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de la Méditerranée
Raymond André. Deux familles de commerçants fâsî au Caire à la fin du XVIIIe siècle. In: Revue de l'Occident musulman et de
la Méditerranée, n°15-16, 1973. Mélanges Le Tourneau. II. pp. 269-273;
doi : 10.3406/remmm.1973.1247
http://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1973_num_15_1_1247
Forte d'environ dix mille individus (sur une population totale un peu
inférieure à trois cent mille habitants) la colonie maghrébine du Caire comprenait
pour l'essentiel des commerçants, et en particulier de grands négociants en épices
et en tissus, et des 'ulamâ et des étudiants ( 1 ). Cette composition correspondait
aux deux raisons principales qui avaient amené l'installation de Maghrébins au
Caire. D'une part, il y avait entre le Maghreb et l'Egypte des relations
commerciales actives basées sur l'exportation de tissus égyptiens ou de produits étrangers
réexportés, et sur l'importation de produits alimentaires (huile d'olive) et textiles
(tissus de laine, tarbouch . . .) venus d'Afrique du Nord. Ce courant commercial,
qui était probablement au moins égal en volume au commerce de l'Egypte avec
l'Europe, attirait en Egypte de nombreux marchands maghrébins dont un certain
nombre s'établissaient plus ou moins durablement au Caire et à Alexandrie.
Non moins importants étaient les liens culturels et religieux qui existaient
entre le Maghreb et l'Egypte : ils tenaient d'abord au pèlerinage qui mettait
chaque année en mouvement des milliers de Maghrébins qui transitaient
obligatoirement par l'Egypte et dont une partie s'y arrêtait ; ensuite au prestige intellectuel
et religieux dont jouissait la mosquée d'Al-Azhar où de nombreux Maghrébins
venaient s'instruire ou se perfectionner dans les sciences islamiques : ces études
préludaient généralement à un retour dans leur pays d'origine, mais il arrivait aussi
que ces Maghrébins s'installent ensuite définitivement dans leur pays d'adoption.
Quelle que fût cependant l'importance du riwâq des Maghrébins d'Al-Azhar,
c'étaient les activités commerciales qui justifiaient la présence de la plupart des
Maghrébins qui habitaient le Caire. Ils jouaient dans ces activités un rôle qui était
sans commune mesure avec leur importance numérique globale : sur 283 grands
commerçants en café et en épices (tuggâr) dont nous avons étudié les successions
entre 1660 et 1798, au cours de dépouillements effectués dans les archives du
Tribunal religieux (Mah'kama Char'iyya), 59 étaient originaires d'Afrique du Nord
(soit environ un cinquième), et ils totalisaient environ un quart de la fortune
totale des tuggâr considérés.
(1) Nous avons étudié ailleurs plus en détails la colonie maghrébine au Caire : voir notre
article Tunisiens et Maghrébins au Caire au dix-huitième siècle (Cahiers de Tunisie, 1959) et
notre livre Artisans et commerçants au Caire au dix-huitième siècle (sous presse).
270 A. RAYMOND
Les Qabbâg
Nous avons retrouvé dans les documents des archives du Mah'kama relatifs à
la fin du XVIIIe siècle de nombreuses références à des membres de la famille
Qabbâg dont il ne nous a pas toujours été possible de préciser les liens entre eux(3).
Al-H'âgg Ah'mad
al-Qabbâg al-Maghribî
al-Fâsî (m. avant 1771)
I
'Alî al-qalbâg T'ayyib al-Bannânî
(m. avant 1774) al-Fâsî (m. avant 1793) tâgir
(m.
al-H'âgg
après
au Ghûnyya
H'asan
1771)
I
'Aid al-Wahhâb = ' Aïcha Al-H'âgg 4Abd Âmi!
al-H'âgg Muh'ammad 'Abd al-Khâhq
>
(2) Fès avant le Protectorat, pp. 446 note 1 (Kabbaj) et 378 et 527 (Bennani).
(3) Mah'kama, registres de la Q. 'askariyya, v. 185, p. 501 ; v. 211 p. 225 ; v. 218, p. 321 ;
v. 223, p. 1 85. Nous connaissons encore un autre Qabbâg, Abu Gayyida b. Muh'ammad al-Fâsî,
tâgir au Sûq al-Harâmiziyyîn, qui mourut vers 1739, en laissant une fortune de 1 451 295 paras
{Mah'kama, Q. 'askariyya, v. 112, p. 571 et v. 146, p. 327).
COMMERÇANTS FASI AU CAIRE 271
peut-être, dans la wakâla (caravansérail) Mâwardî qui était située dans ce quartier.
Bien qu'aucun d'entre eux ne paraisse avoir été particulièrement riche (avec une
succession de 196 477 paras H'ammûda se classe dans la catégorie des tâgir
moyens) les Qabbâg avaient visiblement acquis dans ce grand marché une
influence considérable. Muçt'afâ, fîlds de H'ammûda, exerça les fonctions de naqîb
de ce souq et surtout 'Abd al-Rah'mân al-Qabbâg en fut le cheikh d'une manière
presque continuelle entre 1785 et 1793 {chaïkh t'âifat al-tuggâr bi-sûq al-
Ghûriyyà).
Cette spécialisation professionnelle et cette solide implantation dans le Sûq
al-Ghûriyya expliquent que deux filles de la famille Qabbâg se soient mariées avec
des tâgir en tissus et en tarbouch exerçant dans le même marché et appartenant
l'un et l'autre à une des grandes familles fâst du Caire. Si le mari de 'Aïcha bint
'Alf al-Qabbâg, 'Abd al-Wahhâb Gallûn, n'était, lui aussi, qu'un commerçant
moyen (succession de 144 405 paras en 1774), par contre l'époux de Amina bint
H'asan al-Qabbag, 'Abd Rabb al-Nabî al Bannânî, était un tâgir très fortuné
(succession de 1 438 396 paras en 1793).
Les Bannânî
Nous connaissons bien la famille des Bannânî car les indications la
concernant que nous avons trouvées dans les documents des archives du Mah'kama sont
Al-H'âgg H'usaln
al Maghnbî al-Fâsî
(m. avant 1775)
Al-H'âgg 'Abd-Khâliq
al-Bannânî, tâgir Cheikh Ah'mad
en café et tissus al-Laqânî al-Mâhqâ
(m. vers 1775) (m. avant 1794)
\
'Aid al-wâh'id Ibrahim al-Khawâgâ al-H'âgg Nafîsa
tâgir Muh'ammad
(m. avant 1775) tâgir (m. vers 1794)
Cheikh Muh'ammad Cheikh Muçt'afâ al-H'âgg Mannâna
(m. en 1772) al-Mâlikî 'Abd al-Rah'mân (vivante en 1794)
(vivait en 1794) (vivait en 1794)
Note : Nous connaissons d'autres Bannâni que nous n'avons pu relier à la branche que
nous étudions ici, tel al-H'âgg 4Abd Rabb al-Nabi b. al-T'ayyib al-Bannâni, tâgir au Ghûriyya, et
époux d 'Amina bint Hasan al-Qabbâg qui mourut en 1793 (Mah'kama, Q. 'askariyya, v.223, p.
185). D'autre part, sauf erreur de nos documents, nous ne saurions rattacher à 'Abd al-Rah'mân
al-Bannânî b. Muh'ammad (qui est mentionné comme vivant dans un document daté de 1 794)
le tâgir Muh'ammad et son frère Ah'mad, fils de "feu** al-H'âgg 'Abd al-Rah'mân al-Bannânî
(document des archives de la Citadelle daté de 1769 : h'ugga n° 425, 15 chauwâl 1 182).
272 A. RAYMOND
(4) Gabartî Qigâ'ib al-Âthâr, édition de Boulak, I, p. 375) consacre un obituaire au cheik
Muh'ammad b. 'Abd al-Wâh'id b. 'Abd al-Khâliq al-Bannânî, mort en 1186/1772-3. Dans les
archives du Mah'kama les principaux documents concernant les Bannânî se trouvent dans la
Q. 'askariyya, v. 197, p. 15 et v. 223, p. 699.
(5) Un 'Abd al-Wahhâb al-Laqânî était tâgir dans le Sûq al-Ghûriyya en 1798.
COMMERÇANTS FASI AU CAIRE 273
Dans les deux familles Qabbâg et Bannânî nous trouvons donc, nettement
indiquée, la double direction dans laquelle s'orientait, ainsi que nous l'avons vu,
l'activité des Marocains installés au Caire, participation au grand commerce
égyptien du café et des tissus, participation à la vie religieuse et intellectuelle dont
al-Azhar était le centre.
Deux autres traits nous paraissent mériter d'être relevés au terme de cette
courte étude. Tout d'abord la vigueur des liens communautaires à l'intérieur de la
colonie maghrébine, qui faisait que ces émigrés continuaient à se considérer
comme Maghrébins, même après plusieurs générations d'installation au Caire, et
dont un signe est la fréquence des mariages entre Maghrébins dont nous avons
noté deux exemples chez les Qabbâg. Mais aussi une tendance invincible à
l'assimilation à l'intérieur de la société égyptienne, assimilation que la
communauté de langue, de culture et de religion rendait inévitable à plus ou moins
longue échéance, et dont l'union contractée entre les Bannânî et les Laqânî
constitue un exemple tout à fait caractéristique.
Cet échantillonnage, pour réduit qu'il soit, reflète au total assez bien les
caractéristiques principales d'une communauté dont deux faits suffisent à illustrer
la puissance et l'influence au Caire au XVIIIe siècle : tous les cheikhs du Sûq
al-Ghûriyya que nous connaissons pendant le dernier quart du XVIIIe siècle
étaient originaires du Maroc ; sur les trois chah bandar des tuggâr du Caire
("prévôts des marchands" en café et en épices) dont nous connaissons les noms au
XVIIIe siècle, deux étaient d'origine marocaine, Qâsim al-Charâïbî (mort en 1734)
et Ah'mad b. *Abd al-Salâm (mort en 1791).
André RAYMOND
Directeur de l'Institut français
d'études arabes de Damas