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Le : 04/04/2018

CAA de PARIS

N° 14PA02657

Inédit au recueil Lebon

2ème chambre

Mme BROTONS, président

M. Alain LEGEAI, rapporteur

M. EGLOFF, rapporteur public

MAZZA, avocat(s)

lecture du mercredi 1 juin 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...J...C..., épouseE..., a demandé au Tribunal administratif de Melun :

1°) d’annuler les décisions implicites nées le 22 avril 2013 qui ont rejeté sa demande de
protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) Henri Mondor et l’Assistance


Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour faute ;

3°) d’enjoindre au CHU Henri Mondor de l’affecter au sein du service du Professeur


Cesaro ;
4°) de condamner le CHU Henri Mondor à reconstituer sa carrière et notamment à la
réhabiliter au sein du service ;

5°) de condamner le CHU Henri Mondor à prendre toutes mesures disciplinaires contre les
agents auteurs de faits de harcèlement moral à son encontre ;

6°) de condamner le CHU Henri Mondor et l’AP-HP à la prise en charge intégrale de ses
frais de procédure au titre de la protection fonctionnelle ;

7°) de condamner le CHU Henri Mondor à la somme de 20 000 euros au titre des
préjudices financier, de carrière, et moral subis ;

8°) de mettre à la charge du CHU Henri Mondor la somme de 3 500 euros sur le
fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1304910/8 du 16 avril 2014 le Tribunal administratif de Melun a


annulé, pour insuffisance de motivation, les décisions implicites par lesquelles l’AP-HP a
rejeté la demande de Mme E...tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle, lui a
alloué une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice
administrative et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 juin 2014 et 4 novembre 2015, Mme
E..., représentée par Me H...B...puis par Me F...A..., demande à la Cour :

1°) d’annuler partiellement le jugement n° 1304910/8 du 16 avril 2014 du Tribunal


administratif de Melun en ce qu’il a rejeté ses demandes indemnitaires ;

2°) de condamner l’AP-HP pour faute, du fait de l’illégalité des décisions contestées, et
notamment pour avoir rejeté sa demande de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle
pour faits de harcèlement moral ;

3°) d’enjoindre à l’AP-HP de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle, et à ce titre :

- la condamner à payer la totalité des frais de procédure qu’elle a supportés,

- la condamner à mettre en oeuvre toutes mesures disciplinaires à l’encontre des agents


auteurs des faits de harcèlement moral et à la nommer à un nouveau poste dans un
service de neurologie d’un autre établissement placé sous son contrôle ;

4°) de condamner l’AP-HP pour faute du fait de l’exercice d’un harcèlement moral
caractérisé ;

5°) de condamner l’AP-HP à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de ses
préjudices moral et de carrière ;

6°) de mettre à la charge de l’AP-HP la somme de 5 000 euros en application des


dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d’une insuffisance de motivation faute de se prononcer


sur les moyens de légalité interne qu’elle avait soulevés et la privant ainsi de son droit à
réparation ;

- il est entaché d’erreur de droit et d’erreur de fait, dès lors qu’il écarte à tort la
présomption de preuve résultant des faits de harcèlement moral qu’elle avait suffisamment
démontrés et qu’il ne retient pas la responsabilité de l’AP-HP en raison du manquement à
ses obligations en matière de lutte contre le harcèlement moral, en méconnaissance des
principes fixés par l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;

- dès lors qu’elle a, à de multiples reprises, alerté sa hiérarchie des faits de harcèlement
moral qu’elle subissait, la protection fonctionnelle devait lui être accordée ;

- l’AP-HP a commis une faute en ne mettant pas en oeuvre cette protection ;

- elle justifie de préjudices résultant des atteintes portées à sa santé et à sa dignité ainsi
que d’un préjudice de carrière, et ce d’autant plus en raison du rejet systématique de ces
demandes de changement d’affectation ;

- elle est, en conséquence, fondée à obtenir la prise en charge de ses frais de justice, son
changement d’affectation et une indemnité de 20 000 euros en réparation de ses
préjudices.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 décembre 2014, l’Assistance Publique -


Hôpitaux de Paris (AP-HP), représentée par Me G...D..., conclut au rejet de la requête et à
ce qu’une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l’appelante en application des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le dispositif du jugement donnant gain de cause à l’appelante quant à l’annulation des


décisions implicites du 22 avril 2013, elle ne peut contester les motifs de cette annulation
et solliciter une substitution de motifs ;

- en application du principe de l’économie des moyens, le jugement contesté n’avait pas à


se prononcer sur l’ensemble des moyens soulevés par la requérante quant à la légalité
des décisions, dans la mesure où il a justifié la solution retenue consistant à faire droit à la
demande d’annulation sur le fondement du défaut de motivation ;

- c’est à tort que l’appelante soutient que les premiers juges n’ont pas appliqué le principe
de la présomption de preuve en matière de harcèlement moral ;

- en raison de l’annulation des décisions sur le fondement d’un défaut de motivation, d’une
part, et de l’absence d’éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement, d’autre
part, la requérante ne peut prétendre à aucune indemnisation ;

- l’appelante ne démontre pas le lien de causalité entre les faits qu’elle invoque et le
montant des dommages et intérêts qu’elle réclame, ni ne justifie de la détermination du
montant de sa demande ;

- les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au centre hospitalier Henri Mondor de
prendre des mesures disciplinaires n’entrent pas dans les prévisions de l’article L.911-1 du
code de justice administrative ; les autres conclusions à fin d’injonction ne peuvent
également qu’être rejetées, dès lors que l’annulation de la décision attaquée pour défaut
de motivation n’implique pas qu’il soit enjoint à l’AP-HP de prendre en charge la totalité
des frais de procédure supportés par l’appelante.

Par ordonnance du 15 octobre 2015, la clôture d’instruction a été fixée

au 20 novembre 2015 à 12 heures.

Un mémoire a été produit pour Mme E...le 4 avril 2016, après clôture de l’instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction


publique hospitalière ;

- le décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Legeai,
- les conclusions de M. Egloff, rapporteur public,

- les observations de Me Schrameck avocat, substituant MeA..., représentant MmeE..., et


de Me Neven, avocat, représentant de l’AP-HP.

1. Considérant que, par arrêté du ministère de la santé et des solidarités du

1er juillet 2006, Mme E...a été nommée en qualité de médecin des hôpitaux, spécialisée
en neurologie, dans le service histologie - embryologie - cytogénétique du centre
hospitalier universitaire de Paris (AP-HP) - hôpital Henri Mondor à Créteil ; que, par un
courrier

du 21 février 2013, notifié le 22 février 2013, elle a sollicité auprès de l’AP-HP le bénéfice
de la protection fonctionnelle, la réparation des préjudices subis en raison d’actes
constitutifs de harcèlement moral, son transfert dans un autre service et la communication
de son dossier administratif et médical ; que, par un jugement n° 1304910/8 du 16 avril
2014, le Tribunal administratif de Melun a annulé les décisions implicites par lesquelles
l’AP-HP a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle ; que Mme
E...relève partiellement appel de ce jugement en ce qu’il a rejeté ses conclusions
indemnitaires ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le moyen d’appel tiré de ce que les premiers juges n’ont pas répondu
aux moyens de légalité interne soulevés à l’encontre des décisions implicites de rejet
attaquées par Mme E...doit, en tout état de cause, être écarté comme inopérant, la
requérante ne faisant appel du jugement n° 1304910/8 du 16 avril 2014 du Tribunal
administratif de Melun qu’en tant qu’il a rejeté ses demandes indemnitaires ;

Sur les conclusions à fin d’indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité de l’AP-HP :

3. Considérant que, s’il résulte de son article 2 que la loi du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires s’applique aux fonctionnaires civils des “établissements
mentionnés à l’article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires de l’Etat et des
collectivités territoriales”, lesquels comprennent les établissements publics de santé, ce
renvoi ne vise pas les médecins ou pharmaciens praticiens hospitaliers mentionnés à
l’article L. 6152-1 du code de la santé publique, qui font partie du personnel de ces
établissements, mais auxquels les dispositions dudit titre IV ne sont, en vertu du dernier
alinéa de son article 2 dans sa rédaction applicable au présent litige, pas applicables ;
que, par suite, les dispositions de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, telles
qu’elles résultent de la loi du 17 janvier 2002, ne sont pas applicables à la requérante ;
4. Considérant, toutefois, qu’en vertu d’un principe général du droit, aucun agent public ne
doit subir les agissements répétés visés par les dispositions précitées ; que, d’une part, il
appartient à l’agent qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de
harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire
présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en
sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause
sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du
juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se
détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute,
en ordonnant toute mesure d’instruction utile ; que, d’autre part, pour apprécier si des
agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un
tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de
l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime
avoir été victime d’un harcèlement moral ; qu’en revanche, la nature même des
agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il
puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les
conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de
ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé ;

5. Considérant que peuvent relever de la qualification de harcèlement moral les


agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail
susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou
mentale ou de compromettre l’avenir professionnel de l’intéressé ;

6. Considérant qu’il ressort des éléments du dossier qu’en raison de la complexité de


l’organisation du centre de référence des maladies neuromusculaires, partagé entre
plusieurs services de quatre hôpitaux dont l’hôpital Henri Mondor, des dysfonctionnements
sont apparus au sein du service d’histologie - embryologie - cytogénétique, auquel
appartient Mme E...; qu’indépendamment de telles difficultés touchant l’ensemble du
service, il est apparu un profond différend scientifique et éthique entre Mme E...et les
responsables de ce service, celle-ci ayant fait savoir, dès son recrutement, qu’elle ne
partageait pas leur thèse menée sur une maladie neuromusculaire sujette à controverses ;
que, selon l’intéressée, une telle position a provoqué des manifestations d’hostilité
chroniques de ces derniers à son égard ;

7. Considérant que, dès son arrivée, Mme E...s’est vue attribuer un local de consultation
en dehors de son service, dans les locaux de celui de médecine physique et de
réadaptation situés au troisième sous-sol de l’hôpital ; qu’il résulte de nombreux courriers
électroniques et témoignages que les rapports entre les différents personnels des services
se partageant ces locaux étaient conflictuels et l’ambiance délétère ; que l’accueil des
patients, le plus souvent affectés de troubles invalidants, était rendu particulièrement
difficile en raison tant de la situation des locaux que de la diversité des lieux d’accueil ;
qu’en outre, en raison de modifications fréquentes et inopinées des plannings, ainsi que
des demandes de remplacement tardives effectuées notamment par l’un de ses
supérieurs, et adressées essentiellement à MmeE..., il en a découlé pour celle-ci une
surcharge de travail ayant pour principale conséquence de compliquer l’organisation de
ses consultations ; qu’alerté de la situation par l’intéressée, un membre du syndicat des
praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs a rappelé aux chefs de service, dans un
mail du 4 février 2010, leurs obligations réglementaires concernant l’organisation annuelle
des activités et l’exigence d’un tableau prévisionnel mensuel pour chaque praticien
hospitalier ; qu’il ressort des correspondances adressées par Mme E...à sa hiérarchie et
produites au dossier que cela n’a pas permis de mettre fin à la désorganisation du service
en matière de plannings ; qu’il ressort notamment du dossier que les demandes de
remplacement lui étaient principalement adressées, et ce de manière inopinée et peu
courtoise ; qu’en outre, bien qu’avertie des conditions dans lesquelles les consultations de
Mme E...se sont déroulées au sein du service de médecine physique et de réadaptation,
sa hiérarchie n’en a pas tenu compte ;

8. Considérant que Mme E...fait valoir que ses supérieurs l’ont cantonnée dans certaines
tâches subalternes au regard de sa qualification et l’ont exclue sans justification de
plusieurs travaux valorisants ; qu’en admettant que la réalisation de photographies de
biopsies fasse partie des missions relevant de la compétence des praticiens hospitaliers, il
ressort toutefois des éléments du dossier, et sans que cela ne soit contesté par l’AP-HP,
que les biopsies étaient inégalement réparties entre les différents praticiens hospitaliers au
détriment de MmeE..., qui en réalisait le plus grand nombre, que son nom n’était pas
mentionné lors des présentations utilisant ces photographies et que le travail
d’interprétation de ces biopsies ne lui était jamais proposé ; qu’il n’est pas non plus
contesté que plusieurs de ses articles ont été écartés de la liste des publications de
l’équipe médicale dans un document réalisé au cours de l’année 2009, à l’exception de
ceux ayant été corédigés avec l’un de ses supérieurs ;

9. Considérant que plusieurs témoignages permettent d’étayer les allégations de Mme


E...tendant à établir que son supérieur hiérarchique aurait, alors qu’elle s’apprêtait à partir
en congé maternité en 2008, manifesté le souhait de la voir quitter définitivement le
service ; qu’à son retour en janvier 2009, l’intéressée a constaté que ses conditions de
travail avaient été modifiées en son absence et que ses plages de consultations avaient
été réduites de trois demi-journées à une seule, fixée le même jour que celui de la
réalisation de biopsies ; qu’alors que Mme E...s’est vue offrir par le chef du service de
neurologie, et ce dès le mois de septembre 2009, l’opportunité de travailler à ses côtés et
de quitter le service d’histologie, un tel transfert a été refusé par sa hiérarchie, alors même
que, dans un courrier électronique du 16 avril 2010, le supérieur de l’intéressée
manifestait son regret de ne pas la voir quitter son service ; qu’en date du 13 octobre
2010, ce dernier lui a également fait indirectement savoir qu’une demande de démission
ou de mutation de sa part lui permettrait de la remplacer ; que, la situation de l’intéressée
n’ayant pas évolué, et ce malgré ses nombreuses démarches auprès de la direction de
l’hôpital, Mme E...a, par un courrier du 21 février 2013, saisi l’AP-HP d’une demande de
protection fonctionnelle ; que, si un transfert partiel dans le service de neurologie lui a
finalement été proposé, celui-ci implique le maintien de l’intéressée à mi-temps sous
l’autorité de son ancien chef de service ;

10. Considérant que les difficultés rencontrées par Mme E...dans le cadre de son activité
ainsi que les rapports conflictuels entretenus avec ses supérieurs hiérarchiques ont
généré chez l’intéressée un syndrome anxiodépressif ayant justifié un suivi psychiatrique à
compter du mois de février 2012 ; que Mme E...a alerté le médecin de prévention ainsi
que le psychologue du personnel de sa situation ; qu’elle produit plusieurs documents
établissant un lien entre son état de santé et ses conditions de travail ; qu’en effet, un arrêt
de travail daté du 28 juin 2012 mentionne non seulement l’état dépressif sévère de
l’intéressée mais surtout le fait que ses conditions de travail évoquent le harcèlement ;
que, bien qu’ayant eu connaissance de ce que Mme E...était en arrêt maladie, son
supérieur hiérarchique lui a reproché la fréquence de ses absences par mail daté du
même jour et n’a pas manqué de préciser que leur collaboration n’avait plus aucun sens et
qu’elle devait “s’en rendre compte et en tirer les conclusions qui s’imposent” ; qu’en raison
de la gravité de son état,

Mme E...a alerté la présidente de la commission médicale d’établissement ainsi que la


directrice du groupe hospitalier des faits de harcèlement moral dont elle s’estimait victime
et de leur retentissement sur sa santé ; qu’en dépit de nombreux échanges, aucune
solution n’a été mise en oeuvre ; que dans un arrêt de travail du 18 décembre 2012, le
psychiatre de

Mme E...relève une asthénie majeure en rapport avec un état dépressif sévère réactionnel
à une situation délétère au travail ; que Mme E...a bénéficié d’une prolongation de son
arrêt de travail le 13 février 2013, le lien entre son état dépressif et une situation délétère
dans le cadre de son travail étant à nouveau relevé ; qu’un autre arrêt de travail du 20
décembre 2013 témoigne de l’état anxiodépressif persistant dans lequel se trouve
l’intéressée ; qu’en date du 28 septembre 2015, le psychiatre de l’intéressée mentionne un
état de tension anxieuse empêchant sa présence au travail ;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les éléments soumis par

Mme E...à la Cour sont susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral
;

12. Considérant que l’AP-HP se prévaut de l’absence d’animosité personnelle à l’encontre


de MmeE..., d’un désaccord sur le terrain médical avec sa hiérarchie, et de ce que tant le
refus de l’intéressée de se conformer à certaines tâches que son absence à des réunions
de service sont à l’origine des dysfonctionnements dont elle se plaint ; que, toutefois, il
ressort de nombreuses pièces du dossier que Mme E...n’a jamais refusé de réaliser les
tâches imposées par sa hiérarchie, alors même qu’elle a, notamment, fait état, ainsi qu’il a
été dit au point 8 ci-dessus, de la discrimination dont elle s’estimait victime en raison de la
répartition inégale de celles-ci entre elle et ses collègues ; que, s’il est, d’autre part,
reproché à l’intéressée de ne plus avoir assisté aux réunions hebdomadaires du service à
compter de 2009, celle-ci l’explique par le comportement désobligeant de ses supérieurs à
son égard lors desdites réunions, confirmé par des témoignages produits au dossier et
non contesté en défense ; qu’il ressort au surplus des témoignages produits que, lors de
ces réunions, les difficultés d’organisation et les conditions pénibles de travail n’étaient
pas abordées ;

13. Considérant que, si l’AP-HP fait valoir que le transfert partiel de Mme E...au sein du
service de neurologie a été décidé “dans l’intérêt du service”, elle ne met en avant aucun
élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles un transfert total ne pourrait pas
être accordé à l’intéressée ; qu’ainsi, l’administration n’apporte pas la preuve qu’elle a mis
en oeuvre les moyens permettant de faire cesser les agissements de harcèlement moral ;
que l’AP-HP n’a pas répondu aux sollicitations légitimes de l’intéressée et a commis une
faute en ne lui accordant pas la protection fonctionnelle ; que, dès lors, Mme E...est
fondée à demander que la responsabilité de l’AP-HP soit engagée pour les préjudices que
ce harcèlement lui a occasionné ;

14. Considérant qu’il résulte de l’instruction et sans qu’il soit besoin d’ordonner une
mesure d’instruction complémentaire, que les agissements répétés analysés aux points
précédents ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme E...de
nature à porter atteinte à ses droits et à sa dignité, à altérer sa santé physique et mentale
et à compromettre son avenir professionnel ; que par suite, et sans qu’il soit besoin de se
prononcer sur l’existence d’intentions malveillantes, dès lors qu’elles ne conditionnent pas
cette qualification, le harcèlement moral allégué est établi ;

15. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme E...est fondée à soutenir que
c’est à tort que le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes indemnitaires ;

En ce qui concerne le montant des préjudices :

16. Considérant que Mme E...demande à être indemnisée des préjudices subis en raison
du refus de l’AP-HP de mettre un terme à une situation qu’elle avait dénoncée à plusieurs
reprises et de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle ; que l’intéressée fait
valoir à ce titre que sa santé s’est particulièrement dégradée à partir du mois de février
2012 ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que Mme E...aurait eu des antécédents
psychiatriques ou aurait fait l’objet d’un suivi médical pour des difficultés psychologiques
avant d’être affectée dans le service en cause ; qu’elle ne rencontrait pas non plus de
difficultés sur le plan relationnel dans le cadre du travail ; qu’il ressort au contraire de
nombreuses pièces du dossier que Mme E...est très appréciée de ses patients et
confrères et qu’elle est reconnue tant pour son professionnalisme que son affabilité à
l’égard des différents membres du service ; qu’en outre les différents arrêts de travail
produits établissent un lien évident entre son état de santé et ses conditions de travail ;
qu’il existe ainsi, eu égard à l’ensemble des circonstances particulières de l’espèce, un
lien suffisamment direct et certain entre les agissements fautifs de l’AP-HP et le préjudice
moral subi par

MmeE... ;

17. Considérant que, si la requérante fait valoir qu’elle a subi un préjudice de carrière, il ne
ressort pas des éléments du dossier que la désorganisation avérée du service au sein
duquel elle est partiellement affectée ou que ses nombreux arrêts de travail auraient porté
une atteinte à sa réputation professionnelle ; qu’elle peut toutefois se prévaloir du
préjudice subi en raison du refus de l’administration de la transférer à temps complet au
sein du service de neurologie ;

18. Considérant que les faits de harcèlement moral dont a été victime Mme E...et le refus
de l’AP-HP de lui accorder la protection fonctionnelle ont causé à la requérante un
préjudice moral et un préjudice de carrière dont il sera fait une juste appréciation, eu égard
au fait qu’ils se sont prolongés sur une longue durée, en condamnant l’AP-HP à lui verser
la somme 12 000 euros, tous préjudices confondus ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :

19. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : “


Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou
un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure
d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens,
prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai
d’exécution “ ;

20. Considérant qu’il y a lieu, eu égard aux motifs du présent arrêt, d’enjoindre à l’AP-HP
d’accorder à Mme E...la protection fonctionnelle ; qu’en revanche, il n’appartient pas à la
Cour de préciser les mesures devant être mises en oeuvre dans le cadre de ladite
protection fonctionnelle ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative :

21. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : “


Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la
partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais
exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la
situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons
tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. “ ;

22. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeE..., qui n’est pas la partie perdante
dans la présente instance, la somme que l’AP-HP demande au titre de ses frais exposés
et non compris dans les dépens ;

23. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des
dispositions de l’article susvisé, de mettre à la charge de l’AP-HP la somme de

2 000 euros au titre des frais exposés par Mme E...et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1304910/8 du 16 avril 2014


est annulé en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de MmeE....

Article 2 : L’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) est condamnée à verser à


Mme E...la somme de 12 000 euros.
Article 3 : Il est enjoint à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) d’accorder à
Mme E...la protection fonctionnelle.

Article 4 : L’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) versera à Mme E...la somme
de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par


l’AP-HP sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont
rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...J...C..., épouse E...et à l’Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris.

Délibéré après l’audience du 18 mai 2016, à laquelle siégeaient :

Mme Brotons, président de chambre,

M. Magnard, premier conseiller,

M. Legeai, premier conseiller,

Lu en audience publique le 1er juin 2016.

Le rapporteur,

A. LEGEAI Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL’AVA

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui


le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

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N° 14PA02657

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