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Arrêt n°46
Pôle 5 - Ch.12
(24 pages)
Prononcé publiquement le 14 mars 2018, par le Pôle 5 - Ch.12 des appels correctionnels.
Sur appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Paris - 32ème chambre - du 26
septembre 2016, (P15350000121).
PARTIES EN CAUSE :
Mis en cause
ABOUKHALIL Ibrahim
Né le 13 avril 1966 à BEYROUTH (LIBAN)
Fils d'ABOUKHALIL Nasrat et de BURGI Samira
De nationalité française
administrateur de société,
Ayant élu domicile chez Me DREYFUS SCHMIDT, demeurant 156 Rue de
Rivoli - 75001 Paris
Ministère public
appelant principal
lors du prononcé :
président : Dominique PAUTHE,
conseillers : Françoise MERY-DUJARDIN
François REYGROBELLET, président de chambre faisant
fonction de conseiller
Greffier
Noumbé-Laëtitia NDOYE aux débats et au prononcé.
Ministère public
représenté aux débats et au prononcé de l'arrêt par Jean-Christophe MULLER,
avocat général.
LA PROCÉDURE :
Arrêt de la Cour de Répression de l'Enrichissement Illicite de la République du
Sénégal
En la forme
Au fond
Le tout en application des dispositions des lois 81-53 et 81-54 du 10 Juillet 1981 et des
articles 30 et suivants, 45,46 et 163 bis du Code Pénal, 451, 709 et suivants du Code
de Procédure Pénale;
La saisine du tribunal
ABOUKHALIL Ibrahim a été mis en cause pour voir statuer sur la requête aux fins
d'autoriser l'exécution de la confiscation ordonnée par arrêt du 23 mars 2015 de la
Cour de Répression de l'Enrichissement illicite de la République du Sénégal faisant
suite à la demande d'entraide internationale du 19 octobre 2015.
WADE Karim a été mis en cause pour voir statuer sur la requête aux fins
d'autoriser l'exécution de la confiscation ordonnée par arrêt du 23 mars 2015 de la
Cour de Répression de l'Enrichissement Illicite de la République du Sénégal,
faisant suite à la demande d'entraide internationale du 19 octobre 2015.
Le jugement
Les conseils de M. ABOUKHALIL ont déposé des conclusions aux fins de voir déclarer
l'appel irrecevable et au fond.
Les conseils de M. WADE ont déposé des conclusions aux fins de voir déclarer l'appel
irrecevable et déclarer nulle la requête et au fond.
Sur le fond
Puis la cour a mis l'affaire en délibéré et le président a déclaré que l'arrêt serait rendu
à l'audience publique du 14 mars 2018.
Et ce jour, le 14 mars 2018, en application des articles 485, 486 et 512 du code de
procédure pénale, et en présence du ministère public et du greffier, Dominique
PAUTHE, président ayant assisté aux débats et au délibéré, a donné lecture de l'arrêt.
DECISION :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rappel de la procédure
- de Ibrahim ABOUKHALIL pour avoir à Dakar, de 2000 à 2012, en tout cas avant
prescription de l'action publique, avec connaissance, aidé ou assisté le nommé Karim
Meissa WADE dans la préparation, la facilitation ou la consommation des faits
d'enrichissement illicite qui lui sont reprochés.
Statuant sur les intérêts civils, la Cour condamnait Karim Meïssa WADE et Ibrahim
ABOUKHALIL solidairement avec leurs co-prévenus Mmamadou POUYE, Alkiouane
Samba DIASSE, Karim ABOUKHALIL, Mmamadou AID ARA, Evelyne RIOUT
DELATRE et Mballo THIAM, à payer à titre de dommages-intérêts la somme de 10
milliards de FCFA.
C'est dans ces circonstances que, le 19 octobre 2015, le procureur spécial près la CREI
sollicitait l'entraide pénale internationale des autorités françaises au visa de la
Convention des Nations Unies contre la criminalité transfrontalière organisée du 15
novembre 2000, de la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre
2003, de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal du 29 mars
- que l'arrêt de la CREI n'avait pas de caractère définitif et exécutoire (713-38 code de
procédure pénale),
- que les pièces de la commission rogatoire adressée aux autorités judiciaires du
Luxembourg n'étaient pas recevables pour avoir été transmises en violation du principe
de spécialité,
- que les biens dont il était demandé la confiscation étaient sans lien avec l'infraction
reprochée en violation de 713-36 code de procédure pénale,
- que faute d'information suffisante des tiers de bonne foi leurs droits pourraient être
atteints (713-38 code de procédure pénale),
3 - Le jugement déféré
• que le ministère public n'entend pas remettre en cause par son appel l'analyse
du tribunal en ce qu'il a considéré que les faits d'enrichissement illicite ne pouvaient
être assimilés en droit français aux délits de corruption (art 432-11-1) du code pénal),
de non justification de ressources (art 321-6 du code pénal), de trafic d'influence (art
432-11 2° du code pénal), de prise illégale d'intérêts (article 432-12 du code pénal) ou
de détournement de fonds publics (article 432-15 du code pénal),
• qu'en revanche l'article 324-1-1 du code pénal, issu de la loi n°2013-l 117 du
6 décembre 2013, en renversant }a charge de la preuve en matière de blanchiment, a créé
une modalité d'incrimination autonome et distincte du délit de blanchiment général de
l'article 324-1 du même code dont les éléments constitutifs sont différents, sans
référence à une infraction sous-jacente ; qu'il existe désormais une présomption légale,
simple, de commission d'une infraction lorsqu'une personne ne peut justifier des
ressources correspondant à son train de vie ou de l'origine des fonds ayant permis
l'acquisition de biens que ses revenus connus ne permettaient pas d'acquérir ;
• que l'objet de l'exigence de la double incrimination n'est pas de créer un droit
au profit de la personne condamnée par une autorité judiciaire étrangère mais seulement
d'être conforme à l'ordre public français qui exige la double incrimination ; qu'une
infraction définie par une loi pénale nouvelle en France ne créant pas un droit de
poursuite, lequel relève de l'Etat requérant et non de l'Etat requis, il s'en déduit que les
faits qualifiés d'enrichissement illicite en droit pénal sénégalais peuvent être assimilés
aux faits de blanchiment définis à l'article 324-1-1 du code pénal français dont l'entrée
en vigueur est postérieure à la date des faits commis par Karim WADE ;
• qu'il n'est pas établi que les parts des sociétés visées dans la requête visant
Ibrahim ABOUKHALIL soient le produit direct ou indirect ni l'instrument des faits
dont celui-ci a été reconnu coupable ;
• qu'en revanche, concernant Karim WADE, le lien entre l'infraction
d'enrichissement illicite dont il a été déclaré coupable et les biens (soldes de comptes
bancaires et appartement parisien) dont la confiscation est sollicitée est suffisamment
démontré cela en conformité avec les articles 31 et 55 de la dite Convention et l'article
713-36 du code de procédure pénale français ;
Il est soutenu :
- que la convention de Nations Unies du 15 novembre 2000 n'est pas applicable
à la procédure, M. WADE n'ayant pas été poursuivi ni condamné du chef des
infractions qui en conditionnent l'applicabilité dès lors qu'aucun fait commis en
groupe criminel organisé tel que défini à l'article 5 de la convention n'a été
établi, qu'aucun fait de blanchiment n'a été reproché par la CREI à M. WADE,
s'agissant de l'infraction prévue pari'article 2 de la loi sénégalaise n°2004-09 du
6 février 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux, l'infraction
d'enrichissement illicite constituant une infraction autonome et distincte de celle
de blanchiment laquelle suppose la caractérisation préalable d'une infraction
principale, que M. WADE a été relaxé du chef de corruption, qu'aucun fait
d'entrave au bon fonctionnement de la justice, délit défini par l'article 23 de la
convention du 15 novembre 2000, ni aucune "infraction grave" au sens de la
convention n'ont été caractérisés par la CREI ;
-que la convention bilatérale de coopération en matière judiciaire entre le
gouvernement de la République Française et le gouvernement de la République
du Sénégal du 29 mars 1974 ne prévoit aucune disposition relative à l'exécution
d'une décision de condamnation pénale et de confiscation pénale rendue par une
juridiction de l'un des Etats et devant être exécutées sur le territoire de l'autre ;
- que, la condition relative à la double incrimination prévu par l'article 43 de la
convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003 n'est pas
satisfaite en l'absence en droit français du délit d'enrichissement illicite qui ne
pas assimilable au délit de blanchiment ;
- que les tiers de bonne foi n'ont pas été informés (SG et SGBS au Sénégal) en
violation des dispositions de l'article 55-3 b de cette convention ;
11 soutient :
- qu'aucune voie de recours des décisions du tribunal correctionnel n'a été prévue
par le législateur en matière d'exécution de décisions de confiscation prononcées
par des juridictions étrangères hors Union Européenne ou n'ayant pas transposé
la décision-cadre du conseil de l'Union Européenne n°2006/783 du 6 octobre
2006, alors que, a contrario, l'article 713-29 du code de procédure pénale prévoit
les modalités de l'appel en la matière lorsque les confiscations sont sollicitées par
un Etat membre de l'Union Européenne ou ayant transposé la décision-cadre
lequel au demeurant ne mentionne pas le droit d'appel au ministère public ;
- que le ministère public français n'est qu'un agent de transmission d'une
demande d'exécution d'une décision de confiscation étrangère ;
- que l'article 713-38 du code de procédure pénale indique que (contrairement au
droit commun l'article 484-1 alinéa 4 du même code fixant le sort de la saisie par
en cas de relaxe du prévenu) le refus d'autoriser l'exécution d'une confiscation
prononcée par la juridiction étrangère emporte de plein droit mainlevée de la
saisie.
Il soutient notamment :
SUR CE
Considérant que les conseils de Karim WADE ont sollicité le renvoi de l'examen
de l'affaire aux motifs que seul l'avocat inscrit au barreau de Paris, en la personne
de Maître FEDIDA, avait eu connaissance des réquisitions écrites du ministère
public et n'avait pas pu les transmettre à ses confrères et que l'un d'entre eux était
empêché pour raison de santé ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le ministère public a respecté
le principe du contradictoire en faisant parvenir ses écritures sous une forme
dématérialisée aux conseils de M, WADE, en la personne de Maître FEDIDA, et
de M. ABOUKHALIL en la personne de Maître DREYFUS SCHMIDT le mardi
19 décembre, veille de l'audience, à 13h09 ; que ces réquisitions écrites, prises
au soutien de l'appel inteijeté par le procureur de la République financier avaient
notamment pour objet de répondre aux moyens soulevés dans les conclusions
déposées dans l'intérêt de M. WADE ; que l'empêchement dans lequel a pu se
trouver le conseil destinataire de cette transmission, de porter à la connaissance
de ses deux confrères sénégalais, alors en chemin vers Paris pour intervenir à ses
côtés dans l'intérêt de M. WADE, ne saurait justifier le renvoi de cette affaire,
d'autant que seul l'un d'eux s'étant présenté à l'audience et a pu prendre
connaissance du contenu de ces écritures préalablement à l'ouverture des débats ;
que l'empêchement de son confrère sénégalais pour raison de santé n'est pas
recevable dès lors que M. WADE est d'ores et déjà assisté de trois conseils
présents en la personne de Maître FEDIDA, Maître BOYON et Maître LY,
Considérant qu'il ne peut être dérogé que par une disposition expresse de la loi
à la règle générale posée par l'article 496 du code de procédure pénale selon
laquelle les jugements en matière correctionnelle peuvent être attaqués par la voie
de l'appel ; que les articles 731-36 à 713-41 du code de procédure pénale
instaurant la procédure applicable en matière d'exécution une décision de
confiscation prononcée par les autorités judiciaires étrangères et attribuant
compétence au tribunal correctionnel n'excluent pas cette voie de recours ; que
le droit d'appeler que le procureur de la République tient de l'article 497 du code
de procédure pénale ne souffre en cette matière d'aucune exception ;
que c'est à bon droit que les premiers juges ont déduit des termes des avis
régulièrement délivrés par la voie diplomatique au condamné Karim WADE
l'informant de '7 'audience dans le dossier [le] concernant (...) aux fins de statuer
sur l'exécution de la confiscation ordonnée par arrêt définitif du 23 mars 2015
de la Cour de Répresssion de l'Enrichissement Illicite du Sénégal" que Karim
WADE, qui n'ignorait pas les termes de la décision de la CREI rendue à son
encontre ayant ordonné, à titre de peine complémentaire, "la confiscation tous les
biens présents des condamnés de quelque nature qu 'ils soient" et mentionné dans
ses motifs les biens détenus en France par celui-ci susceptibles de confiscation et
dont le conseil a eu accès aux pièces du dossier, notamment à la demande
d'entraide émanant des autorités sénégalaises ainsi qu'à la requête saisissant la
juridiction, a été mis en mesure d'organiser sa défense ainsi qu'en attestent les
conclusions déposées dans son intérêt devant le tribunal à la faveur du renvoi
accordé par la juridiction et, dans ces circonstances, ne justifie d'aucun grief
résultant du défaut de mention dans les avis qui lui ont été remis, auxquels la
requête n'était pas jointe, tant des textes applicables que de la qualité en laquelle
il était avisé ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Karim WADE a été détenu à
la maison d'arrêt de Rebeuss (Sénégal) jusqu'au 24 juin 2016, et que lors de
chaque notification des avis d'audience, notamment lors de la sommation
interpellative du 3 février 2016, il a exprimé la volonté de comparaître
personnellement à l'audience ; que la procédure dont le tribunal correctionnel a
été saisi avait pour unique objet de voir statuer sur une demande tendant à
l'exécution d'une décision de confiscation des biens de Karim WADE situés en
France aux termes d'une condamnation définitive rendue par la CREI du Sénégal
et non sur le bien fondé d'une accusation porté à son encontre, qui seule aurait
imposé sa comparution personnelle ; que c'est ajuste titre que les premiers juges
ont estimé que les dispositions de l'article 713-39 du code de procédure pénale
n'ouvraient pas à Karim WADE un droit à comparaître personnellement, ce texte
se limitant à offrir la simple faculté au tribunal, s'il l'avait estimé utile,
d'entendre le condamné, le cas échéant sur commission rogatoire ; que,
Considérant que l'article 694-4 du code de procédure pénale prévoit la faculté pour
procureur de la République, s'il considère que l'exécution de la demande
d'entraide émanant d'une autorité judiciaire étrangère est de nature à porter
atteinte à l'ordre public ou aux intérêts essentiels de la Nation, d'en saisir le
procureur général qui lui même peut, s'il l'estime nécessaire, la transmettre au
ministère de la Justice au travers du BEPI ; que dès lors, s'agissant de
l'accomplissement d'une formalité laissé à l'appréciation du procureur de la
République, l'absence de communication par le procureur de la République
financier au procureur général de la demande des autorités sénégalaises puis de
transmission au BEPI ne vicie nullement la requête dont a été régulièrement saisi
le tribunal correctionnel ;
que le fait que la procédure n'ait pas comporté les décisions de la Cour de justice
de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest et du Groupe de
Travail des Nations Unies sur la détention arbitraire alors même qu'elles ont
sanctionné la procédure ayant abouti à l'arrêt de la CREI fondant la demande
d'entraide, apparaît dès lors inopérant, d'autant que ces éléments ont été portés à
la connaissance du tribunal dans le cadre des débats ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'entraide émanant
du ministre de la justice du Sénégal a été adressée par la voie diplomatique
ministre de la justice français, transmise au BEPI puis au parquet général de la
cour d'appel de Paris et finalement, le 3 décembre 2015, pour exécution, au
procureur de la République financier, auteur de la requête, sans que ce dernier ait
estimé, en considération de l'objet de la demande tendant à la confiscation d'un
appartement parisien et du solde d'un compte bancaire appartenant au condamné,
que celle-ci était susceptible de porter atteinte à l'ordre public français ou aux
intérêts essentiels de la Nation et devoir en conséquence saisir le parquet général ;
que ce processus de transmission apparaît régulier ;
que les premiers juges ont à bon droit déduit de l'inexistence d'avis formalisé tant
par le parquet général que par le BEPI sur ces questions dans le cadre de l'article
694-4 du code de procédure pénale, l'absence de la violation du contradictoire et
des droits de la défense alléguée par Karim WADE ;
5 - Sur la demande tendant à voir écarter des débats les pièces d'exécution de
la CRI délivrée aux autorités luxembourgeoises
Considérant qu'il ressort du dossier que les pièces adressées, en réponse à une
demande du procureur de la République financier par le procureur spécial selon
la voie diplomatique, cotées D631, D1418, D912, D1335, 1352 et 1354,
constituent des copies certifiées conformes par le greffier de la CREI des pièces
de procédure ;
Considérant cependant qu'il apparaît, au vu des pièces versées aux débats, que
cette commission rogatoire internationale avait été délivrée aux autorités
luxembourgeoises le 24 mai 2013 dans le cadre de l'information ouverte à
l'encontre de Karim WADE sous le n° 1/2013 ayant abouti au renvoi de celui-ci
et de Ibrahim ABOUKHALIL devant la CREI puis à l'arrêt rendu par cette
juridiction le 23 mars 2015 ; que la production de ces pièces à l'initiative du
procureur de la République financier après que l'appel avait été interjeté, est
intervenue dans la présente procédure dont l'objet est d'obtenir l'exécution d'une
des sanctions pénales prononcée dans cet arrêt sur le fondement des pièces
recueillies au cours de l'instruction, notamment auprès de ces mêmes autorités
luxembourgeoises ; qu'il s'ensuit que la violation alléguée de la règle de spécialité
n'est pas démontrée ; que dès lors ces pièces ne sauraient être écartées pour ce seul
motif ; que la demande présentée à cette fin sera rejetée ;
- Sur l'existence d'un lien entre le biens et l'infraction, condition posée par
l'article 713-36 du code de procédure pénale
qu'il n'est pas démontré que ces parts de sociétés dont l'existence n'est pas
mentionnée dans l'arrêt de la CREI du 23 mars 2015, mais dont il est établi par les
pièces versées aux débats et recueillies auprès des autorités luxembourgeoises
qu'ils sont la propriété de Ibrahim ABOUKHALIL, soient de surcroît le produit
direct ou indirect de l'infraction ou qu'elles n'aient pas été destinées à la
commettre ;
que cependant le texte précité autorise la confiscation de tout bien dont la valeur
correspond au produit de l'infraction ; qu'il s'ensuit que l'absence de lien entre
l'infraction sanctionnée et les biens dont la confiscation est demandée à l'encontre
de Ibrahim ABOUKHALIL ne fait pas obstacle à ce qu'il y soit fait droit ;
Considérant par ailleurs qu'il n'est pas contesté que le solde du compte bancaire
ouvert à l'agence Madeleine de la Société Générale à Paris et l'appartement sis rue
de la Faisanderie à Paris 16eme, dont la confiscation est demandée, inventoriés au
cours de l'instruction et visés dans l'arrêt de la CREI, sont la propriété de Hakim
WADE, qu'ils constituent l'un des éléments matériels de l'infraction
d'enrichissement illicite ;
Considérant que chacun de ces biens est susceptible de faire l'objet d'une
confiscation selon la loi française conformément aux dispositions des articles 713-
36 et 713-37 - 2° du code de procédure pénale ;
- Sur la double incrimination prévue par l'article 713-3 7-1 ° du code de procédure
pénale
Considérant que l'article 713-37 du code de procédure pénale énumère les cas de
refus de l'exécution de la confiscation sollicitée ; qu'il prévoit en premier lieu que
la demande est refusée lorsque les faits ne sont pas constitutifs d'une infraction
selon la loi française ;
Considérant qu'il n'est pas discuté que pendant toute la période précitée, le
prévenu a perçu des revenus légaux dont le montant cumulé s'élève à la
somme de cinq cent quatre (504 000 000) millions de francs CFA ;
Qu'il résulte de tout ce qui précède que les éléments du patrimoine non justifiés
de Karim Meïssa WADE s'élèvent à la somme de soixante neuf milliards
cent dix neuf millions cinq cent quarante trois mille cent quatre vingt dix huit
francs CFA (69.119.543.198) ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 163 bis du code pénal, le
délit d'enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en
demeure, le titulaire d'une fonction gouvernementale ou un agent civil de
l'Etat se trouve dans l'impossibilité de justifier de l'origine licite des ressources
qui lui permettent d'être en possession d'un patrimoine ou de mener un train
de vie sans rapport avec ses revenus légaux ; Considérant qu'il a été démontré,
qu'en l'espèce, entouré d'amis d'enfance et de condisciples dont certains ont
reconnu être des prête-noms, Karim WADE, ayant exercé les fonctions de
conseiller spécial du Président de la République du Sénégal, de président de
l'ANOCl et de ministre d'Etat, a constitué des sociétés dans les secteurs les plus
stratégiques, les plus névralgiques et les plus rentables de l'économie du Sénégal
pour, à travers des sociétés offshore bénéficiaires économiques ou détentrices
des actions des sociétés précitées, accroître illicitement son patrimoine et celui
de ses complices ; Considérant que les ressources tirées de ces sociétés ayant
permis à Karim WADE d'être en possession d'un patrimoine sans rapport avec
ses revenus légaux, il y a lieu de le déclarer atteint et convaincu du délit
d'enrichissement illicite qui lui est reproché ;
Considérant qu'en ce qui concerne le délit de corruption qui lui est reproché, la
Cour de céans ne dispose pas d'éléments d'appréciation suffisants pour le lui
imputer ; Qu'en effet, aucune preuve, que Karim WADE a reçu de la société
DUBAÏ CERAMÏC, filiale de DP WORLD FZE, elle-même société mère de
DP WORLD Dakar, des sommes dont le montant cumulé s'élève à sept
milliards neuf cent cinq millions trois cent mille francs CFA (7.905.300.000),
n 'a été rapportée ; Qu 'il y a lieu dans ces conditions de dire et de juger que le délit
de corruption qui lui est reproché en l'espèce n'a pu être établi ; Qu' il échet de
le relaxer de ce chef;
"Considérant qu'il a été démontré ci-dessus que Karim Meïssa WADE est
intervenu dans la création et le fonctionnement des sociétés AHS, MENZIES,
ABS, BLACK PEARL FINANCE, et DAPORT, sociétés dont ses amis
Ibrahim ABOUKHALIL et Mamadou POUYE se prétendent bénéficiaires
économiques ou actionnaires par le biais de sociétés offshore basées dans
les îles vierges britanniques, au Luxembourg, au Panama et dont tous les
profits ont été virés dans les comptes ouverts à Monaco par les prévenus ;
Considérant qu'il a été largement démontré ci-dessus que c'est grâce à l'aide
et à l'assistance que Ibrahim ABOUKHALIL, Karim ABOUKHALIL, Mamadou
POUYE et Evelyne RIOUTDELATRE lui ont apporté, que Karim Meïssa WADE
a commis le délit d'enrichissement illicite qui lui est reproché ; Qu 'ily a lieu, dans
ces conditions, de déclarer, par application des dispositions précitées de
l'article 46 du code pénal, les prévenus cités ci-dessus coupables de complicité
d'enrichissement illicite ;
Considérant qu'aux termes des réquisitions écrites du ministère public, son appel
ne remet pas en cause l'analyse du tribunal en ce qu'il a considéré que les faits
d'enrichissement illicite ne pouvaient pas être assimilés en droit français aux délits
de corruption, de non-justification de ressources, de trafic d'influence, de prise
illégale d'intérêts ou de détournement de fonds publics ; qu'il est en revanche
soutenu que si le délit d'enrichissement illicite prévu par l'article 163 bis du code
pénal sénégalais n'est pas assimilable au délit général de blanchiment défini par
l'article 324-1 du code pénal français il peut être assimilé au délit de blanchiment
présumé de l'article 324-1-1 du même code ;
que c'est à bon droit que les premiers juges ont décidé que le délit
d'enrichissement illicite, tel que défini par la loi sénégalaise, ne pouvait être
assimilé au délit de blanchiment ainsi défini par la loi française ;
Considérant que contrairement à ce que soutiennent les mis en cause, ce texte, bien
qu'entré en vigueur le 8 décembre 2013, soit postérieurement aux faits fondant la
condamnation de Karim WADE et Ibrahim ABOUKHALIL, est applicable à
l'examen de la demande d'entraide pénale des autorités sénégalaise en date du 19
octobre 2015 ; qu'en effet, la juridiction appelée à statuer dans le cadre de cette
demande d'entraide, doit s'assurer de l'absence de contradiction de cette demande
avec l'ordre public français notamment en ce qu'elle respecte la condition de la
double incrimination laquelle doit s'apprécier à la date où il est statué sur son
exécution et non à la date de la commission des faits ;
LA COUR,
Statuant publiquement,
contradictoirement à l'encontre des condamnés Karim Meïssa WADE et de
Ibrahim ABOUKHALIL,
Rejette la demande tendant à voir écarter des débats les pièces issues de la
commission rogatoire internationale exécutée par les autorités judiciaires
luxembourgeoises,
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER