds (et c’est d’autant plus vrai que ce complément est plus éloigné du prédicat), peuvent
aussi figurer en position frontale : A Jean, j’ai donné un livre et à Paul un couteau. Il faut
ajouter que, dans ce cas, le sens n’est pas constant et l’effet contrastif est plus accentué que
dans le cas des circonstants.
Malgré les critères que nous venons de présenter et qui sont bien connus, il est difficile
dans certains cas de se prononcer sur le statut syntaxique de certains compléments. Prenons, à
titre d’exemple, un complément locatif accompagnant le verbe rencontrer : Paul a rencontré
son frère au marché. Si l’on compare cette construction à la phrase : Paul dort dans (son lit,
sa chambre), on a le sentiment que, dans la seconde phrase, le complément de lieu est plus
« proche » du verbe. Cette impression est confortée par le fait que la première phrase peut
être paraphrasée de la façon suivante : Paul a rencontré son frère ; cela a eu lieu au marché,
ce qui est plus difficile pour la seconde ?Paul dort, cela a lieu dans son lit.
Examinons encore une phrase comme : Paul a parlé à Jean de ses difficultés, où Jean et
difficultés sont des arguments de parler. Comme parler est un prédicat d’action, il peut être
repris par le pro-verbe le faire (Cf. M. Prandi 2004 p.268-274) : Paul a parlé à Jean de ses
difficultés. Il le fait souvent. L’anaphorique le fait renvoie à la suite : parler à Jean de ses
difficultés dans son ensemble et non à l’un ou l’autre des arguments. Aucun argument ne peut
être repris à lui tout seul par l’anaphorique le fait : Paul a parlé à Jean, * il l’a fait de ses
difficultés ; Paul a parlé de ses difficultés, * il l’a fait à Jean. Le faire reprend donc le groupe
verbal dans sa totalité, comme on le voit en cas de présence d’un complément circonstanciel :
Jean est parti pour échapper à ce conflit, Jean est parti, il l’a fait pour échapper à ce conflit ;
Jean est parti plus tôt parce que la pluie menaçait, Jean est parti plus tôt. Il l’a fait parce que
la pluie menaçait. Cette propriété s’applique aussi en cas de prédicats événementiels : Au
printemps, il tombe souvent des trombes d’eau dans les pays méditerranéens : Il tombe des
trombes d’eau, cela arrive souvent (au printemps, dans les pays méditerranéens). La reprise
par le faire est donc exclue pour les arguments.
Nous verrons, au Chap.15, que les arguments et les compléments circonstanciels
reposent sur des structures très différentes. Un argument appartient à la construction du
prédicat d’une phrase simple, c’est-à-dire à un prédicat du premier ordre. Les compléments
circonstanciels, eux, sont introduits par des connecteurs qui sont des prédicats du second
ordre. Une préposition introduisant un argument n’a donc pas le même statut que celle qui
introduit un circonstant. La première a pour fonction d’être un élément du schéma prédicatif
d’un verbe intransitif. Au contraire, une préposition qui introduit un complément
50
circonstanciel est un prédicat du second ordre qui relie deux phrases, celles qu’on appelle
conventionnellement la principale et la subordonnée.
Les arguments que nous venons d’examiner doivent être considérés comme des
arguments élémentaires dans le cadre de la phrase simple. Leur ordre est traditionnellement
plus ou moins codé. Nous ne confondons pas ces arguments élémentaires avec des suites
identiques en surface mais qui sont le fait de structures complexes comme celles qui
impliquent un attribut de l’objet, par exemple : On l’a élu maire ; Paul boit son café froid.
Il existe deux grands types d’arguments : les noms élémentaires : J’aime le chocolat ; Je
reconnais cette route et les phrases, c’est-à-dire en fait d’autres prédicats : Je sais que tu es
venu ; J’apprécie ta réponse. Ces faits sont suffisamment connus pour ne pas faire l’objet ici
de plus amples développements. Cependant, des problèmes d’analyse se posent avec certains
types de verbes. La plupart du temps, les adverbes de manière sont des prédicats qui opèrent
sur un verbe : Paul s’est comporté dignement, tout comme l’adjectif correspondant opère sur
le prédicat nominal correspondant : Le comportement dont Paul a fait preuve a été digne.
Mais certains adverbes ne correspondent pas à une telle analyse. Ainsi, on admettra que (plus)
tard est un adverbe dans : Ce problème sera réglé plus tard mais un argument dans : Paul a
remis la séance à plus tard.
Les analyses que nous venons d’effectuer sont le fait des constructions régulières, c’est-
à-dire libres et ne concernent en rien les suites verbales figées, qui n’ont aucune des libertés
syntaxiques qui caractérisent les compléments de plein statut. D’autre part, certains verbes
ont des objets internes (vivre une vie difficile).Enfin, les verbes impersonnels n’ont pas de
véritable sujet : Il pleut, (ital.) piove. Ces constructions ne sont pas à confondre avec les
topicalisations de prédicats : Il tombe de l’eau ; Il se vend beaucoup de cerises ces derniers
temps.
Nous décrivons, au Chap.8, consacré aux classes d’objets, les contraintes sémantiques
existant entre les prédicats et leurs arguments. Nous envisageons ici les problèmes posés par
la reconnaissance des compléments de verbes. Nous rappelons quelques faits bien connus
concernant la phrase simple. Les verbes peuvent avoir une construction directe : saisir une
arme, indirecte : s’occuper d’une affaire ou les deux : attribuer un numéro à quelqu’un. Deux
compléments indirects peuvent s’observer : discuter de quelque chose avec quelqu’un.
Notons aussi que, dans quelques cas, un complément peut être à la fois transitif direct et
indirect : habiter à Paris, habiter Paris.
D’autres constructions sont obtenues par suite de restructurations. Il s’agit, par exemple,
de l’attribut de l’objet. Quand ce dernier est introduit par une conjonction, l’analyse ne pose
pas de problème : Pierre est compétent ; Je considère Pierre comme compétent. Mais il arrive
que la subordination ne soit pas exprimée matériellement, ce qui s’observe après réduction :
Je sais que Pierre est intelligent ; Je sais Pierre intelligent. Nous étudierons dans ce qui suit
les modifications touchant les compléments.
Dans un texte réel, les arguments ne figurent pas toujours dans l’ordre canonique
qu’adoptent les grammaires et les dictionnaires. Ils peuvent subir certaines modifications que
nous allons examiner dans ce qui suit. Ces modifications doivent être répertoriées pour
51
chaque verbe, car elles participent à la détermination de l’emploi. Par exemple, l’objet du
verbe aimer peut être soit un humain : Paul aime ses voisins, soit une complétive : Paul aime
qu’on dise la vérité. La pronominalisation de l’objet permet de discriminer ces deux emplois.
Le premier exemple donne lieu à une pronominalisation en le, la, les : Paul les aime ; le
second est de la forme cela ou ça : Paul aime ça.
6.1. Baisse de la redondance
Un schéma d’arguments, défini comme la suite la plus longue des arguments, s’observe
rarement tel quel dans les textes. Certaines informations sont prises en charge par le contexte.
On observe alors soit l’effacement d’un ou plusieurs argument(s) soit leur reprise
anaphorique (pronominalisation).
6.1.1. L’effacement
a) la coordination :
Luc rentre la voiture et il ferme la porte du garage
Luc rentre la voiture et ferme la porte du garage
Paul lave et essuie la table
b) la réduction infinitive :
Je veux que tu partes
Tu veux que je parte
Je veux partir
Tu veux partir
c) la construction impersonnelle, où l’accent est mis sur le prédicat et non sur l’agent :
L’effacement d’un complément pose, par contre, des problèmes d’analyse plus
complexes. Les raisons en sont multiples. Observons tout d’abord qu’il existe un grand
nombre de prédicats qui refusent l’effacement de leur complément : Paul a tracé un trait,
*Paul a tracé ; Cela augmente les difficultés, *Cela augmente. A notre connaissance, il n’y a
pas d’étude exhaustive qui dresse la liste des verbes qui interdisent ces suppressions. Il est
clair cependant qu’un dictionnaire électronique doit comporter ce type d’information. Nous
envisageons ici les principaux facteurs qui favorisent l’effacement d’un argumentobjet.
La baisse de la redondance est un point de grammaire qui manque d’observations
empiriques. Pourquoi le complément peutil être omis dans manger une pomme et non dans
peler une pomme ? On ne peut pas dire que le complément est effaçable quand il correspond à
une classe sémantique identifiable. La liste des objets que l’on peut peler est aussi facile à
établir que celle des aliments. Notons qu’en cas de coordination, le second verbe est
naturellement effaçable, s’il s’agit du même :
Paul pèle une pomme et pèle une poire
Paul pèle une pomme et une poire
Mais il est difficile de déterminer une situation où, dans un environnement similaire, un
complément peut être effacé. Soit le texte de départ suivant :
Paul mange une pomme et Jean mange une pomme aussi
Il est impossible d’effacer la seconde occurrence de pomme, alors qu’on peut effacer le
groupe verbal :
*Paul mange une pomme et Jean mange
Paul mange une pomme et Jean aussi
Si l’on veut factoriser, c’est l’ensemble formé par le verbe et son complément qui est
mis en facteur commun :
Paul et Jean mangent une pomme
Le cas que nous venons d’étudier met en jeu des phrases coordonnées. Mais, dans les
phrases simples, il existe, dans un grand nombre de cas, la possibilité de mettre l’accent sur le
prédicat. Ainsi, le verbe manger impliquetil nécessairement que l’on mange quelque chose.
Mais il arrive que la situation n’exige pas qu’on précise la nature des aliments mais seulement
le type d’occupation. Alors un message approprié pourrait être : Pourquoi Paul n’estil pas à
son travail ? Il est en train de manger. Les situations concrètes qui motivent cette mise en
évidence de l’action ellemême au détriment du complément sont nombreuses et mériteraient
une étude approfondie.
Il va de soi que les effacements dont nous venons de parler ne changent pas le sens du
prédicat. Nous parlerons alors de sousstructures d’un emploi donné. Mais dans d’autres cas,
cette réduction constitue en fait un autre emploi, car elle met en jeu des problèmes de polarité
différente. Par exemple, le verbe sentir peut être complété par deux adverbes antonymes : Cet
objet sent (bon, mauvais). Si l’on supprime l’adverbe, c’est l’une des interprétations qui est
sélectionnée : Cet objet sent = Cet objet sent mauvais. Le verbe sentir aura donc deux entrées
dans un dictionnaire, dont l’une est sentir (bon, mauvais) et l’autre tout simplement sentir. Un
53
autre cas de figure est représenté par des verbes comme boire, qui a pour complément d’objet
tout élément de la classe des <boissons>. Si l’objet est effacé et si le verbe est à un temps fini,
alors la suite est interprétée comme boire de l’alcool. Si le verbe est au présent général, le
sens est équivalent à être ivrogne : Luc boit de (l'eau, l’alcool) ; Luc boit (= de l'alcool).
Notons enfin que l’effacement d’un argument dans un texte peut être source d’ambiguïté :
J’ai pris ce stylo à Luc = j’ai volé ce stylo ; J’ai pris ce stylo = je l’ai saisi. L’ambiguïté n’est
pas exclue en cas de suite la plus longue : J’ai acheté ce stylo à Luc, où Luc peut être soit le
vendeur soit le bénéficiaire (datif).
6.1.2. Les pronominalisations
Cette transformation a fait l’objet d’études innombrables (Cf. Chap.9, §6). Elle a pour
effet de diminuer la redondance et pour objet de reprendre un substantif qui figure dans le
contexte de gauche (anaphore). D’autres éléments annoncent des lexèmes qui seront
introduits dans le discours (cataphore) :
Paul rentre chez lui. Paul lit la presse
Paul rentre chez lui. Il lit la presse
Je le connais depuis longtemps, ce salopard
Il arrive que la pronominalisation ait en plus une fonction contrastive. Dans ce cas, le
pronom est à la forme tonique :
Les responsables sont partis
Ils sont partis
Eux sont partis, mais pas nous
a) Réfléchis :
b) Réciproques :
c) Passif :
6.2. L’interrogation
54
Tout argument libre peut faire l’objet d’une question. C’est ce que l’on appelle
l’interrogation partielle. La forme des questions est standard et figure dans toutes les
grammaires : qui, que, quoi, où, etc. précédés ou non d’une préposition :
Luc a ouvert le robinet
Qui a ouvert le robinet ?
Quelque chose s'est passé hier soir
Qu'estce qui s'est passé hier soir ?
De qui astu reçu ce vélo ?
D’où estu parti hier soir ?
6.3. Les mises en évidence
6.3.1. Extraction en c'est...qui, c’est…que
Les arbres fruitiers ont gelé
C'est les arbres fruitiers qui ont gelé
Ce sont les arbres fruitiers qui ont gelé
C’est demain que nous partirons
C’est avant que Paul ne parte que nous règlerons ce problème
L’extraction n’a que deux types d’exceptions. D’une part, les expressions figées, ce qui
est une de leurs propriétés définitionnelles :
La moutarde lui monte au nez
*C’est la moutarde qui lui monte au nez
Il a pris le large
*C’est le large qu’il a pris
D’autre part, les pronoms atones sont exclus, puisque la mise en évidence implique un
contraste qui ne peut être pris en charge que par la forme tonique. Pour ce qui est des
55
pronoms atones, deux cas sont à envisager. Certains pronoms (je, tu, il) ont une forme tonique
associée. C’est cette forme qui figure entre c’est…qui, c’est…que :
J'ai dit cela
C'est moi qui ai dit cela
Il est parti
C'est lui qui est parti
Nous l’avons vu
C’est lui que nous avons vu
Il pleut
On en est revenu
*C'est il qui pleut
*C'est on qui en est revenu
6.3.2. Détachement
Le détachement, qui met un argument en position frontale et le reprend obligatoirement
par un pronom, a une fonction similaire : celle de topicaliser l’argument en question. Il génère
aussi une lecture contrastive :
Ces enfants ne réfléchissent pas
Ces enfants, ils ne réfléchissent pas
Ces enfants, ils ne réfléchissent pas comme le font les adultes
J'ai donné ce cahier à Luc
Ce cahier, je l’ai donné à Luc
Ce cahier, je l’ai donné à Luc et non à Jean
Notons que le détachement est normalement exclu en cas de constructions figées, pour
les mêmes raisons que l’extraction. Il semble, cependant, être un peu moins contraint :
? La moutarde, elle me monte au nez
? La tangente, il la prend chaque fois qu’il a peur
6.4. Permutation des arguments
L’ordre d’apparition des arguments dans un dictionnaire électronique doit être considéré
comme canonique : il correspond à celui de la phrase simple qui ne met en jeu aucun
phénomène de discours. De ce point de vue, cette structure a souvent été considérée comme
artificielle. Cependant la phrase simple reste l’outil d’analyse le plus approprié pour l’analyse
56
des textes, à condition qu’on prenne soin de mettre au point l’ensemble des modifications
qu’un texte apporte par rapport à une succession de phrases simples. Et de fait, dans les
textes, l’ordre canonique des arguments peut être bouleversé pour différentes raisons.
6.4.1. Permutation de longueur
En français, dans l’ordre canonique des compléments d’objets, le complément direct
précède le complément indirect, c’est l’ordre le plus « neutre ». Cette suite est encore plus
évidente en cas de pronominalisation : J’ai donné ce stylo à Luc, Je le lui ai donné, *Je lui
l’ai donné. Mais, quand l’objet direct est nettement plus long que le complément indirect, il y
a permutation entre les deux compléments, pour des raisons mémorielles :
J'ai donné le livre que j'ai trouvé hier à la salle de lecture à Luc
J'ai donné à Luc le livre que j'ai trouvé hier à la salle de lecture
6.4.2. Permutation contrastive
Le datif peut aussi se trouver devant l’objet direct en cas de lecture contrastive :
Cette possibilité est exclue pour le complément direct
*Un livre j’ai donné à Jean
Comme toutes les langues naturelles, qui sont des produits de l’histoire, le français
actuel conserve des constructions spécifiques d’un état antérieur. Ces suites doivent être
recensées, puisqu’elles échappent aux règles syntaxiques mises au point pour l’analyse du
français contemporain. On ne donnera ici que quelques exemples qui ont trait à la place des
arguments. La place actuelle de l’objet exclut des constructions comme chemin faisant et
encore plus des tours comme ce faisant. D’autres archaïsmes sont à noter comme l’inversion
de la préposition et de son complément : durant toute sa vie, toute sa vie durant.
Dans des conditions particulières, comme le récit, le sujet peut être inversé. Il figure
alors après le verbe, ce qui est la condition normale de la phrase interrogative :
Nous ne parlons pas ici des figures de rhétorique (zeugma, attelage), qui n’affectent
guère les textes qui font habituellement l’objet d’un traitement automatique.
57
6.5. Restructurations
Certaines classes de verbes permettent des restructurations entre les arguments. Les
causes de ces restructurations sont diverses et, comme presque toujours, en relation avec des
phénomènes de topicalisation.
Ici, les deux arguments symétriques sont des sujets. Il existe aussi des verbes
symétriques quant aux objets :
Certains verbes, comme les causatifs de sentiments, peuvent faire l’objet d’une
dislocation. Dans la construction canonique, leur sujet est phrastique et, dans la construction
dérivée, la phrase est éclatée : le sujet devient celui du causatif de sentiment et le prédicat un
complément prépositionnel :
Ces phénomènes de déplacement sont assez nombreux et ont été étudiés dans le détail.
Boons, Guillet et Leclère (1976) recensent des constructions mettant en jeu des verbes dont
les arguments peuvent être inversés :
Les constructions précédentes illustrent des déplacements d’arguments autour d’un seul
et même prédicat. Un exemple d’alternance entre le datif et l’accusatif est illustré par le verbe
livrer : La maison Dupont a livré du fuel à Jean, La maison Dupont a livré Jean en fuel. Nous
estimons utile d’évoquer ici des alternances assez proches mais qui mettent en jeu des verbes
différents, quoique sémantiquement synonymes. Le verbe donner a un objet direct concret et
un objet indirect humain : Paul a donné un stylo à Jean. Si nous prenons maintenant le verbe
doter, nous remarquons qu’il a approximativement le même sens que donner mais que ses
arguments sont croisés : Paul a doté Jean d’un stylo. Cette complémentarité n’est pas rare.
On l’observe dans un grand nombre de domaines : Paul a annoncé à Jean le départ du
convoi, Paul a informé Jean du départ du convoi.
6.5.5. Verbes causatifs, verbes pronominaux et verbes neutres : casser, (se) casser
Certaines racines prédicatives peuvent former des verbes qui appartiennent à plusieurs
classes sémantiques : verbes causatifs, verbes pronominaux et verbes neutres :
Il est impossible de présenter ici tous les types de verbes (Cf. B. Levin 1993 ; J. Dubois
et Fr. Dubois-Charlier 1997). Nous signalons simplement les verbes à polarité négative, qui
n’ont pas de forme affirmative correspondante : Je ne peux imaginer qu’il m’ait trompé
sciemment ; les verbes performatifs : Je te souhaite une bonne nuit ; les verbes et substantifs
prédicatifs à résultats « concrets » : Ils ont construit une mairie, Cette construction est
solide ; les verbes de causation interne : Paul a renversé la chaise, Paul a cassé la branche,
Paul a cuit le rôti. Nous traitons ailleurs des restructurations qui affectent les compléments
circonstanciels : Il y a eu un grave accident sur le périphérique ; Le périphérique a été le
théâtre d’un grave accident.
Le principe de récursivité, selon lequel on peut insérer une phrase dans une autre en
position argumentale, est bien connu de la tradition grammaticale. Ces phrases sont appelées
complétives ou enchâssées, selon le cadre théorique. Cette observation empirique selon
laquelle des prédicats peuvent avoir deux types d’arguments différents n’a pas toujours été
clairement perçue. Certaines théories, en particulier celle de L.Tesnière (1959), considèrent
qu’un argument est fondamentalement un nom et que si une phrase occupe cette position,
celleci acquiert ipso facto un statut nominal. La position argumentale serait donc réservée
ontologiquement à des substances.
Or une telle conception passe sous silence le fait que certains prédicats n’ont pas
d’arguments nominaux. Le verbe estimer, dans un de ses emplois, ne peut prendre qu’un
complément de nature phrastique : J’estime que Paul a tort, *J’estime le tort de Paul,
*J’estime son tort. Ces exemples, où le complément est obligatoirement une phrase, sont
relativement fréquents. Dire qu’une phrase devient un nom, c’est confondre morphologie et
syntaxe, ou plutôt attribuer une fonction syntaxique privilégiée à une catégorie grammaticale.
Le fait d’avoir un argument phrastique constitue une des propriétés définitionnelles de
certains prédicats.
7.1. Procédures de subordination
7.1.1. Phrase affirmative
Nous examinons ici les changements que subit une phrase quand elle devient l’argument
d’un prédicat à la forme affirmative. On observe cinq types de « déformations ». Ces
modifications peuvent être considérées comme des indicateurs d’arguments, qui sont des
indices utiles pour l’analyse dans le cadre du traitement automatique.
a) Le premier procédé consiste à introduire la conjonction que : Luc est arrivé ; J’ai appris
que Luc est arrivé. Le fait que la subordonnée soit à l’indicatif ou au subjonctif est
indépendant du problème que nous étudions ici. Le subjonctif est induit par d’autres réalités,
comme le sens du prédicat ou la présence dans la principale d’une négation ou d’une
interrogation. Il n’y a aucune raison d’affirmer que cette conjonction porterait une valeur de
nominalisation de la phrase complétive. On peut penser que la conjonction que est la
réduction de la suite le fait que : J’apprécie qu’il soit venu, J’apprécie le fait qu’il soit venu.
Mais d’autres substantifs sont possibles dans cette fonction : Que je doive partir me fait peur ;
(Le fait, l’idée, la perspective) que je doive partir me fait peur.
Luc descend l'escalier
*J’entends Luc descend l’escalier
J’entends Luc descendre l'escalier
J’entends que Luc descend l’escalier
En cas de coréférence des deux sujets, il y a effacement de l’un d’eux pour des raisons
de baisse de redondance :
Je sors
Tu sors
Je veux que tu sortes
Tu veux que je sorte
Je veux sortir
Tu veux sortir
c) La forme participiale s’observe aussi après certains verbes de perception :
Luc descend l'escalier
Paul fait de grands gestes
Je (vois, entends) Luc descendant l'escalier
On avait aperçu Paul faisant de grands gestes
Luc descend l'escalier
Je vois Luc qui descend l'escalier
Que la relative soit ici d’un type particulier est illustré par le fait que l’antécédent peut
être un pronom, ce qui n’est pas le cas des relatives classiques :
Je le vois qui descend l’escalier
Le fait qu’en français une phrase ne puisse prendre une fonction argumentale sans avoir
subi de modifications constitue un avantage pour le traitement automatique. Les informations
sur la forme de la phrase complétive doivent être marquées dans le dictionnaire des prédicats
en question, tout comme les informations sur la nature des substantifs-arguments des verbes
transitifs.
e) Dans certaines conditions, la complétive peut être introduite par la conjonction quand :
J’aime quand tu parles comme ça. Cette subordonnée n’est pas une temporelle, puisqu’elle ne
correspond pas à une question en quand ? Quand estce que tu aimes ? Quand tu parles
comme ça mais en que ? Qu’estce que tu aimes ? Quand tu parles comme ça.
Une autre analyse est possible pour la connexion entre le verbe et son argument
complétif. On a noté depuis longtemps qu’il y a concurrence entre la forme que P et la suite
61
le fait que P. Le substantif fait est analysé comme un substantif classifieur de complétive.
Dans ce cas, il se pourrait que la conjonction que soit en fait un relatif. D’autres substantifs-
têtes de complétives sont observés, comme nous l’avons signalé plus haut : idée, pensée, etc.
Ces substantifs ont, d’autre part, l’avantage de constituer de très bonnes anaphores de
phrases : Paul est revenu ; J’apprécie ce fait ; Paul suggère que nous partions. Je suis
d’accord avec cette idée.
Il arrive souvent que la complétive soit annoncée par un élément cataphorique. Un bon
exemple est celui du français du Québec, où après le verbe aimer, la complétive est
régulièrement annoncée par le pronom ça : J’aime ça qu’on aille au cinéma.
7.2. Phrase interrogative
Nous examinons les mêmes changements subis par une phrase simple, si le verbe
principal est à la forme interrogative. Deux cas différents se présentent ici : l’interrogation est
totale ou partielle.
7.2.1. Interrogation totale
A la forme en estce que de l’interrogation directe correspond la forme si :
Estce que tu es venu ?
Je me demande si tu es venu
La reconnaissance de l’interrogation indirecte permet de lever l’ambiguïté sur le statut
de si, qui peut être la forme tonique de oui ou la conjonction qui introduit une subordonnée
conditionnelle. Cet objectif est à notre portée si nous codons les prédicats d’interrogation.
7.2.2. Interrogation partielle
L’interrogation partielle garde les formes de l’interrogation directe mais sans l’inversion
interrogative :
Qui est venu ?
Je me demande qui est venu
A qui donnestu cela ?
*Je me demande à qui donnestu cela ?
Je me demande à qui tu donnes cela
Où vastu ?
*Je me demande où vastu ?
Je me demande où tu vas
Quand parstu ?
*Je me demande quand parstu ?
Je me demande quand tu pars
62
La seule différence morphologique concerne l’équivalent indirect de l’objet direct en
que, qui prend une forme de relative :
Que faistu ?
*Je me demande que faistu ?
Je me demande ce que tu fais
Les complétives peuvent faire l’objet d’un grand nombre de modifications de structures,
qui dépendent leur nature : affirmatives ou interrogatives.
a) Réduction infinitive
Nous avons déjà vu qu’avec certains verbes une complétive en que P peut être réduite à
l’infinitif. Cette réduction peut être facultative : Paul espère qu’il arrivera à l’heure, Paul
espère arriver à l’heure ou obligatoire : *Paul souhaite qu’il arrivera à l’heure, Paul
souhaite arriver à l’heure.
c) Transformations en « incises » :
d) Pronominalisation
Comme tous les arguments, les phrases complétives peuvent être pronominalisées. Les
raisons de cette substitution sont les mêmes que pour les arguments nominaux, tout comme la
forme des pronoms. En position d’objet direct, on trouve le pronom le : Je sais qu’il est
arrivé, Je le sais. Après la préposition de, le pronom est en : Je me préoccupe de ce que les
enfants soient en sécurité, Je m’en préoccupe et après la préposition à, le pronom est y. Il y a
des cas où l’on observe le pronom cela ou ça, à l’exclusion de le : J’aime qu’on soit poli, *Je
l’aime, J’aime ça. D’autres particularités sont observables. Après un certain nombre de verbes
transitifs indirects en de, le pronom n’est pas en, qui est attendu, mais le : Il a tenté de réduire
la brèche, Il l’a tenté, *Il en a tenté.
Certaines complétives subissent des restructurations qui ont pour effet de déplacer les
arguments. Celles-ci sont connues sous le nom de « montée de l’objet ». La plus connue est la
figure de rhétorique appelée prolepse, dont l’exemple grec est bien connu : Sais-tu combien
Euthydème a de dents ? Sais-tu Euthydème combien il a de dents ? Dans cet exemple, le sujet
de la subordonnée est devenu le complément du verbe principal. Il est des cas où le sujet de la
subordonnée devient un « datif » du verbe principal : Je trouve que Paul a une petite mine,
Je trouve à Paul une petite mine, Je lui trouve une petite mine. Un cas particulier est constitué
par l’effacement du verbe être : Je sais que Paul est malade, ?Je sais Paul être malade, Je
sais Paul malade.
f) Contrainte de projections
Le verbe réduit de la subordonnée peut avoir pour sujet tantôt le sujet du verbe principal
tantôt son objet. Le premier cas est illustré par le verbe promettre, le second par permettre :
Conclusion
Dans ce chapitre nous avons décrit les verbes prédicatifs, à l’exclusion des autres types
de verbes (Cf. Chap.1 § 6.1). L’accent a été mis essentiellement les critères qui permettent de
séparer les arguments des circonstants. Nous avons exposé aussi les nombreuses
modifications de structure que ces schémas peuvent subir (interrogation, pronominalisation,
permutation, détachement, etc.). Beaucoup de ces propriétés sont le fait des prédicats en
général, nous ne les reprendrons donc pas dans les chapitres consacrés aux autres types de
prédicats (noms et adjectifs). Nous consacrons le chapitre suivant à une description de la
nature sémantique des arguments et le chapitre 8 à l’actualisation des prédicats en général et
des verbes en particulier.
Lectures
Caput, J. et Caput, J.-P., 1980, Dictionnaire des verbes français, Larousse, Paris.
Dubois, J. et Dubois-Charlier, Fr., 1997, Les verbes français, Larousse-Bordas, Paris.
François, J. et Broschart, J., 1994, « La mise en ordre des relations actancielles, conditions
d’accès des rôles actanciels aux fonctions de sujet et d’objet », Langages 113, Larousse,
Paris, p.7-44.
François, J., Le Pesant, D. et Leeman, D., 2007, Langue française n°153, Le classement
syntactico-sémantique des verbes français, Larousse, Paris.
Gross, M., 1968, Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du verbe, Larousse,
Paris.
Guillet, A. et Leclère, Ch., 1992, La structure des phrases simples en français. Constructions
transitives locatives, Droz, Genève-Paris.
Harris, Z., 1964, « Elementary Transformations », T.A.D.P. n°54, University of Pennsylvania,
Philadelphie.
Le Goffic, 1997, Les formes conjuguées du verbe français, oral et écrit, Ophrys, Paris.
Levin, B., 1993, English Verb Classes and Alternations, The University of Chicago Press,
Chicago.
Mater, E., 1966, Deutsche Verben, Veb, Bibliographisches Institut, Leipzig.
Mathieu-Colas, M., 2002, « La représentation des verbes dans un dictionnaire électronique :
de la langue générale aux langues spécialisées », Cahiers de Lexicologie, 81, 2, p.51-67.
Muller, Cl., 1996, La subordination en français, A. Colin, Paris.
Salkoff, M., 1973, Une grammaire en chaîne du français. Analyse distributionnelle, Dunod,
Paris.
Tesnière, L., 1959, Eléments de linguistique structurale, Klincksieck, Paris.
65
Chapitre 4
Classes d’arguments
Nous avons vu au Chap.1 que la première étape de l’analyse automatique d’un texte
donné consiste à reconnaître les phrases qui le composent. Cette procédure exige qu’on soit
en mesure de reconnaître tous les prédicats qui figurent dans le texte et les arguments qui les
caractérisent. Or, la plupart des prédicats sont polysémiques. Un exemple simple permet de
mettre en lumière l’ampleur du phénomène. Un dictionnaire comme le Petit Robert comprend
60.000 entrées qui correspondent à 300.000 significations. Chaque entrée de ce dictionnaire a
donc en moyenne au moins cinq sens différents. Cette observation vaut pour les prédicats
comme pour les arguments. Et il ne s’agit là que d’un dictionnaire de taille moyenne. Il arrive
que la polysémie soit d’une extrême complexité. Si l’on examine un verbe comme manger on
constate que le nombre de sens, d’emplois dans notre terminologie, est de l’ordre de la
centaine.
Un premier pas vers la levée de l’ambiguïté sémantique des prédicats est illustré par
l’observation suivante. Quand un prédicat a, dans une position argumentale donnée, des
substantifs d’une même classe sémantique, son sens reste constant lors de la substitution d’un
élément du paradigme (Cf. Chap2, §1). Par exemple, le verbe prendre a le même sens dans
prendre le train, prendre l’autorail ou encore prendre le bus : ces substantifs appartiennent
tous à la classe des <moyens de transports en commun>. On observe la même synonymie
dans prendre un chemin, prendre un sentier, prendre une autoroute, où les substantifs
appartiennent à la classe des <voies> ou encore dans prendre un steak, prendre du pot-au-feu,
prendre des choux farcis, où ils correspondant à la classe des <aliments> ou plus précisément
des <plats>. Inversement, des arguments qui relèvent de classes sémantiques différentes
déterminent des interprétations différentes du prédicat : le verbe n’a pas le même sens dans
sentir une odeur et dans sentir une douleur. On voit donc qu’il est crucial de reconnaître les
arguments avec précision et d’être en mesure de leur attribuer une classe sémantique. Mais
avant d’aborder ce problème, il faut procéder à une réflexion approfondie sur la notion
d’arguments.
Pour reconnaître automatiquement les emplois d’un prédicat, nous classifions ses
arguments potentiels pour discriminer les différentes significations qu’il peut avoir. Une étude
systématique révèle de ce point de vue quatre types de prédicats.
Nous envisageons d’abord le cas des prédicats qui prennent dans une position
argumentale donnée n’importe quel substantif, sans discrimination. C’est, par exemple, le cas
de l’adjectif intéressant, qui n’impose aucune restriction aux substantifs qui figurent en
position de sujet. Cela vaut aussi pour le verbe intéresser (quelqu’un). Il en est de même des
66
verbes parler de, penser à qui acceptent n’importe quel substantif en position d’objet. Une
observation empirique met en évidence que ces verbes ont d’autres emplois. Dans : Ce
problème n’intéresse pas les Affaires Criminelles, le verbe intéresser signifie relever de,
concerner et non plaire à. Cette différence de sens est corrélée au fait que les arguments de
cette seconde phrase font l’objet de fortes restrictions. On observe le même phénomène avec
parler de dans : Ce souvenir me parle de mon enfance, où le sujet de parler est un abstrait et
non un humain. Les prédicats sans restriction argumentale sont assez rares. Un prédicat aussi
général que (être) différent de, qui semble dans l’abstrait s’appliquer à n’importe quel couple
de substantifs, exclut les paires qui relèvent de domaines entièrement différents *Un vélo est
différent de la bienveillance.
Il existe, à l’autre bout de l’échelle, des prédicats qui n’acceptent qu’un seul substantif
dans une de leurs positions argumentales. C’est le cas, pour ce qui est du complément, du
verbe extraire dans extraire la racine (carrée, cubique) d’un nombre ou, pour ce qui est du
sujet, du verbe lever dans : La pâte est en train de lever. Il ne faut pas confondre les
restrictions dont nous parlons ici avec celle qui caractérisent les expressions figées. Ces
dernières ont elles aussi des positions argumentales sans paradigmes : prendre le large (partir,
s’en aller) n’a pas d’autres substantifs en position d’objet *prendre l’étroit, *prendre le long,
*prendre le travers. Cela se comprend facilement, puisque le substantif large désigne la haute
mer et que nous sommes en présence d’une métaphore marine. Mais le figement est
caractérisé, d’autre part, par l’absence de toute propriété transformationnelle. Le passif est
exclu *Le large a été pris par lui, de même que l’interrogation *Qu’est-ce qu’il a pris ? Le
large.
Les prédicats qui n’ont que des singletons en position argumentale n’ont pas ces
limitations. Il est vrai qu’ils ne sélectionnent qu’un seul substantif, mais les restructurations y
sont possibles, à l’exclusion des constructions contrastives, puisque celles-ci impliquent au
moins deux substantifs, que l’on oppose l’un à l’autre : C’est un carré que j’ai dessiné et non
un rectangle. Le prédicat abaisser a un seul argument dans abaisser une perpendiculaire.
L’extraction est exclue pour la raison que nous venons de dire : *C’est une perpendiculaire
que j’ai abaissée, mais les autres restructurations sont possibles : La perpendiculaire qui a été
abaissée est aussi longue que le rayon de ce cercle ; La perpendiculaire, je l’avais déjà
abaissée.
Le spectre argumental de la plupart des prédicats se trouve entre ces deux extrêmes et
peut comprendre deux niveaux de précision. Il existe un grand nombre de prédicats qui
sélectionnent de grandes classes de substantifs, que nous appelons des hyperclasses. Celles-ci
sont généralement connues sous le nom de traits syntaxiques. Les plus fréquemment utilisés
sont les traits suivants : humain, concret, abstrait. Ces traits sont assurément nécessaires
puisqu’ils permettent de discriminer les sens différents de certains verbes :
Mais les traits que nous venons de donner ont trois sortes de limites. Tout d’abord, ils ne
correspondent pas à des réalités linguistiques identiques. On ne peut pas mettre sur le même
plan les notions d’abstrait et de concret. Les substantifs concrets ne peuvent être
syntaxiquement que des arguments élémentaires dans le cadre de la phrase simple, tandis que
la plupart des abstraits sont des prédicats. Nous avons vu au début de ce livre que l’opposition
entre prédicats et arguments est une des plus importantes de la grammaire. D’autre part, les
traits habituellement utilisés par les dictionnaires sont en nombre trop restreint. Il faut ajouter
les noms <locatifs> et <temporels>, de sorte que le nombre des traits (ou hyperclasses)
caractérisant les arguments élémentaires est de six : certains humains, les noms d’animaux,
les noms de végétaux, les concrets, les noms de lieux et les noms de temps. Voici quelques
exemples d’emplois :
Si l’on veut reconnaître automatiquement ces emplois dans les textes, il est nécessaire
de coder tous les substantifs à l’aide de ces informations. Mais, les traits sont la plupart du
temps trop généraux pour définir avec précision les emplois prédicatifs. Ainsi, un des emplois
du verbe abattre est décrit de façon adéquate, si l’on note qu’il a deux arguments humains
Paul a abattu son voisin. Mais il est clair que si l’on décrit l’emploi suivant : Le bûcheron a
abattu ce chêne, en notant que l’objet désigne un <végétal> ou à plus forte raison un
<concret>, on générera des phrases fausses, comme par exemple *Paul a abattu (de l’herbe,
ces poireaux), bien que l’on doive par ailleurs coder ces noms comme des végétaux : les
(végétaux, l’herbe, ces poireaux) pousse(nt). Il faut donc mettre au point des sous-catégories
pour chacun des traits syntaxiques. Parmi les végétaux, seuls les noms d’<arbres> sont des
compléments du verbe abattre. Il en est de même des compléments concrets de ce verbe. Si
nous voulons rendre compte du sens exact d’abattre dans la phrase : Le maçon a abattu la
cloison, il n’est pas évident que le trait concret soit suffisant pour définir cet emploi. L’objet
approprié est ici un mur ou, de façon plus générale, une construction.
Il existe donc des prédicats que la notion d’hyperclasse ne permet pas de décrire. Si
nous codons le mot arbre comme un <végétal> au même titre, par exemple, que herbe, sans
apporter de précisions supplémentaires, nous ne serons pas en mesure de prédire que les
verbes tailler, émonder, élaguer, qui s’appliquent à arbre ne sont pas possibles avec herbe :
*On a (taillé, émondé, élagué) l’herbe de ce pré et qu’inversement le verbe faucher a comme
complément herbe et non arbre. Examinons encore le verbe porter. Si son complément est
décrit comme un concret, dans la limite des objets portables, il se traduit en anglais par to
carry : Il porte une valise/He carries a suitcase. Or, il se trouve que les noms de <vêtements>
sont des concrets tout autant que valise. Le verbe porter se traduit cependant, dans ce cas, par
to wear et non par to carry : Il porte une veste/He wears a jacket. Il est donc indispensable
qu’une information comme <vêtement>, qui est plus fine que le terme général de concret,
figure dans la définition de ces mots.
Nous appelons ces classes sémantiques des classes d’objets. Ce sont des classes de
substantifs, sémantiquement homogènes, qui déterminent une interprétation donnée d’un
68
prédicat parmi d’autres possibles. Elles constituent des sous-ensembles des hyperclasses. On
aura observé que la construction des classes se fonde sur des propriétés grammaticales et non
sur une classification présyntaxique, comme c’est le cas des arbres sémantiques de la plupart
des systèmes de traduction automatique. Comme la notion de classes d’objets a été créée pour
décrire avec précision les arguments des prédicats, prédicats monosémiques et surtout
polysémiques, on observera que pour générer toutes les phrases possibles construites autour
d’un prédicat verbal comme ressemeler, il faut être en mesure de prédire quels substantifs
sont possibles en position de complément. Il va de soi que le trait concret est dans ce cas
insuffisant, puisqu’il générerait une foule de phrases fausses. En revanche, le recours à la
classe des <chaussures> permet de décrire les compléments en compréhension.
Le verbe ressemeler suffit à lui seul à délimiter la classe des <chaussures>. C’est loin
d’être le cas général. On doit recourir alors non à un seul prédicat mais à une combinaison de
plusieurs d’entre eux. Par exemple, porter à lui seul ne permet pas de sélectionner
automatiquement la classe des <vêtements>, puisque ce verbe accepte d’autres types d’objets
concrets. On peut lui adjoindre, par exemple, être en : Paul porte une veste ; Paul est en veste.
Mais ces deux verbes ne permettent pas encore de délimiter la classe des <vêtements>, car
tous deux peuvent fonctionner aussi avec certains noms de <sentiments> : Paul porte de
l’admiration à son père ; Paul est en admiration devant son père. On peut ajouter alors, en
vue d’une définition discriminante de la classe des <vêtements>, des prédicats
supplémentaires comme, par exemple, mettre ou enfiler, ce qui élimine ipso facto les
<sentiments>. Le choix du paquet de prédicats définissant des classes constitue un travail
empirique long mais indispensable.
Il ne faut pas confondre la recherche d’un nombre minimum de prédicats permettant de
définir une classe donnée avec le recensement de l’ensemble des prédicats qui appartiennent
en propre à cette classe d’objets. Si porter, être en et mettre suffisent à circonscrire la classe
des vêtements, on comprendra que, pour le traitement automatique des phrases comportant un
nom de <vêtement>, on soit obligé de recenser tous les prédicats qui sont appropriés à cette
classe : boutonner, cintrer, confectionner, coudre, déchiffonner, découdre, découper,
défaufiler, défriper, doubler, élimer, enfiler, faufiler, ourler, raccommoder, rallonger, rapiécer,
ravauder, repasser.
Le problème que nous posons est de savoir si les noms qui sont habituellement codés
comme humains dans les dictionnaires électroniques constituent un ensemble homogène du
point de vue linguistique, c'est-à-dire si ce trait est suffisant pour décrire avec la précision
voulue la polysémie des prédicats, au regard de la reconnaissance ou de la génération
automatiques. En effet, la subdivision des hyperclasses en classes plus fines que nous
proposons a pour utilité de rejeter des phrases fausses que les traits habituels généraient à
tort.
La classe des humains est constituée de deux types de substantifs, les arguments et les
prédicats. Parmi les premiers figurent les noms propres Jean, Paul, Marie. Un verbe comme
punir prend des arguments de ce type : Paul a puni Jean. Ces substantifs sont des arguments
élémentaires, puisqu’ils ne peuvent jamais être le centre d’une prédication. Si l’on cherche
69
des arguments élémentaires parmi les noms communs, on est surpris de constater qu’il n’y en
a qu’un très petit nombre, comme monsieur : Un monsieur est entré ; type : Ce type ne porte
pas de chapeau ; gars : As-tu remarqué ce gars ? ; homme : Entre un homme qui s’adresse
au surveillant. Leur statut syntaxique n’est pas facile à établir. On pourrait les considérer
comme des espèces de pronoms ou des classifieurs très généraux, l’équivalent de termes
comme on ou quelqu’un. On conclura que la plupart des humains sont de nature prédicative
et, en tant que tels, ne devraient pas être étudiés dans ce chapitre. Cependant, il s’agit de
prédicats d’un type particulier, que nous ne voulons pas classer avec les actions, les états et
les événements. Nous les analysons donc ici.
Un premier groupe est constitué de prédicats proprement dits, dont les plus fréquents
sont les déverbaux : fumeur, conducteur, rieur, etc. Il est possible d'en proposer un premier
classement en fonction de la diathèse, classement qui distinguerait des prédicats :
Ces substantifs sont obtenus par réduction d'une relative : On n'admet pas ici les gens
qui fument ; On n'admet pas ici les fumeurs.
Parmi les prédicats autonomes, on peut classer les noms relationnels que ce soit dans le
domaine des relations de parenté (père, mère, frère, soeur, cousin), dans le domaine
spatial (voisin) ou professionnel (confrère, condisciple). Ces substantifs ont une syntaxe
spécifique. Par exemple, leur second argument est obligatoire dans la phrase simple : *Je suis
(un + E) frère, Je suis le frère de Paul. Du fait que ce prédicat est symétrique, on s’attendra à
trouver la syntaxe des symétriques :
Le verbe nommer nous permet de mettre en évidence une autre classe d’humains. En
effet, il ne suffit pas de dire que ce verbe a trois arguments humains : nommer (Hum1, Hum2,
Hum3) pour que l'on soit en mesure de générer autour de ce verbe des phrases grammaticales.
On observe que le complément second porte des restrictions spécifiques, de nature
sémantique, c'est-à-dire purement linguistique. Seuls certains substantifs humains sont
susceptibles de figurer dans cette position : ce sont ceux qui désignent des fonctions : On a
nommé Paul (président, secrétaire de séance, * camarade, * voisin).
Les classes sémantiques, que nous appelons classes d’objets, ne sont pas seulement
définies par leur interprétation sémantique mais sont fondées sur leurs propriétés
combinatoires, c’est-à-dire syntaxiques. A titre d’exemple, parmi les substantifs humains
associés à des prédicats adjectivaux, on peut isoler une classe correspondant à des <défauts>,
qu’on peut sous-catégoriser en défauts physiques (laid), intellectuels (stupide),
70
psychologiques (irrésolu), moraux (salaud). Ce dernier substantif est caractérisé par les
propriétés suivantes :
a) Il peut figurer en position d'attribut et, dans ce cas, le déterminant est facultatif, ce qui
sépare ce type de substantifs des noms de profession, où le déterminant n'est pas possible en
position prédicative : Luc est (un + E) salaud, Luc est (E, * un) menuisier
b) Le vocatif est une fonction normale, ce qui n'est pas le cas des substantifs désignant
des qualités : Salaud ! ?Vertueux ! Ce vocatif a deux variantes mettant en jeu soit l'élément
espèce de : Espèce de salaud ! soit le verbe être : Salaud que tu es ! Il est remarquable
d'observer que les défauts sont plus naturellement au vocatif que les qualités. Mais ceci est
une remarque plus psychologique que linguistique.
c) Il existe une construction croisée : Luc est un salaud, Ce salaud de Luc. Il ne faut pas
confondre cette structure avec une construction proche et qui concerne les noms de
profession : Elle a un mari médecin, Son médecin de mari, *Ce médecin de mari
4. Classes de concrets
La classe des concrets est si nombreuse et variée qu’il est impossible d’en donner ici
une liste, même approximative. Une première classification distingue les objets naturels :
caillou, sable, eau des artefacts : crayon, voiture, et tout objet fabriqué de la main de
l’homme. A la différence des objets naturels, les artefacts acceptent des prédicats de création :
faire, fabriquer, réaliser, etc. A partir de là, on mettra au point des sous-classes, qui seront
construites de telle façon que la plus profonde hérite des propriétés de toutes celles qui la
dominent. Ainsi voiture hérite des propriétés des <moyens de transports individuels>
(conduire), qui héritent des <moyens de transports routiers> (rouler en), qui héritent des
<moyens de transports en général> (se déplacer en), qui héritent des <artefacts> (fabriquer),
qui héritent des <concrets> (avoir tel poids, telle couleur). Au niveau le plus élevé des
<artefacts>, on aura des classes comme les <aliments>, les <vêtements>, les <moyens de
transports>, les <meubles>, etc. Chacune de ces classes comprend un certain nombre de sous-
classes, qui peuvent avoir à leur tour des sous-classes.
71
Nous allons donner un exemple de description d’une classe des concrets, celle des
<vins>. Sans compter les synonymes du mot vin lui-même (picrate, pinard, piquette, etc.), les
noms désignant des vins se subdivisent en plusieurs sous-classes :
Les relations entre classes sont fondées sur des bases syntaxiques représentées par les
liens établis entre les prédicats et les arguments et non sur des ensembles sémantiques sans
contours précis, comme le sont les réseaux sémantiques. Nous allons établir une structuration
du vocabulaire des <boissons>, avec comme objectif de définir la classe des <vins>. Nous
commençons par le niveau le plus élevé, incarné par le terme <boisson>, que nous définissons
non pas comme un équivalent de <liquide>, mais comme un liquide destiné à être bu. De ce
fait, la classe est définie par les opérateurs suivants :
Les opérateurs que nous venons de donner sont communs à toutes les boissons. Nous
mettons ensuite au point la sousclasse des <boissons alcoolisées>, à l’aide des opérateurs :
À l’aide d’autres opérateurs, on peut établir des sous-classes, séparant les alcools forts
des autres. On créera la classe des <alcools et spiritueux> en se servant d’un verbe comme
distiller, qui a la particularité d’avoir en position d’objet la source et le résultat :
Les deux emplois ne sont cependant pas confondus, du fait des opérateurs généraux des
<boissons> dont héritent les alcools, mais non les fruits. Les <vins> sont définis par des
prédicats dont le nombre est impressionnant. En voici quelques-uns sur plusieurs centaines :
72
b) Prédicats adjectivaux appropriés :
acide, aigre, aigrelet, bouchonné, bourru, capiteux, charnu, charpenté, corsé, court en
bouche, équilibré, étoffé, fruité, généreux, gouleyant, harmonieux, jeune, liquoreux, lourd,
madérisé, maigre, moelleux, nerveux, paillé, passé, pétillant, piqué, puissant, souple, soyeux,
tannique, tuilé, vigoureux.
On voit donc que les substantifs concrets ne constituent pas d’entités isolées mais
entrent dans des réseaux sémantiques qui les décrivent. Un substantif concret est défini par
l’ensemble des prédicats qui lui sont appropriés.
Pour mettre au point l’arborescence qui mène au <vin>, on part du niveau le plus élevé
de la notion de <concret>. À ce titre, les substantifs désignant des <vins> héritent de toutes
les propriétés générales des concrets : poids, volume, couleur, etc. Le second embranchement
séparera les liquides des objets solides. Pour les définir, on aura des verbes comme verser,
couler, déborder, imbiber, s’égoutter et des adjectifs comme dense, fluide, huileux. Parmi ces
liquides, on séparera les objets naturels (eau, eau de pluie, eau de source) des artefacts à
l’aide des prédicats suivants : fabriquer, réaliser, mettre au point, produire, etc. On
distinguera alors parmi les liquides les boissons, etc. Un tel travail descriptif est d’abord un
problème de linguistique plus que de représentation informatique.
5. Classes de locatifs
L’hyperclasse des substantifs <locatifs> peut être définie par des propriétés syntaxiques
bien connues. Ils peuvent être introduits par des prépositions locatives : dans N, sur N, à côté
de N, le long de N, etc. Ils peuvent être repris par les formes anaphoriques là et y. La forme de
l’interrogation est où ? Ils se répartissent en diverses classes d’objets.
- Les locatifs généraux : il s’agit de substantifs désignant la notion de <lieu> au niveau le plus
abstrait : lieu, emplacement, espace, point. Ces mots peuvent être considérés comme des
classifieurs et fonctionnent comme des espèces de « pronoms » locatifs : Il est arrivé au pied
de la montagne, lieu où il a renoncé à la course
- Les figures géométriques : on les séparera selon différentes dimensions : ligne, trait,
hypoténuse, côté ; carré, rectangle, losange ; cube, cône, etc.
73
- les lieux « dynamiques » : point de départ ; point d’arrivée, but, objectif, cible, lieu de
destination
- les lieux de « localisation interne » (cf. A. Borillo 1988 ; M. Aurnague 1996) : début de,
milieu de, fin de ; cœur de ; coin de, extrémité de, angle de ; flanc de, côté de ; intervalle de
- les lieux géologiques : plaine, montagne, rivière, plateau, rade, estuaire, détroit
A quoi, il faut ajouter des lieux « fonctionnels », dont l’objet a une finalité et parmi
lesquels on peut classer :
La plupart de ces lieux peuvent à leur tour être subdivisés en parties constitutives. Pour
maison on aura : grenier, cave, salle à manger, salon, etc.
Les noms de temps comprennent des noms de <dates> et des noms de <durée>. Le
comportement syntaxique de chacune de ces sous-classes est très différent. Nous n’évoquons
ici que les substantifs de temps et non les adverbiaux de temps, qui sont au nombre de
plusieurs milliers.
Les noms de dates désignent une localisation dans le temps. Cette dernière peut être
plus ou moins précise. Si on laisse de côté la localisation temporelle qui se traduit par un
nombre précédé de la préposition en : en 2010 et si l’on s’en tient aux substantifs, on trouve
des termes de localisation stricte comme midi ou minuit, qui sont généralement précédés de la
préposition à : à midi, à minuit. Quand la localisation est approximative, on observe d’autres
prépositions : vers midi, aux alentours de midi. On peut ranger dans ce groupe les fêtes
mobiles ou fixes : Il est arrivé (à, au moment de) Noël. Les noms de dates ont un certain
nombre d’opérateurs appropriés :
- des verbes supports d’occurrence avec des noms d’événements : avoir lieu, se produire, se
passer, surgir, apparaître, se faire, intervenir ;
- des verbes indiquant une date passée : dater de, être de, remonter à ou future : être pour,
être prévu pour, tomber, être à ;
- des verbes de « dépassement » : passer, dépasser ;
- des verbes de rapprochement et d’éloignement : approcher de, s’éloigner de, se rapprocher
de ;
- des verbes causatifs de « report » : Luc (avance + décale + met + recule + remet+ renvoie+
reporte + repousse + retarde) (E + la date de) la réunion au 6 mai prochain.
74
Les substantifs de temps désignant une durée sont des compléments de verbes comme
durer ou prendre ou de prépositions comme pendant ou en, selon que l’on a affaire à
des prédicats d’activité ou d’accomplissement (cf. Z. Vendler) :
Les noms de durée constituent des ensembles disparates, parmi lesquels on peut ranger
de grandes subdivisions historiques (ère, période), des classifieurs numériques (millénaire,
siècle, décade), des subdivisions du calendrier (an, année, mois, semaine, jour), des jours
(matin, après-midi, soir, nuit), des heures (minute, seconde). Les classes de temps sont
évidemment beaucoup plus nombreuses. Nous signalons simplement l’importance de la
syntaxe dans l’interprétation des substantifs temporels. Les substantifs de durée sont décrits à
l’aide de verbes et de prépositions appropriés. Parmi les verbes de durée on compte :
- des verbes génériques de durée : durer, être de : La séance a duré deux heures, la séance a
été de deux heures ;
- des verbes de durée intensifs : s’éterniser, traîner, se prolonger ;
- des verbes de répartition ou d’ « étendue » : être sur, s’étaler sur, s’étirer sur, s’étendre sur,
se répartir sur, se distribuer sur, se disperser sur, se disséminer, se passer ;
- des verbes de distance : être à : être à deux heures du début de la séance ;
- des verbes de changement de durée : allonger, prolonger, raccourcir, écouter ;
- des verbes d’utilisation du temps : dépenser, gaspiller, utiliser, mettre, passer, consacrer ;
- des verbes de durée « nécessaire » : demander, exiger, requérir, nécessiter.
Il existe des classes sémantiquement complexes et qui, de ce fait, héritent des traits de
plusieurs classes supérieures, auxquelles elles sont rattachées. Elles posent des problèmes aux
ontologies traditionnelles. La plupart d’entre elles sont fondées sur une représentation pré
linguistique et extralinguistiques des entités. Le monde est représenté par un ensemble de
concepts hiérarchisés et caractérisés par un système d’héritage de propriétés. Il est clair que
certains de ces réseaux sont inscrits dans la langue. Mais, comme nous l’avons montré plus
haut, les classes d’objets, étant de nature linguistique et non conceptuelle, sont fondées sur
des propriétés syntaxiques et non sur une représentation mentale. Il se trouve que certaines
classes sont constituées d’objets complexes, difficiles à rattacher à une seule arborescence,
comme par exemple le substantif livre (Cf. D. Kayser 1987 ; G. Kleiber 1987). Ce mot peut
être interprété comme :
un concret : Ce livre pèse 800 gr
un locatif : Ce livre comprend 5 chapitres, contient des erreurs
un événement : Ce livre est une surprise
un humain : Ce livre prétend qu’il n’y a plus rien à faire
un abstrait : Ce livre est difficile, obscur
un support d’écrit : Ce livre est mal imprimé
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un ensemble de pages : Je viens de feuilleter ce livre
On voit que chaque interprétation est déterminée par un prédicat approprié. Le verbe
peser présente le substantif comme un concret, parmi d’autres verbes possibles : mesurer,
être de couleur Adj, tomber, ranger dans (locatif). Chacune des lectures que nous venons de
signaler est ainsi étayée par un ensemble d’opérateurs appropriés. Ce sont ces réseaux de
prédicats qui déterminent le nombre et la variété des interprétations. Un même substantif, du
fait de la multiplicité de ses emplois, peut appartenir à des classes variées, entrer dans des
réseaux ou des ensembles différents et appartenir à différentes hiérarchies. Nous dirons que le
substantif livre a des emplois différents et que les séries d’opérateurs appropriés expriment les
modalités par lesquelles ont peut le percevoir. Il va de soi que l’interprétation du substantif
livre comme concret s’applique à une version papier et non électronique. Cette dernière
partage cependant quatre des sept interprétations que nous avons signalées plus haut.
Nous allons montrer dans ce qui suit l’intérêt pour l’analyse linguistique de la notion
théorique de classes d’objets. Nous verrons qu’elle permet de faire un pas important dans le
traitement automatique des langues naturelles.
La polysémie que l'on constate dans les langues naturelles se manifeste d'abord dans le
domaine des prédicats. Dans la langue générale, rares sont les verbes qui ont un seul emploi.
Cette situation pose des problèmes particulièrement délicats dans le domaine de la traduction
automatique. Un verbe comme prendre a plus d’une centaine d’emplois et les fautes de
traduction sont nombreuses, comme on le voit en testant les systèmes actuels de TA. Si l'on se
sert des seuls traits concret ou abstrait, la plupart des emplois ne peuvent pas être reconnus,
car ils exigent une classification plus fine que les hyperclasses. Les classes d'objets sont
capables de réduire cette polysémie :
Si l'on dresse la liste des éléments de chacune de ces classes, le système, après avoir
localisé le verbe, cherchera le complément à sa droite. S'il rencontre le mot chemin, qui fait
partie de la classe des <voies>, il le reconnaîtra comme tel et interprétera le verbe prendre
comme s’engager sur et non comme manger, comme ce serait le cas avec un substantif
comme steak au poivre, qui fait partie de la classe des <aliments>. Voici d'autres exemples de
délimitation des emplois :
L'utilisation des classes d'objets permet donc de décrire avec précision le nombre et la
nature des emplois des opérateurs. Cette opération se double de l’établissement des listes de
substantifs constituées par chacune de ces classes. Ce recensement permet de reconnaître et
de générer toutes les phrases qui relèvent d’un emploi donné de prédicat. L'utilité de ces listes
est évidente tant dans le domaine de la langue générale que dans celui des langues de
spécialités et, de façon générale, dans la documentation.
Dès lors qu’on a délimité avec précision un emploi donné, en déterminant la nature de
ses arguments, on est en mesure de reconnaître le sens exact du prédicat et de traiter de façon
efficace le problème de la synonymie. Voici quelques exemples, qui montrent que celle-ci est
fonction de l’emploi précis auquel on a affaire :
Semblable travail peut être fait sur les adjectifs, où N0 et N1 désignent les arguments, S
les synonymes et A les antonymes :
Nous voudrions signaler que la description que nous venons de proposer permet de
mettre au point une véritable fonction « Synonymie » dans les traitements de texte, puisque
chaque emploi est reconnu grâce à la description des classes d’objets. Ces deux conditions ne
sont pas réunies, par exemple, par la fonction « Synonymie » d’un logiciel fort connu, comme
nous allons le montrer à propos de l’adjectif âpre pour lequel ce logiciel distingue six séries
synonymiques :
Dès lors que l'on a décrit avec une précision maximale le domaine d’arguments d’un
prédicat à l’aide des classes, il devient possible de proposer, dans un dictionnaire
électronique, des équivalents pour la traduction au même titre que la synonymie, laquelle est
en fait une traduction dans la même langue. On aura ainsi, pour le français, l’anglais et
l’allemand :
avec <outil> : avec un marteau ; avec <sentiment> : avec amour ; avec <phénomène
météo> : avec la pluie, avec le verglas ; avec <N temps> : avec le soir
Les classes d’objets permettent de rendre compte des phénomènes d’anaphores (Cf.
Chap. 9 §6), qu’il s’agisse d’arguments ou de prédicats. Soit la classe des <moyens de
transports individuels> qui comprend des centaines de substantifs, noms propres et noms
communs. Les noms propres correspondent à des noms de marque et, pour chacune d’elles, à
des modèles. Ainsi, l’anaphore classifiante permet de reprendre le modèle par la marque : Je
conduis ma A4, Je conduis mon Audi. Les noms de marque peuvent être repris par des noms
communs : types de véhicule et véhicule lui-même : Je conduis une berline, Je conduis ma
voiture. Il existe donc plusieurs niveaux de reprises anaphoriques, correspondant chacune à
des ensembles super-ordonnés.
79
Une description en extension des classes permet de générer l’ensemble de toutes les
phrases qui caractérisent un emploi donné. Si la combinatoire des classes ne permet pas
rendre compte d’une phrase donnée, il existe deux possibilités : ou il s’agit d’une phrase
agrammaticale ou alors la phrase comporte une figure de rhétorique, que les classes
permettent de détecter. Pour mettre en lumière la procédure que nous allons utiliser, nous
prendrons deux exemples : certains moyens de transports et la notion d’argent.
Parmi les moyens de transports terrestres, il existe une sous-classe constituée par les
<transports par animal> : cheval, mulet, chameau, âne, etc. Les opérateurs qui leur sont
appropriés sont, entre autres : voyager à dos de, faire une promenade à, monter, faire du, être
à califourchon sur, tomber de, faire une chute de. Ces animaux ne sont interprétés comme
moyens de transports qu’avec les opérateurs que nous avons mentionnés. D’autres verbes les
verseraient dans la classe des animaux de traits : harnacher, atteler, dételer. Observons
maintenant le comportement des moyens de transports individuels appelés <deux-roues>. On
constate qu’ils ont des opérateurs appropriés communs avec la classe précédente :
b) On trouve aussi des verbes construits avec la préposition sur : être perché sur (son vélo,
son cheval) ;
c) Les deux classes sont des compléments naturels du verbe enfourcher : enfourcher (son
cheval, son vélo) ;
d) De plus, ce sont des compléments de certains prédicats de mouvement : (tomber, faire une
chute) de (cheval, vélo, moto).
Dans la langue, les deux types de moyens de transports ont « quelque chose en
commun », que signale l’intersection des opérateurs appropriés. La métaphore est une
particularité des langues naturelles qui interdit que l’on établisse des arborescences en dehors
de la syntaxe. Nous analyserons plus loin la notion de « portée » de la métaphore.
Les substantifs relevant de la classe d’objets <argent> sont caractérisés par les prédicats
appropriés suivants :
Examinons maintenant les prédicats appropriés aux substantifs qui désignent des
<liquides>, dont l’exemple prototypique est le substantif eau.
Tous ces opérateurs, appropriés à la classe des <liquides>, s’appliquent également aux
substantifs de la classe <argent> :
Cette identité d’opérateurs ne veut pas dire que l’une des classes soit assimilée à l’autre.
Un <deux-roues> n’a pas tous les opérateurs d’un animal comme cheval ou chameau : tous
les prédicats caractérisés par le trait <animal> sont évidemment exclus. Les opérateurs
communs sont sélectionnés en raison de la fonction et de la destination des deux ensembles.
C’est ce que nous appelons la portée de la métaphore. Cette fonction est représentée par
l’intersection des deux séries de prédicats appropriés. Voici un autre exemple. On ne voit pas
a priori, ce qu’on en commun les <arbres> et les <textes>. Il se trouve qu’un arbre qui a trop
de branches est dit touffu, de même qu’un texte qui présente trop de détails. C’est ce point
commun qui explique que le verbe élaguer puisse s’appliquer à la fois aux deux substantifs. Il
faut remarquer cependant que les synonymes n’ont pas cette possibilité : on ne peut pas
(ébrancher, émonder) un texte ni synthétiser un arbre.
81
La métonymie est un procédé linguistique par lequel « une notion est désignée par un
autre terme que celui qu’il faudrait …» (J. Dubois et alii : Dictionnaire de linguistique,
Larousse). Si nous examinons la relation entre un prédicat et ses arguments appropriés en
termes de classes d’objets, nous observons que la métonymie se caractérise par :
- une structure sous-jacente inférée : Lire Sartre infère Sartre a écrit un livre et non pas Sartre
possède un livre ni même Sartre a traduit un livre.
Ce dernier point est d'une importance majeure. Le premier pas dans la détection d'une
métonymie consiste à reconnaître que la classe d'objets observée n'est pas celle qui est
attendue et induite par le prédicat. Le second pas consiste à inférer une structure prédicative
réunissant ces deux classes. Le travail préalable à la détection automatique des métonymies
consiste à relier entre elles, dans le dictionnaire des arguments, les classes susceptibles de
faire l’objet d’un transfert métonymique de leurs prédicats, comme les parties du corps
<Npc> et l’humain proprement dit <Hum> ; un <lieu de travail> et des <professions
libérales> ; un <auteur> et ses <œuvres> ; un <conducteur> et un <moyen de transport>, etc.
Or, entre la classe source et la classe cible du transfert métonymique, il existe une relation
sémantico-syntaxique, qui peut être expliquée par une relation prédicative. Comparons les
deux phrases suivantes :
Mon voisin, bien qu’il soit le sujet du verbe écrire, n’est pas intrinsèquement un
écrivain, ce qui rend étrange la phrase : J’ai lu mon voisin. Dans la seconde phrase, le
prédicat écrire sélectionne ses deux arguments dans un même domaine, celui de la littérature.
Seul cet emploi autorise le transfert du prédicat lire approprié à la classe des <textes>, dont
fait partie le mot autobiographie, vers la classe des <écrivains>, dont fait partie le nom propre
Sartre. C’est ainsi qu’on peut interpréter une phrase telle que : J’ai lu Sartre.
Le cadre adéquat pour décrire le mécanisme de la métonymie est donc celui des classes
d’objets. Au lieu de postuler une relation vague entre un <producteur> et une <production
humaine> autour d’un prédicat métalinguistique créer, qui définirait à lui seul plusieurs
relations, nous décrirons de façon locale chaque transfert par l’identification d’une relation
précise entre deux classes d’objets. Voici quelques exemples de relations métonymiques : un
livre de Sartre, un tableau de Picasso, un film de Godard, une statue de Rodin, un air de
Mozart. La relation se situe entre un <auteur> et une <œuvre> dans les différents domaines
artistiques. Cette relation est prise en charge par des prédicats appropriés : prédicats
<d'écriture> : écrire, rédiger, composer ; prédicats de <dessin> : dessiner, peindre ; prédicats
de <réalisation> : produire, réaliser, mettre en scène ; prédicats de <sculpture> : champlever,
graver ; prédicats de <composition> : composer, écrire.
82
Tant que ces relations actancielles sont inférées, la métonymie est fonctionnelle. On ne
peut pas dire, par exemple : J'ai lu Paul pour J’ai lu le livre que Paul possède, ni même :
J’ai lu Sartre pour J’ai lu le livre que Sartre a traduit, parce que traduire est un prédicat de
<modification> et non de <création>. La métonymie est bloquée, quand l'inférence avec la
structure prédicative de départ est perdue. Les adjectifs employés ci-dessous s'appliquent, en
fait, uniquement à la classe des <supports d'écriture> : *Zola est (coloré, rouge, sale,
volumineux). Voici, à titre d’illustration, quelques exemples de métonymies, qui mettent en
relation :
- Lieux institutionnels :
lieux scolaires : Cette école dispense un enseignement de qualité
lieux de travail : Cette usine a licencié deux de ses employés
lieux de spectacle : Toute la salle s'est levée pour applaudir l’auteur de la pièce
lieux d’habitation : Toute la maison a éclaté de rire
lieux de pouvoir : Matignon est intervenu d'urgence à la suite de cette affaire
- Lieux fonctionnels :
<rues> : Ce président a vu sa réélection contestée par la rue
<quartiers> : Ce quartier a manifesté hier après l'assassinat d'un jeune africain
<villages> : Tout le village est indigné de cette histoire d'infanticide
Les logiciels de text mining extraient les noms d’entités qui font l’objet d’une requête
donnée en fonction de l’environnement syntaxe pertinent qui permettent de les mettre en
évidence. Imaginons qu’on recherche la réaction négative sur Internet d’un client face à un
produit qu’il vient d’acheter sur la base de mots comme colère ou déception. Si l’on a dressé
la liste des éléments de chacune de ces deux classes, on pourra extraire non seulement le mot
recherché (colère) mais aussi tous les mots de la même classe : animosité, colère, courroux,
emportement, fureur, grogne, horripilation, irritation, mécontentement, rage. Le système sera
en mesure aussi d’extraire les formes adjectivales : contrarié, en boule, en colère, en pétard,
83
en rogne, excédé, fâché, froissé, furibard, furibond, furieux, horripilé, hors de soi, irrité,
outré, ulcéré. On aura de même pour déception : décompte, déconvenue, dépit,
désappointement, désenchantement, désillusion, fausse joie, frustration, insatisfaction.
L’efficacité de la recherche est ainsi bien plus grande.
Conclusion
Nous avons vu au Chap.2 que le sens d’un prédicat est corrélé de façon directe à un
ensemble des propriétés de nature diverse (possibilité de restructurations, de nominalisations,
compatibilité aspectuelle entre les temps et la détermination des arguments, etc.). Ces
exemples nous ont montré que la signification d’un verbe ne peut pas être étudiée
indépendamment de sa syntaxe. Nous avons appelé cet ensemble de propriétés des emplois.
La reconnaissance des emplois est la condition première de toute analyse automatique. Le
moyen de les reconnaître est constitué par les classes d’objets. Une classe d’objets est un
ensemble de substantifs, sémantiquement homogènes, qui détermine une rupture
d’interprétation d’un prédicat donné, en délimitant un emploi spécifique.
Cette définition implique que les classes d’objets ne sont pas des concepts abstraits mais
des ensembles lexicaux construits sur des bases syntaxiques et déterminées par la
signification des prédicats. Ces classes ne sauraient être confondues avec ce que l’on appelle
des réseaux sémantiques, qui n’ont pas de base syntaxique et constituent des ensembles sans
valeur opérationnelle sur le plan linguistique.
Lectures
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85
Chapitre 5
Dans la phrase : La municipalité a construit une nouvelle mairie, le prédicat est sans
conteste le verbe construire, dont les arguments sont respectivement le sujet humain
municipalité et l’objet le substantif mairie qui, comme tous les substantifs désignant des
édifices, est un artefact sémantiquement approprié au verbe construire. A ce verbe est associé
le substantif construction, qui a deux emplois. Tout d’abord, il peut être considéré comme un
hyperonyme de mairie ou, plus généralement, de tout édifice. Il s’agit alors d’un concret,
comme le montrent les opérateurs appropriés suivants : Cette construction est haute de dix
mètres ; On va raser cette construction ; Cette construction est peinte en jaune.
Mais construction peut avoir un autre emploi. Observons la phrase : La municipalité a
procédé à la construction d’une nouvelle mairie. D’évidence, ce substantif joue ici le même
rôle que le verbe construire dans la première, il requiert à gauche un substantif humain et à
droite un substantif de la classe des <bâtiments>. La relation qui lie ces trois substantifs
(municipalité, construction, mairie) est de même nature que celle qui relie le verbe construire
à ses deux arguments. Il existe donc des substantifs qui ont un sujet et des compléments,
c’estàdire une structure argumentale, au même titre que des verbes. Parallèlement, le verbe
procéder à n’a pas de valeur prédicative, il ne peut avoir d’argument : *On a procédé à la
mairie. Au Chap.8, nous verrons la nature de ce verbe, que nous appelons verbe support, dont
la fonction est d’actualiser, c’estàdire de conjuguer, le prédicat nominal construction.
La comparaison que nous venons de faire entre un nom et un verbe peut aussi se faire
entre un nom et un adjectif. Tout le monde admet la nature prédicative de l’adjectif fier dans :
Paul est fier d’avoir réussi cet essai. Or, le substantif fierté joue le même rôle prédicatif dans
la phrase parallèle : Paul éprouve une grande fierté d’avoir réussi cet essai, puisqu’il a les
mêmes arguments et le même sens. Ici l’actualisation du prédicat nominal fierté se fait à
l’aide du verbe support éprouver.
Cette mise en facteur commun des formes appartenant à une même racine pose des
problèmes à la fois morphologiques et sémantiques. Morphologiques, car pour des raisons
diachroniques, une racine peut subir des modifications : rédiger/rédaction ; lire/lecture.
Sémantiques, car l’appariement morphologique peut correspondre à des emplois différents.
Ainsi, malgré l’identité morphologique, on n’a pas affaire au même emploi dans
palpiter/palpitant, où l’adjectif est un causatif et signifie faire palpiter : Ce film est palpitant
et dans, peur/peureux, où le substantif est un nom de sentiment, tandis que l’adjectif désigne
une propriété psychologique. Enfin, il existe des noms prédicatifs, que nous appellerons
« autonomes », qui ne sont liés ni à un verbe ni à un adjectif. C’est le cas de avis (synonyme
de conseil) : J’ai donné mon avis à Paul, qui n’a aucun lien sémantique ou syntaxique avec le
verbe aviser (au sens d’informer).
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2. Trois grands types de prédicats nominaux
Il ne semble pas y avoir de corrélation entre la conjugaison d’un verbe et sa nature
sémantique : on ne peut pas assigner aux verbes en – er, en – ir ou en –ire tel ou tel type de
sens. Une telle corrélation existe pour les prédicats nominaux. Ainsi les prédicats d’action
sont conjugués à l’aide du verbe support faire : faire un voyage, faire un travail, faire une
inspection, etc. Avec les prédicats nominaux techniques, on aura plutôt procéder à : procéder
à la réfection du système électronique. Les prédicats d’état, eux, sont actualisés par des
verbes comme avoir, posséder : avoir du bon sens, posséder de grandes qualités. Enfin, les
prédicats d’événements ont des supports spécifiques. Tous peuvent prendre en français avoir
lieu : (un séisme, un incident, une manifestation) a eu lieu, même si les sousclasses prennent
des supports spécifiques, ce que nous verrons au Chap.8.
Les prédicats nominaux d’action ou d’état ont des arguments comme les constructions
verbales qui leur sont associées. La place de ces arguments par rapport au prédicat est la
même qu’avec les verbes : Cela a transformé les conditions de travail, Cela a apporté des
transformations dans les conditions de travail. Le sujet, en particulier, figure à gauche du
verbe support et du prédicat nominal : Paul a une peur terrible de l’orage. Cette structure est
sans doute responsable du fait qu’on a traditionnellement assimilé ces phrases à des
constructions verbales ordinaires
Tout autre est la syntaxe des événements. Si l’on s’en tient aux événements proprement
dits, ceux que nous appelons plus loin les événements fortuits, comme séisme, incident,
glissement de terrain, on constate qu’ils sont dépourvus de sujet sémantique et qu’ils figurent
en position thématique par rapport au verbe support : Un séisme a eu lieu au Mexique ; Un
incident s’est produit dans le circuit de distribution. On doit se demander aussi si les
prédicats événementiels ont des compléments, en particulier, si dans la phrase précédente, le
groupe prépositionnel est un argument ou un circonstanciel. Cette question est cruciale pour
permettre une analyse automatique des constructions phrastiques d’un texte : il est donc
nécessaire de faire figurer ces indications sémantiques dans un dictionnaire électronique.
Les trois types de prédicats nominaux que nous venons de dégager ne constituent pas
cependant des ensembles entièrement disjoints. Les prédicats de <comportement à l’égard
d’autrui>, selon leur aspect, peuvent être interprétés soit comme des propriétés avec une
interprétation générale : Paul est agressif, soit comme des prédicats d’action dans : Paul a été
agressif avec Jean, il y a un quart d’heure. Ces deux interprétations peuvent être soulignées
par des supports spécifiques : Paul a un tempérament agressif ou Paul a fait preuve
d’agressivité à l’égard de Jean. Certains prédicats d’action sont susceptibles de recevoir une
lecture événementielle. On thématise alors le prédicat et non l’un ou l’autre des arguments.
Parallèlement à la phrase verbale : Paul a répondu rapidement à Jean, il existe une
construction à prédicat nominal : Paul a donné une réponse rapide à Jean. Si l’on met
l’accent sur le prédicat, on obtient des phrases comme : Il y a eu une réponse rapide de la
part de Paul. Cette construction ne concerne pas tous les prédicats d’action : Paul a fait une
marche de deux heures ; *Il y a eu une marche de deux heures de la part de Paul.
3. Des noms qu’on peut conjuguer
Les noms prédicatifs, ceux donc qui ont des arguments, sont accompagnés de verbes
supports qui les inscrivent dans le temps, c’est-à-dire qui les conjuguent. Parallèlement à la
flexion verbale du prédicat respecter : il respecte, il a respecté, il respectera, on trouve les
mêmes valeurs temporelles pour la forme nominale respect grâce au support avoir : il a du
89
respect, il a eu du respect, il aura du respect. Les études sur ce point sont nombreuses, tant en
français que dans un grand nombre d’autres langues. On a des descriptions suffisantes pour
pouvoir parler d’une véritable conjugaison nominale (cf. G. Gross et S. de Pontonx, 2004 ; A.
H. Ibrahim 2010).
La possibilité d’être conjugués ne s’applique évidemment pas aux substantifs concrets.
S’il est légitime de parler de passé composé, par exemple, à propos du substantif respect
dans : Paul a eu du respect pour cette attitude, la question n’a pas de sens pour des substantifs
comme caillou, voiture ou arbre. Les informations pertinentes pour l’actualisation des
substantifs concrets sont la quantification (trois cailloux) et la détermination (ce caillou-ci)
mais non la temporalité. En tous cas, il n’existe aucun moyen linguistique pour attribuer une
valeur temporelle à ces substantifs. La temporalité est donc une propriété des prédicats.
Est-ce à dire que les trois substantifs concrets que nous venons de citer ne relèvent que
de la dénomination ou de la quantification ? Observons la nature sémantique des adjectifs qui
sont compatibles avec eux et qui ont trait à leur actualisation. Un premier cas de figure se
présente, dans lequel un complément de temps modifie ces substantifs : le caillou de l’an
dernier, la voiture d’il y a deux mois, l’arbre du printemps dernier. Ces modifieurs sont bien
des indicateurs temporels. Mais une analyse plus approfondie montre que ces compléments de
temps s’appliquent en fait non aux substantifs concrets eux-mêmes mais à un prédicat effacé :
le caillou que nous avons (ramassé, analysé, décrit) l’an dernier ; la voiture que nous avons
(voulu acheter, admirée, conduite) il y deux mois ; l’arbre que nous avons (planté, taillé,
greffé) au printemps dernier. Ce glissement d’un modifieur du prédicat vers un argument
n’est pas un fait isolé : Nous allons prendre rapidement une tasse de café, Nous allons
prendre une rapide tasse de café.
Certains adjectifs relevant du temps sont cependant possibles avec des substantifs
concrets. Il s’agit d’adjectifs de « temporalité interne » comme neuf, jeune, vieux. Ces
adjectifs délimitent deux classes : les objets « inertes » naturels, d’une part, et les artefacts et
les végétaux, de l’autre : *un caillou neuf, une voiture neuve ; *un vieux caillou, un vieil
arbre. La métonymie joue dans le cas des objets qui ont une « durée de vie », ce qui est le cas
de voiture et de arbre mais non de caillou. Il se peut que l’expression voiture neuve soit
ambiguë. Il peut s’agir soit d’une voiture qui vient d’être fabriquée soit d’une voiture (même
d’occasion) qu’on vient d’acheter. Les adjectifs aspectuels proprement dits (fréquent,
épisodique) ne sont pas compatibles avec les substantifs concrets, à la différence des adjectifs
de quantification : de (nombreux, fréquents) voyages ; de (nombreux, *fréquents) cailloux.
On voit que l’actualisation des prédicats nominaux est différente de celle des arguments.
4. Délimitation morphologique des prédicats nominaux
Comme pour les verbes, les prédicats nominaux ne peuvent pas être réduits à un lexème
unique. Pour la reconnaissance automatique de ces prédicats, il faut tenir compte de toutes les
variantes morphologiques. On note ainsi des formes :
simples et élémentaires : tour : Paul a fait un tour en Italie
associées à un verbe (sans suffixe) : voyage : Paul a fait un voyage en Italie
associées à un verbe (avec suffixe) : doublement : Paul a doublé les effectifs de ce
programme ; Paul a procédé au doublement des effectifs de ce programme
associées à un adjectif (sans suffixe) : Paul est calme ; Paul a fait preuve de calme
associées à un adjectif (avec suffixe) : gentillesse : Paul est gentil, Paul a de la gentillesse
nominalisées à partir d’un verbe composé : Paul a mis au clair cette situation ; Paul a
procédé à la mise au clair de cette situation
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5. Comparaison entre les prédicats verbaux et les prédicats nominaux
On notera ici similitudes et les différences qui existent entre les prédicats nominaux et
les prédicats verbaux.
5.1. Propriétés identiques
a) Ils constituent le noyau d’une phrase simple pour la raison qu’ils ont des arguments. C’est
leur sens qui détermine le nombre et la nature sémantique de ces arguments. Le substantif
prédicatif gifle a les mêmes arguments que le prédicat verbal gifler.
b) Les deux types de prédicats peuvent être ou non actualisés. Pour un verbe, l’actualisation
est constituée par la flexion verbale et par des verbes auxiliaires. Celle des prédicats
nominaux est prise en charge par un verbe support. La réduction de l’actualisation consiste,
pour un verbe à le mettre à l’infinitif : J’ai vu que Paul descendait l’escalier, J’ai vu Paul
descendre l’escalier ou au participe : J’ai observé Paul descendant l’escalier et, pour un
prédicat nominal, à effacer le verbe support après une relativation : Paul a fait un voyage, le
voyage que Paul a fait, le voyage de Paul, son voyage.
5.2. Différences
Nous examinons maintenant les différences existant entre ces deux types de prédicats :
a) La morphologie des prédicats nominaux est celle des substantifs. Les modifications sont
constituées par le nombre (singulier et le pluriel). Ils ont, en outre, des déterminants comme
les arguments, mais ces déterminants sont caractérisés par des restrictions plus grandes,
dépendant à la fois du prédicat nominal et du verbe support utilisé. Ce couple est, en outre,
caractérisé par un aspect qui influence la nature du déterminant.
b) Les prédicats nominaux n’ont pas comme les verbes une conjugaison morphologique
(suffixes temporels) mais lexicale. Nous venons de voir que ce sont les verbes supports qui
les actualisent.
c) Les prédicats nominaux n’ont pas de compléments directs. Tous leurs arguments sont
introduits par une préposition : Paul a giflé Jean, Paul a donné une gifle à Jean.
d) Dans certains cas, la construction nominale introduit des prépositions différentes de celles
de la construction verbale associée :
Paul préfère celuici à celuilà
Paul donne la préférence à celuici sur celuilà
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e) De façon générale, les arguments des prédicats nominaux ont une syntaxe plus diversifiée
que celle des arguments des verbes. Une phrase à prédicat nominal peut subir une
transformation relative, qui fait d’elle directement l’argument potentiel d’un prédicat verbal :
Paul a donné une réponse à cette question ; la réponse que Paul a donnée à cette question ;
Jean connaît la réponse de Paul à cette question. Dans ce cas, la fonction sujet du prédicat est
prise en charge par le génitif (appelé traditionnellement génitif subjectif). Le génitif peut
également véhiculer la fonction objet (génitif objectif) : On a procédé au bannissement de
Paul ; le bannissement de Paul auquel on a procédé ; le bannissement de Paul. En cas de
coréférence, ces génitifs peuvent être remplacés par des possessifs : Jean connaît sa réponse ;
On a procédé à son bannissement.
f) Les arguments des prédicats nominaux peuvent aussi se présenter sous forme adjectivale,
ce qui n’est jamais le cas pour les prédicats verbaux. Nous avons étudié cette propriété au
Chap.1 (§6.3) : la France produit du pétrole : la production pétrolière française. On voit que
les arguments des prédicats nominaux ont des réalisations syntaxiques largement plus
diversifiées que ceux des prédicats verbaux.
g) Le comportement des clitiques est différent. Comme on le sait, ils sont atones quand ils
figurent avant le verbe et toniques en position postverbale. A vrai dire, la formulation de
cette règle n’est pas adéquate. La place du pronom atone ne précède pas directement le verbe,
elle figure devant l’élément actualisateur du prédicat verbal. Ces deux entités sont conjointes
quand le verbe est à un temps simple : Paul salue Jean, Paul le salue. Mais quand les formes
sont composées, on voit que la place du pronom atone est devant l’élément actualisateur :
*Paul a le salué ; Paul l’a salué ; Paul lui verse du vin ; Paul lui a versé du vin. Cette
possibilité s’observe encore quand le prédicat verbal perd son actualisation, c’estàdire
quand il est réduit à l’infinitif : J’ai vu Paul le servir, J’ai vu Paul lui servir du vin. On sait
que sur ce point, le français a changé. Dans la langue classique, on avait : Paul lui veut verser
du vin. Avec les prédicats nominaux, la place du clitique précède aussi l’élément
actualisateur, i. e. le verbe support : Je lui ai donné une gifle ; *J’ai donné lui une gifle. Cette
distribution s’observe dans le cas de la relative, quand le prédicat nominal est actualisé : la
gifle que je lui ai donnée. Si maintenant on efface le verbe support, on constate que seule la
forme tonique est possible : ma gifle à Paul, ? ma gifle à lui, *ma lui gifle. Je lui ai donné un
conseil, le conseil que je lui ai donné, mon conseil à Paul, ? mon conseil à lui, *mon lui
conseil.
h) Les prédicats verbaux sont modifiés par des adverbes et les prédicats nominaux par des
adjectifs : Paul a répondu rapidement, Paul a (fait, donné) une réponse rapide. Cependant, le
comportement des prédicats nominaux est plus complexe de ce point de vue que celui des
prédicats verbaux. Il existe des cas où l’on peut trouver soit l’adjectif soit l’adverbe. Quand le
prédicat n’est pas actualisé, on n’observe que l’adjectif : une réponse rapide, *une réponse
rapidement. Mais Paul a fait une réponse rapide, Paul a fait rapidement une réponse, où le
sens est cependant différent.
6. Changements de catégories des prédicats nominaux
Les prédicats nominaux peuvent être associés à des verbes, à des adjectifs ou être
autonomes, c'estàdire former des entités sans lien avec ces deux autres catégories, comme
nous l’avons vu à plusieurs reprises. Nous avons signalé (Chap. 2 §3) les conditions de ces
92
changements catégoriels : a) la racine doit être identique ; b) les arguments des deux formes
prédicatives doivent être identiques ; c) les arguments doivent avoir la même place par
rapport au prédicat et, en particulier, ne pas avoir subi de permutation. Sympathie et
sympathique ont la même racine morphologique, mais on ne peut établir une transformation
entre les deux, puisque les arguments sont inversés dans le passage de l’un à l’autre : Paul a
de la sympathie pour Jean n’a pas le même sens que Paul est sympathique à Jean.
7. Constructions à verbes supports et expressions figées
Nous venons d’examiner les nombreuses différences qui séparent les constructions
nominales à verbes supports des constructions verbales. Dans ces dernières, c’est le verbe qui
est le prédicat et le substantif son argument. Nous avons vu que cet argument peut, à son tour,
être un substantif prédicatif : J’approuve ta patience. On a affaire ici à un enchâssement : le
prédicat nominal patience devient un argument du prédicat verbal approuver. Dans les
constructions à verbe support, en revanche, c’est le substantif en position formelle de
« complément » qui est le prédicat de la phrase, tandis que le verbe qui le précède est, en fait,
son verbe support, c’estàdire son verbe auxiliaire d’actualisation.
Sous le terme de locutions verbales on a pendant longtemps assimilé les constructions à
verbe support à des constructions verbales plus ou moins figées (cf. Damourette et Pichon,
Chap. 5). On voit l’origine de la confusion. Du fait que les supports sont des verbes réputés
sémantiquement vides et qu’ils ont souvent une haute fréquence dans les textes, on a pris ces
suites pour des locutions, qui ont superficiellement des propriétés analogues. On parle de
lexies ou d’expressions verbales dans les deux exemples suivants : Pierre a faim ; Pierre a
froid. Ces deux constructions ont, il est vrai, quelques propriétés communes. Le sujet est
humain et le substantif qui suit le verbe avoir est abstrait. Un certain nombre de déterminants
sont communs :
Pierre a très (faim, froid)
Pierre a plus (faim, froid) qu'hier
mais non pas tous :
Pierre a une faim de loup
*Pierre a un froid de canard
La relativation est possible dans le premier cas mais non dans le second :
la faim que Luc a
*le froid que Luc a
et, par voie de conséquence :
la faim de Luc
*le froid de Luc
On voit que malgré des similitudes de départ, on a affaire à des constructions tout à fait
différentes. Dans un cas, on est en présence du prédicat nominal faim, qui a comme sujet
Pierre et n'a pas de complément ou éventuellement, par plaisanterie, un mot comme dessert :
93
*Qu’estce qu'il a pris ? la tangente
*C'est la tangente qu'il a prise
*la tangente qu'il a prise
*la tangente de Luc
En revanche, la seconde phrase présente une syntaxe plus libre. D'abord, sur le plan
sémantique, elle est compositionnelle, si l'on admet que prendre est ici un verbe support et
qu'il y a un verbe associé fuir. Cependant, la construction prendre la fuite semble moins libre
que prendre une décision, par exemple. Tout d'abord, dans la première phrase, la
détermination est beaucoup moins contrainte prendre (une, une autre, des décision(s)) que
dans la première, où elle est figée ?prendre (une, des fuites) ; le comportement n'est pas le
même concernant la relativation et le génitif :
*la fuite que Luc a prise
la décision que Luc a prise
?la fuite de Luc
la décision de Luc
En interdisant la fuite de Luc, nous ne voulons pas dire que cette séquence est incorrecte
mais qu'elle ne doit pas être dérivée de prendre la fuite. Elle le serait plutôt de Luc est en
fuite. Il y a à cela deux raisons. De façon générale, il n'y a pas formation de relative quand le
déterminant est figé. Mais on peut aussi penser à une autre explication. Si on prend une
phrase comme :
Luc a du respect pour son père
le respect que Luc a pour son père
le respect de Luc pour son père
l'effacement du verbe support avoir n'a supprimé que le temps du prédicat respect. Le
prédicat luimême n'a pas changé d'aspect. Or, le groupe nominal la fuite de Luc est interprété
comme un duratif, tandis que le verbe prendre attribue au prédicat fuite l'aspect inchoatif.
C’est la raison pour laquelle il convient d’associer prendre la fuite plutôt à s’enfuir qu’à fuir.
Le verbe prendre ne peut donc pas être supprimé, sinon on perd une information majeure. On
94
voit encore une fois qu'un concept comme celui de locution verbale est à ce point général et
vague qu'il banalise ou passe sous silence les analyses auxquelles nous venons de procéder.
8. Détermination des prédicats nominaux
Déterminants possibles :
L’article du : Paul a de la gentillesse
Des adverbes intensifs : beaucoup de : Paul a beaucoup de gentillesse
Un-modif : Paul a une grande gentillesse
Le-modif : Paul a la gentillesse des gens heureux
Déterminants exclus :
Les numéraux : *Paul a (trois, quelques, un tas de) gentillesses
Les définis : *Paul a (la, la grande) gentillesse
L’indéfini : *Paul a une gentillesse
Les possessifs *Paul a (sa, ta, votre) gentillesse
L’article zéro : *Paul a (E, grande) gentillesse
L’intensif : *Paul a très gentillesse
Le générique : *Paul a la gentillesse
Déterminants possibles :
Les comptables : Paul a fait (trois, quelques, beaucoup de, un tas de) voyages
Le démonstratif : Paul a fait ce voyage
Le possessif coréférent : Paul a fait son voyage
Le-Modif : Paul a fait le voyage dont il rêvait
L’indéfini : Paul a fait un voyage
L’indéfini pluriel : Paul a fait des voyages
Déterminants exclus :
L’article zéro : *Paul a fait voyage
Le possessif non coréférent : *Paul a fait ton voyage
Le générique : *Paul a fait le voyage
L’intensif très : *Paul a fait très voyage
L’article du : *Paul fait du voyage
Déterminants possibles :
L’article du : Paul a de la haine pour Jean
L’article un-modif : Paul a une grande haine pour Jean
L’adverbe beaucoup de : Paul a beaucoup de haine pour Jean
Déterminants exclus :
Les comptables : *Paul a (trois, quelques, un tas de) haines pour Jean
Les définis : *Paul a (cette, la, ta) haine pour Jean
L’article zéro : *Paul a haine pour Jean
L’indéfini : *Paul a une haine pour Jean
Le générique :?Paul a la haine pour Jean
8.2. Déterminants dépendant de contraintes aspectuelles
Pour un prédicat nominal donné, les variations aspectuelles apportent des restrictions
spécifiques au système de la détermination.
a) Aspect inchoatif
Le substantif peur est caractérisé, avec le support standard avoir, par la détermination
suivante :
b) Aspect terminatif :
Face à la configuration : Paul a (*E, de la, une grande, beaucoup d’) arrogance on
trouve les possibilités suivantes : Paul a perdu (l’arrogance qu’il avait, cette arrogance, de
son arrogance, son arrogance, toute arrogance). Mais le déterminant un-modif est exclu :
*Paul a perdu une grande arrogance. De même :
c) Aspect itératif :
Quand les événements sont indépendants les uns des autres, l’article indéfini est exclu
au profit de l’article défini
Tu as eu un grand succès
Tu collectionnes (*des, les) succès
Tu as des handicaps
Tu additionnes (*des, les) handicaps
d) Aspect « continuatif »
Paul a du courage
e) Aspect télique
Comme on le voit, la détermination de chaque prédicat doit être décrite au regard de ces
deux paramètres. Nous examinerons plus en détails la détermination des substantifs au Chap.
9.
Les prédicats de <coups> peuvent être morphologiquement des verbes (frapper, gifler)
ou des substantifs (coup, claque). Leur schéma argumental comprend quatre positions :
a) deux des arguments représentent des humains : Paul a frappé Jean ; Paul a donné un coup
à Jean
b) le troisième argument désigne la partie du corps (Npc) de celui que l’on frappe : Paul a
frappé Jean sur la tête ; Paul a donné un coup à Jean dans le dos
c) un quatrième argument désigne l’objet avec lequel on porte le coup : Paul a frappé Jean
sur la tête avec une règle. Cet objet peut être strictement approprié à l’action (complément
par destination), comme c’est le cas de fouet, martinet, bâton ou occasionnel avec des
substantifs comme règle, corde, chaîne de vélo, etc.
Nous appelons prédicats réguliers ceux qui prennent ces quatre arguments. Cela ne
signifie pas que tous soient nécessairement présents dans la phrase, il suffit qu’ils soient
possibles en même temps. Un examen systématique montre en effet que certains prédicats
« avalent » en quelque sorte l’un ou l’autre des arguments. Ces prédicats sont de ce fait
sémantiquement complexes.
Le prédicat peut ainsi contenir sémantiquement l’objet avec lequel on frappe. C’est le
cas de fouetter, cravacher, que l’on peut décomposer comme frapper avec un fouet, frapper
avec une cravache. Dans le cas de prédicats nominaux, on est en présence de noms
composés : donner un coup de bâton, donner un coup de fouet. Dans la même position, on
trouve aussi certaines parties du corps servant à frapper : donner un coup de pied, donner un
coup de poing, donner un coup de tête. Cet argument intégré au prédicat n’est pas alors
repris par un complément circonstanciel, pour éviter le pléonasme : *Paul a fouetté Jean
avec un fouet. Mais si l’on qualifie l’instrument, ce troisième argument est exprimé : Paul a
fouetté Jean avec un fouet tout neuf.
D’autres prédicats intègrent la partie du corps sur laquelle on frappe : faire un coquart
à quelqu’un signifie qu’on le frappe à l’oeil ou à l’arcade sourcilière. Ces substantifs sont
assez rares. Enfin, il existe des prédicats qui intègrent à la fois l’objet avec lequel on frappe
et la partie du corps sur laquelle on frappe : fessée, gifle désignent respectivement des coups
de la main sur les fesses ou la joue. Là aussi on évite le pléonasme, en supprimant les deux
compléments : *On lui a donné une fessée de la main sur les fesses, sauf comme plus haut si
l’on ajoute des précisions : On lui a donné une fessée du plat de la main ; On lui a donné une
fessée sur la fesse gauche. Il faut ajouter que certains prédicats de <coups> sont
intrinsèquement intensifs (assommer, horion) ou itératifs (bastonnade, raclée). Ces derniers
substantifs ont des propriétés aspectuelles particulières.
Les prédicats dont nous venons de décrire les schémas d’arguments impliquent une
action volontaire (frapper, gifle). On exclura donc ceux qui traduisent des coups
involontaires comme heurter, cogner, qui d’ailleurs n’ont pas le même nombre d’arguments.
Rien ne permet a priori de dire que le support actualisant un substantif comme gifle ne
soit pas faire, puisque c’est une action. Mais le support basique est donner et faire est
interdit :
98
Tout comme les prédicats verbaux (frapper, être frappé), les prédicats nominaux ont
des constructions passives grâce au support recevoir : Jean a (reçu, eu) une gifle de Paul.
Ces prédicats ont aussi une construction réciproque : Paul et Jean se sont battus, Paul et
Jean se sont donné des coups, Paul et Jean ont échangé des coups. Les supports basiques
actif et passif, respectivement donner et recevoir, ont de nombreuses variantes stylistiques :
administrer, allonger, flanquer, coller, foutre, porter, passer, rendre, retourner, renvoyer, filer,
lancer, appliquer et le passif écoper. Il existe des variantes intensives : asséner un coup à
Nhum. Comme tous les verbes supports, ils peuvent être effacés, ce qui signifie que le
prédicat perd son actualisation : Paul a donné une gifle à Jean ; la gifle de Paul à Jean.
9.3. Déterminants
Sont exclus :
Mais il est possible s’il réfère au complément : Paul lui a donné sa gifle à Jean. Dans
ce cas, la phrase est interprétée approximativement comme : Paul a donné à Jean la gifle
(qu’il lui avait promise, qu’il méritait).
Les prédicats de <coups> sont, du point de vue du mode d’action (aspect interne), des
prédicats ponctuels. Comme tels, ils peuvent avoir un aspect (externe) itératif mais aucun des
aspects caractéristiques des prédicats de durée. Si le prédicat est nominal, l’itérativité peut se
traduire par :
Les prédicats ponctuels ne peuvent pas être segmentés du point de vue temporel. Sont
donc exclus
On pourrait être tenté, dans la volonté d’établir une arborescence entre classes
sémantiques, d’intégrer les <coups> dans celle plus générale des <gestes>. Cette solution
peut se comprendre conceptuellement : toute gifle implique un mouvement. Mais ce serait là
une classification externe, objectivisante, qui ne tiendrait pas compte de la spécificité
linguistique des <coups>. Ces derniers constituent des « accomplissements » au sens de
Vendler 1967 : ils impliquent qu’un certain point soit atteint. Pour qu’il y ait gifle, il faut que
le « giflé » soit touché. Si ce n’est pas le cas, on dira : Paul a tenté de donner une gifle à
Jean, mais il n’y est pas parvenu. Cette restriction n’existe pas pour les prédicats de
mouvements corporels comme les gestes.
Nous avons déjà signalé qu’une classe d’objets peut aussi être décrite à l’aide des
prédicats qui lui sont appropriés. Pour ce qui est des prédicats de <coups>, un dictionnaire
électronique doit comprendre :
- des verbes appropriés comme : (esquiver, parer, mériter, avoir droit à) un coup, rendre un
coup à quelqu’un
- des adjectifs comme : sec, violent, léger, brutal, rageur, retentissant, etc.
Nous avons signalé plus haut que les prédicats de <coups> sont divisés en sous-classes
et que celles-ci ont des propriétés syntaxiques en partie différentes en fonction de leur sens,
bien qu’elles héritent toutes des propriétés générales des <coups>.
a) Coups génériques.
100
Ces prédicats sont pour ainsi dire sémantiquement homogènes et n’intègrent aucune
autre idée que celle de <coup>, en particulier aucune idée intensive ni itérative. Ils ne
mettent en jeu ni partie du corps ni instrument. En voici quelques exemples :
b) Coups intensifs.
Certains prédicats ont en plus une interprétation intensive : battre qq, assommer qq,
donner un horion à qq. Du point de vue syntaxique, il ne s’agit pas d’une classe différente.
On peut les paraphraser en ajoutant aux mots standards un adverbe intensif : frapper fort,
taper violemment.
Il existe des prédicats de coups qui intègrent une interprétation itérative. Il est souvent
difficile de séparer celle-ci du sens intensif que nous venons de signaler : rosser, rouer de
coups, tabasser, passer à tabac ; bastonnade, volée de coups, torgnole, raclée. Là encore,
cette interprétation peut être paraphrasée par des adverbiaux : frapper à coups redoublés,
frapper à tour de bras, frapper à bras raccourcis.
d) Coups avec un N.
Trois types de substantifs peuvent se rencontrer ici : des objets appropriés (coup de
bâton, coup de fouet), des objets occasionnels (coup de règle, coup avec une ceinture),
certaines parties du corps (coup de coude, coup de pied, coup de poing, coup de tête).
Cette classe, qui n’est pas très nombreuse, ne comprend que des substantifs désignant
un coup sur une partie du corps sans référence au moyen avec lequel on frappe. On trouve ici
calotte (coup sur la tête), coquart.
La plupart du temps ces prédicats impliquent que l’on frappe de la main ou du plat de
la main : fessée, gifle, mandale, mornifle, taloche, claque, giroflée (à cinq feuilles). D’autres
coups sont portés avec le poing sur le crâne : marron.
Il va se soi que chaque mot doit figurer dans un dictionnaire électronique avec le code
correspondant à sa classe, de telle façon que ses caractéristiques propres puissent permettre
la génération correcte de toutes les phrases où il peut figurer.
Si, au lieu d’être un humain, le complément désigne un inanimé concret, alors on est en
présence d’une autre classe sémantique, c’est-à-dire d’un autre emploi. Voici les différences
qui caractérisent ces deux classes sémantiques.
101
a) Tout d’abord, beaucoup de prédicats décrits plus haut sont exclus ici parce qu’ils font
référence exclusivement à un humain : horion, châtaigne, dégelée, raclée, trempe ou
explicitement à une partie du corps : gifle, fessée, calotte, coquart. Leur nombre est donc ici
sensiblement plus réduit. Cette observation s’applique aussi à certaines constructions
verbales : *Paul a battu la table.
b) Le régime des constructions de <coups> à objet concret est différent : alors que le
verbe frapper est transitif direct en cas d’objet humain : Paul a frappé Jean, il est transitif
indirect avec un nom de choses ?Paul a frappé la table, Paul a frappé sur la table.
d) Les substantifs concrets excluent la relation partie-tout. Alors qu’on peut dire Paul a
donné un coup à Jean (à l’estomac, dans le dos), où l’article défini le traduit une relation
inaliénable, cette construction est absente avec les substantifs concrets, même lorsqu’elle
existe par ailleurs : *Paul a frappé la table au pied. Pourtant on peut dire : Cette table a
quatre pieds.
e) Enfin, la construction passive en recevoir est exclue ici. On opposera les deux
phrases suivantes :
Conclusion
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103
Chapitre 6
Du point de vue morphologique, les adjectifs constituent une catégorie plus difficile à
reconnaître automatiquement que les verbes et les noms. Les premiers ont une flexion qui les
distingue de toutes les autres catégories et les seconds sont identifiés par les déterminants qui
les accompagnent. Il n’existe pas de propriétés morphologiques qui permettraient,
indépendamment de la syntaxe, de délimiter à coup sûr un adjectif. S’il est vrai que la grande
majorité d’entre eux est caractérisée par un changement de désinences au féminin et au pluriel
- ce qui constitue le critère définitionnel de la plupart des grammaires - il reste que bon
nombre d’entre eux ne répondent pas à cette régularité. Il en est qui n’ont pas de distinction
formelle de genre (monotone) ou de nombre (gris, vieux). Cette irrégularité est encore
accentuée par un certain nombre d’ambiguïtés catégorielles. Celles-ci sont bien connues, nous
n’en donnons ici que quelques exemples :
a) Certains adjectifs peuvent être interprétés comme des participes passés : fatigué.
Cependant l’importance de cette ambiguïté est largement réduite du fait qu’adjectifs et
participes passés sont tous deux des prédicats, que l’aspect permet souvent de discriminer :
être pris (= être enrhumé) peut être un adjectif, avoir été pris non.
b) Il existe des emplois adjectivaux pris en charge par des substantifs, comme c’est le
cas, entre autres, de certains noms de couleur, par ex. tuile, orange ou encore de certains
intensifs : une manifestation monstre.
c) Quelques adjectifs peuvent jouer le rôle de prépositions sauf, excepté. Dans ce cas,
c’est bien entendu le comportement syntaxique qui permet d’identifier l’emploi dans un texte
donné et un étiquetage correct doit en tenir compte.
e) On fera un cas à part de l’adjectif censé, dans la mesure où il est le seul à avoir une
construction phrastique non prépositionnelle : L’appariteur est censé remettre la clé à la fin
de la conférence.
Il faut ajouter que la tradition grammaticale embrouille la situation par une terminologie
inappropriée. Le mot d’adjectif y est attribué à des éléments qui n’ont pas de relation avec les
termes que nous étudions dans ce chapitre. Les adjectifs démonstratifs (ce, cette), possessifs
104
(ton, son), interrogatifs (quel, quelle), indéfinis (quelques, divers), exclamatifs (quel !)
appartiennent à la classe des déterminants, que nous étudierons au Chap.9. Ajoutons que les
homographes entre adjectifs et verbes (tendre) et adjectifs et noms (bleu) ne sont sources
d’ambiguïté que si on s’en tient à un niveau strictement lexical, comme c’est le cas des
dictionnaires. Cette difficulté disparaît dès lors que l’on prend la phrase comme unité
d’analyse, la syntaxe discriminant alors les interprétations erronées.
Les lexèmes définis dans les dictionnaires comme adjectifs qualificatifs ne constituent
pas un ensemble homogène. Des critères syntaxiques permettent, dans un premier temps, de
faire un classement. Si l’on part de la définition traditionnelle, selon laquelle l’adjectif
qualificatif peut occuper trois positions, celles d’attribut, d’épithète ou d’apposition (il s’agit
en fait d’une même fonction, comme on le verra plus loin), alors on tient un premier critère
permettant de distinguer trois types d’adjectifs : ceux qui peuvent être attributs (les
prédicatifs) et ceux qui ne le peuvent pas, ces derniers correspondant à deux types : les
adjectifs classifieurs et les adjectifs-arguments. Commençons par les deux derniers.
Il existe plusieurs milliers d’adjectifs qui ont le comportement de sulfurique dans acide
sulfurique. Le terme de qualificatif leur convient très mal, puisqu’ils ne qualifient pas mais
désignent un élément à l’intérieur d’un ensemble ou d’une série. Nous les appellerons
adjectifs classifieurs. Ainsi, si l’on veut qualifier un substantif comme acide, on peut penser à
des adjectifs comme dangereux, de couleur verte, fluide, corrosif, etc., bref un ensemble de
prédicats qui opèrent sur ce substantif. En revanche, les adjectifs que nous examinons ne
traduisent pas une propriété mais spécifient un type particulier d’acide, parmi les centaines
d’autres possibles sulfurique, acétique, azotique. De même, les adjectifs charpenté,
gouleyant, long en bouche sont des prédicats appropriés à la classe des <vins>, mais les
adjectifs de couleur blanc, rouge, rosé, gris désignent des types de vins différents et ne sont
pas habituellement prédicatifs : on dira plutôt : C’est du vin blanc que Ce vin est blanc. Nous
considérons les suites acide sulfurique ou vin rouge comme des noms composés non figés.
Il convient de ne pas confondre les adjectifs composés, c’est-à-dire les suites formées
d’éléments lexicaux divers et qui fonctionnent globalement comme des unités adjectivales
(cf. plus bas §10) avec les adjectifs qui figurent comme éléments de suites figées diverses.
Dans ce cas, leur syntaxe est contrainte et leur signification est la plupart du temps opaque.
On les trouve dans des noms composés (pied noir, peinture rupestre), des adverbiaux (de
plein fouet, au septième ciel), des suites intensives (peur bleue), des verbes composés : (me)
la bailler belle. Ces suites doivent figurer da ns un dictionnaire soit en entrée, quand la suite
est figée, tout comme les noms composés ou le verbes figés, soit comme modifieurs intensifs
représentant une collocation non prédictible (une peur bleue). Il est clair en tous cas que la
description ne doit pas leur attribuer une liberté combinatoire qu’ils n’ont pas.
3. Adjectifs prédicatifs
Nous analysons maintenant les propriétés des adjectifs qui ont des arguments, c’est-à-
dire qui sont prédicatifs. Du point de vue syntaxique, qui est le nôtre ici, il n’y a pas de
distinction entre les adjectifs déverbaux (lisible, rêveur), les dénominaux (substantiel, formel)
ou les adjectifs autonomes (maigre, délétère).
La tradition grammaticale attribue aux adjectifs une triple fonction, celle d’attribut,
d’épithète et d’apposition. La première de ces fonctions fait l’objet de ce chapitre. Nous
examinerons donc ici brièvement les deux autres. Prenons l’exemple suivant : Donne-moi le
cahier bleu, où l’adjectif est une épithète. Celle-ci est la réduction d’un emploi comprenant le
verbe être : Donne-moi le cahier qui est bleu. On a donc affaire à un emploi appelé
prédication seconde (N. Furukawa 1996) et qui consiste à effacer l’actualisation de l’adjectif.
Il s’agit de la réduction du verbe support, phénomène que nous avons déjà observé avec les
prédicats nominaux et dans le cas de la réduction infinitive des prédicats verbaux. La même
analyse vaut pour l’apposition : Les joueurs, fatigués, ont renoncé à l’entraînement du soir.
Le prédicat adjectival peut recevoir une actualisation qui lui est propre : Les joueurs, qui
étaient fatigués, ont renoncé à l’entraînement du soir. Nous considérons donc les épithètes et
les appositions comme des fonctions prédicatives, tout comme les attributs, à la différence
près qu’ils ont perdu leur actualisation.
Le fait que la signification des emplois soit fonction de la classe sémantique des sujets
est illustré par la nature des synonymes respectifs (Sy) :
Comme pour les autres prédicats, les arguments des adjectifs peuvent être des
substantifs élémentaires ou des prédicats. Nous signalons ici les principales structures
argumentales des adjectifs.
Il existe des adjectifs qui n’ont pas d’arguments-objets. Ils ne doivent pas être
confondus avec des sous-structures, qui ont subi l’effacement d’un argument. Ils peuvent à
l’occasion être accompagnés de circonstants :
Tu es rêveur ce matin
Cette région est tranquille
L’air de cette salle est délétère
- Compléments en de N
Paul est sûr de lui
Paul est conscient du danger
Paul est heureux de sa victoire
107
- Compléments en avec N
Paul est gentil avec moi
- Compléments en pour N
Il est agréable pour Jean de lire ce texte
Il est impérieux pour Jean de faire ce voyage
Ce texte est difficile pour un enfant
- Compléments en devant N
Paul est admiratif devant cette attitude
- Compléments en en N
Paul est fort en math
Paul est confiant en l’avenir
Nous avons étudié, dans les chapitres correspondants, les propriétés des arguments des
verbes et des noms prédicatifs. Nous examinons ici les particularités syntaxiques des
arguments des adjectifs.
Les adjectifs partagent avec les prédicats nominaux le fait qu’ils n’ont pas de
compléments directs. La seule exception, que nous avons déjà signalée, est l’adjectif censé :
Paul est censé avoir fait ce travail avant-hier. Mis à part cet exemple, les arguments des
adjectifs sont introduits par une préposition : fier de, fort en, réfractaire à. Dans cette
position, la préposition peut ne pas figurer de façon formelle. Cet effacement ne modifie pas
cependant les formes anaphoriques. Un assez grand nombre d’adjectifs ont formellement
comme argument une complétive directe en que P : Je suis content que cette nouvelle te soit
parvenue. Mais il ne s’agit pas d’un contre-exemple à la règle que nous avons énoncée plus
haut. Cette construction est une sous-structure reposant sur l’effacement de la suite de ce : Je
suis content de ce que la nouvelle te soit arrivée, car la pronominalisation met en jeu le
pronom en, caractéristique des compléments en de N et non pas le, anaphore des
compléments directs : J’en suis content, *Je le suis content. Cette réduction s’observe aussi
avec certains verbes : Je t’ai prévenu que la solution est fausse : Je t’en ai prévenu ; *Je te
l’ai prévenu (M. Gross 1975).
108
A ne prendre en compte que leur suite catégorielle, on pourrait penser que les deux
phrases suivantes ont la même structure : Jean est heureux de s’être mis à l’abri ; Jean est fou
de s’être mis dans cette situation. Une première propriété permet de séparer les deux
structures : la pronominalisation de l’infinitive en de est possible pour la première mais non
pour la seconde : Jean en est heureux, *Jean en est fou. La forme impersonnelle les sépare
aussi. La seconde l’accepte très bien : Il est fou de la part de Jean de s’être mis dans cette
situation, la première non : *Il est heureux de la part de Jean de s’être mis à l’abri. L’analyse
de cet impersonnel est bien connue, il s’agit de la mise en évidence d’une phrase-sujet : S’être
mis dans cette situation est fou de la part de Jean. On voit que le substantif Jean ne joue pas
le même rôle par rapport à l’adjectif dans les deux phrases. Dans la première, il est le vrai
sujet de l’adjectif heureux et la phrase infinitive est le complément de l’adjectif. Ce
complément peut être pronominalisé : Jean en est heureux. Dans la seconde, Jean est le sujet
d’une phrase complétive, elle même sujet de l’adjectif fou : Que Jean se soit mis dans cette
situation est fou (de sa part). Cette phrase peut être réduite : S’être mis dans cette situation
est fou de la part de Jean. On peut se poser raisonnablement le problème de savoir si avec
heureux l’infinitive peut être effacée ; la question ne se pose pas pour la seconde.
5.4. Effacements
L’établissement des différents emplois d’un même prédicat peut être rendu difficile par
des réductions, c’est-à-dire des effacements de compléments, quand ils sont de nature
phrastique. Comment coder les arguments de solidaire ? Deux compléments sont possibles :
un substantif prédicatif ou un humain : Je suis solidaire de la décision prise par Paul, Je suis
solidaire de Paul. Un exemple identique met en jeu le verbe approuver : J’approuve la
conduite de Paul, j’approuve Paul. Il est possible d’unifier ces emplois et de les dériver l’un
de l’autre à l’aide d’une restructuration. Il est clair que le complément de approuver implique
une action ou un comportement. On pose donc comme point de départ : J’approuve la
conduite de Paul. Cette phrase peut avoir une restructuration : J’approuve Paul dans sa
conduite. C’est l’effacement du prédicat nominal qui donne la phrase : J’approuve Paul. Nous
appliquons la même analyse à solidaire : Je suis solidaire de la décision de Paul, je suis
solidaire de Paul dans sa décision, je suis solidaire de Paul.
109
On ne peut parler d’effacement d’un argument et, par conséquent de l’existence d’une
sous-structure, que si le prédicat reste sémantiquement constant dans l’opération. C’est le cas,
par exemple, de lire : Je lis un roman, je suis en train de lire. Il en est de même pour les
adjectifs, à cette différence près que les problèmes aspectuels y sont plus délicats à analyser.
Il est raisonnable de penser que l’adjectif content peut perdre son complément : Paul est
content de cette nouvelle, Paul est content. L’effacement du complément constitue
évidemment une perte d’information, ici la cause du sentiment, mais l’adjectif garde son sens
et même son aspect. En revanche pour heureux c’est moins clair, du fait que l’interprétation
durative de l’adjectif n’existe pas en présence du complément : Paul est heureux de
partir/Paul est heureux. Un cas plus clair est constitué par toute une série d’adjectifs qui
changent de classe sémantique, quand ils n’ont pas de complément. Soit : La maison est
haute de 10 mètres, où l’adjectif est suivi d’un complément. On rangera cet emploi parmi les
prédicats de mesure. Mais en l’absence de complément : La maison est haute, l’adjectif
change de classe : il n’indique pas une mesure mais une propriété reposant sur une évaluation,
qui peut être différente selon les individus. Cet adjectif figurera donc dans deux classes
sémantiques différentes.
Il arrive que l’on classe les adjectifs par paires antonymiques : long/court, grand/petit,
gros/mince, jeune/vieux. Mais ils ne constituent des couples qu’avec certains substantifs.
Nous avons encore une fois l’occasion de montrer que la syntaxe fait partie de la définition
des mots. Nous venons de voir que certains adjectifs désignent la valeur de certaines
grandeurs ou une appréciation individuelle. C’est le cas de long : Cette planche est longue de
3 mètres, Cette planche est longue. L’adjectif court qui semble être son correspondant n’a
qu’une de ces propriétés : il n’a que l’emploi évaluatif : Cette planche est (bien) courte ;
*Cette planche est courte de 3 mètres.
Nous signalons ici une classe d’adjectifs de nature prédicative mais qui ne peuvent pas
être considérés comme des adjectifs qualificatifs. Leur fonction est de participer à
l’actualisation des prédicats nominaux, en prenant en charge les relations aspectuelles. On
trouve parmi eux des :
e) Progressifs : en cours
110
Sur ce point, comme sur bien d’autres en grammaire, la désignation traditionnelle a été
un obstacle à un examen empirique sérieux, qui doit précéder toute analyse théorique. Il est
bien connu qu’on ne voit les phénomènes que dans les limites de la théorie ou des
présupposés qu’on se donne, ce qui pose le problème de l’adéquation de l’outil à la réalité
qu’on veut décrire.
L’aspect, et plus particulièrement le mode d’action, est une des propriétés intrinsèques
des prédicats. Il faut donc en rendre compte, surtout si on a l’intention de décrire les adjectifs
au regard d’un grand nombre de propriétés qui en dépendent. Les adjectifs sont plus difficiles
à étudier de ce point de vue que les verbes et les noms. Pour ces deux classes
morphologiques, il est assez facile de faire la différence entre ceux qui sont ponctuels ou
duratifs. Cette opposition est importante du fait qu’elle induit d’autres aspects : tous les
prédicats peuvent relever de l’itérativité, mais seuls les duratifs peuvent avoir un inchoatif, un
progressif ou un terminatif. La difficulté pour les adjectifs vient de ce qu’on a tendance
parfois à les identifier aux états. La plupart des adjectifs désignent, il est vrai, des propriétés
et donc des états et sont duratifs.
Mais cette notion de durée dépend de la nature sémantique des adjectifs. Un adjectif
comme infirme désigne un état, surtout quand il est accompagné d’un adverbial comme de
naissance, et ne semble pas vraiment avoir de limite temporelle. Cet « état » n’a pas de sens
itératif : être (souvent, sans cesse, rarement, fréquemment) infirme ; ?ne pas cesser d’être
infirme. De même, certaines classes d’adjectifs n’admettent pas l’itérativité pour des raisons
sémantiques. La notion de fidélité implique « une constance dans les affections, les
sentiments » (Le Nouveau Petit Robert). Tout manquement à cette constance supprime ipso
facto ce comportement. Voilà pourquoi on doit interpréter comme une plaisanterie la phrase
suivante : Paul est souvent fidèle à sa femme.
Ce serait une erreur d’identifier ce type de durée à celle qui caractérise les traits de
caractère (qualités ou défauts) et, à plus forte raison, les bonnes ou mauvaises habitudes, les
états d’esprit ou les humeurs qui, comme on sait, relèvent de la durée mais de façon passagère
(Cf. Chap.12). Considérer tous ces adjectifs comme uniformément duratifs revient à gommer
bien des différences sémantiques importantes. Il faut mettre au point un ensemble de tests
permettant de sérier divers types de durées. Seule la syntaxe permet de mettre cela clairement
en évidence.
Il ne faut pas oublier non plus que certains adjectifs désignent des changements d’états,
qui représentent en fait des événements. C’est ici qu’il faut classer les inchoatifs (jaunissant,
vieillissant) ainsi que les résultatifs (collé, rangé). Les interprétations inchoatives peuvent
aussi être prises en charge par certains supports spécifiques : devenir morose, tomber malade.
De même, l’interprétation résultative peut être soulignée par certains adverbiaux être
maintenant Adj, être à présent Adj, rester Adj.
7. Scalarité
Les adjectifs (simples ou composés) qui désignent des états binaires opposés ne relèvent
pas non plus de la scalarité : en état de marche, en panne ; en mouvement, au repos. D’autres
adjectifs décrivant des situations et qui prennent le verbe se trouver à côté de être sont eux
aussi difficilement intensifiables : en deuil, en feu, en flammes, en fleurs. Mais souvent, dans
ce domaine, une étude plus approfondie permet de trouver des éléments intensifs,
essentiellement de nature adjectivale : en nette augmentation, en chute libre, en pleine
croissance.
8. Propriétés syntaxiques
Nous avons examiné jusqu’à présent les propriétés qui caractérisent les emplois
adjectivaux ainsi que leurs schémas d’arguments. Nous abordons maintenant les
modifications qui peuvent opérer sur les phrases simples telles que nous venons de les
décrire. Celles-ci sont de nature diverse. Elles peuvent concerner la forme morphologique du
prédicat, des changements de thématisation, des phénomènes d’anaphore, etc. Nous passons
en revue les opérations qui permettent de passer d’un schéma d’arguments décrit dans un
dictionnaire électronique aux phrases réelles des textes.
service, *Il a l’aptitude au service. Il est apte à faire cela, Il a l’aptitude de faire cela, Il a
une grande aptitude à faire cela.
Les propriétés des constructions réciproques sont bien connues et ne sont pas
spécifiques des adjectifs. Nous ne les illustrons donc que par un seul exemple : Paul est ami
avec Jean, Jean est ami avec Paul, Paul et Jean sont amis, Paul et Jean sont amis l’un avec
l’autre. La réciprocité implique que les deux arguments se situent sur le même plan par
rapport au prédicat, du moins dans l’emploi réciproque. Il existe ainsi des adjectifs qui sont
intrinsèquement réciproques, quel que soit leur sujet (identique), d’autres le sont
occasionnellement (ressemblant) : il n’est pas évident que si A ressemble à B, la réciproque
soit vraie, car on privilégie l’un des arguments par rapport à l’autre.
8.5. Restructurations
Si l’on veut thématiser le substantif humain Paul, le reste de la phrase subit alors
certaines modifications, en particulier le sujet initial ton devient formellement un complément
prépositionnel :
9. Constructions causatives
Prenons, à titre d’exemple, une suite comme à la mode. La façon habituelle d’analyser
cette séquence est d’en faire un complément descriptif. Certains dictionnaires parlent de
locutions et quelques-uns de locutions adjectivales. Nous la considérons comme un adjectif
composé ou adjectival. Notre position repose sur les considérations suivantes. Un adjectif
peut être attribut, épithète ou apposition ; il peut être soumis aux différents degrés de
comparaison ; il peut être pronominalisé en le. C’est ce qui apparaît clairement avec l’adjectif
élégant : Cette fille est élégante ; Nous avons vu une fille élégante ; Cette fille, élégante, a
séduit tout le monde. Cette fille est (plus, moins) élégante que sa soeur ; Cette fille est très
élégante. Cette fille est élégante et sa soeur le sera aussi.
Si nous nous limitons pour le moment à ces critères pour admettre comme adjectifs tous
les lexèmes qui ont ces propriétés, alors nous sommes obligés de reconnaître que à la mode
est un adjectif : Cette fille est à la mode ; Nous avons vu une fille à la mode ; Cette fille, à la
mode, a séduit tout le monde. Cette fille est (plus, moins) à la mode que sa soeur ; Cette fille
est très à la mode. Cette fille est à la mode et sa soeur le sera aussi. Observons que cette
dernière propriété est un argument très fort en faveur de notre analyse : si la suite constituait
un complément, comme elle est introduite par la préposition à, on s’attendrait à une
pronominalisation en y, mais c’est le que l’on observe, comme dans le cas des adjectifs
simples. Nous considérons donc à la mode comme un adjectif qui relève de notre étude et
nous analysons ainsi tous ceux qui ont le même comportement syntaxique, c’est-à-dire
environ 10.000 adjectifs composés. Ceux-ci correspondent à plusieurs centaines de formants
différents (cf. Chap.10).
115
Conclusion
Nous venons de voir que la catégorie des adjectifs constitue comme toutes les parties du
discours un ensemble de constructions diverses, qu’il n’est pas possible de définir sans avoir
recours à leur comportement syntaxique. La difficulté de cette analyse vient, d’une part, de ce
qu’ils ne représentent pas seulement des états, puisqu’il existe des adjectifs classifieurs, des
adjectifs-arguments, des adjectifs aspectuels, et d’autre part, du fait que les états ne sont pas
tous pris en charge par des adjectifs, mais aussi par des substantifs (pauvreté, insouciance,
colère) ou des verbes (végéter). Il faut donc une description croisée. Nous avons décrit ici les
propriétés de la classe formelle des adjectifs et nous consacrons un chapitre spécifique aux
états (Chap.13), indépendamment du cadre des catégories grammaticales.
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178.
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Suède.
117
Chapitre 7
Les prépositions
1. Problèmes morphologiques
Les prépositions sont généralement listées en séparant celles qui tirent leur origine du
latin (à, de, dans, par, pour, vers, etc.) de celles qui ont été formées au cours de l’histoire de la
langue, sur la base d’autres catégories morphologiques : adjectifs sauf, participes passés
excepté, participes présents suivant, durant, adverbes devant, derrière, noms côté, question.
A quoi il faut ajouter le nombre important, de l’ordre de plusieurs centaines, de prépositions
composées ou de locutions prépositives. Celles-ci ne doivent pas cependant être considérées,
du point de vue syntaxique, comme des prépositions simples, mais être analysées de façon
indépendante, comme nous le verrons plus loin.
Nous avons précisé au Chap.1, que nous considérons la phrase comme l’unité minimale
d’analyse. C’est dans ce cadre que nous décrivons les prépositions, comme toutes les autres
catégories morphologiques. Du point de vue de leur fonctionnement, on peut leur attribuer six
fonctions différentes. Les deux plus connues sont respectivement celle d’indicateurs
d’arguments et de circonstants. D’autres sont des prédicats du premier ou du second ordre.
D’autres encore sont des formes non actualisées de verbes. Enfin, certaines d’entre elles
servent à former des unités lexicales composées, dans le cadre d’une translation. En précisant
ainsi les conditions de leur distribution, nous refusons le recours à des critères trop généraux
qui n’ont guère de pouvoir explicatif, comme de dire qu’une préposition établit une relation
de dépendance entre le terme qu’elle introduit et le terme qui la précède.
Nous dirons que les prépositions dans cet emploi sont des indicateurs d’arguments (Z. Harris
1976). Dans ce cas, le complément indirect peut figurer seul : Paul se soucie de ma santé ou
après un complément direct : Paul attribue cet échec à un manque de préparation ou encore
après un autre complément indirect : Paul se rend compte de son erreur à la réaction du
public. Cette fonction des prépositions est donc commune à tous les prédicats du premier
ordre, quelle que soit leur catégorie grammaticale.
Une affirmation traditionnelle mérite d’être examinée. La plupart des grammaires
signalent que certaines prépositions peuvent jouer un rôle adverbial. Elles citent, à ce sujet,
des exemples mettant en jeu l’effacement d’un complément. Dans : Les éclaireurs marchent
devant nous, le mot devant est considéré comme une préposition, alors qu’il serait de nature
adverbiale dans : Les éclaireurs marchent devant. A cette analyse, qui postule un changement
de catégorie grammaticale, on peut objecter que la première des deux phrases est susceptible
de figurer au début d’un texte, c’est-à-dire de constituer des informations ne nécessitant, pour
être interprétées, aucune information préalable, tandis que la seconde, hors contexte, est sentie
comme incomplète. Sans autres indications ou en cas d’hésitation de la part de l’interlocuteur,
elle peut être l’occasion de questions comme : Devant quoi ? dont la syntaxe montre
clairement qu’il s’agit d’une préposition. Dans les textes où ces constructions sont possibles,
la situation permet évidemment de restituer l’élément supprimé pour des raisons de
redondance. L’effacement possible d’un complément ne doit pas être interprété comme une
preuve de changement catégoriel.
Il faut observer que toutes les prépositions locatives ne se prêtent pas à l’effacement du
complément. Ainsi, sur et sous n’ont pas cette possibilité : Le livre est sur la table, *Le livre
est sur ; Les jouets sont sous les gravats, *Les jouets sont sous. Dans certains cas, la
préposition a un doublon en cas d’effacement : Le livre est dans le coffre/Le livre est dedans.
Le statut de cette dernière forme n’est pas très clair. Rappelons qu’en ancien français dedans
pouvait avoir un complément exprimé : Le livre est dedans le coffre. Cette forme parallèle
existe aussi pour sur/dessus, sous/dessous.
Une autre question souvent débattue est de savoir si, dans le cas des verbes transitifs
indirects, la préposition appartient au verbe ou au complément. Formellement, on a tendance
à la rattacher au verbe, puisqu’on parle de verbes transitifs indirects. Mais en cas de
pronominalisation du complément, la préposition est souvent fusionnée avec le pronom,
comme dans y ou en. La question est en fait induite par la position théorique qu’on adopte. Si
l’on considère, comme nous le faisons, que l’unité d’analyse est la phrase, alors c’est la
structure toute entière qui est à prendre en compte et non pas chaque élément isolément.
On constate que la nature des prépositions introductrices d’arguments est assez
contrainte et ne constitue pas de paradigmes. Il n’y a pas d’alternance dans les cas suivants :
l’emporter sur N, parler de N avec N, donner N à N, etc. On peut se demander si les
prépositions de ce type sont motivées sémantiquement. Là où les relations sont les plus
claires, c’est avec des classes sémantiquement bien délimitées. C’est le cas des verbes de
mouvement, par exemple, où le point de départ est exprimé par la préposition de et la
destination par pour, à, vers, etc. De même, avec certains verbes symétriques, la préposition
est souvent avec : N parle avec N : Paul et Jean parlent l’un avec l’autre. Quand le verbe
appartient à la classe des <combats>, la préposition avec peut alterner avec contre : Paul est
en guerre (avec, contre) nos ennemis.
Les restructurations peuvent avoir des incidences sur l’emploi des prépositions. Ce
phénomène s’observe dans différents domaines de la grammaire. Tout d’abord, il peut y avoir
dislocation du groupe nominal. Quand celui-ci est constitué d’un déterminant nominal
quantifieur, comme dans l’exemple suivant : L’an dernier, du fait des grands froids, des
milliers d’oiseaux sont morts, ce déterminant nominal peut être détaché en fin de phrase et
introduit par la préposition par : L’an dernier, du fait des grands froids, les oiseaux sont
119
morts par milliers. Dans le cas des prédicats symétriques, certains compléments
prépositionnels peuvent être remplacés par d’autres structures ou être effacés : Paul rivalise
avec Jean ; Jean rivalise avec Paul ; Paul et Jean rivalisent (ensemble, l’un avec l’autre).
2.2. Indicateurs d’arguments dans des phrases réduites : génitifs subjectifs et objectifs
Les prépositions que nous avons citées dans le paragraphe précédent entrent dans les
schémas d’arguments d’une phrase simple canonique, qui n’a subi aucune transformation, que
cette phrase soit actualisée : Paul descend de l’arbre ou non J’ai vu Paul descendre de
l’arbre. Cette remarque s’applique aussi aux phrases à prédicat nominal : Napoléon a fait ses
adieux à la Vieille Garde. La préposition introduit dans les deux cas un complément indirect.
Mais les phrases à prédicat nominal ont des propriétés spécifiques. Elles sont susceptibles de
subir une transformation relative : les adieux que Napoléon a faits à la Vieille Garde. Cette
modification de structure fait de la phrase de départ formellement un groupe nominal. Ce
groupe nominal garde tous les éléments de la phrase de départ : schéma d’arguments composé
du prédicat (adieux) et de ses arguments (Napoléon et Vieille Garde) et actualisation (le verbe
support faire). Comme toute actualisation, celle-ci peut être effacée et l’on obtient la suite :
les adieux de Napoléon à la Vieille Garde, où le schéma argumental reste le même. Mais le
sujet est introduit par la préposition de, construction qu’on nomme habituellement génitif
subjectif, comme on l’a vu plus haut. Dans d’autres constructions, ce génitif correspond à un
objet (génitif objectif) : On a corrigé ce texte ; On a procédé à la correction de ce texte ; la
correction de ce texte auquel on a procédé ; la correction de ce texte. La préposition de
introduit un complément prépositionnel, correspondant au complément direct de la
construction verbale.
Un autre exemple bien connu de ce type d’emploi est représenté par le passif où l’agent,
correspondant au sujet profond est introduit par la préposition par. Dans le cas des passifs
nominaux, les prépositions introductrices du sujet sont de ou de la part de : Paul a reçu (de,
de la part de) Jean l’autorisation de partir. Il existe d’autres constructions dérivées, dans
lesquelles un argument est introduit par une préposition. C’est le cas des constructions
factitives ou causatives : J’ai fait faire un tour aux enfants ; J’ai enjoint à Paul de rectifier
cette erreur.
compléments de prix comme des arguments, car ils sont impliqués par des verbes comme
acheter ou coûter : Tu as acheté ce livre (pour) dix euros. Ce livre a coûté dix euros. Nous
avons déjà signalé qu’un circonstant peut être repris par la séquence le faire : Paul a écrit ce
livre pour son plaisir ; Paul a écrit ce livre, il l’a fait pour son plaisir. Cette reprise n’est pas
possible dans le cas des arguments : Paul a écrit un livre sur les oiseaux ; *Paul a écrit un
livre, il l’a fait sur les oiseaux.
Il existe un certain nombre de constructions, interprétées comme circonstancielles, et
qui sont en fait des restructurations de propositions principales. La construction à mon avis
doit être considérée comme une thématisation différente de la principale : (mon avis est que/à
mon avis), il va faire beau. C’est ainsi qu’il faut analyser selon (moi), d’après (moi), pour
moi, bien qu’il n’existe pas ici, comme avec avis, de relation morphologique avec une
construction actualisée. Notons enfin que, dans certains cas, la préposition peut être
postposée : durant (toute) sa vie, (toute) sa vie durant. Ces inversions s’observent dans : là
dessus, là contre.
Nous évoquerons encore quelques emplois prépositionnels qui posent des problèmes
d’analyse. Nous avons déjà signalé que les constructions symétriques permettent des
équivalences entre la conjonction et et la préposition avec : Marie et Jean se sont mariés ;
Marie s’est mariée avec Jean ; Jean s’est marié avec Marie. Cette propriété s’applique aussi
dans le cas de constructions qui ne sont pas à proprement parler symétriques : Paul s’est
promené avec Jean ; Jean s’est promené avec Paul ; Paul et Jean se sont promenés. Il existe
des prépositions qui introduisent des compléments de lieu et de temps : à Paris, à huit heures.
Ces constructions peuvent être ambiguës du fait que ces suites peuvent également figurer
derrière des prédicats : Nous sommes arrivés à Paris ; Nous remettrons la séance à huit
heures.
4. Prépositions prédicatives
Comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises dans les premiers chapitres, le prédicat
d’une phrase simple ne doit pas être identifié à la seule catégorie des verbes. Nous avons vu
qu’il existe des substantifs et des adjectifs qui ont cette fonction. A cette liste il faut ajouter
certaines prépositions. En tant que prédicats, ces prépositions génèrent des arguments. Par
exemple, la préposition contre dans : Paul est visiblement contre ces mesures a cette
propriété. Dans cette phrase, contre joue le même rôle que le verbe s’opposer à, qui a le
même schéma d’arguments. Cela veut dire que le verbe être doit être analysé comme un verbe
support qui actualise la préposition prédicative contre. Comme tout verbe support, il exprime
la temporalité : Paul était visiblement contre ces mesures, Paul sera visiblement contre ces
mesures. Ce support peut naturellement être effacé : Paul, visiblement contre ces mesures, a
émis un vote négatif.
Il est vraisemblable qu’il faille analyser de la même façon les prépositions traduisant la
localisation : Le livre est sur la table ; Les chaussures sont sous l’évier. Si cette analyse est
correcte, le verbe se trouver doit être considéré aussi comme un support. Certains verbes
semblent dériver d’une préposition prédicative : Dans ce classement, Paul est devant Luc ;
dans ce classement Paul devance Luc (Cf. Chap.3, §3). Nous analysons maintenant les
locutions prépositives dont le fonctionnement est plus complexe.
5. Locutions prépositives
La description des locutions prépositives est bien plus difficile à mettre en œuvre, dans
la mesure où elles représentent des suites plus diversifiées et ont un comportement plus
121
irrégulier. Nous verrons d’abord le bien-fondé de leur dénomination ainsi que leur fonction
syntaxique
Nous soulignons les différentes formes morphologiques que peuvent prendre les
locutions « prépositives » ou « conjonctives ». Nous verrons plus loin leurs différents statuts
syntaxiques.
a) Groupes nominaux avec une préposition introductrice : à force de, par rapport à, au
lieu de, à l’occasion de, à l’aide de, en raison de ;
c) Groupes nominaux avec un adjectif intensif : au fin fond de, en plein milieu de, en
plein cœur de, au beau milieu de, au plus fort de, au grand dam de ;
e) Groupes nominaux avec répétition du substantif : côte à côte avec, au coude à coude
avec, en tête à tête avec, face à face avec, nez à nez avec ;
g) Ablatifs absolus suivis d’une préposition : abstraction faite de, compte tenu de ;
i) Ablatifs absolus avec effacement du participe : à part les premiers, mis à part les
premiers
Ces structures ne sont pas rigides et peuvent subir certaines modifications. Tout d’abord,
il existe des transitions entre certaines formes. Ainsi, un ablatif absolu peut être mis en
parallèle avec une forme nominale : Tous sont venus, excepté Jean ; Tous sont venus, à
l’exception de Jean. Les locutions peuvent être soudées dans certaines conditions, comme
dans afin que. Cette soudure est cependant superficielle, car en présence d’un article, elle
disparaît : à telle fin que. Une même racine est susceptible d’avoir plusieurs réalisations
morphologiques : on trouve ainsi une forme nominale parallèlement à une forme adverbiale :
au contraire de, contrairement à ; au travers de N, à travers N. Certaines locutions font
l’objet de sous-structures par effacement d’un de leurs éléments constitutifs : au nez de <au
nez et à la barbe de, outre que< outre le fait que, par pluie<par temps de pluie. Quelquefois,
la locution comprend deux substantifs formant une structure binaire : au fur et à mesure de,
au nez et à la barbe de, au vu et au su de, aux risques et périls de, de part et d’autre de, en
lieu et place de. Enfin, il semble que certaines locutions soient issues de constructions
verbales avec effacement de ce verbe. Du fait de est issu de venir du fait de, à bonne distance
de exige un verbe de localisation être, se tenir, se trouver. Voici encore quelques exemples :
(être) à dos de, (être) à l’origine de, (se trouver) au chevet de, (tenir) au fait que, (figurer) au
nombre de, (confier qq chose) aux bons soins de, (avoir lieu) du vivant de.
Il existe un consensus sur l’analyse de la phrase suivante : L’orage d’hier soir a causé
de graves dégâts. Le verbe causer relie deux prédicats du premier ordre, en l’occurrence les
prédicats nominaux événementiels orage et dégâts (Cf. Chap.16). Causer est donc un prédicat
du second ordre. Cette construction syntaxique peut subir un certain nombre de
modifications. On peut, par exemple, utiliser la forme nominale du prédicat : L’orage d’hier
soir a été la cause de graves dégâts. On peut aussi mettre la phrase au passif : De graves
dégâts ont été causés par l’orage d’hier soir. Parallèlement, on peut avoir un passif nominal :
De graves dégâts (ont été, ont eu lieu) à cause de l’orage d’hier soir qui, après
transformation, est la source de : Il y a eu de graves dégâts, à cause de l’orage d’hier soir.
Prenons un autre exemple. On analyse traditionnellement la phrase suivante : Paul est
parti avec le désir de faire fortune comme une principale suivie d’une subordonnée finale,
introduite par la locution prépositive avec le désir de, que l’on peut paraphraser par pour :
pour faire fortune. En fait, la syntaxe de cette locution est très claire. Le substantif désir est
un prédicat nominal. Ici, ce substantif n’a pas d’actualisation propre mais hérite de celle du
verbe principal est parti. Ce prédicat peut cependant être actualisé de façon autonome grâce
au verbe support avoir : Paul est parti, il (a, avait) le désir de faire fortune. On peut
considérer avec comme une variante non actualisée de avoir. Ce prédicat nominal peut à son
tour être remplacé par la forme verbale correspondante : Paul est parti. Il (désire, désirait)
faire fortune. On voit que la racine désir- a comme sujet celui de la principale et comme objet
la phrase dite subordonnée circonstancielle de but. Les locutions conjonctives que nous
venons d’analyser sont donc des variantes de prédicats du second ordre, qui ont perdu leur
actualisation propre au profit de celle du premier prédicat, celui de la phrase appelée
proposition principale (Cf. Chap. 15).
Il existe un très grand nombre de séquences où le verbe être est suivi d'un groupe
prépositionnel Prép Dét N : être de bonne humeur, être à l'abandon, être en perte de vitesse.
Se pose le problème de savoir quelle analyse on doit proposer pour ces suites, en particulier,
on doit décider si le substantif a ou non le fonctionnement d’un groupe nominal. Si oui, le
verbe support est la suite être Prép (L. Danlos 1981). On aurait alors être de + bonne humeur,
être à + l'abandon, être en + perte de vitesse. Le découpage auquel nous venons de procéder
considère que c'est le substantif humeur est le prédicat et que être de est le verbe support.
Cette analyse se heurte à plusieurs difficultés. Nous avons vu qu'une construction à prédicat
nominal peut être ou non actualisée et que, dans ce dernier cas, le passage se fait par
l'intermédiaire d'une phrase relative. Or, la relative n'est pas possible avec les constructions
que nous envisageons : * la bonne humeur dont Paul est.
En conséquence, la réduction et l'effacement du support présumé être de ne le sont pas
non plus. La bonne humeur de Paul est, en fait, à relier à Paul (a de la, fait preuve de) bonne
humeur. Observons encore à l’abandon dans : Ce jardin est à l’abandon. Ici aussi, les
restructurations habituelles sont exclues : * l’abandon auquel est ce jardin, *ce jardin y est,
*l’abandon de ce jardin. Nous proposons une autre analyse. Le découpage que nous
suggérons ne met pas en jeu un support être Prép suivi d’un groupe nominal, mais le verbe
être suivi d'un groupe prépositionnel, qui est en fait un adjectif composé, ce que nous
appelons un adjectival. Nous appelons ces prépositions des formants d’adjectivaux. On
pourrait à leur sujet penser à la notion de « translation » de Tesnière (1959). Il est cependant
difficile de prédire leur emploi. Pourquoi dit-on à la mode et non pas de la mode, aux abois et
124
non dans les abois, dans le doute et non avec le doute ? Il serait d’un grand intérêt théorique
d’examiner si des propriétés syntaxiques ou sémantiques permettent de prédire la bonne
préposition. Certains cas peuvent dès à présent être résolus (cf. D. Leeman 1995).
S’il est un principe de grammaire généralement admis c’est celui qui distingue les
parties du discours. La tradition grammaticale, dès ses origines, s’est évertuée à définir un
nom par rapport un verbe et peu à peu par rapport aux adjectifs. Les dénominations mêmes
devaient traduire leur réalité profonde, presque leur essence. Ce n’est qu’avec la prise en
compte systématique de la syntaxe que les choses ont évolué et qu’on a mis en évidence le
fait que les catégories, si on les décrit avec minutie, constituent des ensembles hétéroclites
qu’il est quasiment impossible de réduire à l’unité.
Prenons un exemple illustrant un emploi de la préposition avec dans ce qu’on est
convenu d’appeler une locution subordonnée finale avec l’intention de : Paul est revenu avec
l’intention de se venger. Contrairement à ce qu’on prétend, cette phrase complexe n’est pas
constituée de deux phrases (une principale et une subordonnée) mais de trois, puisqu’il y a
trois prédicats : deux prédicats verbaux (revenir et se venger) et un prédicat nominal intention
(Cf. Chap. 15 et 16). Comme tous les prédicats nominaux, ce dernier peut s’inscrire dans le
temps à l’aide d’un verbe support, en l’occurrence avoir. On obtient la phrase : Paul est
revenu, il avait l’intention de venger, qui est rigoureusement synonyme de la première, à la
différence près qu’ici le prédicat nominal est actualisé. Quelles sont les différentes étapes de
cette modification ? Tout d’abord on peut supprimer le temps de ce prédicat nominal, qui
entre alors dans la sphère de celle du prédicat principal (est revenu). On obtient : Paul est
revenu, ayant l’intention de se venger. Cette forme garde l’aspect, puisque le participe peut
être accompli ou non (ayant, ayant eu) l’intention de se venger. Si l’on supprime maintenant
cette information aspectuelle, apparaît la préposition avec, que nous considérons comme la
forme non actualisée du verbe support avoir. Un autre exemple met en jeu un verbe
prédicatif. Soit la phrase : Cette fois, nous avons vu Paul qui (portait, avait) un chapeau ;
Cette fois, nous avons vu Paul avec un chapeau. Les verbes porter et avoir sont des prédicats.
La préposition avec joue ici un rôle similaire.
Une des difficultés de l’analyse automatique réside dans la multiplicité des emplois de
la plupart des prépositions. La nature des descriptions requises exclut que l’on postule, pour
telle ou telle préposition, un sens premier ou profond dont les autres dériveraient par des
mécanismes sémantiques très généraux que l’on pourrait percevoir hors de tout emploi. Nous
pensons au contraire que les diverses significations des prépositions sont fonction de leur
environnement syntactico-sémantique. Cette démonstration pourrait être faite à propos de
toutes les prépositions. Nous examinons ici, à titre d’exemple, deux emplois de la préposition
pour, dont l’un exprime le but : Paul a fait cela pour m’embêter et l’autre la cause : On l’a
condamné pour vol. Les relations entre but et cause ont été souvent décrites (G. Gross et M.
Prandi 2004). Le fait de savoir que le but est une cause finale ne permet pas de discriminer
automatiquement les deux emplois de pour dans les textes. Observons d’abord que la
préposition finale est parallèle à la conjonction pour que, qui est employée en cas de non-
coréférence du sujet de la principale et celui de la subordonnée : Paul a dit cela pour que tout
le monde se moque de Jean. Cette possibilité est exclue pour l’emploi causal. Le nombre, la
nature et la place des arguments sont différents. Dans l’emploi final, le verbe (ou plus
généralement le prédicat) désigne une action volontaire et consciente exclusivement, ce que
125
Nous examinons d’autres fonctions syntaxiques des locutions prépositives pour montrer
que la notion purement catégorielle de locution ne permet pas de rendre compte de leur
diversité syntaxique.
Plus de deux cents locutions prépositives ont un sens locatif. Les locutions peuvent être
classées selon que l’on a affaire à une localisation interne ou externe (A. Borillo 1988). La
localisation interne implique que le substantif de la locution désigne une partie d’un
objet donné : au dos de, sur le devant de, au revers de, au bout de N, à la face extérieur de N,
à la face intérieur de N, à la queue de, à la surface de, à la tête de, à la pointe de, à un bout
de N, au bas de N, au beau milieu de, au bord de N, au centre de N.
La localisation externe situe un objet par rapport à une scène ou un élément de repère :
à deux lieux de, à distance de, à droite de, à l’extrémité de N, à l’arrière de N, à l’autre bout
de N, à l’écart de N, à l’endroit de N, à l’intersection de et de, à la droite de N, à main droite
de, à main gauche de, à mi-hauteur de, à proximité de, au coin de (rue) et (rue), au coin de N,
au commencement de N, au côté de, en arrière de N, en arrière de N, en aval de, en marge de.
a) La temporalité interne, qui situe un événement dans le déroulement d’un autre événement :
à l’aube de, à la fin de, à l’issue de, au seuil de, en plein milieu de, au plus fort de, en plein
milieu du réveillon ;
126
b) La temporalité externe qui situe l’événement par rapport à un autre, considéré comme
repère. Cet événement peut avoir lieu avant (à la veille de), pendant (du temps de, à l’époque
de) ou après (à la suite de, au lendemain de) l’événement-repère.
c) Une date : à l’avènement de Louis XIV, au moment de la Révolution
Une étude plus approfondie relèverait plutôt de l’étude des compléments de temps que
de celle des locutions prépositives.
Il arrive souvent que les propos d’un locuteur dépendent des conditions dans lesquelles
il les tient et surtout du point de vue auquel il se place. Le locuteur peut, pour différentes
raisons pragmatiques, prendre des précautions oratoires pour replacer son discours dans les
conditions requises. Il dispose d’un assez grand nombre d’introducteurs thématiques. En voici
quelques-uns, traduisant le domaine abordé : dans le domaine de, dans le champ de, au
niveau de, en matière de, en fait de, sur le plan de, sur le chapitre de, dans le cadre de, dans
le paysage de, dans le contexte de, sur le sujet, sur l’objet, question de, ainsi que le point de
vue auquel il se place : du point de vue de, sous l’angle de. Reste le statut théorique de ces
unités. Il ne suffit pas de dire que ce sont des introducteurs. Ce terme n’est pas plus précis que
celui de connecteur, qui n’a pas de statut syntaxique précis. L’hypothèse que nous émettons,
c’est que les substantifs qui figurent dans ces locutions sont des variétés de locatifs,
arguments de verbes de position : (si on se place, si on se situe, si on se met) (dans le
domaine, sur la plan de, au niveau de, dans le cadre de) N. Les introducteurs thématiques
sont donc un sous-ensemble des constructions locatives. On peut parler à leur propos de lieux
abstraits.
Nous rappelons que nous ne faisons aucune distinction de nature entre une locution
prépositive et une locution conjonctive, comme nous l’avons justifié au début de ce chapitre.
Les propriétés du substantif fin sont exactement les mêmes dans afin de et afin que, que le
substantif fasse l’objet de contraintes syntaxiques comme fin ou soit libre comme dans peur :
de peur que, de peur de. Nous examinons, au Chap. 15, le statut des substantifs qui figurent
dans les locutions introduisant une circonstancielle. Nous les analysons comme des prédicats
nominaux d’un type particulier, des prédicats du second ordre.
127
Certaines locutions permettent de traduire l’aspect. Ces faits sont bien connus et nous
n’en donnons ici que quelques exemples. Ces locutions sont en fait des prédicats. Par
conséquent, elles peuvent dans la plupart des cas être précédées par le verbe être.
Imminence : être à l’article de (la mort), être au seuil de (la vieillesse), être aux portes
de (la gloire)
Inchoatif : être au début de (son règne), être au commencement de (ses études), être à
l’aube d’une (carrière remarquable)
Itératif : à force de, à chaque fois que, à chaque instant de, au fur et à mesure de
Conclusion
Les prépositions ainsi que les locutions prépositives sont une illustration claire et
évidente de la nécessité d’intégrer les différents niveaux que l’on sépare habituellement : le
lexique, la syntaxe et la sémantique. Les analyses que nous avons faites ont mis en évidence
que l’opposition entre mots lexicaux et mots grammaticaux correspond à une conception
essentiellement morphologique de la langue. Comme nous l’avons observé, il existe des
prépositions prédicatives et les prédicats ne peuvent pas être assimilés à des outils
128
grammaticaux mais constituent le noyau d’une prédication. A plus forte raison, il est exclu de
garder une dénomination comme « mot vide de sens ». D’autre part, les locutions prépositives
ou conjonctives ne forment pas une catégorie grammaticale spécifique. On ne peut pas les
assimiler à une classe de prépositions « composées », comme le sont les noms composés par
rapport aux noms simples. Nous avons montré que leur comportement syntaxique est divers.
On conclura que le vocabulaire ne peut à lui seul constituer le point de départ de l’analyse
linguistique. La syntaxe fait partie de la définition des lexèmes de façon constitutive. Toutes
les catégories grammaticales sont syntaxiquement ambiguës. C’est le cas des prépositions
simples et, à plus forte raison, des suites appelées locutions, qui constituent des réalités
linguistiques qu’on ne peut pas réduire à une seule classe. Pour rendre compte de leur
diversité, un travail systématique d’analyse s’impose, qui met en lumière le fait que la
dénomination traditionnelle constitue un obstacle à la découverte de leur fonctionnement
linguistique.
Lectures
Le Pesant, D., 2006, « Esquisse d’une classification syntaxique des prépositions simples du
français », Modèles linguistiques n°53, p.51-74.
Melis, L., 2003, La préposition en français, Paris, Ophrys.
Paillard, D., 2002, « Prépositions et rection verbale », TL, n°44, p.51-68.
Piot, M., 1988, « Conjonctions de subordination et figement », Langages, n° 90, Larousse,
Paris, p.39-56.
Spang-Hanssen, , E., 1963, Les prépositions incolores du français moderne, G.E.C. Gads
Forlag, Copenhague.
Tremblay, M., 1999, « Du statut des prépositions dans la grammaire », Revue québécoise de
linguistique, n°27, p.167-183.
Vaguer, C., 2007, « Bibliographie : prépositions et locutions prépositives », Modèles
linguistiques, n°55, Tome XXVIII-1, p.121-171.
Chapitre 8
Dans la définition des prédicats que Z. S. Harris a proposée dans les Notes du cours de
syntaxe (1976) figure explicitement le fait que ces lexèmes ont des arguments. Cette relation
n’est pas, dans son esprit, fonction des catégories grammaticales, mais des relations de
dépendance qu’un mot impose à d’autres. Nous avons vu, au chapitre précédent, que c’est le
cas, par exemple, de certaines prépositions. Il se trouve seulement que le critère dont il se sert
pour définir un prédicat (il nécessite la présence d’un substantif) permet d’inclure les
déterminants dans la classe des prédicats, puisqu’ils nécessitent eux-aussi la présence d’un
substantif, extension qui n’est pas souhaitable pour beaucoup de raisons. Nous pensons
qu’une autre propriété des prédicats, tout aussi définitionnelle de leur statut, est le fait d’être
soumis au temps, ce qui n’est pas le cas des déterminants. Si nous décrivons les prédicats à
l’aide de ces deux critères (schéma d’arguments et temps), nous éliminons les catégories
indésirables. Du coup, la conjugaison devient une des propriétés définitionnelles de la
prédication et cela d’autant plus qu’elle ne peut pas être étudiée indépendamment d’autres
éléments de la phrase, comme l’aspect et la détermination des arguments.
L’actualisation des prédicats comprend donc à la fois des indications de nature purement
temporelle (conjugaison) et des informations sur de propriétés sémantiques internes ou
externes au prédicats (aspects). L’actualisation fait appel à des moyens linguistiques différents
selon qu’on est en présence de verbes, de noms ou d’adjectifs. Nous allons étudier
successivement la conjugaison de ces trois types de prédicats.
Nous n’étudions pas dans le détail les temps verbaux. Ils ont fait l’objet d’un nombre
important d’études systématiques ou ponctuelles, tant du point de vue de la morphologie que
de leur emploi dans le discours (Ch. Touratier 1996 ; R. Martin 1988). Nous ferons cependant
deux remarques. La description systématique de la conjugaison verbale a précédé celle des
prédicats nominaux, à la fois pour des raisons matérielles (elle est plus facile à mettre au
point) et théoriques (la notion de prédicat nominal est récente). Les Arts de conjuguer ont une
perspective essentiellement morphologique : contrôler l’orthographe d’une forme verbale
donnée. Personne ne conteste l’utilité de ces manuels. Il se trouve seulement que leur
perspective surestime les régularités morphologiques. Nous verrons que les paradigmes
flexionnels dépendent non d’un verbe donné mais de ses emplois (Cf. Chap.2).
132
2.2. Défectivité
La conjugaison des verbes peut être prise en charge par des verbes auxiliaires. Nous ne
parlerons ici que de ceux qui indiquent le temps, les autres seront traités dans le cadre de
l’aspect, dont ils relèvent pour la plupart. Les trois verbes les plus fréquents sont aller, venir
de et être en train de. Les deux premiers traduisent respectivement ce que la tradition
grammaticale a appelé le futur proche et le passé récent. Cette interprétation est accentuée par
certains adverbes : Ils vont partir incessamment ; Ils viennent juste d’arriver. Le troisième
exprime une action dans son déroulement au moment de l’énonciation ou par rapport à un
autre événement. Ces verbes ont une interprétation composite. En plus de l’expression du
temps, ils apportent des informations supplémentaires de distance de l’événement par rapport
au temps du locuteur.
Nous ne comptons pas faire une description systématique des modes mais en souligner
quelques aspects. Les six modes traditionnels du français (indicatif, impératif, subjonctif,
133
conditionnel, infinitif et participe) n’ont pas tous le même statut. Pour ce qui est des deux
derniers, nous avons signalé, au Chap.3, qu’il s’agit de formes non actualisées du verbe, que
l’on rencontre quand une phrase élémentaire devient un argument. Ils jouent alors le même
rôle que la conjonction que suivie d’une phrase : celui d’être des indicateurs d’arguments
dans le cas de l’enchâssement ou d’une baisse de redondance en cas de coréférence du sujet
de la principale et de celui de la subordonnée.
Nous soulignons le fait qu’un mode doit être étudié dans le cadre syntaxique où il se
situe. Ainsi du subjonctif : il ne peut figurer dans une phrase indépendante, sauf à titre de
trace historique (Dieu sauve la Nation, Vive le Roi, Fasse le Ciel que tout se passe bien). En
français moderne, on ne le trouve que dans les subordonnées complétives ou
circonstancielles. Dans les complétives il est induit par la nature du verbe principal : Je sais
que Pierre viendra ; Je souhaite que Pierre vienne ou par certaines transformations
syntaxiques (négation, interrogation) : Je pense qu’il viendra ; Je ne pense pas qu’il (viendra,
vienne) ; Penses-tu qu’il (viendra, vienne) ?
On a souvent attribué un sens spécifique au subjonctif, celui de doute ou d’absence de
réalisation du prédicat de la subordonnée. Il est assez difficile de justifier cette hypothèse. Si
le subjonctif véhicule un sens spécifique de potentialité ou de non-réalisation dans : Je
souhaite que Paul vienne, pourquoi trouve-t-on alors l’indicatif dans : J’espère que Paul
viendra, à moins d’établir une distinction sémantique pertinente entre le souhait et l’espoir.
Une autre raison qui justifie le fait de considérer le subjonctif comme une forme ou une
variante morphologique de l’indicatif ne véhiculant aucun sens propre isolable est le fait que
les complétives-sujets sont toutes au subjonctif : Que Paul soit venu a été annoncé par la
presse, puisque le verbe principal situe l’action dans le passé ou dans des phrases comme :
Que Paul soit venu est un fait constaté de tous, où le sens du verbe principal exclut le
potentiel. Le subjonctif peut figurer aussi dans des phrases relatives mais dans des conditions
syntaxiques particulières : Je cherche un livre qui soit facile d’accès. Dans ce cas, l’indicatif
est également possible et le subjonctif, qui a donc un sens contrastif ici, est interprété comme
un futur : Je cherche un livre qui sera facile d’accès.
La conjugaison des prédicats nominaux est plus difficile à mettre au point que celle des
verbes, car elle n’est pas de nature suffixale (Cf. Chap. 5, §3). Rappelons que la conjugaison
verbale était à l’origine lexicale. Par exemple, certaines désinences verbales, en particulier
celle de l’imparfait – ais et celle du futur – ai, sont des résidus d’anciennes formes du verbe
avoir où la transformation de formes verbales pleines en suffixes change les propriétés de
l’unité suffixée : celle-ci perd sa signification propre, son autonomie syntaxique et ne
conserve que les indications temporelles réduites à des marqueurs morphologiques. On aurait
le droit ici de parler d’un verbe qui perd son statut et se vide sémantiquement (F. Brunot et
Ch. Bruneau 1949, p.353-356).
La conjugaison nominale n’a pas atteint, comme celle des verbes, le stade d’une
actualisation suffixale, qui la rendrait plus ou moins autonome de la nature sémantique des
prédicats. D’autre part, il n’existe pas, comme on pourrait le concevoir théoriquement, de
verbe support unique pour tous les noms prédicatifs, comme c’est le cas du verbe être pour les
prédicats adjectivaux. L’existence même des verbes supports a longtemps échappé à
l’attention des grammairiens, parce que ces verbes précèdent le prédicat nominal, du moins
pour les actions et les états et que donc, sur le plan strictement formel, il n’y a pas de
134
différence structurelle entre une phrase à prédicat verbal et une autre à prédicat nominal. De
fait, la pratique scolaire analyse comme identiques les deux phrases : Paul a donné un
bonbon à Jean et Paul a donné une gifle à Jean. On affirme que, dans les deux phrases, le
verbe donner a trois arguments : un sujet (Paul), un complément direct (respectivement
bonbon et gifle), un complément indirect second introduit par la préposition à (Jean). Mais
cette identité de surface cache en fait deux structures différentes.
Le complément direct bonbon est un substantif concret tandis que gifle est un abstrait.
Le déterminant est à peu près libre avec le substantif concret, tandis qu’il existe de fortes
contraintes sur le déterminant de gifle : les quantifieurs y sont possibles Paul a donné (deux,
trois, plusieurs) gifles à Jean, mais non le défini *Paul lui a donné la gifle ni certains
possessifs *Paul lui a donné (ma, ta, notre) gifle. La pronominalisation de bonbon est
naturelle : Ce bonbon, Paul l’a donné à Jean, ce qui n’est pas le cas avec gifle : ? Cette gifle,
Paul la lui a donnée. L’interrogation en que est naturelle quand elle porte sur le complément
concret mais non sur l’abstrait : Qu’est ce que Paul lui a donné ? Un bonbon, *Une gifle. Le
verbe donner peut être nominalisé dans la première phrase, c’est-à-dire quand il est prédicatif
mais non dans la seconde : Paul lui a fait don d’un bonbon ; *Paul lui a fait don d’une gifle
(sauf plaisanterie). Le complément en à N semble dépendre du substantif gifle dans la
seconde phrase, mais non de bonbon dans la première : la gifle de Paul à Jean ; *le bonbon
de Paul à Jean. Le substantif gifle est associé au verbe gifler, de sorte qu’en gros donner une
gifle est synonyme de gifler. On dira que le prédicat, i.e. le mot qui sélectionne les arguments,
n’est pas le verbe donner mais le substantif gifle.
La seconde phrase n’a donc pas trois arguments mais deux seulement, selon le schéma
suivant : gifle (Paul, Jean) et le verbe donner n’est pas un prédicat mais un verbe qui
conjugue le prédicat nominal gifle. Nous appelons ce type de verbes des verbes supports. Les
deux phrases sont donc différentes du point de vue de leur structure syntaxique.
Les prédicats nominaux ont une conjugaison qui leur est propre. Le fait qu’il s’agisse de
noms implique certaines conséquences. Un substantif est accompagné d’un déterminant, qui
joue ici un rôle majeur dans l’interprétation aspectuelle du prédicat (Cf. Chap. 9). Les
modifieurs adverbiaux qui accompagnent les verbes correspondent ici à des adjectifs. Or, le
nombre d’adjectifs est plus important que celui des adverbes. Si on combine tous ces
paramètres, on voit que la conjugaison des prédicats nominaux est plus riche que celle des
prédicats verbaux.
b) Il découle de là qu’un verbe support peut être effacé dans une phrase sans que celleci
perde son statut de phrase. L'actualisation seule sera absente. Cet effacement, appelé
réduction de verbe support, se fait par l'intermédiaire d'une phrase relative : Paul a donné une
gifle à Jean, la gifle que Paul a donnée à Jean, la gifle de Paul a Jean. Dans cette dernière
séquence, le prédicat gifle n'est pas inscrit dans le temps. On notera que cet effacement de
135
l'actualisation s'observe aussi avec les prédicats verbaux : on a alors une réduction infinitive :
J'ai entendu Paul qui descendait, j'ai entendu Paul descendre. Par contre, l'effacement du
verbe prédicatif supprime de facto la phrase, puisqu'il ne reste alors qu'une succession de
deux substantifs, dans le cas d'un prédicat verbal à deux arguments : *Paul Jean, après
effacement du prédicat dans : Paul a giflé Jean. Cette observation vaut pour la phrase simple.
Dans les textes, certains facteurs (baisse de la redondance en cas de coordination ou de
comparaison) peuvent entraîner l’effacement d’un prédicat. Mais celuici peut toujours être
rétabli grâce au contexte. L’effacement d’un verbe support est cependant conditionné par la
règle de l’identité aspectuelle du prédicat et du support. Le prédicat connaissance est un
prédicat duratif, ce qui est souligné par le fait qu’il est actualisé par avoir, qui est aussi de
nature durative : Paul a connaissance de cette situation. Comme il y a compatibilité entre les
deux termes, l’effacement du support n’enlève pas d’information à la phrase : Sa
connaissance de la situation. Mais un support inchoatif comme prendre ne saurait être effacé,
puisque cet effacement supprimerait l’inchoativité et changerait par là la signification du
message. Sa connaissance de la situation représente un message aspectuellement différent
de : Paul prend connaissance de la situation.
c) Les transformations morphologiques (nominalisation, adjectivation, "verbalisation")
sont le fait des prédicats. Les verbes supports ne peuvent pas faire l'objet d'un changement de
catégorie grammaticale. A preuve, les supports les plus importants être, faire, avoir, procéder
à, effectuer n'ont pas de forme nominale. En outre, quand un verbe est associé à une forme
nominale comme donner/don, tirer/tirage, exercer/exercice, cette forme nominale s’applique
à l’emploi prédicatif mais non au verbe support. Comme nous l’avons vu, donner est
prédicatif avec un complément concret (bonbon) et support avec un prédicat nominal (gifle).
C’est le premier emploi seulement qui peut avoir une forme nominale. On notera de même
l’impossibilité de la nominalisation du verbe support dans tirer une conclusion/*le tirage
d’une conclusion ; exercer des représailles/*l’exercice de représailles. Cette propriété a été
testée sur plusieurs centaines de verbes supports.
d) On a pensé pendant longtemps que les verbes supports avaient pour fonction d'être
des agents de nominalisation (J. Giry 1976). Le support faire permettrait ainsi au verbe
voyager de prendre une forme nominale voyage : Paul a voyagé, Paul a fait un voyage. Cette
fonction de nominalisation des verbes supports n'est pas une propriété définitionnelle, car il
existe à peu près deux fois plus de prédicats nominaux autonomes (c'estàdire non reliés à un
verbe) qu'il y a de déverbaux. Ces prédicats autonomes prennent un verbe support tout autant
que les déverbaux : Paul a fait un (voyage, tour) en Italie, Paul a fait une (réponse, sottise).
De ce point de vue, l'existence d'un verbe associé est un problème morphologique que l’on ne
peut pas cependant considérer comme accidentel, dans la mesure où les prédicats nominaux
permettent d’exprimer l’aspect à l’aide de moyens plus riches.
e) Comme les verbes supports actualisent les prédicats nominaux, ils prennent de plus
en charge les informations aspectuelles qui peuvent les caractériser. De ce fait, on ne peut pas
isoler l'étude des supports de tous les autres éléments qui permettent de traduire l'aspect. Par
rapport au support faire, un verbe comme entamer traduit une valeur inchoative et multiplier
une valeur itérative : Paul fait une tournée de conférences, Paul entame une tournée de
conférences ; Paul a fait une bêtise, Paul accumule les maladresses.
Nous avons subdivisé les prédicats nominaux en trois grandes classes, que nous avons
appelées hyperclasses. Le premier embranchement est celui qui distingue les actions des états
et des événements. A chacune de ces hyperclasses correspondent respectivement des supports
très généraux comme faire, avoir et avoir lieu :
Une grande part des prédicats nominaux de chacune de ces trois classes peut être
conjuguée de la sorte. Mais ces verbes supports, que nous appellerons généraux, ne
conviennent pas à d’autres prédicats. On est donc contraint, si l’on veut mettre au point des
descriptions reproductibles, de subdiviser ces dernières en classes sémantiques plus fines.
Les actions ne prennent pas toutes le support faire. C’est le cas, par exemple, des
prédicats de <coups> (Cf. Chap.5, §9), qui, tout en désignant incontestablement des actions,
sont actualisés par le support donner : (*faire, donner) une claque à Nhum. De même, faire
est très peu naturel avec les actions techniques : celles-ci prennent procéder à (? faire,
procéder à) le tirage au sort du gagnant ; (*faire, procéder à) l’arrestation du meurtrier.
Comme on le voit, il convient de mettre au point autant de sous-classes sémantiques de
substantifs d’actions qu’il est nécessaire pour pouvoir leur assigner le support adéquat. La
description est donc en partie un problème empirique, mais c’est une étape indispensable.
Parmi ces supports, certains sont strictement appropriés à une sous-classe et autorisent
ou non un support basique. Le premier cas est celui des prédicats de <fautes> ou de
<méfaits>, dont le support basique est faire et le support approprié commettre : Paul a (fait,
commis) une faute. On aura de même donner et flanquer une gifle ; faire et mener une
recherche ; avoir et éprouver un sentiment. Le substantif conclusion, lui, n’a pas le support
général faire, il ne prend que tirer, qui lui est strictement approprié : Luc en a conclu qu’il
avait tort ; Luc en a tiré la conclusion qu’il avait tort. Nous énumérons dans ce qui soit
quelques classes d’actions, en précisant pour chacune d’elles les supports qui leur sont
appropriés.
Nous ne mentionnons que quelques classes d’états. Nous décrivons ce type de prédicats
plus en détails au Chap. 13. Nous donnons ici quelques exemples pour illustrer le fait que, là
encore, les supports sont déterminés par les classes sémantiques des prédicats qu’ils
actualisent.
Propriétés définitionnelles :
Avoir : un triangle a trois côtés
Propriétés duratives :
Avoir : Paul a un caractère serein ; Paul a une grande taille
Posséder : Paul possède de grandes qualités
Souffrir : Paul souffre d’asthme
Respirer : Paul respire la santé
Connaître : La Chine connaît une grande prospérité
Etats transitoires :
Avoir : Paul a un coup de barre
Accuser : Paul accuse la fatigue
Ressentir : Paul a ressenti une grande joie
Eprouver : Paul éprouve un sentiment de soulagement
Afficher : Paul affiche un teint éclatant
Présenter : Paul présente des symptômes inquiétants
Etats situationnels :
Avoir : Paul a du retard
Accuser : Le train accuse un retard d’une heure
Etats résultatifs :
Porter : Paul porte une blessure au bras
A la différence des actions et des états, les événements correspondent à une structure
syntaxique spécifique. Le prédicat nominal figure en position de sujet : Ce drame a eu lieu la
semaine dernière et non en position d’objet, comme c’est le cas des actions : Le président a
tenu une conférence de presse.
Les verbes supports généraux des événements sont : avoir lieu, arriver, il y a. Comme
pour les autres hyperclasses, ces supports généraux s’appliquent à un grand nombre
d’événements. Pour rendre compte des autres supports d’événements, nous aurons recours à
une classification des événements que nous expliquerons au Chap.11.
Il existe pour les événements fortuits, c’est-à-dire ceux qui sont le fait du hasard, un
grand nombre de supports événementiels. A titre d’exemple, nous ferons précéder chaque
support d’un substantif adéquat. Souvent la forme impersonnelle est plus naturelle que la
construction de base :
(cérémonie) se dérouler
(championnat) se disputer
(spectacle) être donné
(assises) être réunies
existe des verbes supports spécialisés dans l’expression des valeurs aspectuelles. Les
supports aspectuels constituent eux aussi des amalgames : ce sont des indicateurs aspectuels,
mais ils portent en même temps des informations temporelles. Dans : Il a débuté une tournée
de conférences, il s’agit du début d’une action, qui est située dans le passé. Voici une rapide
typologie de l’aspect.
a) L'aspect itératif
L’aspect itératif, qui spécifie le nombre de fois qu’un procès a (a eu, aura) lieu, peut être
traduit à l’aide de plusieurs moyens lexicaux. Tout d’abord, par des adverbiaux comme pour
les constructions verbales : Il a posé cette question une seconde fois, il pose souvent cette
question. Le suffixe – re peut précéder le verbe support : Cet enfant a refait la même bêtise ;
Il a reposé cette question. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’itérativité peut être
prise en charge par des adjectifs : Luc fait de fréquents voyages en Asie ; Luc pousse de
continuels soupirs. Cependant, nous mettons l’accent ici sur les supports spécialisés dans
l’expression de l’itérativité. Ceux-ci dépendent de la nature du prédicat : action, état,
événement. Pour ce qui est des actions, on a d’abord le cas de verbes comme réitérer et
renouveler, dont la première syllabe ne peut pas être considérée comme un préfixe autonome :
Luc a lancé un appel à Paul/Luc a (réitéré, *itéré) son appel à Paul ; Luc a fait une demande
au ministère/Luc a (renouvelé, *nouvelé) sa demande au ministère. Les prédicats du dire ont
plusieurs supports itératifs appropriés : Luc a donné des conseils à Paul/Luc a ressassé ses
conseils à Paul ; Luc a (donné, adressé) un avertissement à Paul/Luc a rabâché ses
avertissements à Paul/Luc a seriné des avertissements à Paul.
Les supports itératifs qui viennent d’être donnés gardent la syntaxe de la phrase de
départ. Il existe une autre construction qui implique un changement dans la structure de la
phrase. Ainsi, à côté de : Paul a donné beaucoup de conseils à Jean, où le complément Jean
est formellement un datif, il y a une phrase comme : Paul a inondé Jean de conseils, où ce
nom est à l’accusatif. Ces verbes sont très nombreux : bombarder qq de questions, rouer qq
de coups, inonder qq d’informations. Il existe aussi des supports itératifs de prédicats d’état :
Il reprend des forces, et d’événements Les symptômes se renouvellent ; Les fautes fourmillent
dans ce texte ; La guerre se rallume.
b) L’aspect intensif
c) L'aspect inchoatif
L’aspect inchoatif, qui n’est possible qu’avec les prédicats duratifs, traduit le début du
procès. Il est parallèle aux aspects progressif et terminatif. Nous n’indiquons ici que les
verbes supports traduisant ces différents aspects et non les verbes auxiliaires, qui sont
communs aux constructions verbales et nominales. Si on examine les deux verbes suivants :
Paul (commence à, entreprend de) étudier la vinification, on constate qu’ils sont en fait des
auxiliaires opérant non sur le prédicat nominal à proprement parler mais sur l’ensemble qu’il
140
forme avec son actualisateur faire : Paul (commence à, entreprend de) faire une étude sur la
vinification, ce qui n’est pas le cas d’entamer : *Paul entame de faire une étude sur la
vinification, Paul entame une étude sur la vinification. Seul entamer est donc un support.
La nature du support inchoatif dépend de la classe (ou sous-classe) sémantique du
prédicat. Voici quelques exemples de prédicats d’actions : Luc (fait, esquisse) un geste de
protestation ; Luc (fait, amorce) un geste ; Luc (a, entame) des négociations avec Paul ; Luc
(fait, débute) un tour de chant ; Luc (traite, aborde) un sujet délicat ; Luc (fait, ébauche) un
plan de la ville. Les événements ont des verbes inchoatifs spécifiques : Le malheur affleurait
déjà ; Des signes inquiétants apparaissaient ; L’orage a éclaté aussitôt ; Des difficultés ont
jailli.
d) L'aspect progressif
Il y a souvent des malentendus sur la nature de cet aspect. En fait, il peut s’agir de deux
réalités différentes. D’une part, le fait pour tout procès duratif de continuer son cours ou de
l’autre, pour des prédicats duratifs scalaires, d’augmenter ou de diminuer d’intensité. Ici
encore, on prendra soin de ne pas confondre les auxiliaires aspectuels et les supports. Pour ce
qui est du « continuatif », le verbe continuer est un auxiliaire : Luc continue sa dissertation ;
Luc continue de faire sa dissertation. En revanche, poursuivre est un support : Luc fait
l'ascension du Mont Blanc, *Luc poursuit de faire l'ascension du mont Blanc, Luc poursuit
(l’, son) ascension du mont Blanc ; Luc fait un travail sur les fleurs, Luc poursuit son travail
sur les fleurs. Il en est de même pour maintenir : Luc exerce une grande pression sur ses
subordonnés, Luc maintient sa pression sur ses subordonnés. Les prédicats d’état ont des
continuatifs propres : Paul a du sang-froid, Paul (garde, maintient, conserve) son sang-froid.
C’est le cas aussi des événements : La séance se poursuit ; Les troubles subsistent ; La
pression se maintient ; Le froid (dure, perdure).
D’autre part, il existe des prédicats qui combinent la durativité avec la notion de
scalarité. C’est le cas d’un prédicat d’événement comme froid : Il fait froid ; Le froid devient
plus intense ; Le froid s’accentue mais non de être en marche : Le moteur est en marche, *Le
moteur est de plus en plus en marche. L’intensité peut être traduite par une foule de moyens
linguistiques (adverbes, adjectifs, adverbiaux, etc.). Nous n’évoquons ici que les verbes
supports. Nous séparerons les augmentatifs des diminutifs. Les augmentatifs peuvent être
illustrés par des exemples comme : Cette tendance se confirme ; Le danger croît ; La rumeur
enfle ; L’épidémie se développe. Les diminutifs correspondent à : La fièvre baisse,
L’ignorance régresse, Le vent fléchit, L’orage se calme.
e) L'aspect terminatif
On ne confondra pas non plus les auxiliaires d’achèvement avec les véritables supports.
Ainsi finir doit être considéré comme un auxiliaire aspectuel et non un verbe support : Luc
finit son travail ; Luc finit de faire son travail. Il en est de même pour achever : Luc achève
son travail ; Luc achève de faire son travail. Mais interrompre est un support : *Luc a
interrompu de faire son travail ; Luc a interrompu son travail, de même que suspendre : Luc
a suspendu les hostilités contre ses voisins.
Il existe des verbes terminatifs spécifiques pour les états : Luc a de la bonne humeur,
*Luc a perdu de la bonne humeur, Luc a perdu (E, de) sa bonne humeur, Luc a perdu la
bonne humeur qu'il avait et pour les événements : Le combat s’est arrêté ; La séance se
termine ; Le processus est arrivé à sa fin ; Le (brouillard, malentendu) se dissipe.
141
f) L'aspect télique
Parmi les locatifs, il en est qui sont « orientés », i.e. destinés à être atteints, comme un
but, une ligne d’arrivée, une destination. Le verbe qui leur est approprié est le verbe
atteindre : Ils ont atteint le sommet de la montagne. Par métaphore, certains prédicats ont
cette possibilité, en particulier les qualités qu’on est censé rechercher. Ces propriétés peuvent
être envisagées du point de vue statique : Luc est d'une grande sérénité, Luc a une grande
sérénité. L’emploi télique implique le verbe atteindre : Luc a atteint la sérénité. On a encore
des verbes comme trouver : Luc a trouvé la paix à la fin de sa vie.
Pour un prédicat nominal donné, on peut observer souvent plusieurs supports différents.
Ces variantes sont de nature diverse. Elles apparaissent dans des constructions identiques ou
dans des phrases ayant subi des restructurations.
Pour une même classe sémantique de prédicats, il existe souvent, à côté du support le
plus naturel, le plus fréquent, que nous désignons par le terme de support de base, un grand
nombre de formes supplétives, appelées variantes, qui relèvent de niveaux stylistiques
différents. Un des cas les plus connus concerne le support donner avec les prédicats de
<coups> : donner une claque : administrer, allonger, décocher, filer, flanquer, foutre. A côté
de pousser, les prédicats de <cris> sont aussi actualisés par lancer, émettre, jeter, lâcher. Si
l’on a comme objectif de générer toutes les phrases possibles, il est indispensable de noter
pour chaque classe toutes les variantes. Une discrimination entre elles exigerait une
description sémantique plus fine, mettant en jeu la notion de niveau de langue.
Parmi les divers supports, il en est qui sont de nature métaphorique. En voici quelques
exemples. On peut évidemment les classer parmi les supports appropriés :
a) actions : coller une gifle, négocier un virage, jeter un cri, lancer un regard
b) états : nourrir un sentiment, porter une responsabilité, afficher une santé
éblouissante
c) événements : pleuvoir (sanctions), planer (doute), gronder (révolte), crépiter (coups
de feu)
5. Corrélation entre verbes supports et détermination prédicat nominal
Nous avons analysé de façon autonome les divers moyens d'actualisation des prédicats
nominaux. Il va de soi que, dans une phrase donnée, tous ces éléments sont intégrés. La thèse
que nous défendons, c'est que l'actualisation est un phénomène qui caractérise la phrase toute
entière. Le choix d'un prédicat donné exclut d'office certains aspects qui sont incompatibles
avec lui. Nous avons noté plus haut que les déterminants ne peuvent être étudiés dans le seul
cadre du groupe nominal. Cette observation s'applique également aux prédicats nominaux,
dont la détermination dépend à la fois de leur nature sémantique et du verbe support. Le
142
prédicat voyage a des déterminants assez variés s'il est actualisé par le support faire (faire un,
ce, des, etc.). Avec un support terminatif comme achever, les déterminants indéfinis sont
impossibles ; sont autorisés les définis ou les possessifs : Paul a achevé (ce, son) voyage. Ces
observations mettent en lumière le rôle des déterminants dans l'actualisation des prédicats
nominaux. Le fait que le pluriel et les quantifieurs puissent traduire l'itération est une
remarque banale : Luc fait des bêtises, J'ai fait à Luc trois recommandations. Mais cet aspect
peut aussi être pris en charge par certains emplois du possessif : Cet enfant a reçu sa gifle,
Luc a pris sa cuite. Certains déterminants traduisent l'intensif : Luc a un des ces rhume(s) !
Quel rhume il a !
Les verbes supports ne sont qu’un des éléments de l’actualisation des prédicats
nominaux. Les étudier séparément en privilégiant le couple prédicat nominal/verbe
support consisterait à ignorer l’unité fonctionnelle de tous les lexèmes qui participent
à la conjugaison de ces prédicats. Mais si on pense à l’actualisation des prédicats
nominaux comme à un ensemble, on se donne comme objectif de mentionner toutes
les paraphrases possibles. Voici quelques exemples qui illustrent cet objectif.
Itérativité :
Inchoativité
Il a chopé la grippe
Il a attrapé la grippe
Progressivité :
Ces paraphrases, qui sont loin d’être exhaustives, n’ont pas la même valeur
expressive ni la même fréquence. Elles constituent cependant des équivalents
sémantiques et doivent être recensées, si l’on envisage un jour de faire de la
génération automatique.
Nous décrivons ici des supports qui sont observés dans des restructurations de
constructions élémentaires. Nous examinerons les constructions passives et réciproques.
7.1. Le passif
Les phrases à prédicat nominal, tout comme les phrases verbales, sont susceptibles de
restructurations. Le passif verbal est habituellement analysé comme le résultat de la
thématisation de l’objet : Paul a autorisé Jean à sortir; Jean a été autorisé par Paul à sortir.
Ce changement de perspective s’observe aussi avec les prédicats nominaux. La phrase active
parallèle prend le support donner : Paul a donné à Jean l’autorisation de sortir. C’est le
support recevoir qui permet la thématisation de l’objet et l’on obtient un passif nominal :
Jean a reçu de Paul l’autorisation de sortir. Il existe une dizaine de supports qui permettent
cette modification : donner/recevoir (autorisation) ; faire/recevoir (compliment) ; faire/subir
(vexation) ; infliger/subir (camouflet) ; exercer/subir (pression) ; procéder à/faire l'objet de
(nettoyage). De la même façon, le nombre de variantes est important ici : bénéficier de (prêt),
écoper de (punition), encaisser (coups), endurer (souffrance), essuyer (échec, défaite), être
l’objet de (critiques), obtenir (subvention), palper (subvention), prendre (gifle, coup),
ramasser (coups), subir (choc). Nous considérons ces constructions comme des passifs
nominaux.
144
Supports identiques
Actions :
Adopter une attitude/adottare une attegiamento
Commettre un crime/commettere un delitto
Donner un ordre/dare un ordine
Emettre un cri/emmettere un grido
Caresser un rêve/accarezzare un sogno
Faire une description/fare una descrizzione
Pratiquer une opération/praticare una operazione
Etats
Accuser la fatigue/accusare la stanchessa
Brûler d’amour/ardere d’amore
Avoir peur/avere paura
Eprouver de la joie/provare gioia
Nourrir de l’amour/nutrire amore
Porter un nom/portare un nome
Evénements
Avoir lieu/avere luogo
Courir un danger/correre un pericolo
Deux supports italiens pour un support français :
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Les supports reposent sur des métaphores différentes :
Supports différents :
La notion de verbe support ainsi définie est d’une grande importance dans l’architecture
générale de l’analyse syntaxique, car elle permet :
Jean a donné une réponse, la réponse que Jean a donnée, la réponse de Jean
d) d’analyser le possessif :
Luc a faim, la faim que Luc (a + avait + aura + a eue), la faim de Luc, sa faim
Luc a le désir de réussir, le désir que Luc a de réussir, le désir de Luc de réussir, son
désir de réussir
Je connais la réponse que Luc a donnée, Je connais la réponse de Luc, Je connais sa
réponse
e) d’expliquer la formation des locutions conjonctives (Cf. Chap.15) :
146
Luc a dit cela : il avait le but de convaincre, Luc a dit cela avec le but de convaincre
Luc a dit cela : il avait le désir de convaincre, Luc a dit cela avec le désir de convaincre
10. Actualisation des adjectifs
L’actualisation des adjectifs est bien moins complexe que celle des verbes et des
substantifs prédicatifs. Il s’agit essentiellement du verbe être : Ce livre est intéressant. On
prendra garde que le verbe sembler n’est pas un support malgré sa position : Ce livre semble
intéressant, car il implique l’effacement de être : Ce livre semble être intéressant. Cela vaut
aussi pour paraître. Deux autres verbes font partie de l’actualisation des adjectifs : le verbe
devenir qui traduit un changement d’état (devenir agressif) et rester ou demeurer qui
traduisent la permanence dans l’état. S’il s’agit d’adjectivaux, c’estàdire de locutions
adjectivales, d’autres formes sont possibles être/se tenir à l’écart ; être/se maintenir en forme.
On verra que les substantifs traduisant des états ont un nombre de verbes supports bien plus
élevé.
11. Actualisation des prépositions
Nous avons signalé au Chap. 6 que certaines prépositions sont de nature prédicative.
Comme tous les prédicats, ils ont une conjugaison, que nous allons évoquer rapidement. Les
prépositions locatives statiques ont comme support être ou se trouver : Le livre est sur la
table ; Le cartable se trouve (sous, à côté de) l’armoire. Les prépositions traduisant un
comportement à l’égard d’autrui acceptent être : Je suis (pour, contre) (Jean, cette solution).
On peut considérer comme extension du support être des verbes comme se prononcer : Paul
s’est prononcé contre cette solution. Quand la préposition désigne un rang dans une série, le
verbe être peut être remplacé par le statique figurer ou le dynamique venir : Dans l’ordre
alphabétique la lettre A (est, figure, vient) avant la lettre B. La préposition entre accepte à
côté de être le verbe s’étendre : La plaine d’Alsace (est, s’étend) entre les Vosges et la Forêt
Noire.
Conclusion
La conjugaison des prédicats est fonction de leur catégorie grammaticale. Verbes, noms
et adjectifs ont des moyens spécifiques pour traduire la temporalité : affixes temporels ou
verbes supports. Mais, dans les trois cas, la conjugaison s’applique à des emplois prédicatifs :
une même forme verbale peut avoir deux conjugaisons différentes, comme nous l’avons vu
dans le cas du verbe regarder dont la conjugaison n’est pas la même selon qu’on a affaire au
verbe de perception (regarder un match) ou à l’emploi synonyme de concerner (cela ne te
regarde pas). Il en est de même du substantif prédicatif regard, qui prend le verbe support
jeter dans l’emploi de prédicat de perception (Il a jeté un regard dans notre direction) et
avoir dans le cas du prédicat descriptif (Paul a un regard triste). Ce qui vient d’être dit a pour
conséquence qu’il faut une description des différents emplois des prédicats, si l’on veut les
conjuguer de façon automatique. D’autre part, la conjugaison n’est qu’un aspect de
l’actualisation des prédicats, qui comprend en outre des adverbes de temps, des adjectifs ou
adverbes marqueurs aspectuels, des déterminants dans le cas des prédicats nominaux, etc.
L’actualisation d’un prédicat nécessite qu’il y ait compatibilité aspectuelle enter tous des
éléments.
148
Lectures
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Brunot, F. et Bruneau, Ch., 1949, Précis de grammaire historique de la langue française,
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français », Langue Française n°87, Larousse, Paris, p.11-22.
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Danlos, L., 1988, « Les phrases à verbe support être Prép », Langages n°90, Paris, Larousse.
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Revues
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spécial de Linguisticae Investigationes, Tome XXVII, fasc. 2.
Ibrahim, A. H., (éd) 2010 : Supports et prédicats non verbaux dans les langues du monde,
Cellule de Recherche en Linguistique, Paris.
150
151
Chapitre 9
Les déterminants
Un schéma d’arguments, comme lire (enfant, livre), ne constitue pas une phrase que l’on
peut trouver dans un texte. Le passage de ce schéma à une phrase réelle nécessite deux
opérations : la linéarisation et l’actualisation. La première consiste, pour des langues
analytiques comme l’anglais et le français, à placer les arguments de part et d’autre du
prédicat, de sorte que leur place rende compte de leur fonction : le sujet est à gauche et les
compléments à droite, du moins dans la phrase élémentaire. La linéarisation se traduit de
façon différente dans les langues flexionnelles comme le latin ou le grec. Ce sont les cas qui
prennent en charge les fonctions argumentales : le nominatif caractérise le sujet et les autres
cas les compléments. Les relations syntaxiques sont ainsi indépendantes de l’ordre des mots.
152
Des langues comme l’allemand participent des deux systèmes, ce qui donne aux arguments
une certaine liberté de position.
La détermination des substantifs dépend de leur fonction syntaxique dans la phrase.
Pour les substantifs en position d’arguments, les restrictions portant sur la détermination ne
sont pas aisées à établir hors de l’opposition massif/comptable. Aucune étude d’ensemble n’a
été réalisée pour confirmer ou infirmer l’opinion selon laquelle leurs déterminants y sont plus
ou moins libres. Ainsi le substantif pain n’a pas le même déterminant selon que le verbe est
vendre ou aimer : Ici on vend du pain ; *Ici on aime (du, le) pain. Les restrictions sont
beaucoup plus fortes dans le cas des prédicats. Il est quasiment impossible de faire figurer
dans un dictionnaire-papier l’ensemble des déterminants que peut prendre un nom prédicatif
donné. L’établissement de cette liste dépend de plusieurs paramètres. D’abord du type
sémantique de prédicat nominal : les prédicats d’états acceptent difficilement l’article
indéfini : ?Paul a une gentillesse. Ensuite, il faut noter une corrélation entre le déterminant du
substantif prédicatif et la nature de la préposition qui introduit le complément du prédicat
nominal. Le prédicat admiration a un complément en pour avec le support avoir : avoir de
l’admiration pour N et un complément en de avec la construction adjectivale : être béat
d’admiration devant N. Nous proposons, dans un premier temps, une classification des
déterminants du français. Nous tenterons ensuite de mettre au point une combinatoire en
fonction des différents paramètres que nous venons d’évoquer. Les déterminants eux-mêmes
peuvent être subdivisés en déterminants affirmatifs, négatifs, interrogatifs et exclamatifs.
Nous allons les décrire successivement.
2. Déterminants affirmatifs
Nous passons d’abord en revue les déterminants affirmatifs, qui regroupent sept classes
différentes : les quantifieurs, les définis, les indéfinis, le partitif, l’article zéro, les génériques
et les intensifs.
a) Les cardinaux : un, deux, trois, cent, mille. Ces déterminants accompagnent des noms
comptables. Il existe, cependant, un assez grand nombre de groupes nominaux figés, où la
lecture compositionnelle de ces déterminants est bloquée : voir trente-six chandelles, faire les
quatre cents coups, mille mercis, etc. Les déterminants cardinaux sont souvent accompagnés
d’adverbiaux spécifiques qui les modalisent : vers les 10 heures, dans les mille francs, aux
environs de 300 personnes, pas moins de 3 contraventions, de l’ordre de grandeur de 2%, au-
delà du chiffre fatidique de 4000 morts par an.
c) Les adverbiaux : beaucoup de, peu de, assez de, trop de. Il faut ajouter un certain
nombre d’adverbes en – ment : énormément de, vachement de, etc. L’ensemble comprend
plusieurs centaines d’éléments.
d) Les déterminants nominaux quantifieurs : une foule de, un tas de, (une grande)
quantité de. Le nombre de ces substantifs est de l’ordre de 3.000. Ils correspondent à 15
classes sémantiques homogènes et bien délimitées (cf. P.-A. Buvet 1993). N1 représente le
substantif qui figure dans le déterminant nominal.
Classe 1 : N1 est un nom de nombre Classe 6 : N1 est une monnaie
Luc a lu une dizaine de livres dans la Luc a volé (pour) cinq francs de bonbons
semaine Luc a acheté cinq mille dollars de SICAV
Plusieurs milliers d’élèves ont contracté
cette maladie Classe 7a : N1 est un contenant
Luc a pêché un plein filet de soles
Classe 2 : N1 est une unité de mesure de Luc a mangé plusieurs assiettes de petits
longueur pois
Luc achète trente centimètres de ruban
pour Léa Classe 7b : N1 est un nom suffixé en -ée
Luc a vendu trente mètres de corde Luc a bu trois bolées de cidre
Luc a livré plusieurs charretées de foin à
Classe 3 : N1 est une unité de mesure de Max
surface
Luc a acheté trois mètres carrés de Classe 8 : N1 désigne une surface :
moquette L'arbitre est sifflé par tout un gradin de
Luc a bêché un hectare de jardin supporters
Luc commande un plateau d'huîtres
Classe 4 : N1 est une unité de mesure de
masse Classe 9 : N1 est un support d’informations
Luc a livré trois tonnes de gravier Luc apprend trois pages de formules
Luc met deux cents grammes de sucre dans Luc a tapé une disquette de données
la pâte
Classe 10 : N1 est un collectif
Classe 5 : N1 est une unité de mesure de
Luc surveille trois régiments de zouaves
volume Luc suit une meute de loups
Luc a analysé trois décimètres cube de
sang Classe 11 : N1 est une forme
Luc a bu un litre de vin
Luc a attrapé trois grappes de raisins
Luc a mangé trois boules de glaces
155
Classe 12a : N1 désigne une partie d’un Luc a deux minutes de repos
tout Classe 14 : N1 est un substantif déverbal
Luc a mangé trois morceaux de gâteaux de nature itérative
Luc commande une part de tarte Luc remarque une accumulation de fautes
Luc a entendu une succession de coups
Classe 12b : N1 désigne une fraction
Luc a fait un tiers du chemin Classe 15 : N1 constitue un déterminant
Les actionnaires ont touché un dixième des figé
bénéfices Luc a fait une montagne de fautes
d'orthographe
Classe 13 : N1 est un nom de temps Luc observe une nuée de sauterelles
Luc a trois heures de retard Luc a vu une kyrielle de voitures sur la
Luc a fait une demi-heure de natation route
Nous classons, dans cette rubrique, quatre types de déterminants qui correspondent à des
questions en qui ? Ils permettent d’identifier un élément ou d’y référer quand il est déjà connu
de l’interlocuteur. Nous distinguerons :
a) Les démonstratifs : ce, cette, ces. Le démonstratif a deux emplois assez différents.
Le premier, qu’on appelle déictique, accompagne le geste de quelqu’un qui désigne du doigt
un objet qu’il veut signaler à un interlocuteur : Donnez-moi cette clé. Le second emploi
renvoie à un référent déjà identifié dans la situation ou dans un contexte : Tu te souviens de ce
type ? (anaphore) ou encore annonce une information à venir (cataphore) : Il a parlé dans ces
termes : « Le monde changera de face… ».
b) Les possessifs : mon, ton, son, vos, etc. L’attribution des possessifs à la classe des
déterminants est un fait récent, qui ne rend pas compte cependant de la nature syntaxique
réelle de ces éléments. Si le substantif qui suit est un prédicat, alors le possessif peut être
analysé comme un argument-sujet : Paul a fait un voyage, le voyage que Paul a fait, le
voyage de Paul, son voyage ou un argument-objet : On a procédé à l’exécution du condamné,
l’exécution du condamné à laquelle on a procédé, l’exécution du condamné, son exécution. Si
le substantif est un concret, alors le possessif peut désigner le sujet d’un verbe comme
posséder : son vélo = le vélo qu’il possède. Pragmatiquement, beaucoup d’autres lectures sont
possibles : le vélo dont il parle tout le temps, le vélo qu’il a envie d’acheter, etc.
Parallèlement, il existe des emplois figés qui ne peuvent faire l’objet d’aucun
calcul syntaxique : prendre son pied, jeter sa gourme.
c) Le défini : le, la, les. L’expression de l’anaphore est l’emploi le plus fréquent de
l’article défini. Il réfère à un substantif qui figure dans l’environnement de gauche et qui est
connu de l’interlocuteur. Il existe aussi un emploi cataphorique : On procède de la sorte :
d’abord on pèle les fruits, ensuite on les fait bouillir, enfin on les met dans des bocaux de
verre. Trois autres interprétations sont possibles : un sens déictique : Il est impoli de se
comporter de la sorte, possessif dans le cas du réflexif : Pierre s’est lavé les cheveux, Paul a
perdu la vue ou anaphorique : Ce village est ancien : l’église est romane.
Morphologiquement, le déterminant le peut être amalgamé aux prépositions à et de : au, aux,
du, des.
156
d) Le déterminant le-Modif. Cette suite ne figure pas comme telle dans les grammaires
classiques. Or, il est facile de montrer que le modifieur (en gros une relative, un complément
de nom, un adjectif ou une forme de nature pronominale qui en est le substitut) fait partie de
la détermination et constitue avec le pré-déterminant le un déterminant complexe : les groupes
prépositionnels suivants sont agrammaticaux : Paul travaille (*de la manière, *d’une
manière, *de manière). Si on ajoute des modifieurs appropriés, ces suites deviennent
acceptables : Paul travaille (de la manière la plus judicieuse, d’une manière adéquate, de
manière conventionnelle). Pareille observation peut être faite avec les groupes nominaux en
position d’arguments. La phrase suivante ne peut pas être interprétée : *Le garçon est le fils.
Mais si l’on ajoute à la détermination de chaque groupe nominal le modifieur qui lui manque,
alors la phrase devient grammaticale : Le garçon que tu vois est le fils du maire. Dans ces
exemples, le modifieur est obligatoire. Dans d’autres cas, il est facultatif : J’ai acheté une
voiture ; J’ai acheté une voiture puissante.
Les déterminants indéfinis un, une, des ne doivent pas être confondus avec le cardinal
homographe un, une au sens de un seul ni le pluriel des avec l’article défini contracté des,
fusion de la préposition de et du défini pluriel les.
a) L’article indéfini accompagne la plupart du temps un substantif dont il n’a pas encore
été fait mention et qui est introduit dans le texte pour la première fois : J’ai acheté un cahier ;
J’ai repéré une adresse ; Il a des migraines ; Il a gagné des sous. La négation est en (ne) pas
de, que l’article soit un singulier ou au pluriel : Je n’ai pas acheté de cahier, Je n’ai pas
repéré d’adresse, Il n’a pas gagné de sous. Dans le même emploi on peut trouver des formes
plus longues : un certain, un quelconque.
b) L’article indéfini peut être suivi d’un modifieur facultatif dans un groupe nominal :
J’ai une voiture allemande ou un groupe prépositionnel : avec peine, avec grand peine ou
obligatoire, la plupart du temps dans le cas d’adverbiaux : il travaille (*d’une manière, d’une
manière efficace).
a) Le partitif du, de la, des n’est pas le même selon qu’il s’applique à un concret ou à un
prédicat. Avec un concret, le partitif du, de la désigne une certaine quantité d’un ensemble
massif : Paul a bu de l’eau ; Paul a brûlé du bois. Dans certains cas, le pluriel peut aussi avoir
une interprétation de massif : Nous avons mangé des épinards. Quand la forme du détermine
un prédicat nominal, il existe souvent un paradigme du, un-modif : Il a (du, un grand)
courage.
nus) ou verbales (mettre en œuvre, porter ombrage à, tirer gloire de) ainsi qu’avec certains
compléments adverbiaux (sans intérêt, par intérêt, à dessein), etc.
a) Le générique le, la, les : L’homme est mortel ; Les hommes sont méchants ; La femme
n’est pas inférieure à l’homme.
c) Le générique ce, ces : Cette voiture ne se fabrique plus. Dans ce cas, le démonstratif
peut être paraphrasé par ce type de : On ne trouve plus ce (type de) chapeau.
Les prédicats nominaux peuvent avoir une détermination spécifique. Nous avons vu que
l’actualisation des substantifs prédicatifs se fait à l’aide des verbes supports, qui traduisent la
temporalité et, dans certains cas, l’aspect. Ce dernier peut aussi être pris en charge par une
classe particulière de déterminants. Nous donnons ici quelques exemples correspondant aux
différents aspects.
a) Inchoatifs : (Il a eu) un accès de colère ; (On perçoit) une amorce de solution ; (Il n’existe
pas même) un commencement de preuve ; (On a eu à combattre) un début d’incendie ;
(On a signalé) un départ de feu ; (Il nous a adressé) une ébauche de sourire.
158
c) Terminatifs : (On vit) une fin de règne ; (On signale) la clôture de la session
d) Continuatifs : (On observe) un maintien de la pression ; (On annonce pour demain) une
persistance du mauvais temps ; (On constate) la permanence d’un sentiment d’insécurité
f) Suspensifs : (Les employés ont décidé) un arrêt de travail ; (L’entreprise est en) cessation
de paiement ; (Il y aura) une interruption de séance ; (On enregistre) une suspension des
paiements
3. Autres déterminants
La négation ne…pas opère sur le verbe et, de façon générale, sur le prédicat. Avec un
déterminant défini ou démonstratif, seule la négation totale est possible : Je n’ai pas vu le
directeur, Tu n’achèteras pas cette voiture ? Dans le cas de l’indéfini, on trouve, comme nous
l’avons signalé, la forme (ne) pas de : Je n’ai pas de (cahier, chaussures), Paul n’a (pas,
jamais) mangé de pommes. L’indéfini a d’autres formes de négations. Aucun, pas un, nul :
Paul n’a mangé aucune pomme ; Pas une branche ne bougeait ; Nul homme n’est immortel.
L’interrogation peut porter sur l’identité ou la quantité. Dans le premier cas, on a des
phrases comme : Quel est (l’élève, celui de vous) qui a sifflé ? Il peut porter sur l’identité d’un
objet : Quelle chemise portes-tu aujourd’hui ? ou sur une classe entière, au sens de quel type
de : Quelle voiture possèdes-tu ? L’interprétation quantitative est prise en charge par quel dans
le cas des prédicats scalaires : Quel est le prix de ce livre ? ou par combien dans le cas de
substantifs comptables : Combien a-t-il d’enfants ?
Le déterminant exclamatif est de la même forme, mais induit une intonation spécifique,
traduite à l’écrit par un point d’exclamation : Quel temps ! Dans une langue moins soutenue,
on note aussi la forme un(e) de ces : Elle a un de ces courage ! Elle a attrapé un de ces
rhume ! Ce qu’il faut noter c’est que le substantif reste au singulier, malgré le pluriel du
démonstratif : Nous avons vu un de ces (cheval, *chevaux).
159
Personne n’a jamais tenté de faire figurer dans un dictionnaire électronique l’ensemble
des déterminants qui spécifient les arguments d’un prédicat donné. Dans les tables de verbes
élaborées au LADL (M. Gross 1975), on n'a pas jugé utile de consigner cette information,
peut-être parce qu'on admettait, comme tout le monde, qu'il y avait peu de restrictions dans
cette position. Il existe pourtant des contraintes. Le verbe tenir à implique pour l’objet un
déterminant défini : Paul tient à cet ami, *Paul tient à un ami. Il faudrait pour cela examiner
chaque verbe particulier ou du moins chaque classe de verbes, en tenant compte aussi des
temps et des aspects, qui interviennent dans le choix de la détermination.
Nous n’examinons ici que la détermination des prédicats nominaux, pour lesquels on
peut trouver certaines régularités. Dans les tables des prédicats nominaux (cf. G. Gross 1989 :
417), ces informations figurent dans des colonnes prévues à cet effet, dont les intitulés sont
les suivants :
Un
Un-modif
Le-Modif
5. Détermination figée
Un premier cas à envisager est celui des suites qui comprennent des déterminants figés.
Comme cette position ne jouit d’aucun degré de liberté, il est facile de faire figurer la totalité
de la suite dans le dictionnaire. On aurait ainsi :
Il ne peut s’agir ici que de suites verbales, car il n’existe pas de prédicats nominaux dont
la détermination externe soit entièrement figée.
Soit le substantif peur. Son support standard est le verbe avoir. Ce couple autorise la
détermination suivante :
Si le support est l’inchoatif prendre, la détermination change et l’on n’aura plus que :
On constate donc que la détermination n’est pas fonction du seul prédicat nominal. Pour
rendre compte de l’ensemble des déterminants d’un emploi donné, on peut aussi penser
recourir, pour unifier la description et compacter les données, à une notation numérique
affectant à chaque déterminant énuméré plus haut un indice numérique :
0 : article zéro
1 : cardinal 13 : partitif
2 : adj. indéfini 14 : partitif-modif
3 : adverbiaux
4 : nominaux
15 : générique le
5 : démonstratif 16 : générique un
6 : possessif 17 : générique ce
7 : défini
8 : défini-modif 18 : intensif très
19 : intensif plus
9 : indéfini 20 : intensif assez
10 : indéfini modif
21 : comparatif plus...que
11 : article zéro 22 : comparatif moins...que
12 : zéro+modif 23 : comparatif autant...que
Si on applique cette notation aux exemples que nous venons de donner, on obtient ( W
étant le verbe support) :
fuite/W:être en/Dét : 11
fuite/W:prendre/Dét : 15
Cette représentation n'échappe pourtant pas à une des critiques que nous avons faites à
l’encontre de la description de la détermination à l’aide de tables, celle de ne pas compacter
l'information. Pour y remédier, on peut mettre au point des "groupes" de déterminants qui
fonctionnent de façon compacte dans des positions syntaxiques données. On peut alors
affecter à ces "groupes" un autre indice numérique ou alphanumérique (D1, D2, D3, etc.). On
prévoit ainsi, quand la détermination n'est pas figée, la totalité des déterminants à l'aide d'un
seul indice.
La perspective que nous présentons constitue un travail de longue haleine. Mais on peut
tenter de dégager dès à présent certaines régularités. Les exemples précédents étaient
élémentaires puisqu'ils mettaient en jeu des déterminants contraints, dont on peut expliquer
l'emploi à l'aide de la liste que nous avons établie au début de ce chapitre. A l'autre extrémité,
on peut concevoir un prédicat avec son verbe support qui accepterait tous les déterminants de
notre liste. Ce serait la limite supérieure. Toutes les autres distributions figureraient entre ces
deux extrêmes. Le nombre des combinaisons mathématiquement possibles est énorme mais
on sait que toutes les combinaisons ne sont pas réalisées, loin de là.
On peut cependant se demander s'il existe des cas où tous les déterminants sont
possibles. Prenons comme exemple un prédicat comme voyage et le support faire. Le spectre
des déterminants est très large : les quantifieurs sont possibles ainsi que les définis (avec des
restrictions sur le possessif quand il n'est pas coréférent), les indéfinis, les comparatifs sont
exclus les articles zéro et zéro-modif, le générique et les intensifs comme très. Cette
distribution pourrait être observée avec un grand nombre de prédicats d'actions itératives,
avec des supports comme faire, effectuer, réaliser. Mais ce n'est pas le cas de tous. Si l'on
considère gifle comme une action et donner comme son support le plus naturel, on observe la
présence des déterminants quantifieurs, des indéfinis mais il y a des restrictions sur le
démonstratif et certains possessifs : ?Je lui ai donné cette gifle ; Je lui ai donné sa gifle ; * Je
lui ai donné ma gifle.
Mais on peut mettre en évidence des corrélations très générales entre groupes de
déterminants. Si l'on prend un prédicat d'état et le support avoir, il y a une corrélation forte
entre le partitif du et un-modif :
Luc a de la fierté
Luc a une grande fierté
Luc a du courage
Luc a un grand courage
162
Les quantifieurs et, de façon générale, le pluriel seront exclus. La recherche que nous
suggérons de faire consiste à systématiser la description de la détermination et à compacter au
maximum les informations ainsi obtenues. Le travail envisagé est sans doute long et
fastidieux mais il est indispensable à la génération automatique de phrases du français. La
complexité du déterminant n'apparaît vraiment que si l'on envisage une description
exhaustive. Une étude de ce type permettra aussi d'apporter des lumières nouvelles sur
l'actualisation des prédicats nominaux et particulièrement sur l'aspect. Comme la
détermination est fonction à la fois du prédicat et du verbe support, il doit y avoir
compatibilité aspectuelle entre les différents éléments qui actualisent le prédicat. C'est peut-
être cette compatibilité aspectuelle qui expliquera la distribution singulièrement complexe de
la détermination.
L’anaphore peut affecter trois types de structures différentes : un argument (de nature
nominale ou phrastique), un prédicat et un circonstanciel.
- un circonstanciel :
On arriva dans une grande plaine. Là, régnait un grand calme (locatif)
Tu arriveras à midi. Alors tu mangeras (temps)
Tu frapperas avec force. Ainsi tu pourras casser la noix (manière, moyen)
Comme on vient de le voir, ce type d’anaphores opère sur tout type d’arguments, qu’il
s’agisse d’un substantif ou d’une phrase : Paul est revenu. Je l’ai revu ; Paul est revenu. Tu
sais (cela, ça). Nous allons d’abord examiner les anaphores mettant en jeu des substantifs.
163
Seuls sont concernés les pronoms de la troisième personne (il, elle, ils, elles). Les deux
premières n’ont pas d’emplois anaphoriques, puisqu’elles renvoient aux instances du dialogue
(locuteur et interlocuteur). Les reprises anaphoriques peuvent être atones : il, elle, ils, elles ou
toniques, en cas d’interprétation constrastive : lui, elle, eux, elles.
7.2.2. Démonstratifs
a) Adjectifs démonstratifs
Dans ce cas, on a affaire à l’anaphore fidèle ou classifiante que nous verrons plus loin :
ce, cet, cette, ces :
b) Pronoms démonstratifs
Arrive un homme que je ne connaissais pas. Celui-ci s’est mis à parler sans cesse
Arrive un autre homme. Celui-là est resté muet
c) Pronom suivi d’un complément de nom : Celui de, celle de, ceux de
Il y a dans cette ville plusieurs banques. Celle de la rue V. Hugo est la plus proche
7.2.3. Le possessif
Le possessif peut prendre deux formes : la forme adjectivale : mon, ton, son, notre,
votre, leur ou pronominale : le mien, le tien le sien. L’adjectif possessif renvoie directement à
Crédit Agricole, mais il s’y ajoute la dépendance de. Son équivaut à de + Pronom :
164
Les pronoms relatifs lequel, laquelle, lesquels, lesquelles ne sont pas des reprises
fréquentes et peuvent être interprétées comme littéraires :
J’ai trouvé une nouvelle banque, laquelle m’a été indiquée par mon frère
Il arrive que cette construction représente en fait une anaphore fidèle (voir plus bas) :
On m’a indiqué une banque. Laquelle banque me convient mieux que celle que j’ai
En cas de séquence de groupes nominaux, les éléments anaphoriques que nous venons
de voir pourraient créer une confusion et ne permettraient pas d’identifier les groupes
nominaux concernés. Pour les discriminer, la langue possède des pointeurs indiquant
l’emplacement d’un groupe nominal par rapport à la séquence et permettant ainsi de référer au
substantif voulu. En cas d’un groupe binaire, on dispose de l’un, l’autre, les deux anaphores
peuvent être reliées à l’aide des conjonctions et et ou :
J’ai rencontré Pierre et Paul. L’un fume comme un pompier. L’autre s’est arrêté
Pierre et Paul sont libres. Tu peux faire appel à l’un ou à l’autre
Pierre et Paul sont libres. L’un et l’autre sont incompétents
J’ai demandé à Paul, Jean et Marc de venir. Le premier a refusé, le second s’est excusé
et le troisième ne m’a pas répondu
8. Types d’anaphores
Les anaphores fidèles sont sources de redondances, souvent fastidieuses. Pour éviter cet
inconvénient, on reprend le terme par un classifieur. Celui-ci est précédé d’un déterminant
anaphorique : le, ce :
Les anaphores classifiantes peuvent être étudiées à l’aide des classes d’objets (Cf.
Chap.4). Il existe des hiérarchies entre les classes :
Le bordeaux est un vin, qui est un alcool, qui est une boisson
Un chat est un félin, qui est un mammifère, qui est un animal
Un vélo est un deux roues, qui est un moyen de transport terrestre, qui est un moyen de
transport individuel, qui est un moyen de transport
On observe la règle suivante : une reprise anaphorique ne peut être que généralisante,
c’est-à-dire représenter une classe « au-dessus ». On peut dire : le chat, ce félin mais on ne
peut pas dire : *un félin… Ce chat. Les anaphores classifiantes vont donc du bas vers le haut :
Le vétérinaire a opéré mon chat : (ce félin, ce mammifère, cet animal) est maintenant
hors de danger
J’ai bu du bordeaux : (ce vin, cet alcool, cette boisson) m’a fait du bien
Si l’on est en mesure d’établir pour chaque argument la liste de ses hyperclasses, on peut
prédire les anaphores généralisantes possibles. On pourrait présenter cette classification de la
façon suivante :
Un club sportif est une association, qui est une société, etc.
Les anaphores généralisantes peuvent être soulignées par des éléments comparatifs
comme : un tel, un semblable, un…de ce type, ce genre de :
Luc a ouvert une librairie. Ce genre de commerce ne marche pas bien actuellement
La terre a tremblé violemment. Un événement de ce genre crée toujours une panique
indescriptible
Le classifieur peut être remplacé par un substantif traduisant une appréciation de la part
du locuteur. Dans ce cas, il y a amalgame entre anaphore et jugement de valeur :
On ici trouve des qualifiants de collectifs : un groupe peut être défini, s’il est malfaisant,
comme : une clique, un ramassis de, une bande de. Ce procédé s’applique aussi aux objets :
un tas d’objets peut être qualifié de cet amas, ce fatras.
On sait que les arguments correspondent à des groupes nominaux mais aussi à des
phrases. Pour qu’une phrase puisse jouer le rôle d’un argument, elle doit subir un certain
nombre de modifications morphologiques et syntaxiques (Cf. Chap.3). Les anaphores portant
sur une phrase-argument sont de plusieurs types :
Paul est venu. Ce fait est connu de tous, Cette nouvelle est connue de tous
L’anaphore portant sur un prédicat pose des problèmes d’analyse plus complexes. Elle
est indépendante de la catégorie grammaticale du prédicat. D’autre part, il est plus difficile de
mettre au point une classification hiérarchique.
L’anaphore est fonction des grandes classes sémantiques auquel appartient le prédicat :
action, état ou événement. A ce niveau, elle correspond à la classe elle-même :
11.3. Sous-classes
Voici un exemple de sous-classification : un assassinat est un crime qui est un délit qui
est une action
assassinat<crime<délit<action
On aura alors :
Paul a tué son voisin. (Cet assassinat, ce crime, ce délit, cette action) sera puni(e) de la
peine maximale
Les textes comprennent d’autres éléments lexicaux externes à la phrase simple et qui
participent à leur structuration (Cf. Chap.15). La nature des anaphores dépend de la classe du
circonstanciel :
Il n’a pas répondu à cette insulte. C’est ainsi qu’il faudrait toujours agir
Le rideau s’est ouvert. Alors on a vu deux clowns stupéfiants
On nous a conduits dans une salle. Il y avait là une dizaine de personnes inconnues
Conclusion
Lectures
Leeman, D., 2004, Les déterminants du nom en français. Syntaxe et sémantique, PUF, Paris..
Schnedecker, C. et Theissen, A. (éds), 2003, « Indéfinis, définis et expression de la
partition », Langages n° 151, Larousse, Paris.
Wilmet, M., 1986, La détermination nominale, PUF, Paris.
Zribi-Hertz, A., 1996, L’anaphore et les pronoms, Presses Universitaires du Septentrion,
Villeneuve-d’Asq.
170
Chapitre 10
Le figement
La notion de grammaire est fondée sur la liberté combinatoire des mots, le sens d’une
séquence étant le produit de celui de ses éléments constitutifs. Cette réalité est connue sous le
nom de compositionnalité. Le sens de la phrase suivante est compositionnel : L’élève a lu ce
(texte, livre), du fait que le verbe lire possède un schéma d’arguments normal : il sélectionne
en position de sujet un humain et en position d’objet un élément de la classe des <écrits> ou
des <supports d’écriture>. Malgré le fait que la position-objet soit limitée ici à deux classes
d’objets et n’autorise pas l’ensemble des substantifs du français, nous dirons que nous avons
une construction libre ou encore distributionnelle. La liberté combinatoire s’entend comme la
possibilité d’utiliser librement les éléments des classes d’objets autorisées par le schéma
d’arguments d’un prédicat donné. Ce schéma d’arguments constitue l’identité du prédicat, ce
que nous avons appelé son emploi. (Chap.2). Dès lors qu’une position argumentale
correspond à une classe d’objets, on est en présence d’une construction libre. Cela vaut pour
les relations entre un prédicat et ses arguments mais aussi, au niveau inférieur, entre les
éléments constitutifs des groupes : entre le nom et ses déterminants, entre une préposition et
ses compléments. Le principe que nous évoquons repose sur le fait que les combinaisons
syntaxiques mettent en jeu des paradigmes, c’est-à-dire des choix entre des éléments
appartenant à une même position dans une phrase donnée.
Mais les langues naturelles sont caractérisées en même temps par des restrictions plus
ou moins importantes portant sur cette liberté combinatoire. Les constructions issues de cette
contrainte ont reçu plus d’une centaine de dénominations diverses : mots composés,
expressions idiomatiques, expressions figées, synapsies, synthèmes, mots polylexicaux, mots
complexes, tours idiomatologiques, etc. Nous les regroupons toutes sous le terme générique
de figement. Nous allons d’abord dégager les propriétés générales caractérisant ce
phénomène, qui constitue une des propriétés les plus importantes des langues naturelles. Nous
étudierons dans un second temps les aspects particuliers que prend le figement dans le cadre
des différentes catégories grammaticales.
1. Propriétés générales
Pour éviter d’inutiles redondances dans la description des restrictions combinatoires, qui
sont pour partie communes aux différentes catégories, nous allons tout d’abord décrire les
propriétés générales du phénomène.
1.1. Polylexicalité
en jeu que des mots lexicaux. Font exception à ce que nous venons de dire les suites
composées d’un élément latin (post-, anté-, extra-, semi-) ou grec (auto-, hémi-, péri-), qui
peuvent êtres considérées comme intermédiaires entre dérivation et composition. Reste le
problème des séparateurs entre les différents éléments lexicaux, qu’on ne doit pas réduire à un
simple problème de graphie. On admettra comme séparateurs le trait d’union, l’apostrophe et
le blanc. Faut-il accepter la soudure ? C’est le cas dans certaines langues (allemand, anglais)
mais les exemples français sont rares. Des séquences comme vin et aigre sont assurément des
mots autonomes, mais on hésitera à considérer le mot vinaigre comme un nom composé.
Il existe dans chaque langue un grand nombre de séquences qu’un étranger ne peut pas
interpréter, même s’il connaît le sens habituel de tous les mots simples qui les composent.
C’est le cas, par exemple, de la phrase : La moutarde lui monte au nez. Le sens «ordinaire »
de ces mots ne permet pas de deviner que l’on parle d’une personne qui manifeste des signes
d’impatience ou se met en colère. Nous dirons que cette phrase n’a pas de lecture
compositionnelle. Très souvent, une suite donnée peut avoir deux lectures : l’une transparente,
compositionnelle, et l’autre opaque. Cela s’applique à une phrase comme : Les carottes sont
cuites, qui signifie que ces légumes sont prêts à être mangés ou que la situation est
désespérée. Quand le sens d’une séquence n’est pas fonction de celui des éléments
constitutifs, nous dirons que nous sommes en présence d’une suite opaque, ininterprétable
littéralement. Cette analyse vaut aussi pour la phrase : Notre candidat a pris une veste, que
l’on peut interpréter de façon compositionnelle : Notre candidat a pris la précaution de se
vêtir ou figée : Notre candidat a été battu aux élections. Cette observation vaut pour les
groupes nominaux. Ainsi, le substantif clé (au sens d’outil servant à visser ou dévisser des
boulons) peut être accompagné d’un certain nombre d’adjectifs qui forment avec lui un sens
compositionnel : une clé solide, une clé neuve, une clé chromée. En revanche, une clé
anglaise n’est pas une clé que l’on a fabriquée en Angleterre, mais une variété de clé, une clé
d’un type particulier. Nous sommes en présence d’un groupe nominal dont le sens ne peut pas
être déduit de celui de ses éléments : il y a opacité sémantique. Nous verrons plus loin que,
dans les langues de spécialités, les termes sont souvent des mots composés, c’est-à-dire des
entrées lexicales, mais que leur sens est transparent : machine à laver la vaisselle, porte-
conteneurs, etc.
Les constructions libres, quel que soit leur niveau, ont des propriétés de restructuration
qui dépendent de leur organisation interne. Ainsi, la relation entre un verbe transitif direct et
son complément peut faire l’objet de certains changements de structures. A partir de la
phrase : L’enfant a lu ce livre on peut obtenir notamment une passivation : Ce livre a été lu
par l’enfant, une pronominalisation : L’enfant l’a lu, un détachement : Ce livre, l’enfant l’a
lu, une extraction : C’est ce livre que l’enfant a lu, une relativation : Le livre que l’enfant a lu,
etc.
Toutes ces modifications ne s’appliquent pas de façon systématique à l’ensemble des
relations verbe-compléments. Sur les quelques dizaines de transformations habituelles, on
peut observer l’absence de telle ou telle, dont il n’est pas toujours facile de percevoir la cause.
Le verbe concerner peut être mis au passif : Cette affaire nous concerne tous, Nous sommes
tous concernés par cette affaire, alors que son synonyme regarder ne le peut pas : Cette
affaire nous regarde tous, *Nous sommes tous regardés par cette affaire.
172
La cause du blocage n’est pas évidente ici. Il se peut qu’on doive l’attribuer à l’emploi
métaphorique de regarder, bien que cette figure ne bloque pas d’autres transformations
comme la pronominalisation ou la relativation : Nous tous que cette affaire regarde, nous
nous sommes défilés. Un cas limite est constitué par l’absence totale de propriétés de
recomposition : la structure ne peut alors faire l’objet d’aucune modification. On dira qu’elle
est syntaxiquement figée. Or, ce qu’il faut souligner avec insistance, c’est que l’opacité
sémantique et les restrictions syntaxiques vont de pair. Observons la phrase suivante : Luc a
pris la tangente. Rien dans le verbe prendre ni dans le substantif tangente ne permet de
prédire le sens de l’ensemble : se tirer d’affaire habilement, esquiver une difficulté. Ce qui
doit être signalé, c’est que cette opacité sémantique est corrélée à une absence de propriétés
transformationnelles : *La tangente a été prise par Luc ; *Qu’a pris Luc ? ; *Luc l’a prise ;
*C’est la tangente que Luc a prise ; *La tangente que Luc a prise.
Ce que nous venons de dire des suites verbales s’applique également aux substantifs,
comme par exemple à cordon(-)bleu (bonne cuisinière) : *le bleu de ce cordon ; *un cordon
très bleu ; *un cordon particulièrement bleu ; *ce cordon est bleu. On voit que le figement est
un phénomène qui transcende ce qu’on appelle généralement les différents niveaux de
l’analyse linguistique et qu’une description qui serait exclusivement syntaxique ou
sémantique ne retiendrait qu’une partie des faits.
Nous avons vu (Chap.8) qu’une phrase est soumise à l’actualisation, c’est-à-dire que son
prédicat est conjugué et que les arguments sont spécifiés par la détermination (cf. Chap.9).
Les deux types d’actualisations ne sont pas indépendants l’un de l’autre. L’absence
d’actualisation est un des critères les plus sûrs du figement, comme dans les exemples que
nous avons donnés. Dans la phrase : La moutarde (lui) monte au nez, les articles ne peuvent
faire l’objet d’aucune modification : *Cette moutarde (lui) monte à son nez. Il en est de même
pour prendre la tangente : *prendre (une, cette, sa) tangente. Si le générique les est remplacé
par le démonstratif ces : Ces carottes sont cuites, alors on n’a pas affaire à une suite figée
mais à une lecture compositionnelle.
Le critère vaut pour toutes les catégories. Ainsi, les déterminants apparaissant avec le
substantif pomme de terre s’appliquent à l’ensemble de la suite prise comme unité, mais
aucun des deux substantifs ne peut recevoir de détermination propre : *cette pomme de la
terre. Cette observation vaut pour tous les noms composés : dans un tableau noir l’adjectif ne
peut recevoir aucun type de modification : *un tableau très noir,* un tableau assez noir.
Le critère que nous venons de mentionner permet a contrario de montrer que certaines
suites, appelées habituellement locutions, ne sont pas figées et, de ce fait, ne méritent pas cette
dénomination. Dans la locution finale dans le but de, le substantif but a une détermination
assez diversifiée : dans un but polémique, dans ce but, dans quel but ?, dans le but de plaire,
etc. Il peut en outre être conjugué : Paul avait comme but de s’enrichir. Nous verrons plus
loin (Chap.16) qu’il s’agit en fait d’une construction syntaxique libre du substantif but.
La situation la plus simple est celle où l’ensemble de la séquence est figé. C’est le cas de
certaines suites verbales : avoir les yeux plus gros que le ventre ; de substantifs : cordon-bleu,
col-vert ; de suites adjectivales : à cran, dans les choux ou adverbiales : à fond la caisse, ou
encore de certaines locutions prépositives : aux bons soins de. Dans ces exemples, le figement
affecte la totalité de la suite, sans aucun degré de liberté. Cette situation n’est pas la plus
fréquente : souvent, dans une séquence donnée, seul un sous-ensemble fait l’objet d’un
173
figement. Une des fonctions lexicales de I. Mel’cuk (1984) rend compte de l’expression du
haut degré (fonction magn) qui se traduit souvent par des suites métaphoriques figées :
toucher en plein dans le mille ; chevaucher à bride abattue ; rouler à tombeau ouvert ; geler à
pierre fendre. Ici, le verbe garde son interprétation, le figement se réduit aux seules suites
adverbiales.
Nous étudierons plus loin le cas des verbes figés. Prenons juste un exemple. Dans une
phrase comme : Vous lui avez tiré les vers du nez, le sujet (vous) et le complément humain
(lui) sont libres et peuvent faire l’objet de substitutions : Ils t’ont tiré les vers du nez. Ce qui
est figé, c’est la suite tirer les vers du nez à. Il n’y a pas non plus figement total dans : Luc a
cassé sa pipe, dans la mesure où le pronom possessif, coréférent au sujet, change de forme
selon la personne : Attention, tu vas ( ?casser ta pipe, te casser la pipe). Une description
linguistique fine doit rendre compte, pour une séquence donnée, de ce qui est figé et de ce qui
ne l’est pas, surtout dans une perspective de traitement automatique.
Nous venons de voir qu’une partie seulement d’une chaîne donnée peut faire l’objet
d’un figement, tandis que le reste relève d’une combinatoire libre. Nous envisageons
maintenant un aspect différent du phénomène, qui ne concerne plus l’étendue d’une séquence
contrainte, calculée en nombre de mots, mais son degré de figement. Plusieurs des exemples
que nous avons donnés jusqu'à présent mettent en jeu des figements complets : aucun des
éléments composant la chaîne ne permet de choix, et, par conséquent, ne peut faire l’objet
d’un paradigme. Par exemple, un substantif comme cordon-bleu n’accepte aucune substitution
ni pour le substantif ni pour l’adjectif. On est donc en présence d’un figement total. Ces suites
fonctionnent de façon compacte, en bloc, exactement comme les catégories simples (à des
problèmes de graphie près) et c’est à tort ou pour des raisons de commodité rédactionnelle
qu’on les fait figurer dans les dictionnaires sous l’un ou l’autre des termes. Elles devraient
constituer des entrées indépendantes.
Mais cette situation n’est pas la plus fréquente. On trouve souvent, dans une position
donnée, des possibilités de substitution. Ainsi, dans la suite rater le coche (rater une
occasion), on peut remplacer le verbe rater par louper ou manquer : louper le coche, manquer
le coche. Il y a là une liberté lexicale, même si le sens reste opaque dans les trois cas. Les
variantes sont plus fréquentes que le figement total, comme on peut le constater d’après les
recensements systématiques qui ont été opérés sur les noms (M. Mathieu-Colas 2008). Une
suite comme vin rouge n’est pas entièrement figée. D’une part, puisque ce groupe peut être
repris par le substantif tout seul : J’ai acheté du vin rouge cette année ; ce vin est meilleur que
celui de l’an dernier. Et, d’autre part, puisqu’en position d’épithète, on observe à la place de
rouge des adjectifs comme blanc, rosé, gris. Ces adjectifs désignent différents types de vins,
ils ne sont pas susceptibles d’une prédication et n’ont pas le sens habituel : le vin blanc est en
fait plutôt jaune et le vin gris n’est pas gris. Nous venons de voir que, dans une position
donnée, les possibilités de commutation sont plus ou moins importantes : l’absence de
paradigme n’est qu’un cas-limite.
cas, il est possible de remplacer un mot soit par un autre de la même classe sémantique soit,
hypothèse plus restreinte, par un synonyme. Ces possibilités de substitution dépendent de la
nature des prédicats et relèvent de contraintes très générales. Nous observons que, dans les
suites figées, cette possibilité de substitution synonymique est exclue. On a souvent observé
ce phénomène dans les locutions verbales. Une suite comme casser sa pipe ne peut donner
lieu à des variations comme *casser sa bouffarde, *briser sa pipe. Observons encore signer
son arrêt de mort, *signer sa condamnation à mort ; avoir du grain à moudre, *avoir des
graines à moudre ; manger son blé en herbe, *manger (du, son) froment en herbe. Cette
observation peut se faire pour toutes les catégories :
- les noms : une caisse noire, *une caisse sombre ; un blanc cassé, *un blanc brisé ; un
faux sens, *un mauvais sens ; un court-circuit, *un bref-circuit ; une clé anglaise, *une
clé britannique ; un simulateur de vol, *un imitateur de vol ;
- les adjectifs : à bout de force, *à fin de force ; à base de sucre, *à fond de sucre ; bleu
roi, *bleu reine ; sourd comme un pot, *sourd comme un vase ;
- les adverbes : en plein dans le mille, *en plein dans le cent ; de plein fouet, *de pleine
cravache ; aller comme un gant, *aller comme une moufle ; de gaieté de coeur, *de joie
de cœur ;
- les déterminants nominaux : un nuage de lait, *une nuée de lait ; un train de mesures,
*un autorail de mesures.
1.8. Non-insertion
Dans les suites libres, il est possible d’insérer, à des endroits déterminés, des éléments,
comme un adjectif ou une relative : J’ai lu un livre, J’ai lu un beau livre, J’ai lu un livre qui
m’a plu ; des adverbes d’intensité devant les adjectifs : un beau livre, un très beau livre ; des
incises : Il vient de se produire, me dit-on, un grave accident d’avion. Dans les séquences
figées, l’insertion d’éléments nouveaux est très réduite. Cette observation s’applique à toutes
les catégories. Un col-vert (canard), un col bleu (ouvrier), un col blanc (bureaucrate) ne
permettent aucune insertion entre le nom et l’adjectif, alors que cette possibilité existe pour
les groupes nominaux libres : un pré très vert, des yeux très bleus, une lumière très blanche.
Les adjectifs composés ont la même rigidité. Il n’est pas possible d’introduire
d’éléments dans les suites adjectivales à cran, à la mode du fait d’un figement total. D’autres
adjectifs polylexicaux sont moins contraints de ce point de vue. Dans de bonne humeur, c’est
la relation entre de et humeur qui est figée, mais la position adjectivale (obligatoire puisqu’on
ne peut pas dire être d’humeur en dehors d’un modifieur) fait l’objet d’un petit paradigme de
(bonne, mauvaise, ...) humeur et permet à ce niveau l’insertion d’un quantifieur : de très
bonne humeur. Cette liberté n’existe pas pour à la mode, dont le fonctionnement comme bloc
soudé est encore mis en évidence par le fait que l’intensif précède la séquence : très à la
mode.
Ces remarques valent aussi pour les verbes. Le verbe tourner de l’oeil (perdre
connaissance) ne permet aucune modification ni aucune adjonction : *Il tourne d’un oeil, *Il
tourne de l’oeil gauche, *Il tourne du bon oeil. Il faut ajouter cependant à ce que nous venons
de dire la restriction suivante. Il est souvent possible, juste après le terme qui porte
l’actualisation, d’ajouter dans les suites figées certains adverbes ou incises : Il tourne
vraiment de l’oeil, Il prend toujours les vessies pour des lanternes (se méprendre
grossièrement).
175
1.9. Défigement
Les constructions libres sont caractérisées par l’existence de paradigmes permettant des
substitutions définies par les contraintes d’arguments et par des modifications et des
restructurations qui dépendent de la nature sémantique et syntaxique de la relation existant
entre le prédicat et ses arguments. On peut ainsi calculer le nombre de variations potentielles
pour une construction donnée. En revanche, par leur nature même, les séquences contraintes
n’offrent pas cette possibilité. A contrario, le figement peut être mis en évidence grâce à
l’effet provoqué par le jeu du défigement, qui consiste à ouvrir des paradigmes là où, par
définition, il n’y en a pas. Ce « coup de force » s’observe de plus en plus dans la presse, qui
se sert du défigement en vue de certains effets particuliers, destinés à attirer l’attention du
lecteur. L’effet de surprise attendu révèle la présence d’un figement. Le défigement ainsi
pratiqué n’est pas considéré comme une « faute », comme c’est le cas de transgressions
opérées sur des suites générées par des règles, mais comme une activité ludique. Il requiert
souvent un ensemble de connaissances culturelles, car les allusions y fourmillent. On fait
référence à des aphorismes : Aux Niçois qui mal y jouent : Honni soit qui mal y pense ; des
stéréotypes : Silence, on assassine : Silence, on tourne ; des slogans politiques Sous les PV,
la plage : Sous les pavés, la plage, etc.
1.10. Etymologie
Un autre paramètre d’étude concerne l’origine du figement. Cette question n’est pas
indépendante de la définition de la notion. En effet, il ne viendrait à l’idée de personne de se
demander d’où viennent des suites comme : un devoir difficile ; Il a oublié ses clés ; Quel
temps fera-t-il demain ? Je viens de terminer un roman, ni quand elles ont été prononcées
pour la première fois. Il s’agit de constructions librement générées par la syntaxe et qui ne
figurent, à plus forte raison, dans aucun dictionnaire. Se poser le problème de l’origine d’une
séquence donnée implique que la structure ne soit pas libre, qu’elle n’est pas l’emploi régulier
d’un locuteur, mais que la combinaison lui est imposée et que cet agencement a une source
historique, même si elle ne nous est plus accessible. Il est donc naturel qu’on se pose le
problème de l’origine des séquences figées. Cette question a fait l’objet de recherches
universitaires (P. Guiraud 1980 ; R. Martin 1996), ainsi que de nombreuses publications pour
le grand public (Rey et Chantereau 1979 ; Cl. Duneton 1990). Nous ne donnons ici que
quelques indications.
Le figement peut avoir une origine « externe » et faire référence à des événements
historiques : franchir le Rubicon, être riche comme Crésus, mythologiques : pomme de
discorde, nettoyer les écuries d’Augias, religieux : séparer le bon grain de l’ivraie, nul n’est
prophète en son pays ou constituer des réminiscences littéraires : On a souvent besoin d’un
plus petit que soi, A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. D. Gaatone (1984) a mis
l’accent sur le fait que le figement représente l’insertion d’une langue dans l’histoire.
Le figement peut, d’autre part, relever de l’histoire linguistique interne. Il reste, dans
toutes les langues, des « blocs erratiques », des éléments ou constructions qui remontent à un
état de langue antérieur. Ces éléments ont gardé leur syntaxe d’origine et apparaissent de ce
fait comme extérieurs au système actuel. Un exemple simple est l’absence de l’article,
habituelle en ancien français, mais qui donne de nos jours à l’expression une allure étrange ou
inconnue : chercher noise. D’autres particularités syntaxiques vont dans le même sens, quand
elles font référence à des réalités sociologiques qu’on n’est pas en mesure de comprendre
d’emblée : la bailler belle (tromper), tenir le haut du pavé (occuper le premier rang), faire
quartier (accorder la vie sauve).
176
Après avoir examiné les propriétés générales du figement, nous abordons à présent les
particularités que le phénomène présente dans le cas des différentes catégories
grammaticales, qui posent chacune des problèmes particuliers. Nous commençons par les
verbes.
Comme nous l’avons vu plus haut, certains verbes sont suivis de groupes nominaux
qu’on ne peut interpréter comme leurs arguments, dans la mesure où ces substantifs ne
forment pas de paradigmes et où leur relation avec le verbe est sémantiquement opaque. C’est
le cas, par exemple, de cracher le morceau (avouer), couper les cheveux en quatre (pinailler),
manger les pissenlits par la racine (être mort et enterré), etc. Ces suites fonctionnent
globalement comme des verbes simples et doivent figurer dans un dictionnaire électronique
avec les mêmes informations que les verbes simples : classe sémantique (action, état,
événement), nature sémantique du sujet, etc. Ce figement complet ne concerne qu’une
minorité parmi les suites verbales à liberté restreinte.
Le figement n’est cependant pas toujours un phénomène compact. Il existe, même pour
des suites verbales considérées comme figées, des variations dont la description doit tenir
compte :
- Les verbes figés sont des prédicats comme les verbes « libres », ils sont soumis à
l’actualisation : Il partira, Il prendra la poudre d’escampette. On considérera ici la
conjugaison (les flexions verbales) comme hors du champ du figement ;
- Les locutions verbales ont la même structure interne formelle que les groupes verbaux
libres ; elles peuvent avoir un « complément » direct : prendre la tangente, indirect : tirer au
flanc ou les deux : mettre du beurre dans les épinards, prendre le taureau par les cornes ;
- Il est possible, d’autre part, d’insérer certains adverbes après les éléments qui portent
l’actualisation : Il tire vraiment au flanc, Il a vraiment tiré au flanc. En cela les verbes figés se
comportent différemment des noms composés ;
- Quand la suite est assez longue, pour éviter de répéter des séquences prédictibles, il
peut y avoir des effacements. Ainsi Il ne faut pas prendre les enfants du Bon-Dieu... est une
abréviation de : Il ne faut pas prendre les enfants du Bon-Dieu pour des canards sauvages.
Les domaines d’arguments des prédicats (verbaux, nominaux ou adjectivaux), quand ils
sont libres, peuvent être exprimés en termes de classes d’objets (cf. Chap. 4 ; G. Gross 2008).
Ainsi le verbe prendre constitue-t-il des emplois différents selon que ses compléments
appartiennent à des classes sémantiques homogènes comme des :
- l’élément bloqué peut être en position d’objet direct sans complément second (c’est le
plus grand nombre : près de 5.000 dans la liste de M. Gross 1986) : porter le chapeau,
prendre une veste, prendre la tangente, franchir le pas ;
- le premier complément est bloqué tandis que le second est libre : tirer sa révérence à
Nhum, graisser la patte à Nhum, donner le change à Nhum, porter ombrage à Nhum ;
- le premier complément est libre et le second figé : mettre Nhum au pas, passer Nhum à
tabac, induire Nhum en erreur ;
- les deux compléments sont figés : séparer le bon grain de l’ivraie, prendre des vessies
pour des lanternes, prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.
Les déterminants des substantifs prédicatifs ont été étudiés assez systématiquement dans
le cadre des constructions à verbes supports. Nous avons vu qu’ils sont caractérisés par de
fortes contraintes. Le prédicat gentillesse est actualisé par le support faire preuve de. Les
déterminants possibles sont les suivants : article zéro : Paul a fait preuve de gentillesse ;
déterminant un-Modif : Paul a preuve d’une grande gentillesse ; déterminant le-Modif : Paul
a fait preuve de la plus grande gentillesse. Sont exclus : l’article défini : *Paul a fait preuve
de la gentillesse ; l’indéfini : *Paul a fait preuve d’une gentillesse ; le possessif : *Paul a fait
preuve de sa gentillesse.
Observons maintenant ce qui se passe dans les locutions verbales. On ne trouve pas
exclusivement l’article zéro. La distribution est assez ouverte :
- l’article zéro : chercher noise, prendre feu, passer à tabac, tenir tête, avoir barre sur
- l’article défini générique : tenir le coup, prendre le large, prendre le pli
- l’article indéfini : avoir un grain, prendre une veste (=être battu)
178
Ce qu’il faut retenir, c’est que même variée, la détermination est, dans chaque cas,
contrainte et ne donne lieu à aucun paradigme : l’emploi compositionnel prendre une veste
(vêtement) a une détermination à peu près libre, tandis que l’emploi figé ne peut prendre que
l’article un. Tout autre déterminant interdit la lecture figée. La description que nous venons de
faire nécessite quelques restrictions. Un assez grand nombre de locutions verbales
comprennent un adjectif possessif coréférent au sujet. La forme de ce possessif change en
fonction de la personne, mais c’est la seule liberté possible : Paul a cassé (sa, *ma) pipe ;
Paul prend (ses, *tes) désirs pour des réalités.
A la différence des noms composés, dont la structure interne peut différer de celle d'un
groupe nominal ordinaire, les locutions verbales, quel que soit leur degré de figement, ont
toujours une structure standard. Cela signifie qu’à s’en tenir simplement à la surface, on ne
peut dire si l’on a affaire ou non à une locution verbale, seule une analyse permet de l’établir.
Cette constatation n’est pas sans conséquence pour le traitement automatique. Il faut donc
mettre au point des critères permettant de décider si une suite donnée doit figurer ou non dans
le dictionnaire. L’établissement de ces critères syntaxiques a fait l’objet de nombreuses
recherches (S. Mejri 1996). Ces critères, que nous allons passer en revue, n’ont pas tous la
même portée, mais ils vont dans le même sens : une construction est d’autant plus figée
qu’elle a moins de propriétés de restructuration. Nous envisageons successivement la
passivation, l’extraction, le détachement, la pronominalisation, la relativation, l’interrogation.
Avant d’illustrer ces différents cas, nous rappelons que les suites figées peuvent, pour des
raisons ludiques ou d’expressivité, faire l’objet de défigements, comme dans : Paul a pris le
taureau de la linguistique par les cornes de la syntaxe ! Ces jeux linguistiques ne prouvent
pas la liberté des structures en question mais mettent l’accent a contrario sur leur figement,
mis en évidence par l’effet humoristique obtenu. On ne peut donc pas s’en servir comme
critères d’analyse, au même titre que les emplois réguliers. A quoi il faut ajouter que les cas de
non-blocage, que nous allons signaler pour chacune des transformations, concernent des
effectifs en nombre limité.
a) Le passif
Les verbes transitifs libres n’ont pas tous un passif (Ch. Leclère 1993) : *Cinq kilos sont
pesés par ce sac ; *Deux mètres sont mesurés par cette table ; *Mille francs sont coûtés par
cette commode. L’absence de passif ne détermine donc pas nécessairement une structure figée.
Si l’on prend des suites à double lecture, on constate que c’est la suite figée qui exclut le
passif :
Il existe cependant des cas où des structures, figées par ailleurs, peuvent avoir un passif.
Il est difficile d’en trouver la raison :
Nous ne confondons pas ces passifs avec ceux qui s’appliquent aux constructions à
verbes supports sans article : Ordre à été donné à la population de quitter le village.
b) L’extraction
c) Le détachement
Le détachement est un type particulier de mise en évidence qui est assez proche de la
focalisation : J’ai acheté ce manteau en Italie/Ce manteau, je l’ai acheté en Italie ; J’ai
acheté (la, ma) voiture avant-hier/ (La, ma) voiture, je l’ai achetée avant-hier. Pour que le
détachement soit possible, il faut que le déterminant soit défini, l’indéfini bloque la
transformation : J’ai acheté un manteau/*Un manteau, je l’ai acheté. Comme dans les
locutions verbales les déterminants sémantiquement définis sont absents, le détachement est là
aussi souvent difficile : ?La mouche, tu la prends souvent ; ?La tasse, tu l’as bue. Le
détachement est cependant possible en cas de déterminant indéfini ou générique, grâce à la
reprise par le pronom ça. Cette variante s’applique plus facilement aux locutions verbales :
Une veste, ça se prend quand on prépare mal les élections.
d) La pronominalisation
On trouve cependant des pronoms dans des locutions verbales : en avoir le coeur net, en
avoir sa claque, en flanquer plein la vue à, ne pas en fiche(r) une rame, la bailler belle,
l’échapper belle, la trouver saumâtre, le prendre de haut. Ces pronoms ne réfèrent à aucun
substantif déterminé ni, semble-t-il, à une situation. Il nous suffit ici de constater qu’ils n’ont
pas le même fonctionnement que les vrais pronoms.
180
e) La relativation
Cette transformation est utile pour faire la distinction entre les constructions à verbes
supports et les locutions verbales. Nous avons montré au Chap.3 que avoir faim est une
construction nominale tandis que avoir froid est une locution verbale. La relativation
s’applique à l’une et non à l’autre : la faim que j’ai eue, *le froid que j’ai eu ; la décision que
j’ai prise, *la tangente que j’ai prise
f) L’interrogation
Dès lors qu’une position argumentale est contrainte, l’interrogation ne s’applique pas :
Cet élève a pris la porte. *Qu’est-ce que cet élève a pris ?
Si, dans une suite donnée, toutes les restrictions formelles que nous avons énumérées
sont réunies, on constate que le sens est opaque, c’est-à-dire qu’il n’est pas fonction de celui
des mots qui la constituent. Si l’on compare les trois groupes suivants : croquer une pomme,
croquer de l’argent et croquer le marmot, on observe que la relation compositionnelle entre
croquer et pomme se traduit par une liberté complète de fonctionnement au regard des critères
que nous avons énumérés :
- en position d’objet, on trouve les aliments ou, du moins, une grande partie d’entre eux.
Le complément peut donc être décrit en termes de classes d’objets ;
- les transformations que nous avons énumérées s’appliquent : Cette pomme a été
croquée par Paul ; C’est une pomme que Paul a croquée ; Cette pomme, Paul l’a
croquée ce matin ; Paul a croqué une pomme, elle était acide ; la pomme que Paul a
croquée ; Qu’a croqué Paul ? Une pomme. On reconnaît là une construction libre.
La seconde expression croquer (de l’argent, une fortune, un million de francs) partage la
plupart des propriétés de la construction précédente : l’objet constitue une classe, la
détermination n’est pas figée mais on constate des restrictions au niveau des transformations.
L’extraction, dans la première phrase, portait sur le substantif pomme et opposait ce mot à
d’autres aliments : C’est une pomme qu’il a croquée et non une poire tandis que, dans la
seconde, elle semble porter plus sur l’intensité : ? Ce n’est pas de l’argent qu’il a croqué mais
une fortune ; Ce n’est pas un million de francs qu’il a croqués mais un milliard. La question
181
n’est pas non plus très naturelle, hors contexte : Qu’est-ce qu’il a croqué ? Un million
d’euros. Ceci est corrélé à l’interprétation métaphorique de croquer (dilapider).
Le troisième exemple n’a aucune de ces propriétés : aucune restructuration n’est
possible et le sens est opaque, l’expression signifie se morfondre à attendre. On pourrait faire
les mêmes remarques à propos de : se mettre à table. Si le substantif est défini : Mets-toi à
cette table, le verbe se mettre est synonyme de s’asseoir. Si le substantif n’a que l’article zéro,
il y a deux interprétations, l’une plus opaque que l’autre. La moins opaque signifie s’asseoir
pour manger et peut être considérée comme l’inchoatif de être à table (être en train de
manger), mais on voit que le sens n’est pas compositionnel, puisque les mots eux-mêmes ne
désignent pas l’acte de manger. Le sens le plus opaque relève du domaine policier : L’inculpé
s’est mis à table = (Il a avoué, Il a parlé). On voit que les locutions verbales sont figées à des
degrés divers. Pour mettre clairement en évidence ces degrés, il faudrait examiner toutes les
suites verbales non régulières au regard d’une batterie importante de critères et constituer une
typologie de toutes les séquences qui répondent aux mêmes critères. Il se pourrait qu’on
obtienne plusieurs centaines de classes différentes.
De ce point de vue, les langues de spécialités ont un comportement particulier. Les
« termes » qui constituent leur vocabulaire répondent en partie aux critères du figement que
nous avons définis : on ne peut pas remplacer un élément par un synonyme : machine à laver
le linge, *machine à nettoyer le linge. Cependant, le mot est sémantiquement transparent.
Nous établissons ici une classification en fonction des catégories de surface des
locutions verbales. Cette énumération est loin d’être exhaustive. Elle donne cependant une
idée de la diversité des locutions verbales.
- coréférents au sujet :
- défini : baisser les bras, perdre l’esprit, allonger le pas, baisser les yeux
- possessif : abattre ses cartes, abattre son jeu, calculer son coup, faire ses comptes
- coréférents à l’objet :
Une des difficultés majeures pour le traitement automatique est constituée par le
caractère discontinu du figement d’un grand nombre de locutions verbales :
3. Adjectifs composés
Nous étudions maintenant les adjectifs prédicatifs composés. On verra que les
problèmes qu’ils posent sont de nature très différente.
Nous avons donné, au Chap.6, une définition syntaxique de cette catégorie. Nous
considérons comme adjectifs les formes qui correspondent aux trois critères suivants :
Cette définition permet de dresser la liste des adjectivaux. Nous considérons à la mode,
de bonne humeur, à l'abandon et en perte de vitesse comme des suites adjectivales
complexes, puisqu’elles ont les mêmes propriétés que les adjectifs simples : Cette fille est
(belle, à la mode), Une fille (belle, à la mode) attire tous les regards, Cette fille est (belle, à
la mode) et sa soeur l'est aussi. Nous considérons la suite à la mode comme un adjectival
composé, c’estàdire comme une unité lexicale. Ces unités peuvent être compositionnelles (à
la mode) ou figées (à cran), c’estàdire sémantiquement opaques (Cf. Chap.6).
183
Nous étudions dans ce premier groupe des adjectivaux de la forme à N non opaques
sémantiquement, dont la relation au sujet peut être paraphrasé par le verbe avoir : Ce pull est
à col roulé, Ce pull a un col roulé. Nous considérons que ces deux suites sont des
paraphrases, bien que des distinctions sémantiques plus fines, en particulier de nature
pragmatique, puissent montrer qu'il n'y a pas équivalence totale dans l'interprétation des deux
constructions. Cependant, même partielle, cette paraphrase nous permet de distinguer cet
emploi de tous les autres adjectivaux en à N que nous allons étudier par la suite. Il est
possible, d'autre part, que des variantes de avoir, comme comporter ou comprendre, donnent
des phrases plus naturelles. Nous prenons avoir comme un représentant de la classe. Il traduit
approximativement une relation de partie-à-tout ou une caractérisation : Cette voiture est à
deux places, Cette voiture a deux places ; Ce bateau est à fond plat, Ce bateau a un fond plat ;
Cette chemise est à manches courtes, Cette chemise a des manches courtes ; Ce tissu est à
rayures, Ce tissu a des rayures. La suite être à n'admet pas ici d’autre déterminant que l'article
zéro : *Ce tissu est aux rayures, *Ce tissu est à des rayures, *Ce tissu est à de grandes
rayures.
Cette structure est caractéristique, entre autres, de la dénomination d'un grand nombre
de réalisations culinaires : Luc mange du saucisson à l'ail, Ce saucisson est à l'ail, Il y a de
l'ail dans ce saucisson ; Luc mange un gâteau au chocolat, Ce gâteau est au chocolat, Il y a
du chocolat dans ce gâteau. On observera que dans ces structures aussi, il y de fortes
restrictions sur la détermination du substantif : on trouve le générique le mais non l'indéfini,
même accompagné d'un modifieur : Ce gâteau est au chocolat, *Ce gâteau est à un chocolat,
*Ce gâteau est à un chocolat fondant. D'autres prépositions peuvent être observées, en
particulier sur et à : Cette surface est à rainures, Il y a des rainures (sur + à) cette surface.
3.3.3. N est à N = N V à N
Les relations que nous suggérons maintenant sont plus spéculatives, dans la mesure où
la paraphrase est plus sémantique que syntaxique : Ce moteur est à essence, Ce moteur
184
(marche + fonctionne) à l'essence ; Cette lampe est à alcool, Cette lampe fonctionne à
l'alcool. On peut ranger dans ce groupe les cas d'effacement dont on peut contrôler la trace de
façon moins aléatoire : Max travaille à mi-temps, Max est à mi-temps ; On paye Max au
rendement, Max est payé au rendement, Max est au rendement ; On a mis Max à contribution,
Max a été mis à contribution, Max est à contribution.
Le verbe être à permet de créer, à partir d'un verbe, des structures nominales à
interprétation adjectivale. Le verbe peut être à l'actif ou au passif.
Dans ce cas, on observe le parallélisme suivant : Max regrette de devoir partir, Max est
au regret de devoir partir ; Max agonise, Max est à l'agonie ; Max recherche la solution, Max
est à la recherche de la solution. Cette possibilité dépend quelquefois de la nature du
complément, en particulier du statut, humain ou non, de ce complément : Max est à l'écoute
des jeunes, Max écoute les jeunes ; Max est à l'écoute de la misère du monde, *Max écoute la
misère du monde.
Dans ce dernier cas, nous n'avons pas affaire à une nominalisation, mais le substantif
écoute doit être considéré comme un substantif prédicatif autonome, sans autre lien avec le
verbe écouter que morphologique. Dans les cas que nous venons d'évoquer, il y aussi de fortes
restrictions sur la détermination du substantif : seul le générique est possible : *Luc est à un
regret (E + immense) de devoir partir, *Luc est à une recherche (E + fébrile) de la solution.
Le verbe être à permet aussi de nominaliser des formes passives : Luc est abrité du vent,
Luc est à l'abri du vent. De ce point de vue, le support il y a a des propriétés analogues au
support converse avoir (cf. G. Gross 1989) : Il y a chez Luc de l’admiration pour cette
réaction, Cette réaction est admirée par Luc, Cette réaction a l'admiration de Luc. Il arrive
que le complément d'agent ne puisse pas être exprimé : Ce jardin est abandonné, Ce jardin
est à l'abandon ; Ce jardin est abandonné (E + de son propriétaire), Ce jardin est à l'abandon
(E + *de son propriétaire). Quelquefois il est difficile de décider si la nominalisation repose
sur une construction active ou passive : Luc est au désespoir de devoir partir, Luc désespère
de devoir partir, Luc est désespéré de devoir partir. On observe aussi des constructions
moyennes : Cette voiture est arrêtée, Cette voiture est à l'arrêt.
Nous évoquons ici un certain nombre d'adjectifs polylexicaux dont le sens n'est pas
compositionnel, la signification globale n'étant pas le produit de celles de chacun des
éléments. Cette situation a des explications diverses. Il peut s'agir d'une construction
anciennement compositionnelle, dont on a perdu la motivation, d'une métaphore ou d'une
métonymie plus ou moins vivantes. On a beau connaître le sens du mot parfum, on ne sait pas
pour autant que l'adjectival (être) au parfum dans : La police est au parfum est synonyme de
(être) au courant. De même, rien dans les mots aux anges ne permet d'interpréter la suite être
aux anges comme traduisant une joie extrême. On peut en dire autant de : à cheval sur (les
principes), au bout du rouleau, à la bourre, à feu et à sang, à cran, à fleur de peau, à jour,
etc. Ces suites sont à recenser. Elles nécessitent deux types de traitements. D'une part, en tant
185
qu'adjectifs prédicatifs, elles doivent être décrites du point de vue de leurs propriétés
distributionnelles et transformationnelles, comme tout adjectif prédicatif. On doit, d'autre part,
préciser leur degré de figement, car toutes ne sont pas figées au même degré.
Nous donnons ici de courts extraits d’une typologie des adjectifs composés (G. Gross
1991). L’ensemble comprend près de 250 moules de formation d'adjectivaux, dont tous ne
sont pas entièrement figés. On voit que le phénomène est productif et de grande ampleur.
Préposition = à
à N : à bout, à cran, à poil, à plat
à N Adj : à air chaud, à angle droit, à armature métallique
à Adj N : à courte vue, à claire-voie, à larges bords
à le N : à l'abandon, à l'agonie, à l'écoute, à l'arrêt
Préposition = dans
dans le N : dans l'affliction, dans l'erreur, dans le ton
dans le N Adj : dans l'âge ingrat
dans le Adv Adj : dans le plus simple appareil
dans les N : dans les choux, dans les règles
dans les Adj N Prép : dans les bonnes grâces de N
Préposition = de
de N Adj : d'abord facile, d'âge avancé, d'utilité publique
de Adj N : de plain-pied, de bas étage, de bon aloi
de Adj : de biais, de fond, de gauche
de le N : du métier, du jour, du matin, du tonnerre
Préposition = en
en N : en admiration devant, en arrêt devant, en transes
en N Adj : en chute libre, en mi majeur
en Adj N : en bon état, en bonne posture, en bon ordre
en N Pé : en liberté surveillée, en vase clos
Préposition = entre
entre Card N : entre deux âges, entre deux eaux, entre deux vins
entre le N et le N : entre la vie et la mort
Préposition = sans
sans N : sans appel, sans coeur, sans connaissance, sans fondement
sans N Adj : sans domicile fixe
sans N ni N ; sans feu ni lieu, sans foi ni loi
Préposition = sous
sous le N : sous le choc
sous le N Prép : sous l'effet de, sous l'emprise de, sous le charme de
sous Adj N : sous bonne garde, sous haute surveillance
186
Préposition = sur
sur N : sur mesure, sur pied
sur le N : sur la brèche, sur la défensive, sur la paille, sur la touche, sur le retour
sur le N Adj : sur la corde raide
N : boulot, chocolat
N et N : échec et mat, juge et partie, poivre et sel
N N : bleu azur, bleu roi, boulot-boulot, copain-copain, grandeur nature
N Adj : ambre jaune, feuille morte, fleur bleue, panier percé, châtain clair
Nous venons de voir la complexité interne des adjectivaux. Celle des noms composés est
encore plus grande. Il existe pour le français plus de 700 types de formants différents de noms
composés (M. Mathieu-Colas 1996), correspondant à plusieurs centaines de milliers de mots
de la langue générale. Dans les langues de spécialités, la composition est pour ainsi dire la
règle et leur nombre se calcule en millions. Dans ce qui suit, nous ne ferons pas de distinction
entre les noms prédicatifs et les noms-arguments.
A la différence des groupes nominaux libres, dont chaque élément lexical peut recevoir
une actualisation propre, les noms composés ont une détermination globale, qui affecte
l’ensemble de la suite et non les éléments constitutifs. On opposera ainsi (un) fait évident, qui
est un groupe nominal ordinaire comportant un substantif-tête (fait), dont la détermination est
constituée à la fois par l’article un et par le modifieur adjectival évident au mot composé (un)
fait divers, où la détermination (l’article indéfini un) ne s’applique pas au mot fait mais à
l’ensemble fait divers. L’adjectif divers ne participe pas à la détermination du nom fait mais
constitue avec lui une unité lexicale nouvelle. Cet adjectif ne peut pas recevoir d’actualisation
non plus :
Ce phénomène est encore plus évident dans des suites comprenant deux substantifs.
Comparons les séquences (le) livre de mon frère et (le) livre d’or. On observe que, dans le
premier cas, les deux noms peuvent recevoir l’un et l’autre une détermination autonome : le
livre de mon frère, ce livre de ton frère, l’intéressant livre de notre frère, le livre étonnant de
votre frère, le livre de mon petit frère, le livre de mon frère aîné, tandis que, dans le second
cas, la détermination ne peut porter que sur l’ensemble et non sur les substantifs pris
séparément : *le livre épais d’or, *le livre de mon frère d’or, *le livre d’or jaune, *le livre de
cet or.
188
Nous dirons donc que les noms composés, quel que soit leur degré de figement, sont
caractérisés par une absence de détermination autonome de chacun de leurs éléments
constitutifs. Cela se traduit presque toujours par le fait que, dans les composés mettant en jeu
deux substantifs, le second substantif a l’article zéro :
Le seul autre déterminant qui apparaisse devant le second substantif est le générique le :
la peur du gendarme, la folie des grandeurs, la limitation des naissances, le coup du lapin, un
ordre du jour, etc. Il y a bien ici présence d’un article, mais on observe qu’il ne réfère à aucun
objet ou être défini, qu’il est totalement contraint et qu’il ne peut faire l’objet d’aucune
substitution : *la peur d’un gendarme, *la limitation de ces naissances, *le coup de notre
lapin, *un ordre de ce jour-là. On retiendra qu’un groupe nominal constitue un nom composé
quand l’actualisation porte sur l’ensemble du groupe et non sur l’un ou l’autre des
composants.
Le fait qu’aucun élément d’un nom composé puisse être actualisé montre que les mots
ne sont pas reliés par une prédication : un fait évident est une prédication, un fait divers ne
l’est pas : Nous avons constaté un fait qui est évident, *Nous avons constaté un fait qui est
divers. Cela veut dire qu’un groupe nominal ordinaire est une assertion que le locuteur est en
mesure de faire suivant les règles de la grammaire, tandis que le nom composé est une
séquence qui réfère à un objet ou à une idée abstraite que le locuteur ne crée pas, mais qui est
préconstruite et qui fait partie de son stock lexical, au même titre que les noms simples.
Comme il désigne un objet, il est susceptible de répondre à une question du type : Comment
s’appelle (cet objet, cette action, cet événement) ? (M. Riegel 1991) :
Toutes les propriétés syntaxiques et sémantiques que nous allons décrire par la suite sont
convergentes : un nom composé ne peut pas être une phrase en réduction, comme le pensait
A. Darmesteter (1874), puisqu’une phrase est toujours une assertion tandis qu’un substantif
est une dénomination. Cette constatation s’applique également à des cas où le sens n’est pas
opaque : le mot accent grave désigne, en typographie, un type particulier d’accents, par
opposition à accent aigu, accent circonflexe, mais grave ne qualifie pas le substantif accent.
C’est ce qui explique que l’on dise : Ceci est un accent grave mais non : *Cet accent est
grave. De façon plus générale, il n’y a pas de manipulations syntaxiques entre les différents
éléments d’un nom composé. Deux autres propriétés sont corrélées au caractère préconstruit
de ces suites, d’une part l’interdiction d’une paraphrase synonymique et d’autre part
l’impossibilité d’insertions. Nous définissons donc comme noms composés les groupes
nominaux qui correspondent aux critères que nous venons d’énumérer.
189
Si l'on observe la structure interne des groupes nominaux, une première distinction
s’impose : il existe des suites qui ont une structure interne atypique ou aberrante par rapport à
ceux, considérés comme standards, qui comprennent un substantif accompagné de ses
diverses formes de détermination. Des suites comme un en-cas (collation), le qu’en dira-t-on,
un tire-bouchons, un va-nu-pieds, une contre-allée, un en-avant (rugby) n’ont pas de
substantif-tête actualisé par une détermination (adjectif, complément de nom ou relative). Le
nombre de ces structures génératrices de groupes nominaux atypiques est très élevé (M.
Mathieu-Colas 1996). En fait, n’importe quelle suite de mots peut devenir groupe nominal,
dans un emploi éventuellement métalinguistique, si on la fait précéder d’un déterminant et si
elle a une distribution d’argument ou de prédicat nominal : Ce « J’en ai marre » était de trop.
Il se trouve que ces groupes nominaux atypiques sont considérés par tous les auteurs
comme des noms composés. Darmesteter (1874) les a appelés des composés par ellipse. Il
faut remarquer que ces suites peuvent être sémantiquement opaques (un passe-montagne, un
tire-fesses, un en-avant, un en-cas) ou quasi transparentes (un allume-cigares, un tire-
bouchons, le qu’en dira-t-on). Le fait qu’on leur reconnaisse un statut de noms composés est
souligné par la présence (non nécessaire souvent) du trait d’union. Comme on vient de le voir,
les groupes nominaux atypiques sont loin d’être tous opaques du point de vue sémantique : un
ouvre-boîtes a évidemment quelque chose à voir avec ouvrir et boîte, même s’il n’est pas
spécifié quel est exactement le sujet d’ouvrir. De même, la signification du mot qu’en dira-t-
on n’est pas indépendante de celle des composants. Constatons ici combien le terme de nom
composé est flou dans la tradition grammaticale : les groupes nominaux à structure interne
déviante sont considérés comme des noms composés, même si leur sens est relativement
compositionnel, alors que la définition de la composition met souvent l’accent sur l’opacité
sémantique. Cela vient peut-être du fait que leur caractère de structure déviante les caractérise
fortement et évite toute confusion avec les groupes nominaux libres.
A ce type de groupes nominaux aberrants, on opposera ceux - et c’est le plus grand
nombre - qui ont une structure canonique, c'est-à-dire qui comprennent un substantif
accompagné de ses déterminants ou modifieurs. Ces groupes nominaux, qui ont une structure
de surface régulière, peuvent être, à leur tour, libres ou contraints. Pour ces derniers, que A.
Darmesteter appelle des juxtaposés, il faut montrer en quoi consiste la contrainte. On ne peut
pas les détecter automatiquement : il faut les analyser et, au regard de certaines propriétés,
décider si l’on a affaire à des groupes nominaux libres ou s’ils sont, et à quel degré, figés. On
conçoit que le travail de reconnaissance et de description est plus complexe que pour ceux du
premier type.
Parmi les suites canoniques, que nous analysons maintenant, il faut opérer une autre
distinction, selon que le groupe nominal contraint possède un substantif-tête (panier à pain,
panier à provisions) ou non (panier percé = dépensier). Dans le premier cas, on perçoit l'un
des substantifs comme le centre ou le pivot de la suite, les autres éléments en constituent la
détermination ou une spécification quelconque. Ce substantif-pivot peut parfois être employé
seul, après effacement de la détermination ou de la spécification : Donne-moi (le panier à
pain, le panier), Un panier à pain est un panier.
Cette réduction est possible, même si la relation entre le substantif-tête et les autres
éléments est moins simple que dans l’exemple que nous venons de donner. La tradition
linguistique a appelé les composés à substantif-tête des composés endocentriques et tous les
autres types des composés exocentriques, comme panier percé : Luc est un (panier percé,
190
*panier), *Un panier percé est un panier. Ces derniers ne posent, en fait, aucun problème
d’analyse : ils sont figés du point de vue syntaxique et sémantique. Ce sont des suites
« gelées » qui ne diffèrent d’un mot simple que par leur polylexicalité formelle et les marques
morphologiques spécifiques aux composés. Il va de soi qu’il faut les lister, car elles
constituent des entrées de dictionnaires. Notons qu’une telle liste de composés exocentriques
peut constituer la matière première d’études portant sur la métaphore, qui est essentiellement
à l’oeuvre dans leur formation.
Les composés endocentriques présentent, eux, des problèmes d’analyse interne
beaucoup plus complexes. Une première question se pose à leur propos : quelle différence y a-
t-il entre eux et les groupes nominaux ordinaires, avec lesquels ils partagent certaines
propriétés : structure canonique de groupe nominal et existence d’un substantif-tête? Nous
illustrons ici l’analyse plus abstraite que nous avons faite plus haut. Prenons une suite comme
(une) porte d’entrée. A première vue, on a le sentiment qu’elle est entièrement
compositionnelle du point de vue sémantique, que porte et entrée y gardent donc leur sens. En
fait, ce n’est pas entièrement le cas, puisque le sens exact n’est pas (une) porte par laquelle
on entre, ce qui serait un pléonasme, mais la porte principale d’une maison (ou d’un
établissement), considérée comme son entrée normale, celle en particulier qu’empruntent les
étrangers. Ce groupe n’a donc rien à voir avec une suite comme la porte de l’entrée, qui
constituerait, elle, une séquence entièrement compositionnelle. Faut-il considérer notre
exemple comme un nom composé ? C’est évidemment une question purement
terminologique, tant que l’on n’a pas précisé à partir de quel degré de figement on admet
qu’une suite nominale est un nom composé. Nous pensons qu’il convient de le prendre pour
tel, à la fois pour les raisons sémantiques que nous venons de signaler et pour des raisons
syntaxiques : les éléments n’ont pas de détermination autonome.
Examinons maintenant la séquence (une) porte de garage : Cet ouvrier vient de poser
une porte de garage. Comparons son fonctionnement avec celui d’un groupe nominal
ordinaire la porte de mon garage : Cet ouvrier vient de réparer la porte de mon garage. Tout
d’abord l’endocentrique porte de garage n’est pas opaque du point de vue sémantique,
puisque le sens est compositionnel ou quasiment. Il se trouve cependant que la syntaxe interne
de cette séquence n’est pas totalement libre, à la différence de celle du groupe nominal la
porte de mon garage. Dans ce dernier cas, on observe une assez grande liberté dans la
détermination : la porte de (mon, ton, ce, quelques, nos) garage(s) ; une porte de (mon, ton,
ce, quelques, nos) garage(s).
On peut ajouter des modifieurs : la porte verte de mon garage, la porte de mon garage
parisien, la porte vitrée de mon vieux garage. Le complément de nom de Dét garage peut être
pronominalisé et faire l’objet de reformulations : J’en (= de ce garage) ai changé la porte,
Mon garage a une porte solide, Il y a une porte verte à mon garage. On pourrait résumer ces
propriétés en disant qu’entre porte et garage dans : la porte de mon garage, il y a une relation
de partie-à-tout, comme dans : la selle de mon vélo, le toit de ta maison. C’est ce qui explique
certaines restrictions : *ma porte de ton garage, ?cette porte de notre garage, ?cette porte
d’un garage.
Analysons maintenant le comportement de porte de garage. La détermination portant
sur la suite porte de garage est libre : (une, la, cette, notre, quelque) porte de garage. Cela est
déjà un indice du fait que porte de garage doit être considéré comme une unité. Mais, dès lors
qu’on s’intéresse à la détermination de chacun des substantifs, on observe de fortes
restrictions. Dans une porte de garage, le déterminant un est un article indéfini, tandis que
dans une porte de mon garage il s’agit d’un numéral et le groupe nominal est libre. On est
donc en présence de deux configurations différentes. L’adjonction d’adjectifs est restreinte
aussi. On peut qualifier l’ensemble porte de garage, mais l’adjectif ne sera pas inséré : une
porte de garage verte, une grande porte de garage, *une porte verte de garage, *une porte de
191
grand garage face à la porte verte du garage. La pronominalisation de garage n’est pas
possible non plus : *J’en ai acheté une porte.
On constate que la suite porte de garage est une suite à actualisation contrainte, où le
mot garage ne peut pas recevoir de détermination propre et d’où sont absentes les relations
syntaxiques spécifiques des groupes nominaux mettant en jeu une relation partie-à-tout. Ces
observations vont de pair avec l’analyse sémantique qu’on peut en faire. Dans la porte de
mon garage, le groupe de mon garage est une détermination, il identifie un objet donné,
tandis que dans porte de garage, le complément de nom spécifie, c’est-à-dire désigne un type
de porte particulier, une variété de porte et constitue une désignation. Faut-il aller jusqu’à
considérer porte de garage comme un nom composé ? Certains éprouveront quelques
réticences à le faire, suivant en cela la tradition qui veut qu’un nom composé désigne une idée
unique. Mais que dire alors de ouvre-boîtes, coupe-papier, machine à laver la vaisselle, qui ne
sont pas opaques et que tout le monde considère comme des composés ?
Nous entendons par ce terme l’étendue, calculée en nombre de mots, de la suite affectée
par le figement. L’indication du début et de la fin des séquences contraintes est indispensable,
en particulier, pour le traitement informatique.
Personne, s’il ne connaît pas le sens du mot, n’est en mesure de deviner qu’un frappe-
devant est un gros marteau dont on se servait pour aplatir le métal. Aucun des deux mots ne
peut faire l’objet d’une substitution ni de modifications syntaxiques (changement de temps,
négation, etc.). Si le sens est connu, on comprend que le terme a une motivation
métaphorique. On peut en dire autant de en-cas et de sot-l’y-laisse, signifiant respectivement
192
une collation et la croupe d’un poulet rôti, considéré comme la partie la plus succulente. De
même, rien ne permet de deviner que le quatre-vingt-et-un est un jeu de dés. Ces mots
composés, totalement figés, sont à apprendre par coeur.
Les suites exocentriques opaques sont dans la même situation. De même qu’il faut
apprendre des mots simples comme pain et vin, il faut mémoriser des suites figées comme
cordon bleu (bonne cuisinière), petit gris (petit escargot ou variété de tabac), faux-cul
(personne non fiable), chevau-léger (type de soldat du siècle dernier), blanc-bec (jeune
homme sans expérience), cul-de-jatte (personne amputée des deux jambes). La seule
différence qui sépare ce type du précédent, c’est qu’ici la suite a une forme canonique et
qu’un programme informatique à lui seul ne peut pas décider si, pour une suite donnée
rencontrée dans un texte, l’on est en présence d’un nom composé ou d’un groupe nominal
libre, sauf présence de traits d’union.
Les groupes nominaux totalement figés, à la fois du point de vue syntaxique et
sémantique, sont loin de constituer la majorité. Leur traitement linguistique est en fait assez
réduit. Ils ne relèvent d’aucune analyse syntaxique interne, car il n’existe ni paradigmes ni
transformations. Les seules modifications sont de nature formelle : variantes graphiques,
formation du pluriel éventuellement spécifique, présence d’un séparateur.
On peut faire, à leur propos, des considérations historiques ou étymologiques. A quel
moment ou à quelle occasion tel ou tel nom composé est-il né ? La découverte de l’origine
d’un nom composé est de nature archéologique et n’a pas d’interférence avec la description
syntaxique et le calcul du degré de figement. On peut aussi examiner les causes du figement
qui dépendent de la langue elle-même et non de l’histoire ou de la littérature. Il s’agit de la
métaphore et de la métonymie.
4.4.3. La métaphore
Il ne s’agit pas ici de faire une étude générale sur la métaphore mais d’illustrer son
fonctionnement dans la formation des noms composés figés. Le mouvement nazi a été
dénommé par métaphore peste brune, par allusion à la couleur des chemises que portaient les
membres de ce parti, vraisemblablement à partir d’un moule lexical comme la peste noire
(épidémie). La métaphore est une opération de substitution sémantique qui ne maintient pas
toutes les propriétés syntaxiques du mot-source (Cf. Chap. 4 §7.6.). J.-P. Boons (1971) a
analysé l’emploi métaphorique du verbe farcir : Paul a farci la dinde de marrons, Paul a farci
son roman de citations. Dans la seconde phrase, les restrictions de sélection du verbe farcir
ont été transgressées et on a remplacé par glissement métaphorique les arguments habituels
par d’autres. Mais cette constatation à quoi on réduit habituellement la métaphore est loin
d’être suffisante. Il faut remarquer qu’elle bloque aussi les possibilités de reformulation :
- la paraphrase nominale : Paul a mis de la farce dans sa dinde, *Paul a mis de la farce
dans son roman
4.4.4. La métonymie
C’est un procédé « par lequel une notion est désignée par un terme autre que celui qu’il
faudrait, les deux notions étant liées par une relation de cause à effet (...), par une relation de
matière à objet ou de contenant à contenu (...), par une relation de la partie au tout (...) »
(Dictionnaire de Linguistique, Larousse). La métonymie est à l’oeuvre dans un grand nombre
de cas. Si un tout est désigné par une de ses parties, c’est que cette dernière est caractéristique
de l’ensemble, qu’elle en constitue une propriété saillante. Ainsi, un bateau à voile est-il
réduit à ses mâts : un trois-mâts, un quatre-mâts ; tel oiseau à une particularité corporelle : un
rouge-gorge, un hochequeue. On fera une remarque analogue à celle que nous avons faite
pour la métaphore : le transfert sémantique ne s’accompagne pas des propriétés de
restructuration, puisqu’un élément ne peut être soumis aux mêmes reformulations que
l’ensemble.
Sur la base des analyses que nous venons de faire, nous définissons comme composés
des groupes nominaux :
- dont aucun élément n’est actualisé de façon autonome et, en particulier, dont la
détermination interne ne peut faire l’objet d’aucune variation ;
- qui ne constituent pas de prédication interne ;
- entre les éléments desquels on ne peut pas faire d’insertion ;
- dont aucun des éléments ne peut faire l’objet d’une substitution synonymique ;
- et dont le sens global correspond à un concept existant dans la langue et qui pourrait, à
l’occasion, être exprimé par un substantif unique.
Ce que nous venons de dire ne signifie pas que pour former ces concepts, il faille vider
les éléments composants de leur signification et refuser toute relation entre les éléments : nous
n’exigeons pas que le sens soit totalement opaque. Les suites telles que nous venons de les
définir et qui sont totalement opaques ne constituent qu’un sous-ensemble, comme nous
l’avons vu précédemment. Nous examinons maintenant des combinaisons dont les éléments
sont plus ou moins libres du point de vue syntaxique, mais qui forment cependant des unités
de dénomination.
Ces relations dépendent de la nature sémantique du substantif-tête. Le substantif moulin
peut figurer dans des groupes nominaux libres. Il est alors le noyau du groupe nominal et
reçoit un assez grand nombre de déterminants qui l’identifient : J’ai vu le moulin que tu viens
d’acheter, Ce moulin appartenait à Jean, Tu as acheté là un moulin superbe, Ton moulin est
en état de marche. Il se trouve, d’autre part, que moulin est un terme générique susceptible de
représenter des types d’objets différents. Il s’agit d’un dispositif (machine ou appareil) de
transformation de certains produits. On obtient alors des dénominations en fonction :
- des produits transformés : moulin à épices, moulin à poivre, moulin à café, moulin à
sel, moulin à légumes
a) Les expansions sont ici de nature différente. Elles ne servent pas à identifier un objet
mais à désigner, à nommer une variété d’objets qui ont en commun de pouvoir être désignés
par le terme moulin. Ces expansions sont donc effaçables. C’est la situation qui permet de
déterminer à quel type d’objet l’on a affaire précisément. Notons que ces expansions ne sont
pas elles-mêmes actualisées.
Nous allons illustrer, dans ce qui suit, quelques-unes des relations qu’on peut observer
entre les éléments lexicaux des noms composés non entièrement figés.
4.5.1. Le domaine
- un adjectif : un accord salarial, une prouesse technique, une vérité statistique, une
dynastie minière
Nous donnons ici quelques exemples de composés dont la relation entre les éléments
représente, du moins à l’origine, une relation de prédicat à sujet ou à objet.
a) relation de sujet : une promesse de Gascon, une réponse de Normand, une descente
de police, une charge de cavalerie
a) La substance
Pour tous les objets concrets, l’indication de la substance peut être mentionnée : une
fourchette en métal, une fourchette en plastique, une maison en briques, une maison en
pierres de taille. Le substantif désignant la matière n’a pas ici de détermination propre. Cela
correspondrait donc à une des définitions du figement que nous avons donnée plus haut. Mais,
cette détermination n’est pas figée puisqu’on peut constater des paradigmes : une fourchette
en métal inoxydable, une maison en briques rouges, une fourchette en plastic d’Oyonnax.
Nous considérons qu’il s’agit là d’adjectifs composés (de, en) (N)matière et que leur relation
avec le nom est de nature prédicative : Ce (objet) est (de, en) N(matière). Il arrive que la
matière constitue non plus une indication mais un élément distinctif permettant de classer les
objets en types : un chapeau de paille, une fibre végétale/de la fibre de verre.
b) Le lieu
Le lieu ne traduit pas ici une localisation mais permet de créer une typologie, la
désignation d’une variété : un village de montagne, un rat des villes, un rat des champs, un
ours polaire, un ours des Pyrénées.
c) Le temps
La même observation vaut pour les indications de temps : des vacances d’hiver, des
vacances d’été, le repas de midi, le repas du soir.
d) La conséquence :
Dans les groupes nominaux atypiques (en-cas, ouvre-boîtes) et dans les groupes
nominaux exocentriques (panier percé, cordon-bleu, bas-bleu), on ne peut effacer aucun
élément, sous peine de supprimer le mot composé lui-même. Pour les composés à élément-
tête, on peut observer des effacements.
a) hors contexte
196
Il est possible, indépendamment de tout contexte, de supprimer dans une suite Nom +
Adj, soit l’élément de gauche : (pommes) frites ; (feuillet) intercalaire ; (sauce) béarnaise, soit
l’élément de droite : central (téléphonique) ;
b) en contexte situationnel
On peut, d’autre part, dans certaines circonstances précises, réduire caporal-chef à chef
ou procéder à des réductions comme : clé (anglaise) ; joint (de culasse) ; simulateur (de vol) ;
stimulation (cardiaque) ; gardien (de but) ; gardien (d’immeuble). C’est la situation qui lève
alors l’ambiguïté.
La possibilité d’effacement est évidemment un indice de moindre figement et, en tout
cas, la preuve qu’il y a un substantif-tête que l’on interprète sans hésitation dans une situation
donnée, de sorte que l’on peut analyser un grand nombre d’éléments effaçables comme des
indicateurs de domaine. Ainsi (faire) un coup boursier peut être interprété comme un coup
que l’on fait dans le domaine de la bourse. Fonctionnent de la même façon : coup médiatique,
coup politique, coup publicitaire, à la différence de coup bas, coup tordu, où l’adjectif est de
nature qualificative. S’il peut y être effacé lui aussi, dans certains cas, la raison en est
différente. Elle tient à l’interprétation négative du mot coup.
On observe donc la permanence du substantif-tête dans les effacements que nous venons
de signaler. Dans certaines conditions, et cela mérite d’être signalé, c’est l’élément modifieur
qui est maintenu. C’est le cas de école communale qui peut être réduit à la Communale ;
l’armée coloniale à la Coloniale. La réduction est soulignée par l’usage fréquent de la
majuscule dans ce cas. Le terme Ecole Normale Supérieure a un comportement particulier : il
peut présenter les réductions suivantes : effacement des spécificateurs (l’Ecole) ou effacement
de substantif (Normale Sup, Normale).
Dès lors que l'on envisage la composition nominale comme un phénomène qui affecte
les groupes nominaux, une première constatation s'impose. Si l'on veut décrire ce phénomène
de façon intégrée et reproductible, il est impossible de se contenter d'observations générales
sur le figement, indépendamment de la nature de la structure interne des noms composés. En
effet, pour reconnaître automatiquement les noms composés, il faut être en mesure d’en
montrer les limites et prédire leur morphologie (formation du pluriel et éventuellement du
féminin), et établir au préalable une typologie de la composition, afin de percevoir les
problèmes spécifiques à chaque type. En fonction de la structure interne des noms composés,
les éléments de la description varient. Selon que la structure interne du mot composé
correspond ou non à la structure canonique des groupes nominaux, les indications requises ne
sont pas les mêmes. La reconnaissance automatique comme une unité figée d'une structure
hétérogène dans un texte est évidente, ce qui n'est pas le cas d'une structure canonique.
La nécessité de cette typologie a été reconnue depuis longtemps par divers auteurs. La
typologie de loin la plus explicite est celle qui a été établie par Michel Mathieu-Colas (1996).
Elle comprend plus de 700 types et permet de se rendre compte de l’ampleur du phénomène.
Nous ne donnons ici que les grandes lignes de la structuration de cette base, qui comprend 17
classes élémentaires :
Il faut ajouter à cette liste huit autres classes faisant le recensement des composés
complexes :
Conclusion
Lectures
1. Etudes générales
Gross, G., 1996, Les expressions figées en français. Noms composés et autres locutions, Paris,
Ophrys.
Grossmann, Fr.et Tutin, A., 2003, Les collocations : analyse et traitement, De Werelt,
Amsterdam.
198
2. Locutions
Conenna, M., 1985, « Les expressions figées en français et en italien : problèmes lexico-
syntaxiques de traduction », Contrastes, n° 10, p.129-144.
Danlos, L., 1981, « La morphosyntaxe des expressions figées », Langages, n° 63, Larousse,
Paris, p.53-74.
Gaatone, D., 1984, « La locution ou le poids de la diachronie dans la synchronie », Actes du
colloque de McGill, CERES, Montréal.
Gross, G., 1988, "Réflexions sur la notion de locution conjonctive", Langue Française, n° 77,
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Gross, M., 1982, « Une classification des phrases figées du français », Revue québécoise de
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Guiraud, P., 1980, Les locutions françaises, Que sais-je, n° 903, PUF, Paris.
3. Noms composés
Anscombre, J.-C., 1991, « Pourquoi un moulin à vent n’est pas un ventilateur », Langue
Française, no 86, Larousse, Paris, p.103-125.
Benveniste, E., 1967, « Fondements syntaxiques de la composition nominale », B.S.L., T.
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Corbin, D., 1992, « Hypothèses sur la frontière de la composition nominale », Cahiers de
grammaire, n° 17, p.26-55.
199
Gross, G., 1988, « Degré de figement des noms composés », Langages, n°90, Larousse, Paris,
p.57-72.
Habert, B. et Jacquemin, Ch., 1993, « Constructions nominales à contraintes fortes et
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Rohrer, Ch., 1967, Die Wortzusammensetzung im modernen Französisch, Narr, Tübingen.
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Vivès, R., 1990, « Les composés nominaux par juxtaposition », Langue Française, n°87,
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4. Locutions verbales
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Gaatone, D., 1981, « Les locutions verbales : pour quoi faire ? », Revue Romane, vol. 16,
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Gougenheim, G., 1971, « Une catégorie lexico-grammaticale : les locutions verbales »,
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Greciano, G., 1983, « Signification et dénotation en allemand. La sémantique des expressions
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Rey, A. et Chantereau, S., 1979, Dictionnaire des expressions et locutions, Paris.
200
Ruwet, N., 1983, « Du bon usage des expressions idiomatiques dans l’argumentation en
syntaxe générative », Revue Québécoise de linguistique, 13,1, p.9-145.
Adjectifs
Gross, G., 1991, « Typologie des adjectivaux », Analyse et synthèse dans les langues romanes
et slaves, G. Narr Verlag, Tübingen, p.163-178.
201
202
Chapitre 11
Les événements
1. Classes de prédicats
Nous avons vu (Chap.3, 5, 6, 7), que les prédicats correspondent morphologiquement à
des verbes, des noms, des adjectifs et des prépositions, ce qui induit des propriétés
morphologiques et syntaxiques spécifiques. Mais les prédicats se prêtent parallèlement à une
description sémantique, qui ne recoupe pas cette classification catégorielle. Nous avons
montré, au Chap.4, les avantages que représente l’introduction de classes sémantiques (classes
d’objets) dans la description des arguments. Nous proposons d’étendre un type de
classification similaire aux prédicats du premier ordre. Nous verrons successivement les
événements (Chap. 11), les actions (Chap. 12) et les états (Chap.13). La mise au point de ces
classes permet de factoriser les propriétés des prédicats. Nous constaterons que ces trois
grandes classes ne sont pas entièrement disjointes, mais que des actions et des états peuvent,
dans certaines conditions, recevoir secondairement une interprétation événementielle.
2. Définition linguistique des événements : paramètres d’analyse
Les substantifs événementiels sont des prédicats et, comme tels, ils sont susceptibles
d’être définis à l’aide des outils généraux qui servent à décrire les prédicats nominaux, parmi
lesquels figurent les verbes supports.
Parmi les supports les plus fréquents des substantifs événementiels on trouve : avoir
lieu, se produire, arriver, survenir, se dérouler. Ces supports constituent un critère
définitionnel suffisant pour rendre compte de la classe.
Ces verbes ont une double fonction. D’une part, ils déterminent les prédicats nominaux
comme appartenant à la classe des événements et, d’autre part, ils conjuguent ces prédicats, en
les inscrivant dans le temps. Nous avons déjà signalé que si un substantif codé habituellement
comme <action> est actualisé par l’un de ces supports, il reçoit secondairement une
interprétation événementielle.
Du point de vue sémantique, ces verbes apportent une triple information aux substantifs
prédicats auxquels ils sont associés : ils spécifient leur interprétation événementielle, ils les
inscrivent dans le temps et leur apportent une valeur aspectuelle.
2.2. Un lieu
a) Connaître, enregistrer
d) Voir se produire
Un lieu peut être non seulement l’endroit aléatoire où s’est produit un événement, mais
encore représenter l’objectif d’un événement organisé, d’un attentat par exemple. Cette
relation s’exprime à l’aide des verbes suivants :
2.3. Un temps
b) Thématisation de la date
Un événement peut affecter des humains, surtout s’il est s’agit d’une agression ou d’une
attaque violente.
a) En position de complément :
2.5. Un témoin
a) En position de complément
Cet incident s’est produit (devant nous, en présence de tous, devant nos yeux ébahis,
sous les yeux de la foule)
b) Thématisation du témoin
Par métonymie, le témoin humain peut être remplacé par un appareil enregistreur, qui
dépend évidemment de la nature de l’événement : baromètre, lecteur, oscillographe,
thermomètre :
206
Un événement donné peut être défini, non seulement par ses verbes supports, mais aussi,
selon sa classe sémantique, par des opérateurs appropriés. Voici ceux qui caractérisent un
<séisme> :
Un séisme meurtrier, de magnitude 5 sur l’échelle de Richter, a ravagé les côtes des
Philippines
2.7. Le causatif
Un événement a généralement une cause, que nous appelons une cause événementielle
(G. Gross, R. Pauna, F. Valetopoulos 2009)
Les opérateurs causatifs ont des formes syntaxiques variées. Les événements fortuits (cf.
3.2.), qui ne doivent rien ni à la main ni à la volonté de l'homme, excluent certains causatifs :
des verbes comme susciter et donner lieu à opèrent sur des prédicatsévénements à sujet
humains (donc non fortuits) et désignant soit un sentiment soit une réaction ou une attitude :
Ces propos ont suscité (de la haine, une réaction défavorable) de sa part ; Ce spectacle a
donné lieu à des scènes d'hystérie ; Cette mise en scène a suscité des sifflets. *Ce virage
suscite des accidents ; *Cette humidité suscite souvent de la pluie.
2.8. Probabilité
Un événement peut faire l'objet d'une spéculation quant à son occurrence. Ce paramètre
est exprimé par des adjectifs exprimant sa probabilité :
2.10. Le domaine
3. Essai de classification
Notre objectif est maintenant de mettre au point une typologie des événements en nous
servant de ces propriétés générales comme moyens d'analyses plus précis. Nous commençons
par décrire l’hyperclasse.
3.1. Les événements comme hyperclasse
Le français possède avec avoir lieu un verbe support qui permet de délimiter assez bien
l’hyperclasse des substantifs d’événements. Nous définirons donc comme événementiel tout
substantif qui prend ce support. Les événements sont en outre caractérisés, comme nous
l’avons vu, par des prédicats appropriés : observer, être témoin de, participer à, assister à,
rapporter, relater, etc. Nous décrivons dans ce qui suit les sousclasses d’événements. Nous
distinguons cinq types d’événements différents :
3.2. Les événements fortuits
Les événements fortuits sont ceux qui ne peuvent pas faire l'objet d'une prédiction de
notre part, car ils dépendent du hasard. Nous montrerons que le terme fortuit peut être étayé
par des propriétés syntaxiques spécifiques. On pourrait penser à d'autres subdivisions et
proposer de classer les événements en fonction de la présence ou de l'absence physique d'un
témoin. Mais on voit tout de suite que cette opposition ne caractérise pas la nature intrinsèque
de ces événements, elle leur est extérieure : un accident de la route reste un accident, que l'on
précise s'il a eu lieu sans témoin ou sous les yeux de la gendarmerie ou en présence de
208
témoins oculaires. Si le témoin n'est pas mentionné dans un énoncé, il manquera un argument
à la suite la plus longue mais la nature même du procès n'en est pas affectée.
Une classification initiale qui ferait intervenir, d'autre part, les domaines de façon
déterminante ne serait pas pertinente non plus, puisque nous cherchons à rendre compte des
événements dans leur expression linguistique. A ce titre, rien ne sépare rupture de
canalisation, qui est du domaine de la mécanique, de coup de grisou qui relève de celui des
mines. En revanche, il est pertinent d’opposer des événements fortuits à d’autres qui sont
organisés ou planifiés par l'homme. Cette différence est fondée linguistiquement. On prendra
comme exemples d'événements fortuits des substantifs comme : accident, explosion, rupture
de canalisation. Nous les définissons par le fait qu'ils excluent tout sujet agentif : *Luc a
effectué un accident, Luc a eu un accident ; *Les ouvriers ont fait une explosion, Les ouvriers
ont provoqué une explosion ; *Le soudeur a fait une rupture de canalisation, Le soudeur a
provoqué une rupture de canalisation. Le verbe support d'occurrence le plus habituel des
événements fortuits est se produire. Ce verbe exclut toute intervention humaine dans le
processus, ce que confirme encore l'impossibilité pour ces prédicats d'avoir le causatif donner
lieu à, qui est réservé à des événements causés par des humains.
Comme ces événements sont fortuits et relèvent du hasard, ils échappent à la volonté de
l'homme et, par conséquent, leur localisation spatiale ou temporelle est aléatoire. Personne
n'est maître de ces deux variables : *Nous avons reporté l'explosion à demain, *Nous avons
déplacé le tremblement de terre, alors que ces constructions sont possibles, comme nous le
verrons plus loin, pour les événements organisés par les hommes : Le préfet a remis la
cérémonie au lendemain ; La remise des médailles n'aura pas lieu à la Mairie mais à la
Préfecture. L’occurrence des événements fortuits relève de spéculations statistiques : Un
séisme est attendu en Californie avant la fin du siècle ; La météo prévoit de la pluie pour
demain ; Statistiquement, il y un crash tous les deux ans en Europe. On comprend que les
adjectifs qui accompagnent les événements fortuits relèvent du domaine de l'éventualité :
inattendu, imprévu, accidentel, surprenant, inopiné, fréquent, rare, etc.
3.2.1. Evénements fortuits ponctuels
A partir de cette définition des événements fortuits, qui ont comme support prototypique
le verbe se produire, on peut établir des souscatégorisations à l'aide des particularités
aspectuelles qui les caractérisent. On peut séparer les événements ponctuels des duratifs. Un
événement ponctuel n'est pas compatible avec des adverbiaux qui impliquent le déroulement
comme petit à petit, progressivement, lentement, pas à pas, etc. Parallèlement, il existe des
verbes supports d'occurrence qui impliquent un fait ponctuel. Il s'agit essentiellement de :
advenir, arriver, éclater, intervenir, se faire, surgir, survenir : Il se fit un déclic, Un court
circuit est survenu dans ce dispositif.
Tous ces verbes supports d'occurrence n'ont pas la même extension. Certains d’entre eux
sont spécifiques d'événements particuliers et ne peuvent définir la classe ellemême : Un coup
de feu a éclaté derrière le mur ; Un coup de feu claquait au loin ; La vérité a enfin éclaté ;
Une difficulté inattendue a surgi hier. Les événements ponctuels peuvent cependant relever de
l'itérativité. Dans ce cas, les supports sont nombreux et ont souvent un emploi métaphorique :
Les coups de feu crépitaient derrière la maison ; Des éclairs zébraient le ciel ; Des incidents
fâcheux ont émaillé cette séance ; Les malheurs s'accumulaient sur notre tête.
3.2.2. Evénements fortuits duratifs
209
Les événements fortuits "duratifs" ont des supports spécifiques. Ils ont, contrairement
aux précédents, la possibilité d'avoir un aspect inchoatif, progressif et terminatif. Un même
verbe peut avoir plusieurs interprétations, selon qu'il actualise un ponctuel ou un duratif. Ainsi
éclater peut s'appliquer, comme on l'a vu, à coup de feu et signifier qu'il y a eu
ponctuellement occurrence de cet événement, mais il actualise aussi des duratifs comme
guerre, incendie ou orage, où il traduit un aspect inchoatif. Dans ce cas, c'est la possibilité des
autres aspects qui fait la différence : La guerre qui a éclaté en septembre 1939 ne s'est
terminée qu'en 1945 ; L'orage qui vient d'éclater sera de courte durée.
Il ne faut donc pas confondre les supports d'actualisation spécifiques d'événements
instantanés avec ceux qui caractérisent le début d'un processus, comme c'est le cas de se
déclarer, qui traduit la première étape d'un processus susceptible d'un certaine durée :
L'incendie qui s'est déclaré au troisième étage n'est pas encore maîtrisé ; L'épidémie de
grippe qui s'est déclarée au mois de mars, atteint à l'heure actuelle les pays méditerranéens.
C'est aussi le cas de débuter, se déclencher, faire irruption. La durée et la fin de l'événement
ont eux aussi des supports appropriés : L'éruption continue le long de l'Etna ; Cette épidémie
se développe rapidement ; L'orage se termine à l'instant ; L'épidémie a pris fin le mois
dernier. Dans le cas de duratifs, on observe la possibilité d'intensifs : L'averse redoubla ;
L'incendie se développe.
3.2.3. Diversité des événements fortuits
Les événements fortuits peuvent être souscatégorisés. Nous donnons ici quelques
exemples de sousclasses, sans prétendre à une quelconque exhaustivité. Notre seul but est de
montrer leur diversité : accidents, maladies, épidémies, catastrophes, phénomènes naturels,
phénomènes météorologiques, bruits, changements d’états
a) Accidents
b) Catastrophes
210
c) Phénomènes naturels
d) Phénomènes météo
e) Bruits
3.3. Les événements "créés"
Les événements que nous allons décrire maintenant ne sont pas dus au hasard mais à une
décision humaine. Comme nous le verrons plus loin, il ne faut pas confondre ces événements
avec les actions que nous appelons actions événementielles.
3.3.1. Description
Nous envisageons des événements dont le sujet est un humain interprété comme agentif.
Ils offrent donc un argument supplémentaire, propriété corrélée à d'autres que nous allons
analyser. Prenons à titre d'exemple un terme comme défilé militaire. Si nous reprenons les
paramètres que nous avons mis en évidence plus haut, nous constatons qu'il y a ici des verbes
spécifiques appropriés aux "témoins" de ce type d’événement : Nous avons assisté au défilé
du 14 Juillet ; Nous avons quitté le défilé au bout d'un quart d'heure. Cet événement est
interprété comme "duratif" comme le montrent les verbes aspectuels suivants : Le défilé a
commencé à 8h et se terminera à midi ; Le défilé s'est déroulé sans incidents.
Mais ce qui sépare défilé des événements fortuits que nous avons analysés, c'est
l'existence possible de sujets humains agentifs : Le préfet a organisé ce défilé et l’exclusion
de verbes comme se produire : *Il s'est produit un défilé ; *Un défilé se produira à 8h.
L'interprétation agentive du sujet justifie des adjectifs comme improvisé, réussi, planifié,
211
préparé, etc. Cette même notion d'agentivité explique que l'on puisse trouver des verbes
comme annuler, supprimer : Le gouvernement a supprimé le défilé du 14 Juillet cette année.
Pour les mêmes raisons, le lieu et la date peuvent être précisés : Le défilé aura lieu au Champ
de Mars ; Le défilé aura lieu le 14 Juillet.
Non seulement ces événements peuvent être prédits mais on peut encore en modifier le
lieu : Le défilé est transféré au boulevard de Vincennes, la date : Le défilé est remis à
dimanche prochain ou encore l'occurrence : Nous referons ce défilé dès que possible. La
durée de l'événement peut aussi faire l'objet de modifications : En raison de la pluie, le défilé
sera réduit à une heure ; Le défilé est rallongé d'une demiheure.
Les causatifs ne sont pas les mêmes que ceux qui s'appliquent aux événements fortuits.
Ainsi on trouve occasionner, donner lieu à mais plus difficilement provoquer, causer : Le 14
Juillet est l'occasion d'un grand défilé ; Les commémorations militaires donnent lieu à des
défilés ; *Le 14 Juillet a provoqué un défilé ; *Cet anniversaire a causé un défilé. On voit que
les notions de fortuit et d’organisé permettent de distinguer deux types d'événements qui ont
des propriétés linguistiques très différentes.
3.3.2. Essai de classement
Là encore nous donnons, à titre d’illustration, quelques exemples de classes.
3.3.3. Importance du point de vue du témoin
Nous avons montré les différences linguistiques induites par le caractère fortuit ou
"créé" d'un événement. L'indication du témoin n'est pas nécessaire mais présupposée : Un
accident a eu lieu à l'intersection des deux boulevards. La différence entre les deux types
d'événements vient de ce que le second est prévu et organisé : Le préfet a organisé un défilé
et nous y a invités ; Nos amis nous ont conviés à une cérémonie familiale. Cependant, si on
banalise l'agent et si on se place du point de vue du seul témoin, les événements "préparés"
peuvent aussi être interprétés comme des événements fortuits, interprétation illustrée par le
verbe tomber sur, etc. : En descendant du boulevard, je suis tombé sur une manifestation
violente ; A la gare j'ai été le témoin involontaire d'une rixe.
212
3.4. Les événements cycliques
Les événements que nous avons étudiés jusqu'à présent n'impliquent pas par euxmêmes
une quelconque marque de temps, de sorte que rien ne permet de savoir, en dehors d'une
indication spécifique, quand un événement donné a eu lieu : Un accident aérien s’est produit
(E, à onze heures). Or, il existe un certain nombre d'événements que nous appelons cycliques,
dont l’occurrence est récurrente à intervalles réguliers, comme les fêtes nationales (le 14
Juillet), les fêtes religieuses mobiles, pour ce qui concerne le jour de la semaine (Noël) ou du
mois (Pâques), certains événements de la vie sociale (rentrée des classes) ou privée
(anniversaire). Ces substantifs ne sont pas actualisés par les supports intervenir, se produire :
*(Noël, Pâques) s'est produit agréablement. En revanche, le verbe avoir lieu est possible
même si le présent actuel est peu naturel : *Noël a lieu aujourd’hui ; Noël a lieu le 25
Décembre ; Cette année, Pâques a lieu le premier dimanche d'avril ; La rentrée des classes a
lieu le 1er septembre.
Le verbe le plus approprié est cependant le verbe tomber, dont le complément est un
substantif qui désigne un mois, un jour de la semaine, un jour déterminé du mois : Noël tombe
le 25 Décembre ; Cette année Noël tombe un mercredi ; Cette année Pâques tombe le 20
Avril. Les substantifs de cette classe ont une syntaxe de date : A (E, la) Noël, les enfants
reçoivent des cadeaux ; Pour mon anniversaire, nous irons à Londres ; Noël est déjà passé,
Pâques est encore à venir.
Il ne faut pas confondre ces événements avec les fêtes ou manifestations dont ils sont
souvent l’occasion, car ils ne prennent pas, à eux seuls, le verbe assister à : *Nous avons
assisté à Noël cette année ; Nous avons assisté aux fêtes de Noël cette année. Si l'on
interprète ces noms comme des fêtes, alors on trouve les verbes spécifiques des cérémonies :
J'ai participé à la fête de Noël du collège ; Nous avons fêté l'anniversaire de Luc ; J'ai
assisté aux fêtes de Pâques à Rome ; On célèbre Noël avec faste dans ce pays ; Nous avons
souhaité un joyeux (anniversaire, Noël) à Paul. Ces événements, qui sont interprétés comme
des dates, n'acceptent aucun des causatifs spécifiques des événements fortuits : *provoquer,
*causer, *entraîner Noël ni des événements "organisés" : *Cela a (donné lieu à, occasionné)
Noël. Le seul causatif qui semble possible est le verbe fixer, dont un des objets appropriés est
le générique date : Le ministère a fixé la rentrée des classes au 7 octobre.
A l’inverse, certaines dates sont interprétées par métonymie comme des événements. Ce
sont celles qui ont vu se produire un événement important, comme par exemple le 14 juillet
ou le 11 septembre. Cette interprétation est illustrée par les supports spécifiques des prédicats
événementiels : Le 14 juillet a renversé la monarchie de droit divin ; Le 14 juillet a donné la
voix au peuple ; Le 11 septembre a secoué toute l’Amérique.
4. Constructions événementielles verbales
Les exemples que nous avons pris jusqu’à présent mettent en jeu des substantifs
prédicatifs, dont l’étude est facilitée par l’existence de verbes supports qui leur sont
appropriés. Nous examinons maintenant dans quelles conditions une phrase verbale peut
recevoir une interprétation événementielle. Les phrases génériques ne peuvent pas être
interprétées comme des événements : Deux et deux font quatre ; Les hommes sont mortels ;
On a souvent besoin d’un plus petit que soi. Sont interprétées comme des événements les
phrases impersonnelles :
Mais les phrases actives peuvent aussi, dans certains cas, être interprétées comme des
événements. Les exemples les plus évidents sont représentés par les titres de journaux :
Les Français ont voté dimanche. Cet événement a changé la donne politique
Un ouragan a dévasté le sud des Etats-Unis. Cette catastrophe est la seconde depuis
deux mois
Conclusion
La notion de prédicat événementiel peut être définie par un certain nombre de propriétés
que nous avons définies au début de ce chapitre. Nous avons vu que, dans les phrases
événementielles, c’est le prédicat qui est thématisé et non pas le sujet comme dans le cas des
prédicats d’action ou d’état : Un grave accident s’est produit à l’entrée du village. Très
souvent, les phrases ont un sujet « apparent » : Il s’est produit un grave accident à l’entrée du
village. Ce sujet apparent s’observe fréquemment avec les verbes impersonnels qui sont de
nature événementielle : il pleut, il gèle, ça glisse. Dans tous les cas, la structure argumentale
est spécifique. C’est cette structure spécifique qui explique que des actions et des états
puissent être interprétés comme des événements : dans ce cas le sujet profond ne disparaît pas
mais est pris en charge par un élément de la restructuration : Paul a répondu négativement à
cette demande : il a été répondu négativement à cette question. Les verbes d’action à structure
standard peuvent être interprétés comme des événements quand ils figurent en position
argumentale : dans ce cas, le classifieur fait joue le rôle de tête de complétive : Le fait qu’il
est arrivé est connu de tout le monde ; nous avons appris le fait que l’Assemblée a voté cette
loi.
Lectures
Gross, G. et Kiefer, F., 1995, « La structure événementielle des substantifs», Folia linguistica,
Acta Societatis Linguisticae Europaeae, XXIX, 1-2, p.43-65.
Gross, G., 1998, « Pour une typologie des prédicats nominaux », in Assertion, information.
Actes du colloque d’Uppsala en linguistique française, Uppsala.
Gross, G., 2007, « Actions, états et événements constituent-ils des ensembles disjoints ? »,
Variation et stabilité du français. Des notions aux opérations, Mélanges offerts à Jean-
Marcel Léard, Editions Peeters, Louvain, p.107-114.
Gross, M., 1981, «Les bases empiriques de la notion de prédicat sémantique», in Langages
n°63, Larousse, Paris, p.7- 52.
Kiefer, F., 1998, « Les substantifs déverbaux événementiels ». Langages, n° 131, p.56-63.
Lee, S.-H., 2001, Les classes d’objets d’événements. Pour une typologie sémantique des noms
prédicatifs d’événement en français, thèse de doctorat, Université Paris XIII.
Lim, J.-H, 2002, La fréquence et son expression en français, Honoré Champion, Paris.
Mourelatos, A., 1978, « Events, Processes and States », Linguistics and Philosophy 2.3,
p.415-434.
Van de Velde, D., 2006, Grammaire des événements, Villeneuve d’Ascq, Presses
Universitaires du Septentrion.
215
216
Chapitre 12
Les Actions
Au sens restreint que nous donnons à ce terme, une action ne peut avoir qu’un sujet
humain. Nous excluons donc l’interprétation de ce mot que l’on trouve dans des constructions
comme : Ce traitement n’a eu aucune action sur son état. Il faut exclure aussi les emplois où,
par métaphore, certains phénomènes naturels sont assimilés à des humains : La pluie a lavé les
carreaux. Nous nous limitons donc aux sujets strictement humains et nous interprétons les
autres emplois comme des causes.
Selon l’hyperclasse à laquelle ils appartiennent, les prédicats peuvent être repris par des
classifieurs nominaux ou verbaux. Ainsi, comme nous l’avons vu au Chap.11, les événements
peuvent être désignés à l’aide du classifieur événement ou le pronom cela :
Les prédicats d’action peuvent aussi être classifiés par le substantif acte ou plus
généralement par le mot action :
Il a peint des graffiti sur la façade de la Mairie. Cet acte lui a valu une forte amende
Paul a grillé le feu rouge. Une telle action est interdite par le Code de la route
Une action peut encore être reprise par l’expression le faire, qui s’applique à la fois aux
prédicats verbaux et nominaux (Cf. M. Prandi 2004, p.268-274) :
L’expression anaphorique le faire n’est pas à confondre avec le verbe support faire, qui
actualise le prédicat nominal promenade. Dans une construction à verbe support, cette reprise
garde le genre du substantif prédicatif :
Le pronom le qui figure dans le classifieur d’action le faire est un neutre. Son emploi est
indépendant de la forme morphologique du prédicat (verbe ou nom).
Les actions ont en outre des supports spécifiques. Il existe des verbes supports généraux,
comme faire ou effectuer, qui s’appliquent à une grande partie des prédicats d’action et
d’autres qui sont réservés à des classes plus restreintes, comme on le voit dans les exemples qui
suivent :
<aides> : accorder (une faveur à), allouer (allocation), apporter (aide), attribuer
(subvention), prêter (aide, concours)
<attitudes et comportements> : épouser (une attitude, un comportement), faire preuve de
(courage)
<combats> : mener (combat, guerre), livrer (bataille, combat), mener (opérations,
interventions)
<cours-enseignement> : dispenser (enseignement), donner (cours)
<crimes> : commettre, consommer, perpétrer (crime, forfait)
Nous proposons plus loin une classification sémantique des actions, à l’aide
essentiellement des verbes supports.
218
Les prédicats d’action sont accompagnés de certains adverbiaux comme lui- même,
personnellement, en personne :
En résumé, une action est définie à l’aide des cinq critères que nous venons de préciser :
un sujet humain en position thématique, une reprise par un classifieur d’action ou par
l’expression le faire, une actualisation par des verbes supports appropriés ainsi que par certains
adverbes orientés vers le sujet.
Ainsi définies, les actions se subdivisent en deux groupes selon que le sujet agit de façon
volontaire ou non.
Les actions volontaires sont compatibles avec des adverbes d’intentionnalité ou une
subordonnée exprimant la finalité :
D’autres actions excluent toute intention. Deux cas de figure sont à envisager. Un
premier ensemble regroupe des verbes « involontaires », comme se tromper, délirer, etc., qui
sont cependant interprétés comme des actions, comme le montre la reprise par le faire :
Paul s’est trompé, comme il le fait chaque fois qu’il fait une addition
Paul se trompe en prononçant ce mot. Je le fais aussi ; j’en fais autant
Nous avons affaire ici à de véritables actions, bien qu’elles ne soient ni volontaires ni
préméditées.
Un deuxième type d’actions involontaires est constitué par des constructions bien
connues impliquant des causatifs de sentiments (N. Ruwet 1972 : 181-251 ; M. Gross 1975).
La phrase Paul agace Jean est susceptible de deux lectures. L’une traduit une action volontaire
et consciente, comme le met en évidence l’adverbe exprès :
Dans la seconde lecture, Paul n’est pas conscient de l’action qu’il exerce sur Jean. Cette
lecture, qui interdit les adverbes de finalité, est plus évidente si l’on ajoute un complément
désignant un comportement :
On reconnaît ici les distinctions que nous avons faites plus haut entre humain proprement
dit et humain phrastique, d’une part, et entre agentivité et causativité de l’autre.
3. Actions et événements
De façon générale, dans les phrases événementielles, c’est le prédicat qui est thématisé
Un accident s’est produit hier soir sur le périphérique. Nous considérons cette phrase comme
élémentaire et nous ne la confondons pas avec les constructions causatives : Hier soir, la pluie
a provoqué un accident sur le périphérique, qui met en jeu un argument supplémentaire. En
cela les prédicats d’événements s’opposent aux prédicats d’action, où la position frontale est
occupée par le sujet. Les enfants jouent dans la cour ; Nous travaillons à ce projet. Nous
soulignons ainsi une autre différence qui sépare les actions des événements.
Mais c’est sans compter le fait que les prédicats d’action peuvent subir un certain
nombre de restructurations. Partons de la phrase Paul a réagi violemment qui comprend
indiscutablement un prédicat d’action, comme le montre la reprise par le faire : Paul a réagi
violemment comme il le fait chaque fois qu’il a peur. Le procès est vu du côté du sujet, c’est
de Paul que l’on parle. Mais il est possible aussi de thématiser le prédicat. La phrase verbale
ne se prête guère à ce changement. En revanche, c’est possible avec le prédicat nominal Paul
a eu une réaction violente ; il y a eu une réaction violente de la part de Paul. Ce qui souligne
la lecture événementielle et non active, c’est l’impossibilité de la reprise par le faire : *Il y a
eu une réaction violente de la part de Paul, comme il le fait chaque fois qu’il a peur. En
revanche, une reprise « événementielle » est naturelle : Il y a eu une réaction violente de la
part de Paul, comme c’est le cas chaque fois qu’il a peur. Cette lecture événementielle est
encore accentuée par le fait que le support il y a peut être remplacé par se produire : Il s’est
produit une réaction violente de la part de Paul. Se pose alors le problème de savoir si on
range réaction parmi les actions ou les événements. La réponse ici est assez simple. Il existe
des actions qui peuvent recevoir secondairement une lecture événementielle. Reste qu’il est
assez difficile de prédire quand une action peut avoir cette propriété. Elle est possible avec
220
4. Actions et états
Rien ne semble a priori plus facile à distinguer que les actions et les états : dans le
premier cas il y a activité, dans l’autre non. La différence est claire dans les cas
prototypiques : frapper n’est pas un état et tristesse n’est pas une activité. Mais ici comme
ailleurs, les faits ne sont pas aussi tranchés. On admettra par exemple que remarque représente
une action. Il est donc naturel de trouver le support faire : Paul a fait une remarque
surprenante. Mais avec certains types de déterminants pluriels, le prédicat peut être interprété
comme désignant une habitude, une coutume : Paul fait toujours des remarques surprenantes.
Dans ce cas, le pluriel d’une action peut être interprété comme l’instanciation d’une propriété
habituelle, ce qui rapproche ce type d’action des états. Cela explique qu’on puisse trouver le
support avoir qui actualise généralement les propriétés plutôt que les actions : Paul a de ces
remarques !
Prenons inversement des noms de qualités ou de défauts comme gentillesse ou
agressivité. Ces substantifs ainsi que les adjectifs qui leur sont associés traduisent des
caractéristiques générales, des propriétés constantes que l’on appelle traits de caractère dans
le langage courant (Cf. Chap.13). Il s’agit d’états permanents, comme le souligne le terme
classifieur « caractère » : Paul a un caractère (gentil, agressif). Cette interprétation est encore
soulignée par certaines reformulations qui en constituent des paraphrases : être naturellement
gentil, avoir un fond gentil, etc. Mais, par une règle sémantique générale, les mots qui
désignent des traits de caractère, donc des propriétés sinon inaliénables du moins constantes
ou d’une durée prolongée, peuvent recevoir une interprétation actualisante. Il s’agit alors
d’une manifestation ponctuelle d’une disposition générale. On peut dire en voyant quelqu’un
faire un geste généreux : Il est gentil. Ce qu’on qualifie ainsi, ce n’est pas ici un état
permanent mais une action particulière d’une disposition naturelle.
Ce qui souligne cette interprétation, c’est la possibilité de remplacer la verbe être par le
support se montrer : Paul s’est montré gentil dans cette circonstance. Parallèlement, dans les
constructions nominales, le support avoir qui traduit plutôt une propriété : Paul a beaucoup
de gentillesse, peut être remplacé par le support faire preuve de, qui est un support d’action.
On voit donc qu’il faut nuancer l’opposition catégorique que l’on établit entre les grands types
sémantiques de prédicats.
Les actions sont aussi définies par la nature des causes qui opèrent sur elles. Une action
humaine peut être déterminée par des raisons externes au sujet agissant ou par d’autres qui ne
relèvent que de lui (motifs), du fait même qu’un humain est susceptible de se donner ses
propres règles de conduite. Les causes externes ou exogènes (G. Gross 2009) sont de deux
types. Il peut s’agir, d’une part, d’un autre humain. L’auteur de l’action obéit alors à une
221
injonction qui lui est faite et cette connexion s’exprime par un grand nombre de verbes qui
vont d’une invitation polie à un ordre péremptoire :
Cette relation sera appelée factitive et se définit syntaxiquement par la présence d’un
sujet humain à la fois pour l’opérateur factitif et pour l’opérande. Il peut s’agir, d’autre part,
d’un événement :
Nous appellerons cette relation causative. Dans cette configuration, il y a une disparité
entre les deux sujets : celui du causatif est un événement et celui de l’opérande un humain : les
sujets ne peuvent être coréférents.
La cause d’une action peut, d’autre part, être interne au sujet agissant. Les raisons qui
poussent à l’action sont multiples : une réaction personnelle devant un événement extérieur (à
la vue de, devant de tels faits, etc.), une réflexion ou une prise de conscience (à l’idée de, à la
pensée de) ou un sentiment (de joie, par amour). Nous appellerons endogènes ce second type
de causes, qui correspondent à des définisseurs comme mobile, motivation ou motif.
Nous proposons ici quelques outils qui permettent de procéder à un début de typologie.
Le premier est constitué par les verbes supports. Nous avons déjà signalé qu’il existe des
verbes supports généraux. Parmi ceux dont le spectre est le plus large, on trouve d’abord une
opposition entre procéder à d’un côté et faire ou effectuer de l’autre. Procéder à s’applique
essentiellement à des prédicats techniques : audition, augmentation de capital, essai, examen,
réforme, licenciement, opération, évaluation, interpellation, vérification, contrôle, analyse,
ajustement. Ces substantifs sont les plus fréquents avec procéder à dans un très vaste corpus
journalistique. Cette observation est confirmée a contrario par le fait que ce verbe ne
s’emploie guère avec des prédicats d’actions très généraux : *procéder à un (travail, voyage,
entretien). Avec un substantif comme sortie, ce support est exclu avec l’emploi commun de ce
mot, synonyme de promenade mais possible, par exemple, s’il désigne le fait technique pour
un cosmonaute de s’extraire d’une cabine spatiale. De leur côté, faire et effectuer
appartiennent à la langue générale. Les deux verbes diffèrent sur deux points. Effectuer n’a
pas d’autre emploi que d’être support et il appartient à un niveau de langue plus soutenu,
comme on le voit dans faire son service militaire, effectuer son service militaire. Mais les
deux verbes s’appliquent à un grand nombre de prédicats et ne permettent pas de délimiter des
classes sémantiques, du fait qu’ils les transcendent. Le support faire preuve de permet
d’actualiser tous les prédicats traduisant un comportement : faire preuve de courage,
d’audace, de régularité.
En revanche, il existe un assez grand nombre de supports qui actualisent des classes
précises et bien délimitées (Cf. Chap7). Ils permettent ainsi d’établir un classement qui repose
sur un critère formel, avec des prédicats nominaux, évidemment :
<Aides> : allouer
<Combat> : livrer
222
<Compliment> : trousser
<Complot> : ourdir
<Conseil> : prodiguer
<Coups> : asséner, décocher
<Crimes> : perpétrer
<Refus, fin de non-recevoir> : opposer
<Ordres> : intimer
<Propos> : proférer, prononcer
Cependant, la plus souvent, les verbes supports ont des emplois multiples, de sorte que
par eux-mêmes ils ne permettent pas de délimiter des classes entièrement homogènes mais
regroupent des classes voisines. Ainsi, si perpétrer ne sélectionne que des <crimes>,
commettre actualise d’autres classes : des <bassesses> : malveillance, trahison, infidélité,
parjure ; des <accidents> : accident, carambolage ; des <bêtises> : confusion, impair,
stupidité ; des <erreurs> : bévue, ânerie, contresens. Il reste que ce support sélectionne des
prédicats à interprétation négative.
Le support infliger sélectionne lui aussi plusieurs classes, sémantiquement proches :
celle des <défaites> : déroute, revers, celle des <punitions> : châtiment, pénalité, sanction,
celle des <démentis> : désaveu et celle des <dommages> : blessure, sévices, torture. Là
encore, les substantifs appartiennent à des ensembles sémantiques proches. Ce n’est pas
toujours le cas. Le verbe mener est approprié à la classe des :
La possibilité qui se présente alors est de définir une classe, non pas par un seul support
mais par de combinaison de plusieurs verbes supports. S’il est vrai que mener s’applique à
l’ensemble des classes que nous venons de voir, les substantifs qui prennent à la fois mener et
livrer ne sont que des combats. Si administrer s’applique à des <coups> mais aussi à certains
<sacrements> : administrer la baptême à qq, les substantifs qui prennent à la fois administrer,
allonger, décocher, filer, flanquer, foutre sont exclusivement des prédicats de <coups>. De
même, émettre, jeter, lancer, pousser ne sélectionnent ensemble que des substantifs de la
classe des <cris>. Compte tenu des emplois multiples des verbes supports, il est plus rentable
de partir d’une classification sémantique des actions (comme le font B. Levin et Jean Dubois)
et de préciser pour chacune des ces classes la nature de leur actualisation (Iris Eschkol).
Conclusion
La notion d’action est trop diverse pour qu’on puisse en faire ici une typologie, même
rapide. C’est pourquoi nous avons précisé, au début de ce chapitre, les propriétés communes à
toutes les actions, en opposant ces dernières aux états et aux événements. Les verbes d’actions
sont un bon exemple du fait qu’une description purement syntaxique ne permet pas de
223
procéder à une classification satisfaisante d’un nombre aussi élevé de prédicats. Aussi la
plupart des auteurs (B. Levin 1993 ; J. Dubois et Dubois-Charlier 1997) ont procédé à une
classification sémantique, fondée dans un second temps sur des propriétés lexicales et
syntaxiques. Nous avons présenté (Chap. 5, §9) une description systématique d’une classe de
prédicats d’actions, celle des <coups>. Les paramètres que nous avons mis au point pour cette
classe s’appliquent à l’ensemble des prédicats d’action.
Lectures
Asnès, M., 2004, Référence nominale et verbale. Analogies et intercations, Presses de
l’Université de Paris-Sorbonne.
Davidson, D., 1980, Essays on Actions and Events, Oxford University Press, Oxford.
Dubois, J. et Dubois-Charlier, Fr., 1997, Les verbes français, Larousse-Bordas, Paris.
Gross, M., 1975, Méthodes en syntaxe, Hermann, Paris.
François, J. et Rauh, G. (éds), 1991, Les relations actancielles. Sémantique, syntaxe,
morphologie, Langages n° 113, Larousse, Paris.
François, J., Le Pesant, D. et Leeman, D., 2007, Langue française n°153, Le classement
syntactico-sémantique des verbes français, Larousse, Paris.
Kenny, A., 1963, Action, Emotion and Will, Routledge & Paul Kegan, London.
Le Pesant, D.,
Levin, B., 1993, English Verb Classes and Alternations, The University of Chicago Press,
Chicago.
Prandi, M., 2004, The Building Blocks of Meaning. Ideas for a Philosophical Grammar, John
Benjamins, Amsterdam – Philadelphie.
Ruwet, N., 1972, Théorie syntaxique et syntaxe du français, Seuil, Paris.
224
Chapitre 13
Les états
Les prédicats généralement désignés sous le nom d’états sont caractérisés par une
grande hétérogénéité, de sorte qu’il est difficile d’en donner une définition globale. On
rappelle pour mémoire la description de A. Kenny 1963, qui propose une classification
tripartite des prédicats (states, performances et activities) et celle de Z. Vendler 1967 qui
distingue quatre types de procès (événements, états, achèvements et accomplissements). Ces
études ont été le point de départ d’un grand nombre de travaux qui, sans jamais vraiment les
remettre en question, y ont apporté des modifications : A. Mourelatos 1978, D. Dowty 1979.
On pourra consulter sur ce sujet le panorama proposé par L. Gosselin & J. François 1991.
Cette diversité donne à penser que la meilleure solution consiste, dans un premier temps, à
définir la classe des états de façon contrastive, en la comparant aux événements et aux actions.
Les états ne sont pas des procès et n’ont pas, de ce fait, les verbes supports classiques des
événements (avoir lieu, se produire) ni ceux des actions (effectuer, faire, procéder à). Les
états n’ont pas non plus les reprises propres à ces deux classes : arriver, se produire pour les
événements et le faire pour les actions. Les supports les plus fréquents des états sont, selon
Anscombre 2010, : être, devenir, paraître, avoir l’air, rester, se montrer, se révéler.
Une autre différence est de nature aspectuelle : les états ne peuvent pas être ponctuels
contrairement à certains événements (Il y a eu déclic) ou actions (Paul a poussé un cri). A
côté de ces critères syntaxiques, les auteurs que nous venons de citer on proposé des
propriétés sémantiques. Les états sont caractérisés par la durée, l’homogénéité, l’impossibilité
de contrôle du sujet et l’absence d’orientation. Cela revient à dire qu’ils sont compatibles avec
des compléments en pendant combien de temps, mais non avec les compléments de type en
N(durée) : *Paul est stupide en deux heures. Ils n’ont pas de variation interne, et n’acceptent
pas de construction finale : *Paul est peureux pour ennuyer tout le monde. De plus, les états
sont perçus dans leur seule durée sans référence explicite à un début ou une fin. Ces deux
dernières notions nécessiteraient des ajouts aspectuels : devenir paresseux, tomber malade ;
perdre sa timidité, sortir de son désarroi. D’autres propriétés traditionnellement attribuées aux
états ne s’appliquent pas uniformément à tous les états : la stativité ou le dynamisme, les
propriétés aspectuelles comme l’itérativité, la possibilité d’une construction causale,
l’interprétation résultative, la scalarité, etc. Nous étudions ces propriétés dans le cadre de
chaque classe d’états que nous allons examiner.
La plupart des études que nous avons mentionnées reposent sur des bases empiriques
trop étroites. Par exemple, A. Kenny et Z. Vendler étudient les états dans le seul cadre des
verbes. L’existence effective de verbes d’état ne doit cependant pas dissimuler le fait que la
catégorie essentiellement concernée est celle des adjectifs et des constructions associées
(adjectivaux). Il convient donc d’examiner avec soin les différents critères que nous avons
signalés plus haut et qui permettent de rendre compte des états dans leur diversité. Il n’est pas
évident qu’à la fin de cette analyse une notion générale et unique d’état doive être maintenue.
225
La notion de propriété, au sens où nous l’entendons ici, peut être considérée comme une
réponse à une question en qu’est-ce qu’un N ?
Cette classification est hiérarchique, puisque la classe des félins comprend d’autres
éléments que les chats et que, d’autre part, à un niveau supérieur, les félins appartiennent à la
classe des mammifères. Cette classification est objective, admise de tous et ne dépend pas de
l’opinion des individus, ce qui exclut les verbes d’appréciation :
Comme l’appartenance d’un élément à une classe donnée est une propriété
définitionnelle, seul le verbe être au présent générique est possible, à l’exclusion du passé et
du futur. On ne voit pas non plus de fin à cette propriété, aucune borne ne peut en être fixée :
De même, tout changement de classes est exclu, ce qui élimine les constructions
causatives et le verbe devenir, certains aspects et, de façon générale, toute notion de bornes :
On pourrait objecter que l’adjectif immortel peut avoir un sujet humain : Cet exploit l’a
(rendu immortel, immortalisé). Mais il s’agit d’un emploi différent du premier. Le verbe
immortaliser ne sélectionne pas un argument humain mais des substantifs comme mémoire ou
souvenir.
Il ne s’agit pas ici d’une propriété définitionnelle des humains, pour deux raisons. D’une
part, comme on le voit, la propriété ne s’applique qu’à certains d’entre eux et, d’autre part, il
s’agit d’un emploi métaphorique, qui ne doit pas être confondu avec celui qui est illustré dans
l’exemple : Les dieux sont immortels.
Pour les deux classes que nous venons d’évoquer, la notion de durée de l’état n’est pas
pertinente, ni celle de temporalité ou encore d’aspect (inchoativité, terminativité, itérativité).
La description que nous venons de faire de la notion de propriété définitionnelle explique son
comportement syntaxique. Cette propriété est statique et atemporelle, puisque seul le présent
générique est possible, à l’exclusion des autres temps (passé ou futur). Elle relève d’un
constat mais non d’une appréciation, c’est la raison pour laquelle, le verbe trouver ainsi que
les verbes d’opinion sont exclus. Il faut signaler aussi que les critères classificatoires et les
propriétés définitionnelles n’ont pas d’interprétation scalaire (pas de comparatif ni de
superlatif). On retiendra en outre que ces prédicats n’ont pas de constructions causatives,
puisqu’ils échappent à toute modification.
Nous avons pris jusqu’à présent des propriétés qui caractérisent des ensembles : les
hommes, les triangles, etc. Il existe d’autres propriétés inhérentes, qui s’appliquent non plus à
tous les hommes mais à certains individus, en les identifiant par un trait typique. Il peut s’agir
de caractéristiques physiques qui sont de naissance comme le sexe (homme, femme), la
couleur de la peau (blanc, noir, jaune), des particularités physiologiques (avoir un front
fuyant) ou des défauts congénitaux (être bossu, être mongolien). On trouve souvent dans leur
environnement des adverbiaux comme de naissance, être né Adj, etc. Ces propriétés ont les
caractéristiques suivantes. Les phrases où elles figurent sont au présent (ou éventuellement à
l’imparfait) mais non à un temps composé : Louis XIV (avait, *a eu) un nez proéminent.
Comme il s’agit de propriétés statiques, les verbes désignant des entrées dans l’état sont
habituellement exclus *Cet enfant est devenu mongolien. Il n’y a pas non plus de construction
causative : *Cet accident lui a donné un front fuyant. Cependant, ce groupe est
aspectuellement moins stable que les deux précédents, dans la mesure où un changement
d’état n’y est pas entièrement exclu : l’âge (grisonner), les manipulations génétiques ou la
chirurgie sont en mesure, dans certaines circonstances, de modifier ces propriétés.
227
Il existe des paramètres d’identification d’un individu comme l’âge légal, la nationalité,
la religion, la profession.
Hors de tout contexte particulier, ces propriétés sont caractéristiques de certains humains
ou d’une classe d’humains mais non l’ensemble des hommes. Elles n’impliquent pas de
limites par elles-mêmes mais, contrairement aux prédicats que nous avons vus, des bornes
sont naturelles pour eux :
Ces prédicats ne sont pas scalaires et excluent tout comparatif ou superlatif : Paul est
très français représente un emploi différent de Paul est français. Dans un cas, il s’agit d’un
strict prédicat de nationalité et dans l’autre d’un évaluatif : être très français signifie avoir les
propriétés prototypiques d’un français. L’interrogation portant sur elles est en qui et non en
comment :
Ces prédicats ont des propriétés communes avec les précédents. Comme il s’agit de
propriétés objectives qui peuvent faire l’objet d’un constat, ils excluent les verbes d’opinion :
* J’estime que Paul est médecin. Ils ne sont pas non plus scalaires : * Paul est plus médecin
que Jean. En revanche, ils acceptent la temporalité : Avant d’être citoyen français, Paul était
Américain.
228
Il y a une différence significative entre les prédicats que nous venons d’analyser et ceux
qui désignent ce que l’on nomme communément des traits de caractère, qui « caractérisent »
moralement un être de façon individuelle et durable : peureux, coléreux, irascible, etc.
Les prédicats désignant des traits de caractère ne doivent pas être confondus avec les
noms de sentiments. La phrase : Jean a peur de cet obstacle traduit un sentiment occasionnel
mais n’énonce aucune caractéristique générale le concernant, comme le montre l’emploi du
démonstratif, qui exclut toute interprétation générique. En revanche peureux dans Jean est
peureux, bien que dérivé de la même racine, constitue un emploi différent : il désigne une
caractéristique permanente, innée ou acquise, un élément constitutif de ce qu’on appelle
communément le caractère ou le tempérament. Il en est de même de coléreux face à en
colère. Ces termes sont des prédicats (nominaux ou adjectivaux) qui dépeignent le naturel
d’un homme.
Les propriétés caractérisantes peuvent être mises en lumière si l’on prend en
considération des classifieurs qui en soulignent l’interprétation. Le terme trait de caractère est
le lieu d’une métaphore assez claire : il s’agit de propriétés qui sont « imprimées » dans le
psychisme d’une personne comme une lettre d’imprimerie sur un support :
La langue dispose d’un assez grand nombre de classifieurs de ce genre, qui soulignent
que les propriétés en question sont pour ainsi dire inscrites de façon durable dans un individu.
Voici quelques-uns de ces substantifs : naissance, nature, naturel, tempérament, instinct,
complexion :
Ces substantifs, bien qu’équivalents du point de vue aspectuel, ne sont pas exactement
des synonymes, car ils correspondent à des points de vue différents sur l’explication des
conduites humaines. Les substantifs tempérament et complexion sont les témoins d’un état de
la médecine antérieure à la pensée scientifique moderne, où le psychisme dépendait de la
229
combinaison des quatre éléments (la terre, l’eau, l’air et le feu). Le substantif instinct est
d’interprétation moins statique. Cette nuance est soulignée par le verbe approprié pousser :
Dans leur emploi habituel, ces propriétés n’impliquent pas de bornes temporelles
explicites, du fait que les traits de caractères sont considérés comme des caractéristiques d’un
individu, surtout quand on formule des jugements généraux comme : Jean est (peureux,
timide) ; Jean est quelqu’un de (peureux, timide). Cette interprétation exclut une lecture
itérative de ces prédicats : ? Jean est souvent peureux, Jean ne cesse d’être coléreux ou
ponctuelle Jean a été coléreux ce matin.
2.3.2. Syntaxe
Cependant, ces propriétés ne sont pas immuables, car elles peuvent avoir des bornes,
malgré la métaphore qui se cache derrière le terme de caractère. Les phrases suivantes sont
naturelles :
La notion de permanence doit donc être interprétée comme relative. Elle s’applique à
une propriété habituelle, durative quand il n’y a pas de spécifications particulières. Mais un
homme est susceptible de changer de caractère, ce qui explique les variations aspectuelles
(inchoativité, terminativité), spécifiques habituellement des états contingents.
Les traits de caractères constituent des prédicats scalaires : Paul est très courageux ;
Paul est de plus en plus coléreux. Les prédicats que nous avons étudiés dans cette section
traduisent des appréciations comme le met en évidence l’emploi de verbe d’opinion comme
trouver :
D’autre part, les propriétés désignant des traits de caractère peuvent avoir une lecture
comportementale, c’est-à-dire active, grâce à des verbes supports comme se montrer (avec les
adjectifs) ou faire preuve de (avec les prédicats nominaux) :
230
Cette propriété des traits de caractère illustre le fait qu’il y a une intersection entre les
états et les actions (Cf. Chap.12), ce que met en évidence l’interprétation des verbes supports
se monter (Adj), faire montre de N, faire preuve de N. Voilà pourquoi des adjectifs comme
courageux ont deux interprétations : en tant que trait de caractère ils caractérisent la
personnalité de quelqu’un, ce que met en évidence une construction comme Jean est
quelqu’un de courageux. Ils peuvent aussi qualifier une action précise à un moment
donné Jean a fait preuve d’un grand courage à cette occasion. Un être habituellement lâche
peut se montrer courageux dans une certaine circonstance.
Nous étudions maintenant un vaste ensemble de prédicats que nous regroupons, faute de
mieux, sous le terme d’états transitoires. Le mot latin status et le mot français état, qui en est
issu désignent une « manière d’être, d’une personne ou d’une chose » (NGR). Cette manière
d’être est transitoire et induite par une observation particulière et non par la connaissance
générale que l’on a de ces entités. Si je dis que Paul est (étonné, ivre), je ne prétends pas
donner une description générale de Paul, ni lui attribuer une propriété qui serait constitutive
de son identité, mais j’indique une disposition qui le caractérise momentanément. Ces états
sont des « stations » transitoires.
Les états transitoires sont des prédicats qui décrivent un homme, un objet ou toute autre
entité tels qu’ils sont à un moment donné. Ils ne définissent pas un être en tant que tel et sont
incompatibles avec des adverbiaux du type : de naissance, depuis toujours, héréditairement
ou par définition. Ils impliquent une idée de discontinuité. Il ne s’agit de « propriétés » ni
définitionnelles ni permanentes. La phrase : Paul est inquiet signifie qu’il l’est actuellement
par opposition à : Paul est de nature inquiète. Dans la terminologie de J.-C. Anscombre 2010,
on a affaire à des « propriétés extrinsèques et accidentelles ». Comme il s’agit d’états
délimités dans le temps, ils ont un début, un déroulement et une fin, d’où la possibilité d’avoir
les aspects inchoatif, progressif et terminatif :
Ces états représentent en outre des évaluations ou des constats, comme le montre
l’emploi de verbes d’opinion :
Ils ne représentent pas nécessairement des prédicats statifs, mais peuvent impliquer un
certain type de processus : être en mouvement ou être en chute libre.
Les états transitoires dépendent de la nature sémantique des entités qu’ils décrivent. Il
est impossible d’en rendre compte dans ce chapitre. Nous allons prendre quelques exemples
s’appliquant à des humains et à une classe de concrets.
3.2.1. Humains
Kokochkina (2004) a énuméré différentes classes de modalités d’états, parmi lesquelles elle
compte les états physiques :
De façon générale, les noms de sentiments sont interprétés aussi comme des états
passagers :
Ces prédicats ont des constructions causatives associées, la plupart du temps en rendre
quand il s’agit d’adjectifs : Cela l’a rendu nerveux. Parallèlement, il existe des structures
traduisant l’entrée dans l’état : Il est devenu nerveux ou sa sortie : Il a perdu sa nervosité. Ils
sont susceptibles d’itérativité : Paul est sans cesse (nerveux, fatigué). Ils sont caractérisés par
la scalarité : Paul est très (heureux, fatigué, décide, amoureux, déçu).
Du point de vue sémantique, le générique état transitoire que nous étudions et tous les
éléments qui appartiennent à cette classe doivent être considérés comme des locatifs abstraits,
comme le montrent les constructions locatives où ils peuvent figurer :
Ces prédicats sont susceptibles de recevoir une construction causative, qui peut prendre
des formes morphologiques diverses : mettre dans, plonger dans, rendre, mettre en. Elles
correspondent en outre à différentes valeurs aspectuelles :
Pour ce qui est des substantifs concrets, la diversité des états transitoires est bien plus
grande du fait du nombre des objets concrets. Prenons, à titre d’exemple, le substantif eau.
Les paramètres descriptifs ou évaluatifs sont, entre autres, les classifieurs suivants :
A strictement parler, les prédicats que nous venons de voir ne sont pas exclusivement
des états : ils ont des points communs avec les événements, comme le suggère la possibilité
qu’ils ont d’être des réponses à une question comme :
Le type d’états que nous abordons maintenant se distingue sur bien des points de ceux
que nous avons examinés. Ils désignent des situations ou des circonstances dans lesquelles
peuvent se trouver un individu ou un objet mais n’apportent aucune information spécifique
sur ces individus ou sur ces objets, comme le font les propriétés ou les états transitoires. Par
exemple, le prédicat être en retard n’a pas de valeur descriptive, ne donne aucune indication
qui caractériserait un sujet, il énonce simplement le fait que la personne en question n’est pas
là au moment voulu. Les prédicats situationnels ne peuvent être interprétés comme des états
caractéristiques que dans certaines conditions syntaxiques particulières. Ce serait le cas, par
exemple, si l’on introduisait dans la phrase des adverbes comme régulièrement ou tout le
temps : Paul est tout le temps en retard. C’est l’aspect itératif traduisant une habitude qui
transformerait une situation donnée en trait de caractère. Etre en retard n’est pas non plus un
état intérieur passager comme d’être en colère. Les situations que nous décrivons sont
extérieures aux personnes et aux choses, elles sont le fait des circonstances. Ces situations
peuvent être sous-catégorisées à l’aide d’adjectifs classifieurs précisant des domaines :
situations (géographique, humanitaire, militaire, juridique, budgétaire, professionnel,
alimentaire, militaire, épidémiologique, matériel, judiciaire, socio-économique). Nous allons
étudier quelques-uns de ces états situationnels, en les examinant du point de vue de la cause.
Nous avons signalé plus haut que les prédicats d’identité répondent à une question en
qui ? et les prédicats d’états passagers à une question en comment ? Nous étudions maintenant
des expressions décrivant la situation financière dans laquelle on peut se trouver. Un
adjectival comme en faillite ne répond à aucune de ces deux questions :
Cette impossibilité s’applique à tous les éléments de la même classe sémantique : ruiné,
endetté, surendetté, à bout de ressources, en état de misère, en état de pauvreté, en état de
précarité, dans un état de dénouement Modif ainsi que leur contraire : riche, aisé, nanti,
fortuné, prospère, etc. :
Le substantif état n’est pas le même que celui que nous avons examiné dans les
paragraphes précédents, où il représentait une caractéristique descriptive du sujet. En effet, si
je dis de Paul qu’il est heureux ou en forme, je donne une information sur son moral ou sa
santé. Mon affirmation est le résultat d’une appréciation personnelle de ma part. Cette
interprétation est confirmée par l’emploi possible du verbe trouver : Je trouve que Paul est
(heureux, en forme). Ce verbe d’opinion est exclu avec les prédicats situationnels que nous
étudions maintenant : *Je trouve que Paul est en faillite.
L’adjectif composé en faillite ne désigne ni une propriété du sujet ni une caractéristique
personnelle mais un état de fait, une certaine situation, ici d’ordre financier. Le terme qui
convient le mieux à cet emploi est celui de situation ou encore de condition, de position. Les
prédicats situationnels relèvent, eux, d’un constat, d’un état de fait. Le substantif faillite, qui
est à l’origine de l’adjectival en faillite, est un substantif événementiel : il a des opérateurs ou
des supports appropriés aux prédicats d’événements :
Comme tous les états, les situations dépendent de la nature des entités auxquelles elles
s’appliquent. Nous allons en donner quelques exemples.
a) Humains
b) Machines ou dispositifs
Comme on le voit, les prédicats que nous avons regroupés dans cette section ne
décrivent pas, ils donnent des indications sur les conditions ou les situations dans lesquelles
peuvent se trouver des humains ou des concrets.
7. Conclusion
La notion d’état est plus difficile à décrire que celle d’événements et d’actions, qui
peuvent être définis à l’aide de quelques propriétés syntaxiques solides et stables. Rien de tel
n’existe pour la notion générale d’état. Les propriétés qu’on lui attribue généralement
(stativité, durée et homogénéité) sont toutes sujettes à caution si on les applique à l’ensemble
des prédicats généralement rangés sous le nom d’état. On est donc contraint de faire une
classification sémantique plus fine, recourant aux notions de propriétés, d’états événementiels,
d’états situationnels. Ces classes ont chacune des comportements syntaxiques homogènes et
stables. Notre description laisse entrevoir le fait que la notion générale d’état gagnerait à être
remplacée par une classification plus fine reposant sur des propriétés syntaxiques
discriminantes et stables.
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238
Chapitre 14
Les adverbes
Les adverbes constituent de loin la catégorie grammaticale la plus floue. Leur nombre
est très élevé et leur diversité particulièrement grande. Il n’est pas facile d’élaborer des
critères hiérarchisés qui permettraient de décrire tous les emplois de façon méthodique. On les
définit généralement par trois critères : l’invariabilité, leur caractère la plupart du temps
facultatif et leur relation de dépendance avec un autre élément de la phrase. On voit qu’il
s’agit essentiellement de définitions négatives. La tradition grammaticale distingue
les adverbes d’affirmation, de négation, d’interrogation, de manière, de quantité, de temps, de
lieu. Cette liste a le double inconvénient d’être incomplète et de ne pas rendre compte de
l’extrême diversité des fonctions syntaxiques qu’ils recouvrent. Nous allons, dans un premier
temps, examiner les propriétés qui leur sont généralement attribuées.
1. Examen critique
La catégorie des adverbes est à ce point diverse qu’il n’existe aucune définition générale
qui puisse s’appliquer à l’ensemble des éléments de cette classe. Il n’existe donc pas d’autre
manière de les décrire que de mettre au point un certain nombre de critères permettant de
rendre compte de leur fonctionnement.
Les adverbes, dit-on, sont circonstanciels par nature et ne doivent pas être confondus
avec les arguments. Un des critères qu’on utilise pour les distinguer est l’effacement. A la
différence des arguments, les éléments circonstanciels seraient facultatifs. Cette opposition est
loin d’être claire. Tout d’abord un grand nombre de verbes transitifs ont un complément
effaçable (l’ensemble vide est noté E) :
L’adverbe courageusement est un prédicat qui opère sur répondre, de même que
l’adjectif courageux le fait sur le prédicat nominal réponse. On voit que si l’on efface
l’adverbe, on est en présence d’une autre assertion : Paul a répondu. Dans le second cas, on
rapporte le seul fait que Paul a répondu ; dans le premier, on affirme le courage qu’il a
manifesté dans sa réponse. Comme l’effacement modifie le message, on ne peut donc pas
prétendre, sans plus, que l’adverbe est facultatif.
La plupart des adverbes de manière ne sont pas des arguments du prédicat verbal mais
opèrent sur lui (M. Gross 1986 :19), ce sont des adverbes prédicatifs, comme on le voit si on
passe par la construction nominale :
Mais il existe d’autres adverbes qui font partie intégrante du schéma argumental du
verbe, puisque ce dernier ne peut pas s’employer seul :
*Paul se porte
Porte se porte (bien, mal, comme un charme)
*Paul se comporte
Paul se comporte (mal, de façon indigne)
*Paul a procédé
Paul a procédé (correctement, comme il faut)
que celui des adverbes simples (M. Gross, 1986). On observe dans cette catégorie, de
nombreuses modifications de diverse nature :
Nous examinons dans ce qui suit les ambiguïtés catégorielles qui peuvent apparaître
dans la reconnaissance de certaines formes adverbiales.
La distinction entre l’adverbe et les autres catégories n’est pas toujours très nette. Par
exemple, il existe une intersection entre la classe des adverbes et celle des déterminants. Un
grand nombre d’entre eux sont morphologiquement des adverbes. C’est le cas de certains
quantifieurs : beaucoup de, plus de, autant de, énormément de, etc. D’autre part, les
déterminants peuvent faire l’objet de restructurations qui génèrent des constructions
interprétées comme adverbiales : De grandes volutes de fumées sortaient du toit/La fumée
sortait du toit en grandes volutes ; Cette année, un grand nombre de Français sont partis en
vacances/ Cette année, les Français sont partis en vacances en grand nombre.
De même, certains adverbes gagneraient à être analysés comme des pro-formes, c’est-à-
dire des anaphores de compléments circonstanciels ou de phrases indiquant une circonstance.
Ainsi, la forme alors est considérée habituellement comme un adverbe de temps. En fait, elle
joue le rôle de reprise anaphorique pour tout complément désignant une date : (Quand Louis
XIV régnait, du temps de Louis XIV, au 18 ème siècle), le train n’existait pas. Alors, le train
n’existait pas. De même, ainsi joue un rôle de reprise de complément de manière ou de
moyen : (En ouvrant la porte, ainsi), il a créé un courant d’air ; (En bombardant le noyau,
ainsi), on libère une grande énergie ; Il faut parler (franchement, ainsi). Il n’est pas
déraisonnable non plus de considérer ailleurs comme un « pronom » de lieu : (Dans un autre
pays, dans un autre chapitre, ailleurs), cette affirmation serait plus pertinente. M. Gross
(1986 :13) analyse comme pronoms les formes interrogatives où, quand, comment, pourquoi.
Les déictiques correspondant (ici, maintenant) sont, à notre avis, de même nature. Les
adverbes sont souvent à l’origine de prépositions composées, surtout quand ils sont
accompagnés des prépositions à et de : parallèlement à, contrairement à, indépendamment de.
Dans ce cas, ils ont bien entendu une syntaxe de préposition, c’est-à-dire qu’ils ont des
compléments : Indépendamment de cette difficulté, on a observé d’autres handicaps.
241
La détection des formes adverbiales est souvent rendue difficile par le fait que certaines
de leurs fonctions sont prises en charge par des lexèmes qui sont formellement des adjectifs.
Cette possibilité s’observe avec des éléments appropriés à certains verbes : manger gras,
léger ; rouler français ; voter socialiste ; écrire serré ; tirer trop court ; tomber juste ; crier
fort ; pleuvoir dru. Ces formes sont invariables et générées par des constructions variées.
Dans le cas de manger, il est clair qu’un classifieur comme aliment ou même alimentation a
été supprimé. Mais il ne faut pas en conclure que toute forme invariable soit automatiquement
de nature adverbiale. Les dictionnaires interprètent le mot debout comme un adverbe au nom
de ce critère, alors que la syntaxe montre clairement qu’on est en présence d’un adjectif :
L’enfant est debout ; son frère l’est aussi. Il se met debout ; il reste debout. Ils analysent de
même le mot droit : L’enfant se tient droit alors que cette forme est variable : La fille se tenait
droite. Inversement des formes adverbiales peuvent avoir une fonction adjectivale : Cette fille
est pas mal.
Les adverbes ne doivent pas être confondus avec les locutions conjonctives ou
prépositives. Par définition, les adverbes à la différence des prépositions n’ont pas de
complément. Nous verrons au Chap.15, que les locutions conjonctives introduisent, à un
niveau superficiel, des subordonnées circonstancielles, que nous analysons comme des
complétives. En réalité, il s’agit de connecteurs qu’il faut considérer comme des prédicats du
second ordre. Ces connecteurs peuvent subir deux types de modifications. D’une part, la
subordonnée peut être effacée pour des raisons diverses :
On verra alors que cette catégorie est si variée que le terme qui la dénote est un obstacle plutôt
qu’une aide à l’analyse.
1.4. Morphologie
Cet état de choses pose des problèmes lexicographiques. Si les adverbes simples
constituent tout naturellement des entrées de dictionnaire, tout comme les adverbes
entièrement figés, on peut hésiter sur le statut à accorder, de ce point de vue, aux formes
discontinues. Un analyseur syntaxique doit aussi être en mesure de reconnaître les formes
adverbiales dont la morphologie est identique à celles d’autres catégories (noms ou adjectifs).
Il est illusoire de rendre compte du statut des adverbes sans décrire les constructions
syntaxiques dans lesquels ils figurent. C’est la première étape d’une classification rigoureuse.
Indépendamment de leur structure interne, les adverbes ont une syntaxe très hétérogène, que
l’on ne peut qu’évoquer rapidement dans ce chapitre. Ce qui suit n’est donc pas une
description exhaustive de la syntaxe des adverbes, mais une tentative de mettre un peu d’ordre
dans le foisonnement de ces constructions.
Les emplois que nous allons évoquer dans un premier temps se situent hors du cadre de
la phrase simple. Ils ne font donc pas partie du schéma argumental qui la caractérise. Les
informations qu’ils véhiculent prennent en charge diverses indications.
a) Le domaine :
Ces adverbes précisent le point de vue auquel se place le locuteur ou le domaine dans
lequel s’inscrit la validité d’une affirmation ou d’une prise de position.
De façon générale, certaines formes sont des réductions de phrase : Si l’on (se place du point
de vue philosophique, parle de philosophie), il n’a pas de formation.
Beaucoup de prédicats d’opinion figurant dans une proposition principale peuvent être
réduits à des adverbiaux, la complétive devenant du coup une proposition principale :
c) L’énonciation :
Ces adverbes expriment, de façon générale, l’attitude du locuteur devant son propre
discours. Il faudrait établir des distinctions plus fines pour discriminer les différentes attitudes
possibles de la part d’un locuteur.
d) La reformulation :
Ce balisage textuel est représenté par un grand nombre d’autres formes adverbiales :
ensuite, puis, alors, etc.
f) La connexion :
Les formes oui (ou si) et non sont souvent analysés comme des adverbes d’affirmation
ou de négation. Ils ne fonctionnent pas cependant comme ne…pas, que nous voyons plus loin.
Ces adverbes sont en fait des pronoms phrastiques qui remplacent respectivement une phrase
affirmative et négative. Ce rôle est mis en évidence par le fait qu’ils peuvent figurer en
position de complétive après la conjonction que : Je pense que oui ; Je te dis que si ; J’espère
que non.
Un certain nombre d’adverbes permettent d’introduire des phrases ayant subi des
restructurations. Il s’agit des phrases :
Les adverbes que nous allons analyser maintenant sont des prédicats du second ordre,
c’est-à-dire qu’ils opèrent sur d’autres prédicats. Leur analyse est bien connue. Elle se fait en
général par comparaison avec des constructions adjectivales :
Dans ce cas, l’adverbe opère sur le prédicat verbal marcher, comme l’adjectif opère sur
le substantif marche :
La particularité des adverbes prédicatifs, c’est qu’ils ne sont pas actualisés eux-mêmes,
cette information est prise en charge par leur opérande (le prédicat de la principale). De plus, à
la différence de leur forme adjectivale associée, ils ne sont soumis ni au nombre ni au genre :
Il existe des adverbes dont le spectre est très large, puisqu’ils s’appliquent à un grand
nombre de prédicats. Ainsi, l’adverbe correctement peut caractériser tous les prédicats
d’action : Paul a écrit ce mot correctement ; Paul a fermé la porte correctement. D’autres
adverbes ne sont possibles qu’avec un nombre restreint de prédicats et parfois même avec un
seul :
Nous examinons maintenant des adverbes dont la fonction est d’actualiser des prédicats.
Ce sont des indicateurs de temps, équivalant aux désinences temporelles et indiquant que
l’action est en train de se dérouler, a eu lieu dans le passé, se produira dans l’avenir ou encore
des indicateurs aspectuels qui peuvent se substituer à un grand nombre d’autres marqueurs.
a) Indicateurs de temps
- le temporalité stricte :
246
Il pleut en ce moment
J’arrive demain
Dans deux jours, je suis parti
A l’avenir, je m’abstiendrai
- l’imminence :
La facture sera réglée (incessamment, sous peu)
- le passé récent :
Il arrive à l’instant de Rome
b) Indicateurs d’aspect :
- l’itératif :
Il vient (parfois, souvent, fréquemment, à tout bout de champ) chez nous
Il vient (exceptionnellement, à titre exceptionnel)
Il pleut ici de temps à autre
- l’habituel :
Généralement, il ne se trompe pas sur ce sujet
En général, il ne se trompe pas sur ce sujet
En règle générale, il ne se trompe pas sur ce sujet
- l’inchoatif :
(Initialement, dans sa phase initiale, au début) la maladie était bénigne
- le terminatif :
(Finalement, à la fin, pour finir), la poutre a craqué
Un très grand nombre d’adverbes traduisent le haut degré. Ils se construisent avec des
prédicats scalaires. Ces adverbes peuvent avoir un spectre relativement large et concerner un
grand nombre de prédicats ou être appropriés à une classe restreinte et même, à la limite, à un
seul élément. Ils peuvent s’appliquer à un :
- prédicat verbal :
- prédicat adjectival :
- prédicat nominal :
D’autres adverbes s’appliquent non à l’intensité mais à la quantité et, en particulier, aux
quantifieurs :
- Le but :
Tu as cassé le vase (délibérément, de propos délibéré, après mûre réflexion)
Tu as claqué la porte exprès
Je lui ai serré la main intentionnellement
Tu nous as volontairement menti
- La cause :
Il est maire. A ce titre, il lui incombe d’intervenir
Tu as agi par nécessité
- La condition :
Au besoin, nous prendrons un parapluie
Dans tous les cas, le résultat est connu d’avance
Selon le cas, nous répondrons par oui ou par non
Sinon, il n’y a plus rien à faire
Sans ça, on ne comprend rien
Je reste ici, des fois qu’il viendrait
- La concession :
Contre toute attente, le résultat a été positif
Malgré tout, on ne peut rien y faire
Il est venu (néanmoins, malgré ça)
- La conséquence :
En conséquence, c’est à toi de passer l’aspirateur
Il pleut. Aussi, nous resterons à la maison
- La manière :
Il a traversé la ville à toute allure
Il a fait ses bagages à la hâte
248
- La restriction :
Prends donc un chandail, au moins
Il gagnera. A tout le moins, il ne perdra pas
- Le temps :
A l’aurore, ce sera le départ
Je connais ce collègue de longue date
En 2010, la situation de l’Europe n’est guère meilleure
- Le lieu
Ici, on est plus tranquille
Plus loin, tout le monde riait
3. Adverbes complexes
Nous appelons adverbes complexes ceux qui sont décomposables (en lexèmes ou
suffixes). Nous examinons dans cette section les suites adverbiales qui ont un mode de
formation régulier, qu’ils soient monolexicaux (les adverbes en –ment, par exemple) ou
polylexicaux (ceux qui sont construits sur un nom abstrait comme manière). Nous ne les
considérons pas comme figées.
Les adverbes en - ment ont fait l’objet d’études diverses et variées (Ch. Molinier et Fr.
Levrier 1999). On les analyse habituellement comme des formes dérivées d’un adjectif (au
féminin) qui s’accorde avec le substantif instrumental latin mente, devenu le suffixe – ment en
français, de sorte que l’adverbe correctement, par exemple, ne doit pas être considéré comme
un mot simple mais construit. Z. S. Harris 1976 : 198-200 propose d’analyser certains suffixes
comme des formes réduites de substantifs abstraits, ici en l’occurrence façon et manière :
Les deux substantifs ne figurent pas seulement en position adverbiale, c’est-à-dire après
une préposition, mais en position libre :
Nous sommes en présence d’un moule de production d’une partie importante des
adverbes complexes. Leur syntaxe est régulière. Les substantifs manière et façon ont un
spectre très large, puisqu’ils acceptent presque tous les adjectifs. Dans certains cas, surtout
dans une langue soutenue, ces formes générales peuvent être remplacées par des substantifs
appropriés au prédicat de la phrase où elles figurent, ce qui entraîne des contraintes de co-
occurrence (cf. A. Mrabti 1980) :
Le phénomène que nous décrivons met en jeu des relations comparables à celles du
complément d’objet interne :
Une autre façon de paraphraser les adverbes en - ment consiste à relier l’adjectif contenu
dans l’adverbe au sujet du verbe. Nous sommes alors en présence d’un adverbe orienté à la
fois vers le prédicat et le sujet :
Les types de formation que nous allons examiner sont nécessairement en nombre réduit
et ne sont là qu’à titre d’illustration.
a) Dislocation de déterminants
Nous avons noté, au Chap. 8, que les verbes supports actualisent les prédicats nominaux
et que la forme du support dépend de la nature sémantique de ces prédicats. Observons la
phrase suivante, où doute est actualisé par le support il y a :
Observons encore :
e) Structures productives
Les séquences Prép (Dét) N constituent des moules de formation d’adverbes complexes
(adverbiaux). La description peut se faire en fonction de la préposition et de la classe
sémantique du substantif. La préposition à suivie d’un nom d’instrument permet de créer des
adverbiaux de moyen appropriés à certains verbes :
Les parties du corps sont aussi sources de structures adverbiales (sans préposition) :
On pourrait multiplier les exemples. Nous avons simplement voulu montrer qu’un grand
nombre d’adverbes reposent sur des schèmes productifs. Nous allons examiner maintenant les
adverbes polylexicaux figés et les raisons de leur figement.
4. Adverbes figés
Les adverbes complexes que nous venons de passer en revue sont générés sur la base de
structures syntaxiques susceptibles de former des moules productifs. On peut donc parler à
leur propos de constructions régulières et libres, même s’il y a pour chacun d’eux des
restrictions lexicales. Nous examinons maintenant, parmi les adverbes polylexicaux, ceux qui
252
sont figés. Nous décrivons, dans un premier temps, l’extension du figement, nous évoquerons
ensuite quelques-unes des causes de figement.
Le figement peut concerner la totalité de la locution adverbiale. On peut alors faire les
mêmes remarques que pour les autres locutions entièrement contraintes (Cf. Chap. 10) :
On observe un début de liberté, quand on trouve des effacements partiels dans la suite :
- des coréférences :
Les contraintes vont ici en diminuant. Comme pour les autres catégories, on constate un
continuum entre les adverbes libres et ceux qui sont totalement figés.
Le figement des adverbes a des causes similaires à celles que l’on observe pour les
autres catégories linguistiques.
Une locution adverbiale peut apparaître comme non-compositionnelle quand l’un de ses
éléments lexicaux n’est pas ou plus reconnu comme un mot de la langue. L’étrangeté est alors
assimilée au figement, puisque les reformulations y sont impossibles :
b) Comparaison
Comme pour d’autres catégories, la métaphore est source de figement. L’explication est
assez simple. Pour caractériser un être, un objet, un événement, une qualité ou une action, on
peut les comparer à un élément de référence, porteurs de la propriété caractéristique à un
degré éminent. C’est l’expression de l’intensité ou du haut degré. Comme le choix se porte sur
l’élément le plus typique, on comprend que celui-ci ne forme pas vraiment de paradigme, sauf
exception. La comparaison peut être évidente et correspondre à l’expérience humaine
commune, la relation sémantique semble alors relativement motivée, que la construction soit
adjectivale ou verbale :
Dans d’autres cas, la comparaison est plus opaque. Elle paraît moins motivée et l’on
peut parler d’opacité relative ou complète de la relation, ce qui est la définition du figement
sémantique :
Certaines des comparaisons ne sont pas interprétables littéralement et relèvent pour leur
motivation de l’antiphrase :
D’autres font référence à des situations, des croyances ou des pratiques périmées ou
encore à des allusions religieuses ou littéraires :
Mais les formes en comme N n’indiquent pas nécessairement une intensité, elles peuvent
traduire aussi la manière :
L’expression vieux comme Mathusalem est compositionnelle pour qui connaît la Bible.
Ce n’est pas le cas de vieux comme Hérode. Comme cette expression n’est pas motivée, elle a
fait l’objet d’une refonte humoristique : vieux comme mes robes, peut-être sur le modèle de
vieilles fringues, vieilles frusques.
255
d) Figement syntaxique
Nous avons défini les adverbes complexes (ou polylexicaux) réguliers par la possibilité
qu’ils ont de faire l’objet de reformulations paraphrastiques. Certains adverbes figés ont une
structure qui ne correspond pas à des suites adverbiales canoniques :
- restrictions lexicales :
à reculons
en outre
à la va comme je te pousse
de guerre lasse
tambour battant
Conclusion
Nous avons montré dans ce chapitre que la catégorie des adverbes est de loin la plus
hétérogène des parties de discours. Il n’existe aucune définition qui permettrait de rendre
compte de l’ensemble des éléments de la classe. Notre description met clairement en lumière
les limites de la notion traditionnelle de catégorie grammaticale. Nous avons montré que les
éléments que l’on classe habituellement dans cette catégorie correspondent à des structures
très différentes, qu’il serait illusoire de réduire à une syntaxe unique. Si certaines classes sont
généralement bien décrites, comme les adverbes prédicatifs en –ment ou les adverbes
composés en – de manière Adj, il existe un très grand nombre d’éléments lexicaux dont le
statut ne dépend ni des prédicats du premier ordre ni de ceux du second ordre. Ils
appartiennent à la structuration générale du discours et mériteraient une étude de fond.
Lectures
Goes, J., (éd), 2005, L’adverbe : un pervers polymorphe, Artois Presses Université, Arras.
Gosselin, L. et François, J., 1991: Les typologies de procès: des verbes aux prédications",
Travaux de linguistique et de philologie, XXIX, Strasbourg-Nancy, p.19-86.
256
Chapitre 15
1. Analyse classique
puisqu’elle relie deux prédicats nominaux, ici ironie et réactions. Son schéma d’arguments est
le suivant : caus- (ironie, réactions). A partir de là, on peut procéder à des modifications de
structure. Il est possible, par exemple, de thématiser le complément à l’aide de l’opérateur à
lien avoir pour et on obtient : Les réactions négatives du public ont eu pour cause l’ironie de
Paul. Une autre thématisation de l’objet est obtenue en mettant la phrase au passif : Les
réactions négatives de la part du public ont été causées par l’ironie de Paul. On a affaire ici à
un passif verbal.
Mais cette thématisation de l’objet existe aussi avec le prédicat nominal. Pour le
montrer, observons un emploi particulier de la préposition à dans à l’abri, qui permet au
substantif abri de devenir un adjectival à interprétation passive : Cette maison est à l’abri du
vent ; Cette maison est abritée du vent. On pourrait en dire autant de : à l’essai, aux arrêts,
etc. (Cf. Chap.6). Si nous appliquons cette restructuration à la racine caus-, nous obtenons :
Les réactions négatives du public ont eu lieu à cause de l’ironie de Paul. Et après une
transformation principale (v. plus bas §6.2.) : Il y a eu des réactions négatives du public, à
cause de l’ironie de Paul.
On voit que le prédicat du second ordre caus- est caractérisé par deux types de
constructions : une construction active : causer, être la cause de et une construction passive :
être causé par, (avoir lieu, être) à cause de. Dans les deux cas, la principale et la subordonnée
sont les arguments du prédicat caus-, ce qui revient à dire qu’on a affaire à des complétives.
La locution à cause de n’est pas une structure figée, elle représente une des réalisations
syntaxiques possibles de la racine caus-. Cette réalisation est de nature passive, comme le
montrent les structures suivantes :
A a causé B
A a été la cause de B
B a été causé par A
B, à cause de A
L’analyse que nous venons de faire met en évidence que le prédicat caus- relie les deux
phrases et que, par voie de conséquence, il exclut que la locution puisse faire partie de la
subordonnée.
3. Prédicats prépositionnels
Cette description de la locution à cause de a été rendue possible par le fait qu’elle
comporte un substantif dont le comportement syntaxique est connu par ailleurs et dont les
propriétés sont bien connues : fonction prédicative, variations morphologiques, actualisation
par verbe support. Mais il existe des « connecteurs » qui ne comportent pas de substantif :
c’est le cas de certaines prépositions. Soit la phrase : Paul est arrivé avant que nous soyons
partis, où la « subordonnée » peut avoir un prédicat nominal : Paul est arrivé avant notre
départ. Le prédicat du second ordre est ici la préposition avant. Celle-ci hérite, elle aussi, de
l’actualisation de la proposition « principale ». Mais cette préposition peut à son tour être
actualisée de façon autonome. Dans la mesure où elle relie deux événements, il est naturel de
penser au verbe support événementiel avoir lieu et l’on aura : (Que Paul est arrivé, l’arrivée
de Paul) a eu lieu avant notre départ. On peut substituer à ce prédicat actualisé (avoir lieu)
avant un synonyme qui a la même fonction, comme précéder : L’arrivé de Paul a précédé
notre départ. Ici encore le prédicat avant a deux arguments de nature événementielle,
correspondant respectivement à la principale et à la subordonnée.
260
Nous décrivons, dans ce qui suit, la syntaxe des locutions conjonctives. Un petit nombre
d’entre elles sont figées : en vertu de, au nez et à la barbe de, à force de, au rebours de, à
défaut de, à l’instar de. Mais nous allons montrer que la plupart d’entre elles sont construites
autour d’un prédicat nominal non actualisé, qui hérite de l’actualisation du prédicat de la
phrase principale.
5.1. Le substantif
261
La notion même de locution implique, de façon plus ou moins explicite, une restriction
des propriétés combinatoires, qui se caractérise par l’absence de paradigmes dans une position
syntaxique donnée. Or, il se trouve que le figement n’est pas une propriété binaire. Il existe
des degrés de figement (G. Gross 1988) qui peuvent affecter tout ou partie de la séquence. Les
restrictions, dans le cas d’une locution, concernent soit le substantif lui-même, soit la
préposition soit la détermination. On dira que le substantif n’est pas figé, quand il a le même
sens et, de façon générale, le même emploi que dans une position prédicative. Ainsi le
substantif intention dans avec l’intention de n’est figé ni sémantiquement ni syntaxiquement,
car il a les mêmes propriétés que dans avoir l’intention de. Cette liberté s’observe dans la
plupart des locutions prépositives ou conjonctives. S’il est figé, le substantif a un
fonctionnement différent de celui des expressions libres : le substantif dépit dans en dépit de
ne peut pas être interprété comme un nom de sentiment ; coup dans à coups de (subventions)
n’a rien à voir avec l’idée de battre ; dans à l’article de (la mort), le substantif n’appartient pas
au vocabulaire grammatical. Voici encore quelques exemples : au grand dam de, au seuil de
(la nouvelle année), aux bons soins de, au lieu de, en guise de. Nous verrons plus loin que,
dans les locutions libres, la plupart des substantifs sont des prédicats nominaux non actualisés,
qui peuvent recevoir une actualisation autonome à l’aide de verbes supports, comme c’est le
cas du substantif intention ci-dessus.
5.2. La préposition
La plupart du temps, la préposition qui introduit la locution est unique mais l’existence
de paradigmes dans cette position n’est pas un fait exceptionnel. Avec le substantif aide, on
peut avoir à ou avec : à l'aide de/avec l'aide de. Le substantif intention accepte avec et dans :
avec/dans l’intention de. De et en sont possibles avec sorte : de sorte que/en sorte que.
Crainte accepte par et de : par crainte de/ de crainte de. Il existe une alternance par/zéro avec
crainte : par crainte de VW/crainte de VW (où VW désigne un infinitif suivi d’un
complément). Ces alternances de prépositions sont fréquentes dans les constructions
locatives : au bas de, en bas de, dans le bas de ; à bord de, au bord de, sur le bord de ou
temporelles : à la fin de, sur la fin de, vers la fin de.
5.3. La détermination
Les variations sont encore plus significatives dans le cas de la détermination. C’est une
preuve supplémentaire de leur liberté combinatoire. En effet, on observe des déterminants :
- négatifs : dans le but précis de VW/dans aucun but précis ; pour le motif que/pour nul
autre motif ; au moment où/à aucun moment ;
- interrogatifs : pour quelle raison ? pour quel motif ? à quel moment ? dans quelles
conditions ? dans quel but ?
Cette observation est encore accentuée par la prise en compte des phénomènes
d’anaphore. Rappelons que les déterminants qui figurent dans les locutions ont un emploi
cataphorique : ils annoncent le complément ou la subordonnée. Dans avec l’intention de
plaire l’article l’ annonce la subordonnée de plaire. Ce rôle est bien connu et c’est le seul
qu’envisagent la plupart des grammaires. Un autre cas de figure n’est presque jamais évoqué :
c’est celui où le contenu sémantique d’un complément ou d’une circonstancielle correspond à
un fait déjà connu de l’interlocuteur. Dans ce cas, on ne répète pas l’information mais on y
réfère à l’aide d’éléments anaphoriques (Cf. plus bas §5.7). Voici l'essentiel de ces
déterminants.
La subordonnée circonstancielle peut faire l'objet d'une pronominalisation dont le but est
de référer à un fait antérieur connu. Ce pronom a différentes formes :
- le relatif de liaison :
en conséquence de ce que P/en conséquence de quoi
au lieu de ce que P/au lieu de quoi
faute de ce que P/faute de quoi
après que P/après quoi
Il semble que, dans le cas de l'anaphore, on puisse effacer quelquefois le modifieur (la
notation E représente l’ensemble vide) :
Le déterminant cataphorique peut être remplacé par le démonstratif ce, qui renvoie à un
événement antérieur considéré comme connu. Il s'agit du cas d'anaphore le plus fréquent. En
voici quelques exemples :
263
Du fait qu’il pleuvait tout le temps, le travail n’a pas pu être achevé
De ce fait, le travail n'a pas pu être achevé
Dans le but de : dans le but évident de, dans un but louable, dans un tel but, dans un but
similaire
Pour la raison que : pour la simple raison que, pour de pareilles raisons, pour l’évidente
raison que, pour des raisons inconnues, pour des raisons inavouables
Avec chacun de ces deux substantifs le nombre d’adjectifs possibles est de l’ordre de la
centaine. On conclura encore une fois que, du fait de cette grande liberté syntaxique, la notion
de locution, qui implique un certain degré de figement, n’est pas une bonne dénomination.
Mais l’anaphore peut être dans la portée du complément seulement. Face à dans ce but,
à cette fin, à cet effet, dans ces conditions, où l’anaphore correspond à la détermination du
substantif, on observe des cas d’impossibilité de cette nature : en vue de plaire, *en cette vue ;
en raison d’un épais brouillard, *en cette raison ; à cause de l’absence de Paul, *à cette
cause. Ici, l’anaphore porte sur le complément exclusivement : en vue de cela, en raison de
cela, à cause de cela. Nous appellerons cette configuration anaphore externe.
Cette différence mérite d’être expliquée. En termes de syntaxe, elle s’analyse ainsi. Dans
le cas des locutions comme dans le but de, la détermination du substantif but change : une
détermination cataphorique (le-Phrase) est remplacée par une détermination anaphorique qui
lui est parallèle. En revanche, dans à cause de l’anaphore n’affecte que le complément ce que
P : à cause de ce que P : à cause de cela.
Dans ce cas, l’absence d’article est de rigueur : *à une cause de, *en une vue de, *à la
cause de, *en la vue de. Il ne s’agit pas d’un article zéro facultatif, comme dans sous prétexte
de, sous le prétexte de. Examinons d’abord à cause de. Le substantif n’est pas figé puisqu’il
constitue le même emploi que dans : A est la cause de B. Dans cette construction, si on veut
thématiser l’objet, différentes possibilités s’offrent à nous : l’opérateur à lien : B a A comme
cause, ou encore la construction converse de nature consécutive : B est la conséquence de A
ou encore le passif nominal : B est à cause de A. Il existe des prépositions qui permettent de
former des passifs nominaux (être abrité de, être à l’abri de). La forme passive à cause de ne
permet qu’une anaphore externe puisqu’elle n’a pas de liberté syntaxique interne.
Quand le substantif figurant dans une locution est un nom prédicatif, il peut être associé
à des verbes ou des adjectifs. Face à avec l’intention de, qui est une forme prédicative
autonome, on observe des locutions comme avec le désir de, venant de avoir le désir de, qui
est associé à désirer et être désireux de
Cette remarque est une raison supplémentaire de ne pas considérer les locutions comme
des catégories grammaticales autonomes.
6. Restructurations
Nous étudions ici les diverses restructurations dont peuvent être l’objet les locutions
conjonctives ou prépositives.
Dans une séquence comme : Paul a dit cela avec le désir de convaincre, l'accent est mis
sur le verbe dire, du fait qu’il est le seul qui soit actualisé. Mais on peut thématiser aussi le
prédicat de la subordonnée. On obtient alors :
Ces différentes reformulations comportent les mêmes éléments lexicaux que la phrase
complexe standard :
Nous avons vu qu’une prédication du second ordre implique, dans le cas des
circonstancielles, deux phrases-arguments. Dans la construction de base, l’actualisation est
prise en charge par le prédicat du second ordre (le connecteur). On peut postuler ainsi la
source d’une phrase temporelle : Le fait que le gang a été intercepté a eu lieu lors du passage
de la frontière. Une telle phrase, de nature plutôt théorique, peut subir une transformation
principale. Dans cette restructuration, l’actualisation du connecteur est effacée au profit de
celle de la phrase-sujet, qui devient ainsi une « principale », dans la mesure où elle devient le
pivot de référence : Le gang a été intercepté lors du passage de la frontière. Certaines
locutions sont le résultat d’une thématisation inverse, on assiste alors à une permutation des
deux phrases-arguments : Qu’il a gelé a été la cause de la mort de ces arbres ; Ces arbres
sont mort à cause du fait qu’il a gelé. L’analyse que nous venons de faire a l’avantage de
montrer que les prédicats du premier et du second ordre ont des propriétés identiques.
6.3. Effacement de la subordonnée
Dans la langue parlée, la proposition subordonnée peut être effacée, dans certaines
conditions énonciatives. Il ne reste alors que le connecteur : Pourquoi ne veuxtu pas venir
avec nous au cinéma ? Parce que. Cet effacement ne doit pas être confondu avec la
pronominalisation de la subordonnée que nous allons étudier maintenant.
6.4. Pronominalisation de la subordonnée
266
Comme toute phrase, une subordonnée peut être pronominalisée, c’estàdire faire
l’objet d’une anaphore. Dans ce cas, le contenu sémantique de la subordonnée est déjà connu,
de façon explicite ou non. Comme une subordonnée est introduite par un connecteur, souvent
une préposition, l’anaphore n’est pas prise en charge par un pronom atone (le) mais par le
pronom démonstratif cela, réduction de ce fait : Paul a été condamné pour avoir volé des
pommes : Paul a été condamné pour (ce fait, cela). Il existe des formes anaphoriques qui
correspondent aux différents types de subordonnées. La manière et le moyen peuvent être
remplacés par ainsi, de cette façon : On soigne ces arbres, en leur appliquant une résine
spéciale ; on soigne les arbres (ainsi, de cette façon). Les temporelles sont reprises par alors :
Tu tailleras les haies, lorsque les beaux jours arriveront ; Alors, tu tailleras tes haies.
6.5. Réduction infinitive et coréférence
Une modification bien connue affectant la subordonnée consiste, en cas de coréférence
des sujets, à effacer l’actualisation de la subordonnée : ?* Paul est parti dans le Midi pour
qu’il se repose un peu ; Paul est parti dans le Midi pour se reposer un peu. Quelquefois,
l’effacement de l’actualisation se fait en cas de coréférence avec l’objet : On a condamné
Paul pour avoir sali le mur.
7. Thématisation des circonstanciels
Nous allons examiner, dans ce qui suit, certains types de restructurations qui permettent
de transformer des compléments circonstanciels en sujets. Pour des raisons de clarté, nous
allons d’abord examiner les différents types de circonstanciels, nous proposerons ensuite une
explication de ce phénomène.
Dans cette région, il y a un trop grand nombre de handicaps, Cette région concentre un trop
grand nombre de handicaps. Voici d’autres verbes jouant un rôle syntaxique similaire :
englober, retenir, réunir, être farci de, être truffé de, etc. : Il y avait un grand nombre de
fautes dans cette rédaction, Cette rédaction était truffée de fautes ; Il y a toutes les matières
scientifiques au programme de terminale, Le programme de terminale englobe toutes les
matières scientifiques.
b) Compléments scéniques
Nous définissons ces compléments comme des lieux dans lesquels se déroule un
événement. Ce complément est différent de celui qui traduit la localisation d’un objet, comme
dans : Il y avait un livre sur la table, où il y a peut être paraphrasé par se trouver : Un livre se
trouvait sur la table. Nous prenons en considération des phrases du type : Il y a eu un terrible
accident à Paris, A Paris, il y a eu un terrible accident et nous essayons de mettre le locatif
Paris en position de sujet. Un des moyens linguistiques toujours possible consiste à introduire
un substantif classifieur comme lieu : Paris est le lieu où il y a eu un terrible accident. Mais
cette phrase est très analytique. Une autre restructuration est beaucoup plus naturelle. Celle-ci
se fonde sur une métaphore mettant en jeu certains <lieux de spectacles> : Paris a été le
théâtre d’un terrible accident ; La chambre des députés a été la scène d’un coup d’Etat
manqué ; Ce château a été le décor de fêtes somptueuses. Ces possibilités métaphoriques sont
cependant limitées : *Cette rue a été le cinéma d’un crime abominable ; *Cet endroit a été les
planches de l’assassinat du duc de Guise. On trouve encore des mots comme site : Reggane a
été le site de la première explosion nucléaire française.
c) Locatifs appropriés
Comme nous venons de le voir, les éléments prédicatifs qui permettent à un locatif de
passer en position de sujet sont fonction de la nature sémantique des compléments de lieu et
de leur corrélat. Ainsi les instruments de mesure ont-ils des verbes qui leur sont propres : Il
est 3 heures à cette montre, à cette montre, il est 3 heures, cette montre affiche 3 heures.
d) Compléments de « surface »
Il existe un certain nombre de substantifs qui désignent des « traces » observables sur
une surface : égratignure, marque, rayure, etc. Il y a des traces de coups sur son visage ; Il y
a une série de rayures sur la table. C’est le verbe porter qui permet à ce types de lieux de
passer en position de sujets : Son visage porte des traces de coups ; La table porte une série
de rayures.
Le phénomène s’observe aussi avec les compléments de temps. Ceux-ci ont la même
liberté syntaxique que les locatifs. Comme pour le lieu, il existe des classifieurs de temps qui
permettent la mise en évidence du complément temporel : Paul a choisi de partir au moment
des élections, Les élections sont le moment que Paul a choisi pour partir. Les bons seront
récompensés un jour, Le jour arrivera où les bons seront récompensés. Nous dûmes partir le
lendemain, Le lendemain est le jour où nous dûmes partir. Certains verbes, comme connaître,
permettent à un complément de temps de devenir sujet : Il y a eu des révoltes sanglantes au
moyen âge, Le moyen âge a connu des révoltes sanglantes.
268
En position d’objets, il y a deux sortes de compléments de temps : ceux qui sont bornés
à droite, c’est-à-dire qui désignent des accomplis et ceux où le terme de l’action n’est pas
nettement indiqué. Les compléments sont respectivement en N et pendant N : Paul finira ce
travail en trois mois, En trois mois Paul aura fini ce travail. Le verbe mettre permet de faire
du complément de temps un objet de ce verbe : Paul mettre trois mois (à, pour) finir ce
travail. Dans l’autre exemple, c’est le verbe passer qui a la même fonction : J’ai réparé le
filet pendant toute la nuit, Pendant toute la nuit, j’ai réparé le filet, J’ai passé toute la nuit à
réparer le filet.
Un certain nombre d’autres verbes ont le même rôle syntaxique avec, dans certains cas,
des modalités spécifiques :
suffire : J’ai réussi à boucler ce travail en deux heures, Deux heures m’ont suffi pour
boucler ce travail ;
consacrer : J’ai corrigé ce texte pendant la matinée, J’ai consacré la matinée à corriger
ce texte ;
réserver : A l’avenir nous aurons beaucoup de surprises, L’avenir nous réserve
beaucoup de surprises ;
débuter : L’année civile commence au premier janvier, Le premier janvier débute
l’année civile
La mise en évidence d’un complément de temps peut s’opérer à l’aide d’autres moyens
linguistiques : Les hommes mouraient de faim à une certaine époque, A une certaine époque
les hommes mouraient de faim, Il fut une époque où les hommes mouraient de faim. D’autres
mises en évidence ne conservent pas aussi nettement le parallélisme entre les deux phrases :
Je n’ai pu finir la conclusion, faute de temps ; Le temps m’a fait défaut pour finir la
conclusion
On ne peut plus actuellement répondre de la sorte ; Le temps (n’est plus, est révolu) où
l’on pouvait répondre de la sorte
Paul a quitté le pays depuis longtemps ; Le temps a passé depuis que Paul a quitté le
pays
Il faut répondre sérieusement maintenant ; Le moment est venu de répondre
sérieusement
Il attendait toujours minuit pour aller au restaurant ; Minuit était le moment qu’il
attendait pour aller au restaurant
Certains relateurs de cause ont une syntaxe complexe qui met en jeu des restructurations
(Cf. Chap.16). C’est le cas de la racine caus-, que l’on trouve dans la locutions conjonctive à
cause de : Un accident grave s’est produit à cause de la pluie. Ce complément est mobile,
mais son statut ne change pas pour autant : A cause de la pluie, un grave accident s’est
produit. En revanche, avec une inversion des arguments, on permet au substantif de devenir
sujet : La pluie a (produit, provoqué) un grave accident. Mais ces transformations sont très
générales et ne mettent pas en jeu des lexèmes spécifiques qui permettent le changement de
structure. D’autres structures ont cette possibilité. Certaines constructions causales construites
autour de la préposition pour sont constituées d’une principale comportant un verbe de
« sanction » comme punir ou récompenser et d’une subordonnée avec un verbe désignant une
action considérée comme condamnable ou louable : On a condamné Paul à dix ans de prison
pour ce meurtre ; On a attribué le prix Nobel à Paul pour ce roman. Un des emplois du verbe
269
valoir permet aux compléments de cause de devenir sujets : Ce meurtre a valu à Paul dix ans
de prison ; Ce roman a valu à Paul le prix Nobel.
La locution dans le but de n’est pas la seule distribution du substantif but (Cf. Chap. 16).
Comme il s’agit d’un prédicat nominal, il peut être accompagné de son verbe support : Paul
s’est levé dans le but de protester ; Paul s’est levé, il avait pour but de protester. Cette
dernière phrase peut faire l’objet d’un certain nombre de restructurations qui mettent l’accent
respectivement sur le prédicat de la principale (dans la structure standard où la principale
précède la subordonnée) et sur celui de la subordonnée :
Conclusion
Toutes les analyses que nous avons proposées mettent en évidence le fait qu’une
description purement structurale, c’est-à-dire statique, ne permet pas de rendre compte du
270
Lectures
Anscombre, J.Cl., 1984, « La représentation de la notion de cause dans la langue », Cahiers
de grammaire n°8, Toulouse, p.353.
Brunot, F., 1936, La Pensée et la langue, 3e éd., Masson, Paris.
Cadiot, P., 1990, « A propos du complément circonstanciel de but », Langue Française, n°86,
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Cadiot, P., 1991, De la grammaire à la cognition : la préposition pour, CNRS Editions, Paris.
Danlos, L., 1988, « Les phrases à verbe support être Prép », Langages, n°90, Larousse, Paris.
Fuchs, C., 1991, « Les typologies de procès : un carrefour théorique interdisciplinaire »,
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Gaatone, D., 1981, « Conjonctions et locutions conjonctives en français », Folia Linguistica
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Gaatone, D., 1996, « Syntaxe, lexique et sémantique : quelques réflexions sur le problème des
constructions subordonnées prépositionnelles », Linx, n°3, p.233-240.
Gingras, L., 1991, « Dans le but de, dans un but de, dans un but (+adj) », L’actualité
terminologique, vol. 24, n°1, p.4.
Gross, G., 1988, « Réflexions sur la notion de locution conjonctive », Langue Française, n°
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Presses Universitaires de Rennes, p.121-127.
Gross, M., 1986, Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe de l'adverbe, Asstril,
Paris.
271
Chapitre 16
Au chapitre précédent, nous avons vu que la majorité des locutions conjonctives (ou
prépositives) sont construites autour d’un substantif qui est le vrai porteur de l’information.
La locution ne doit donc pas être prise comme un tout substituable globalement à d’autres
locutions. Le dictionnaire latin-français Gaffiot traduit la conjonction latine ut à la fois par
afin que et pour que. Les dictionnaires modernes adoptent la même attitude. Le dictionnaire
allemand Pons (Klett) traduit um...zu par pour et afin de. Le mot Absicht y est traduit tantôt
par but (jd verfolgt eine Absicht mit etw : qq poursuit un but avec qc) et tantôt par intention
(in der Absicht etw zu tun : dans l’intention de faire qc). On voit que les locutions sont
traduites comme si elles constituaient des ensembles sémantiquement interchangeables. Sur la
base des analyses que nous avons effectuées au chapitre précédent, nous allons montrer que
les substantifs figurant dans les locutions ont une syntaxe et une sémantique autonomes et
qu’ils ne sont pas interchangeables. Le fait de considérer ce substantif comme un prédicat
permet d’apporter un éclairage nouveau sur les relations circonstancielles. C’est ce que nous
allons mettre en évidence en analysant, à titre d’exemple, les subordonnées circonstancielles
de but et de cause.
1. L’expression de la finalité
Le fait que ces prédicats traduisent tous les trois la finalité est mis en évidence par
l’ensemble des propriétés qu’ils ont en commun. Cependant ces substantifs ne sont pas
substituables les uns aux autres, comme nous allons le montrer en analysant la syntaxe propre
à chacun d’eux. On verra alors que la finalité n’est pas un concept homogène mais
l’intersection de plusieurs constructions reposant sur des métaphores différentes.
273
Les trois substantifs que nous venons de mentionner ont des propriétés syntaxiques
communes. C’est la raison pour laquelle les grammaires les regroupent sous le terme de
locutions, sans préciser qu’ils peuvent avoir d’autres positions syntaxiques.
Les substantifs en question sont des noms prédicatifs, car ils ont des arguments :
respectivement un sujet humain coréférent à celui du verbe principal et un objet phrastique, à
savoir la subordonnée circonstancielle, qui est en fait une complétive, comme nous l’avons
déjà vu au chapitre précédent :
Nous avons vu que certains de ces substantifs ont des formes verbales ou adjectivales
associées : désirer, avoir le désir de, être désireux de, ce qui confirme leur statut de prédicats.
La mise en évidence par c’est…que est possible pour toutes les subordonnées finales :
Ces prédicats peuvent faire l'objet d'une triple thématisation, affectant le prédicat de la
principale, celui de la subordonnée et celui qui se « cache » derrière le connecteur (Cf.
Chap.15 §6) :
Tous les prédicats nominaux peuvent être actualisés par le verbe support avoir, à
l’exception des substantifs locatifs, où ce verbe correspond à une autre construction :
Un autre groupe de verbes décrit l'attitude du sujet, capable de tenir son intention secrète ou
de la divulguer :
Une autre classe de verbes appropriés est constituée par le couple poursuivre, renoncer à :
Paul voulait se venger mais il a renoncé à (ce but, cette intention, ce désir)
Paul poursuit son (but, intention, désir) de se venger
Ces verbes ont le même sujet que celui de la principale. D'autres verbes mettent en jeu
un acteur différent. Là aussi, il y a des séries sémantiques :
a) Des adjectifs indiquant un jugement de valeur. Parmi les plus fréquents dans les
textes on trouve : absurde, extravagant, ambitieux, généreux, légitime, criminel, cupide,
coupable, perfide, louable. La liste est évidemment beaucoup plus longue.
d) Des adjectifs restrictifs : seul, unique, seul et unique, exclusif, précis. La restriction
peut aussi être traduite par ne…que : Paul n’est parti que dans le but d’embêter son
voisin
275
e) Des adjectifs de probabilité. Le locuteur peut porter un jugement sur les chances qu’a
l’auteur de parvenir au résultat souhaité en agissant comme il le fait : vain, fallacieux,
etc.
Il a souvent été remarqué qu’en cas de négation, celle-ci ne porte pas sur le prédicat de
la principale mais sur celui de la subordonnée (Cf. Chap.15 §1) :
Comme pour toute chose humaine, un but ou une intention ne se réalisent pas toujours :
une phrase finale peut donc être continuée par une autre en mais, qui révèle que l’objectif visé
n’a pas été atteint :
Paul a fait un pas pour arranger les choses, mais (il a échoué, il n'a pas réussi, ça n'a
pas marché, etc.)
Les propositions finales ne doivent pas être identifiées aux causales. Ces dernières
impliquent nécessairement une conséquence, sous peine qu’il n’y ait pas cause, ce qui n’est
pas le cas des finales.
Il est bien connu qu’une relation causale peut s’établir entre deux phrases, en l’absence
de tout mot de liaison, par le seul fait d’une inférence qu’on peut faire entre deux
événements :
Une « reconstitution » semblable n’est pas possible pour le but. La séquence : *Paul a
travaillé très fort. Il réussit ne peut pas être interprétée comme synonyme de la suivante :
Les substantifs que nous venons d’examiner ont un nombre important de propriétés
communes. Celles-ci peuvent être considérées comme une définition syntaxique de la finalité.
Nous allons montrer maintenant que chacun de ces prédicats a des propriétés linguistiques
spécifiques et que, de ce fait, on ne peut pas les substituer les uns aux autres. La finalité reçoit
276
avec chacun d’eux une coloration particulière, qui dépend des différentes métaphores qui sont
à la base de chaque emploi.
La finalité peut être traduite par des substantifs locatifs indiquant un lieu que l’on veut
atteindre : but, fin, objectif, cible. Nous analyserons le premier de ces termes.
Le support basique des prédicats locatifs est le verbe être, compte tenu du fait que le
sujet profond est la phrase "circonstancielle" :
Le verbe avoir doit être considéré comme un opérateur à lien et induit par une
réorganisation de la phrase :
Cette visite (de Paul) a (pour, comme) but de régler ses affaires
et par réduction :
a) Prédicats d’ « accomplissements »
b) Prédicats directionnels :
d) Prédicats de "distance" :
277
Paul veut reprendre les affaires en main. Il est encore loin du but qu'il s'était fixé
Paul est tout près du but
Tout effort qu’il faisait le rapprochait du but qu’il s’était fixé
f) Prédicats de « perception » :
Une métaphore militaire (comme on le voit clairement avec le terme objectif, par
exemple) explique peut-être que des verbes de perception comme viser ou avoir en vue
puissent s’employer avec ces substantifs :
a) Les adjectifs mettent eux aussi en évidence l’interprétation locative des substantifs de
cette classe :
b) Tout comme les locatifs, un but peut être d’accès aisé ou difficile :
Paul s'est ressaisi dans le but (immédiat, final, ultime) de se comporter comme tout le
monde
Son but initial était de construire une maison. Il a changé d’avis depuis longtemps
278
3. Prédicats d’intentionnalité
- intention, dessein
- idée, pensée, arrière-pensée
- projet
- volonté, résolution
- recherche, quête
La forme non-actualisée - la locution donc - est introduite par les prépositions avec et
dans :
Paul est parti en vacances (avec, dans) l’intention de se refaire une santé
Paul a acheté ce livre (dans, avec) l’intention de le traduire
La négation met en jeu la préposition sans. Dans ce cas, on note la possibilité d’effacer le
déterminant défini :
Paul a dit ces mots (sans l’intention, sans intention) de blesser son interlocuteur.
- Les déterminants anaphoriques ne sont pas très naturels Il a fait son voyage (?
avec, dans) cette intention
- Il en est de même pour les interrogatifs (?Avec, dans) quelle intention a-t-il fait ce
voyage ?
- L’article défini est possible seul ou accompagné d’un modifieur : Paul est parti
avec l’intention (délibérée) de se venger.
Paul est venu au colloque avec la ferme intention de ne pas participer à la discussion.
3.4. Actualisation
a) verbes
On observe des verbes comme accomplir, exécuter, donner suite à, mettre à exécution,
réaliser :
Jean a (contrarié, fait avorter, s’est opposé à, est allé contre) l’intention de Paul.
Le sujet peut aussi cacher ou dévoiler son intention ou renoncer à elle. On peut être en
mesure de deviner ou pénétrer les intentions d’autrui.
b) adjectifs
L’adjectif inconscient est en contradiction avec le sens d’un substantif comme intention,
qui implique que le sujet de l’action soit conscient de ce qu’il recherche. En cela intention
diffère d’autres substantifs traduisant une finalité : avec le désir inconscient de VW. Les textes
montrent qu’il existe des séries qualifiant intention :
Les adjectifs restrictifs semblent moins naturels avec intention qu’avec but : dans le seul
but de/ ?dans la seule intention de ; rien que dans le but de/ ?rien que dans l’intention de ;
dans le seul et unique but de/ ?dans la seule et unique intention de.
Un autre type de finalité est exprimé par certains noms de sentiments, qui traduisent le
but de façon particulière (Cf. Gross et Prandi 2004 p.197-216).
De façon générale, pour qu’il y ait lecture finale, plusieurs conditions doivent être
réunies. Il faut :
a) qu’un humain effectue une action corrélée à un résultat souhaité par l’intermédiaire d’un
connecteur spécifique.
Il utilise le français (avec le désir, avec l’intention, dans le but) d’être compris de tous
mais exclut des substantifs comme admiration ou colère, qui sont pourtant des sentiments tout
autant que désir : *Il utilise le français avec (l’admiration, la colère) d’être compris de tous
c) que les substantifs en question soient à même d’exprimer l’objectif poursuivi par le sujet.
Par exemple, les substantifs joie ou honte ont bien des arguments phrastiques :
Nous avons fait le voyage de Paris. Nous avons eu la joie de revoir nos amis
281
Les noms de sentiments traduisent de la part du sujet une relation à l’acte différente de
celle que nous avons vue jusqu’à présent. Le sujet n’est ici que partiellement libre : les noms
de sentiments peuvent recevoir des qualificatifs comme irraisonné, instinctif, machinal,
spontané, inconscient :
Paul hésitait, temporisait, avec (le désir, l’espoir, la crainte) inconscient(e) que son
entreprise y gagnerait.
Si un homme poursuit un but dont il n’a pas lui-même une claire conscience, c’est
qu’une force en lui l’y incite. Cette force est constituée par les sentiments. En atteste une
métaphore qui met en jeu des verbes de compulsion, comme pousser ou mouvoir : Jean a pris
un billet d’avion, (mu, poussé) par le désir de voir l’Orient. Cette force, il n’est pas toujours
en son pouvoir de la maîtriser :
Les adverbiaux de temps un jour, à l’avenir, dorénavant sont compatibles avec les
substantifs de sentiments susceptibles d’exprimer la finalité, mais non avec les autres
substantifs de sentiments :
Pierre travaille d’arrache-pied, avec le désir qu’un jour ses efforts seront récompensés
?*Pierre est reparti, de dépit qu’un jour on ne fasse plus appel à lui.
On peut donc distinguer deux types de noms de sentiments susceptibles d’exprimer le but :
a) des substantifs proprement orientés vers le futur comme désir, envie, espérance,
espoir, souhait, aspiration, ambition
b) et d’autres comme peur, crainte, souci, dont le sens final est différent de celui qu’ils
ont habituellement. La finalité traduite à l’aide de noms de sentiments est ici plus proche
de la cause que celle exprimée par les deux autres classes.
La locution n’est introduite que par la préposition avec :
L’auteur a repris ce texte, (?dans, avec le désir) de l’améliorer pour le fond et la forme.
La suite dans le désir de ne se rencontre guère. Pour éviter une confusion, rappelons que
le complément dans Poss N : Dans son désir de trop bien faire, il a fini par agacer tout le
monde traduit une cause et non un but.
282
La détermination du substantif désir est la suivante :
le défini le Modif : avec le désir que tout marche bien, avec le désir de réussir, avec
le désir évident que tout marche bien, avec le désir évident de réussir
- l’article zéro est exclu.
Dans ces locutions, qui mettent en jeu la préposition avec, les déterminants suivants sont très
peu naturels :
le relatif de liaison *Avec le désir de quoi, atil fait cela ?
l’anaphorique ce : ?Il est parti (avec ce désir, avec un tel désir, avec un désir pareil,
avec un désir de ce genre).
l’interrogation *Avec quel désir estil parti ?
ayant le désir de VW
désireux de VW
le désir qu’a N0 de VW
le désir de N0 de VW
son désir de VW
4.6. Verbes appropriés
4.7. Adjectifs
- une force irrésistible : avec le désir (ferme, immodéré, impérieux, irrésistible, violent)
de résister à toute attaque
- une attitude de sincérité : avec un désir (sincère, vrai, réel) de changer d’attitude
5. La causalité
Nous étudions, dans ce qui suit, une classification des constructions causales. Comme
on le verra, cette relation est beaucoup plus complexe que la finalité, dans la mesure où elle
met en œuvre un nombre plus important de paramètres. La cause est généralement définie
comme un lien que l’on établit entre deux événements dont l’un entraîne l’autre. Cette
définition s’applique en fait au monde des phénomènes et ne rend pas compte des moyens par
lesquels la langue traduit ce lien. La cause linguistique ne doit pas être confondue avec la
causalité scientifique. Elle est beaucoup plus diverse : la langue soumet cette notion à un
grand nombre de points de vue différents, de sorte qu’on ne peut pas la considérer comme un
ensemble unique. Nous énumérons dans ce qui suit les paramètres qui permettent de rendre
compte des relations de cause de façon générale. Au niveau le plus élevé, on fera d’abord
deux distinctions : on opposera causes internes et externes d’une part et causes à effet et
causes explicatives, de l’autre. Les causes peuvent ensuite être définies selon la nature de leur
opérande : événements, actions ou états. Nous étudierons dans le détail les différentes
modalités des causes événementielles et des causes du faire.
Une première grande opposition sépare les causes exprimées par un prédicat du premier
ordre dans le cadre d’une phrase simple (causes internes) de celles qui relient deux phrases
(causes externes). Les premières sont exprimées par différents types de verbes causatifs, où la
284
notion de cause n’a pas de support morphologique (tuer, renverser, dilater, angoisser) ou est
exprimée par des suffixes (banaliser, réifier, etc.). Les secondes sont exprimées par des
connecteurs reliant deux phrases. Les analyses qui suivent concerneront ce dernier type, qui
représente ce que la tradition appelle des subordonnées causales.
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les connecteurs qui relient une
subordonnée à une principale sont en fait des prédicats, quelle que soit leur forme
morphologique (verbe, nom, préposition, locutions prépositionnelle ou conjonctive). Cette
observation est importante, car elle permet de procéder à un classement des types de causes en
fonction de la classe sémantique de leurs arguments, comme on peut le faire avec n’importe
quel type de prédicat (cf. Chap. 3). Dans : La tempête a causé des dégâts, la classe sémantique
de dégâts permet de mettre au point une classe de causes événementielles, tandis qu’on
analysera comme cause du faire celle qui est exprimée par la phrase suivante : La tempête a
fait fuir les vacanciers. Ce qui est déterminant pour l’analyse de la causalité, c’est la nature
sémantique du prédicat sur lequel elle opère (son opérande). En résumé, il y a trois types de
causes, selon qu’elles opèrent sur :
Cependant, du point de vue de l’information qu’elles véhiculent, elles sont très différentes.
La première a les propriétés suivantes :
- ce qui est thématisé ici c’est l’effet (dégâts) : ce prédicat devient le centre d’une
proposition principale et porte de ce fait l’actualisation grâce au support il y a eu ;
- le verbe causer perd son actualisation et devient la locution à cause de ;
- le sujet (pluie) devient le complément de cette locution ;
- il n’y a pas de phrase consécutive parallèle possible ;
- la phrase est une réponse à une question en pourquoi ?
Pourquoi y a-t-il eu ces dégâts ? A cause de la pluie.
On voit que la question en pourquoi ne peut pas être un critère définitionnel des
constructions causales en général, puisqu’elle ne correspond qu’à certains types de causes.
a) Causes pures
Nous définissons les causes événementielles comme celles qui ont deux arguments
représentant des événements. Nous évoquerons d’abord les causes pures, celles qui sont
exprimées par des relateurs qui n’ont d’autre interprétation que causale, sans autre incrément
sémantique. Nous avons vu au Chap. 11 que les événements forment des sous-classes :
Dans les structures syntaxiques que nous venons de voir, la cause précède la
conséquence. Si l’on veut thématiser cette dernière, plusieurs possibilités se présentent. On
peut utiliser la forme passive : Ces dégâts ont été causés par la tempête. Quand le prédicat est
le substantif, on a la construction avec opérateur à lien : Ces dégâts ont eu pour cause la
tempête.
Parallèlement aux causes pures, on relève des connecteurs qui sont de nature
métaphorique et qui impliquent, de ce fait, une inférence. Il est à remarquer qu’à presque
chaque prédicat causatif métaphorique correspond une structure consécutive parallèle. Le
premier type de métaphore met en jeu la notion d’origine : La pénurie alimentaire est à
l’origine de cette révolte : Cette révolte trouve son origine dans la pénurie alimentaire. Il y a
ensuite la métaphore de la naissance : Les difficultés d’approvisionnement ont (engendré, fait
naître) une spéculation sur les matières premières : Cette spéculation sur les matières
premières est née des difficultés d’approvisionnement. Une autre métaphore implique la
notion de semence : La rivalité territoriale entre les deux pays a été le germe de deux grands
conflits : Deux grands conflits ont été (en germe dans, le fruit de) la rivalité territoriale entre
les deux pays. Nous noterons encore la métaphore de la source : Les modifications apportées
au moteur de cet avion ont été la source de retards imprévus : Ces retards imprévus (trouvent
leur source dans, découlent de) les modifications apportées au moteur de cet avion.
286
Les connecteurs causatifs que nous avons vus jusqu’à présent opèrent sur des
événements pris dans leur globalité. Il en est d’autres qui s’appliquent, dans le cas des
événements duratifs, non à leur globalité mais à une seule de leur phase. Ces connecteurs
traduisent un aspect :
Il arrive souvent qu’un événement se produise sans qu’on en connaisse la cause. Si cet
événement est de quelque importance, nous souhaitons comprendre ce qui s’est passé. Nous
faisons alors des conjectures sur sa raison d’être. Ici, les causes ne sont pas factuelles mais
font l’objet de spéculations. Les moyens linguistiques qui traduisent ces conjectures sont
divers. En l’absence de toute information, on se sert des verbes comme conjecturer, mais il y
a aussi : supposer, supputer, faire l’hypothèse que : Ce résultat est faux, je suppose qu’on a
oublié une donnée. Si l’on a quelques indices perceptibles, on utilise apparemment : Les
cuves sont vides, apparemment il y a une fuite dans le circuit interne. Si l’on se fonde sur des
rumeurs, les moyens à notre disposition sont sembler, paraître : Pierre n’a plus de voiture ; il
(paraît, semble) qu’il a fait faillite.
6. Causes du faire
Un grand nombre de relateurs de cause opèrent sur des prédicats d’action (cf. Chap. 12).
Dans ce cas, le sujet de la phrase enchâssée est un humain, par définition. Nous allons
analyser d’abord les causes exogènes, qui excluent la coréférence entre les deux sujets, puis
les causes endogènes, qui impliquent cette coréférence. Nous verrons que la plupart de ces
relateurs ne sont pas eux-mêmes de nature causative, mais sont interprétés comme causatifs à
la suite d’un raisonnement ou d’une inférence.
Nous appelons causes exogènes celles dont le sujet de l’opérateur causatif est différent
du sujet humain de la seconde phrase. Deux cas se présentent : le prédicat peut être un
événement ou un humain.
a) Prédicats événementiels :
f) Prédicats verbaux causatifs : Le mauvais temps nous a fait partir ; Les circonstances
ont contraint le gouvernement à changer de stratégie.
Les causatifs à sujets humains sont pour partie les mêmes que ceux du groupe f) que
nous venons de voir : La police nous a fait partir ; L’opposition a contraint le gouvernement
à changer de stratégie. Le sujet humain est interprété comme agentif, comme le montrent les
adverbes d’intentionnalité : La police a délibérément fait partir les manifestants. Ces
constructions sont souvent appelées factitives et le verbe faire peut être considéré comme
prototypique de cette construction. Mais d’autres prédicats apportent à la notion de factitivité
des modalités supplémentaires.
c) Prédicats de « menace » : Sous la menace de son arme, j’ai cédé ; Sous la pression de la
classe politique, le gouvernement a démissionné
d) Prédicats d’« aide » : Sous l’impulsion de Paul, les affaires se sont développées
Ici, les opérateurs causatifs ont le même sujet que celui de la phrase dite principale ou
établit avec lui une relation métonymique. Cette coréférence explique une règle générale de
baisse de la redondance. Le prédicat de cause perd son actualisation : effacement du verbe
support ou réduction du verbe à l’infinitif.
288
a) Prédicats de « perception » : préposition à. Dans ces exemples, une relation causale est
établie entre une perception et une action ou une réaction humaines. Les prédicats peuvent
être nominaux : A la vue de ce spectacle, Paul a pâli ou verbaux : En voyant ce spectacle,
Paul a eu envie de partir. Ici, comme dans ce qui suit, les prédicats n’ont pas par eux-mêmes
d’interprétation causale : celle-ci est le résultat d’une inférence, du fait de la juxtaposition des
deux phrases.
c) Prédicats de « sentiments » : prépositions de, par, sous l’effet de : De dépit, il a tout laissé
en plan ; De colère, il a renversé le vase ; Par dépit, il a refusé de jouer ; Sous l’effet de la
colère, il a perdu contenance.
- dans Poss N(propriété). Ces prédicats à sujets coréférents expriment des états ou des
propriétés du sujet de la principale : Dans sa folie, il a osé répliquer au directeur ; Dans sa
bêtise, il est allé tout raconter à la police ; Dans sa générosité, il a pardonné à son pire
ennemi ; Par générosité, il a pardonné à son ennemi ; Dans son énervement, il a renversé le
vase
- avec Poss N(propriété), en Nprop, par Poss Nprop : Avec (sa, cette) mauvaise santé, il
n’a pas pu assister au défilé ; Avec une telle intelligence, on réussit facilement tous les
concours ; En vieux renard (qu’il est), il a roulé tout le monde dans la farine ; Par son
impatience, il a tout gâché ; Par son comportement, il a choqué tout le monde
Nous envisageons maintenant des causes que l’on pourrait qualifier de complexes,
puisqu’elles véhiculent des modalités de divers types qui concernent toutes plus ou moins les
motifs de l’action.
Une action peut avoir d’autres causes qu’un événement extérieur ou un ordre donné par
un supérieur. Souvent, du fait de la nature de la modalité, le temps est le présent d’habitude ou
de vérité générale. Différents moyens linguistiques peuvent entrer en jeu.
b) Connecteurs spécifiques de nature juridique : en vertu de, en foi de (quoi), attendu (que),
vu (que) : En vertu des pouvoirs que me sont conférés, je vous fais chevalier de la Légion
d’honneur ; En foi de quoi, le tribunal l’a relaxé ; Vu le décret du 12 mars 1998, les maires
sont autorisés à assurer la police dans leur municipalité ; Attendu que P, le tribunal décide
que P
Un type particulier de cause est représenté par des raisons intérieures réelles ou
simplement invoquées. Cette cause peut apparaître comme une tentative de justification ou de
disculpation, à la suite, par exemple, d’un reproche ou d’une accusation. C’est le prédicat
motif qui traduit cette idée. Ici, la cause rejoint en partie la finalité : Il n’est pas venu, au motif
qu’il n’avait pas été invité ; Il n’est pas venu pour le motif qu’il n’avait pas été invité ; Il n’est
pas venu. Il a invoqué comme motif qu’il n’avait pas été invité
Un locuteur peut évoquer une cause dont il ne prend pas à son compte la réalité, qu’il
rapporte simplement, tout en laissant entendre qu’elle ne lui paraît pas évidente. Il s’agit
souvent d’autojustification ou de disculpation de la part d’un tiers. Cette interprétation est
traduite pour plusieurs racines lexicales :
La racine prétext- : Il n’est pas venu sous (le) prétexte qu’il pleuvait ; Il n’est pas venu,
prétextant qu’il pleuvait ; Il n’est pas venu. Il a prétexté qu’il pleuvait
La racine prétend- : Il n’est pas venu. Il a prétendu qu’il était malade ; Il n’est pas
venu, prétendant qu’il était malade ; Il n’est pas venu, il était prétendument malade
La racine allégu- : Il n’est pas venu. Il alléguait qu’il pleuvait trop ; Il n’est pas venu. Il
avait comme allégation qu’il pleuvait trop
La racine argument- : Il n’est pas venu. Il a donné comme argument qu’il pleuvait trop
La racine excus- : Il n’est pas venu. Il a donné comme excuse qu’il pleuvait trop
Les expressions : soi-disant que, soi-disant : Il n’est pas venu, soi-disant qu’il était
malade ; Il n’est pas venu, il était malade, soi-disant.
Nous avons vu dans ce chapitre que les notions circonstancielles, comme la finalité ou la
cause, ne sont pas des notions abstraites ni homogènes sémantiquement, mais qu’elles sont
incarnées par des connecteurs différents, qui représentent tout un bouquet de relations
sémantiques différentes, qu’on a pris l’habitude de regrouper sous les termes génériques de
cause et finalité. Cette tendance est renforcée par les exercices scolaires : l’analyse logique
consiste pour les élèves à reconnaître dans un texte les constructions causales, par exemple,
sans qu’on leur suggère de préciser le type de causes en jeu. L’analyse que nous venons de
proposer, qui identifie le connecteur à un prédicat et les deux phrases qu’il relie à ses
arguments, permet d’appliquer à la phrase complexe les mêmes outils d’analyse que ceux
qu’on utilise dans l’analyse de la phrase simple. Les classes de prédicats permettent de
décrire, dans ces conditions, la nature sémantique des phrases-arguments avec la même
précision que les classes d’objets le font pour les substantifs.
290
Conclusion
L’analyse que nous venons de faire des subordonnées circonstancielles a mis l’accent
sur la nature du relateur qui unit la principale à la subordonnée. Au lieu de le désigner par le
terme de connecteur qui est vague et sans véritable fondement syntaxique, nous l’avons
analysé comme un prédicat du second ordre, dont les deux phrases reliées (principale et
subordonnée) sont respectivement les arguments. Cette analyse a un double avantage. D’une
part, elle explique la comportement de ces phrases (et en particulier leur pronominalisation) et
d’autre part, elle met en évidence que ces prédicats du second ordre sont comme tous les
autres prédicats, ils sélectionnent leurs arguments et, de ce fait, ils ont un sens qui leur est
propre. La finalité n’est pas le même selon qu’elle est prise en charge pour des substantifs de
nature locative (but, fin, objectif) ou des noms de sentiments (désir, souci). De même, les
prédicats de cause, ne sélectionnent pas les mêmes arguments, selon leur nature sémantique :
susciter opère sur des sentiments et des réactions humaines et non sur des événements du
monde des phénomènes comme causer et provoquer. La conséquence théorique de cette
analyse, c’est que ces prédicats du second ordre peuvent correspondre à une morphologie
différente : verbe, nom prédicatif, locution prépositive, etc. Cette analyse a aussi l’avantage de
montrer que les possibilités d’expression sont bien plus nombreuses que les locutions : le
substantif but, par exemple, ne figure pas seulement dans la locution dans le but de mais dans
des dizaines ou même des centaines de constructions différentes.
Lectures
Finalité
Bach, E., 1982, «Purpose clauses and control», The Nature of Syntactic Representation, P.
Jacobson, G. L. Pullum (éds.),Reidel Publishing Company, Boston MA, p.35-57.
Cadiot, P., 1990, «A propos du complément circonstanciel de but», Langue française, n° 86,
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Cadiot, P., 1991, De la grammaire à la cognition : la préposition "pour", CNRS Editions,
Paris.
Davidson, D., 1968, «Actions, reasons and causes», Journal of Philosophy LX: 685-700.
Réimpr. in White éd., 79-94.
Fradin, B., 1989, «A propos de la lecture finale de pour», Actes du XVIIIe Congrès
International de Linguistique et de Philologie Romanes, Max Niemeyer Verlag,
Tübingen, p.264-281.
Gingras, L.,1991 «But, objectif et leurs co-occurrents», L’actualité terminologique 24, 2 : I-
IV.
Grice, H.P., 1975, «Logic and conversation», Sintax and Semantics. 3 : Speech Acts, P.
Jacobson, G. L. Pullum (éds.), Academic Press, New York, p.41 - 58.
Gross, G. et Prandi, M., 2004, La finalité. Fondements conceptuels et genèse linguistique,
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Jones, Ch., 1991, Purpose Clauses : Syntax Thematics and Semantics of English Purpose
Constructions, Kluwer Academic Publishers, Boston, MA.
Kenny, A., 1963, Action, emotion and will, Routledge et Paul Kegan, London.
La Fauci, N., 1988, «Le sujet des conjonctions de subordination finales», Langue française
77, p.37-46.
Piot, M.,1978, «Les conjonctions finales du français», Recherches Linguistiques 5-6, p.208-
234.
291
Prandi, M., 1995 «Le proposizioni finali in italiano: uno studio di grammatica filosofica»,
Cuadernos de Filología italiana 2, p.45-73.
Cause
Conclusion
nôtre dans ce livre. De même, les mots étrangers ne sont pas relevés en tant que tels, mais sont
décrits à l’aide de leur flexion et de leurs propriétés syntactico-sémantiques. Ainsi les mots
blues ou spleen auront le même codage sémantique que cafard, termes qui appartiennent tous
trois à la classe <mélancolie>.
Les analyses que nous avons faites ont montré que la reconnaissance des mots ne peut se
faire que dans le cadre des phrases simples, dont nous avons décrit les propriétés. Une telle
démarche permet à un dictionnaire de prendre en charge l’ensemble des descriptions, à
condition d’avoir un agencement spécifique, que nous allons développer maintenant. Comme
une phrase simple comprend deux types de lexèmes, différents mais complémentaires, les
prédicats et les arguments, il faut prévoir une description spécifique pour chacune de ces deux
classes de mots. Nous commencerons par le dictionnaire des prédicats, qui est en partie
commun pour les verbes, les noms prédicatifs et les adjectifs.
Comme nous l’avons vu aux chapitres 3, 5, 6, les prédicats du premier ordre ont, d’une
part, des propriétés communes au titre de leur fonction commune dans la phrase simple et,
d’autre part, des propriétés spécifiques qui dépendent de leur statut morphologique (verbe,
nom, adjectif). Dans ce qui suit, nous allons factoriser ces propriétés pour éviter des redites.
Nous commençons par les champs qui sont communs aux trois types de prédicats.
Nous regroupons les champs en fonction de la nature des indications qu’ils apportent
dans la description des unités lexicales : champs morphologiques, champs syntactico-
sémantiques, champs décrivant les modifications morphologiques et de structure, champ
indiquant le domaine.
a) Le premier champ, noté E, est constitué par l'entrée. Il indique la catégorie du mot (verbe,
noms prédicatif, adjectif), son genre (Nm ou Nf), ainsi que certaines restrictions comme le
pluriel (p) ou le singulier (s) obligatoires.
élaguer/E :V
gentillesse/E :Nfs
regard/E :Nm
gentil/E :Adj
funérailles/E :Nfp
à l’aise/M: PDétN
boire la tasse/M :VDétN
coup de fil/M : NdeN.
coup de pied/M : NdeN
gentillesse/M :s
296
b) Le champ F :
Le champ F décrit les variations morphologiques (les flexions) des prédicats : noms,
adjectifs, verbes. Un exemple type de description des flexions a été élaboré au LADL (Bl.
Courtois 1999) sous le nom de DELAF (Dictionnaire du LADL des formes fléchies), qui est
le développement du DELAS (Dictionnaire du LADL des formes simples). Les noms et les
adjectifs comprennent 80 types de flexions différentes notées :
Ces indications sont nécessaires à la reconnaissance automatique de toutes les formes qui
apparaissent dans les discours. On notera cependant que dans ces dictionnaires, les flexions
caractérisent les racines prédicatives et non les emplois, en quoi ils manquent de précision
(Cf. Chap. 8 § 2.1.)
enfiler/N0 :hum/N1/<vêtement>
ressemeler/N0 : hum/N1 : <chaussure>
élaguer/N0 :hum/N1 :<arbre>
prendre/N0 :Paul/N1 :<moyen de transport>
Les champs qui suivent décrivent les modifications que peuvent subir les prédicats et
les schémas d’arguments. Le champ MC précise les formes morphologiques que peut prendre
297
le prédicat (Cf. Chap.1 §5.1.) et le champ R les restructurations qui affectent le schéma
prédicatif.
Un prédicat peut avoir trois formes morphologiques (désirer, désir, désireux) ou deux
(lire, lecture ; gentillesse, gentil) ou une seule : aviser signifie informer et n’a pas de relation
sémantique avec avis, qui désigne une opinion, les deux mots étant donc autonomes l’un par
rapport à l’autre. Le champ MC note les changements possibles de catégories. Ceux-ci
dépendent de l’emploi du prédicat et non pas de la forme morphologique. Ainsi port est-il lié
à porter et prise à prendre. Mais cela ne vaut pas pour tous les emplois. Si porter a pour objet
un concret quelconque, alors la nominalisation est exclue : Paul porte un seau ; *le port d'un
seau. La forme nominale est seulement associée à l'emploi qui signifie porter (sur soi),
comme dans le cas des <vêtements>, des <bijoux>, des <prothèses> ou des <armes> : Le
port de la cravate est exigé ce soir. Le verbe prendre peut avoir comme complément un
<aliment> ou un <médicament>. Ce n'est que dans ce dernier cas que lui est associée une
forme nominale : la prise de somnifères est interdite aux conducteurs ; *la prise d'un steak.
Le domaine peut être une indication utile pour la reconnaissance d’un emploi. On
reprendra ici l’exemple du verbe abattre que nous avons étudié au chapitre 2. Nous avons vu
que les différents emplois que nous avons distingués pour ce verbe appartiennent chacun à un
domaine particulier : la sylviculture ; le domaine militaire, les travaux publics, la
criminologie, les jeux de sociétés, les mines et la boucherie. Un seul exemple : Cette
nouvelle nous a abattus relève de la langue générale : ces indications sont utiles pour la
recherche d’information dans les textes (text mining).
Les prédicats nominaux partagent avec les verbes prédicatifs les paramètres que nous
venons d’énumérer. Ils ont cependant une propriété spécifique touchant leur conjugaison.
Celle-ci est prise en charge par les verbes supports. Les prédicats nominaux ont, en outre, une
détermination qui leur est propre.
298
Le champ W est consacré à l’actualisation des prédicats nominaux à l’aide des verbes
supports :
assassinat/W : commettre
conclusion/W : tirer
habitude/W : avoir
rêve/W : faire
Nous avons proposé, au Chap.9, de répartir les déterminants en classes que l’on peut
symboliser par une notation alphanumérique D1, D2, D3, etc. La nature de ces classes
dépend à la fois de la nature du prédicat nominal et du verbe support. Il y aurait intérêt à
noter le type de déterminant après chaque verbe support, pour éviter des incompatibilités.
Le champ W
Ce champ code l’actualisation des prédicats adjectivaux. Celle-ci est bien plus réduite
que celle qui caractérise les prédicats nominaux. Il s’agit essentiellement d’être et de ses
variantes aspectuelles : demeurer, rester, devenir.
Le champ R code ici les restructurations affectant les prédicats adjectivaux. Certaines sont
communes aux autres prédicats :
Tournure impersonnelles : Faire ceci est facile, Il est facile de faire ceci
Montée du sujet : Il semble que Pierre est malade/Pierre semble (être) malade
Effacement de être : Pierre, que je sais être malade/Pierre, que je sais malade
Constructions causatives : être jaloux, rendre jaloux
2.4. Exemples
a) Verbes
Elaguer
E:V
M:s
F : V1
T/C : N0 :hum/N1 : <arbre>/avec N2 : <instrument servant à couper>
MC : élagage (procéder à)
R : Passif 1, Pronominalisation 1, Interrogation 1, etc.
D : sylviculture
299
Abattre
E:V
M:s
F : V35
T/C:/N0 :hum/N1 :<arbre>/N3 : avec <hache>
MC : abattage (procéder à)
R : Passif 1, Pronom 1, Inter 1, etc.
D : sylviculture
Noms
Gifle
E:N
M:s
F : 01
T/C : /N0 :hum/N1 : à hum/N2 : sur Npc/N3 : avec <main >
W : donner/recevoir
MC : gifler
R : RédVsup 1, Relative 1, etc.
Gentillesse
E: N
M:s
F : nfs
T/C : /N0 :hum/N2 : avec hum
W : avoir, être de, faire preuve de
MC : gentil
R : RédVsup 1, Relat 1, etc.
Adjectifs
sévère
E : Adj
F : 01
M:s
T : /N0 :hum/N1 : avec hum
W : être ; demeurer, rester, devenir
MC : sévérité (faire preuve de)
R : Pronominalisation 1 : le, ainsi, comme ça
Interrogation 1 : comment
Effacement de être 1 : Pierre, que je sais être sévère/Pierre, que je sais
sévère
Constructions causatives 1 : être sévère, rendre sévère
à bout de nerfs
E : Adj
F : 00
M : Prép N de N
T : /N0 :hum/N1 : < compl de cause>
W : être
MC :
300
La structuration des champs destinés à décrire les arguments est plus simple. Les
champs de reconnaissance morphologique sont les mêmes que pour les prédicats nominaux :
E : catégorie grammaticale
M : structure interne des noms composés
F : Description de la flexion
Champs sémantico-syntaxiques
Domaine
D : Indication du domaine (minéralogie, transports, etc.)
Opérateurs appropriés
2.6. Exemples
Chemin de traverse
E :Nnm
M : NdeN
F : N1 : 01
T : loc
C : <voie>
D : transports
Opv : verbes appropriés
voiture
E : nf
M:s
F : 01
301
T : inc (artefact)
C : <moyen de transport individuel>
D : transports
Opv :
a) caler, circuler, être à la casse, freiner, ralentir, rouler, s'enliser, se garer,
pétarader
b) croiser, dépasser, garer, piloter, remorquer, réparer
Abstrait Causativité
Action Cause à effet
Actualisateur Cause endogène
Actualisation Cause exogène
Adjectif composé Cause explicative
Adverbe Cause métaphorique
Adverbe complexe Cause pure
Adverbe d’intentionnalité Changement catégoriel
Adverbe de manière Circonstant
Adverbe prédicatif Classe d’arguments
Adverbial Classe d’objets
Agentif Classe sémantique
Agentivité Clitique
Alternance casuelle Combinatoire
Ambiguïté Comparaison
Ambiguïté catégorielle Complément circonstanciel
Anaphore Complément d’objet direct
Anaphore classifiante Complément d’objet indirect
Anaphore externe Complément de but
Anaphore fidèle Complément de cause
Anaphore généralisante Complément de concession
Anaphore infidèle Complément de condition
Anaphore interne Complément de lieu scénique
Argument Complément de nom
Argument élémentaire Complément de temps
Argument propositionnel Composé endocentrique
Arguments fondamentaux Composé exocentrique
Aspect Compositionnalité
Aspect duratif Compositionnel
Aspect inchoatif Concret
Aspect intensif Construction croisée
Aspect itératif Construction libre
Aspect ponctuel Construction symétrique
Aspect progressif Coordination
Aspect télique Coréférence
Aspect terminatif Défectivité
Attribut Défigement
Attribut de l’objet Degré de figement
Auxiliaire Démonstratif
Baisse de redondance Dérivation
Blocage des paradigmes Détachement
Catégorie grammaticale Déterminant
303