Recherche et Applications en Marketing, vol. 13, n° 1/98
SYNTHESE
Emotions et comportement du consommateur
Laurence Graillot *
Maltre de conférences, IUT de Dijon et CREGO
RESUME
Depuis le début des années 1980, suite & l’essor de la perspective expérientielle, le concept d’émotion occupe une place
de plus en plus prépondérante dans la recherche consacrée au comportement du consommateur. L’objectif de cet article
consiste & présenter, au travers d’une revue de la littérature, le débat théorique a l’origine de la prise en compte des dimen-
sions affectives et plus particulitrement émotionnelles lors de analyse du comportement du consommateur, le cadre concep-
tuel des émotions, leurs instruments de mesure et leurs apports dans le cadre de la recherche en comportement du consomma-
teur. La synthése de ces différents travaux nous conduira alors & proposer une modélisation du comportement du
consommateur intégrant la place des réactions émotionnelles.
Mots clés : émotions, affectif, mesures des émoti
3, approche expérientielle, comportement du consommateur.
INTRODUCTION non pas travailler seulement avec les préférences pour
analyser le comportement du consommateur qui sont
fréquemment employées pour appréhender la dimen-
sion affective, car les émotions seraient & Vorigine
des choix réalisés par les consommateurs (Derbaix et
Pham, 1989), Holbrook et Hirschman (1982) souhai-
tent également que les recherches parviennent finale-
ment & une conceptualisation des émotions car ils les
considérent comme une dimension clé du comporte-
Depuis le début des années 1980, la recherche en
comportement du consommateur témoigne d'un inté-
rét croissant pour le concept d’émotion, Cet intérét
s’est manifesté quand des chercheurs, et plus particu-
ligrement Holbrook et Hirschman (1982), ont suggéré
que Vintroduction des émotions, en tant que sous
ensemble particuligrement important des états affec-
tifs, dans la recherche peut aider & mieux comprendre
le processus de prise de décision et le comportement
du consommateur. A cet égard, ces demniers précisent
qu'il faut introduire toute la gamme des émotions et
ment d’achat. Plus généralement, il apparait que les
émotions peuvent expliquer un comportement (don
du sang et au dela tous les comportements de dona-
tion) dans des circonstances ot d’autres concepts,
comme T'attitude, ne contribuent que faiblement
comprendre ce comportement (Allen, Machleit et
* L’auteur tient & remercier M. Marc Filser, Professeur agrégé & Université de Bourgogne, pour son aide et ses précieux
conseils ainsi que Ia FNEGE, le Conseil Régional de Bourgogne et la Mairie de Macon pour leur contribution financiére.
Le lecteur peut joindre ’auteur & : IUT de Dijon, Bd Docteur Petitjean, BP 510, 21014 Dijon Cedex.6 Laurence Graillot
Schultz Kleine, 1992 ; Laverie, Kleine Ill et Schultz,
Kleine, 1993). De plus, il semblerait que les émotions
permettent de prédire les attitudes dans le cas du
magasinage (Allen, 1993; Neo et Murrell, 1993).
Ainsi, tous les travaux réalisés concluent & I'impor-
tance des émotions dans le comportement du consom-
mateur. Cependant, Ia prise de conscience de
Vampleur du réle des émotions dans le comportement
du consommateur n’a pas éé immédiate. En effet,
dans un premier temps, suite aux critiques adressées &
Végard d’une approche cognitive trop limitative, les,
travaux se sont intéressés au concept trés général de
réactions affectives, puis, dans un second temps, a
celui plus spécifique d’ emotion.
Nous pouvons expliquer la relative indifférence
constatée avant cette période par Ia primauté des
recherches cognitives. Ces demnigres supposent que le
consommateur essaie de maximiser son utilité par
Pintermédiaire des attributs tangibles (Derbaix et
Pham, 1991). Par conséquent, le principal objectif de
ces recherches consistait a étudier le processus de
traitement de l'information par le consommateur &
partir de la mémorisation, de la perception, du rai-
sonnement... et non les réactions affectives puisque
Papproche cognitive suppose que les individus se
fixent des objectifs, qu’ils recherchent activement de
V information pour procéder & un choix sur la base de
leur préférence, cette variable constituan: une mesure
classique de laffectif dans cette approche (Derbaix
et Pham, 1989). De plus, cette perspective marketing
traditionnelle analyse notamment le comportement
instrumental du consommateur (Havlena et
Holbrook, 1986; Derbaix et Pham, 1991) et le
concept de satisfaction examiné comme I’élément
central de la période post-achat (il expliquerait des
activités comme le bouche a oreille, les réclamations
ct Vutilisation du produit) (Westbrook et Oliver,
1991). Or, cette perspective traditionnelle doit
affronter de nombreuses critiques depuis les années
1970 suite & la remise en cause de la séquence,
cognitif-affectif-conatif, qu'elle privilégie.
Cet article se propose donc, dans un premier
temps, d’exposer cette remise en cause ainsi qu'une
synthése des apports issus de ce débat cognitif-affec-
tif influencant depuis plus de deux décennies la
recherche en comportement du consommateur et
contribuant & montrer que les émotions peuvent se
révéler intéressantes pour expliquer les comporte-
ments des individus. Nous serons alors amenés &
constater que la relativisation de la prédominance du
cognitif a conduit les chercheurs 2 s'intéresser aux
théories de I’affectif. Dans un deuxitme temps, apres
avoir étudié l’ensemble des réactions afiectives, nous
choisirons de nous concentrer uniquement sur les
émotions étant donné les opportunités qu’elles peu-
vent offrir pour expliquer le comportement du
consommateur. Par conséquent, nous aborderons leur
cadre conceptuel afin de fonder et de présenter leurs
instruments de mesure qui ont été par la suite intro-
duits dans les recherches en marketing. Dans un der-
nier temps, nous nous intéresserons & utilisation, &
Pintégration et & V'adaptation du cadre conceptuel et
des instruments de mesure des émotions pour com-
prendre le comportement d’achat et de consomma-
tion afin de montrer les apports, les limites et les pro-
Iongements de ces travaux originels dans le cadre de
la recherche consacrée au comportement du consom-
mateur.
LES REMISES EN CAUSE PRODUITES
PAR LE DEBAT COGNITIF-AFFECTIF, A L’ORIGINE
DE LINTERET PORTE AUX EMOTIONS
Depuis les années 1970, la primauté des réactions
cognitives sur le processus de prise de décision et sur
le comportement du consommateur est discutée et
remise en cause. Ainsi, pour Pieters et Van Raaij
(1988), de nombreux comportements ne peuvent pas
aire expliqués par le fait que les individus agissent
rationnellement sans étre affectés par leurs émotions,
Sur la base de ce constat, ils sont alors amenés &
s'intéresser aux relations entre Vaffectif, le cognitif
et le comportement. Ces discussions, ayant encore
lieu actuellement (Vanhuele, 1994), ont conduit &
une mise en lumitre du role joué par les réactions
affectives et donc par les émotions sur le comporte-
ment. Par la suite, ces discussions ont suscité ’intérét
des chercheurs et elles les ont incité & introduire ces
réactions affectives dans leurs travaux pour mieux
comprendre les attitudes et le comportement de
consommation (Derbaix, 199Sb). Pour faire référence
au processus de traitement de l'information qui est,Emotions et comportement du consommateur : intégration d'un état de art 7
par exemple, mis en ceuvre quand un consommateur
examine toutes les caractéristiques d’un radioréveil
en vue de son achat, Mittal (1994) est amené & parler
d'un processus alternatif: le processus de choix
affectif. Ce dernier est poursuivi quand l'achat est
fondé sur une impression générale d’ensemble
comme lorsqu’une femme essaie plusieurs robes
avant de faire son choix. Trés schématiquement,
Venjeu de ces débats consiste & vérifier soit I'hypo-
thése d’une prédominance du cognitif sur Vaffectif
(pour les tenants de I’approche traditionnelle), soit
celle d’indépendance entre ces deux systémes
(Zajonc, 1980) (Vanhuele, 1994), bien que d'aprés
Pieters et Van Raaij (1988), Vaffectif et le cognitif
interagissent.
Les premiers travaux ayant permis de mettre en
Evidence le role des réactions affectives sont ceux de
Derbaix (1975) concernant les réactions des consom-
mateurs face & la publicité, Il montre que les trois
séquences classiques des composantes de l'attitude
(higrarchie de T'apprentissage, de la dissonance
cognitive et de implication minimale) se justifient
empiriquement, et qu’il en existe probablement une
quatritme, appelée hiérarchie de la réaction émotion-
nelle (affectif-conatif indirect-cognitif) observable
chez. certains enfants agés de 3 a 8 ans, voir plus,
soumis & la publicité diffusée par la télévision et la
radio, Il précise, A cet égard, que les individus tres
fortement impliqués ne peuvent que développer de
puissantes réponses émotionnelles,
En fait, Ia reconnaissance de ’importance des
fonctions jouées par ces réactions affectives par rap-
port aux réponses cognitives se généralisa sous
Vimpulsion de Zajonc (1980) et Zajonc et Markus
(1982) dont les travaux engendrérent de nombreuses
controverses, Cependant, ils contribuérent & montrer
que:
1) La prise en compte de l’affectif lors de ’ana-
lyse du comportement du consommateur est toute
aussi importante que celle du cognitif ;
2) L’affectif n’est pas nécessairement post-cogni-
tif (ainsi, les informations collectées lors d'un achat
servent moins & la prise de décision qu’a sa justifica-
tion @ posteriori vis-i-vis des autres). Les contre-
exemples sont nombreux : un individu qui aime une
actrice en conclut qu'elle est brillante (Derbaix et
Sjoberg, 1994) ;
3) Les réactions affectives peuvent également se
déclencher en I’absence des processus cognitifs (ce
cas peut étre observé au niveau des préférences ali-
‘mentaires. Par exemple, certains aliments, comme le
piment, qui constituent des ingrédients indispen-
sables dans certaines cultures, déclenchent lorsqu’ils
sont mangés pour la premiére fois de fortes réactions
affectives négatives. Cette aversion est surmontée
pour se transformer en un désir ardent non pas par
Pacquisition d’informations relatives aux propriétés
de Paliment mais par l'intervention de facteurs affec-
tifs significatifs tels identification avec le groupe) ;
4) Quand certaines émotions (joie, peur) ont lieu
‘ou quand individu se trouve dans une situation de
simple exposition (mere exposure), les systemes
cognitifs (généralement illustrés par la perception) et
affectifs (généralement illustrés par la préférence)
peuvent éire paralldles et partiellement indépendants
(Zajonc, 1980 ; Zajonc et Markus, 1982). Cette remi-
se en cause de lhypothése de dépendance systéma-
lique entre les syst#mes cognitifs et affectif’s tendrait
a plaider en faveur d’un recours & une analyse exter-
ne des préférences (les préférences ne sont plus
représentées dans un espace pré-calibré par les simi-
larités) et non pas A une analyse interne des préfé-
rences généralement reconnue et utilisée mais dont le
bien-fondé a été rarement étudié (Derbaix et Sjéberg,
1994), Les travaux de Derbaix et Sjéberg (1994)
semblent confirmer cette remise en cause puisqu’ils
‘montrent que les dimensions sous-jacentes a la préfé-
rence entre 14 acteurs de cinéma et 3 la perception de
ces acteurs sont différentes (dimensions pour l’espa-
ce des préférences: charme, variété des r6les ;
dimensions pour l’espace des similarités : attrait des
roles joués, talent) ;
5) Les individus expriment avec plus de confian-
ce les réactions affectives que les réactions cogni-
tives car les premires reposent sur un traitement de
information moins élaboré et apparaissent plus,
spontanément. Ce point a également été affirmé dans
différents articles de Derbaix et ses collégues (1987,
1992, 1994). En outre, ils établissent dans le cadre
dune étude concernant les jugements des acteurs et
des actrices de cinéma, la stabilité de ces réactions
affectives. De plus, Derbaix (1987) observe que la
préférence dépend plus du sujet que de l'objet alors
que la perception reléve plus de l’objet ;
6) Il existe des discriminations affectives (aime-
n’aime pas) pertinentes en I'absence d’opérations
cognitives (comme intervention de la mémoire).
Derbaix et Pham (1989) précisent, sur la base des tra-8 Laurence Graillot
vaux de Havlena et Holbrook (1986), que la compo-
sante affective permettrait & individu de réaliser des
discriminations entre plusieurs alternatives dont les
attributs objectifs (fonctionnels ou utilitaires) sont
équivalents. Plusieurs travaux de Derbaix et ses col-
legues (1987, 1992, 1994) confirment que pour un
méme stimulus, les discriminations le long des
dimensions affectives sont plus marquées que les dis
criminations le long des dimensions cognitives, et
que cette analyse est d’autant plus vérifige quand les
individus sont impliqués. Ils sont amenés & conelure,
au terme de leur étude concernant les acteurs et les
actrices, que les préférences prédisent mieux le com-
portement que les perceptions.
Les apports de ces différents travaux ont conduit &
Vélaboration d’une nouvelle approche, appelée
approche « expérientielle », introduite par Holbrook et
Hirschman (1982). Cette nouvelle optique constitue
certainement la critique Ia plus institutionnalisée et 1a
plus conceptualisée de la conception cognitive, Cette
approche met, bien sdir, ’accent sur le rle des dimen-
sions affectives en comportement du consommateur.
Pour ses partisans, 1a consommation représente une
expérience pour un individu et en tant qu’expérience,
elle peut susciter toute 1a gamme des réactions affec-
tives comme les sentiments, les sensations, les émo-
tions... Ils distinguent, & cet égard, plusieurs types de
réactions affectives, puisqu’ils indiquent que la pério-
de post-achat implique, en plus des dimensions de
{in)satisfaction, toute une variété de réponses émotion-
nelles incluant des réactions comme la joie, lexcita-
tion, la tristesse... (Holbrook et Hirschman, 1982 ;
Holbrook, Chestnut, Oliva et Greenleaf, 1984;
Havlena et Holbrook, 1986). Ce nouveau courant
s'intéresse non plus exclusivement au comportement
instrumental (instrumental behavior), qui peut étre
illustré par Pachat dune voiture pour aller au travail,
mais également au comportement poursuivi pour son
propre compte (congenial behavior), engagé pour les
bénéfices subjectifs, émotionnels qu'il offre, comme
dans le cas de la peinture réalisée pour le plaisir
(Havlena et Holbrook, 1986).
1 nous semble done, sur la base de la synthése de
ces différents résultats, qu’une recherche active sur le
théme des émotions apparait nécessaire pour au
moins deux raisons. D’une part, le choix du consom-
mateur entre des comportements ou expériences
hédoniques dépend des bénéfices subjectifs qui
contribuent & fournir des émotions. De plus, ces
bénéfices émotionnels permettent de discriminer
entre des possibilités instrumentales. fonctionnelle-
ment équivalentes (les personnes sont plus attirées
par une Pontiac plutét que par une Chevrolet méme
si, fonetionnellement ces deux voitures jouent le
méme réle & savoir assurer le transport) (Havlena et
Holbrook, 1986). D’autre part, la plupart des situa-
tions d’usage de produits ou de choix de marques
conférent des bénéfices objectifs ou tangibles tout en
produisant de nombreuses réactions subjectives ou
émotionnelles chez le consommateur. Les produits
esthétiques comme la musique, les activités de créa-
tion comme la peinture, les activités de loisirs, les
activités religieuses, les expériences Iudiques font
partie de cet ensemble d’expériences chargées émo-
tionnellement. En outre, tous les comportements (non
seulement liés & une consommation purement expé-
rientielle mais également & des activités primaires de
subsistance) incluent des composants subjectifs,
hédoniques ou symboliques (Hirschman, 1982). Leur
analyse doit done commencer par une compréhen-
sion des bénéfices hédoniques (Havlena et Holbrook,
1986) et se conclure par un examen des composants
imaginaires, évaluatifs et émotionnels de ’expérien-
ce de consommation.
L’émotion, représentant une source primaire de
‘motivations humaines et exercant une influence sub-
stantielle sur la mémoire (par le biais de ses manifes-
tations psychologiques) et les processus de pensée
(Westbrook et Oliver, 1991), devient done un champ
4’ étude porteur pour la recherche spécialisée en com-
portement du consommateur, car, les aspects les plus
émotionnels des expériences de consommation sur-
viennent avec une plus ou moins grande amplitude
dans pratiquement toutes les situations de consom-
mation, En outre, il faut reconnaftre que Vintroduc-
tion des états affectits permet d’approfondir I’analyse
car elle contribue & aller au dela des évaluations
cognitives relatives au caractére bon ou mauvais du
stimulus Batra et Ray, 1986). De plus, le stimulus
west plus évalué de fagon séquenticlle, analytique ou
objective (évaluation cognitive) mais i fait objet
d'une estimation globale, holistique ou subjective
(évaluation affective) (Holbrook et Hirschman, 1982 ;
Mittal, 1994).
Puisque les émotions s’instrent dans une perspec-
tive plus générale, nous allons nous intéresser main-Emotions et comportement du consommateur + intégration d'un état de art 9
tenant aux conclusions des théories de l’affectif, qui
constituent les fondements de celles développées
autour des émotions.
PLACE DES EMOTIONS AU SEIN DES THEORIES
DE L’AFFECTIF OU EMOTION AU SENS LARGE
Avant d’aborder la place des émotions au sein des
théories de Vaffectif, nous allons nous intéresser,
dans un premier temps, aux résultats de ces théories
pour identifier les propriétés et les caractéristiques
des réactions affectives qui constitueront les fonde-
ments des instruments de mesure des émotions. Puis,
afin de situer les émotions parmi les différentes réac-
tions affectives, nous serons amenés & distinguer
deux grandes sortes de typologies : celles qui propo-
sent un regroupement des théories relatives aux
réponses affectives et celles qui ont pour ambition de
regrouper par catégories les réactions affectives.
Un consensus quant aux propriétés
et caractéristiques des reactions affectives
Malgré existence d’une multitude de théories,
elles s'accordent toutes pour reconnaitre que la réac-
tion affective constitue un construit multidimension-
nel dont les quatre dimensions, & retenir lors des
mesures de l’affectif, sont la prise de conscience par
Vindividu, 1a direction (polarité), V'intensité et le
contenu (Derbaix et Pham, 1989). En outre, ce der-
nier posséde trois composantes (Izard, 1979) nécessi-
tant Ie recours & des méthodes de mesure différentes
(Derbaix et Pham, 1989) :
1) Une composante neurophysiologique et biolo-
gique que Buck (1984) appelle émotion de type I
Elle fait Pobjet de mesures physiologiques telles la
salivation, les pulsations cardiaques... ;
2) Une composante expressive que Buck appelle
émotion de type II, Elle est mesurée par !*intermé-
diaire de lobservation, par I’étude des mouvements
corporels, des expressions vocales ou faciales ;
3) Une composante expérientielle subjective que
Buck appelle émotion de type III. Son étude passe
par le rapport verbal eV/ou pictural
Nous pouvons également préciser que la réaction
affective se caractérise par sa globalité, son caractére
irrévocable, instantané, désorganisant, par les chan-
gements somatiques qu'elle engendre et les difficul-
és rencontrées lors de sa description verbale
(Derbaix, 1987).
Une typologie des théories relatives aux réponses
affectives
Kemper (1987) distingue les approches « évolu-
tionnaristes » (6tudient 1a fonction adaptative des
Emotions (Plutchick, 1980)), « neurales » (relient les
émotions primaires avec des caractéristiques des cir-
cuits neuraux (Tomkins, 1962), « autonomiques »
(associent les émotions avec les processus orga-
niques (Fromme et O’Brien, 1982)) qui s'intéressent
aux relations entre les émotions et I’organisme, les
perspectives « empiriques» cherchant & mettre en
évidence des émotions a partir de rapports verbaux
(Fehr et Russell, 1984) ou d’expressions faciales, les
conceptions psychanalytiques fondées sur les travaux
de Freud (Brenner, 1980), les théories consacrées au
développement des émotions (chez les bébés et les
enfants (Plutchick et Kellerman, 1983).
Une typologie des réponses affectives
L’une des premivres typologies de Paffectif date
de 1650 quand Descartes déclare qu’il existe six pas-
sions primaires : l'amour, la haine, le désir, la joie, la
tristesse et I’admiration (Batra et Ray, 1986).
Plus récemment, Derbaix (1987) a développé une
typologic de Vaffectif, notamment, sur la base des
travaux d’Izard (1977), Frijda (1970), Osgood
(1966). Certaines de ces recherches ont également
servi de base & la construction de la classification de
Batra et Ray (1986). Ainsi, il apparait que l'affectif
rassemble les émotions, les sentiments, les humeurs
(erbaix, 1987), les motivations (Batra et Ray,
1986). Pieters et Van Raaij (1988), pour leur part,
distinguent les humeurs, les motions, les caractéris-10 Laurence Graillot
tiques affectives de personnalité (comme l’opti-
misme) et la notion d’« affect évaluatif » (attitude,
évaluation ou préférence).
Face & une telle confusion dans la différenciation
des réactions affectives, Derbaix et Pham (1989) syn-
thétisent ces diverses conceptions et organisent
Vaffectif en sept catégories :
1) L’émotion choc (ex : la surprise) constitue la
plus affective des réactions ;
2) Le sentiment (ex : la fierté) ;
3) L'humeur (Gardner, 1985) (ex : la mélancolie)
doit étre distinguée de I’émotion (France, Shah et
Park, 1994) car elle est considérée comme moins
rigoureuse, plus envahissante et plus éphémére que
les émotions ressenties au cours des expériences de
consommation (Batra et Ray, 1986). De plus,
Vurgence psychologique de I’émotion, son potentiel
motivationnel et sa spécificité situationnelle sont
relativement plus importants (Westbrook et Oliver,
1991);
4) Le tempérament ;
5) La préférence (ex: le classement de marques) ;
6) Lattitude (ex: une opinion) ;
7) L’appréciation (ex : I’évaluation d’alternatives)
correspond a la réaction la plus cognitive.
Certains auteurs se sont, notamment, attachés &
montrer qu’émotion et satisfaction constituent deux
construits théoriques _parfaitement —_distincts.
Westbrook et Oliver (1991) rapportent que certaines
catégories de réponses émotionnelles peuvent consti-
tuer des antécédents et coexister avec Ie jugement de
satisfaction. De plus, des études menées par Russell
(1979) et Plutchick (1980) révelent que état de forte
satisfaction s’accompagne de connotations émotion-
nelles non équivoques comme « heureux >, « content»,
alors que les connotations sont moins spécifiques
dans le cas de l'insatisfaction. Cependant, des conno-
tations comme «heureux» et «content» ne peuvent
constituer que des prototypes de la satisfaction
(Westbrook et Oliver, 1991). Westbrook (1987) pré-
cise, également, que le jugement de satisfaction
retient nécessairement une évaluation des dimensions
émotionnelles des consommations antérieures provo-
quées par l'usage du produit ou l’expérience d’une
consommation, émotions qui peuvent laisser des,
traces affectives fortes (ou marqueurs) dans la
mémoire épisodique (Cohen et Areni, 1991). Ainsi
marqués, ces éléments de la mémoire apparaitraient
comme étant hautement accessibles & des opérations
cognitives courantes (Westbrook et Oliver, 1991).
Derbaix et Pham (1989) distinguent ces sept
types affectifis par Pintermédiaire du degré de spéci-
ficité de la cible visée ou du stimulus provoquant la
réaction (I'émotion, a la différence de la préférence,
dépend plus de la personne que de la cible ou du sti-
mulus), de lintensité somatique et autonomique (les
émotions sont plus intenses que ’humeur et sont
associées a un niveau d’éveil élevé), de la fréquence
des expériences somatiques et autonomiques (les
Emotions sont toujours accompagnées par de telles
expériences), de la durabilité (le sentiment est plus
durable que I'émotion), de la volonté de contréle de
expression faciale ou corporelle, de la possibilité de
contréle de I’expression (une émotion est plus diffi-
cile & contrdler qu’une appréciation), de la probabili-
té d'expérience subjective élémentaire (la probabilité
de prise de conscience des émotions est élevée), de
importance des antécédents cognitifs et des proces-
sus cognitifs aval
CADRE CONCEPTUEL DES EMOTIONS
ET INSTRUMENTS DE MESURE,
Nous venons de montrer que la richesse, I’éten-
due des opportunités offertes par une intégration du
concept affectif, et plus spécifiquement de celui
4 émotion, en comportement du consommateur ainsi
que la relative méconnaissance de ce dernier concept
nous incitent & nous intéresser aux différents travaux
menés autour de ce theme.
Nous exposerons aussi les différents instruments
de mesure des émotions pouvant étre intégrés avec
profit dans les recherches en comportement du
consommateur tout en examinant leurs fondements
théoriques.Emotions et comportement du consommateur : intégration d'un état de Vart 1
Le concept d’émotion en tant que sous-catégorie
des réactions affectives
Une recherche active sur le thme des émotions
en comportement du consommateur s'impose puis
qu'il a été démontré que les émotions peuvent orien-
ter, sans que l’individu en soit conscient, son proces-
sus de prise de décision et affecter ses réactions et
ses comportements. Ainsi, une méme émotion peut
avoir des effets différents sur plusieurs personnes et
méme des effets différents sur la méme personne
dans des situations distinctes. Les émotions exercent
une influence sur le corps de individu, sur Ia
contraction des muscles du visage, sur l'activité élec-
trique du cerveau, sur les systémes de la circulation
sanguine et respiratoire. Ces nombreux changements
affectent les perceptions, Ia mémoire (France, Shah
et Park, 1994 ; Walliser, 1996), la pensée et I’imagi-
nation, les actes d’une personne, le développement
de la personnalité... (Izard, 1977),
Traditionnellement, les émotions sont décrites
comme des états particuliers ou altérés de la
conscience, En effet, les hommes qui vivent des
Emotions intenses réalisent que cette expérience ne
correspond pas & un état ordinaire de la conscience
(Izard, 1977),
Un examen des différentes approches originelles du
concept d’émotion
Depuis plusieurs sidcles le théme des émotions
intéresse les chercheurs en sciences humaines et a
donné lieu & Ja formulation de plusieurs théories.
Cependant, ces nombreuses recherches peuvent étre
rapprochées de I’une des six conceptions suivantes
1) L’émotion est analysée, soit comme une répon-
se qui fait suite & des processus cognitifs (réle du sys-
teme nerveux autonome) (Wenger, 1950), soit comme
lun processus organisé qui a des caractéristiques
«expérientielles » et motivationnelles et qui exerce
tune influence sur la cognition (r6le du systéme ner-
veux somatique) (Tomkins, 1962 ; Izard, 1972).
2) Pour les partisans des théories cognitives des
Emotions, les émotions sont subordonnées a la cogni-
tion et & la raison, alors que pour leurs opposants, les
Emotions déclenchent et guident les processus cogni-
tifs. La théorie des émotions différenticlles peut
svanalyser comme une tentative de réconciliation
puisqu’elle soutient que I’émotion, en tant que sys-
téme indépendant, interagit avec la cognition et
Traction (Izard, 1972, 1977). Cette théorie trouve son
origine dans les travaux de Darwin, Freud, Singer.
et est fondée sur cing hypothéses clés. Le systéme
motivationnel principal des étres humains comprend
es dix émotions fondamentales suivantes: deux
émotions positives : Pintérét ct la joie, sept émotions
négatives : la colére, le dégott/dédain, le mépris, la
honte, la culpabilité, la tristesse/détresse et la crainte,
une émotion & la fois positive et négative : la sur-
prise. Chacune de ces émotions posséde des proprié-
tés motivationnelles et phénoménologiques uniques.
Certaines comme la joie, la tristesse, la colére et la
honte conduisent & des expériences internes diffé-
rentes ainsi qu’A des conséquences comportementales
spécifiques. Ces émotions interférent les unes avec
les autres (activation, amplification, atténuation),
Enfin, Ies processus émotionnels interagissent avec
les processus homéostatique, de besoins (comme la
faim...), cognitif, moteur et exercent une influence
sur eux (Izard, 1977). Tl nous faut, également, préci-
ser que la théorie des émotions différentielles con
dere les émotions comme un systéme et qu’elles sont
inter-reliées de fagon dynamique et relativement
stable. L’organisation des émotions en systéme
s'explique aussi par la polarité apparente entre des
paires d’émotions. Ce point n'est pas nouveau
puisque Darwin (1890) Vavait déja remarqué
(exemple : les larmes de joie).
3) Quand les chercheurs définissent les individus
comme des étres sociaux dont la raison d’étre es
affective, émotionnelle, ils concluent que l’apprentis-
sage par 'expérience est plus important que l’acqui-
sition des faits et des théories par l'éducation qui
représente le processus d’apprentissage retenu quand
T'homme est percu comme un étre rationnel dont la
raison d’étre est cognitive, intellectuelle (Izard,
1977).
4) Quand I’émotion prend la forme d'un trait,
notion souvent associée avec celle de seuil d’émo-
tion, elle est analysée comme une caractéristique
stable individuelle, En tant qu’état, elle est détermi-
née par a situation et les conditions du moment. La
différence entre le trait et l'état se pose done en
termes de durée d'une expérience émotionnelle
(izard, 1977).2 Laurence Graitlot
5) Depuis Darwin (1890), les travaux plus récents
d’Izard (1977) montrent que les émotions fondamen-
tales possédent les mémes expressions, manifesta-
tions et qualités expérientielles dans des cultures dif-
férentes n’ayant pas nécessairement communiqué et
done qu’elles représentent des phénoménes univer-
sels (Izard, 1977).
6) Au lieu de postuler que les émotions sont posi-
tives ou négatives, il apparatt plus judicieux de stipu-
ler qu'il y a des émotions qui tendent & conduire vers
un désordre psychologique (pouvant produire un
comportement nuisible) et d'autres qui tendent & faci-
liter un comportement constructif. Le caractére posi-
f ou négatif de l’émotion dépend des processus
propres & la personne et des interactions environne-
ment-personne aussi bien que des considérations éco-
logiques et éthologiques. Néanmoins, la classifica-
tion entre émotions positives et négatives est parfois,
retenue pour faire référence & des émotions qui peu-
vent provoquer plus ou moins probablement des
conséquences respectivement désirables ou indési-
rables (Izard, 1977), méme si Bagozzi et Moore
(1994) rapportent que quelquefois des émotions
négatives peuvent engendrer des attitudes positives.
Proposition d'une définition de l’émotion
Pour proposer une définition de I’émotion, nous
pouvons nous référer & celle établic par Westbrook et
Oliver (1991). Pour eux, le terme émotion fait réfé-
rence 4 l'ensemble des réponses émotionnelles pro-
voquées pendant l'usage d’un produit ou des expé-
riences de consommation et lors de l’achat, D'aprés
Gouteron (1995), I’émotion est multidimensionnelle,
“une réaction passagére désorganisant un état
durable et soumise & des facteurs exogénes », consti-
tuent « une réponse affective momentanée, multifor-
me et plus ou moins intense qui est faite d un facteur
perturbateur et externe a l’individu ». Pour Pieters et
Van Raaij (1988), elle constitue une expérience, un
message. Nous allons également retenir Ia théorie des
Emotions différentielles car nous pensons qu’elle
analyse, avec une plus grande exactitude, le concept
d’émotion ainsi que les interactions qu’elle entretient
avec d'autres composantes. Elle dépasse les autres
approches plus restrictives, qui cherchent a s’attacher
& une conception, en tentant de les intégrer pour les
réconcilier. En outre, cette théorie ne rejette pas
Vidée de hiérarchie des composantes de l’attitude
mais elle I'aménage. Son analyse nous améne & la
résumer de la maniére suivante (confre figure 1).
Emotion
|
Cognitif
'
Emotion Conatif
Figure 1 - Une premidre synthése de la place
de I’émotion
Ainsi, une motion représente un phénoméne
affectif, subjectif « expérientiel », momentané, mul-
tidimensionnel, source de motivations, provoqué par
des facteurs exogénes a I’individu, qui interagit avec
Ie processus de traitement de ’information recueillie
en vue d'une expérience de consommation, avec le
comportement et avec l’expérience de consomma-
tion Graillot, 1994, 1996),
La mesure des émotions
La mesure des émotions semble tellement délicate
que les recherches s’accordent & reconnaitre qu’aucun
instrument de mesure ne tient compte des quatre
dimensions d'une émotion (Derbaix et Pham, 1989).
Il semble que ce probléme de mesure soit encore
actuel puisque Richins (1997) souligne qu’il n’existe
pas encore de véritables instruments pour mesurer les,
motions ressenties durant les expériences de
consommation car les mesures utilisées dans les
recherches consacrées au comportement du consom-
mateur ont été développées & Vorigine pour évaluer
les émotions éprouvées dans d’autres contextes (ex
relations interpersonnelles intimes). Cette transposi-
tion des instruments d’un contexte & un autre sans
une adaptation expliquerait alors en partie les diffi-
cultés rencontrées pour évaluer les émotions au cours
des expériences de consommation.Emotions et comportement di consommateur : intégration d'un état de Vart B
En outre, d’aprés Derbaix et Pham (1989), la
mise au point d’une méthode fiable passe par une
approche combinant les apports des trois techniques
classiques de mesure, utilisées séparément jusqu’a
présent (tableau 1), car une réponse émotionnelle ne
peut pas se réduire & une seule expression verbale,
corporelle ou somatique. En effet, tenter de mesurer
des réactions affectives par une simple déclinaison
des méthodes cognitives, et notamment, en utilisant
les comptes rendus verbaux, constitue une erreur car
la réaction affective est difficile non seulement & ver-
baliser mais également & confier un étranger
(Derbaix et Pham, 1989 ; Gouteron, 1994). De plus,
Ja transposition des échelles, d’ inspiration cognitive
nest pas sans problémes car ces échelles opposent
souvent un adjectif & son antonyme (Mehrabian et
Russell, 1974) et introduisent le niveau 0 qui ne peut
pas représenter le contenu émotionnel nul car il
semble que ce dernier n’existe pas (Derbaix et Pham,
1989). Le tableau 1 met également en évidence que,
en dépit des limites relatives au recours & des rap-
ports subjectifs pour exprimer des émotions, ces
outils ont fait Pobjet de nombreux développements.
La majorité des études réalisées en comportement du
consommateur les utilisent étant donné leur £2
@emploi. Cette situation peut s'expliquer par une
analyse de Batra et Ray (1986) qui postulent que la
collecte de données non verbales & l'aide de la mise
en place d’un protocole verbal ne peut pas conduire &
la non validité des données recueillies. En outre,
Derbaix, Brée et Masson (1994) précisent que
Tapport, notamment des mesures faciales, est relati-
vemnent faible par rapport & celui conféré par de
simples échelles d’attitude pour appréhender les
réponses émotionnelles des enfants. Une autre étude
réalisée par Derbaix (1995a, 1995b) et basée sur les
publicités télévisées conclut que les contributions des
échelles verbales sont évidentes et non celles des
mesures faciales. Ces mesures faciales furent intro-
duites non seulement pour appréhender es réactions
affectives en temps réel (car les visages des individus
sont filmés au moment oi ils visionnent les publici-
(és), pour suivre la chronologie de leur appar
mais également pour éviter que les répondants pen-
sent & leur réaction affective et donc la rationalisent.
Ce dernier point caractérise la démarche adoptée
quand un individu doit exprimer verbalement ses
Emotions. Nous pensons donc que les recherches a
venir, concernant la mesure des réactions affectives,
U6
doivent utiliser du non verbal, seule possibilité pour
que Vindividu n’ait pas le temps de rationaliser sa
réponse (Derbaix et Pham, 1989). Ce point se voit
confirmer par les travaux de Paivio (1978) qui mon-
trent que les jugements affectifs dépendent plus du
systéme d’imagerie que du systtme verbal. Pour
Laverie, Kleine III et Schultz Kleine (1993) qui
concluent & l’existence de relations entre certaines
Emotions et certaines valeurs dans les expériences de
consommation, il faut songer & développer des
mesures qualitatives des émotions. De plus, elles
remarquent que les échelles verbales reposent sur le
rappel et apportent des informations moins riches
qu'une évaluation des émotions directement apres
une expérience.
Les développements suivants vont s'intéresser
aux techniques les plus fréquemment développées en
marketing pour appréhender la dimension émotive
des individus, & savoir ces échelles d'attitude. De
plus, Derbaix (1995b) recommande, dans I’état actuel,
de la recherche, de recourir 4 ces mesures verbales.
Nous pouvons constater que la littérature di
tingue les instruments qui mesurent des émotions
analysées comme des catégories et ceux qui mesu-
rent des émotions considérées comme des dimen-
sions (Batra et Ray, 1986 ; Bagozzi et Moore, 1994),
car leurs auteurs interprétent la similarité entre diffé-
rents types d’émotions comme des proximités dans
un espace multidimensionnel. Ces émotions sont
ainsi réduites & des combinaisons d'un petit nombre
de dimensions (Batra et Ray, 1986).
Les approches discrétes ou catégorielles
de Vexpérience émotionnelle
Selon leurs concepteurs, toutes les expériences
Emotionnelles peuvent étre définies en termes de
combinaisons des émotions fondamentales. De plus,
Vémotion est considérée comme un mécanisme
adaptation par rapport aux modifications de lenvi-
ronnement et comme un facteur motivant le compor-
tement (Allen, Machleit et Marine, 1988).
Parmi ces approches, les travaux d’Izard (1977)
et ceux de Plutchick (1980) font I’ objet d'une utilisa-
tion répandue au sein de la communauté des cher-
cheurs spécialisés sur la question des émotions dansLaurence Graillot
4
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le comportement du consommateur. Globalement,
pour Plutchick, les émotions fondamentales se com-
binent pour former de nouvelles émotions, alors que
pour Izard les émotions fondamentales interagissent
dans des combinaisons au sein desquelles clles
conservent leur identité qualitative (Izard, 1977)
D’apres Izard et Plutchick, les émotions sont fondées,
biologiquement et expérimentées de fagon univer-
selle.
Le DES (Differential Emotion Scale) d'Izard (1977)
Pour Izard (1972, 1977), l’émotion constitue une
expérience subjective. Il la désigne comme une
dimension affective expérienticlle (Izard, 1977). Sa
position repose sur la théorie des émotions différen-
tielles et sur les travaux de Tomkins (1962, 1963). Il
considére que les émotions sont discrétes, fondamen-
tales et qu’elles constituent des processus distin.
Pour évaluer les émotions, Izard (1977) a déve-
loppé le DES (Differential Emotions Scale). Le DES
I permet de mesurer ’intensité de l’expérience émo-
tionnelle éprouvée par les individus au moment pré:
cis od ils répondent aux items de instrument sur une
échelle d'intensité & 5 points (Izard, 1977). Le DES
II permet d’évaluer les émotions ressenties durant
des périodes de temps étendues et de déterminer
combien de fois individu expérimente chacune des
émotions fondamentales dans un contexte spécifique
ou durant un intervalle de temps précis 4 ’aide d’une
échelle de fréquence de type Likert 5 points. Le
DES I et le DES Il reposent tous les deux sur une
liste de trente items (trois adjectifs associés & chacu-
ne des dix émotions primaires ; par exemple, la joie
est traduite par enchanté, heureux et joyeux). Dans le
cas du DES III, chacun des trente adjectifs est intro-
duit dans une phrase (Allen, Machleit et Marine,
1988).
La classification de Plutchick (1980)
Plutchick (1980) considtre que toutes les émo-
tions découlent d’un petit nombre de catégories émo-
tionnelles fondamentales (Havlena et Holbrook,
1986). I! propose done de distinguer la crainte, la
colére, la joie, la tristesse, lacceptation, le dégodt,
Pespérance et la surprise. Chaque item est mesuré sur
une échelle d'intensité & sept positions (Havlena et
Holbrook, 1986).
Ce schéma théorique suppose, également, qu’il y
a quatre paires d’émotions et que dans chacune, les
deux émotions s sont négativement corré-
Iées.
Une approche continue des émotions :
le PAD (Pleasure, Arousal and Dominance)
de Mehrabian et Russell (1974)
La théorie de Mehrabian et Russell (1974) repose
sur trois variables psychologiques_ intermédiaires
(entre "influence de la situation et le comportement)
endogénes au comportement : Ie plaisir (il rassemble
des sentiments divers comme le bonheur, le contente-
ment, la satisfaction...), Vexcitation (leur définition
de l'excitation repose sur les travaux de Berlyne
(1960) et 1a dominance (un individu peut, soit, pen:
ser contrdler environnement, soit, se sentir dépa
par l'environnement) (Lutz. et Kakkar, 1975).
Par rapport & ces trois variables, Mchrabian et
Russell ont développé un instrument de mesure de la
réponse émotionnelle. Il comprend dix-huit items
(Six items pour chacune des trois variables) ct
reprend lesprit du différenciateur sémantique déve-
loppée par Osgood, Suci et Tannenbaum (1957).
Chaque sujet est invité A répondre aux 18 items du
PAD sur une échelle bipolaire & 7 échelons (ou & 9
échelons) aprés avoir pris connaissance d’une situa-
tion exposée par un petit paragraphe et administrée
de fagon aléatoire (par exemple, le plaisir est mesuré
par mélancolique-content, insatisfait-satisfait, ennuyé-
détendu, heureux-malheureux).
D'aprés Mehrabian et Russell (1974), toutes les
réponses émotionnelles peuvent étre représentées par
ces trois facteurs ou par leurs combinaisons, mais ces
mémes facteurs peuvent aussi étre utilisés pour caté-
goriser les situations qui produisent ces états émo-
tionnels, c’est-A-dire que les items peuvent étre défi-
nis en fonction des réponses qu’ils provoquent (Lutz
et Kakkar, 1975). Cette approche permet done de
décrire les situations individuelles, de comparer, au
niveau individuel ou agrégé, des situations difté-
rentes par Vintermédiaire dune analyse des coeffi-Emotions et comportement du consommateur : intégration d'un état de Vart ”
cients ou des scores correspondants et, au dela,
@obtenir les réactions des différents segments de
marché aux expériences de consommation (Lutz et
Kakkar, 1975).
‘APPORTS, LIMITES ET PROLONGEMENTS
DES THEORIES DE L'EMOTION CONSTATES.
DANS LE CADRE DE LA RECHERCHE
EN COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR
Nous allons a présent examiner les apports,
limites et prolongements issus des recherches en
comportement du consommateur suite & lintégration
des contributions offertes par le concept d’émotion
pour mieux appréhender le comportement du
‘consommateur. Cet examen, nous conduira & consta-
ter que les travaux menés dans le cadre du comporte-
ment du consommateur reposent principalement sur
utilisation des trois échelles de mesure présentées
antérieurement comme Je constatent Babin, Boles et
Darden (1995). De plus, nous choisissons de nous
intéresser @ ces travaux, car nous avons déja cu
Foceasion de préciser que les apports des autres
types de mesure sont relativement faibles étant donné
Ja délicatesse de leur mise en ceuvre.
Dans cette perspective, les travaux d’Izard (1977)
sont intéressants pour au moins deux raisons. D’une
part, ses procédures de mesures ont fait l'objet de
nombreuses validations et sont considérées comme
des évaluations efficaces des émotions (Allen,
Machleit et Marine, 1988 ; Allen, Machleit et Schutz
Kleine, 1992 ; Laverie, Kleine III et Schultz Kleine,
1993), Westbrook (1987) confirme, notamment, la
validité de cet instrument et la pertinence de son
application dans environnement de la consomma-
tion (Westbrook et Oliver, 1991). D'autre part, ces
travaux introduisent deux émotions (la honte et la
culpabilité) qui ne sont pas comprises dans le syst®-
me développé par Plutchick (1980). Plus spécifique-
ment, Allen, Machleit et Marine (1988) montrent que
la fiabilité du DES II est influencée par le regroupe-
ment des items par type d’émotion. Cependant,
Richins (1997) souligne la prédominance des émo-
tions négatives dans cette échelle.
Par rapport au schéma de Plutchick (1980), les
résultats des travaux d’Havlena et Holbrook (1986)
confirment ceux obtenus par Plutchick et Kellerman
(1980)
Dans les recherches consaerées au. comportement
du consommateur, le PAD est utilisé pour évaluer les
réponses émotionnelles & des stimuli marketing. La
stabilité et la validité nomologique du PAD ont été
révélées par de nombreuses études (Mehrabian ct
Russell, 1974 ; Lutz et Kakkar, 1975). De plus, Lu
et Kakkar suggérent que des situations de faible
implication ne produisent pas des réactions émotion-
nelles fortes. Leur recherche peut également se rap-
procher des travaux réalisés autour de l'influence de
la situation sur le comportement du consommateur et
des variables situationnelles, influence étudiée notam-
ment par Belk (1974a, 1974b) (Lutz et Kakkar, 1975).
Cependant, Richins (1997) indique que les opposi-
tions proposées ne sont pas toujours tres claires (ex :
ennuyé et détendu). Morris et McMullen (1994) rap-
portent que Ie PAD a fait Pobjet d'une déclinaison
graphique, chacune des trois dimensions étant repré-
sentée par un ensemble de dessins de cing person
nages correspondant & une position sur un continuum.
Cet instrument, le SAM (Self-Assessment Manikin)
pourrait constituer une alternative & cette échelle ver~
bale car Morris et McMullen (1994) indiquent que
plusieurs études ont validé cette échelle et confirmé
son efficacité pour mesurer les émotions et pour
apprchender des réponses émotionnelles multiples. Il
permettrait done de dépasser certaines de ses limites
endogénes relatives & a rationalisation de la réponse
et au fait que I’émotion est difficile a verbaliser.
Pour leur part, Havlena et Holbrook (1986), sur la
base d'une comparaison du paradigme PAD et de la
classification de Plutchick, indiquent qu'il apparait
possible de traduire des phénoménes de consomma-
tion (@ caractére esthétique, religieux, de loisirs...) en
représentations signifiantes de leur contenu émotion-
nel. Dans le contexte du comportement du consom-
mateur, leurs résultats montrent que la structure de
Mehrabian et Russell est plus porteuse que le schéma
de Plutchick pour représenter les expériences de
consommation dans un espace d’émotions et pour
développer des profils émotionnels spécifiques & une
expérience. Cependant, le paradigme PAD semble
retenir plus d'information, posséder une stabilité
interne plus forte et une validité convergente externe8 Laurence Graillot
plus grande. De plus, la structure de Mehrabian et
Russell produit de bonnes prédictions généralisables
non seulement pour les indices PAD mais également,
pour sept des huit émotions de Plutchick ('espérance
étant exclue), permettant ainsi de décrite une expé-
rience en termes d’émotions fondamentales concrétes
en plus des dimensions abstraites. En outre, d’autres
analyses se prononcent en faveur dune utilisation du
schéma de Mehrabian et Russell. D’une part, la clas-
sification de Plutchick nécessite la collecte des don-
nées pour huit émotions discrétes. D’autre part, la
structure de Plutchick est incapable de représenter Ia
dimension excitation. Ces différentes conclusions
doivent étre relativisées puisque leur travail connaft
certaines limites concernant I’échantillon des juges,
les expériences de consommation étudiées, les rap-
ports verbaux d’expériences esthétiques ou émotion-
nelles (Hirschman, 1983).
Toutefois, en dépit de la prise de conscience du
r6le primordial joué par les émotions, Havlena et
Holbrook (1986) remarquent, qu’en réalité, peu de
travaux empiriques quantitatifs ont examiné les
caractéristiques des bénéfices émotionnels de l’expé-
rience de consommation en dépit de la recommanda-
tion de Holbrook et Hirschman (1982) de tenir comp-
te des phénoménes émotionnels, Ce constat est
également souligné par Allen (1993), Haviena et
Holbrook (1986) relévent une étude qui analyse les
niveaux des bénéfices émotionnels/intangibles par
rapport aux bénéfices rationnels/tangibles provoqués
par 53 catégories de produits. Ils font également réfé-
rence a quelques recherches menées dans le domaine
des divertissements et plus particulidrement des jeux
vidéo (Holbrook, Chestnut, Oliva et Greenleaf, 1984)
et du loisir (Unger et Kernan, 1983). Les travaux
d'Holbrook, Chestnut, Oliva et Greenleaf (1984) ont
notamment analysé les relations entre d’une part les
émotions et d’autre part la performance, la complexi:
té pergue et la personnalité. Cependant, aucune de
ces études, conduites dans le cadre des activités de
ir, n’examine les réponses émotionnelles immé-
diates provoquées pendant l’expérience de consom-
mation (Havlena et Holbrook, 1986). En outre, les
fonctions des émotions dans les expériences de
consommation motivées intrins8quement sont encore
mal comprises (Holbrook, Chestnut, Oliva et
Greenleaf, 1984). Des travaux plus récents menés par
Derbaix et Pham (1991), comblent en partic cette
lacune puisqu'ils analysent les réactions affectives
exprimées avant, pendant et aprés 70 situations de
consommation. IIs mettent en évidence que, par rap-
port a l'ensemble des réactions affectives collectées,
les sujets déclarent surtout des réactions positives,
des sentiments et des réactions affectives d’évalua-
tion, Ils sont amenés & constater que la mémoire
opére moins de discrimination pour les expériences
plaisantes que pour les expériences non plaisantes,
Les résultats obtenus, les conduisent, non seulement,
a Gtablir que certaines situations de consommation
sont plus susceptibles que d’autres de susciter des
réactions affectives (comme « prendre un repas au
restaurant »), mais également, & associer une réaction
affective caractéristique avec une situation de
consommation (nostalgie/tristesse/mélancolie pour, «
apres les vacances »). Gouteron (1995), pour sa part,
ne s'est pas intéressé aux émotions éprouvées lors de
utilisation ou de la consommation de produits mais
a celles engendrées dans le cadre de deux situations
d'achat (pour un cadeau et pour sa propre consom-
mation) dun produit particulier : le disque,
Nous pouvons également indiquer que peu
d'études considérent les combinaisons des états
affectifs au travers des expériences des consomma-
teurs, Or, pour Westbrook et Oliver (1991), une telle
modélisation est souhaitable pour plusieurs raisons.
D’une part, elle pourrait rendre possible la descrip-
tion de T'expérience émotionnelle globale du
consommateur plutét que celle de sa partition en
types d’émotions primaires (comme la joie, la crain-
te...) ou celle de sa réduction aux dimensions de
lémotion (comme le plaisir, I’excitation). D'autre
part, elle permettrait de représenter des expériences
de consommation spécifiques sur le continuum de
satisfaction. Ainsi, aprés avoir collecté, auprés d'un
échantillon de propriétaires de voitures achetées il y
a au plus un an, non seulement les émotions ress
es lors de Ja consommation a I’aide du DES II mais
également leur satisfaction, Westbrook et Oliver
(1991) établissent qu'il existe une relation entre les
modiles de réponses émotionnelles et la satisfaction,
que les différentes expériences affectives peuvent se
placer sur le continuum unidimensionnel de satisfac-
tion et que leur position révéle la signification de la
satisfaction elle-méme. Ces résultats tendraient,
donc, & intereéder en faveur de la prédiction de la
satisfaction post-achat, post-consommation ou post-
expérience & partir du modéle d’émotions recherché
par les individus. Les relations entre les émotions et
i.